Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé a pris fin prématurément - deux mois plus tôt, l’employeur avait prolongé sa durée d’emploi d’une année complète - le fonctionnaire s’estimant lésé s’est plaint que son licenciement constituait une mesure disciplinaire déguisée parce que l’employeur savait qu’il avait l’intention de demander un congé parental - l’arbitre de grief a conclu qu’il incombait au fonctionnaire s’estimant lésé d’établir que la décision de l’employeur était une mesure disciplinaire déguisée - l’arbitre de grief a en outre statué que le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé était justifié pour des motifs économiques valables - le fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas parvenu à prouver que l’employeur a raccourci la durée de l’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé parce que ce dernier avait l’intention de demander un congé parental. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-04-12
  • Dossier:  166-34-35729
  • Référence:  2006 CRTFP 40

Devant un arbitre de grief



ENTRE

TODD KEULEMAN

fonctionnaire s’estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Todd Keuleman c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Léo-Paul Guindon, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Martin Ranger, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Neil McGraw, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 13 octobre 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]    Le fonctionnaire s’estimant lésé, Todd Keuleman, a déposé un grief, le 19 mai 2004, pour contester la décision de l’Agence, maintenant appelée l’Agence du revenu du Canada (l’employeur), de mettre fin prématurément à sa période d’emploi pour une période déterminée. Le grief déclarait ce qui suit :

[Traduction]

Je conteste la décision prise par l’employeur, le 17 mai 2004, d’annuler mon emploi pour une période déterminée. On a mis fin à mon emploi après que je me sois renseigné en vue d’un potentiel congé parental. La décision de l’employeur a été prise de mauvaise foi et constitue une mesure disciplinaire déguisée.

[2]    Le fonctionnaire s’estimant lésé demande d’être rétabli dans ses fonctions avec salaire et avantages sociaux rétroactifs complets jusqu’à la fin de sa période d’emploi.

[3]    Le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief à l’arbitrage de grief le 25 février 2005. L’employeur a consenti à proroger le délai pour le renvoi de ce grief.

[4]    Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.   En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l' « ancienne Loi »).

[5]    L’affaire devait initialement être instruite le 2 août 2005, mais l’audience a été reportée à la demande de l’employeur.

Résumé de la preuve

[6]    L’employeur a offert au fonctionnaire s’estimant lésé un emploi pour une période déterminée au poste d’analyste (groupe et niveau CS-02) au sein de la Direction générale de l’informatique de la Direction du traitement des déclarations et des paiements des particuliers, le 19 novembre 2002 (pièce G-4).   Sa nomination est entrée en vigueur le 2 décembre 2002 et devait prendre fin le 1 er décembre 2003. La lettre d’offre indiquait que la période d’emploi pouvait être prolongée ou réduite selon les exigences opérationnelles et le rendement du fonctionnaire s’estimant lésé.

[7]    Le fonctionnaire s’estimant lésé était affecté à la mise en oeuvre du projet NetRAP, une application informatique permettant aux contribuables de transiger en direct.

[8]    La période d’emploi initial du fonctionnaire s’estimant lésé a été prolongée pour une première fois du 2 décembre 2003 au 31 mars 2004 (pièce G-5). La période de cette première extension pouvait être prolongée ou réduite de la même manière que la période initiale. L’extension devait se terminer à la fin de l’exercice.

[9]    L’emploi pour une période déterminée du fonctionnaire s’estimant lésé a été prolongé de nouveau pour la période du 1 er avril 2004 au 31 mars 2005 (pièce G-6).   La lettre d’offre datée du 19 mars 2004 indiquait que la période pouvait être prolongée ou réduite, selon les nécessitées opérationnelles et le rendement du fonctionnaire s’estimant lésé. La demande d’approbation de la deuxième extension se lisait comme suit (pièce G-8) :

[Traduction]

[…]

D)
Cet emploi pour une période déterminée est dans le meilleur intérêt de l’Agence (justification) :
Le projet NetRAP est un système de grande envergure qui est assujetti à des délais serrés. Todd a toutes les compétences nécessaires pour concevoir ce système ainsi qu’une connaissance solide des étapes de son développement. La courbe d’apprentissage serait très élevée si Todd était remplacé, ce qui risquerait de compromettre la mise en oeuvre du système.
[…]

[10]    M. John Carey (directeur intérimaire, Division du traitement des cotisations, Direction générale de l’informatique) a déclaré avoir pris la décision de prolonger la période d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé pour une deuxième fois avant d’établir le budget pour 2004-2005 et sans avoir évalué les besoins de la Direction générale de l’informatique. Il a expliqué que la prolongation d’un an de la période d’emploi était à des fins budgétaires.

