Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé est un vétérinaire responsable de l’usine Larsen Packers Ltd. où il est chargé de faire des évaluations ante mortem et post mortem de porcs envoyés à l’usine pour que soient détectées des anomalies attribuables à des maladies ou blessures pouvant présenter un danger pour la consommation humaine - en mai 2003, le propriétaire de l’usine et les producteurs de porcs se sont plaints de taux de condamnation excessifs et ont à plusieurs reprises exigé que le fonctionnaire s’estimant lésé soit retiré du plancher d’abattage et de l’usine - l’employeur a commencé une enquête interne et ordonné au fonctionnaire s’estimant lésé de se tenir loin du plancher d’abattage jusqu’à ce que l’enquête soit terminée - l’employeur prétendait qu’il n’avait pas considéré comme fautif le fonctionnaire s’estimant lésé et que la décision de lui ordonner de ne pas faire de condamnation finale était administrative et non disciplinaire - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été retiré de son poste de vétérinaire responsable de l’établissement et remplissait d’autres fonctions que l’élimination des animaux - le fonctionnaire s’estimant lésé considérait que la décision de l’employeur de le suspendre de ses fonctions sur le plancher d’abattage était disciplinaire par nature et injustifiée parce qu’aucun blâme ne lui avait été infligé dans les rapports d’enquête - l’arbitre de grief a conclu qu’étaient disciplinaires par nature les suspensions imposées au fonctionnaire s’estimant lésé, quant au fait de condamner des animaux et d’être présent sur le plancher d’abattage - eu égard à l’ensemble des circonstances, l’arbitre de grief a conclu que la décision de suspension prise par l’employeur était injustifiée et il a ordonné que soient supprimés du dossier du fonctionnaire s’estimant lésé les renseignements sur les plaintes et les prétendus taux de condamnation excessifs - le 12 juin 2003, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé une enquête sur l’ingérence dans ses fonctions à l’usine, conformément au paragraphe B12.02 de la convention collective et il a exigé un retour à toutes ses fonctions - aucune enquête n’a été menée par suite de sa demande - au cours de l’audience, l’avocat de l’employeur s’est excusé pour l’employeur relativement au fait que ce dernier n’avait pas répondu à la demande d’enquête du fonctionnaire s’estimant lésé - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté des obligations énoncées dans la convention collective, à savoir << considère les mesures appropriées pour enquêter et prendre des mesures correctrices relativement à toutes plaintes justifiées >> à l’égard de toute prétention d’ingérence fondée - l’arbitre de grief a considéré que les demandes répétitives transmises par les producteurs de porcs et par le propriétaire de l’usine à l’employeur avaient le caractère << du harcèlement et de la coercition >> - ces pressions ont empêché le fonctionnaire s’estimant lésé de remplir ses fonctions pleinement et efficacement - l’arbitre de grief a ordonné à l’employeur de se conformer à la clause B12.02 de la convention collective. Griefs accueillis en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P 35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-05-05
  • Dossiers:  166-32-33258
    166-32-33259
  • Référence:  2006 CRTFP 49

Devant un arbitre de grief



ENTRE

SCOTT FRAZEE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
Frazee c. Agence canadienne d'inspection des aliments

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P–35.

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Léo–Paul Guindon, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Alan H. Phillips, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Harvey Newman, avocat


Affaire entendue à Halifax (Nouvelle–Écosse),
les 5 et 6 juillet ainsi que les 6 et 7 octobre 2005.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Griefs renvoyés à l'arbitrage

[1]   Le Dr Scott Frazee, un vétérinaire travaillant pour l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) chez Larsen Packers Ltd., à Bernwick, en Nouvelle–Écosse, a présenté deux griefs le 27 juin 2003.

[2]   Dans son premier grief renvoyé à l'arbitrage de grief (dossier de la CRTFP 166–32–33258), le fonctionnaire s'estimant lésé disait avoir écopé d'une sanction disciplinaire injustifiée. Le grief se lisait comme suit :

[Traduction]

À la suite d'allégations de Larsen's Packers Ltd./Maple Leaf Foods Inc. (Établissement enregistré 150) et de New Brunswick Pork Producers, le 6 juin 2003, des gestionnaires de la région de la Nouvelle–Écosse m'ont écrit pour m'ordonner de rester hors de l'aire d'abattage jusqu'à ce que le problème en question soit résolu. Cet ordre s'ajoutait à un autre que j'avais reçu le 28 mai 2003, dans lequel un autre gestionnaire de la région de la Nouvelle–Écosse m'ordonnait de ne pas me présenter dans l'aire d'abattage. Avant d'avoir reçu cet ordre, on m'avait aussi ordonné le 8 mai 2003 de ne pas me présenter dans cette aire.

Tous ces ordres m'enjoignaient de cesser mes tâches d'inspection ante–mortem et post–mortem dans cet établissement. Or, ces inspections constituent une importante partie des fonctions de mon poste d'attache de vétérinaire responsable de l'établissement. Les ordres n'ont pas été retirés, même si quatre enquêtes distinctes ont conclu que les allégations que je ne m'acquittais pas correctement de mes fonctions n'étaient pas fondées. Ces ordres et le refus de l'ACIA de me réintégrer dans toutes mes fonctions constituent une sanction disciplinaire injustifiée, étant donné qu'elles équivalent à une suspension. Elles constituent un manquement aux articles A.1.01, A1.02 et B12.02 de la convention collective.

Ces actions des gestionnaires régionaux de la Nouvelle–Écosse de l'ACIA ont grandement sapé mes relations de travail jusque–là harmonieuses avec elle ainsi qu'avec la direction et le personnel de Larsen's, et ma réputation professionnelle en a souffert. De plus, elles ont eu de graves répercussions mentales, émotionnelles et physiques pour ma famille et pour moi.

C'est pourquoi je dépose ce grief.

REDRESSEMENT RÉCLAMÉ

Que la direction de l'ACIA réfute les allégations non fondées faites contre moi par la direction de Larsen's et par Pork Producers of New Brunswick, et que je sois intégralement indemnisé. Que je sois muté dans un poste de VM (Santé des animaux) dans la vallée de l'Annapolis, en Nouvelle–Écosse.

[3]   Le second grief renvoyé à l'arbitrage de grief (dossier de la CRTFP 166–32–33259) concerne une demande du Dr Frazee réclamant une enquête de l'ACIA, en vertu de l'article B12.02 de la convention collective, sur ce qu'il alléguait être une ingérence dans l'exercice de ses fonctions conformément au paragraphe 14(1) de la Loi sur l'inspection des viandes et du paragraphe 24(1), Partie II (Administration et contrôle d'application) de la Loi sur les aliments et drogues. Ce grief se lit ainsi :

[Traduction]

Le 12 juin 2003, en application de l'article B12.02 de la convention collective du groupe Médecine vétérinaire, j'ai demandé par écrit une enquête immédiate sur l'ingérence de Larsen's Packers Ltd./Maple Foods Inc. (Établissement enregistré 150), qui avait porté contre moi des allégations injustifiées et frivoles, ce qui m'a empêché de m'acquitter intégralement de mes fonctions de vétérinaire responsable de cet Établissement. L'ACIA et certains des gestionnaires de la région de la Nouvelle–Écosse n'ont pas répondu à ma demande réclamant une enquête efficace, ni appliqué les mesures correctives qui empêcheraient Larsen's de répéter de telles allégations. Ces refus incompatibles avec l'article susmentionné constituent une ingérence dans mes fonctions par l'ACIA et par certains de ses gestionnaires de la région de la Nouvelle–Écosse, en raison d'actions qui les ont rendus complices de mon harcèlement par Larsen's. En outre, leurs actions étaient incompatibles avec l'article 14(1) de la Loi sur l'inspection des viandes et du paragraphe 24(1), Partie II (Administration et contrôle d'application) de la Loi sur les aliments et drogues . C'est pourquoi je présente ce grief.

