Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

Le ministère de la Santé (l’employeur) soutenait que, à 20 occasions, le fonctionnaire s’estimant lésé avait demandé le remboursement de frais de déplacement mais n’avait pas effectué les déplacements et était resté chez lui ou se trouvait en fait à un autre endroit pour des raisons personnelles - le fonctionnaire s’estimant lésé contestait certains des détails relatifs à ses demandes de remboursement de frais de déplacement, mais l’essentiel de sa thèse était que l’allégation d’abus en matière de demande de remboursement de frais de déplacement était une invention de la part de diverses personnes mêlées à une conspiration de longue date contre lui - le fonctionnaire s’estimant lésé alléguait qu’il avait été traité incorrectement quand il avait été embauché et qu’une autre personne avait obtenu un poste qui aurait dû lui revenir, cette personne étant ainsi devenue sa superviseure, et il alléguait également que ces deux événements étaient symptomatiques d’une conspiration qui a fini par donner lieu à la fabrication de demandes de remboursement de frais de déplacement, pour se débarrasser de lui - en examinant certaines des demandes de remboursement de frais de déplacement du fonctionnaire s’estimant lésé, la superviseure a estimé qu’elles présentaient des incohérences - elle a demandé que son adjoint obtienne des renseignements supplémentaires du fonctionnaire s’estimant lésé - ce dernier a refusé de fournir l’information demandée, et il a été décidé d’examiner d’autres demandes de remboursement pour voir s’il se dégageait une tendance - la superviseure du fonctionnaire s’estimant lésé a alors appris que les demandes de remboursement de frais de déplacement du fonctionnaire étaient examinées par l’administration centrale dans le cadre d’une vérification courante - le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu sans traitement dans l’attente du résultat de l’enquête menée par l’administration centrale - après l’enquête, le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié - le fonctionnaire s’estimant lésé a en outre demandé la production des déclarations de revenu de sa superviseure, arguant que c’était pertinent pour un autre grief (dont l’arbitre de grief n’était pas saisi) et pour une plainte relative aux droits de la personne; une preuve faisant essentiellement partie d’autres affaires n’est pas admissible - le fonctionnaire s’estimant lésé demandait que l’arbitre de grief se récuse parce que ce dernier n’était pas impartial et << faisait preuve d’un manque d’équité >> - la demande a été rejetée - le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé que l’audience soit enregistrée, laquelle demande a été accueillie sous réserve de certaines conditions, mais en fin de compte la procédure n’a pas été enregistrée - lors du témoignage de l’employeur, le fonctionnaire s’estimant lésé a fait une demande sollicitant le rejet de la thèse de l’employeur - le fonctionnaire s’estimant lésé niait qu’il plaidait le non-lieu ou présentait une demande relative à une preuve insuffisante, et la Commission a avisé les parties que l’audience se poursuivrait - l’arbitre de grief a refusé que soit admis en preuve un affidavit du fonctionnaire s’estimant lésé, car l’intention de ce dernier était de soumettre une preuve à l’arbitre de grief sans être interrogé à ce sujet - dans sa requête concernant l’affidavit, le fonctionnaire s’estimant lésé alléguait qu’il n’avait pas eu la possibilité de faire appel à un représentant syndical, ce qui rendait nulle la mesure disciplinaire contre lui - l’arbitre de grief a rejeté la requête, concluant que la question n’avait pas été l’objet d’un grief ou de la procédure de règlement des griefs et ne pouvait être examinée maintenant - de toute manière, il a conclu que la demande du fonctionnaire s’estimant lésé échouerait, parce que le but de la réunion avait le caractère d’une enquête plutôt que d’une mesure disciplinaire, et le droit à une représentation syndicale ne s’applique pas, selon la convention collective, au processus d’enquête - en outre, le fonctionnaire s’estimant lésé s’était vu accorder par l’employeur la possibilité qu’un représentant soit présent - l’arbitre de grief a statué que, dans les cas d’allégations de faute de conduite grave, l’employeur doit démontrer par une preuve forte, claire et convaincante que la faute de conduite a été commise - le fonctionnaire s’estimant lésé a informé l’arbitre de grief qu’il avait décidé de ne pas témoigner - l’arbitre de grief a statué qu’il était en droit d’en tirer certaines conclusions - une latitude raisonnable a été laissée au fonctionnaire s’estimant lésé, étant donné qu’il n’avait pas de représentant à l’audience - le fonctionnaire s’estimant lésé demandait souvent que ses propres témoins soient considérés comme hostiles - l’arbitre de grief a conclu qu’un témoin n’est pas hostile simplement parce qu’il ne donne pas la réponse qui était attendue - l’arbitre de grief a statué qu’il n’y avait aucune preuve que quiconque ait saboté ou essayé de saboter la nomination du fonctionnaire s’estimant lésé - l’arbitre de grief a également statué qu’il n’y avait aucune preuve de conspiration contre le fonctionnaire s’estimant lésé comportant la nomination d’une autre personne au poste qu’il voulait - l’arbitre de grief a aussi statué qu’il n’y avait aucune preuve de conspiration contre le fonctionnaire s’estimant lésé relativement à la fabrication de demandes de remboursement de frais de déplacement - en examinant les diverses demandes de remboursement, il a conclu que la plupart étaient fausses - l’arbitre de grief a conclu que la suspension sans traitement était une réaction appropriée aux circonstances - il a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait de fausses demandes de remboursement de frais de déplacement à un certain nombre d’occasions, représentant au total plus de 19 000 $, et qu’il s’était absenté du travail sans autorisation un certain nombre de fois - malgré des circonstances atténuantes comme le dossier professionnel positif du fonctionnaire s’estimant lésé, il y avait des facteurs aggravants, dont le plus important était que le fonctionnaire s’estimant lésé ne reconnaissait pas avoir commis une faute et n’avait pas de remords - en réalité, le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté de manière agressive des demandes raisonnables et tenu des propos incendiaires à l’égard d’allégations de conspiration non fondées, ce que l’arbitre de grief a considéré comme une circonstance aggravante - il ne s’agissait pas ici d’erreurs commises de bonne foi ou de sommes ayant été gonflées - la faute de conduite en cause était une faute préméditée, fréquente et très grave - une fraude prouvée exige le licenciement, sauf si un tel résultat est manifestement injuste ou déraisonnable dans les circonstances - il n’y avait aucun facteur atténuant dans ce cas-ci. Le grief est rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
Loi sur les relations de travail
L.R.C. (1985), ch. P–35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-05-29
  • Dossiers:  166-02-35293
    166-02-35294
  • Référence:  2006 CRTFP 64

Devant un arbitre de grief



ENTRE

NOËL AYANGMA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Santé)

employeur

Répertorié
Ayangma c. Conseil du Trésor du Canada (ministère de la Santé)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P–35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  John Steeves, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Douglas Hill, Noël Ayangma

Pour l'employeur :  Richard Fader, avocat


Affaire entendue à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard),
du 13 au 16 septembre 2005 et du 16 au 20 janvier 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

A.      Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]    La présente décision doit trancher la question de savoir si l'employeur avait des raisons valables de suspendre puis de congédier le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Noël Ayangma, pour l'usage frauduleux de demandes de remboursement de frais de voyage et pour des absences non autorisées de son travail.

[2]    L'employeur est le Conseil du Trésor (ministère de la Santé, gouvernement du Canada). Il déclare que le fonctionnaire s'estimant lésé a été suspendu puis congédié à juste titre parce qu'il avait présenté des demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage et s'était absenté de son travail sans permission. Il a soutenu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait réclamé le remboursement de dépenses de voyage sans se déplacer et ce, à vingt reprises. Ses déplacements et les relevés d'utilisation de son téléphone cellulaire ont été professionnellement vérifiés et déposés en preuve par l'intermédiaire du vérificateur. D'après l'employeur, le fonctionnaire s'estimant lésé réclamait globalement des frais de voyage pour des déplacements qu'il n'avait pas faits puisqu'il n'avait jamais quitté sa résidence de Charlottetown ou prétendait être à un endroit pour travailler alors qu'il était plutôt ailleurs pour des raisons personnelles.

[3]    Le fonctionnaire s'estimant lésé maintient quant à lui que plusieurs personnes trament depuis longtemps un complot contre lui à son travail et que ces gens ont fabriqué des demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage pour se débarrasser de lui. Le complot a commencé dès son embauche et s'est poursuivi jusqu'à la nomination d'une personne au poste qu'il occupait à titre intérimaire. Cette personne a été nommée dans le cadre d'un programme d'échange avec un organisme provincial; le fonctionnaire s'estimant lésé a ensuite relevé d'elle après avoir occupé le poste auquel elle venait d'être nommée. Selon lui, elle a été nommée pour l'empêcher de continuer d'occuper le poste en question. Il est d'avis que ces événements prouvent l'existence d'une conspiration contre lui qui a mené en bout de ligne à la fabrication de demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage pour qu'on puisse se débarrasser de lui.

[4]    Les questions en jeu sont essentiellement factuelles. La preuve est extrêmement détaillée : elle comprend vingt demandes de remboursement de frais de voyage, les formules et frais correspondants ainsi que des relevés de centaines d'appels téléphoniques faits avec un cellulaire. Les témoins de l'employeur ont produit la plus grande partie de la preuve. Pour sa part, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait comparaître des témoins pour étayer son allégation qu'il a été victime d'un complot et pour produire une preuve sur l'utilisation de son téléphone cellulaire. Il a décidé de ne pas témoigner lui-même.

[5]    Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l' « ancienne Loi »).

B.      RÉSUMÉ DE LA PREUVE

[6]    L'employeur, le ministère de la Santé, offre partout au Canada des services de santé notamment par l'intermédiaire de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits (DGSPNI); il a des bureaux dans différentes régions, mais c'est dans celle de l'Atlantique que les événements qui ont donné lieu au grief se sont déroulés. L'administration centrale de la DGSPNI dans la Région de l'Atlantique est à Halifax, en Nouvelle-Écosse; c'est à partir de là que ses fonctionnaires offrent les services voulus aux collectivités des Premières nations et Inuits de la Nouvelle-Écosse, de l'Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve-et-Labrador.

[7]    Le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Noël Ayangma, avait commencé à travailler pour l'employeur en janvier 1999; quand il a été licencié, en mai 2004, il avait été nommé pour une période indéterminée à un poste de coordonnateur régional des systèmes de santé. Ses fonctions consistaient notamment à concevoir un système d'information pour la DGSPNI ainsi qu'à aider les collectivités des Premières nations et Inuits à se servir de ce système. Comme il devait se déplacer fréquemment à cette fin, il avait une autorisation générale de voyager dans la région, ce qui signifiait qu'il n'était pas tenu de faire autoriser chacun de ses voyages.

[8]    M. Ayangma relevait du gestionnaire, Information et analyse en matière de santé et solutions de cybersanté de la DGSPNI pour la Région de l'Atlantique. Le bureau du gestionnaire est à Halifax, mais le fonctionnaire s'estimant lésé habitait lui-même à Charlottetown, dans l'Île-du-Prince-Édouard; il se déplaçait de là pour son travail.

[9]    Avant août 2003, le fonctionnaire s'estimant lésé avait été chargé pendant un certain temps des fonctions du gestionnaire, Information et analyse en matière de santé et solutions de cybersanté de la DGSPNI pour la Région de l'Atlantique, à titre intérimaire. Dans ce poste-là, il relevait de M. Peter MacGregor. Le 18 août 2003, par suite d'un accord d'échange conclu avec son employeur « d'attache », la Régie de la santé du Cap-Breton (un organisme du gouvernement de la Nouvelle-Écosse), Mme Agatha Hopkins a commencé à occuper ce poste de gestionnaire. L'accord d'échange a été déposé en preuve; il prévoyait une affectation temporaire d'une durée de vingt-quatre mois, du 18 août 2003 au 18 août 2005.

[10]    Mme Hopkins a témoigné qu'elle était notamment responsable, en qualité de gestionnaire du ministère de la Santé, de signer les demandes de remboursement de frais de voyage d'un certain nombre de ses subordonnés, dont le fonctionnaire s'estimant lésé, en vertu de l'article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C., 1985, ch. F-11. Elle a dit avoir commencé à s'occuper des demandes de remboursement de frais de voyage de l'intéressé vers la mi-septembre 2003, quand on lui en a remis quelques-unes à signer. Elle a signé certaines d'entre elles, mais a eu [traduction] « l'impression qu'il y avait des anomalies » dans certaines autres demandes des mois d'août et septembre 2003, de sorte qu'elle a demandé à son adjointe d'obtenir un complément d'information du fonctionnaire s'estimant lésé.

[11]    Selon Mme Hopkins, ce dernier aurait répondu qu'elle n'avait pas besoin des renseignements demandés et qu'elle tardait trop à approuver ses demandes de remboursement. Il a refusé de donner les renseignements requis. L'adjointe de Mme Hopkins a fait [traduction] « quelques rappels de suivi »; le fonctionnaire s'estimant lésé lui a dit de faire analyser ses demandes de remboursement par quelqu'un d'autre. Mme Hopkins a décrit dans son témoignage une conversation qu'elle avait eue avec son adjointe pendant qu'elle était [traduction] « sur la route », en lui enjoignant de ne pas envoyer les demandes de remboursement aux Finances pour les faire acquitter tant que les renseignements demandés n'auraient pas été obtenus.

[12]    Mme Hopkins a décidé de rencontrer la directrice des Ressources humaines, Mme Robin Kitson. Elles ont parlé des demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé; Mme Hopkins a demandé qu'on étudie aussi les autres demandes de remboursement de l'intéressé, pour voir s'il y avait une constante. Après cette rencontre avec Mme Kitson, Mme Hopkins a appris que d'autres demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé faisaient l'objet d'une vérification à l'administration centrale du ministère de la Santé, à Ottawa. On l'a informée que c'était par suite d'une vérification de routine des demandes de remboursement de frais de voyage par l'administration centrale; elle a témoigné qu'il semblait s'agir d'autres demandes de remboursement que celles qui l'inquiétaient.

[13]    Le 6 octobre 2003, Mmes Hopkins et Kitson ont rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé à Halifax pour lui parler de ses demandes de remboursement de frais de voyage. Mme Hopkins a témoigné que cette réunion n'avait pas été [traduction] « très longue » et que Mme Kitson et elle-même avaient passé en revue les demandes sur lesquelles elles avaient des réserves. Mme Hopkins a dit avoir informé le fonctionnaire s'estimant lésé des renseignements qu'il lui fallait pour traiter les demandes, en lui déclarant qu'elles ne seraient pas traitées tant que les renseignements requis n'auraient pas été reçus. Elle lui a aussi déclaré qu'elle avait réclamé un examen de ses demandes antérieures remontant jusqu'à janvier 1999, pour voir si une constante se dégagerait. En outre, elle a remis au fonctionnaire s'estimant lésé une lettre datée du 6 octobre 2003 exposant les préoccupations et les exigences de l'employeur. Dans cette lettre, l'intéressé était averti que son autorisation globale de voyager prenait fin immédiatement et que tous ses déplacements ultérieurs devraient être autorisés à l'avance par Mme Hopkins.

[14]    Mme Hopkins a témoigné que le fonctionnaire s'estimant lésé était calme pendant qu'elle parlait, mais qu'il s'est ensuite tourné vers Mme Kitson, en lui disant que Mme Hopkins n'avait pas le pouvoir d'agir de la sorte et qu'elle avait [traduction] « un autre plan en tête ». D'après elle, il parlait fort, d'un ton ferme. Elle lui a demandé s'il comprenait et s'il avait des questions. Il a répondu qu'il n'avait pas de questions à lui poser, en répétant que Mme Hopkins n'avait pas le pouvoir d'agir ainsi. D'après elle, il n'a admis aucun acte répréhensible.

[15]    On avait prévu d'autres rencontres avec le fonctionnaire s'estimant lésé, mais il devait retourner à Charlottetown, faute de pouvoir s'héberger à Halifax. Il ne s'est pas présenté au travail après la réunion; Mme Hopkins a appris qu'il était en congé de maladie. Il s'est fait demander de télécopier à l'employeur une note d'un médecin, ce qu'il a fait en envoyant une télécopie datée du 22 octobre 2003 dans laquelle il déclarait que c'était sa [traduction] « demande de congé de maladie en raison du stress lié à son travail ». Une copie d'une note d'un médecin datée du 21 octobre 2003 où l'on pouvait lire [traduction] « Examiné aujourd'hui. Ai recommandé six semaines de congé pour stress » était jointe à cette note télécopiée.

[16]    Le 21 novembre 2003, Mme Hopkins a écrit au fonctionnaire s'estimant lésé :

[Traduction]
La présente lettre fait suite à notre rencontre du 6 octobre 2003 au cours de laquelle vous avez été informé tant oralement que par écrit qu'un examen de vos demandes de remboursement de frais de voyage datées du 11 août, du 2 septembre et du 7 septembre 2003 serait effectué. Vous avez été aussi informé qu'un examen de vos demandes de remboursement de frais de voyage remontant à janvier 1999 serait mené pour nous assurer qu'elles ont été soumises conformément à la Directive sur les voyages du Conseil du Trésor.

L'examen a révélé plusieurs anomalies dans vos demandes de même que dans votre utilisation du téléphone cellulaire et des cartes de crédit du gouvernement, ainsi que dans vos dossiers de présence et de congés. J'ai donc demandé qu'on fasse une enquête plus approfondie, qui sera menée par le Bureau de la vérification et de la responsabilisation (BVR) d'Ottawa. Des représentants du BVR vont examiner tous les documents disponibles concernant :

  • vos demandes de remboursement de frais de voyage à partir de janvier 1999;
  • l'utilisation du téléphone cellulaire et de la carte d'appel du gouvernement qui vous ont été confiés;
  • l'utilisation de vos cartes de crédit du gouvernement;
  • vos dossiers de présences et de congés.

Dans le cadre de l'enquête, vous serez interrogé par les représentants du BVR et vous aurez la possibilité de leur donner des renseignements et des explications sur les points litigieux de la documentation examinée.

L'enquête est susceptible de mener à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'à votre licenciement de Santé Canada.

En raison de la nature des irrégularités constatées, j'ai décidé que votre accès au réseau électronique de Santé Canada ainsi qu'à un téléphone cellulaire et une carte de crédit du ministère est temporairement suspendu. Cette décision sera réévaluée lorsque vous nous ferez savoir que vous reprendrez le travail, à la fin de votre congé de maladie.

Les représentants du BVR communiqueront avec vous pour fixer une date d'entrevue. Si vous voulez, vous pouvez être accompagné d'un représentant de votre choix au cours des rencontres sur les questions à l'étude.

[17]    Le 2 décembre 2003, le fonctionnaire s'estimant lésé a envoyé à Mme Hopkins une lettre télécopiée déclarant que : [traduction] « Sous réserve d'une réévaluation de mon état de santé par mon médecin, je désire reprendre le travail aujourd'hui, le 2 décembre 2003 ». Mme Hopkins a témoigné avoir téléphoné au fonctionnaire s'estimant lésé le jour même pour lui parler de sa lettre, parce qu'elle savait que, s'il retournait au travail, la procédure exigeait qu'elle lui impose une suspension. Elle l'en a informé; il a déclaré qu'il allait voir son médecin pour obtenir une prolongation de son congé de maladie. Mme Hopkins a pris des notes sur cette conversation au sujet de la lettre du 2 décembre 2003 du fonctionnaire s'estimant lésé :

[Traduction]

Non - N'a pas de note du médecin autorisant le prolongement de son congé de maladie.

Oui, il est assez bien pour reprendre son travail.

Oui, son médecin et lui-même sont convaincus qu'il est assez bien et qu'il peut continuer [illisible] congé de maladie [illisible].

Noël a alors dit qu'il allait voir son médecin aujourd'hui et obtenir une prolongation de son congé de maladie.

Je l'ai informé que le BVR allait communiquer avec lui pour [illisible] examen.

J'ai informé Noël que s'il retourne au travail, je vais devoir lui remettre une lettre de suspension sans traitement en attendant les résultats de l'enquête.

Noël m'a informée que son médecin s'occupe de ses formulaires de demande d'assurance-invalidité.

[18]    Dans une lettre datée du 3 décembre 2003, Mme Sarah Archer, directrice régionale de la DGSPNI pour la Région de l'Atlantique, a informé le fonctionnaire s'estimant lésé qu'il était suspendu sans traitement en attendant le résultat de l'enquête confiée au Bureau de la vérification et de la responsabilisation (BVR) d'Ottawa. Dans cette lettre, elle précisait que l'enquête avait pour objet d'analyser les anomalies décelées dans ses demandes de remboursement de frais de voyage et lui déclarait aussi qu'il [traduction] « [pourrait] souhaiter être accompagné d'un représentant syndical » au cours des rencontres « sur les questions à l'étude ».

[19]    Les représentants du BVR ont rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé pendant deux jours en janvier 2004. Mmes Archer et Kitson ont alors pris connaissance d'un rapport du BVR daté du 28 avril 2004 et intitulé [traduction] « Rapport de l'enquête sur les demandes de remboursement de frais de voyage et la disponibilité pour travailler d'un fonctionnaire de la Région de l'Atlantique de Santé Canada ». (Comme nous allons le voir, il existe plus d'une version de ce document). La [traduction] « Conclusion globale » du rapport comprenait des déclarations que les réserves quant aux demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé étaient fondées, qu'il avait facturé à Santé Canada des frais de voyage qu'il n'avait pas engagés (pour un total de 28 978,07 $ en soixante-quinze demandes), qu'il n'avait pas toujours été disponible pour travailler et qu'il n'avait pas déclaré ses absences, et enfin qu'il s'était servi de son ordinateur et de son téléphone cellulaire pour des fins personnelles.

[20]    Le 28 avril 2004, Robin Kitson, la directrice régionale des Ressources humaines de l'employeur, a écrit au fonctionnaire s'estimant lésé pour lui faire parvenir une copie du rapport du BVR daté du 28 avril 2004 et pour l'informer de ce qui suit :

[Traduction]

Une réunion aura lieu le lundi 3 mai 2004 à 13 h dans la salle de conférence 102 du MAC, au 97 rue Queen, à Charlottetown, dans l'Île-du-Prince-Édouard, pour discuter de ces constatations et pour vous donner la possibilité de faire des commentaires sur les faits avancés dans le rapport. Seront présentes à cette réunion Sarah Archer, directrice régionale par intérim de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, et Robin Kitson, directrice régionale des Ressources humaines pour la Région de l'Atlantique.

Si vous voulez, vous pourrez être accompagné d'un représentant syndical à cette réunion.

Veuillez vous présenter avec votre photo d'identité; vous en aurez besoin pour entrer dans cet immeuble du gouvernement.