[11]     Au début du mois d’avril 2004, M. Carey a demandé à Kelly Rotar, chef des projets NetRAP et Mon dossier,   d’évaluer les besoins de ses projets parce que l’employeur souhaitait réduire le budget de la Direction générale de l’informatique. Elle a évalué les besoins en tenant compte du calendrier d’exécution du projet NetRAP (pièce E-5), qui avait été préparé au début du projet par les chefs de projet antérieurs. À la suite de cette évaluation, elle a conclu que les tâches devant être exécutées par M. Keuleman étaient terminées le 16 avril 2004 (pièce E-5). Les tâches devant être exécutées par Imad Nasrallah (un autre CS-02 embauché pour une période déterminée affecté au projet NetRAP) avaient également été achevées en avril 2004. Toutes les tâches liées au développement du projet NetRAP avaient été achevées et la tenue à jour serait effectuée par un employé à temps plein embauché pour une période indéterminée. Cet employé assurait déjà la mise à jour pour le projet Mon dossier, et la mise à jour pour le projet NetRAP serait ajoutée à ses fonctions. M me Rotar a fait part de ses conclusions à M. Carey, qui a décidé de déclarer excédentaire les deux postes CS pour une période déterminée pour le projet NetRAP.

[12]    Le 27 avril 2004, M. Carey a informé le fonctionnaire s’estimant lésé et M. Nasrallah de sa décision et leur a expliqué qu’ils seraient inscrits à la liste de disponibilité. Le fonctionnaire s’estimant lésé a appris de M. Carey, lors d’une rencontre le 17 mai 2004, que sa période d’emploi prenait fin plus tôt que prévu. Robert Gamey a avisé officiellement le fonctionnaire s’estimant lésé, dans une lettre datée du 17 mai 2004, que sa période d’emploi se terminerait trois semaines plus tard, soit le 7 juin 2004 (pièce G-11). Le 31 mai et le 2 juin 2004, M. Carey a envoyé un courriel au fonctionnaire s’estimant lésé et à M. Nasrallah pour les informer des possibilités d’emploi au Campus Fitzgerald.

[13]    Le fonctionnaire s’estimant lésé a informé ses collègues de travail de son départ par courriel, le 17 mai 2004. Il a affirmé, lors de son témoignage, avoir écrit le courriel pour quitter sur une note positive.  Dans cette correspondance, il a écrit (pièce G-12) :

[Traduction]

[…]

C’est avec des sentiments mitigés que je vous écris.
Compte tenu de la quantité limitée de travail, je ne suis pas étonné d’être mis en disponibilité.
On m’a donné un avis de trois semaines, et je ne suis pas requis de rester.
J’ai remis mon insigne et je quitte aujourd’hui.
J’estime que les documents dont j’étais responsable sont à jour.
Il reste un peu de travail à effectuer au chapitre des rapports sur les statistiques mais pas beaucoup.

[…]

[14]    Le 31 mars 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a informé l’employeur que sa femme était enceinte (pièce G-7). Il a demandé de l’information sur le congé parental à Mme Rotar, le 7 avril 2004. Mme Rotar lui a dit de s’adresser à la Direction générale des ressources humaines parce qu’elle ne connaissait pas bien le programme de congé parental. À ce moment, le fonctionnaire s’estimant lésé ne lui a pas dit qu’il souhaitait prendre un congé parental. Le 27 avril 2004, Mme Rotar a appris par courriel que le fonctionnaire s’estimant lésé était intéressé à prendre un congé parental. Il s’y exprime comme suit (pièce G-10) :

[Traduction]

Bonjour Kelly,
J’aurais préféré te parler en personne au sujet de mon congé parental.