REDRESSEMENT RÉCLAMÉ

Que je ne sois plus jamais supervisé par n'importe quel des gestionnaires de la région de la Nouvelle–Écosse qui se sont ingérés dans l'exercice de mes fonctions. Que l'ACIA suspende tous les gestionnaires qui ont participé à cette ingérence jusqu'à ce qu'une enquête ait été menée afin de déterminer pourquoi ils n'ont pas agi conformément à l'article  B12.02.

[4]   Le 1 er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.  En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P–35 (l' « ancienne Loi »).

[5]   Au début de l'audience, Alan H. Phillips, de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) a retiré du premier grief la mention des articles A1.01 et B12.02 de la convention collective (dossier de la CRTFP 166–32–33258).

[6]   L'avocat de l'employeur, Harvey Newman, a présenté par écrit une objection contestant la compétence d'un arbitre de grief pour trancher les allégations d'infraction à la Loi sur l'inspection des viandes ainsi qu'à la Partie II (Administration et contrôle d'application) de la Loi sur les aliments et drogues (pièce E–1, 6 mai 2005). Il a aussi déclaré que le Dr Frazee n'avait pas avancé de faits pouvant justifier une allégation de manquement à l'article B12.02 de la convention collective et que, dans cette mesure, un arbitre de grief n'a pas compétence. M. Phillips a rétorqué que l'objection devrait être rejetée parce qu'il y avait une allégation de manquement à l'article B12.02 de la convention collective dans le grief et que, en ordonnant au Dr Frazee de ne pas se présenter dans l'aire d'abattage, l'employeur lui avait effectivement imposé une suspension, contrevenant ainsi au sous–alinéa 92(1)b)(ii) de l'ancienne Loi (pièce G–2, 10 mai 2005).

[7]   M. Phillips a invoqué les décisions rendues dans Marchand c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP 166–2–25869 et 25870 (1995) et Nolan c. Conseil du Trésor (Santé et Bien–être Canada), dossier de la CRTFP 166–2–25229 (1994) à l'appui de l'argument qu'il avait avancé de vive voix au début de l'audience en réponse à l'objection de Me Newman. Pour sa part, celui–ci a cité la décision dans Gaw c. Conseil du Trésor (Service national de libération conditionnelle), dossier de la CRTFP 166–2–3292 (1978). J'ai pris ces objections en délibéré; j'y répondrai dans mes motifs après avoir entendu l'affaire au fond.

Résumé de la preuve

[8]   Le Dr Frazee avait été affecté par l'ACIA à titre de vétérinaire responsable (VM–1 à l'abattoir de Larsen Packers Ltd. situé à Berwick (Nouvelle–Écosse), en décembre 1997. Le vétérinaire responsable supervise un autre vétérinaire (en l'occurrence le Dr John Ochieng, VM–1) et six inspecteurs de la santé des animaux à l'abattoir en question. Le personnel de l'ACIA est chargé des inspections ante–mortem et post–mortem des porcs de Nouvelle–Écosse et du Nouveau–Brunswick abattus chez Larsen Packers Ltd.

[9]   La description de poste du vétérinaire responsable chez Larsen Packers Ltd. contient le résumé suivant des fonctions du fonctionnaire s'estimant lésé (pièce G–23) :

[Traduction]

Résumé : Sous la direction d'un vétérinaire superviseur, gérer les activités d'inspection à un ou des établissements enregistrés d'abattage ainsi que de traitement et de manutention des produits de viande. Appliquer la législation pertinente, donner des directives, établir des lignes directrices et appliquer la politique à toutes les opérations dans un établissement enregistré. Superviser et contrôler le travail des subordonnés. Entretenir des relations efficaces avec la direction de l'abattoir ainsi qu'avec les autres personnes et organisations œuvrant dans ce secteur de l'industrie de l'alimentation. Réaliser des projets spéciaux et accomplir des tâches liées aux maladies animales et aux autres aspects de l'industrie de la viande.

Domaines de responsabilité

  1. Inspection ante– et post–mortem.
  2. Traitement des opérations et application de la loi.
  3. Gestion et administration.
  4. Vérification et certification des produits de la viande.
  5. Affectations spéciales et relations publiques.

Les activités d'inspection ante– et post–mortem exigent l'application d'activités professionnelles de détection des maladies ainsi que des activités de condamnation et d'autres activités connexes liées aux procédures d'abattage.

[...]

La vérification des produits de viande exige des tests et des prélèvements pour assurer la définition des produits et l'innocuité de la viande. La certification nécessite les assurances et déclarations professionnelles voulues quant à la préparation et à l'exportation des produits de viande.

[...]

[10]   Les inspecteurs effectuent des évaluations post–mortem et ante–mortem des porcs pour détecter les anomalies résultant de maladies ou de blessures susceptibles de rendre la viande impropre à la consommation humaine. Si un porc vivant pose problème, on l'isole jusqu'à ce qu'un vétérinaire fasse l'évaluation définitive. Quand on constate des défauts dans les viscères ou dans une carcasse, elle est retirée de la chaîne d'abattage principale et transportée à la table du vétérinaire pour qu'il puisse procéder à un examen plus poussé. C'est aux vétérinaires qu'incombe la décision finale de condamner la carcasse ou pas; ils doivent aussi produire un rapport d'inspection précisant la maladie justifiant leur décision (pièce G–16). Le Dr Frazee relève du Dr Ken Chew, gestionnaire de l'inspection pour la région de la Nouvelle–Écosse.

[11]   Le 1 er mai 2003, le Dr Chew a reçu un appel de Mike Larsen, propriétaire de Larsen Packers Ltd., au sujet d'une plainte que ce dernier avait reçue de NB Pork, un producteur du Nouveau–Brunswick, contestant ce qu'il considérait comme un pourcentage de condamnations trop élevé. Ce producteur s'était plaint à M. Larsen que la situation lui causait de lourdes pertes financières, en déclarant qu'il allait envoyer ses porcs dans un autre abattoir si le Dr Frazee n'était pas retiré de l'aire d'abattage. À la demande du Dr Chew, M. Larsen lui a envoyé le même jour, par télécopieur, des statistiques à l'appui de ses allégations que le pourcentage de condamnations avait doublé en 2003 et qu'il était deux fois plus élevé chez lui que dans les autres abattoirs (pièce G–8).

[12]   Le Dr Chew a témoigné qu'il avait pris la plainte très au sérieux et que l'ACIA était tenue de tirer l'affaire au clair. Les problèmes devaient être résolus de façon aussi expéditive et crédible que possible.

[13]   Le Dr Chew a envoyé au Dr Frazee un courriel l'informant qu'il souhaitait le rencontrer le 5 mai 2003 pour lui parler des statistiques d'abattage et de condamnation ainsi que des opérations générales (pièce G–6). Le Dr Frazee a reçu copie du message envoyé par télécopieur par M. Larsen; il a déclaré au Dr Chew que l'information figurant dans ce message était trompeuse (pièce G–7). Le Dr Chew et le Dr Peter Scott–Savage (vétérinaire régional) sont allés visiter l'abattoir de Larsen Packers Ltd. en compagnie de ses dirigeants, le 5 mai 2003; ils ont parlé de leurs constatations avec le Dr Frazee.