[21]    La date de la réunion a été reportée au 7 mai 2004 dans une lettre datée du 5 mai 2004.

[22]    Mme Kitson a témoigné que la réunion avait été convoquée pour qu'on puisse discuter du rapport du BVR et obtenir du fonctionnaire s'estimant lésé des explications susceptibles d'en réfuter les conclusions. Les personnes présentes à la réunion étaient Mme Archer, le fonctionnaire s'estimant lésé, Mme Kitson et Mme Jacqueline Edwards, présidente du Conseil national des minorités visibles. Mme Edwards accompagnait le fonctionnaire s'estimant lésé; à un moment donné, au cours de la réunion, elle a déclaré qu'elle était sa conseillère et elle a posé des questions en son nom. Le contenu de la réunion a été enregistré par sténographie judiciaire, à la demande du fonctionnaire s'estimant lésé; la transcription a été déposée en preuve, tout comme les notes sur la réunion que Mme Kitson avait rédigées le lendemain.

[23]    À cette réunion du 7 mai 2004, le fonctionnaire s'estimant lésé s'est fait remettre une lettre de Mme Archer datée du même jour dans laquelle celle-ci précisait que le rapport du BVR portait sur [traduction] « des anomalies dans [ses] demandes de remboursement de frais de voyage et [sur sa] disponibilité pour travailler », le rapport étant qualifié de [traduction] « Rapport final reçu par vous le 29 avril 2004 ». Dans cette lettre, Mme Archer déclarait aussi ce qui suit :

[Traduction]

Je souscris aux conclusions du rapport; elles m'ont amenée à conclure que vous :

  • avez soumis des demandes de remboursement de frais de voyage pour lesquelles on vous a payé des sommes auxquelles vous n'aviez pas droit; les remboursements réclamés étaient excessifs et représentaient une forte somme d'argent;
  • n'avez pas déclaré à la direction de Santé Canada certaines de vos absences, de sorte qu'on n'a pas pu faire les inscriptions voulues dans le système de MICP de Santé Canada servant à contrôler les congés pris par les employés.

Je vous ai remis une copie du Rapport en vous demandant de répondre aux allégations et aux conclusions qu'il renferme.

J'ai soigneusement analysé votre réponse et la preuve relative à ces questions; j'ai conclu que votre conduite est totalement incompatible avec toute la confiance, l'honnêteté et l'intégrité requises dans l'exercice de vos fonctions de coordonnateur régional du système d'information sur la santé. Vous avez donc irréparablement rompu la relation de confiance indispensable à la poursuite de votre emploi comme fonctionnaire. Vous avez eu une conduite totalement incompatible avec vos tâches et vos responsabilités de fonctionnaire, et je n'arrive pas à trouver de circonstances atténuantes qui justifieraient une décision de ne pas vous licencier pour raison valable.

Bref, en raison de la gravité de votre inconduite et des renseignements dont je dispose actuellement, j'ai décidé de vous licencier pour raison valable, conformément aux pouvoirs qui me sont délégués par l'administrateur général en vertu de l'alinéa 11(2)f) de laLoi sur la gestion des finances publiques. Votre licenciement prendra effet à la fermeture des bureaux le 7 mai 2004.

Vous avez le droit de présenter un grief pour contester cette décision dans les 25 jours de la réception de la présente lettre.

La direction de Santé Canada analyse actuellement les faits pour déterminer si tout ou partie des deniers publics indûment dépensés - et dont vous êtes responsable - peuvent être recouvrés. Une décision à cet égard sera prise ultérieurement.

[24]    Mme Archer a résumé cette lettre au fonctionnaire s'estimant lésé lors de la réunion du 7 mai 2004. La transcription de la réunion révèle que le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

J'ai lu ceci et je peux vous dire que votre décision est inacceptable. Elle est faussée. Le processus est faussé.

Le Ministère a toujours voulu me congédier dès le premier jour. Quand je m'y suis joint, le directeur régional qui était là avant Robin Kitson a maintes fois tenté de (faire révoquer?) ma nomination dès le premier jour. Des témoins viendront le confirmer.

Ce n'est pas la première fois que cela se produit, mais la personne qui est devant moi est partiale elle aussi. Ce rapport est partial.[Reproduit tel quel].

[…]

[25]    À la fin de la transcription, on peut lire la déclaration suivante de Mme Kitson :

[Traduction]

Ce commentaire s'ajoute à notre - la fin de la réunion avec Noël Ayangma. Une fois l'enregistreuse débranchée, Noël a fait des commentaires, des commentaires menaçants à mon endroit, en me regardant directement dans les yeux, Robin Kitson, et en disant : [traduction] « Ce n'est pas la fin de cette affaire pour vous. J'ai des plans pour vous, et vous me reverrez ».

Tant dans son témoignage que dans les notes qu'elle a prises sur la réunion, Mme Kitson s'est dite [traduction] « visiblement perturbée »; elle se sentait menacée par les propos du fonctionnaire s'estimant lésé. Mme Archer a témoigné que l'intéressé était [traduction] « extrêmement fâché », mais qu'il n'avait rien rejeté de ce qu'elles lui disaient.

[26]    M. Ayangma conteste maintenant les décisions de l'employeur de le suspendre, puis de le licencier.

C.      QUESTIONS SOULEVÉES PENDANT L'AUDIENCE

[27]    L'audience sur les griefs contestant la suspension et le licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé s'est déroulée sur une période de plusieurs jours; elle a été chaudement contestée. De temps en temps, j'ai dû presser les deux parties de produire leur preuve. En outre, plusieurs questions ont été soulevées pendant l'audience. J'en expose certaines ici.

a)      Représentation

[28]    Au début de l'audience, le fonctionnaire s'estimant lésé était représenté par un membre du personnel de l'agent négociateur, mais il a joué un rôle actif, notamment en contre-interrogeant certains témoins. Les jours d'audience de janvier 2006, il s'est représenté lui-même sans être assisté d'un représentant de l'agent négociateur, quoiqu'une collègue ait été présente certains jours et qu'elle ait pris des notes. On ne m'a donné aucune explication de ce changement de représentation.

b)      Admissibilité d'éléments de preuve relatifs à des déclarations de revenu

[29]    Au début de l'audience, la question des déclarations de revenu de Mme Hopkins a été soulevée parce que le fonctionnaire s'estimant lésé l'avait fait assigner à comparaître par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), qui lui aurait enjoint de se présenter à l'audience avec ses déclarations de revenu. L'employeur a demandé que cette assignation soit annulée. Après discussion, je l'ai effectivement annulée, avec le consentement des parties, étant entendu que l'employeur s'engageait à faire comparaître Mme Hopkins.

[30]    Le 15 septembre 2005, Mme Agatha Hopkins a été contre-interrogée par le fonctionnaire s'estimant lésé. Elle était son superviseur immédiat et avait obtenu son poste dans le cadre d'un accord d'échange avec la Régie régionale de la santé du Cap-Breton.

[31]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a essayé de poser à Mme Hopkins une question sur ses déclarations de revenu. L'employeur s'est opposé à cette question en disant qu'elle n'était pas pertinente et portait atteinte à la vie privée de la témoin. J'ai accueilli l'objection de l'employeur, en concluant que la pertinence des déclarations de revenu de Mme Hopkins n'avait pas été établie. Dans les discussions qui ont suivi ma décision à cet égard, il s'est avéré que le fonctionnaire s'estimant lésé avait pour objectif d'obtenir des éléments de preuve sur le traitement de Mme Hopkins pour étayer son allégation de complot (voir plus loin). Au début, l'employeur s'est opposé à l'admissibilité de ces renseignements, mais son avocat a fini par préciser le traitement de Mme Hopkins comme élément de preuve. Ce traitement est d'ailleurs précisé dans diverses pièces dont l'accord d'échange lui-même.

[32]    Le fonctionnaire s'estimant lésé m'a aussi pressé d'admettre en preuve les renseignements relatifs à l'impôt sur le revenu payé par Mme Hopkins parce que c'était pertinent selon lui pour deux autres questions le concernant, à savoir un autre grief (dont je ne suis pas saisi) et une plainte de droits de la personne. D'après le fonctionnaire s'estimant lésé, qui n'a pas produit de preuve à cet égard, j'aurais pu trancher ces questions parce que la Commission des droits de la personne aurait déclaré que la plainte dont elle était saisie pouvait être tranchée dans le cadre d'une autre procédure. J'ai décidé que ce n'était pas le cas, et que la preuve liée exclusivement aux questions en jeu dans le grief et dans la plainte de droits de la personne ne serait pas admissible. Plus précisément, les éléments relatifs à l'allégation de complot contre le fonctionnaire s'estimant lésé qui faisaient à juste titre partie intégrante de ces autres procédures ne seraient pas admissibles devant moi. J'ai toutefois reconnu qu'il pourrait y avoir du chevauchement entre les éléments de preuve produits dans ces divers contextes et que j'allais admettre certains éléments, notamment en ce qui concernait l'allégation de complot, dans la mesure où ils seraient pertinents pour trancher la question de la suspension et du licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé. Comme nous le verrons plus loin, celui-ci a longuement interrogé plusieurs témoins au sujet d'un complot.

c)      Allégation de parti pris avancée par le fonctionnaire s'estimant lésé

[33]    Une autre question a été soulevée pendant le témoignage de Mme Hopkins.

[34]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a tenté d'interroger Mme Hopkins en lui présentant une copie de l'accord d'échange conclu entre elle, Santé Canada et la Régie de la santé du Cap-Breton. L'employeur s'est vivement opposé à ce que ce document soit présenté à Mme Hopkins parce que son avocat ne l'avait jamais vu jusque-là et que le document ne semblait pas avoir été communiqué au fonctionnaire s'estimant lésé par suite d'une demande d'accès à l'information. Il y a eu plus d'un échange entre l'avocat de l'employeur et le fonctionnaire s'estimant lésé à cet égard, le fonctionnaire s'estimant lésé répétant qu'il avait obtenu le document légalement. L'avocat de l'employeur a continué à maintenir qu'il ne connaissait pas le document et à demander comment le fonctionnaire s'estimant lésé se l'était procuré. J'ai conclu qu'il fallait parler franchement et j'ai demandé à l'avocat de l'employeur s'il croyait que le document avait été volé. Il a immédiatement répliqué qu'il ne le croyait pas. À la fin, le document a été admis en preuve, et j'ai dit à l'avocat de l'employeur que, s'il avait des réserves à ce sujet, il devrait se renseigner de son côté.

[35]    Le lendemain, le fonctionnaire s'estimant lésé m'a demandé de me récuser en disant que j'étais partial et que je [traduction] « faisais preuve de manque d'équité ». Il a déclaré que les remarques de l'avocat de l'employeur étaient [traduction] « extrêmement insultantes » pour lui, parce qu'il s'était procuré le document légalement et que l'avocat avait [traduction] « soulevé de grands doutes sur la question de savoir s'il se l'était procuré en présentant une demande d'accès à l'information ». L'employeur [traduction] « avait clairement laissé entendre que [le fonctionnaire s'estimant lésé] avait en sa possession une propriété volée ». Il a exigé des excuses complètes. En outre, il a déclaré que, en ma qualité d'arbitre de grief, je [traduction] « prenais déjà parti pour » l'employeur et [traduction] « n'accordais pas la même crédibilité au fonctionnaire s'estimant lésé ». Cette allégation était fondée sur mes commentaires à l'avocat de l'employeur. Le fonctionnaire s'estimant lésé a donc déclaré que je devais décider si j'étais objectif et que, si je l'étais, l'audience pourrait se poursuivre. En réplique, l'employeur a déclaré qu'il n'y avait aucune partialité en l'espèce et il a notamment refusé de présenter des excuses pour ses remarques.

[36]    J'ai analysé la demande du fonctionnaire s'estimant lésé, puis informé les parties que je la rejetais. J'ai expliqué que la question en jeu dans mon esprit n'était pas la bonne foi du fonctionnaire s'estimant lésé, mais que je tentais plutôt de préciser la position de l'employeur quant au document contesté. J'ai conclu qu'il n'y avait eu ni partialité, ni apparence raisonnable de partialité dans les circonstances.

d)      Enregistrement de l'audience

[37]    Entre les journées d'audience de septembre 2005 et celles de janvier 2006, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé que l'audience soit enregistrée. Cette demande a été tranchée dans une lettre de la Commission datée du 10 janvier 2006 :

[Traduction]

Dans son courriel du 20 décembre 2005, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à la Commission d'enregistrer le reste de l'audience. Dans sa lettre du 3 janvier 2006, l'employeur a déclaré qu'il ne s'oppose pas à cette demande du fonctionnaire s'estimant lésé, mais pose des conditions.

Les parties devraient savoir que la pratique de la Commission qui est établie depuis longtemps ne permet pas l'enregistrement de ses audiences. Il y a eu de très rares exceptions à ce principe, la plus récente dans une affaire qui exigera de nombreuses journées d'audience réparties sur plusieurs mois. Dans cette affaire exceptionnelle, l'arbitre de grief a autorisé des services de sténographie judiciaire, sans frais pour la Commission, entre autres conditions. La demande d'enregistrement de l'audience avait été présentée au tout début.

En l'espèce, la demande d'enregistrement a été présentée au beau milieu de l'audience; si elle était accueillie, une partie seulement de l'audience serait enregistrée, et il s'agirait essentiellement de la preuve du fonctionnaire s'estimant lésé, puisque l'employeur a presque fini de présenter la sienne. Néanmoins, le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté la demande d'enregistrement et l'employeur ne s'y est pas opposé.

L'arbitre de grief saisi de l'affaire m'a informé que, dans ces circonstances, il va autoriser l'enregistrement de l'audience aux conditions suivantes :

  1. l'enregistrement sera fait par un sténographe judiciaire professionnel approuvé par la Commission;
  2. toutes les transcriptions de l'audience seront mises à la disposition de toutes les parties et de l'arbitre;
  3. les transcriptions ne seront pas utilisées dans la partie des témoignages de l'audience;
  4. tous les coûts de l'enregistrement seront à la charge des parties.

[38]    En fin de compte, l'audience n'a pas été enregistrée.

e)      Demande de rejet de la thèse de l'employeur présentée par le fonctionnaire s'estimant lésé

[39]    Après les journées d'audience de septembre 2005, mais avant que celles de janvier 2006 ne commencent, le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté une autre demande exigeant celle-là le rejet de la thèse de l'employeur. Il a déposé un long avis de motion pour la détermination de questions de droits combiné avec une demande d'ordonnance accueillant les griefs et/ou d'ordonnance de suspension et de production de documents en la possession et sous le contrôle de l'employeur daté du 11 octobre 2005, incluant un long affidavit daté du même jour. Au début, la demande du fonctionnaire s'estimant lésé était formulée comme une demande de déclaration de non-lieu ou de déclaration que la preuve était insuffisante, mais il a déclaré par la suite que ce n'était pas l'objet de sa demande.

[40]    Après avoir reçu des observations sur la demande du fonctionnaire s'estimant lésé, la Commission a écrit aux parties le 16 décembre 2005 :

[Traduction]

Le fonctionnaire s'estimant lésé confirme qu'il ne présente pas pour le moment une motion de non-lieu ni une motion visant l'obtention d'une déclaration que la preuve est insuffisante. On m'a demandé d'informer les parties que les observations reçues jusqu'à présent seront considérées comme faisant partie des délibérations finales de la Commission. Les parties voudront peut-être présenter d'autres observations dans leur plaidoirie finale sur l'admissibilité de la preuve avancée dans l'affidavit et sur l'importance qu'il faudrait y accorder.

L'employeur n'a pas fini de déposer sa preuve; l'audience prévue pour la période du 16 au 20 janvier 2006 aura lieu. Quand l'employeur aura fini de présenter sa preuve, l'agent négociateur pourra présenter une autre preuve ou déposer d'autres motions. Les derniers arguments des parties seront présentés après le dépôt de la preuve, comme d'habitude. La décision sera rendue après le 26 janvier 2006.

f)      Admissibilité de l'affidavit

[41]    Dans le cadre de sa demande décrite en e), la « demande de rejet de la thèse de l'employeur présentée par le fonctionnaire s'estimant lésé », l'intéressé a déposé un long affidavit assorti de soixante-quinze pièces daté du 6 octobre 2005. Dans sa lettre datée du 16 décembre 2005, la Commission informait les parties qu'elles [traduction] « [voudraient peut-être] présenter des observations dans leurs derniers arguments sur l'admissibilité de la preuve avancée dans l'affidavit et sur l'importance qu'il faudrait y accorder ». Dans ses derniers arguments, le fonctionnaire s'estimant lésé m'a pressé d'admettre l'affidavit en preuve, alors que l'employeur m'a prié de ne pas l'accepter.

[42]    J'ai conclu que l'affidavit ne devait pas être admis en preuve. C'est un document produit au beau milieu de l'audience pour me convaincre du bien-fondé de la thèse du fonctionnaire s'estimant lésé. Son intention manifeste consiste à me saisir d'une preuve sans que le fonctionnaire s'estimant lésé ne puisse être contre-interrogé à cet égard. La meilleure preuve serait un témoignage direct du fonctionnaire s'estimant lésé; la preuve présentée dans un affidavit ne saurait y être substituée. Toute la preuve de l'employeur a été présentée par des témoins, et par des témoins qui ont été contre-interrogés. Il ne serait donc ni correct, ni juste que je permette au fonctionnaire s'estimant lésé de produire sa version des événements dans un affidavit plutôt qu'en témoignant. Pour les mêmes raisons, il ne serait pas juste d'admettre l'affidavit en preuve et de déterminer ensuite l'importance qu'il conviendrait d'y accorder.

g)      Déni de représentation syndicale

[43]    Dans sa motion datée du 11 octobre 2005, le fonctionnaire s'estimant lésé a soulevé la question d'un déni de représentation syndicale en alléguant qu'il n'avait pas eu la possibilité d'être assisté d'un représentant syndical, et que la sanction disciplinaire qui lui a été imposée devait s'en trouver annulée. L'employeur s'est opposé à ce que je me prononce sur cette question parce qu'elle n'avait pas été soulevée dans le contexte du grief initial, ni dans les premières journées d'audience en septembre 2005. La Commission a informé les parties de sa décision à ce sujet dans une lettre datée du 23 décembre 2005 :

[Traduction]

En ce qui concerne l'allégation du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il aurait été privé de représentation syndicale, la Commission réserve sa décision. L'employeur peut rappeler des témoins, et toute la preuve sur cette question sera tranchée dans la décision finale de l'arbitre.

[44]    Le fait que la question a été soulevée pour la première fois dans les observations écrites du fonctionnaire s'estimant lésé datées du 11 octobre 2005 n'est pas contesté. L'employeur fait valoir qu'elle n'a pas fait l'objet d'un grief et n'a pas non plus été traitée dans la procédure de règlement des griefs, de sorte qu'on ne peut l'instruire maintenant. Il cite de la jurisprudence à l'appui de sa position : Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.F.), au paragraphe 5; et Schofield c. Canada (Procureur général), 2004 C.F. 622, au paragraphe 10. Le principe général qui sous-tend ces jugements est que, en vertu de l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C., 1985, ch. P-35, le pouvoir d'un arbitre de grief se limite à l'instruction d'un grief déjà entendu dans la procédure interne de règlement des griefs. Les deux affaires citées ont été tranchées sous le régime de cette ancienne loi, mais l'employeur affirme que les principes fondamentaux restent applicables.

[45]    Le fonctionnaire s'estimant lésé se fonde plutôt sur Shneidman c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 133, une affaire dans laquelle l'arbitre de grief a permis à la fonctionnaire s'estimant lésée de soulever une question de représentation syndicale même si cette question n'a été mentionnée qu'à l'audience devant la Commission. L'arbitre de grief a maintenu que le grief était libellé de façon assez générale pour englober tout argument contestant la validité du licenciement, y compris une allégation que celui-ci était nul et non avenu en raison d'une violation de la procédure contractuelle (comme la représentation syndicale).

[46]    Au moment de l'audience, on attendait que la Cour se prononce sur la demande de contrôle judiciaire de Shneidman. C'est après la fin de l'audience, le 24 mars 2006, que la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire et annulé la décision de la Commission (Shneidman c. Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada) 2006 C.F. 381). Les parties se sont alors fait offrir la possibilité de présenter des observations sur le jugement de la Cour, et l'employeur a demandé qu'il soit porté à mon attention. Le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé de longues observations en s'opposant à la demande de l'employeur; il a fait valoir que les faits dans Shneidman étaient différents de ceux en l'espèce, en maintenant aussi que je tranchais sa plainte sur les droits de la personne. Je n'arrive pas à trouver des différences factuelles ou circonstancielles pouvant influer sur la question de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé peut poursuivre sa plainte de déni de représentation syndicale à ce stade. En ce qui concerne la plainte sur les droits de la personne, il s'agit d'une nouvelle question sur laquelle je n'ai aucun élément de preuve, si ce n'est qu'une plainte a été déposée.

[47]    Il est désormais bien établi qu'un arbitre de grief nommé sous le régime de l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n'a pas compétence pour entendre une plainte qui n'est pas mentionnée dans un grief, comme on peut le lire dans Shneidman, auparagraphe 19. Ce principe s'applique aussi dans le cas d'un arbitre de grief nommé sous le régime de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, de sorte que je ne suis pas autorisé à connaître la plainte du fonctionnaire s'estimant lésé alléguant un déni de représentation syndicale, parce que cette plainte ne figurait pas dans son grief original.

[48]    Je conclus en outre que cette demande du fonctionnaire s'estimant lésé serait rejetée de toute façon.

[49]    En effet, l'article pertinent de la convention collective se lit comme suit :

17.02  Lorsqu'un employé-e est tenu d'assister à une audition disciplinaire le concernant ou à une réunion à laquelle doit être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire le touchant, l'employé-e a le droit, sur demande, d'être accompagné d'un représentant de l'Alliance à cette réunion. Dans la mesure du possible, l'employé-e reçoit au minimum une (1) journée de préavis de cette réunion.

[50]    Sur cette question, la preuve commence avec la réunion du 6 octobre 2003 entre Mme Kitson, Mme Hopkins et le fonctionnaire s'estimant lésé. Avant cette réunion, Mme Hopkins avait identifié ce qu'elle considérait comme des problèmes dans certaines demandes de remboursement de frais de voyage et appris qu'on avait d'autres réserves à cet égard à Ottawa. Elle a témoigné que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas obtempéré à sa demande de lui fournir plus d'information; elle a dit avoir rencontré Mme Kitson à ce sujet. Ensuite, elles avaient rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé ensemble, le 6 octobre 2003, pour l'informer de l'examen de ses demandes de remboursement de frais de voyage et pour lui décrire l'information dont elles avaient besoin. Selon Mme Kitson, cette réunion n'avait pas été longue. À cette occasion, le fonctionnaire s'estimant lésé s'était fait remettre une lettre datée elle aussi du 6 octobre 2003 confirmant ce qui s'était dit à la réunion et l'informant que son autorisation globale de voyager lui était immédiatement retirée, et que toutes ses futures demandes de voyage allaient devoir être autorisées à l'avance. Il était aussi précisé ce qui suit dans la lettre :

[Traduction]

Quand l'examen sera terminé, vous aurez la possibilité de présenter votre point de vue. On organisera une réunion à cette fin sous peu, et vous pourrez y être accompagné d'un représentant syndical, si vous le désirez.