Je suis disposé à être assez souple en ce qui concerne le début de mon congé parental. Je voulais m’assurer que mon départ ne nuirait pas au projet. Malheureusement, on n’a pas eu la chance de se parler.

J’ai parlé à Phillip, Sandy et Keith pour obtenir leurs commentaires. Phillip et Sandy ne pensent pas que le fait que je prenne mon congé parental avant la fin de la mise à l’essai aura une grande incidence sur le calendrier d’exécution du projet.
Compte tenu de tout cela, je pensais prendre mon congé parental très bientôt. Je communiquerai avec les Ressources humaines pour savoir quel préavis je dois donner, etc. Je pense prendre environ quatre ou cinq mois. Par conséquent, si je partais en juin, je serais de retour en octobre.
Laisse-moi savoir ce que tu en penses.

[…]

[15]    Mme Rotar a envoyé le courriel du fonctionnaire s’estimant lésé à M. Carey le même jour. Ce dernier a demandé l’avis de la Direction générale des ressources humaines (pièce G-15) en ces termes :

[Traduction]

Bonjour Hélène. J’aimerais que tu prennes connaissance du courriel ci-joint que j’ai reçu de Todd Keuleman. J’ai discuté avec toi la semaine dernière de la mise en disponibilité d’employés nommés pour une période déterminée avant la fin de leur contrat. Todd est l’un des employés que j’ai désignés comme étant excédentaire. Peux-tu me donner des conseils concernant sa demande de congé parental par rapport à mon plan de mettre fin à sa période d’emploi. Est-ce que je contreviendrais à un droit en le licenciant?

[…]

[16]    Martine Sigouin, conseillère en ressources humaines, a répondu à M. Carey, le 29 avril 2004, qu’il ne contreviendrait pas à un droit du fonctionnaire s’estimant lésé en le licenciant parce que la lettre d’offre indiquait que la période d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé pouvait être prolongée ou réduite selon les nécessitées opérationnelles et son rendement. Elle a également cité l’extrait suivant de la convention collective conclue entre l’employeur et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, le 22 juillet 2002, pour le groupe Vérification et personnel financier et scientifique :

[…]

ARTICLE 17

AUTRES CONGÉS PAYÉS OU NON PAYÉS

[…]

17.07 Indemnité parentale
a)
L’employé qui se voit accorder un congé parental non payé reçoit une indemnité parentale conformément aux modalités du Régime de prestations supplémentaires de chômage (RPSC) décrites aux alinéas c) à i), pourvu qu’il :
(i)
compte six (6) mois d’emploi continu avant le début du congé parental non payé,
(ii)
fournisse à l’Employeur la preuve qu’il a demandée et touche des prestations parentales en vertu de l’article 23 de la Loi sur l’assurance-emploi à l’égard d’un emploi assurable auprès de l’Employeur, et
(iii)
signe avec l’Employeur une entente par laquelle il s’engage :
(A)
à retourner au travail à la date à laquelle son congé parental non payé prend fin, à moins que la date de retour au travail ne soit modifiée par l’approbation d’un autre type de congé;
(B)
à son retour au travail tel que décrit à la division (A), à travailler le nombre d'heures rémunérées au taux normal obtenu en multipliant par le nombre de semaines pour lesquelles l'indemnité a été payée, le nombre d'heures de travail hebdomadaires ayant servi au calcul des indemnités parentales;  
(C)
à rembourser à l'Employeur le montant déterminé par la formule suivante s'il ne retourne pas au travail comme convenu à la division (A) ou s'il retourne au travail mais ne travaille pas la période totale stipulée à la division (B), à moins que son emploi ne prenne fin parce qu'il est décédé, mise [sic] en disponibilité, ou que sa période d'emploi déterminée qui aurait été suffisante pour satisfaire aux obligations précisées à la division (B) s'est terminée prématurément en raison d'un manque de travail ou par suite de la cessation d'une fonction, ou parce qu'il est devenu invalide au sens de la Loi sur la pension de la fonction publique     
(indemnité reçue) x
(période non travaillée après
son retour au travail)                           
[période totale à travailler précisée en (B)]

toutefois, l'employé dont la période d'emploi déterminée expire et qui est réengagée [sic] par l' [ARC] dans les cinq (5) jours suivants n'a pas besoin de rembourser le montant si sa nouvelle période d'emploi est suffisante pour satisfaire aux obligations précisées à la division (B).