[14]   Dans son témoignage, le Dr Chew a déclaré que le Dr Frazee avait dit accepter, à la réunion du 5 mai 2003, de ne pas se présenter dans l'aire d'abattage et d'éviter de condamner des porcs tant que le problème n'aurait pas été résolu avec Larsen Packers Ltd. Le Dr Chew a résumé sa version des mesures correctives prises à court terme de la façon suivante, dans son rapport daté du 6 mai 2003 (pièce G–9) :

[Traduction]

[...]

Le Dr Frazee a proposé quelques correctifs à court terme pour résoudre les problèmes suivants :

  1. Le VM travaillant à la table finale ne devrait pas faire de coupes , parce que c'est une tâche réservée à l'abattoir. Cela permettra d'apaiser toutes les inquiétudes quant à des coupes excessives, par exemple. C'est à l'abattoir qu'il reviendra de retirer les parties accusant des défauts ou les parties isolées malades de carcasses qui auraient pu autrement être jugées propres à la consommation humaine.
  2. Qu'il (le Dr Frazee) s'abstiendra de prendre des décisions finales de condamnation cette semaine, puisque l'industrie conteste ses pourcentages de condamnations. J'ai déclaré qu'il devrait s'en abstenir pour deux semaines.
  3. Les échantillons prélevés seront envoyés au laboratoire de l'ACIA de Saint–Hyacinthe ainsi qu'au laboratoire vétérinaire de Truro. J'ai précisé qu'il faudrait envoyer des prélèvements des carcasses condamnées parce que l'animal souffrait de jaunisse, d'anémie ou d'abcès caséeux, par exemple. J'informerai le Laboratoire de Truro que nous pourrions lui envoyer de tels prélèvements en lui demandant son aide.

[...]

[Les caractères gras sont dans l'original.]

[15]   Le Dr Frazee a expliqué dans son témoignage qu'il n'avait pas proposé de s'abstenir d'aller dans l'aire d'abattage pendant une semaine, mais accepté de laisser le Dr Ochieng condamner les porcs de Metz's Hogs (un producteur de NB Pork). Selon lui, il allait devoir éviter le plus possible d'aller dans l'aire d'abattage, en laissant le Dr Ochieng faire la plus grande partie du travail. Pour corroborer son témoignage, il a déposé en preuve les notes qu'il avait prises sur la réunion du 5 mai 2003 (pièce G–25).

[16]   M. Larsen a été informé des mesures correctives à court terme par le Dr Chew. Dans un courriel daté du 5 mai 2003, il a maintenu que le Dr Frazee n'aurait pas dû être dans l'abattoir quand il ne supervisait pas l'abattage, pour éviter des réactions non professionnelles de sa part (pièce E–2). Pour sa part, dans une lettre datée du 7 mai 2003, NB Pork a demandé que le Dr Chew retire le Dr Frazee de l'abattoir de Larsen Packers Ltd. (pièce G–3) :

[Traduction]

[...]

Le Dr Scott Frazee n'était pas censé être dans l'aire d'abattage les derniers jours, et un autre vétérinaire devait être chargé des inspections. Il semble que ce n'ait pas été le cas. Nous savons qu'il était dans l'aire d'abattage et qu'il continue à condamner nos porcs. Cette situation est inacceptable pour nos producteurs, et elle ne peut pas continuer.

Nous demandons que le Dr Scott Frazee soit retiré immédiatement de l'abattoir de Larsen Packer [sic] , ou nos producteurs n'auront d'autre choix que d'envoyer leurs porcs dans un autre abattoir. Aucune autre option n'est acceptable.

[...]

[Les passages soulignés et en caractères gras sont dans l'original.]

[17]   Le Dr Chew a expliqué qu'il n'avait pas l'intention de parler pour le moment des critiques contestant le professionnalisme du Dr Frazee et qu'il ne voyait aucune raison de le retirer de l'établissement de Larsen Packers Ltd. tant qu'on n'aurait pas pris de décision sur la question du pourcentage de condamnations. Il a répondu à NB Pork le 8 mai 2003, en décrivant le plan d'action mis en œuvre par l'ACIA de la façon suivante (pièce G–10) :

[Traduction]

[...]

Les mesures sont les suivantes :

1. Le vétérinaire ne fera pas de coupes, puisque cette tâche appartient à l'abattoir. Vous n'avez donc pas à craindre qu'il ne fasse des coupes excessives.

2. Le Dr Frazee ne sera plus chargé des décisions finales de condamnation pour le reste de cette semaine et pour la semaine prochaine. La situation sera ensuite réévaluée. Certains producteurs ont organisé une rencontre avec le Dr Frazee qui doit avoir lieu le 13 mai. Je compte y assister.

3. On prélèvera des échantillons sur les carcasses condamnées parce que les porcs souffraient de jaunisse ou d'anémie pour faire confirmer cette conclusion en laboratoire. On pourrait aussi en prélever d'autres si c'est jugé nécessaire. J'ai parlé avec le Dr Frazee des carcasses de porcs souffrant de jaunisse ou d'anémie, des pratiques d'alimentation, etc.

4. Avec l'approbation de notre directeur régional, nous prenons activement des mesures pour faire venir de l'Ontario ou du Québec à l'Établissement 150 un vétérinaire spécialisé en hygiène porcine pour vérifier les condamnations ordonnées par nos vétérinaires sur place.

[...]

[18]   La situation avait causé de la pression sur la direction et les employés de Larsen Packers Ltd. ainsi que sur les membres du personnel d'inspection de l'ACIA. Le Dr Chew avait souligné à ces fonctionnaires qu'ils se devaient de garder leur sang–froid et de continuer à faire preuve de professionnalisme, dans un message les informant du problème des pourcentages de condamnations, le 8 mai 2003 (pièce E–3).

[19]   Le 8 mai 2003, M. Larsen s'est de nouveau plaint au Dr Chew que le Dr Frazee était dans l'aire d'abattage, contrairement à la confirmation qu'il avait reçue la veille lui expliquant que le malentendu avec le Dr Frazee avait été réglé et que ce dernier savait qu'il devait s'abstenir d'être là. M. Larsen terminait cette communication en déclarant : [traduction] « À ce stade, aucune autre solution que le retrait immédiat du Dr Frazee de l'Établissement 150 n'est acceptable pour nous » (pièce G–11).

[20]   Le Dr Chew a répondu le jour même à M. Larsen (pièce G–11) pour l'informer que le Dr Frazee avait reçu l'ordre, comme prévu, de ne pas se présenter dans l'aire d'abattage, et qu'il allait obtempérer. Le Dr Chew a aussi déclaré à M. Larsen que :

[Traduction]

[...]

[...] nous nous occupons activement de faire venir d'une autre région à l'Établissement 150 un vétérinaire spécialisé en condamnation des porcs pour faire les corrélations nécessaires. Entre–temps, je vais envoyer d'autres vétérinaires vous prêter main–forte dans toute la mesure du possible, à partir de la semaine prochaine.

[...]

[21]   Le même jour, le Dr Frazee a confirmé par courriel au Dr Chew qu'il obtempérait à son ordre de ne pas aller dans l'aire d'abattage (pièce G–12).