[51]    Le fonctionnaire s'estimant lésé soutient qu'on lui a refusé d'être représenté par son syndicat à la réunion du 6 octobre 2003. Plus précisément, il déclare qu'il s'agissait d'une réunion disciplinaire et que le retrait de son autorisation globale de voyager était une décision disciplinaire de l'employeur.

[52]    Je ne suis pas de cet avis.

[53]    Selon moi, la preuve qui m'a été soumise démontre que la raison d'être de la réunion consistait à informer le fonctionnaire s'estimant lésé des renseignements dont l'employeur avait besoin sur les demandes de remboursement de frais de voyage en question. Il s'agissait donc d'une réunion d'enquête et non d'une séance disciplinaire devant aboutir à une décision elle aussi disciplinaire à l'endroit du fonctionnaire s'estimant lésé, pour paraphraser l'article 17.02 de la convention collective. Il est vrai que le processus amorcé avec la réunion du 6 octobre a fini par aboutir à l'imposition d'une sanction disciplinaire à l'intéressé, mais cela ne signifie pas que le processus était disciplinaire d'emblée. Il est bien établi que le droit d'être représenté ne s'étend pas au processus d'enquête, et ce principe est compatible avec le libellé de l'article 17.02. En juger autrement reviendrait à conclure qu'un fonctionnaire a le droit d'être représenté avant qu'on n'ait jugé qu'il s'est rendu coupable d'inconduite. Le fonctionnaire a l'obligation de coopérer avec l'employeur dans le cadre d'une enquête de bonne foi, et la loi ne lui accorde aucune protection s'il décide de garder le silence pendant l'enquête, contrairement à ce qui se passe en droit pénal (Naidu c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 124, aux paragraphes 71 à 79).

[54]    De même, le fait d'informer le fonctionnaire s'estimant lésé qu'on examinait ses demandes de remboursement de frais de voyage n'était pas disciplinaire non plus. Je ne peux pas plus conclure que la décision de révoquer son autorisation globale de voyager était disciplinaire. Cette autorisation de voyager était une responsabilité déléguée pouvant être révoquée par prudence, comme en l'espèce.

[55]    Bien que la question n'ait pas été expressément soulevée, je conclus aussi qu'on n'a pas refusé au fonctionnaire s'estimant lésé la possibilité d'être représenté par son syndicat (au sens de l'article 17.02) dans quelque autre réunion ultérieure que ce soit. Le fonctionnaire s'estimant lésé s'est fait offrir la possibilité d'être accompagné d'un représentant syndical, la correspondance relative à ces réunions le prouve. À l'une d'entre elles, celle du 7 mai 2004, il s'est présenté avec une représentante qui a participé à la réunion. Les réunions avec M. Cuthbert en janvier 2004 pour étudier les demandes de remboursement de frais de voyage contestées s'inscrivaient dans une démarche d'enquête et, de toute manière, la lettre de l'employeur datée du 21 novembre 2003 informait le fonctionnaire s'estimant lésé qu'il pouvait s'y présenter avec un représentant.

[56]    Je rejette la demande du fonctionnaire s'estimant lésé alléguant un déni de représentation syndicale.

h)      Communication de documents

[57]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté tant avant que pendant l'audience des demandes de communication de documents par l'employeur. Il a aussi obtenu un certain nombre de documents dans le contexte de plus d'une demande invoquant la Loi sur l'accès à l'information. L'employeur a fourni au fonctionnaire s'estimant lésé de nombreux documents qu'il avait réclamés, et l'intéressé a réussi à se procurer beaucoup d'autres documents par ses propres moyens.

[58]    À un moment donné, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé qu'on lui fournisse tous les courriels envoyés et reçus par un certain nombre de fonctionnaires entre 2001 et 2003. J'ai rejeté cette demande formulée de façon générale, et les parties ont fini par s'entendre sur la communication d'un nombre limité de tels documents. On s'est alors rendu compte que la demande que le fonctionnaire s'estimant lésé avait présentée pour qu'on lui communique des documents en vertu de la Loi sur l'accès à l'information était incomplète. Au début, je me suis fait dire qu'on lui avait communiqué plus de 9 000 pages de documents et qu'il restait encore quelque 480 pages à examiner avant qu'on ne prenne la décision de les lui communiquer ou pas. Ensuite, on m'a informé que c'était l'inverse : on était en train d'étudier plus de 9 000 pages pour décider s'il fallait les communiquer. L'avocat de l'employeur a convenu avec moi que la communication de documents en vertu d'une procédure sous le régime de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est bien différente d'une communication en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, et que je ne suis pas lié par cette loi.

[59]    J'ai informé les parties que les circonstances m'amenaient à conclure que l'audience allait devoir être suspendue pour que le fonctionnaire s'estimant lésé puisse obtenir tous les documents dont il réclamait la communication. Le fonctionnaire s'estimant lésé a alors déclaré qu'il avait assez d'information pour aller de l'avant et qu'il voulait poursuivre l'audience. Il a donc retiré sa demande de communication des documents en question.

D.      TÉMOIGNAGES ET PREUVE

[60]    La lettre de licenciement du 7 mai 2004 qualifie la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé de [traduction] « totalement incompatible avec toute la confiance, l'honnêteté et l'intégrité » exigées d'un fonctionnaire. Je suis d'accord avec le fonctionnaire s'estimant lésé lorsqu'il fait valoir que l'allégation de l'employeur qui l'accuse d'inconduite grave exige une autre approche d'interprétation de la preuve que la simple application du principe de la prépondérance des probabilités. Lorsqu'on accuse quelqu'un d'inconduite grave, particulièrement si son emploi et sa réputation sont en jeu, l'employeur doit démontrer par une preuve claire, convaincante et logique que l'inconduite a bel et bien eu lieu : [traduction] « Même si la norme n'est pas celle des affaires criminelles où l'on exige des preuves hors de tout doute raisonnable, il faut davantage qu'une simple prépondérance de la preuve » (Gale c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2001 CRTFP 85, paragraphes 129 à 131, citant Samra (dossier de la CRTFP 166-02-26543, 1996), à la page 24).

[61]    L'employeur terminait son exposé quand le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il ne témoignerait pas. Il a expliqué qu'il avait fallu un temps fou pour faire entendre son grief et qu'il voulait éviter tout autre retard, en faisant aussi valoir que l'audience l'avait fatigué et qu'il ne se sentait pas bien. Cela dit, il n'a pas avancé d'éléments de preuve médicaux ou autres et ne s'est pas non plus fondé sur de telles indications pour étayer sa position. Je lui ai recommandé de demander conseil à ce sujet. Quand l'employeur a terminé sa plaidoirie, le fonctionnaire s'estimant lésé n'en a pas moins déclaré qu'il avait décidé de ne pas témoigner.

[62]    Dans ce contexte, le principe suivant s'applique :

[Traduction]

Les arbitres de différends ont généralement pris le même point de vue que les tribunaux appelés à trancher des affaires de droit civil quant aux conclusions à tirer du fait qu'une personne n'est pas appelée à témoigner quand elle aurait pu l'être et qu'elle aurait alors rendu témoignage sur ce qu'elle sait. Il s'ensuit que lorsqu'une partie peut faire la lumière sur une affaire par son témoignage et qu'elle ne le fait pas, l'arbitre de différends a le droit d'en déduire que ce témoignage n'aurait pas été favorable à sa position. De même, ne pas faire comparaître un témoin qui pourrait rendre un témoignage important peut mener à la même conclusion et faire accepter la preuve non contredite de l'autre partie. Qui plus est, lorsque le témoignage de quelqu'un n'est réfuté que par une preuve de ouï-dire alors qu'il aurait pu l'être directement par un témoignage, l'arbitre de différends peut accepter la preuve directe même si elle n'est pas entièrement satisfaisante.

Donald Brown et David Beatty, Labour Arbitration in Canada (Canada Law Book, août 2005), paragraphe 3:5120.

[63]    Dans cette affaire-ci, il faut tenir compte d'un autre aspect de la preuve, à savoir les témoignages rendus dans l'interrogatoire principal des témoins du fonctionnaire s'estimant lésé et dans le contre-interrogatoire des témoins de l'employeur.

[64]    En ce qui concerne l'interrogatoire de ses témoins par le fonctionnaire s'estimant lésé, il faut reconnaître qu'en les interrogeant, le fonctionnaire s'estimant lésé leur a souvent posé des questions suggestives sur des aspects critiques, en leur présentant des situations hypothétiques et divers documents. Il a bénéficié d'une marge de manouvre raisonnable puisqu'il se représentait lui-même (voir Kelly v. Nova Scotia Police Commission, 2006 NSCA 27). Par exemple, l'employeur a consenti au dépôt d'un certain nombre de pièces qui n'auraient pas été admissibles, strictement parlant, parce que les témoins ne les avaient pas vues. Toutefois, lorsque des objections à la façon du fonctionnaire s'estimant lésé d'interroger ses propres témoins ont été soulevées, il a souvent proposé qu'on déclare le témoin hostile. Je lui ai souligné plus d'une fois qu'un témoin n'est pas considéré comme hostile au sens juridique du terme simplement parce qu'il ne donne pas la réponse attendue (en l'espèce par le fonctionnaire s'estimant lésé). En bout de ligne, aucun des témoins n'a été déclaré hostile. Qui plus est, le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi bénéficié d'une grande marge de manouvre pour contre-interroger les témoins de l'employeur.

E.      ALLÉGATION DE CONSPIRATION CONTRE LE FONCTIONNAIRE S'ESTIMANT LÉSÉ

[65]    Dans son interrogatoire des témoins de l'employeur et de ses propres témoins, le fonctionnaire s'estimant lésé a contesté certains détails de ses demandes de remboursement de frais de voyage. Néanmoins, sa thèse consistait essentiellement à déclarer que l'allégation qu'il avait présenté des demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage était une fabrication de diverses personnes impliquées dans un complot contre lui. La théorie de la conspiration du fonctionnaire s'estimant lésé comprend essentiellement trois volets : il n'a pas été traité correctement lorsqu'il a été embauché par Santé Canada en janvier 1999; une autre personne, Mme Hopkins, s'est fait offrir un poste qui aurait dû lui être offert; enfin, ces deux facteurs étaient symptomatiques d'un complot dont les auteurs avaient fini par fabriquer des demandes de remboursement de frais de voyage pour se débarrasser de lui.

a)      Nomination à Santé Canada en 1999

[66]    Le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait pour le ministère des Anciens combattants du Canada avant d'entrer au service de Santé Canada. La preuve comprend des lettres d'excuses de la Commission de la fonction publique et du ministère des Anciens combattants. Par exemple, on peut lire dans une lettre datée du 8 juillet 1997 des excuses pour [traduction] « les expériences négatives que vous avez vécues en travaillant au ministère des Anciens combattants et pour la gestion de votre entente d'équité en matière d'emploi ». Cela dit, ce document produit avec le consentement des parties ne contient aucun élément de preuve direct sur les questions mentionnées dans la lettre, et la lettre de la Commission de la fonction publique est d'ordre plus général encore.

[67]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a contre-interrogé Mme Robin Kitson, la directrice des Ressources humaines de l'employeur, en lui demandant si elle avait dit à une dénommée Carolyn Fowler, en janvier 1999, que la lettre d'offre d'emploi de Santé Canada aurait dû être retenue en raison du règlement qu'il avait conclu avec les Anciens combattants. Mme Kitson l'a nié. Le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté à Mme Kitson l'affidavit d'une déclaration sous serment que Mme Fowler avait faite le 8 septembre 2005, en déclarant qu'elle avait travaillé comme coordonnatrice de la diversité et de l'équité en matière d'emploi à Santé Canada de 1997 à 2001. Mme Fowler disait dans cet affidavit avoir été informée en décembre 1998 que Santé Canada envisageait d'embaucher un membre d'une minorité visible pour lui confier un poste à la DGSPNI et affirmait qu'elle en avait parlé avec Mme Kitson.

[68]    Dans l'affidavit, Mme Fowler a aussi déclaré ce qui suit (reproduit tel quel) :

[Traduction]

[6]  QUE Mme Robin m'a demandé si je « le » connaissais. Quand j'ai dit « non », elle a poursuivi en m'informant qu'elle avait une lettre d'offre pour lui, en me disant toutefois qu'il semblait y avoir des réserves quant à son embauche.

[7]  QUE Mme Robin Kitson a continué à me donner des renseignements sur ce qu'elle avait appris d'une ou de plusieurs  sources, à savoir que cette même personne (que j'ai plus tard connue sous le nom de M. Ayangma) avait déposé une plainte à/au/contre la Commission de la fonction publique et le ministère des Anciens combattants et qu'il avait conclu un règlement financier. Elle a aussi ajouté que cette personne s'était fait enjoindre de ne pas postuler d'autres emplois dans l'administration fédérale.

[8]  QUE Mme Robin Fowler m'a alors demandé ce que je pensais de l'idée de poursuivre la procédure d'embauche, ce sur quoi j'ai confirmé que, si le candidat avait franchi l'étape de la présélection et avait été jugé qualifié pour le poste par le comité de sélection, il devrait être embauché. Cette conversation s'est terminée sur une déclaration de Robin disant qu'elle allait appeler ses contacts à l'Île-du-Prince-Édouard pour « […] se renseigner sur lui » (maintenant connu sous le nom de Noël Ayangma).

[9]  QUE, à la suite de ma conversation avec Mme Robin Kitson, j'ai communiqué avec feu Chester Parsons, que je savais avoir été membre du comité de sélection, en lui demandant ce qu'il pourrait me dire sur le résultat de l'entrevue; il m'a dit « cette personne (que je connais maintenant sous le nom de Noël Ayangma) semble capable de marcher sur l'eau […] il est très impressionnant, extrêmement qualifié pour le poste, a de l'expérience […] est titulaire d'un doctorat et s'est représenté en cour ».

[10]  QUE M. Ayangma a fini par être embauché par Santé Canada à titre de coordonnateur régional de projets en janvier 1999.

[11]  QUE je fais cette déclaration sous serment pour appuyer le grief de M. Ayangma contre Santé Canada parce que je suis convaincue que les actions de Mme Robin Kitson à l'époque et après que j'ai quitté le Ministère en 2001 pourraient avoir eu des conséquences néfastes menant 1) au remplacement de M. Ayangma comme fonctionnaire permanent parfaitement qualifié membre d'une minorité visible par une personne venant de l'extérieur de la fonction publique, 2) à l'enquête elle-même et 3) au licenciement de M. Ayangma en 2004.

[69]    Mme Fowler a témoigné en confirmant l'information figurant dans son affidavit.

[70]    Au sujet du paragraphe 7 de l'affidavit de Mme Fowler, Mme Kitson a témoigné avoir connu ces faits, mais dit ne pas se souvenir d'en avoir parlé avec l'intéressée. Elle a aussi dit que M. John Montague, un directeur régional du ministère des Anciens combattants, avait communiqué avec elle. Il lui avait demandé ce qu'elle pensait du fonctionnaire s'estimant lésé, en disant que celui-ci [traduction] « ne devrait pas travailler, parce qu'un règlement avait été conclu avec les Anciens combattants et que [le fonctionnaire s'estimant lésé] n'aurait pas dû être recommandé par la Commission de la fonction publique ». Mme Kitson avait alors dit à M. Montague que la Commission de la fonction publique avait bel et bien communiqué le dossier du fonctionnaire s'estimant lésé à Santé Canada. Elle a ajouté dans son témoignage qu'elle n'avait pas vérifié les renseignements reçus de M. Montague : [traduction] « c'était simplement quelque chose qu'il m'avait dit ».

[71]    Mme Kitson a aussi témoigné qu'elle ne pouvait pas se rappeler quoi que ce soit sur la première des deux phrases du paragraphe 8 de l'affidavit. Elle a nié avoir dit ce qu'on lui fait dire dans la seconde. Elle a expliqué qu'elle n'avait pas de « contacts » à l'Île-du-Prince-Édouard. De plus, c'est son personnel qui s'occupe du recrutement; elle n'aurait pas vu les dossiers remis aux comités de sélection.

[72]    Mme Kitson a dit n'avoir aucune connaissance des paragraphes 9 et 10 de l'affidavit de Mme Fowler.

[73]    Elle a reconnu avoir parlé à M. Al Gorman, qui était alors directeur régional, au sujet de la vérification des références du fonctionnaire s'estimant lésé. Elle a expliqué avoir eu une conversation avec une employée des ressources humaines des Anciens combattants, Mme Beverly Cameron, qui lui avait dit qu'on avait eu des [traduction] « problèmes de recrutement » dans ce Ministère. Mme Cameron lui avait conseillé de vérifier les références.

[74]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a fait comparaître Mme Cameron, qui a nié avoir été la personne ayant donné à Mme Kitson de l'information sur son dossier aux Anciens combattants. Mme Cameron a témoigné qu'elle assistait à une réunion du personnel des ressources humaines, et que Mme Kitson avait demandé si quelqu'un le connaissait, au cours d'une pause en petit groupe. Mme Cameron avait répondu à Mme Kitson qu'un règlement aurait pu avoir été conclu entre le fonctionnaire s'estimant lésé et les Anciens combattants à un certain moment.

[75]    Selon le fonctionnaire s'estimant lésé, ce témoignage appuie sa conclusion que la conspiration contre lui a commencé dès son embauche à Santé Canada. Il a déclaré que Mme Kitson s'était particulièrement employée à le discréditer en posant des questions qui lui causaient du tort, en communiquant des renseignements susceptibles de lui nuire et en tentant de saboter sa nomination à Santé Canada.

[76]    Globalement, la preuve a montré que Mme Kitson s'était renseignée sur les antécédents du fonctionnaire s'estimant lésé. Dans sa conversation avec M. Montague, elle s'était fait donner des raisons d'ordre général de vérifier les références des anciens fonctionnaires des Anciens combattants. L'existence d'un litige entre le fonctionnaire s'estimant lésé et les Anciens combattants semble avoir été largement connue; Mme Cameron a d'ailleurs déclaré à Mme Kitson qu'un règlement [traduction] « aurait pu avoir été conclu » avec lui. (Les témoignages ne sont pas absolument clairs à cet égard, mais il semble qu'on aurait pu avoir eu l'idée que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était fait interdire de travailler pour le gouvernement du Canada par suite du règlement qu'il avait conclu avec les Anciens combattants. Si c'était le cas, c'était de toute évidence une fausse impression.)

[77]    À mon avis, rien de tout cela n'est contestable, particulièrement en ce qui concerne Mme Kitson, une personne responsable des activités de ressources humaines de son Ministère. Je ne trouve pas non plus contestable que la directrice des Ressources humaines demande à des collègues du même domaine si quelqu'un a des renseignements au sujet d'un candidat à un poste. Quand on sait qu'il y a eu un règlement, la prudence nous incite à chercher à savoir ce qui en est.

[78]    Le fonctionnaire s'estimant lésé allègue que la preuve démontre l'existence de tentatives faites de propos délibéré pour violer les dispositions de confidentialité de l'entente conclue à la suite de son litige avec les Anciens combattants, mais rien dans la preuve qui m'a été soumise n'est favorable à cette conclusion. Enfin, même en supposant que Mme Kitson ait dit à Mme Fowler quelque chose comme ce que celle-ci a compris, à savoir que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était fait enjoindre de ne pas se présenter à d'autres postes dans l'administration fédérale (ce qui n'était pas vrai), cela ne suffirait pas en soi à étayer l'allégation du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il était victime d'une vaste conspiration. Au pire, Mme Kitson cherchait à tirer des rumeurs au clair. Rien dans la preuve ne laisse entendre que Mme Kitson ait dit à qui que ce soit de retenir une offre d'emploi ni fait autrement obstacle à la nomination du fonctionnaire s'estimant lésé à Santé Canada. En fait, si le ouï-dire par M. Gorman est vrai, le fonctionnaire s'estimant lésé avait [traduction] « extrêmement impressionné » le comité de sélection. De plus, même Mme Fowler ne pouvait qu'avancer des hypothèses pour dire que ce que Mme Kitson avait fait [traduction] « aurait pu » avoir des conséquences néfastes pour le fonctionnaire s'estimant lésé. Mme Kitson a d'ailleurs nié avoir dit à [traduction] « quelqu'un » que l'offre d'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé aurait dû être retirée, et Mme Fowler n'a pas déclaré non plus qu'elle ait fait cela.

[79]    Bref, rien dans la preuve n'indique que qui que ce soit ait saboté ou tenté de saboter la nomination du fonctionnaire s'estimant lésé à Santé Canada. Je m'empresse d'ajouter qu'il n'est pas difficile d'imaginer des exemples de demandes de renseignements sur des candidats à des postes qui soient injustifiées, voire illégales, mais la preuve en l'espèce tombe bien en deçà de telles situations.

c)      Nomination de Mme Angela Hopkins

[80]    Le deuxième volet de l'allégation d'une conspiration dont le fonctionnaire s'estimant lésé se dit victime est la nomination de Mme Hopkins au poste de gestionnaire, Information et analyse en matière de santé et solutions de cybersanté, dans le cadre d'un accord d'échange avec la Régie régionale de la santé du Cap-Breton.

[81]    Je tiens à commencer par souligner qu'il n'y a aucune indication de l'existence d'un rapport quelconque entre l'embauche du fonctionnaire s'estimant lésé par Santé Canada et la nomination de Mme Hopkins dans le contexte de cet accord d'échange.

[82]    Il est important aussi qu'on se rappelle que ma décision ne consiste pas à déterminer si le fonctionnaire s'estimant lésé aurait dû se faire offrir le poste que Mme Hopkins a obtenu; la décision dans ce contexte a été défavorable au fonctionnaire s'estimant lésé, mais c'est la Commission de la fonction publique du Canada qui l'a prise. Je refuse catégoriquement de prendre connaissance des documents relatifs à la question de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé aurait dû se faire offrir ce poste ou pas. Mon rôle se limite à examiner la preuve concernant l'allégation du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il a été victime d'une conspiration pouvant être liée à sa suspension, puis à son licenciement.