[…]

[17]    Mme Sigouin a expliqué à M. Carey que la division 17.07a)(iii)(A) signifiait que :

[Traduction]

[…]

Si l’employé sait avant de prendre son congé parental que sa période d’emploi ne sera pas prolongée, il ne peut pas signer une entente avec l’employeur pour confirmer qu’il retournera au travail.

[…]

[18]    Au sujet de la division 17.07a)(iii)c), Mme Sigouin a écrit (pièce G-15) :

[Traduction]

[…]

Cela signifie que, si un employé s’engage à retourner et qu’une fois de retour au travail ou pendant son congé il est licencié, l’employé n’aura pas à rembourser l’indemnité parentale qu’il a touchée.

L’indemnité parentale versée est ajoutée au montant qui est accordé par l’assurance-emploi (55 %) pour correspondre à 93 % du salaire de l’employé.

Si l’employé ne touche pas d’indemnité parentale de [l’employeur] (en raison des circonstances susmentionnées), il sera toujours admissible à recevoir 55 % de l’assurance-emploi.

Tu avais déjà mentionné à Helene que la période d’emploi de cet employé pouvait être réduite. Si tu obtiens la confirmation, avant son départ en congé parental, que sa période d’emploi sera réduite, il serait important de l’aviser avant qu’il ne signe l’engagement pour toucher l’indemnité parentale.

[…]

[19]    M. Carey   a déclaré qu’il serait moralement répréhensible de permettre au fonctionnaire s’estimant lésé de signer une entente de congé parental si l’employeur n’avait pas assez de travail pour lui. Selon M. Carey, il était important que l’employé sache, avant de prendre son congé parental, qu’il serait licencié. Lors du contre-interrogatoire, M. Carey a expliqué que, lorsqu’il avait écrit à Rose Fitzpatrick, le 18 mai 2004, (pièce G-13), que [traduction] « en ce qui concerne le congé parental, Todd avait demandé un congé parental plus tôt au cours de l’exercice […] », il voulait dire que M. Keuleman avait demandé de l’information sur le congé parental et non pas qu’il avait rempli une formule de demande. M. Carey a précisé que la décision de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé avait été prise avant qu’il se dise intéressé à faire une demande de congé parental. Même si la demande de congé parental avait été acceptée, cela n’aurait pas eu d’incidence sur le budget de la Division du traitement des cotisations. L’employeur n’avait aucune raison de prendre une mesure disciplinaire ou de représailles contre le fonctionnaire s’estimant lésé.

[20]    M. Carey a expliqué que 13 employés, notamment MM. Keuleman et Nasrallah, avaient été licenciés entre janvier et juillet 2004. Seulement quatre d’entre eux avaient été remplacés parce qu’en raison de la charge de travail réduite, il n’avait pas été nécessaire d’embaucher de nouveaux employés.

[21]    La partie suivante du paragraphe 17.06 de la convention collective porte sur le congé parental et est pertinente en l’espèce :

[…]

ARTICLE 17

AUTRES CONGÉS PAYÉS OU NON PAYÉS

[…]

17.06 Congé parental non payé
(a)
L'employé qui est ou sera effectivement chargé des soins et de la garde d'un nouveau-né (y compris le nouveau-né du conjoint de fait) a droit, sur demande, à un congé parental non payé pour une seule période ne dépassant pas trente-sept (37) semaines consécutives au cours des cinquante-deux (52) semaines qui commencent le jour de la naissance de l'enfant ou le jour où l'enfant lui est confié.
[…]
(d)
L'employé qui a l'intention de demander un congé parental non payé en informe l'Employeur au moins quatre (4) semaines avant la date prévue de la naissance de son enfant (y compris l'enfant du conjoint de fait) ou avant la date à laquelle l'employé prévoit se faire confier l'enfant conformément aux alinéas a) et b).
(e)L’Employeur peut :
(i)
reporter à plus tard le début du congé parental non payé à la demande de l'employé;
(ii)
accorder à l'employé un congé parental non payé même si celui-ci donne un préavis de moins de quatre (4) semaines;
(iii)
demander à l'employé de présenter un certificat de naissance ou une preuve d'adoption de l'enfant.
[…]