[22]   Le Dr Chew a témoigné que Larsen Packers Ltd. tentait de le pousser à faire ce qu'elle voulait, mais qu'il avait maintenu son plan d'action sans invoquer des facteurs disciplinaires. Stephen Spidle, un inspecteur chez Larsen Packers Ltd. qui était aussi représentant syndical de l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), a fait valoir au président de l'ACIA ainsi qu'aux directeurs régionaux que la plainte de NB Pork était un exemple inacceptable d'intimidation par l'industrie et qu'elle sapait directement l'intégrité et la crédibilité de l'ACIA et de son personnel d'inspection (pièce G–4, 9 mai 2003). Ce jour–là, Gord Duke, un inspecteur chez Larsen Packers Ltd., a exprimé sa solidarité avec le Dr Frazee et tout le personnel d'inspection, en demandant à la direction de l'ACIA de les appuyer et de les soutenir correctement (pièce E–4).

[23]   Le 12 mai 2003, une réunion devait avoir lieu chez Larsen Packers Ltd. entre les Drs Chew et Frazee. Le Dr Chew s'est alors fait dire par le Dr Frazee que son beau–père était décédé et qu'il allait prendre un congé de deuil. Le Dr Shane Hood, représentant de la Région de l'Atlantique au Conseil national du groupe VM pour l'ACIA, a écrit le 12 mai 2003 la lettre suivante à Freeman C. Libby, directeur régional par intérim de l'Agence pour la Nouvelle–Écosse (pièce E–5) :

[Traduction]

[...]

Article D8.02

« LORSQU'ON DEMANDE À UN EMPLOYÉ D'ASSISTER À UNE RÉUNION PORTANT SUR UN SUJET D'ORDR E DISCIPLINAIRE QUI LE CONCERNE, L'EMPLOYÉ A LE DR OIT DE SE FAIRE ACCOMPAGNER À LA RÉUNION PAR UN REPRÉSENTANT DE L'INSTITUT LORSQUE CE DERNIER EST DISPONIBLE. »

Le Dr Frazee est convaincu de s'être fait interdire d'accomplir la plus grande partie de son travail; il estime avoir subi une sanction disciplinaire injustifiée sans qu'on ait prouvé qu'il avait mal agi. Il demande à être désormais représenté par l'Institut à toute future rencontre avec la direction de l'ACIA concernant des sanctions disciplinaires relatives à son emploi actuel ou à la plainte.

[...]

[Les caractères gras sont dans l'original.]

[24]   Le jour même, M. Libby a répondu en ces termes sur la question disciplinaire (pièce E–5) :

[Traduction]

[...]

Deuxièmement, veuillez informer Scott que l'ACIA ne considère pas ceci comme une forme de sanction disciplinaire. J'ai parlé de façon détaillée du problème avec Paul Farrell, et nous estimons qu'il était préférable, dans les circonstances, de faire venir quelqu'un d'autre étudier la situation pour répondre de façon satisfaisante aux questions soulevées par l'industrie. La direction n'a tiré aucune conclusion, et nous continuons à reconnaître que le Dr Frazee est le vétérinaire responsable de l'Établissement 150 et qu'il est un membre apprécié du personnel de la région de la Nouvelle–Écosse.

[...]

[25]   Toujours le 12 mai 2003, Maureen Harper, vice–présidente de l'agent négociateur, a informé le Dr Chew de son opinion sur la situation chez Larsen Packers Ltd. (pièce E–7) :

[Traduction]

Bonjour, Ken. Je vous écris parce que je m'inquiète vivement de ce qui se passe à l'abattoir où Scott travaille depuis plusieurs années. La direction de l'abattoir s'est dite consternée de ses pourcentages récents de condamnations. J'estime que l'ACIA se doit d'enquêter sur les doléances de l'abattoir. Elle pourrait le faire en ayant recours à une équipe nationale de corrélation, comme on le fait lorsqu'il y a des plaintes analogues dans les abattoirs de volailles.

Votre façon de traiter Scott m'inquiète. À mon avis, en le retirant de ses fonctions, vous ne faites pas qu'envoyer le mauvais message à l'industrie — ce qui revient à dire que c'est elle qui vous dicte quoi faire —, vous traitez injustement un de vos employés. Depuis quand n'est–on plus innocent tant qu'on n'a pas été reconnu coupable? Je me suis plus inquiétée encore quand j'ai appris que vous pensez que Scott n'a pas le droit d'être représenté par son syndicat dans cette situation. La direction de l'abattoir et vous–même avez tenté de l'empêcher de s'acquitter de ses fonctions à l'abattoir, et vous pensez qu'il n'a pas le droit d'être représenté par le syndicat?

Les situations de ce genre tendent à devenir bien trop fréquentes à l'Agence. La direction d'un abattoir se plaint à l'ACIA si elle pense qu'un vétérinaire s'acquitte trop rigoureusement de ses fonctions et lui fait subir des pertes, sur quoi l'ACIA retire le vétérinaire de ses tâches pour contenter l'industrie. Et nous avons le front de prétendre que nous sommes un organisme de réglementation!

Cette question est à l'ordre du jour de la réunion du comité de direction national du syndicat qui aura lieu le 16 juin. Je vais m'en occuper personnellement. J'en ai assez de me faire répéter que des vétérinaires travaillant dans des laboratoires se font harceler non seulement par la direction de l'abattoir, mais aussi par l'ACIA. Il faut que ça cesse, parce que, je vous le dis franchement, l'ACIA n'a pas tant de vétérinaires qu'elle peut se permettre de les retirer des abattoirs.

Je vous proposerais d'être très prudent dans ce dossier.

[...]

[26]   Le Dr Chew a expliqué à Mme Harper son plan d'intervention pour désamorcer la situation chez Larsen Packers Ltd. Il lui a aussi dit que demander au Dr Frazee de s'abstenir temporairement d'aller dans l'aire d'abattage n'était pas une mesure punitive, même si personne n'avait été blâmé ou si l'on n'avait pas reconnu qu'il y avait faute (pièce E–7, 14 mai 2003).

[27]   Le 13 mai 2003, le Dr Chew a rencontré un groupe de 13 producteurs de bétail, le président de l'Office de commercialisation du porc du Nouveau–Brunswick et leur vétérinaire–conseil pour les porcins. Il les a informés du projet de faire venir une équipe nationale de « corrélation » ayant de l'expérience en condamnation des porcs qui ferait office de groupe d'experts dans les discussions avec les Drs Frazee et Ochieng. Les Drs Charles LeBlanc (chef, Alimentaire et origine des animaux, Canada Atlantique), Murio St–Jean (spécialiste de programme, Produits de viande, Région de l'Atlantique) et Yves Robinson se présenteraient chez Larsen Packers Ltd. pour faire la « corrélation » et pour analyser les pourcentages de condamnations du Dr Frazee, puis pour présenter un rapport sur leurs constatations (pièces E–8 et G–14).

[28]   Les Drs LeBlanc et St–Jean ont visité l'abattoir en compagnie du Dr Frazee les 21 et 22 mai 2003 pour parler des critères de condamnation. Ils ont constaté qu'on sursignalait deux types d'anomalies, l'anémie et la jaunisse, parce que les carcasses accusaient d'autres problèmes sous–jacents (p. ex. une polyarthrite). Dans ces cas–là, on aurait dû signaler la polyarthrite plutôt que l'anémie ou la jaunisse. Les pourcentages de condamnation pour ces deux problèmes auraient chuté, mais le Dr LeBlanc n'en avait pas moins conclu que cela n'aurait pas changé les statistiques globales de condamnation (pièce G–15). Après cette visite de « corrélation », le Dr Frazee a repris toutes ses fonctions à l'aire d'abattage dans la troisième semaine de mai 2003.