[83]    Personne ne conteste que Mme Hopkins soit entrée au service de Santé Canada dans le cadre d'un accord d'échange conclu avec la Régie régionale de la santé du Cap-Breton pour la période de deux ans d'août 2003 à août 2005. Cet accord d'échange a été déposé en preuve, et divers témoins ont confirmé qu'il revêt la forme habituelle. Par exemple, il précise de la façon suivante la rémunération qui devait être versée à Mme Hopkins :

[Traduction]

Il est entendu qu'Agatha Hopkins va continuer à toucher son traitement et ses avantages sociaux de la Régie régionale de la santé du Cap-Breton. La Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada s'engage à rembourser à la Régie régionale de la santé du Cap-Breton la somme de 94 276,15 $ par année incluant 20 % du traitement au titre des avantages sociaux (78 563,46 $ + 20 % = 94 276,15 $), ainsi qu'à majorer cette somme pour refléter toute augmentation pouvant être due à Agatha Hopkins au cours de sa période d'affectation sous le régime de rémunération de la Régie régionale de la santé du Cap-Breton.

[Les caractères gras le sont dans l'original]

Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi déposé en preuve les renseignements qu'il avait obtenus de la Régie régionale de la santé du Cap-Breton au sujet du traitement de Mme Hopkins.

[84]    Le fonctionnaire s'estimant lésé conteste le traitement versé à Mme Hopkins. Selon lui, on lui aurait donné une augmentation pour l'attirer à Santé Canada. La preuve a montré que le fonctionnaire s'estimant lésé était chargé à titre intérimaire des fonctions de ce poste de gestionnaire avant l'arrivée de Mme Hopkins. Le fonctionnaire s'estimant lésé allègue qu'il aurait dû être confirmé dans ce poste à titre permanent bien que la preuve ait démontré qu'on lui a demandé de faire acte de candidature au poste, mais qu'il a retiré sa candidature. Néanmoins, le fait qu'il n'a pas été confirmé dans le poste et que Mme Hopkins y a été nommée de l'extérieur de Santé Canada avec une augmentation de traitement (selon lui) signifie que l'employeur l'a délibérément écarté du poste. Tout cela s'inscrirait dans le cadre du complot qui visait à l'empêcher d'obtenir le poste et qui a mené à une plus vaste conspiration, avec la fabrication de demandes de remboursement de frais de voyage.

[85]    Mme Debora Keays-Whyte a témoigné pour le fonctionnaire s'estimant lésé, qui l'avait assignée à comparaître. Elle est directrice régionale de la DGSPNI pour la Région de l'Atlantique depuis octobre 2003. Elle a déclaré avoir une assez bonne connaissance des accords d'échange et des procédures connexes, parce qu'elle est entrée au service de Santé Canada dans le contexte d'un tel accord avec la Nouvelle-Écosse. Elle a reconnu que ces accords ne constituent pas une promotion pour la personne mutée, mais nié qu'une augmentation de traitement soit toujours associée à une promotion; selon elle, une promotion est un changement de responsabilités plutôt qu'un changement de traitement.

[86]    Le nom de Mme Keays-Whyte figure parmi ceux des signataires de l'accord d'échange relatif à Mme Hopkins, mais elle a témoigné que quelqu'un d'autre l'avait signé en son nom et qu'elle n'avait pas vu l'accord avant de témoigner dans le cadre de la présente affaire. Elle ne savait pas quel traitement on payait à Mme Hopkins et n'avait pas vérifié pour le savoir; elle s'attendait à ce que le personnel des ressources humaines de son service fasse le nécessaire. Tout ce qu'elle pouvait dire, c'était que [traduction] « si les chiffres ne sont pas corrects, quelqu'un a fait une erreur », et qu'elle postulait que Santé Canada allait payer un traitement dans [traduction] « la fourchette correspondant au poste ». Qui plus est, elle ne savait pas qui payait le traitement de Mme Hopkins, la Régie régionale de la santé du Cap-Breton ou Santé Canada.

[87]    Mme Keays-Whyte s'est fait montrer plusieurs courriels sans toutefois pouvoir confirmer qu'elle les avait lus avant son témoignage. Elle a expliqué qu'elle reçoit 150 messages par jour et que son adjointe les filtre; elle a aussi déclaré avoir dit à tous ses gestionnaires que, s'ils voulaient qu'elle lise un courriel donné, ils devraient lui téléphoner pour le lui dire. Néanmoins, elle a reconnu être au courant du contenu de certains des courriels. L'un d'eux précisait que le fonctionnaire s'estimant lésé [traduction] « allait gagner un grief pour sa rémunération d'intérim […], mais que cela dépendrait de la version de la description de poste applicable ». C'était dans la situation où le fonctionnaire s'estimant lésé occupait à titre intérimaire le poste qui a fini par être confié à Mme Hopkins. Les préoccupations du fonctionnaire s'estimant lésé quant au fait que sa nomination intérimaire se prolongeait depuis longtemps étaient exposées dans un autre courriel. Mme Keays-Whyte a témoigné avoir été informée de ces faits en disant ne pas se rappeler si elle était intervenue à cet égard. Je prends note que la question du droit à une rémunération rétroactive ne m'a pas été soumise.

[88]    Mme Keays-Whyte s'est fait demander si le poste que Mme Hopkins occupait était le même que celui que le fonctionnaire s'estimant lésé avait occupé à titre intérimaire. Elle l'a nié. Elle a le pouvoir discrétionnaire de changer les postes et elle a expliqué avoir identifié un besoin dans le service qui supposait un rôle enrichi de ce poste de gestionnaire par suite de ses discussions avec des collègues et d'autres intéressés dans tout le Canada, en raison d'une tendance à privilégier l'hygiène publique. Cela changeait le poste, puisqu'il exigeait des connaissances en épidémiologie (y compris la [traduction] « collecte de renseignements médicaux »), ainsi qu'un volet de gestion accru. Le rôle « épidémiologique » du poste était d'ailleurs mentionné dans l'annonce de la nomination de Mme Hopkins au personnel.

[89]    Le poste a été annoncé avec ces changements. Mme Keays-Whyte a aussi expliqué que le fonctionnaire s'estimant lésé voulait que la Région de l'Atlantique dote le poste sans concours. On l'avait fait en Alberta pour un poste analogue. Toutefois, elle avait parlé avec un collègue albertain qui lui avait dit être d'avis que le poste de la Région de l'Atlantique était différent. La témoin voulait qu'on nomme la personne la plus compétente possible au poste; elle a donc décidé d'organiser un concours. D'autres éléments de preuve laissent entendre qu'il y avait des différences entre la situation en Alberta et celle qui prévalait dans la Région de l'Atlantique, notamment un plus fort pourcentage de localités albertaines auxquelles on avait transféré les services de santé.

[90]    D'après Mme Keays-Whyte, le fonctionnaire s'estimant lésé avait été invité à occuper le poste à titre intérimaire pendant qu'on l'annonçait, mais s'était retiré du concours parce qu'il croyait le processus lacunaire. Les changements du poste avaient été introduits après son retrait du concours, et c'étaient des changements importants. La témoin n'a pas pu se rappeler si la décision de la Commission de la fonction publique de rejeter la plainte du fonctionnaire s'estimant lésé contestant la nomination de Mme Hopkins avait influé sur le moment auquel les changements avaient été apportés au poste. Quoi qu'il en soit, c'est à peu près à ce moment-là qu'elle avait parlé du rendement du fonctionnaire s'estimant lésé avec son gestionnaire et qu'elle l'avait observé à l'ouvre dans une rencontre avec un groupe des Premières nations. Elle a dit que la rencontre [traduction] « n'avait pas bien marché ».

[91]    Mme Keays-Whyte a nié que le poste ait été reconfiguré pour que Mme Hopkins puisse l'obtenir, même si elle a reconnu avoir pensé à cette candidate en raison de son expérience en gestion et du fait qu'elle terminait une maîtrise en épidémiologie. Elle a aussi avoué avoir connu Mme Hopkins de réputation, en sachant qu'elle était [traduction] « chaudement recommandée ». La preuve a montré que Mme Hopkins et Mme Keays-Whyte se connaissaient professionnellement sans être des amies intimes, voire des amies tout court, mais simplement des connaissances, semble-t-il. C'est aussi cette conclusion que la directrice exécutive de la Direction des services des ressources humaines de Santé Canada a tirée dans une lettre datée du 8 décembre 2003, après avoir enquêté sur une plainte du fonctionnaire s'estimant lésé alléguant qu'il y avait un conflit d'intérêts inhérent à la situation entre Mme Keays-Whyte et Mme Hopkins parce qu'elles étaient des amies personnelles de longue date, lorsqu'elle a décidé de rejeter cette plainte. Quoi qu'il en soit, Mme Keays-Whyte a témoigné qu'elle n'avait participé ni au processus de sélection, ni à aucun autre processus de présélection des candidats : [traduction] « La décision a été prise par le comité de sélection, pas par moi ».

[92]    Mme Hopkins a aussi témoigné, à la demande de l'employeur. Le fonctionnaire s'estimant lésé relevait d'elle et elle relevait elle-même de Mme Keays-Whyte. Quand elle est entrée en fonctions en août 2003, elle s'est fait dire de former une [traduction] « nouvelle unité », ce qui s'entendait de l'évolution de l'ancienne unité et de son rôle accru. Elle a témoigné que son traitement n'avait pas augmenté quand elle est entrée au service de Santé Canada en quittant son poste à la Régie régionale de la santé du Cap-Breton.

[93]    Aucune preuve directe ne contredit le témoignage de Mme Keays-Whyte ni celui de Mme Hopkins sur la question dont je suis saisi, à savoir si un complot avait été tramé contre le fonctionnaire s'estimant lésé dans le contexte de la nomination de Mme Hopkins. M. Ayangma a tenté de prouver l'existence d'un tel complot en posant des questions suggestives, mais ses questions ne sont pas une preuve, et les réponses qu'il a reçues n'étayent pas son allégation. La preuve n'étaye pas non plus le postulat que Mme Hopkins aurait touché une augmentation de traitement dans le contexte de son accord d'échange; elle l'a nié, et les autres témoins ne savaient rien sur son traitement.

[94]    Je ne trouve rien de contestable dans le témoignage de Mme Keays-Whyte ni dans celui de Mme Hopkins, puisqu'ils décrivent simplement ce qui ne saurait être décrit que comme la gestion et le fonctionnement normaux d'une organisation moderne quelconque. Mme Keays-Whyte avait constaté un besoin de changement du poste que le fonctionnaire s'estimant lésé occupait à titre intérimaire. Il s'était fait offrir la possibilité d'occuper le poste modifié à titre intérimaire, mais avait refusé de le faire et s'était retiré du concours organisé pour le doter. Mme Keays-Whyte ne connaissait Mme Hopkins que de réputation, et la décision de la nommer au poste a été prise par quelqu'un d'autre. Il est important aussi que Mme Keays-Whyte n'ait pas signé l'accord d'échange qui a fait entrer Mme Hopkins au service de Santé Canada et qu'elle ne pouvait pas se rappeler non plus l'avoir vu avant de témoigner. Bref, la preuve est bien loin de démontrer l'existence d'un complot contre le fonctionnaire s'estimant lésé.

[95]    Enfin, je souligne que, dans une lettre datée du 18 juillet 2003, la Commission de la fonction publique a refusé d'enquêter sur la plainte du fonctionnaire s'estimant lésé alléguant que le processus ayant mené à la nomination était contestable. Dans sa plainte, le fonctionnaire s'estimant lésé déclarait que le poste aurait dû lui être offert sans concours, comme on l'avait fait en Alberta. Or, la Commission de la fonction publique a rejeté sa plainte en déclarant que [traduction] « la décision d'organiser ou d'annuler une procédure de concours et de nommer quelqu'un en vertu de [la loi] relève du pouvoir discrétionnaire d'un gestionnaire délégué, et [que] la Commission de la fonction publique n'a pas le pouvoir d'intervenir à cet égard ». Cette décision est d'ailleurs compatible avec le témoignage de Mme Keays-Whyte, la gestionnaire déléguée.

c)      Demandes de remboursement de frais de voyage

[96]    Le dernier volet de l'allégation de complot du fonctionnaire s'estimant lésé est le suivant : Mme Hopkins, Mme Kitson et quelque sept autres fonctionnaires de Santé Canada auraient conspiré pour se débarrasser de lui en fabriquant de fausses demandes de remboursement de frais de voyage.

[97]    Cette allégation peut être rejetée sommairement.

[98]    Fondamentalement, l'allégation consiste à déclarer que les irrégularités qui auraient entouré la nomination du fonctionnaire s'estimant lésé en janvier 1999 et celle de Mme Hopkins en août 2003 équivalaient à un complot visant à empêcher l'intéressé d'occuper le poste confié à Mme Hopkins. Ce complot serait ensuite allé au point où ses auteurs auraient fabriqué des demandes de remboursement de frais de voyage pour finir par se débarrasser de lui. Logiquement, le fonctionnaire s'estimant lésé me presse de conclure que les demandes de remboursement de frais de voyage contestées ont été fabriquées à cause d'un complot tramé contre lui depuis un bon bout de temps. Comme je ne reconnais pas qu'il y ait eu quoi que ce soit qui puisse ressembler à un complot avant que l'employeur ne soulève la question de ses demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage, cet argument du fonctionnaire s'estimant lésé doit être rejeté.

[99]    L'autre difficulté que pose cette allégation est que rien n'indique que l'employeur ait fabriqué les demandes de remboursement de frais de voyage en question. M. Cuthbert, qui a vérifié les demandes et longuement témoigné à leur sujet, a vu son objectivité attaquée plus d'une fois en contre-interrogatoire, mais son témoignage a été rendu avec professionnalisme et impartialité. Il est important aussi de préciser que les réserves quant aux demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé émanaient de deux sources, Mme Hopkins et les responsables de la vérification de routine effectuée à Ottawa. C'est étirer la crédibilité jusqu'au point de rupture de prétendre que le complot tramé pour se débarrasser du fonctionnaire s'estimant lésé s'était étendu jusqu'aux fonctionnaires d'Ottawa chargés des vérifications de routine des demandes de remboursement de frais de voyage. Enfin, en ce qui concerne ces demandes elles-mêmes, comme nous le verrons, la preuve de l'employeur tient toute seule.

[100]    Pour ces motifs, je conclus que la preuve ne me permet pas de conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé ait été licencié par suite d'un complot contre lui.

F.      DEMANDES DE REMBOURSEMENT DE FRAIS DE VOYAGE DU FONCTIONNAIRE S'ESTIMANT LÉSÉ

[101]    L'employeur s'est essentiellement fondé sur le témoignage de M. John Cuthbert concernant vingt demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé. M. Cuthbert, vérificateur principal au Bureau de la vérification et de la responsabilisation de Santé Canada, est notamment comptable général licencié et examinateur agréé de fraudes.

[102]    Il a témoigné s'être fait dire par son gestionnaire d'examiner les demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé. À cette fin, il s'est rendu à Halifax pour l'examen initial de quelques demandes, ce qui a révélé certaines anomalies; ensuite, il a analysé un plus gros échantillon de demandes avant de décider d'étudier toutes les demandes de remboursement de frais de voyage de l'intéressé, sans exception, parce que les anomalies persistaient. Bref, comme il l'a déclaré, [traduction] « il a dû remonter au tout début ».

[103]    M. Cuthbert a rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé à Charlottetown les 19 et 20 janvier 2004 [traduction] « pour dissiper tous les malentendus qui auraient pu exister ». Ils ont analysé ensemble chacune des demandes de remboursement de frais de voyage que M. Cuthbert avait jugées contestables. Le fonctionnaire s'estimant lésé a vu toutes les demandes à cette occasion, en répondant aux questions de M. Cuthbert.

[104]    M. Cuthbert a produit une ébauche de rapport datée du 2 février 2004. Il a témoigné qu'il n'a pas rédigé de rapport final exposant ses conclusions définitives. En fait, il existe deux autres rapports du même titre, datés l'un du 28 avril 2004 et l'autre du 5 mai 2004, mais aucun ne porte la mention [traduction] « Ébauche ». M. Cuthbert ne connaissait pas l'existence des versions d'avril et de mai du rapport, puisqu'il a quitté le BVR à la fin de février 2004 et qu'il n'a [traduction] « rien contribué après » la version de février du rapport. Incidemment, rien dans la preuve ne décrit la production des versions d'avril et de mai. Mme Kitson et Mme Archer ont témoigné s'être servies seulement du rapport daté du 28 avril 2004 et ne pas se souvenir d'avoir vu les autres versions. L'employeur a déposé le rapport de février en preuve; le fonctionnaire s'estimant lésé a produit les versions d'avril et de mai. C'est d'autant plus compliqué qu'il y a deux versions du rapport d'avril, une portant la mention [traduction] « Ébauche » et l'autre pas. À cela près, ces deux versions semblent identiques.

[105]    Par contre, il y a des différences entre les trois versions du rapport (celles de février, d'avril et de mai). La première est de toute évidence incomplète, parce que, sous la rubrique « Ressources », il est écrit que [traduction] « [l]e travail a commencé en octobre 2003 et s'est terminé […] », le reste de la phrase étant manquant. La version d'avril est complète puisque cette phrase est complète elle aussi, qu'on y trouve un certain nombre d'annexes, qu'elle présente des [traduction] « Résultats » plus détaillés et renferme aussi une [traduction] « Conclusion globale », entre autres changements. Cette version offre aussi une description plus détaillée des réponses du fonctionnaire s'estimant lésé au sujet des demandes de remboursement de frais de voyage contestées.

[106]    La version de mai diffère de celle d'avril quant au nombre de demandes de remboursement de frais de voyage soumises en 2001-2002. La partie narrative des deux versions paraît identique à deux exceptions près. Dans la version d'avril, il est écrit que le fonctionnaire s'estimant lésé avait comparu devant un comité parlementaire à Ottawa le 13 février 2003 [traduction] « pour des affaires qui n'étaient pas liées aux activités de [Santé Canada], ni autorisées par [Santé Canada] […] une journée aurait dû être déclarée comme jour de congé ». Dans la version de mai, on lit que le fonctionnaire s'estimant lésé a comparu devant ce comité à Charlottetown et qu'il aurait dû déclarer une demi-journée de congé, avec des précisions sur sa situation pour la journée de l'audience du comité.

[107]    Le fonctionnaire s'estimant lésé s'est indigné qu'on ait prétendu qu'il était à Ottawa pour l'audience du comité. Selon lui, c'est une erreur. J'accepte qu'il s'agissait d'une erreur dans la version d'avril du rapport, mais je ne suis pas convaincu qu'elle ait une grande importance. Je prends bonne note du fait que l'employeur n'a pas fait état devant moi du 12 février 2003 comme jour pour lequel le fonctionnaire s'estimant lésé aurait présenté une demande frauduleuse de remboursement de frais de voyage. En fait, c'est le fonctionnaire s'estimant lésé lui-même plutôt que l'employeur qui a identifié l'erreur. Il s'ensuit que je ne souscris pas à ce que dit le fonctionnaire s'estimant lésé en déclarant que l'erreur consistant à parler d'Ottawa plutôt que de Charlottetown comme lieu de l'audience du Comité aurait été commise à dessein par l'employeur.

[108]    Il est vrai que la version d'avril du rapport prétend à tort que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Ottawa pour l'audience et que l'employeur s'est fondé sur ce même rapport pour décider de le licencier. Néanmoins, je n'arrive pas à conclure que cette erreur invalide tout le rapport. De toute manière, comme j'ai entendu les griefs de novo et que je rends une décision sur la question de savoir si l'employeur avait une raison valable de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé, les trois rapports susmentionnés ne constituent qu'une partie de la preuve sur laquelle je base ma décision et, comme nous le verrons plus loin, je me suis fondé sur le témoignage de M. Cuthbert plutôt que sur son ébauche de rapport (ou sur un rapport quelconque) dans ma démarche (Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.F.)).

[109]    Il faut bien sûr parler aussi du rapport d'avril portant la mention [traduction] « Ébauche ». D'après le fonctionnaire s'estimant lésé, c'est un facteur très important, puisqu'une témoin de l'employeur a reconnu avec lui qu'elle n'aurait pas licencié un fonctionnaire en se fondant sur une ébauche de rapport. En outre, la lettre du 7 mai 2004 annonçant au fonctionnaire s'estimant lésé qu'il était licencié mentionnait la version d'avril du rapport en la qualifiant de [traduction] « final ». Je ne sais pas très bien de quel rapport d'avril l'employeur s'est servi en le disant final, car cela aurait fort bien pu être la version ne portant pas la mention [traduction] « Ébauche ». De toute façon, je le répète, j'ai analysé toute la preuve dont je suis saisi et je suis arrivé à mes propres constatations et conclusions sur la question de savoir si l'employeur avait une raison valable de suspendre et de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé.

[110]    M. Cuthbert a été longuement contre-interrogé pour le compte du fonctionnaire s'estimant lésé sur son examen des demandes de remboursement de frais de voyage de l'intéressé. L'employeur s'est aussi basé sur les dires des témoins qui ont comparu pour répondre à des questions au sujet de leurs numéros de téléphone et de certains appels précis au cours desquels ils ont eu des conversations avec le fonctionnaire s'estimant lésé. Cette partie de la preuve est analysée plus loin.

[111]    Il est utile, à mon avis, d'examiner certains renseignements d'ordre général sur la façon de M. Cuthbert de mener son enquête et de témoigner.

[112]    M. Cuthbert a analysé chacune des demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé en comparant les itinéraires décrits dans les demandes aux relevés d'utilisation du téléphone cellulaire de l'intéressé. Ces relevés décrivent chaque appel fait avec le téléphone cellulaire en précisant la date, l'heure, le [traduction] « lieu d'origine » (appels faits avec le téléphone cellulaire, avec l'endroit d'où ils émanaient) ainsi que les appels [traduction] « reçus », le [traduction] « numéro appelé » et [traduction] « l'endroit de l'appel » (l'endroit appelé ou celui d'où émanait l'appel reçu), le temps facturé pour chaque appel (interurbain ou pas) et son coût.

[113]    L'employeur était propriétaire du téléphone cellulaire fourni au fonctionnaire s'estimant lésé et aucune autre personne ne s'en servait, selon M. Cuthbert. Ce témoin a déclaré avoir constaté plusieurs [traduction] « anomalies » quand le téléphone était à un endroit alors que son itinéraire plaçait le fonctionnaire s'estimant lésé ailleurs. Par exemple, son itinéraire le situait quelquefois en route vers des bandes des Premières nations tandis que le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire prouvait qu'il s'en était servi à Charlottetown, la ville où il habitait.