Résumé de l’argumentation

Par le fonctionnaire s’estimant lésé

[22]    Dans sa réplique au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a déclaré que M. Keuleman avait présenté une demande officielle de congé parental par courriel le 27 avril 2004 (pièce G-3). Cette affirmation contredit le témoignage de Mme Rotar et celui de M. Carey. Selon la chronologie des événements que fait l’employeur lui-même (pièce G-14), le fonctionnaire s’estimant lésé a mentionné à Mme Rotar son intérêt à prendre un congé parental le 7 avril 2004, ce que confirme le courriel de M. Carey daté du 18 mai 2004 (pièce G-13). La preuve n’appuie pas l’argument de l’employeur selon lequel il avait décidé de mettre fin à la période d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé avant que celui-ci ne présente sa demande de congé parental.

[23]    Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté à Mme Rotar une demande de congé parental le 7 avril   2004.   À cette date, il n’avait pas été question d’une nécessité opérationnelle ou de la décision de le déclarer excédentaire. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit à un congé parental, et l’employeur n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de le lui refuser.

[24]    Dans Chiasson c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP no 166-02-23625 (1994) (QL), l’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée s’était conformée à toutes les exigences de la convention collective en matière de congé de maternité et qu’elle y avait droit. Dans cette affaire, avant de partir en congé de maternité, la fonctionnaire s’estimant lésée avait appris à son employeur qu’elle pourrait ne pas retourner au travail après son congé. La fonctionnaire s’estimant lésée avait plus tard été informée de son licenciement. Une décision semblable devrait être rendue en l’espèce compte tenu que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est conformé à toutes les exigences de la convention collective relativement au congé parental.

[25]    La demande d’approuver une deuxième prolongation de la période d’emploi de M. Keuleman indique que la mise en oeuvre du projet NetRAP aurait pu être compromise si sa période d’emploi n’avait pas été prolongée (pièce G-8). On a mis fin à la période d’emploi sept semaines après cette prolongation et six semaines après la présentation par le fonctionnaire s’estimant lésé d’une demande de congé parental. Ces faits n’étayent pas la position de l’employeur. La décision de l’employeur de mettre fin à la période d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé n’est rien de moins qu’une mesure disciplinaire déguisée visant à économiser de l’argent.

[26]    Dans ces circonstances, le grief devrait être accueilli et l’employeur devrait être tenu de payer au fonctionnaire s’estimant lésé l’équivalent du solde de sa période d’emploi pour la période du 7 juin 2004 au 31 mars 2005.

Par l’employeur

[27]    La preuve montre que le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé coïncidait avec des circonstances familiales. En l’espèce, le grief ne peut être accueilli que si la preuve démontre que la période de l’emploi pour une période déterminée n’a pas été réduite pour des questions liées au travail, comme un manque de travail ou des exigences budgétaires, mais parce que l’employeur voulait éviter d’accorder un congé parental.

[28]    La discussion du 7 avril 2004 et le courriel du 27 avril 2004 n’étaient pas des demandes officielles de congé parental, mais simplement la manifestation d’un intérêt. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas signé une demande officielle de congé parental et ne s’est pas engagé par écrit à retourner au travail après son congé parental, comme le prévoit la convention collective.

[29]    En l’espèce, l’intérêt démontré par le fonctionnaire s’estimant lésé dans sa recherche d’information sur le congé parental n’empêchait pas l’employeur de prendre la décision de le mettre à pied. La décision de licencier des employés nommés pour une période déterminée était fondée sur une évaluation des besoins effectuée par la chef de projet. Cette évaluation démontrait que les tâches que devait exécuter le fonctionnaire s’estimant lésé dans le cadre de son projet NetRAP étaient terminées.

[30]    Rien dans la preuve produite par le fonctionnaire s’estimant lésé ne soutient l’allégation selon laquelle sa mise à pied était un leurre pour éviter d’accorder un congé parental. Au contraire, la preuve a démontré que la mise à jour du programme NetRAP devait, après la mise à pied, être assurée par un employé nommé pour une période indéterminée qui assumait déjà ces fonctions pour le projet Mon dossier. La mise à pied était justifiée compte tenu des circonstances du projet NetRAP.