[29]   M. Libby a produit des recommandations qui ont été approuvées le 28 mai 2003 par Cameron Prince, directeur exécutif des Opérations de la Région de l'Atlantique (pièce G–26). Selon M. Libby, les constatations préliminaires des Drs LeBlanc et St–Jean avaient révélé des inconséquences dans les condamnations qui justifiaient une normalisation plus poussée.

[30]   M. Larsen a communiqué alors avec M. Prince pour lui exprimer son mécontentement du retour du Dr Frazee dans l'aire d'abattage, en disant que cela ne devrait pas se faire tant que le problème n'aurait pas été résolu. M. Libby a donc ordonné au Dr Frazee de ne pas aller dans l'aire d'abattage tant que cela n'aurait pas été fait (pièce G–17). Il a aussi parlé de la situation avec le Dr Alan Phillips, un représentant de l'IPFPC (pièce G–26).

[31]   Le 28 mai 2003, dans une communication avec la direction de l'ACIA, le Dr Ochieng se plaignait que sa charge de travail et son stress s'étaient accrus depuis qu'on avait retiré le Dr Frazee de l'aire d'abattage. Il déclarait en outre que personne ne lui avait donné de raison afin d'expliquer pourquoi le vétérinaire responsable n'était pas autorisé à être dans l'aire d'abattage (pièce G–27). Le Dr Chew n'a pas répondu à cette communication.

[32]   Le Dr Frazee considérait l'ordre de ne pas se présenter dans l'aire d'abattage comme du harcèlement et comme une sanction disciplinaire, parce que le rapport du Dr LeBlanc en date du 26 mai 2003 ne le blâmait absolument pas. Une autre enquête a donc été réalisée les 2 et 3 juin 2003, cette fois par les Drs Scott Braden (spécialiste de programme, Viande rouge, de l'Ontario), et Mike Aleong (un vétérinaire régional de l'Ontario) ainsi que par le Dr LeBlanc. Dans le rapport, ils ont conclu que les erreurs d'inscription relatives aux cas d'anémie et de jaunisse avaient été rectifiées. Ils ont aussi parlé de la condamnation des carcasses dans les cas d'abcès multiples, en disant estimer que les décisions du Dr Frazee étaient plus rigoureuses que celles qu'ils auraient prises eux–mêmes. Enfin, ils ont proposé des cours d'éducation permanente pour le Dr Frazee (pièce G–18) :

[Traduction]

[...]

  1. Participation à un atelier pratique sur les viandes rouges avec le Dr Robinson.

  2. Exposition à d'autres établissements d'abattage de porcs, pour avoir des interactions avec d'autres VM de l'ACIA et pour parler avec eux des critères de condamnation.

  3. Conservation d'un texte de référence à jour sur l'hygiène des viandes à l'Établissement 150 ( Meat Hygiene de Gracey, 10e édition, était recommandé).

[...]

[33]   Le 6 juin 2003, le Dr Frazee a été réintégré dans ses fonctions dans l'aire d'abattage. La direction de Larsen Packers Ltd. n'était pas contente; elle en a parlé à Paul Farrell (le directeur régional de la Nouvelle–Écosse). Le jour même, M. Farrell a enjoint au Dr Frazee de ne pas participer aux décisions finales de condamnation chez Larsen Packers Ltd. tant qu'il n'aurait pas eu l'occasion de travailler avec des vétérinaires dans d'autres établissements d'abattage de porcs en Ontario (pièce G–19). Toutefois, à cause de l'épidémie du Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) qui sévissait en Ontario, il n'a pas été possible d'appliquer la recommandation que le fonctionnaire s'estimant lésé travaille avec d'autres vétérinaires de cette province.

[34]   Le Dr Robinson a rencontré M. Farrell ainsi que les Drs Frazee, Chew et Phillips à l'abattoir de Larsen Packers Ltd. à la mi–juin 2003. Il a déclaré de vive voix que rien d'extraordinaire ne se passait et n'a fait aucune allégation contestant le rendement du Dr Frazee. Les tests sur les prélèvements envoyés au laboratoire avaient confirmé 95 % des diagnostics du Dr Frazee; pour les 5 % restants, les résultats n'étaient pas concluants.

[35]   M. Spidle a demandé une mise à jour le 9 juin 2003. Le Dr Chew l'a informé qu'il avait parlé avec la direction de Larsen Packers Ltd., laquelle avait refusé de rencontrer le Dr Frazee. Le Dr Chew tentait d'organiser une visite dans des abattoirs de porcs en dehors des Maritimes (pièce E–9).

[36]   Le 12 juin 2003, le Dr Frazee a demandé qu'on enquête sur l'ingérence dans ses fonctions de vétérinaire responsable chez Larsen Packers Ltd. au cours des sept semaines précédentes, conformemant à l'article B12.02 de la convention collective, en exigeant d'être réintégré dans toutes ses fonctions, y compris la prise de décisions dans l'aire d'abattage (pièce G–24). L'article B12.02 de la convention collective conclue entre l'ACIA et l'IPFPC à l'égard du groupe Médecine vétérinaire (VM) (date d'expiration : 30 septembre 2003) se lit comme suit :

[...]

B12.02  Empêchement d'exercer les fonctions

Si l'on empêche les employés dont les fonctions normales s'exécutent dans les locaux de tierces parties de s'acquitter de leurs fonctions, ou s'ils font l'objet de harcèlement ou d'intimidation au point où ils ne peuvent pas exercer pleinement et efficacement leurs fonctions dans les locaux industriels, les employés rendent compte de la question par écrit à l'Employeur. Celui–ci considère alors les mesures appropriées pour enquêter et prendre des mesures correctrices relativement à toutes plaintes justifiées.

[...]

[Les caractères gras sont dans l'original.]

[37]   On n'a effectué aucune enquête pour donner suite à cette demande du Dr Frazee. Le Dr Chew a témoigné qu'il n'aurait servi à rien de mener une seconde enquête, puisqu'il n'y avait aucune preuve que le personnel de Larsen Packers Ltd. avait empêché le Dr Frazee d'exercer ses fonctions.

[38]   Le 13 juin 2003, le Dr St–Jean a envoyé au Dr Chew une note de service à la suite d'une enquête menée sur place après une plainte de NB Pork et de M. Larsen. Cette note se terminait comme suit (pièce G–5) :

[Traduction]

[...]

Bref, d'après mes discussions avec le Dr Frazee et mon évaluation sur place, j'étais incapable de déceler des différences dignes de mention entre les deux abattoirs (l'Établissement 150 et l'Établissement 95) quant aux critères appliqués pour la condamnation des carcasses ou de parties des carcasses. Ces conclusions sont aussi étayées par les discussions que j'ai eues avec le Dr Ochieng–Mitulla, qui a été formé à l'Établissement 95 et qui travaillait à l'Établissement 150 lors de ma visite là–bas.

J'ai toutefois constaté certaines différences de rapport des points de démérite, résultant de processus opérationnels différents entre les deux établissements. Cela dit, au moment de mon enquête, rien n'indiquait que les producteurs de porcs du Nouveau–Brunswick étaient pénalisés par l'existence de certaines différences opérationnelles entre les deux abattoirs.

[39]   Dans une communication datée du 18 juillet 2003, M. Larsen persistait à dire qu'il se demandait si le Dr Frazee interprétait les conditions de façon compatible avec les normes nationales, ou si son diagnostic était compatible avec ce qui se passait dans le reste du pays. Son courriel se terminait de la façon suivante (pièce G–20) :

[Traduction]

[...]

Même si je suis convaincu que la gravité de la situation est reconnue par tous ceux à qui j'ai parlé (c'est du moins ce que tout le monde m'a dit), je n'ai pas constaté que cela se reflétait dans les mesures prises.