[114]    En général, je me suis fondé sur les relevés d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé pour déterminer où il s'en était servi. Autrement dit, ces relevés ne prouvent pas nécessairement qu'il était au même endroit que son téléphone, bien qu'on puisse tirer une déduction en ce sens, surtout faute d'avoir entendu son témoignage pour expliquer l'utilisation de l'appareil. Quand d'autres éléments de preuve corroborent le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire, je devrais logiquement conclure à l'existence d'une preuve claire et convaincante que le téléphone et le fonctionnaire s'estimant lésé se trouvaient au même endroit. Par exemple, quand j'ai des indications claires que le fonctionnaire s'estimant lésé a fait ou reçu des appels qui confirment le relevé d'utilisation de son téléphone, je puis en déduire que l'appareil et lui étaient au même endroit. Il s'ensuit que, dans l'ensemble, j'ai cherché d'autres éléments de preuve susceptibles de corroborer les relevés d'utilisation du téléphone cellulaire pour déterminer où le fonctionnaire s'estimant lésé se trouvait aux moments pertinents. Par exemple, dans ses conversations avec M. Cuthbert, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait des admissions qui m'ont souvent aidé à déterminer où il était.

[115]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a contre-interrogé les témoins de l'employeur sur ce qu'ils avaient dit au sujet des appels qu'il leur avait faits avec son téléphone cellulaire. De plus, il a fait témoigner Mme Jennifer Dobbelsteyn, qui a déclaré avoir été une de ses collègues et avoir répondu à des appels sur son téléphone cellulaire quand il n'était pas disponible. Il était aussi [traduction] « arrivé assez souvent » que la pile de son téléphone cellulaire soit déchargée, et il avait même perdu son téléphone plus d'une fois. J'en conclus que, si la pile du téléphone était déchargée, le fonctionnaire s'estimant lésé n'aurait pas été capable de faire ou de recevoir des appels de toute façon, et qu'aucun appel n'aurait été noté dans le relevé d'utilisation. Je prends bonne note aussi du grand nombre d'appels figurant dans ces relevés que l'intéressé a faits avec son téléphone cellulaire. Cela m'incite à conclure qu'il maîtrisait globalement bien la technologie en question, son utilisation fréquente du cellulaire le prouve.

[116]    Mme Dobbelsteyn a aussi témoigné qu'elle parlait fréquemment à la conjointe du fonctionnaire s'estimant lésé ainsi qu'à sa famille quand ils l'appelaient pour savoir où celui-ci se trouvait. À mon avis, ce témoignage a été rendu pour étayer l'argument du fonctionnaire s'estimant lésé voulant que d'autres personnes se servaient aussi de son téléphone cellulaire, de sorte que l'employeur ne pouvait pas se fonder sur les relevés d'utilisation pour savoir où il se trouvait lui-même. Certains témoins ont reconnu qu'il était [traduction] « possible » que certains appels aient pu être faits avec un autre téléphone que celui du fonctionnaire s'estimant lésé. Toutefois, si ce n'est de cela, l'idée que quelqu'un d'autre que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait pu faire les appels en question a été essentiellement avancée dans sa plaidoirie ou dans le contexte des questions suggestives qu'il a posées en contre-interrogatoire. Rien dans la preuve déposée par le fonctionnaire s'estimant lésé ni par qui que ce soit d'autre (comme des membres de sa famille) ne démontre que d'autres personnes se servaient de ce téléphone. En outre, en contre-interrogatoire, Mme Dobbelsteyn s'est fait demander si elle avait fait des appels avec le téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé; elle a répondu qu'elle ne pouvait pas se souvenir d'en avoir fait, parce qu'elle avait toujours son propre téléphone avec elle.

[117]    M. Cuthbert a aussi analysé des reçus de frais d'hôtel, de location de véhicule et de frais de péage sur un pont. Dans certains cas, le fonctionnaire s'estimant lésé avait perdu les reçus exigibles; il a dû remplir une formule pour le déclarer. Il avait aussi réclamé à l'occasion le remboursement de frais d'hébergement privé, ce qu'un fonctionnaire peut faire lorsqu'il décide de coucher chez un ami, par exemple, plutôt qu'à l'hôtel. On autorise alors un paiement de 50 $, mais ce paiement ne peut être versé lorsque le fonctionnaire reste chez lui; il cesse d'être considéré comme étant en voyage dès que son déplacement se termine. Enfin, les demandes de remboursement de frais de voyage renfermaient des changements des allocations de repas, mais l'employeur les avait apportés lui-même; ils reflètent les changements régulièrement apportés à ces allocations. Ces changements ne sont pas controversés et ne posent pas problème en l'espèce. Quand j'ai parlé des sommes d'argent réclamées par le fonctionnaire s'estimant lésé au titre de ses dépenses de voyage, je me suis fondé sur les sommes qu'il avait effectivement réclamées, plutôt que sur celles qui ont été rajustées par suite des changements apportés par l'employeur.

[118]    Typiquement, une demande de remboursement de frais de voyage est présentée dans deux formules que le fonctionnaire voyageur doit remplir.

[119]    Le premier de ces formulaires est une Demande d'indemnité de déplacement (DID) comprenant une ventilation des frais comme les allocations de repas et le total des frais engagés pour l'utilisation d'un véhicule, les transports en commun et l'hébergement, par exemple. La DID est signée par le fonctionnaire, qui doit attester que les sommes stipulées dans la demande de remboursement correspondent aux frais engagés dans un voyage autorisé en service commandé. En outre, la DID est signée par une autre personne autorisée (parfois le superviseur du fonctionnaire voyageur), en vertu de l'article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques, pour certifier la validité de la demande de remboursement de frais de voyage sous le régime de cette loi.

[120]    Le deuxième formulaire est un Relevé des frais de voyage (RFV) dans lequel le fonctionnaire doit quotidiennement préciser l'itinéraire qu'il est censé emprunter, avec les heures et les dates, ainsi qu'avec des précisions sur ses activités. En l'espèce, ces détails comprennent typiquement le kilométrage d'utilisation d'un véhicule personnel, les frais de péage sur le pont (de la Confédération, reliant l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick), l'hébergement privé (tel que mentionné précédemment), la location d'un véhicule, l'essence, les frais d'hôtel, les repas et les faux frais. Les allocations de repas et de faux frais sont des sommes fixes établies conformément à la politique de l'employeur.

[121]    Compte tenu de tout ce qui précède, j'ai analysé la preuve relative aux demandes de remboursement de frais de voyage suivantes.

a)      27 juillet - 1er août 2003

[122]    Le RFV présenté par le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown à 15 h 30 le 27 juillet 2003 pour se rendre en voiture à Halifax, puis jusqu'à la bande indienne d'Eel River, au Nouveau-Brunswick. Il est resté à Halifax jusqu'au 30 juillet, après quoi il est allé en voiture à Eel River, où il est resté jusqu'au 31 juillet, puis est revenu à Charlottetown le 1er août 2003. Les frais réclamés comprennent le kilométrage pour l'utilisation de son véhicule, les frais de péage sur le pont (le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré avoir « perdu ou égaré » le reçu), les frais d'hôtel, les repas et les faux frais. Le montant de la demande de remboursement s'élevait à 1 350,93 $. La signature du fonctionnaire s'estimant lésé sur la DID certifiait qu'il avait engagé ces dépenses dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[123]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé a révélé qu'il avait fait un appel de Toronto à 15 h 27 le 27 juillet, ce qui ne concorde pas avec le RFV. Cinq autres appels ont été faits de Toronto le même jour, le dernier à 16 h 22. Ensuite, on voit qu'il y a eu des appels à Charlottetown, à Regina (en Saskatchewan, où le téléphone se trouvait le 26 juillet 2003), ainsi qu'à un « service 800 ». Par la suite, toujours le 27 juillet, le téléphone a été utilisé à Halifax à partir de 20 h 12 (il y a une heure de décalage horaire entre Toronto et Halifax) pour faire des appels à Charlottetown et à Regina. Le téléphone est resté à Halifax les 28 et 29 juillet. Le 30 juillet, il était à Halifax jusqu'à 11 h 47, puis s'est retrouvé à Charlottetown à 12 h 41. Rien dans le relevé n'indique que le téléphone du fonctionnaire s'estimant lésé était dans la région d'Eel River. D'autres témoins (des collègues du fonctionnaire s'estimant lésé à Santé Canada) ont été interrogés sur leurs numéros de téléphone particuliers, dont certains ont été composés à partir du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé pendant qu'il se trouvait à Charlottetown.

[124]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies. On peut lire dans ses notes que l'intéressé aurait répondu : [traduction] « les dates pouvaient être décalées d'une journée/réponse confuse? ». M. Cuthbert a confirmé ses notes dans son témoignage en expliquant que, s'il avait dit que la réponse du fonctionnaire s'estimant lésé était confuse, c'est qu'il ne croyait pas que l'intéressé « croyait sa réponse ».

[125]    La preuve a aussi révélé un billet d'avion électronique prouvant que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Toronto le 27 juillet. Il avait quitté Halifax pour Toronto le 19 juillet, s'était rendu à Regina le même jour puis était retourné à Toronto le 27 juillet. Le 28 juillet, il s'était rendu de Toronto à Ottawa, puis à Halifax. Son billet d'avion est compatible avec le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire, dans la mesure où le billet d'avion et le relevé prouvent tous deux que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Toronto le 27 juillet. Le téléphone cellulaire se trouvait à Halifax du 27 au 30 juillet, la date de son retour à Charlottetown. Le billet d'avion révèle aussi que le fonctionnaire s'estimant lésé n'est pas arrivé à Halifax avant le 28 juillet, ce qui est compatible avec sa déclaration que les dates [traduction] « pouvaient être décalées d'une journée ». Je prends note aussi du fait que le reçu des frais de péage sur le pont aurait été [traduction] « perdu ou égaré ».

[126]    La preuve confirme que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Halifax pour une partie de la journée du 27 juillet, puis jusqu'au 30 juillet, ce qui est compatible avec sa demande de remboursement de frais de voyage. Toutefois, le billet d'avion corrobore le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé, à savoir qu'il était à Toronto le 27 juillet, tandis que sa demande de remboursement de frais de voyage laisse entendre qu'il était à Charlottetown, le point de départ du voyage pour lequel il réclamait un remboursement. Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé s'est rendu de Toronto à Halifax plutôt que de Charlottetown à Halifax. Le reçu « perdu ou égaré » de ses frais de péage sur le Pont de la Confédération aurait correspondu à un passage le 30 juillet 2003, d'après le fonctionnaire s'estimant lésé, ce qui est compatible avec le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire (ce téléphone se serait trouvé à Charlottetown ce jour-là). Cela n'est pas compatible avec le RFV, selon lequel il était à Eel River du 30 juillet au 1er août.

[127]    Dans l'ensemble, je conclus que la demande de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé pour les frais engagés dans le cadre d'un voyage de Charlottetown à Halifax le 27 juillet 2003 était frauduleuse. Je conclus aussi qu'il est retourné à Charlottetown le 30 juillet 2003 et que sa demande de remboursement de frais de voyage pour les 31 juillet et 1er août 2003 était frauduleuse elle aussi.

b)      15 - 18 juillet 2003

[128]    Le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé montre qu'il est parti de Charlottetown à 5 h 40 le 15 juillet 2003 pour un [traduction] « Voyage au bureau d'Halifax », où il devait assister à une réunion de gestion régionale. D'après le RFV, il s'est rendu en voiture à Eel Ground, au Nouveau-Brunswick, le 16 juillet, en quittant Halifax à 15 h 30. Il a passé deux nuitées (les 16 et 17 juillet) à Eel Ground, après quoi il est revenu en voiture à Charlottetown le 18 juillet. Il a réclamé le remboursement du kilométrage avec son véhicule, des frais de péage sur le pont (avec un reçu), de ses frais d'hébergement privé pour trois nuitées, de ses repas et des faux frais, le tout pour une somme de 843,41 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[129]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé révèle que ce téléphone était d'abord à Charlottetown le 15 juillet, mais qu'il s'est retrouvé à Halifax ce soir-là (pour un appel fait à 19 h 41). C'est compatible avec le RFV, tout comme le reçu des frais de péage sur le pont, d'ailleurs. Toutefois, le téléphone cellulaire s'est retrouvé à l'Île-du-Prince-Édouard le 16 juillet (on s'en est servi pour faire un appel de Borden, le port d'entrée à l'extrémité nord du Pont de la Confédération, à 15 h 45 ce jour-là). Ensuite, on s'est servi du téléphone pour faire seize appels de Charlottetown, et il a aussi reçu quatre appels à Charlottetown le 17 juillet. De même, on constate que plusieurs appels ont été faits de Charlottetown le 18 juillet. D'autres témoins, des collègues du fonctionnaire s'estimant lésé à Santé Canada, ont témoigné à ce sujet sur leurs numéros de téléphone particuliers, dont certains avaient été appelés à partir du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé quand ce téléphone se trouvait à Charlottetown. Par exemple, on note trois appels de Charlottetown au numéro de M. Peter MacGregor, le superviseur du fonctionnaire s'estimant lésé, à son bureau, tard dans la matinée du 17 juillet.

[130]    Dans ce cas-là aussi, lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies; dans ses notes, il a écrit que l'intéressé a répondu : [traduction] « est allé de bonne heure à Eel Ground puis est revenu (HP) [hébergement privé] = resté chez lui ». M. Cuthbert a confirmé ces notes dans son témoignage en expliquant que ce dernier commentaire signifiait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait dit qu'il était resté chez lui à Charlottetown, mais qu'il avait facturé des frais d'hébergement privé à l'employeur. Ce problème de réclamation de frais d'hébergement privé est fréquent, comme on le verra plus loin. M. Cuthbert a estimé que, s'il rentrait tous les soirs chez lui à Charlottetown, le fonctionnaire s'estimant lésé aurait dû payer 38 $ de frais de péage sur le pont, plutôt que 50 $ pour des frais d'hébergement privé. Il était sceptique quant à l'intérêt d'un tel calcul, du seul point de vue du coût.

[131]    Je conclus que le fonctionnaire a soumis une demande justifiée de remboursement de frais de voyage pour le 15 juillet (y compris des frais d'hébergement privé cette nuit-là) et pour une partie du 16 juillet. Le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire et le RFV concordent pour ces dates-là.

[132]    En ce qui concerne la période du 16 au 18 juillet, l'admission du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il était resté à la maison tout en réclamant le remboursement de frais d'hébergement privé m'incite à conclure que la demande de remboursement de ces frais pour les deux nuitées du 16 et du 17 juillet était frauduleuse. Cette admission me fait aussi déduire qu'il était aussi à Charlottetown dans la journée du 16 et du 17 juillet. C'est compatible avec le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire. Sur la foi de ce relevé, et compte tenu de l'admission du fonctionnaire s'estimant lésé, je conclus qu'il s'est rendu directement de Halifax à Charlottetown le 16 juillet, après quoi il n'a pas quitté Charlottetown, de sorte que sa demande de remboursement de frais de voyage pour une partie de la journée du 16 juillet et pour les 17 et 18 juillet 2003 était frauduleuse.

c)      23 - 26 juin 2003

[133]    Le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé révèle qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 10 h 20 le 23 juin 2003 pour se rendre à Halifax. Selon le RFV, il est resté à Halifax jusqu'au 25 juin et s'est rendu ce jour-là à Buctouche, au Nouveau-Brunswick, après quoi il est allé le 26 juin à Moncton, puis à Indian Island (aussi au Nouveau-Brunswick) avant de retourner chez lui à Charlottetown ce jour-là. Il a réclamé le remboursement du kilométrage de son véhicule, de ses frais d'hébergement privé à Eel Ground, des frais de péage sur le pont (avec reçu), des frais d'hôtel, de ses repas et des faux frais, pour un total de 971,57 $. Sa signature sur la DID attestait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[134]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé montre que ce téléphone était à Halifax les 23 et 24 juin, ce qui est compatible avec le RFV. Le téléphone se trouvait le 24 juin à Charlottetown, où l'on s'en est servi pour faire un appel à 20 h 35. Il est resté à l'Île-du-Prince-Édouard pour les douze appels faits à partir de Charlottetown le 25 juin. Le même jour, trois appels ont aussi été faits de Moncton, au Nouveau-Brunswick, à 17 h 23, 17 h 24 et 17 h 25. Le même jour, on note aussi des appels faits de Toronto et d'Hamilton, en Ontario, après quoi le téléphone est resté à Hamilton pour plusieurs appels jusqu'au 28 juin, quand il a servi à faire des appels d'autres localités de l'Ontario. Il est ensuite revenu dans l'est, parce que plusieurs appels ont été faits de l'Ontario et du Nouveau-Brunswick. Le téléphone était à Charlottetown le 29 juin; il a servi à faire un appel ce jour-là à 21 h 27.

[135]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies, et l'on peut lire dans ses notes que l'intéressé a répondu : [traduction] « HP [hébergement privé] = resté à la maison/a pris des vacances pour aller à Hamilton (a pris l'avion pour Hamilton) les 25 et 26 juin. - avait un voyage. - a réclamé un remboursement pour le 26 ». Ces notes ont été confirmées par M. Cuthbert dans son témoignage. Il a aussi déclaré que le fonctionnaire s'estimant lésé [traduction] « avait clairement précisé qu'il avait pris des jours de congé annuel ».

[136]    L'admission du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il avait pris des congés annuels pour passer des vacances à Hamilton et qu'il était resté chez lui tout en réclamant le remboursement de frais d'hébergement privé, combinée avec le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire, me permet de conclure qu'il n'était pas où il prétendait être dans sa demande de remboursement de frais de voyage.

[137]    Je conclus donc que la demande de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé pour la période du 24 au 26 juin 2003 était frauduleuse.

d)      2 - 5 juin 2003

[138]    Le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 5 h 30 le 2 juin 2003 pour une visite sur place à Madawaska, au Nouveau-Brunswick. Selon ce document, il s'est rendu en voiture à Moncton le 3 juin; il y est resté jusqu'au lendemain avec hébergement privé. Le 4 juin, il est allé à Halifax, où il est resté jusqu'à son retour à Charlottetown le 6 juin. Il a réclamé le remboursement de son kilométrage, de l'hébergement privé, des frais de péage sur le pont (en déclarant avoir « égaré » le reçu), de ses frais d'hôtel, de ses repas et des faux frais, pour un total de 1 458,57 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[139]    Le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire montre toutefois que le fonctionnaire s'estimant lésé se trouvait à Charlottetown les 2 et 3 juin, ce qui n'est pas compatible avec le RFV. Ensuite, le 4 juin, on note des appels faits en Nouvelle-Écosse, apparemment pendant que l'intéressé était en route pour Halifax. Le téléphone était à Halifax de 8 h 34 le 4 juin jusqu'au 6 juin, quand plusieurs appels ont été faits d'autres localités de la Nouvelle-Écosse. Il s'est retrouvé à l'Île-du-Prince-Édouard à 19 h 08 le 6 juin; il était à Charlottetown lorsqu'on s'en est servi pour faire un appel à 10 h 12 ce jour-là.

[140]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé à ce sujet, M. Cuthbert lui a encore demandé d'expliquer ces anomalies; dans ses notes, on peut lire que l'intéressé a répondu : [traduction] « j'ai peut-être laissé mon téléphone cellulaire à la maison/HP [hébergement privé] = resté à la maison ». M. Cuthbert a confirmé ses notes dans son témoignage, en se disant toujours sceptique : le relevé des appels téléphoniques était conforme au RFV pour une journée, mais pas pour celle pendant laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé prétendait avoir laissé son téléphone à la maison.

[141]    L'employeur s'est aussi fondé sur deux autres documents pour contester cette demande de remboursement. Le 18 novembre 2003, la Division de première instance de la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard a rendu un jugement (2003 P.E.I.J. No. 109) sur une affaire entre le fonctionnaire s'estimant lésé et la Commission des droits de la personne de l'Île-du-Prince-Édouard. On peut y lire que le fonctionnaire s'estimant lésé avait comparu [traduction] « pour lui-même » à une audience les 3 et 13 juin 2003.

[142]    L'autre document est un relevé de motion de la partie demanderesse déposée par le fonctionnaire s'estimant lésé dans le cadre d'une poursuite à laquelle il était partie devant la Division de première instance de la Cour fédérale du Canada (dossier no T-900-03). L'Avis de motion figurant dans ce document est signé par le fonctionnaire s'estimant lésé; on peut lire à côté de sa signature [traduction] « DATÉ à Charlottetown le 3 juin 2003 ». L'adresse, le numéro de téléphone et le numéro de télécopieur du fonctionnaire s'estimant lésé figurent aussi sur ce document. De plus, Mme Sandra Doucette, une avocate de la Section des poursuites au civil du ministère de la Justice, a témoigné qu'elle était en cour avec le fonctionnaire s'estimant lésé à Halifax dans la matinée du 5 juin pour cette affaire.

[143]    Enfin, M. Peter MacGregor a témoigné en produisant une inscription de son journal en date du 2 juin 2003. Cette inscription fait état d'un appel téléphonique du fonctionnaire s'estimant lésé : [traduction] « Noël @ 16 h 30 cell. ». Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé montre que celui-ci avait fait un appel de Charlottetown avec son téléphone cellulaire ce jour-là à 16 h 30, en composant le numéro de téléphone particulier de M. MacGregor.

[144]    Tout cela me force à conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé se trouvait à Charlottetown les 2 et 3 juin alors qu'il prétend avoir été en voyage au Nouveau-Brunswick. La preuve est écrasante si l'on combine le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire, les deux documents judiciaires, la comparution du fonctionnaire s'estimant lésé en cour, son appel téléphonique à M. MacGregor et son admission qu'il était chez lui et qu'il avait pourtant réclamé le remboursement de frais d'hébergement privé. J'ai tenu compte de la déclaration de l'intéressé à M. Cuthbert qu'il avait laissé son téléphone cellulaire à la maison, mais cela contredit son autre déclaration voulant qu'il soit resté chez lui et qu'il ait quand même demandé le remboursement d'un hébergement privé. En outre, cela contredit la preuve écrasante qu'il se trouvait à Charlottetown. Enfin, le fonctionnaire s'estimant lésé était en cour dans la matinée du 5 juin alors qu'il aurait dû être en congé ou au travail.