[31]    Un arbitre de grief a compétence pour instruire un grief renvoyé à l’arbitrage de grief qui concerne une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, conformément à l’alinéa 92(1)c) de l’ancienne Loi. Pour avoir gain de cause, le fonctionnaire s’estimant lésé devait démontrer que le motif de la mise à pied invoqué par l’employeur était une mesure disciplinaire déguisée ou un camouflage. Ce principe a été appliqué dans Frève c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27631 (1999) (QL), et devrait être appliqué en l’espèce. La preuve a démontré que la mise à pied a été décidée à la suite de l’évaluation de la charge de travail. L’employeur en est venu à la conclusion que les tâches étaient terminées, et la preuve démontre que cela était vrai; les employés mis à pied n’ont pas été remplacés.

[32]    En l’espèce, l’employeur n’a pas refusé une demande de congé parental et aucun grief n’a été déposé relativement à l’application du paragraphe 17.07 de la convention collective. Le fonctionnaire s’estimant lésé a le fardeau de démontrer que l’employeur a mis fin à son emploi pour une période déterminée de mauvaise foi en recourant à une mesure disciplinaire déguisée, ce qu’il n’a pas fait. Par conséquent, le grief devrait être rejeté.

Réplique du fonctionnaire s’estimant lésé

[33]    L’employeur a invoqué l’excuse des nécessitées opérationnelles quand il a changé d’idée au sujet du risque que représenterait le remplacement de M. Keuleman pour la mise en oeuvre du projet NetRAP (pièce G-8). L’employeur a agi de la sorte pour éviter une demande de congé parental, et la fin de la période d’emploi était en réalité une mesure disciplinaire déguisée.

Motifs

[34]    M. Keuleman a contesté la décision de l’employeur de mettre fin à sa période d’emploi prématurément; il n’a pas invoqué la violation du paragraphe 17.06 ou 17.07 de la convention collective. Comme son grief a été renvoyé à l’arbitrage de grief conformément à l’alinéa 92(1)c) de l’ancienne Loi, ma compétence à instruire cette affaire se limite aux paramètres énoncés dans cette disposition. L’alinéa 92(1)c) est libellé comme suit :

   92. (1)   Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

[…]

(c)   dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

[35]    Il a été question de la notion de mesure disciplinaire énoncée à l’article 92 de l’ancienne Loi dans Robertson c. Conseil du Trésor (ministère du Revenu national), dossier de la CRTFP 166-02-454 (1971). Dans cette affaire, après avoir passé en revue les dispositions touchant les mesures disciplinaires dans la Loi sur la gestion des finances publiques, le Règlement sur les conditions d'emploi dans la fonction publique et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique , l’arbitre de grief a tiré la conclusion suivante :

[…]

[…] La [Loi sur l’administration financière] ainsi que l’article 106 font mention en termes précis de pénalités en cas d’infraction à la discipline ou d’inconduite. Les termes employés comportent la notion de culpabilité : infractions volontaires ou négligence coupable; ces attitudes peuvent entraîner tous deux l’adoption de mesures punitives. Je crois toutefois que les termes employés ne se réfèrent pas à certains cas de manquements ou de déficiences, tels que l’incompétence involontaire ou l’incapacité (causée par l’inexpérience ou la vieillesse); dans les deux cas, on ne remarque aucune volonté de nuire.

        Il me semble que la « mesure disciplinaire » à laquelle se réfère l’article   91(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a été adoptée pour sévir contre toute « infraction à la discipline ou inconduite » ou, en d’autres mots, pour pallier à tout ce que l’employeur considère comme agissement coupable, quel que soit le terme inscrit dans les dossiers à cet effet.

[…]

[Souligné dans l’original]

[36]    Par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé doit démontrer que la décision de l’employeur constitue une mesure disciplinaire déguisée qui a été prise en réponse à des allégations d’inconduite ou à un manquement à la discipline. Les parties sont en accord que l’arbitre de grief est compétent à instruire ce grief si le fonctionnaire s’estimant lésé établit que le licenciement n’est pas une mise à pied réelle mais bien une mesure disciplinaire déguisée.