[...]

[40]   Le 25 juin 2003, M. Farrell informait le Dr Frazee qu'il allait conserver son poste de vétérinaire responsable chez Larsen Packers Ltd. et qu'il serait responsable de toutes les fonctions de ce poste (pièce G–21). M. Farrell a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[...]

Une partie des responsabilités de votre poste consiste à coopérer avec les représentants de l'industrie du porc qui sont touchés par vos décisions et à vous assurer que les résultats de votre travail soient bien compris par tous. Vous aurez un grand défi à relever pour rétablir votre relation avec la direction de l'abattoir et avec NB Pork Producers, pour avoir avec eux une relation professionnelle efficiente et efficace et pour gagner leur confiance. Une relation basée sur la confiance entre l'industrie du porc, votre personnel et vous–même à l'Établissement 150 est d'importance critique pour le succès de notre Agence. Si nous voulons aller de l'avant, il est essentiel que ce processus commence dès maintenant.

Afin d'amorcer le processus qui nous fera regagner la confiance de l'industrie, les mesures suivantes doivent être prises. Si votre personnel ou vous–même avez des propositions à cet égard, j'aimerais les entendre.

  1. Quand vous condamnez des carcasses ou des parties de carcasses, validez votre décision en y regardant à deux fois et demandez ce qu'il pense au Dr Ochieng dans les cas douteux. Faites ensuite un prélèvement pour obtenir confirmation par un examen pathologique, dans la plupart des cas, particulièrement lorsqu'il s'agit de jaunisse et d'anémie. Ces mesures seront très utiles quand vous serez appelé à défendre vos décisions, le cas échéant.

  2. Lorsque la direction de l'établissement ou les producteurs contesteront vos décisions, prenez la peine de les leur expliquer courtoisement et franchement.

  3. Si les pourcentages de condamnations que le Dr Ochieng ou vous–même faites excèdent le pourcentage normal, discutez–en avec la direction de l'établissement pour qu'elle soit informée immédiatement.

  4. Ken et moi nous arrangerons pour que vous soyez exposé d'ici peu aux activités dans un autre abattoir de porcs.

[...]

[41]   Le 11 septembre 2003, M. Prince répondait comme suit à la plainte de NB Pork en date du 7 mai 2003 (pièce G–22) :

[Traduction]

[...]

Compte tenu de vos inquiétudes concernant des décisions du Dr Frazee, la direction de l'ACIA a pris les mesures nécessaires pour faire en sorte que son pourcentage de condamnations reflète les normes nationales. Le Dr Frazee demeure le vétérinaire responsable de l'Établissement 150, avec l'appui sans réserve de la direction.

Bien que nous reconnaissions que l'ACIA et les parties dont elle est chargée de réglementer les activités se doivent d'encourager des relations professionnelles productives basées sur le respect mutuel, je dois insister sur le fait que l'ACIA conserve le pouvoir de gestion de son personnel.

Paul Farrell, le directeur régional pour la Nouvelle–Écosse, continue à coopérer tant avec la direction de l'établissement qu'avec le Dr Frazee pour arriver à un règlement à long terme du problème.

[...]

[42]   Dans son témoignage, le Dr Frazee a déclaré qu'il n'existait pas de « pourcentage normal » de condamnations à l'ACIA, ni qu'il y avait une « norme nationale » précise en ce sens. Le pourcentage de condamnations fluctue en fonction de l'état de santé des porcs et du diagnostic établi selon les principes de médecine vétérinaire. Les vétérinaires et les inspecteurs de l'ACIA doivent faire des observations pour constater les problèmes de santé des animaux qui rendent leur viande impropre à la consommation humaine. On ne saurait pas établir de normes nationales sur les pourcentages de condamnations parce que leurs causes sont variables et extrêmement imprévisibles.

Résumé de l'argumentation

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

[43]   Dans ses observations, M. Phillips a récapitulé les faits et répété ses arguments en réplique à l'objection préliminaire de M. Newman. L'employeur a retiré le Dr Frazee de l'aire d'abattage à trois reprises après des allégations d'inconduite avancées par NB Pork et Larsen Packers Ltd. Le Dr Frazee s'est clairement fait enjoindre de ne pas prendre de décisions finales, en dépit du fait que les enquêtes menées par la direction de l'ACIA avaient conclu que ces allégations n'étaient pas fondées. Les mesures que l'employeur a prises à l'endroit du Dr Frazee étaient de nature disciplinaire parce qu'il a été suspendu au sens de l'article 92 de l'ancienne Loi.

[44]   M. Phillips a fait valoir que le sens des mots « suspension » et « suspendre » dans la 5e édition du Black's Law Dictionary comprennent le retrait d'un employé de ses fonctions. En l'espèce, l'employeur a suspendu le Dr Frazee de ses fonctions dans l'aire d'abattage qui étaient liées aux décisions finales de condamnation entre le 5 mai et le 25 juin 2003, ce qui constituait une « suspension » au sens de ce dictionnaire. Dans Marchand (supra), l'arbitre de grief avait conclu que le retrait d'employés de leurs fonctions était une suspension même s'ils continuaient d'être payés.

[45]   Dans Nolan (supra), l'arbitre de grief avait jugé qu'une suspension avec traitement était disciplinaire et partant arbitrable, en vertu de l'alinéa 92(1)b) de l'ancienne Loi. Ce principe devrait être appliqué ici, et la mesure disciplinaire imposée au Dr Frazee devrait être considérée comme non méritée et injuste.

[46]   Les allégations que le Dr Frazee prenait trop de décisions de condamnation étaient sous–jacentes à la suspension, ce qui en démontre la nature disciplinaire. L'ACIA avait fait des enquêtes pour vérifier les critères de condamnation du Dr Frazee, et ces enquêtes n'avaient rien révélé de blâmable. Pourtant, elle lui a enjoint de ne pas se présenter dans l'aire d'abattage après que Larsen Packers Ltd. l'eut demandé.

[47]   Le Dr Frazee s'est fait retirer une importante partie de ses fonctions quand on lui a ordonné d'éviter de prendre des décisions finales de condamnation. Il estime avoir été victime d'ingérence ou d'intimidation par Larsen Packers Ltd. et par les producteurs pour l'empêcher d'accomplir ses fonctions dans l'aire d'abattage. Le 12 juin 2003, il a demandé à l'ACIA d'enquêter sur cette ingérence en vertu de l'article B12.02 de la convention collective, mais l'ACIA n'a jamais donné suite à sa démarche.

[48]   M. Phillips réclame une déclaration que la décision de l'employeur de suspendre le Dr Frazee de ses fonctions dans l'aire d'abattage était de nature disciplinaire et non justifiée. L'arbitre de grief devrait ordonner à l'employeur de retirer tous les renseignements relatifs à ces incidents du dossier du Dr Frazee.

[49]   L'arbitre de grief devrait aussi déclarer que le refus de l'employeur de mener l'enquête réclamée par le Dr Frazee au sujet de l'ingérence de Larsen Packers Ltd. et de NB Pork constituait un manquement à l'article B12.02 de la convention collective et ordonner à l'ACIA de faire l'enquête que le Dr Frazee a réclamée.

Pour l'employeur

[50]   La charge de démontrer que l'employeur a violé la convention collective incombe au Dr Frazee. Dans son premier grief, il n'a pas dit que l'employeur lui avait imposé une sanction disciplinaire. Les allégations lui reprochant un pourcentage de condamnations trop élevé avancées par une partie assujettie à la réglementation de l'Agence devaient faire l'objet d'une enquête par elle, et cette enquête devait tirer les allégations au clair. L'employeur ne pensait pas que le Dr Frazee était le moindrement en faute, et sa décision de lui ordonner de ne pas prendre de décisions finales de condamnation n'était pas disciplinaire.