[145]    Il s'ensuit que le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté une demande frauduleuse de remboursement de frais de voyage pour les 2 et 3 juin ainsi que pour la matinée du 5 juin 2003.

e)      13 - 17 mai 2003

[146]    L'itinéraire inscrit sur le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 6 h 30 le 13 mai 2003 afin de se rendre à Halifax pour une visite sur place. Plus tard le même jour, toujours selon le RFV, il était à Moncton, à Fredericton puis à Mawiw. Ensuite, il s'est rendu louer une voiture à l'aéroport d'Halifax pour aller assister à une réunion à Mawiw le 14 mai. Le 15 mai, il était à une réunion à River Valley, après quoi il s'est rendu à Halifax le 16 mai pour enfin rentrer à Charlottetown le 17 mai. Il a réclamé le remboursement de son kilométrage, des frais de location de voiture, de l'essence, de l'hébergement privé, de ses frais d'hôtel, des frais de péage sur le pont (avec un reçu), de ses repas et des faux frais pour un total de 346,58 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[147]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé indique que l'appareil se trouvait au Nouveau-Brunswick à 7 h 32 le 13 mai, puis qu'il était à Halifax la plus grande partie de cette journée et enfin à Moncton dans la soirée. Les 14 et 15 mai, le téléphone était à divers endroits au Nouveau-Brunswick. À 11 h 36 le 16 mai, il était à Charlottetown. Le problème, ici, c'est que le RFV indique que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Halifax le 16 mai, alors que le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire montre qu'il était plutôt à Charlottetown ce jour-là.

[148]    Le contrat de location d'un véhicule pour ce voyage révèle que le fonctionnaire s'estimant lésé avait loué une voiture le 13 mai à l'aéroport d'Halifax, mais qu'il l'a retournée à un hôtel de cette ville le 20 mai. Ce n'est pas compatible avec le RFV, puisqu'on peut lire dans ce document que le fonctionnaire s'estimant lésé était retourné à Charlottetown le 17 mai, ni non plus avec le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire, qui montre que l'appareil était à Charlottetown le 16 mai.

[149]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies-là aussi; dans ses notes, on peut lire que l'intéressé a répondu : [traduction] « hébergement privé/resté pour la nuit à la maison ». M. Cuthbert a confirmé ses notes dans son témoignage.

[150]    Pour cette demande de remboursement de frais de voyage, la preuve ne peut que m'amener à conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé a frauduleusement réclamé le remboursement de frais d'hébergement privé pour deux nuitées, celles du 15 et du 16 mai. C'est ce qu'il a admis à M. Cuthbert. Comme ce dernier l'a déclaré, les éléments de preuve relatifs aux autres frais étaient [traduction] « étranges », mais cela ne constitue pas une preuve claire et convaincante.

f)      13 - 16 avril 2003

[151]    L'itinéraire inscrit dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 7 h 40 le 13 avril 2003 pour se rendre à Halifax et dans la vallée de l'Annapolis. Le RFV précise aussi qu'il était dans la vallée de l'Annapolis le 14 avril, puis de retour à Halifax le lendemain 15 avril. Le 16 avril, il s'est rendu à Fredericton pour une réunion de « télésanté » ce jour-là ainsi que le 17 avril. Il est rentré à Charlottetown à 21 h le 17 avril. Il a réclamé son kilométrage, ses frais de péage sur le pont (avec un reçu), ses frais d'hébergement privé, ses frais d'hôtel et ses repas ainsi que ses faux frais, pour un total de 1 252,74 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[152]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé est compatible avec la première partie du RFV puisqu'il confirme que le téléphone était à Halifax le 13 avril. Par contre, il s'est retrouvé à Charlottetown tard dans la journée du 14 avril, pour y rester jusqu'à ce qu'il arrive au Nouveau-Brunswick au début de la journée du 15 avril. Le relevé est toutefois compatible avec le RFV pour les journées du 16 et du 17 avril.

[153]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé à ce sujet, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies. On peut lire dans ses notes que l'intéressé a répondu : [traduction] « le 14, laissé le téléphone cellulaire à la maison/hébergement privé et retour à la maison ». M. Cuthbert a confirmé ses notes dans son témoignage en expliquant que cela signifiait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait dit que son téléphone était resté chez lui le 14 avril et qu'il avait réclamé le remboursement de frais d'hébergement privé alors qu'il était resté à la maison.

[154]    Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé a soumis une demande justifiée de remboursement de frais de voyage pour une partie du 13 et du 15 avril ainsi que pour les 16 et 17 avril 2003. Un reçu d'hôtel confirme d'ailleurs qu'il a passé une nuitée à Halifax, le 15 avril.

[155]    L'admission du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il est resté chez lui tout en réclamant le remboursement de frais d'hébergement privé justifie la conclusion que sa demande de remboursement de frais d'hébergement privé pour les 13, 14 et 16 avril était frauduleuse. Je conclus aussi qu'il se trouvait à Charlottetown le 14 avril alors qu'il prétendait être en voyage. Cela peut se déduire de son admission qu'il est resté à Charlottetown les nuits du 13 et 14 avril, et c'est compatible aussi avec le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire. La demande de remboursement de frais de voyage du 14 avril était donc frauduleuse. Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire de l'intéressé indique aussi qu'il se trouvait à Charlottetown toute la journée du 17 avril alors qu'il prétendait être encore en voyage, et c'est compatible avec le fait qu'il est resté à Charlottetown la nuit du 16 avril. Je conclus donc que sa demande de remboursement de frais de voyage pour le 16 avril était frauduleuse.

[156]    En ce qui concerne la déclaration du fonctionnaire s'estimant lésé à M. Cuthbert voulant qu'il ait laissé son téléphone cellulaire chez lui le 14 avril, je dois dire que cela n'explique pas sa demande du 16 avril, pour commencer. En outre, le 14 avril, on a fait dix-sept appels avec ce téléphone à partir de Charlottetown. Rien dans la preuve n'indique que ces appels aient été faits par d'autres personnes que le fonctionnaire s'estimant lésé, et leur nombre même laisse entendre que personne d'autre ne s'en est servi parce qu'il était resté chez l'intéressé.

g)      15 - 21 mars 2003

[157]    L'itinéraire inscrit dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture dans la matinée du 15 mars 2003 pour se rendre à Halifax, puisqu'il était dans cette ville les 16 et 17 mars, après quoi il s'est rendu à Moncton le 18 mars. Le 19 mars, il était à Moncton et Big Cove, puis, le 20 mars, à Big Cove et Eel Ground. Ensuite, il devait retourner à Charlottetown le 21 mars. Il a réclamé le remboursement de son kilométrage, des frais d'hébergement privé, d'hôtel et de péage sur le pont (avec reçu), de ses repas et des faux frais pour ce voyage, le tout pour un total de 1 406,50 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[158]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé montre qu'il a quitté l'Île-du-Prince-Édouard vers 10 h 30 le 15 mars puis, conformément au RFV, qu'il s'est rendu à Halifax où il est resté les 16 et 17 mars. Toutefois, le téléphone était de retour à Charlottetown à 20 h 19 le 17 mars, et il y est resté du 18 au 21 mars.

[159]    Quand il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé sur ces anomalies, M. Cuthbert lui a demandé de les expliquer. Dans ses notes, le fonctionnaire s'estimant lésé a dit : [traduction] « Hébergement privé - resté à la maison/quand parti tôt le matin, a oublié le téléphone/n'avait pas le téléphone avec lui/ne se rappelle pas certains des numéros de téléphone composés ». M. Cuthbert a confirmé le contenu de ses notes dans son témoignage.

[160]    L'employeur s'est aussi fondé sur le témoignage de M. Peter MacGregor, qui avait été le superviseur du fonctionnaire s'estimant lésé. Ce témoin a comparu et produit des notes sur les appels téléphoniques qu'il avait reçus les 18 et 21 mars du fonctionnaire s'estimant lésé, les deux à partir de Charlottetown. Sa note sur l'appel du 21 mars précise le numéro de téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé, sous le nom de ce dernier. M. MacGregor a aussi donné son numéro de téléphone particulier. Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé fait état de ce numéro, que le fonctionnaire s'estimant lésé a composé les 17 et 21 mars. Selon le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire, l'appel du 21 mars a été fait à 15 h 32; dans ses notes sur cet appel, M. MacGregor a écrit qu'il avait commencé à 15 h 30.

[161]    En contre-interrogatoire, M. MacGregor a déclaré que ces appels auraient pu être faits à partir d'un autre téléphone que le cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé. C'est peu probable dans le cas de l'appel du 21 mars, puisque la note précise le numéro du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé et que l'heure de l'appel figurant dans le relevé d'utilisation de ce téléphone et l'heure précisée dans la note de M. MacGregor sont virtuellement les mêmes. Il est vrai que la longueur des appels dont M. Macgregor se souvenait ne correspond pas à celle des appels figurant dans le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire, mais, comme plus de deux ans se sont écoulés entre le moment où M. MacGregor a témoigné et celui où les appels en question ont eu lieu, je ne pense pas qu'il faille accorder une grande importance à son estimation de leur durée. Enfin, il va falloir en bout de ligne que le fonctionnaire s'estimant lésé donne des explications pour réfuter la preuve accumulée contre lui, car elle est rendue bien au-delà du point où l'on pourrait se passer d'explications.

[162]    Je conclus que la demande de remboursement de frais de voyage pour les 15 et 16 ainsi que pour une partie du 17 mars 2003 était justifiée. Un reçu d'hôtel confirme d'ailleurs que le fonctionnaire s'estimant lésé est resté à Halifax pour deux nuitées, le 15 et le 16 mars.

[163]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a toutefois admis être resté à Charlottetown en réclamant pourtant des frais d'hébergement privé, et cette admission est compatible avec le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire. Je conclus que les demandes de remboursement de frais de voyage (plus précisément de frais d'hébergement privé) pour les 17, 18, 19 et 20 mars étaient frauduleuses. En outre, au moins une partie de la demande de remboursement de frais de repas et de faux frais figurant dans le RFV serait aussi frauduleuse, par conséquent.

[164]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé montre qu'il était à Charlottetown de la fin de la journée du 17 mars jusqu'au 21 mars, alors qu'il a déclaré être en voyage en service commandé. Il a admis avoir été chez lui la nuit des 17, 18, 19 et 20 mars, ce qui justifie la déduction qu'il est resté à Charlottetown ces jours-là. Enfin, le relevé des appels du fonctionnaire s'estimant lésé à M. MacGregor le situait clairement à Charlottetown les 18 et 21 mars.

[165]    Je conclus que la demande de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé pour la période du 17 au 21 mars 2003 était frauduleuse.

h)      12 - 17 janvier 2003

[166]    Selon l'itinéraire inscrit dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé, il aurait dû quitter Charlottetown en voiture à 9 h le 12 janvier 2003 pour se rendre à Oromocto, au Nouveau-Brunswick. D'après ce document, il était à Oromocto le 13 janvier, pour ensuite se rendre à Moncton le 14 janvier, puis à Big Cove le 15 janvier. Le 16 janvier, il est allé à Red Bank, puis est retourné à Charlottetown le 17 janvier. Il a réclamé le remboursement de ses frais d'hébergement privé (pour les 12, 14, 15 et 16 janvier), de location de voiture, d'essence, de repas et des faux frais, pour un total de 1 185,49 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[167]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé montre que ce téléphone a été transporté à Moncton et dans d'autres localités du Nouveau-Brunswick le 12 janvier. Pourtant, il était à Charlottetown quand on s'en est servi pour faire un appel à 8 h 39 le 13 janvier, et il est resté à Charlottetown toute la journée des 13 et 14 janvier. Ensuite, il a été en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick le 15 janvier avant d'être rapporté à Charlottetown ce jour-là. On s'en est servi pour faire un appel de Charlottetown à 20 h 30 le 15 janvier, puis pour faire de nombreux appels de cette ville les 16 et 17 janvier.

[168]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi réclamé le remboursement de frais de location d'un véhicule à deux reprises au cours de cette période, une fois du 11 au 13 janvier et l'autre du 13 au 18 janvier. Les véhicules ont été retournés à Charlottetown dans les deux cas. La distance parcourue avec la première location était 105 kilomètres et celle de la deuxième location 90 kilomètres. M. Cuthbert a témoigné que le kilométrage total était beaucoup moins élevé qu'on s'y serait attendu pour des déplacements comme ceux qui sont décrits dans le RFV.

[169]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé au sujet de ces anomalies, M. Cuthbert a pris des notes dans lesquelles on peut lire que l'intéressé a répondu : [traduction] « hébergement privé - resté à la maison ». M. Cuthbert l'a confirmé dans son témoignage.

[170]    Je conclus que la demande de remboursement de frais de voyage était valide pour le 12 janvier et pour la journée du 15 janvier 2003.

[171]    Par contre, force m'est de conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Charlottetown les 13 et 14 janvier dans la journée, ainsi que dans la soirée et la nuit du 15 et du 16 janvier; c'est confirmé par son admission à M. Cuthbert qu'il était resté chez lui tout en réclamant le remboursement de frais d'hébergement privé. Le reçu de l'agence de location de voitures précise qu'il était à Charlottetown le 13 janvier, ce qui est confirmé par le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire.

[172]    Il s'ensuit que la demande de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé pour les 13 et 14 janvier ainsi que pour la soirée et la nuit du 15 et du 16 janvier 2003 était frauduleuse.

i)      6 - 9 janvier 2003

[173]    L'itinéraire inscrit dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 7 h le 6 janvier 2003 pour aller visiter la bande d'Eel River, au Nouveau-Brunswick. Il était à Eel River le 7 janvier, puis à Pabineau, une autre localité du Nouveau-Brunswick, le lendemain 8 janvier. Il est rentré à Charlottetown dans la matinée du 9 janvier. Il a réclamé le remboursement des frais de location d'une voiture, de l'essence (en déclarant un reçu de 52 $ perdu : [traduction] « n'ai pas demandé de reçu pour l'essence »), des frais de péage sur le pont (en déclarant le reçu « perdu »), d'hébergement privé (les 6, 7 et 8 janvier) et de repas ainsi que des faux frais, pour un total de 802,78 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[174]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire de l'intéressé montre toutefois qu'il n'a pas quitté Charlottetown les 6, 7, 8 et 9 janvier, et qu'il a fait ou reçu une soixantaine d'appels ces quatre jours-là.

[175]    Quand il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies. On peut lire dans ses notes que le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu : [traduction] « rentré à la maison au cours de la nuit ® hébergement privé/laissé le téléphone cellulaire à la maison, d'autres s'en sont servis ». M. Cuthbert a confirmé ses notes dans son témoignage.

[176]    M. Peter MacGregor a aussi témoigné sur la période couverte par cette demande de remboursement de frais de voyage. Il a produit une inscription de son journal datée du 7 janvier 2003 en expliquant qu'il prend habituellement note par écrit des messages vocaux qu'il reçoit. Dans ce cas-là, l'inscription dans son journal le 7 janvier concernait un message du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il avait reçu dans sa boîte vocale. Il n'avait pas précisé à quel moment ce message avait été reçu. Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé révèle qu'il s'est servi de son appareil pour faire sept appels de Charlottetown au numéro de téléphone particulier de M. MacGregor à son travail, le 7 janvier.

[177]    En contre-interrogatoire, M. MacGregor a reconnu qu'il ne pouvait pas dire si le message qu'il avait reçu provenait d'un téléphone cellulaire. À mon avis, c'est l'évidence même. Il a aussi admis qu'il ne pouvait pas dire si c'était la conjointe du fonctionnaire s'estimant lésé qui lui avait téléphoné avec ce téléphone cellulaire. C'est aussi l'évidence même et sans grande importance, à mon avis. Je conclus que, pris isolément, le témoignage de M. MacGregor n'est rien d'autre qu'un compte rendu d'un message téléphonique qu'il a reçu du fonctionnaire s'estimant lésé le 7 janvier. On peut déduire que l'appel est venu de Charlottetown d'après le nombre d'appels faits de là et la date, mais ce n'est pas une déduction très solide. D'un autre côté, il semble très peu probable que quelqu'un d'autre que le fonctionnaire s'estimant lésé ait appelé M. MacGregor avec son téléphone sept fois dans la même journée.

[178]    Globalement, je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a jamais quitté Charlottetown les 7, 8 et 9 janvier. Le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire et son admission à M. Cuthbert sont favorables à cette conclusion. Les notes que M. MacGregor a prises sur le message vocal du fonctionnaire qu'il a reçu de Charlottetown le 7 janvier ne suffisent pas à elles seules pour confirmer que le fonctionnaire s'estimant lésé était dans cette ville-là le 7 janvier, mais elles corroborent les autres éléments de preuve. Je prends note de la déclaration du fonctionnaire s'estimant lésé à M. Cuthbert voulant qu'il ait laissé son téléphone cellulaire à la maison et que d'autres personnes s'en seraient servies, mais je n'ai aucune indication que cela ait pu se produire, si ce n'est cette déclaration de l'intéressé à M. Cuthbert.

[179]    Il s'ensuit que toute la demande de remboursement de frais de voyage pour les 7, 8 et 9 janvier 2003 était frauduleuse.

j)      9 - 12 décembre 2002

[180]    On peut lire dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 6 h le 9 décembre 2002 pour se rendre à Millbrook, en Nouvelle-Écosse. Le 10, il est allé à Pictou Landing, le 11 à Indian Brook et le 12 à Halifax, après quoi il est retourné à Charlottetown dans la matinée du 12 décembre. Il a réclamé le remboursement de son kilométrage et de ses frais d'hébergement privé pour les 9, 10, 11 et 12 décembre, en réclamant aussi ses frais de location de voiture, d'essence et de repas, de même que ses faux frais, pour un total de 923,21 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[181]    Le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire montre que cet appareil n'est pas sorti de Charlottetown les 9, 10, 11 et 12 décembre et qu'on s'en est servi pour faire cinquante-sept appels et en recevoir vingt et un pendant ces quatre jours.

[182]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies; on peut lire dans ses notes que l'intéressé a répondu : [traduction] « la rencontre à Millbrook a peut-être eu lieu dans la soirée/hébergement privé ® resté à la maison ». M. Cuthbert a confirmé le contenu de ses notes dans son témoignage, tout en contestant le kilométrage accumulé avec un véhicule loué.

[183]    Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a jamais quitté Charlottetown les 9, 10, 11 et 12 décembre. Le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire et son admission qu'il était resté à la maison en demandant pourtant le remboursement de ses frais d'hébergement privé sont favorables à cette conclusion. Le reçu de l'agence de location de voitures précise que le fonctionnaire s'estimant lésé a roulé 295 kilomètres, ce qui est bien en deçà du kilométrage auquel on s'attendrait pour le trajet précisé dans le RFV (de Charlottetown à Halifax et retour avec quelques arrêts pour le travail en route). L'allégation du fonctionnaire s'estimant lésé que la rencontre de Millbrook aurait pu avoir lieu dans la soirée n'est pas une réaction crédible aux faits que M. Cuthbert lui avait présentés.

[184]    Il s'ensuit que toute la demande de remboursement de frais de voyage pour les 9, 10, 11 et 12 décembre 2002 était frauduleuse.

k)      5 - 8 novembre 2002

[185]    L'itinéraire inscrit dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 6 h le 5 novembre 2002 pour se rendre à Pictou Landing, puis pour aller visiter d'autres bandes de la Nouvelle-Écosse les 6 et 7 novembre. Il est retourné à Charlottetown le 8 novembre. Sa demande de remboursement de frais inclut les frais d'hébergement privé, de repas, de location de voiture, d'essence et de traversier ainsi que les faux frais, pour un total de 852,30 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[186]    Le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire montre que le cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé a servi à faire trente-deux appels à partir de diverses localités de la Nouvelle-Écosse le 5 novembre, ce qui est compatible avec le RFV, mais le téléphone s'est retrouvé à Charlottetown le même après-midi (à 14 h 33) pour ensuite y rester les 6, 7 et 8 novembre. Ces jours-là, il a servi à faire vingt-trois appels de Charlottetown et il en a reçu onze.

[187]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a loué une voiture à Charlottetown le 4 novembre et l'a retournée dans cette ville le 9 novembre. Ces frais de 319,40 $ ont fait l'objet d'une demande de remboursement soumise par le fonctionnaire s'estimant lésé, et le reçu de l'agence de location de voitures révèle qu'il avait conduit cinquante kilomètres. M. Cuthbert a témoigné que le kilométrage à franchir pour aller dans toutes les localités à partir desquelles les appels avaient été faits était [traduction] « nettement » supérieur à cinquante kilomètres.

[188]    Quand il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé à ce sujet, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer les anomalies; dans ses notes, on peut lire que le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu : [traduction] « hébergement privé = rentré à la maison à Charlottetown/n'a pas toujours rencontré le préposé d'Avis ® a parfois stationné la voiture chez NA et parfois aussi au parking d'Avis ». M. Cuthbert a confirmé ses notes dans son témoignage, en expliquant que « NA » désignait le fonctionnaire s'estimant lésé.

[189]    Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé était en voyage jusqu'à environ 14 h le 5 novembre et qu'il avait droit au remboursement de ses frais pour ce déplacement. Le peu de kilométrage accumulé avec le véhicule de location est troublant, puisqu'il semble que la voiture n'est pas allée bien loin, mais j'estime que ce n'est pas concluant. Je crois aussi que le fonctionnaire s'estimant lésé est retourné à Charlottetown dans l'après-midi du 5 novembre et qu'il y est resté jusqu'au 8 novembre alors qu'il prétendait être en voyage en Nouvelle-Écosse. Son admission qu'il était resté à la maison tout en réclamant le remboursement de frais d'hébergement privé corrobore le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire. Enfin, ce qu'il a dit au sujet de l'endroit où il aurait stationné le véhicule de location n'était pas une réponse à ce que M. Cuthbert lui avait dit.

[190]    Par conséquent, je conclus que la demande de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé pour la période allant de la fin de la journée du 5 novembre au 8 novembre 2002 était frauduleuse.

l)      25 octobre - 1er novembre 2002

[191]    L'itinéraire inscrit dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown dans une voiture de location à 8 h 30 le 25 octobre 2002 pour se rendre à Oromocto, Moncton et Big Cove, au Nouveau-Brunswick, puis à Bear River, en Nouvelle-Écosse. L'intéressé a déclaré qu'il était dans la région de Moncton les 25, 26, 27, 28 et 29 octobre, après quoi il s'est rendu à Bear River le 31 octobre. Le 1er novembre, il est retourné à Charlottetown. Il a réclamé le remboursement de ses frais de location de voiture, de péage sur le pont (avec un reçu), d'essence et d'hébergement privé (les 25, 26, 27 et 31 octobre), d'hôtel et de repas ainsi que de ses faux frais, le tout pour un total de 1 618,73 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[192]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé révèle que l'appareil était à l'Île-du-Prince-Édouard, surtout à Charlottetown, les 25 et 26 octobre. On s'en est servi pour faire dix-sept appels ces jours-là. Au début de la journée du 27 octobre, on l'a utilisé pour faire de nombreux appels à partir du Nouveau-Brunswick, ce qui est compatible avec le RFV. On s'en est servi ensuite pour faire d'autres appels du Nouveau-Brunswick le 28 octobre, et c'est aussi compatible avec le RFV, mais le téléphone s'est retrouvé à Charlottetown à 14 h 30 le 28 octobre, quand on l'a utilisé pour faire le premier d'une série d'appels provenant de cette ville. Il est resté à Charlottetown les 29, 30 et 31 octobre ainsi que le 1er novembre; on a fait quarante-huit appels avec ce téléphone à Charlottetown entre le 29 et le 31 octobre, et il en a aussi reçu onze à Charlottetown.