[37]    Dans la présente affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé a soumis que l’employeur a pris la décision de réduire sa période d’emploi pour ne pas avoir à accepter la demande de congé parental faite verbalement le 7 avril 2004, demande qui a également été effectuée par écrit le 27 avril 2004 (pièce G-10). Le fonctionnaire s’estimant lésé est d’avis que l’employeur a changé d’idée au sujet de sa décision de prolonger sa période d’emploi seulement pour éviter d’avoir à lui accorder un congé parental. Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, le fait que l’employeur ait mis fin prématurément à sa période d’emploi, peu après avoir estimé qu’une deuxième extension s’imposait afin de ne pas compromettre le projet NetRAP, témoigne de sa mauvaise foi.

[38]    Pour avoir gain de cause sur ce point, le fonctionnaire s’estimant lésé doit démontrer que la conclusion à laquelle est arrivée Mme Rotar est une mesure disciplinaire déguisée. Le témoignage de Mme Rotar concernant le calendrier d’exécution du projet NetRAP (pièces E-4 et E-5) et sa conclusion que toutes les tâches assignées au fonctionnaire s’estimant lésé et à un autre CS-02 nommé pour une période déterminée, étaient terminées le 10 avril 2004, n’a pas été contredit. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a produit aucune preuve qui aurait remis en question la crédibilité de Mme Rotar. M. Carey a pris la décision de réduire la période d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé en se fondant sur les conclusions de Mme Rotar.

[39]    M. Carey a décidé de prolonger la période d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé une deuxième fois pour la période du 1 er avril 2004 au 31 mars 2005, sans avoir procédé à une évaluation des besoins pour le projet NetRAP. Il a expliqué qu’il avait prolongé la période d’emploi en réponse à une demande de la Direction générale des ressources humaines avant de préparer le budget de 2004-2005. M. Gamey a confirmé au fonctionnaire s’estimant lésé que sa période d’emploi était prolongée une deuxième fois, le 19 mars 2004 (pièce G-6). M. Carey a reçu comme instruction de réduire le budget de la Direction générale de l’informatique au début avril 2004, et il a alors demandé à la chef de projet d’évaluer la charge de travail du projet NetRAP.

[40]    Le 27 avril 2004, M. Carey a signifié au fonctionnaire s’estimant lésé et à M. Nasrallah que leur période d’emploi serait réduite. En acceptant les conclusions de Mme Rotar, M. Carey a assumé sa responsabilité de gestionnaire de réduire au minimum les coûts liés au projet NetRAP. Les tâches de mise à jour du projet NetRAP ne justifiaient pas le maintien en poste du fonctionnaire s’estimant lésé. La preuve produite par le fonctionnaire s’estimant lésé ne contredisait pas ce fait. Au contraire, dans son courriel d’adieu, le fonctionnaire s’estimant lésé déclarait que, compte tenu de la quantité limitée de travail, il n’était pas étonné d’être mis à pied. Le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi ajouté que les documents dont il était responsable étaient à jour et qu’une petite quantité de travail demeurait à faire au chapitre des rapports sur les statistiques (pièce G-12).

[41]    La preuve a démontré que personne n’avait été embauché pour remplacer le fonctionnaire s’estimant lésé et l’autre CS-02 nommé pour une période déterminée qui avaient été mis à pied ou pour effectuer des tâches liées à la mise en oeuvre du projet NetRAP. On a prouvé que la mise à jour du projet NetRAP était effectuée par un employé nommé pour une période indéterminée qui travaillait au projet Mon dossier, ce qui n’a pas été contredit. Cette information me convainc que le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas une mesure disciplinaire déguisée et était fondé sur des motifs économiques valables.

[42]    En ce qui concerne la question du congé parental, la preuve indique que le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé de l’information à Mme Rotar, lors d’une conversation le 7 avril 2004.   Rien ne permet de croire que Mme Rotar a informé M. Carey de cette conversation. Le 27 avril 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a avisé Mme Rotar par écrit de son intention de prendre un congé parental et de se renseigner auprès de la Direction générale des ressources humaines (pièce G-10). M. Carey a été informé de cette intention par écrit le même jour. Je ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant que la décision de M. Carey de réduire la période d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé était liée à l’intention de celui-ci de demander un congé parental. Par ailleurs, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas prouvé qu’il avait fait une demande officielle de congé parental conformément au paragraphe 17.06 de la convention collective.