[51]   Le Dr Frazee n'a pas été retiré de son poste de vétérinaire responsable chez Larsen Packers Ltd.; il a continué à s'acquitter d'autres fonctions que celle de prendre des décisions finales de condamnation durant toute la période visée par le grief. L'employeur a le pouvoir de gestion d'attribuer des fonctions à ses employés et il n'y avait rien de disciplinaire dans sa décision de le faire, compte tenu des circonstances du grief. Le Dr Chew a la responsabilité d'enquêter sur des allégations graves comme celles des producteurs et de Larsen Packers Ltd.

[52]   À partir de sa rencontre du 5 mai 2003 avec le Dr Frazee, le Dr Chew savait que celui–ci avait lui–même proposé de ne pas aller dans l'aire d'abattage durant l'enquête, comme le confirme le courriel du 6 mai 2003. Le Dr Frazee n'avait pas récrit au Dr Chew pour le nier. Il est raisonnable de conclure que, dans ces circonstances, la décision de lui interdire de faire des condamnations durant l'enquête était administrative et non punitive. La direction de l'ACIA avait enjoint au Dr Frazee de ne pas travailler dans l'aire d'abattage en soulignant que ce n'était pas là une mesure disciplinaire, mais plutôt un moyen pour elle d'avoir le temps de résoudre le problème.

[53]   Me Newman a présenté des excuses pour le refus de l'ACIA d'accéder à la demande du Dr Frazee réclamant une enquête sur une ingérence dans l'exercice de ses fonctions. Le 12 juin 2003, cette question n'avait pas encore été tranchée. Le Dr Chew a témoigné qu'il n'aurait servi à rien de mener une autre enquête, puisque rien ne prouvait qu'il y avait eu ingérence dans les fonctions du Dr Frazee.

[54]   L'arbitre de grief ne devrait pas se prononcer sur le bien–fondé d'une réattribution de tâches pour une courte période. Les actions administratives de l'employeur doivent être distinguées des mesures disciplinaires, conformément au principe établi dans Gaw (supra), Nolan (supra) et Marchand (supra). Dans ces décisions, les fonctionnaires s'estimant lésés s'étaient fait ordonner de rester chez eux pendant longtemps, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence.

Réplique du fonctionnaire s'estimant lésé

[55]   Les notes que le Dr Frazee avait prises au sujet de la réunion du 5 mai 2003 corroborent son témoignage qu'il n'avait jamais proposé de rester hors de l'aire d'abattage. Sur ce point, l'arbitre de grief se doit de peser la preuve. Les allégations d'inconduite contre le Dr Frazee de même que les demandes qu'il soit relevé de ses fonctions émanaient de NB Pork et de Larsen Packers Ltd. (pièces G–3 et G–11).

[56]   L'ACIA n'a jamais enquêté sur l'ingérence dans l'exercice des fonctions du Dr Frazee, alors qu'il l'avait demandé le 12 juin 2003. La direction a enquêté sur les allégations qu'il aurait pris trop de décisions de condamnation, mais c'est une question distincte de celle de l'ingérence, qui n'a jamais fait l'objet d'une enquête.

Motifs

Sur le grief contestant la suspension des fonctions

[57]   D'après la preuve qui m'a été soumise, je puis conclure qu'on a enjoint au Dr Frazee de ne pas prendre de décisions finales de condamnation entre le 5 mai et le 25 juin 2003. Plus précisément, il s'est fait ordonner de ne pas condamner de carcasses ni d'être dans l'aire d'abattage de Larsen Packers Ltd. entre ces deux dates, sauf durant le processus de « corrélation » qui s'est déroulé à différentes occasions au cours de cette même période. Ces ordres émanaient du Dr Chew (gestionnaire de l'inspection) les 5 et 8 mai 2003, de M. Libby (directeur régional par intérim pour la Nouvelle–Écosse), le 28 mai 2003, et de M. Farrell (directeur régional pour la Nouvelle–Écosse), le 6 juin 2003. Ce faisant, la direction de l'ACIA a suspendu le Dr Frazee d'une importante partie de ses fonctions, au sens où « suspendre » ou « suspension » s'entendent dans le Black's Law Dictionary (précité) :

[Traduction]

Suspendre. Interrompre; faire cesser un certain temps; différer; retarder ou empêcher; cesser temporairement, en prévoyant une reprise. En tant que forme de punition ou de sanction, interdire à un fonctionnaire, un avocat, un employé ou un ecclésiastique de s'acquitter de ses fonctions ou d'exercer ses fonctions durant une période plus ou moins définie.

Différer, comme une peine. Faire temporairement cesser, dans le cas du travail d'un employé; mettre en disponibilité.

Voir aussi Suspension.

[...]

Suspension. Arrêt temporaire, retard temporaire, interruption ou cessation. On parle donc d'une suspension d'un bref habeas corpus, d'une loi, du pouvoir d'aliénation d'un bien, d'une personne en fonctions, etc.

Radiation temporaire, par exemple des privilèges d'une profession.

Retrait ou cessation temporaire de l'emploi différant d'une cessation permanente résultant d'un retrait; le « retrait » étant toutefois l'expression la plus générale, pouvant à l'occasion inclure la suspension.

[Les caractères gras sont dans l'original.]

[58]   Cette suspension résultait d'allégations de Larsen Packers Ltd., NB Pork et 13 producteurs membres de NB Pork prétendant que le Dr Frazee aurait pris trop de décisions de condamnation. Les allégations ne visaient que le Dr Frazee; le Dr Ochieng n'avait pas été blâmé, pas plus d'ailleurs que les inspecteurs de l'ACIA qui travaillaient à l'abattoir de Larsen Packers Ltd. Certaines allégations non détaillées contestant le professionnalisme du Dr Frazee avaient été ajoutées par M. Larsen à l'allégation qu'il prenait trop de décisions de condamnation, mais ces dernières allégations n'ont pas fait l'objet d'une enquête de la direction de l'ACIA.

[59]   Les Drs Chew et Savage ont fait enquête le 5 mai 2003 sur les allégations d'inconduite. Une deuxième enquête a été menée par les Drs St–Jean et LeBlanc les 21 et 22 mai 2003, après quoi les Drs Barden, Aleong et LeBlanc ont fait une autre corrélation des critères appliqués pour justifier les condamnations les 2 et 3 juin 2003. Enfin, le Dr Robinson a présenté un rapport verbal sur ses constatations après avoir lui aussi mené une enquête, à la mi–juin.

[60]   Les Drs St–Jean et LeBlanc ont signalé dans leur rapport des manques d'uniformité mineurs du diagnostic justifiant la condamnation dans les rapports d'inspection. Ces écarts avaient été corrigés, l'enquête menée les 2 et 3 juin 2003 l'a confirmé. Les échantillons prélevés pour confirmation pathologique, particulièrement dans les cas de jaunisse et d'anémie, confirmaient le diagnostic du Dr Frazee dans 95 % des cas. Jusqu'à sa réintégration dans toutes ses fonctions, le 25 juin 2003, la direction de l'ACIA avait maintenu auprès du Dr Frazee que la décision de le retirer de l'aire d'abattage n'était pas disciplinaire et qu'il n'était absolument pas à blâmer, en dépit des demandes répétées que M. Larsen avait adressées au Dr Chew en réclamant des sanctions disciplinaires.