[193]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a réclamé des frais d'hébergement dans un hôtel de Moncton où il s'était inscrit le 28 octobre. Il a produit un document réclamant des frais de 307,95 $, mais M. Cuthbert n'était pas sûr qu'il s'agissait d'un reçu pour l'argent qu'il avait payé là. On peut y lire que de l'argent avait été payé, mais le montant facturé est « 0,00 », et la somme réclamée par le fonctionnaire s'estimant lésé y figure comme « crédit ». D'après M. Cuthbert, ce document indique que le fonctionnaire s'estimant lésé avait payé 307,95 $ à l'hôtel, mais ne confirme pas qu'il y soit resté. Le témoin a aussi déclaré que le document montre qu'une réservation a été faite pour le 28 octobre 2002, avec départ prévu pour le 31 octobre. Là encore, le document produit par le fonctionnaire s'estimant lésé ne confirme pas qu'il a couché à l'hôtel, selon M. Cuthbert.

[194]    Quand il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé à ce sujet, il lui a demandé d'expliquer les anomalies. On peut lire dans ses notes que l'intéressé a répondu : [traduction] « hébergement privé ® allé à Charlottetown/n'a peut-être pas produit tous les reçus d'essence si perdus/n'a pas réclamé deux péages/a réclamé seulement ce qu'il avait ». Le contenu de ces notes a été confirmé dans le témoignage de M. Cuthbert.

[195]    L'employeur s'est aussi fondé sur une conversation téléphonique entre le fonctionnaire s'estimant lésé et Me James Klaassen, un avocat au ministère de la Justice du Canada. Dans son témoignage, Me Klaassen a donné son numéro de téléphone au bureau, en expliquant que ce numéro lui avait été attribué exclusivement en mars 2001. Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé montre que celui-ci a composé ce numéro à Charlottetown le 30 octobre 2002 à 9 h 33. Me Klaassen a produit un relevé de ses appels téléphoniques daté du 30 octobre 2002 mentionnant la conversation qu'il a eue avec le fonctionnaire s'estimant lésé ce jour-là à 9 h 30. Dans son témoignage, il a clairement déclaré avoir parlé au fonctionnaire s'estimant lésé et non à un membre de sa famille ou à qui que ce soit d'autre.

[196]    L'employeur s'est aussi basé sur une note d'une conversation téléphonique entre M. MacGregor et le fonctionnaire s'estimant lésé le 28 octobre 2002. J'admets que l'appel en question a eu lieu, mais cela ne me suffit pas pour conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Charlottetown quand l'appel a été placé.

[197]    Cela dit, je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé voyageait bel et bien en service commandé le 27 octobre et une partie de la journée du 28 octobre et qu'il était à Charlottetown le 25 et le 26 octobre, tard dans la journée du 28 octobre, le 29, le 30 et le 31 octobre ainsi que le 1er novembre. Il a admis à M. Cuthbert qu'il était là et qu'il avait pourtant réclamé le remboursement de frais d'hébergement privé. Je prends note que le reçu des frais de péage sur le pont que le fonctionnaire s'estimant lésé a produit est daté du 25 octobre et que cela semble incompatible avec le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire. Néanmoins, un examen plus poussé de ce relevé indique que ce téléphone était près du poste de péage du Pont de la Confédération, à Borden, dans l'Île-du-Prince-Édouard, à 9 h 37 le 25 octobre. Le reçu du poste de péage a été obtenu à 9 h 21 21 ce jour-là. Cela laisse entendre qu'on ne devrait pas accorder trop d'importance à la date du reçu, et qu'il n'est peut-être pas incompatible avec le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire. Même si Me Klaasen n'a pas témoigné que le fonctionnaire s'estimant lésé l'avait appelé de Charlottetown, j'estime que les détails qu'il a donnés dans son témoignage confirment la validité du relevé d'utilisation du téléphone cellulaire pour le 30 octobre.

[198]    Je conclus donc que la demande de remboursement de frais de voyage que le fonctionnaire s'estimant lésé a soumise pour la période du 25 et du 26 octobre ainsi que pour une partie de la journée du 28 octobre de même que pour les 29, 30 et 31 octobre et le 1er novembre 2002 était frauduleuse.

m)      25 - 27 septembre 2002

[199]    L'itinéraire figurant dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé montre qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 10 h 30 le 25 septembre 2002 pour se rendre à Buctouche et à Moncton, deux localités du Nouveau-Brunswick. Il était à Moncton et à Millbrook le 26 septembre, pour ensuite retourner à Charlottetown le 27 septembre. Il a réclamé le remboursement de son kilométrage, de ses frais d'hébergement privé et de repas ainsi que de ses faux frais, pour une somme de 555,11 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[200]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire de l'intéressé montre que l'appareil se trouvait à Charlottetown les 25, 26 et 27 septembre, les jours indiqués dans le RFV. Ces jours-là, on a fait vingt-deux appels avec ce téléphone, qui en a aussi reçu onze.

[201]    Quand il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies; dans ses notes, on peut lire que le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu : [traduction] « croit avoir laissé son téléphone à la maison, puisqu'il semble que l'appareil n'est jamais sorti de l'île/est allé assister à des réunions - pas toujours avec des membres de la bande, parfois avec des gens de la localité ». Le contenu des notes a été confirmé dans le témoignage de M. Cuthbert.

[202]    Dans ce cas-là, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas admis à M. Cuthbert qu'il avait réclamé le remboursement de frais d'hébergement privé pendant qu'il était resté chez lui. Par conséquent, le seul élément de preuve qui contredise le RFV est le relevé d'utilisation de son téléphone cellulaire, et, là encore, ce relevé peut n'être qu'une indication de l'endroit où le téléphone se trouvait à ce moment-là. Pour les motifs que j'ai exposés auparavant, le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé a décidé de ne pas témoigner peut m'amener à accepter des éléments de preuve non contredits. D'un autre côté, j'accorderais plus de poids à son explication qu'il avait laissé son téléphone cellulaire à la maison si je l'avais entendu témoigner sur ce point. Je prends note aussi du grand nombre d'appels faits avec son téléphone durant la période pertinente, et cela m'incite à penser que c'était plus qu'une utilisation occasionnelle par quelqu'un d'autre que lui.

[203]    Dans l'ensemble, je conclus que la preuve relative à la demande de remboursement de frais de voyage pour la période du 25 au 27 septembre 2002 ne satisfait pas à la norme de clarté voulue pour être convaincante, et je ne peux donc pas affirmer que cette demande était frauduleuse.

n)      17 - 18 septembre 2002

[204]    L'itinéraire inscrit dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 6 h le 17 septembre 2002, à destination de Burnt Church, au Nouveau-Brunswick. Il a eu recours à un hébergement privé cette nuit-là, puis est retourné à Charlottetown le lendemain, soit le 18 septembre. Il a réclamé le remboursement de ses frais de repas et d'hébergement privé, de son kilométrage, des frais de péage sur le pont et des faux frais. Il avait « égaré » le reçu de ses frais de péage. Le remboursement réclamé s'élevait à 465,90 $. La signature du fonctionnaire s'estimant lésé sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[205]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire de l'intéressé montre que l'appareil était à Charlottetown les jours pour lesquels il a réclamé le remboursement de dépenses de voyage, à savoir les 17 et 18 septembre. On a fait trente-deux appels avec le cellulaire, et il en a reçu quatre pendant cette période.

[206]    L'employeur se fonde aussi sur une autre affaire mettant en cause le fonctionnaire s'estimant lésé. Dans une décision rendue par la Commission des droits de la personne de l'Île-du-Prince-Édouard intitulée Ayangma v. French Language School Board of Prince Edward Island, [2003] P.E.I.H.R.P.D. No. 2, le fonctionnaire s'estimant lésé est décrit comme le plaignant. Cette décision est datée du 28 février 2003; on peut y lire que l'audience sur la plainte du fonctionnaire s'estimant lésé a eu lieu [traduction] « du 16 au 18 septembre » 2002, ainsi qu'à d'autres dates.

[207]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies; il a pris des notes dans lesquelles on peut lire que l'intéressé a répondu : [traduction] « hébergement privé = à la maison à Charlottetown/formule remplie de mémoire/n'est peut-être pas retourné/comparution en cour d'à peu près 10 h à midi ». M. Cuthbert a témoigné que [traduction] « retourné » signifiait retourné à Burnt Church, et que la comparution en cour s'entendait de la présence de l'intéressé à l'audience de la Commission des droits de la personne à Charlottetown décrite au paragraphe 206, qui a eu lieu entre 10 h et midi.

[208]    Dans le cas de cette demande de remboursement, le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire n'est pas compatible avec le RFV, puisqu'il donne à penser que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a jamais quitté Charlottetown. En outre, il a admis à M. Cuthbert qu'il était resté chez lui tout en réclamant un remboursement de frais d'hébergement privé. Qui plus est, la décision de la Commission des droits de la personne de l'Île-du-Prince-Édouard le situe à Charlottetown pendant la période pertinente. Enfin, le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu dans ses conversations avec M. Cuthbert qu'il avait comparu devant cette Commission.

[209]    Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas en voyage en service commandé les 17 et 18 septembre 2002, et que la demande de remboursement de frais de voyage qu'il a présentée pour cette période était frauduleuse.

o)      18 - 20 juillet 2002

[210]    L'itinéraire décrit dans le RFV montre que le fonctionnaire s'estimant lésé a quitté Charlottetown en voiture à 16 h 30 le 18 juillet 2002 pour se rendre à Fredericton (Oromocto). Il s'est prévalu d'un hébergement privé cette nuit-là, puis a couché à l'hôtel le 19 juillet, après quoi il est revenu à Charlottetown le 20 juillet. Il a réclamé le remboursement de ses frais d'hébergement privé, d'hôtel, de kilométrage, de péage sur le pont et de repas ainsi que des faux frais, pour un total de 631,16 $. Il a déclaré avoir perdu le reçu de ses frais de péage et il a précisé dans la déclaration de reçus perdus qu'il a remplie et certifiée que le reçu avait été délivré pour un passage le 22 juillet. Quelqu'un a écrit [traduction] « date incorrecte » sur la formule. La signature du fonctionnaire s'estimant lésé sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[211]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire de l'intéressé révèle que l'appareil était à Charlottetown le 18 juillet et qu'on s'en est servi pour faire et recevoir de nombreux appels. Le 19 juillet, le téléphone était encore à Charlottetown; et il y est resté jusqu'à ce qu'on s'en serve pour faire un appel téléphonique de la Nouvelle-Écosse à 15 h 38. L'appareil s'est retrouvé au Nouveau-Brunswick dans la soirée du 19 juillet et il a été utilisé pour faire de nombreux appels à partir de Fredericton le 20 juillet. Le relevé fait état d'un appel à 21 h 45 le 20 juillet, à l'arrivée à l'Île-du-Prince-Édouard.

[212]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a réclamé des frais d'hôtel de 102,35 $ pour le 19 juillet et produit un document où figurent cette somme et le nom de l'hôtel. M. Cuthbert a dit douter que ce document soit un reçu. Il a témoigné qu'il n'y est pas précisé que l'argent a été dépensé, mais simplement que l'hôtel avait en sa possession une somme de 102,35 $.

[213]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies. On peut lire dans ses notes que l'intéressé a répondu : [traduction] « de retour à Charlottetown pour un hébergement privé/quand allé dans la localité pendant que son fils jouait au soccer/basketball/ne se rappelle pas les circonstances pour ça ». M. Cuthbert a confirmé le contenu de ses notes dans son témoignage.

[214]    Dans ce cas-ci, l'employeur se fonde aussi sur une autre affaire mettant en cause le fonctionnaire s'estimant lésé. Dans une décision rendue par la Commission des droits de la personne de l'Île-du-Prince-Édouard intitulée Ayangma v. French Language School Board of Prince Edward Island, [2003] P.E.I.H.R.P.D. No. 2, le fonctionnaire s'estimant lésé est décrit comme le plaignant. Cette décision est datée du 28 février 2003; on peut y lire que l'audience sur la plainte du fonctionnaire s'estimant lésé a eu lieu [traduction] « les 17 et 18 juillet » 2002, ainsi qu'à d'autres dates.

[215]    Le RFV n'est pas compatible avec le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire et, qui plus est, l'admission du fonctionnaire s'estimant lésé à M. Cuthbert le situait à Charlottetown les 18 et 19 juillet alors qu'il avait prétendu être en voyage en service commandé. La décision de la Commission des droits de la personne le situe, elle, à Charlottetown le 18 juillet. Dans ses discussions avec M. Cuthbert au sujet de la demande de remboursement de frais de voyage pour les 17 et 18 septembre, le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu avoir été à l'audience devant la Commission. M. Cuthbert a contesté l'authenticité du reçu d'hôtel du 19 juillet, et il y a aussi un reçu de frais de péage perdu pour une journée au cours de laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas en voyage. Néanmoins, le RFV stipule que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Fredericton le 19 juillet, et le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire le confirme globalement.

[216]    Dans l'ensemble, je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas en voyage le 18 juillet ni la plus grande partie de la journée du 19 juillet 2002, et que, partant, sa demande de remboursement de frais de voyage pour ces deux jours était frauduleuse.

p)      9 - 12 juillet 2002

[217]    L'itinéraire figurant dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 7 h 30 le 9 juillet 2002 pour se rendre à Big Cove, au Nouveau-Brunswick, afin d'y former un coordonnateur des PN [Première Nations]. Il est ensuite allé à Moncton le même jour. Le 10 juillet, il est retourné à Big Cove, puis parti de là pour retourner à Moncton. Le 11 juillet, il s'est rendu de Moncton à Pabineau. Ensuite, le 12 juillet, il est rentré chez lui à Charlottetown. Il a réclamé le remboursement de frais d'hébergement privé pour trois nuitées, plus ses frais de repas, de péage sur le pont, son kilométrage et ses faux frais, le tout totalisant 829,05 $. La signature du fonctionnaire s'estimant lésé sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[218]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé révèle que l'appareil était au Nouveau-Brunswick le 9 juillet, mais qu'il s'est retrouvé à Charlottetown ce soir-là. Il est ensuite resté à Charlottetown les 10, 11 et 12 juillet. On s'en est servi pour faire trente et un appels et pour en recevoir dix-neuf ces jours-là, pendant qu'il était à Charlottetown.

[219]    Quand il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies; il a pris des notes dans lesquelles on peut lire que le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu : [traduction] « revenu à Charlottetown, a demandé le remboursement de frais d'hébergement/n'a pas écrit l'explication sur le devant, c.-à-d. que l'hébergement est moins cher à Moncton ». Le contenu des notes a été confirmé par M. Cuthbert dans son témoignage, et il a expliqué que le fonctionnaire s'estimant lésé et lui avaient parlé d'une déclaration figurant dans la DID [traduction] « *Il est moins cher de se rendre à Moncton et d'opter pour un hébergement privé plutôt que pour l'hôtel dans cette période de l'année* ». M. Cuthbert a dit avoir demandé au fonctionnaire s'estimant lésé qui avait écrit cela; il s'est fait répondre que c'était une autre personne qui avait obtenu l'information de lui.

[220]    Dans cette demande de remboursement, le RFV est compatible avec le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire en ce qui concerne les déplacements dans la journée du 9 juillet. Ensuite, le téléphone cellulaire s'est retrouvé à Charlottetown dans la soirée du 9, puis y est resté du 10 au 12 juillet. Le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé a admis à M. Cuthbert qu'il était resté chez lui tout en réclamant le remboursement de frais d'hébergement privé confirme le relevé d'utilisation de son téléphone.

[221]    Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas en voyage dans la soirée du 9 juillet, ni du 10 au 12 juillet 2002, de sorte que sa demande de remboursement de frais de voyage pour ces jours-là était frauduleuse.

q)      24 - 30 juin 2002

[222]    Dans le RFV, l'itinéraire du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 12 h 30 pour se rendre chez la Première nation Maliseet de Madawaska et la bande Tobique du Nouveau-Brunswick, le 24 juin 2002. Selon le RFV, il est parti pour Ottawa à 17 h le 25 juin, toujours en voiture, pour assister à une réunion de redéploiement de la DGSPNI du 26 au 28. Il est retourné à Charlottetown le 30 juin en s'arrêtant en route pour la nuit à Edmunston, au Nouveau-Brunswick, le 29. Il a réclamé le remboursement de frais comprenant le kilométrage (2 370 kilomètres), le péage sur le pont (en déclarant avoir « perdu » son reçu), l'hébergement privé pour deux nuitées (les 24 et 29 juin), l'hôtel pour trois nuitées (à Hamilton, en Ontario, les 26, 27 et 28 juin) de même que ses repas et ses faux frais, pour un total de 1 919,29 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[223]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé révèle que l'appareil était à Charlottetown toute la journée du 24 juin et toute celle du 25 juin. Le 26 juin, on s'en est servi pour faire un appel de Québec à 11 h 40, après quoi on a fait une série d'appels de villes comme Montréal, Kingston, Toronto et enfin Hamilton (celui-là à 23 h 14 le 26 juin). Le 27 juin, on s'est servi du cellulaire pour appeler de divers endroits en Ontario; l'appareil était à Ottawa pour plusieurs appels entre 7 h 50 et 16 h 16 ce jour-là (vingt-trois appels captés et trois reçus). Dans la matinée du 28 juin, le téléphone était à Hamilton; il y est resté pour plusieurs appels, dont quelques-uns le lendemain 29 juin. Tard cette journée-là, le téléphone a commencé à être transporté vers l'est; il était à Montréal à 22 h 08 le 28. Il est resté dans cette ville (où il a servi à faire quarante et un appels et en a reçu neuf) jusqu'au 2 juillet, quand on l'a utilisé pour faire des appels d'Edmunston, au Nouveau-Brunswick. Le téléphone s'est retrouvé à Charlottetown dans la soirée du 2 juillet.

[224]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies. Dans les notes qu'il a prises, on peut lire que l'intéressé a répondu : [traduction] « allé à Hamilton en voiture/arrivé de nuit/conduit la famille à Hamilton/conduit jusqu'à Ottawa tôt le lendemain matin/censé être à Ottawa pour deux jours [illisible] de réunion une journée, l'autre journée annulée/revenu à Hamilton pour y rester/avait une entrevue à Hamilton ». Ces notes ont été confirmées dans le témoignage de M. Cuthbert, qui a aussi expliqué que l'autorisation globale de voyager qu'on avait donnée au fonctionnaire s'estimant lésé était limitée à la frontière du Québec et que l'intéressé n'avait pas de travail à faire à Hamilton.

[225]    L'employeur s'est aussi fondé sur une autre procédure quasi-judiciaire mettant en cause le fonctionnaire s'estimant lésé. En effet, une décision de la Commission de la fonction publique du Canada (dossier no 02-SHC-00331) porte en effet sur [traduction] « l'appel interjeté par M. Noël Ayangma contre la nomination proposée » d'une autre personne à un poste de directeur exécutif. Le fonctionnaire s'estimant lésé était l'appelant, qui s'était représenté lui-même lors d'une audience tenue le 25 juin 2002 à Charlottetown.

[226]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé est compatible avec la conversation que celui-ci a eue avec M. Cuthbert dans ce contexte, et j'estime que ces deux sources doivent prévaloir sur le RFV. Plus précisément, le fonctionnaire s'estimant lésé a admis avoir conduit sa famille à Hamilton alors qu'il réclamait le remboursement de frais de voyage en service commandé. Le reçu d'hôtel qu'il a produit avec la demande de remboursement confirme lui aussi qu'il était à Hamilton du 26 au 29 juin. La décision de la Commission de la fonction publique confirme pour sa part que le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire de l'intéressé ne ment pas, puisque ce dernier était à Charlottetown le 25 juin alors qu'il prétendait être en voyage en service commandé. Qui plus est, le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'est pas conformé à son autorisation globale de voyager en sortant de la Région de l'Atlantique. Enfin, rien n'indique qu'il y ait eu une réunion à Ottawa et rien non plus ne laisse entendre qu'une telle réunion ait été annulée, contrairement à ce que le fonctionnaire s'estimant lésé a dit à M. Cuthbert.

[227]    Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé ne voyageait pas en service commandé entre le 24 et le 30 juin 2002 et que la demande de remboursement de frais de voyage qu'il a présentée pour cette période était donc frauduleuse.

r)      12 - 13 juin 2002

[228]    L'itinéraire figurant dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 10 h le 12 juin 2002 pour se rendre visiter la bande d'Afton et Wagmatcook, en Nouvelle-Écosse. Il a [traduction] « couché chez un ami » la nuit du 12 juin, après quoi il est retourné à Charlottetown le 13 juin. Il a réclamé le remboursement de son kilométrage (1 663 kilomètres), de ses frais de péage sur le pont (en déclarant avoir « égaré » le reçu), de ses repas et de frais d'hébergement privé ainsi que de ses faux frais, pour un total de 862,30 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[229]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé montre qu'on s'en est servi pour faire des appels de Charlottetown à partir de 15 h 42 le 12 juin. Le téléphone est resté à Charlottetown le reste de cette journée-là, puis toute la journée du lendemain, le 13 juin. M. Cuthbert a témoigné que les kilomètres franchis étaient compatibles avec le voyage faisant l'objet de la demande de remboursement, mais, selon lui, si le fonctionnaire s'estimant lésé était parti à 10 h le 12 juin, comme le stipule le RFV, il n'avait pas eu le temps de couvrir cette distance et de retourner à Charlottetown pour téléphoner de là à 15 h 42 le même jour.

[230]    Quand il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies. Dans ses notes, on peut lire que l'intéressé a répondu : [traduction] « rentré à la maison le soir, puis reparti/le traversier n'est pas toujours à la bonne heure, donc doit faire une analyse coût-avantage du kilométrage/temps ». M. Cuthbert a confirmé ses notes dans son témoignage.

[231]    L'employeur s'est aussi fondé sur un document relatif à une autre affaire judiciaire. Dans un conflit entre le fonctionnaire s'estimant lésé en tant qu'appelant, et Santé Canada ainsi que la Commission de la fonction publique en tant qu'intimés, il avait déposé un affidavit. Sa déclaration a été faite sous serment devant un commissaire à l'assermentation et notaire public de l'Île-du-Prince-Édouard à Charlottetown, dans le comté Queen's de la province de l'Île-du-Prince-Édouard, le 12 juin 2002. C'est « Noël Ayangma » qui a fait la déclaration sous serment, en donnant l'adresse du fonctionnaire s'estimant lésé.