[43]    Je conclus que le courriel du fonctionnaire s’estimant lésé, daté du 27 avril 2004 (pièce G-10), ne rencontre pas les critères énoncés au paragraphe 17.06 de la convention collective.   L’alinéa 17.06d) prévoit l’obligation pour l’employé d’aviser l’employeur au moins quatre semaines avant la date de naissance prévue de son enfant ou la date à laquelle l’employé prévoit se faire confier l’enfant (pièce G-1).   Dans son courriel du 27 avril 2004, l’employé ne précisait pas de date à laquelle il prévoyait se faire confier l’enfant, mais il déclarait vaguement vouloir prendre un congé de quatre ou cinq mois, congé qui aurait pu commencer en juin (pièce G-10). Le fonctionnaire s’estimant lésé affirmait également ce qui suit dans son courriel :

[Traduction]

[…]

Je suis disposé à être assez souple en ce qui concerne le début de mon congé parental. Je voulais m’assurer que mon départ ne nuirait pas au projet. […]

[…]

Dans ces circonstances, je conclus que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas soumis de demande officielle de congé parental à son employeur avant que celui-ci ne prenne la décision de le mettre à pied.

[44]    L’interprétation de l’employeur du paragraphe 17.07 concerne les droits d’un employé de recevoir une indemnité parentale s’il se conforme aux critères établis. Or, le paragraphe 17.07 ne prévoit pas les critères relatifs à l’octroi d’un congé parental, mais la condition à respecter pour avoir droit à une indemnité parentale aux termes du régime de prestations supplémentaires de chômage. Le fonctionnaire s’estimant lésé devait aviser son employeur de son intention de demander un congé parental au moins quatre semaines avant la date à laquelle il devait se voir confier l’enfant, conformément à l’alinéa 17.06d) de la convention collective.

[45]    Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas produit de preuve démontrant le lien de causalité entre son intention de prendre un congé parental et la décision de l’employeur de réduire sa période d’emploi. Sur cette même question, la preuve a démontré que l’employeur s’est demandé si la décision de mettre fin prématurément à la période d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé respectait les droits de celui-ci. Rien ne prouve que la demande du fonctionnaire s’estimant lésé concernant le congé parental a influé sur la décision de l’employeur de réduire sa période d’emploi. Autrement dit, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas établi que l’employeur a pris sa décision afin de le priver de son droit à un congé parental. Le fonctionnaire s’estimant lésé ne s'est pas acquitté de son fardeau de la preuve : la preuve n’étaye pas son allégation selon laquelle son licenciement constituait une mesure disciplinaire déguisée. Sur cette question, aucune preuve ne démontre que la décision de l’employeur a été prise en réponse aux actions ou comportements du fonctionnaire s’estimant lésé.

[46]    La décision dans l’affaire Chiasson (précitée) n’est pas d’une grande utilité pour le fonctionnaire s’estimant lésé. Les faits et les questions dans cette affaire sont différents de ceux en l’espèce. Le grief de Mme Chiasson portait sur l’application de l’indemnité de congé de maternité prévue dans sa convention collective et pour laquelle elle avait rempli tous les formulaires requis. Son employeur a mal compris son intention relativement à son retour au travail et lui a refusé son droit à une indemnité de congé de maternité. La situation de M. Keuleman est très différente. Il allègue que l’employeur a mis fin à sa période d’emploi parce qu’il avait l’intention de demander un congé parental.

[47]    La décision dans l’affaire Frève (précitée) ne peut pas s’appliquer en l’espèce non plus parce que cette affaire concernait la compétence de l’arbitre de grief d’instruire un grief contestant un licenciement conformément au paragraphe 29(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Dans l’affaire qui nous occupe, l’employeur, à titre d’employeur distinct aux termes de l’ancienne Loi, est régi par un régime législatif différent.

[48]    Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas établi que la fin prématurée de son emploi pour une période déterminée constituait une mesure disciplinaire déguisée. Par conséquent, je n'ai pas compétence pour instruire ce grief.

[49]    Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[50]    Le grief est rejeté.

Le 12 avril 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Léo-Paul Guindon,
arbitre de grief

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