[232]    Cet affidavit confirme le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire, à savoir que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Charlottetown le 12 juin alors qu'il a déclaré avoir été en voyage en service commandé en Nouvelle-Écosse. De même, son admission à M. Cuthbert qu'il était rentré chez lui en soirée le place à Charlottetown.

[233]    Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas en voyage en service commandé les 12 et 13 juin 2002 et que sa demande de remboursement de frais de voyage pour ces jours-là était donc frauduleuse.

s)      12 - 15 avril 2002

[234]    L'itinéraire figurant dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 6 h 15 le 12 avril 2002 (un vendredi) pour se rendre chez la bande de Fort Folly, au Nouveau-Brunswick. Il y est resté jusqu'au 15 avril (un lundi), date de son retour à Charlottetown. Le fonctionnaire s'estimant lésé a réclamé le remboursement de son kilométrage, de ses repas, de ses frais d'hébergement privé ([traduction] « resté chez un ami »), des frais de péage sur le pont et des faux frais, pour un total de 924,56 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[235]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé indique que l'appareil était à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, à proximité de la frontière québécoise, quand on s'en est servi pour faire cinq appels vers midi le 12 avril. Ensuite, on l'a utilisé pour faire vingt appels de divers endroits du Québec, et il a aussi reçu deux appels entre 15 h et 21 h 24 ce jour-là. Les 13 et 14 avril (un samedi et un dimanche), on a utilisé l'appareil pour faire plusieurs appels à partir de Montréal. Le 15 avril, il a été rapporté vers l'est et a servi à faire des appels à partir de l'est du Québec et du Nouveau-Brunswick (dont quatre appels d'Edmundston), pour finir à Charlottetown, où il a été utilisé pour faire un appel à 19 h 41 ce soir-là.

[236]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies. Dans ses notes, on peut lire que l'intéressé a répondu : [traduction] « Allé à Montréal en fin de semaine/kilométrage excessif 1 296 c. 1 062 = 234 km/Montréal ® Edmundston = 533 x 2 = 1 066/aucune différence d'envoyer à la maison/éviter des frais/rencontre rapide/devait aller à Montréal en fin de semaine/arrêté à Edmundston le lundi pour parler aux gens qu'il n'avait pas rejoints le vendredi ». Ces notes ont été confirmées dans le témoignage de M. Cuthbert, qui a aussi déclaré avoir demandé au fonctionnaire s'estimant lésé ce qui en était des appels faits avec son téléphone à Montréal, sans obtenir de réponse.

[237]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire est compatible avec la conversation entre le fonctionnaire s'estimant lésé et M. Cuthbert, qui a révélé que le fonctionnaire s'estimant lésé était à Montréal les 13 et 14 juillet. Cette fin de semaine lui appartenait peut-être, mais il était frauduleux de certifier que le voyage était en service commandé, puis de réclamer le remboursement de frais dans ce contexte. Je conclus aussi que les 12 et 15 juillet étaient des jours de voyage sûrement pas en service commandé. Enfin, l'autorisation globale de voyager du fonctionnaire s'estimant lésé ne s'étendait pas au-delà de la Région de l'Atlantique et ne s'appliquait pas à un voyage au Québec.

[238]    Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas voyagé en service commandé au Nouveau-Brunswick ni au Québec entre le 12 et le 15 juillet 2002, et que sa demande de remboursement de frais de voyage pour cette période était frauduleuse.

t)      5 - 7 avril 2002

[239]    L'itinéraire inscrit dans le RFV du fonctionnaire s'estimant lésé montre qu'il a quitté Charlottetown en voiture à 12 h 10 le 5 avril 2002 pour se rendre chez la bande de Fort Folly, au Nouveau-Brunswick. Il y est resté deux nuitées, les 5 et 6 avril, puis est rentré à Charlottetown le 7 avril. Il a réclamé le remboursement de son kilométrage (290 kilomètres), des frais de péage sur le pont, d'hôtel et de repas ainsi que des faux frais, pour un total de 404,30 $. Sa signature sur la DID certifiait que ces frais avaient été engagés dans le cadre d'un voyage autorisé en service commandé.

[240]    Le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire du fonctionnaire s'estimant lésé montre que l'appareil se trouvait dans des localités du Nouveau-Brunswick compatibles avec l'itinéraire figurant dans le RFV pour les 5, 6 et 7 avril, exception faite de trois appels d'Amherst, en Nouvelle-Écosse, le 5 avril. Amherst n'est pas loin de Fort Folly.

[241]    Le document d'un hôtel produit par le fonctionnaire s'estimant lésé à l'appui de sa demande de remboursement de frais d'hôtel ne portait que sur une nuitée seulement, celle du 5 avril. Dans ce cas-là comme dans celui des autres documents susdécrits, M. Cuthbert doutait qu'il s'agissait bel et bien d'un reçu. Selon lui, le document ne confirme pas que le fonctionnaire s'estimant lésé avait couché à l'hôtel. En outre, il contestait le [traduction] « Groupe » mentionné dans le document, les « Charlottetown Hornets ». Enfin, il a témoigné que ce groupe ne faisait pas partie de Santé Canada.

[242]    Lorsqu'il a interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Cuthbert lui a demandé d'expliquer ces anomalies; on peut lire dans ses notes que l'intéressé a répondu : [traduction] « resté le samedi parce qu'il ne se sentait pas bien/(ramené à une nuitée)/*rencontres en soirée avec la bande de Fort Foley/réunion avec le conseil pour discuter du financement/eu de nombreuses réunions en soirée ». Les notes ont été confirmées par M. Cuthbert dans son témoignage.

[243]    Je conclus que les différences entre le relevé d'utilisation du téléphone cellulaire et le RFV n'ont pas d'importance en ce qui concerne cette demande de remboursement de frais de voyage. La mention des « Charlottetown Hornets » sur le document de l'hôtel est bizarre, mais se prête à plus d'une interprétation. Dans l'ensemble, je conclus que la preuve ne me permet pas de déclarer que la demande de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé pour la période du 5 au 7 avril 2002 était frauduleuse.

F.      CONCLUSION : L'EMPLOYEUR AVAIT-IL DES RAISONS VALABLES
         DE SUSPENDRE ET DE LICENCIER LE FONCTIONNAIRE
         S'ESTIMANT LÉSÉ?

[244]    Je suis saisi de deux griefs, l'un contestant la décision de l'employeur de suspendre le fonctionnaire s'estimant lésé en décembre 2003, et l'autre contestant celle de l'employeur de le licencier le 7 mai 2004.

a)      Suspension

[245]    En ce qui concerne la suspension, le fonctionnaire s'estimant lésé affirme avoir été injustement suspendu sans traitement.

[246]    En réalité, le fonctionnaire s'estimant lésé a appris qu'il était suspendu dans une lettre datée du 3 décembre 2003 portant la signature de quelqu'un d'autre au-dessus du nom de Mme Archer (cette signature n'a pas été identifiée) :

[Traduction]

À la suite de la lettre du 21 novembre 2003 qui vous a été envoyée, je vous écris pour vous informer qu'à compter de maintenant, vous êtes suspendu sans traitement en attendant le résultat de l'enquête menée par le Bureau de la vérification et de la responsabilisation (BVR) d'Ottawa.

L'enquête a pour objet de faire la lumière sur un certain nombre d'anomalies constatées dans vos demandes de remboursement de frais de voyage.

Les enquêteurs du BVR communiqueront avec vous pour fixer un rendez-vous afin de vous interroger. Si vous voulez, vous pouvez être accompagné d'un représentant syndical de votre choix aux rencontres sur les questions à l'étude.

[Le passage souligné l'est dans l'original.]

[247]    Mme Archer a témoigné qu'elle considérait l'enquête sur les demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé comme une affaire très grave. Elle craignait d'exposer l'employeur à des risques si l'intéressé n'était pas suspendu et n'était pas disposée à courir le risque qu'il poursuive des activités comme la présentation de demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage et l'utilisation abusive de ses cartes de crédit, de ses congés et de son téléphone cellulaire. Elle devait faire preuve d'une diligence raisonnable. En sa qualité de directrice régionale par intérim, c'est à elle qu'il incombait de prendre la décision de suspendre le fonctionnaire s'estimant lésé. Elle a témoigné qu'il aurait été réintégré et que sa rémunération intégrale lui aurait été versée rétroactivement si l'enquête n'avait révélé aucune inconduite de sa part. En contre-interrogatoire, elle a admis que la décision de suspendre l'intéressé avait été prise avant qu'elle ne reçoive le rapport du BVR; cela est évident à la lecture de la lettre du 3 décembre.

[248]    On a aussi déposé en preuve le contenu d'une conversation téléphonique que Mme Archer et le fonctionnaire s'estimant lésé ont eue le 2 décembre. À ce moment, le fonctionnaire s'estimant lésé était en congé de maladie; il avait téléphoné à Mme Archer pour lui dire qu'il était prêt à retourner au travail. Il lui avait aussi télécopié une lettre datée du 2 décembre déclarant son [traduction] « désir de retourner au travail », en précisant que c'était [traduction] « Sous réserve d'une réévaluation par [son] médecin ». Au cours de leur conversation du 3 décembre, Mme Archer l'a informé que, s'il retournait au travail, on lui enverrait une lettre de suspension. Le fonctionnaire s'estimant lésé a relaté cette conversation dans une lettre datée du 3 décembre en demandant à Mme Archer de lui envoyer la lettre de suspension; c'est ce qui explique qu'il a reçu d'elle la lettre susmentionnée du 3 décembre. Mme Archer a pris des notes sur cette conversation téléphonique dans les marges de la lettre du 2 décembre que le fonctionnaire s'estimant lésé lui avait télécopiée. À part l'envoi de la lettre de suspension du 3 décembre, la conversation du 2 décembre a eu pour résultat que le fonctionnaire s'estimant lésé allait demander à son médecin une prolongation de son congé de maladie. Il touchait son traitement parce qu'il était en congé de maladie.

[249]    À l'audience, le fonctionnaire s'estimant lésé a interrogé plusieurs témoins sur la politique disciplinaire du Conseil du Trésor, dans laquelle la suspension s'entend du « renvoi temporaire, sans rémunération, du fonctionnaire qui s'est mal conduit ». Une suspension « peut être imposée » pour deux raisons. La première vise à protéger les personnes ou les biens « pendant la durée d'une enquête sur l'inconduite dont on soupçonne le fonctionnaire en question, lorsque sa présence à son poste ne peut être admise ou pourrait nuire à l'enquête ». La seconde a pour but « d'imposer une sanction disciplinaire définitive pour une faute commise par le fonctionnaire ». La suspension (ou « sanction pécuniaire ») est la troisième mesure disciplinaire en ordre de gravité, après la réprimande verbale et la réprimande écrite, mais avant le licenciement. En contre-interrogatoire, Mme Archer a témoigné que la suspension sans traitement n'était pas une suspension disciplinaire en l'espèce.

[250]    Quoi qu'il en soit, je ne suis pas convaincu que la politique du Conseil du Trésor, qui n'est pas incorporée dans la convention collective, me lie les mains dans ma démarche (Buchmann c. Conseil du Trésor (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2002 CRTFP 14, paragraphe 43). Le fait que l'employeur s'est conformé ou pas à une procédure particulière n'a pas d'importance en raison de l'instruction complète du grief devant moi (McIntyre c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-25417 (1994)).

[251]    Pour résumer, je dirai que la preuve dont je suis saisi a établi que Mme Hopkins avait constaté des anomalies dans les demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé, et qu'il refusait de coopérer avec l'employeur pour y remédier. De même, et ce indépendamment de Mme Hopkins, une vérification de routine effectuée à Ottawa avait révélé d'autres anomalies dans ses demandes de remboursement de frais de voyage. La preuve semble avoir démontré que l'employeur n'avait pas d'objection à ce que le fonctionnaire s'estimant lésé soit en congé de maladie, et c'est l'appel téléphonique que celui-ci a fait le 2 décembre qui a cristallisé la décision de le suspendre. Je n'accepte pas l'allégation que l'employeur aurait [traduction] « menacé » de suspendre le fonctionnaire s'estimant lésé s'il retournait à son travail à la fin de son congé de maladie. Qui plus est, dans sa lettre du 3 décembre, l'intéressé a expressément demandé à l'employeur de lui envoyer une lettre de suspension. En outre, et Mme Keays-Whyte en a témoigné, si l'enquête n'avait révélé aucun problème, la suspension aurait été retirée et le fonctionnaire s'estimant lésé se serait fait verser rétroactivement toute la rémunération à laquelle il aurait eu droit. Selon lui, une suspension avec traitement aurait été justifiée, de sorte qu'il prétend que sa suspension sans traitement résultait d'une décision prématurée. Je ne souscris pas à l'idée que les circonstances justifiaient une suspension avec traitement.

[252]    Je conclus que la suspension sans traitement du fonctionnaire s'estimant lésé le 3 décembre était une réaction justifiée compte tenu des circonstances telles qu'elles étaient connues à l'époque.

b)      Licenciement

[253]    Il ressort clairement de l'analyse qui précède des demandes de remboursement de frais de voyage du fonctionnaire s'estimant lésé que l'intéressé a présenté de nombreuses demandes frauduleuses. J'estime que la valeur totale de ces demandes frauduleuses s'élève à 19 586,26 $. Par ailleurs, je l'ai déjà dit, j'ai constaté que quelques-unes des allégations de l'employeur n'avaient pas été prouvées. J'ai donc calculé un montant global nettement inférieur au total estimatif établi par l'employeur, mais la somme demeure substantielle.

[254]    Les circonstances atténuantes qui jouent en faveur du fonctionnaire s'estimant lésé sont ses quelque cinq années de service sans qu'il n'ait écopé de sanctions disciplinaires. En outre, il a reçu au moins une distinction pour son travail (un prix pour excellence d'équipe en juin 2002), et il a joué un rôle actif dans la défense des intérêts des minorités et de l'équité dans la fonction publique. Il n'a ni demandé, ni pris des congés tenant lieu de la rémunération d'heures supplémentaires. Pendant qu'il occupait un poste par intérim, son superviseur a témoigné qu'il lui faisait [traduction] « entièrement » confiance et n'avait aucune raison de douter de lui.

[255]    Cela dit, il faut tenir compte aussi des circonstances aggravantes, la plus importante étant le manque total de remords et l'absence de toute acceptation du fait qu'il s'est mal conduit de la part du fonctionnaire s'estimant lésé. Dans ses conversations avec M. Cuthbert, l'intéressé a reconnu être resté chez lui tout en réclamant des frais d'hébergement privé. À cette exception près, il n'a jamais admis que ses demandes de remboursement de frais de voyage étaient frauduleuses. En fait, lorsqu'on l'a confronté, il a réagi en commençant par refuser de coopérer en fournissant à sa superviseure l'information qu'elle lui demandait. Ensuite, il a demandé qu'une autre personne examine ses demandes de remboursement. Par la suite, quand on lui a présenté les résultats de la vérification de ses demandes, il s'est tout simplement mis très en colère, en tenant des propos intimidants à la réunion de décembre 2003. Pourtant, et c'est significatif, même agité, il n'a jamais nié les allégations de l'employeur.

[256]    Je souligne aussi qu'il ne s'agit pas ici d'un cas d'erreur de bonne foi, ni d'une demande de remboursement de dépenses « gonflées », ce qui constituerait déjà une inconduite assez grave. En l'espèce, le fonctionnaire s'estimant lésé a réclamé le remboursement de frais de voyage qui n'avaient jamais eu lieu et le remboursement de frais de voyage pour des déplacements personnels, par exemple lorsqu'il a pris des vacances avec sa famille, passé un week-end à Montréal ou comparu en cour pour une affaire personnelle. En signant la formule de demande, il certifiait que son voyage était en service commandé et il aurait dû savoir en signant son nom que ses demandes étaient frauduleuses. Force m'est donc de conclure à une préméditation évidente.

[257]    Plutôt que d'assumer la responsabilité de la présentation de ses demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage, le fonctionnaire s'estimant lésé a le sentiment manifeste d'être victime d'une conspiration ou d'une vendetta, ce qui a coloré virtuellement tous les aspects de ses griefs. Son allégation quant au début du complot - à savoir que sa nomination en 1999 avait été sabotée - revient à dire qu'il avait été embauché pour être congédié. Même en faisant abstraction de l'illogisme de cette position, il faut bien reconnaître qu'elle n'est pas étayée par la preuve. Les autres éléments de la théorie du complot dont le fonctionnaire s'estimant lésé prétend avoir été victime ne sont d'ailleurs pas plus étayés, particulièrement son allégation que les demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage auraient été fabriquées d'une façon ou d'une autre par la collusion de fonctionnaires d'Halifax et d'Ottawa. On ne m'a présenté aucune preuve de fabrication de ces documents. Par conséquent, je rejette la prétention du fonctionnaire s'estimant lésé que l'employeur a fabriqué des éléments de preuve pour arriver à un résultat prédéterminé, son licenciement.

[258]    Je dois aussi insister sur le fait que, dans les nombreuses escarmouches sur les questions de preuve et de procédure qui ont eu lieu pendant l'audience sur ses griefs, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que certains témoins de l'employeur [traduction] « mentaient sous serment ». Cette accusation n'est basée sur aucun fait. Elle est aussi incendiaire et extrêmement injuste pour les témoins. Même s'il est évident que le fonctionnaire s'estimant lésé est convaincu de la justice de sa cause, je me dois de conclure qu'elle ne repose sur aucune preuve.

[259]    En résumé, je dirai que le fonctionnaire s'estimant lésé comptait environ cinq années de service au cours desquelles il n'avait écopé d'aucune sanction disciplinaire. Son travail a fait l'objet d'un prix d'excellence, mais cela ne saurait compenser toute son inconduite (Zakoor c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-25882 (1994)). En l'espèce, l'inconduite qu'on reproche au fonctionnaire s'estimant lésé était préméditée, fréquente et très grave; plutôt que d'avoir du remords, il a contesté avec beaucoup d'agressivité les demandes raisonnables d'un l'employeur désireux d'obtenir de l'information sur son inconduite. L'allégation non fondée de complot et le caractère incendiaire de l'approche du fonctionnaire s'estimant lésé dans ce contexte sont des facteurs aggravants (Bristow c. Conseil du Trésor (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), dossier de la CRTFP 166-2-14868 (1985), paragraphe 87). Il est clair aussi que le fonctionnaire s'estimant lésé s'est absenté de son travail sans permission à maintes reprises. Par exemple, il a assisté à une procédure judiciaire alors qu'il aurait dû être au travail (ou demander un congé).

[260]    Enfin, je prends note des décisions rendues par des arbitres de griefs dans d'autres affaires. Ainsi, dans Juneau c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-2-13118 (1982), l'arbitre de grief a maintenu le licenciement d'un fonctionnaire qui avait frauduleusement réclamé le remboursement de dépenses de voyage pour une période de cinq jours. Ce fonctionnaire avait aussi réclamé le remboursement d'une somme excédant le coût réel d'une chambre d'hôtel pour deux autres jours. Dans Pinto c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-2-16802 (1988), le licenciement d'un comptable justifiant de neuf ans et demi de service a été maintenu parce qu'il avait présenté une demande frauduleuse de remboursement de 68,35 $ pour le kilométrage qu'il aurait effectué et pour des contraventions de stationnement. Dans Zakoor, le licenciement d'un fonctionnaire ayant frauduleusement réclamé le remboursement de frais de voyage totalisant 452 $ sur une longue période a aussi été maintenu. Enfin, dans King c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration), dossier de la CRTFP 166-2-25956 (1995) (QL), l'arbitre de grief a maintenu le licenciement d'un fonctionnaire comptant quelque six années de service qui avait frauduleusement réclamé le remboursement de dépenses. Dans ce cas-là, l'arbitre de grief avait conclu que les anomalies figurant dans une demande de remboursement de frais de voyage « pouvaient raisonnablement être attribuées à une erreur honnête, bien que suspecte » (QL). D'autres décisions vont aussi dans le même sens.

[261]    Cette jurisprudence établit un principe auquel je souscris : la présentation de demandes frauduleuses de remboursement de frais de voyage est une très grave infraction pour un fonctionnaire, puisqu'elle revient à frauder le trésor public (Juneau). On peut l'assimiler à un vol, un des actes d'inconduite les plus graves sinon le plus grave dans une relation d'emploi (Pinto, citant Bristow, et Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, First Edition, paragraphe 7:3310). Je le répète, il ne s'agit pas ici d'une erreur de bonne foi ni de la présentation de demandes de remboursement gonflées : le fonctionnaire s'estimant lésé a soumis de nombreuses demandes frauduleuses sur une période de 16 mois, et le total de ces demandes frauduleuses représente une forte somme, sans compter que tout cela était largement prémédité.

[262]    La jurisprudence tend à poser le principe qu'une fraude prouvée appelle la sanction extrême qu'est le licenciement sauf si l'on peut déterminer objectivement que cette sanction serait manifestement injuste ou déraisonnable dans les circonstances (Juneau). La fraude mène habituellement au congédiement à moins de circonstances atténuantes ou de facteurs de mitigation (Pinto). Malheureusement, je n'arrive pas à trouver des circonstances atténuantes ici.

[263]    Enfin, Mme Archer a expliqué dans son témoignage les facteurs dont l'employeur avait tenu compte en décidant de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé. L'employeur savait que l'intéressé n'avait jamais écopé d'une sanction disciplinaire auparavant et savait aussi quelles seraient les répercussions néfastes de sa décision pour la réputation de l'intéressé ainsi que les conséquences financières qu'elle entraînerait pour sa famille. Néanmoins, il était important à ses yeux que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait fait preuve d'aucun remords ni [traduction] « d'aucune réflexion quelconque ». Il a souligné que l'intéressé avait [traduction] « constamment défié » les tentatives de son employeur pour enquêter sur les anomalies constatées. En fin de compte, l'employeur a décidé que le fonctionnaire s'estimant lésé avait touché des frais de voyage auxquels il n'avait pas droit et qu'il n'avait pas déclaré à l'employeur où il se trouvait réellement dans de nombreux cas. C'était extrêmement grave, et l'employeur a pris la décision que le licenciement était une sanction justifiée. Je n'ai rien à contester dans son raisonnement.

[264]    Dans ces circonstances, je ne puis que conclure que l'employeur avait une raison valable de suspendre puis de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé.

[265]    Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

[266]    Les griefs du fonctionnaire s'estimant lésé contestant sa suspension puis son licenciement sont rejetés.

Le 29 mai 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

John Steeves,
arbitre de grief

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