[61]   M. Spiddle a réagi en tant que représentant de l'agent négociateur; le 9 mai 2003, il a qualifié les allégations de tentatives inacceptables d'intimidation par l'industrie. Le Dr Hood, représentant de l'agent négociateur pour le groupe VM, s'est plaint que la suspension de fonctions était une sanction disciplinaire injustifiée, et il a demandé le 12 mai 2003 que le droit d'être représenté du Dr Frazee soit respecté. Le même jour, Mme Harper, vice‑présidente de l'IPFPC, a répété que les mesures prises par l'ACIA étaient disciplinaires et que des « corrélations » avaient été faites dans des cas de plaintes analogues concernant des abattoirs de volailles sans suspension de fonctions.

[62]   Premièrement, la décision de l'employeur concernait directement le Dr Frazee, alors qu'aucun autre membre du personnel d'inspection affectés à l'abattoir de Larsen Packers Ltd. n'a été visé par des allégations analogues d'avoir condamné trop de carcasses durant cette période. Deuxièmement, le Dr Frazee a été visé par des allégations d'inconduite de façon répétée. Troisièmement, il s'est fait enjoindre à quatre reprises de ne pas s'acquitter d'une importante partie de ses fonctions, et ce en très peu de temps. Quatrièmement, la direction de l'ACIA avait décidé qu'elle ne pouvait pas mener son enquête sur les allégations qu'il prenait trop de décisions de condamnation sans le suspendre d'une importante partie de ses fonctions, en ce qui concernait les évaluations post‑mortem. Dans ces circonstances, je conclus que la suspension interdisant au Dr Frazee de prendre des décisions finales de condamnation et d'être dans l'aire d'abattage entre le 5 mai et le 25 juin 2003 était de nature disciplinaire; l'ACIA a justifié ses décisions en se fondant sur des allégations de pourcentages de condamnations trop élevés.

[63]   La nature disciplinaire de la décision de l'employeur de suspendre le Dr Frazee d'une importante partie de ses fonctions est arbitrable en vertu du sous–alinéa 92(1)b)(i) de l'ancienne Loi, ce qui me donne compétence pour juger le grief.

[64]   La décision disciplinaire de l'ACIA de relever le Dr Frazee de ses fonctions dans l'aire d'abattage entre le 5 mai et le 25 juin 2003 semble ne pas avoir été fondée, si on en croit les quatre « corrélations » réalisées. Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l'ACIA de suspendre le Dr Frazee était injustifiée. Par conséquent, l'employeur devrait retirer du dossier personnel du Dr Frazee tous les renseignements relatifs aux incidents survenus entre le 1 er mai et le 25 juin 2003.

Sur le grief protestant contre l'ingérence dans l'exercice des fonctions du fonctionnaire s'estimant lésé

[65]   Le 12 juin 2003, le Dr Frazee a demandé à l'ACIA d'enquêter sur l'ingérence de Larsen Packers Ltd., qui l'empêchait de s'acquitter intégralement de ses fonctions. La preuve a révélé que la direction de l'ACIA n'a pas accédé à cette demande. D'après le témoignage du Dr Chew, il semble qu'il n'y aurait pas eu lieu de mener une autre enquête en l'absence de preuve manifeste d'ingérence de la direction de Larsen Packers Ltd. dans les fonctions du Dr Frazee.

[66]   Le libellé de l'article B12.02 de la convention collective est pourtant impératif; il impose à l'employeur l'obligation d'envisager « les mesures appropriées pour enquêter et [de] prendre les mesures correctrices relativement à toutes plaintes justifiées » d'ingérence. Il est évident que l'ACIA ne s'est pas acquittée de cette obligation d'enquêter sur la plainte du Dr Frazee accusant NB Pork et la direction de l'établissement de Larsen Packers Ltd. d'ingérence entre le 1 er mai et le 25 juin 2003.

[67]   Me Newman a présenté des excuses au Dr Frazee pour le refus de l'employeur de répondre à sa plainte. Ces excuses sont formulées de telle façon que seule l'absence de réponse écrite est réputée constituer un manquement de l'ACIA, mais ce n'est pas suffisant pour qu'elle puisse prétendre s'être acquittée de ses obligations aux termes de l'article B12.02 de la convention collective, qui impose clairement à l'employeur l'obligation d'enquêter et de prendre des mesures correctives dans tous les cas où les plaintes d'ingérence se révèlent fondées. En l'espèce, l'ACIA aurait dû envisager de prendre les mesures appropriées pour enquêter sur la plainte du Dr Frazee.

[68]   Mme Harper a aussi soulevé dans sa communication du 12 mai 2003 la question du prétendu harcèlement ou intimidation, en déclarant qu'on avait effectué des « corrélations » dans des cas de plaintes analogues dans des abattoirs de volailles en faisant appel à une équipe nationale de « corrélation » sans retirer le fonctionnaire chargé de l'inspection de ses fonctions, ni de l'abattoir lui–même. La direction de l'ACIA aurait dû en tenir compte dans son enquête sur les allégations portées à l'endroit du Dr Frazee. S'il avait pris bonne note de sa plainte d'ingérence, l'employeur aurait pu prendre des mesures plus appropriées pour enquêter sans devoir le relever de ses responsabilités dans l'aire d'abattage.

[69]   Un examen méticuleux des circonstances évoquées par le Dr Frazee dans sa demande fondée sur l'article B12.02 aurait peut–être empêché ce qui aurait pu être une « enquête administrative » de dégénérer en « suspension disciplinaire ». On peut effectuer une corrélation entre le pourcentage de condamnations et les critères à appliquer pour le diagnostic et le rapport de la raison de la condamnation sans pointer quelqu'un du doigt ni le retirer de ses fonctions. Les arguments avancés par le représentant de l'agent négociateur auraient dû ouvrir les yeux de la direction de l'ACIA quant à la nature disciplinaire de ses actions. En retirant le Dr Frazee de ses fonctions dans l'aire d'abattage, elle laissait entendre à l'industrie que le nombre de condamnations du Dr Frazee n'était pas justifié et qu'une inconduite de sa part motivait sa suspension, incitant ainsi M. Larsen à poursuivre ses efforts pour le faire chasser de l'abattoir.

[70]   J'estime que les demandes répétées des producteurs de porcs de l'Office de commercialisation du porc du Nouveau–Brunswick et de M. Larsen, au nom de l'établissement Larsen Packers Ltd., à la direction de l'ACIA étaient assimilables à du « harcèlement » et à de l'« intimidation » au sens de l'article B12.02 de la convention collective. L'objectif expressément déclaré de l'industrie consistait à faire retirer le Dr Frazee de l'aire d'abattage, puis de l'abattoir de Larsen Packers Ltd. Les pressions qu'elle a exercées l'ont empêché de s'acquitter pleinement de ses fonctions avec l'efficacité voulue en ce qui concernait les décisions finales de condamnation dans les locaux de Larsen Packers Ltd. Ces circonstances correspondent aux critères de l'article B12.02 de la convention collective.

[71]   Par conséquent, je conclus que l'employeur n'a pas envisagé les mesures appropriées pour enquêter et prendre des mesures correctives relativement à la plainte d'ingérence du Dr Frazee, manquant ainsi à l'article B12.02 de la convention collective. Même aussi longtemps après l'incident, je pense que la preuve qui m'a été soumise par écrit à l'audience est suffisamment circonstanciée pour conclure que l'employeur aurait dû envisager des mesures appropriées en vue d'enquêter sur la plainte du Dr Frazee et de prendre les mesures correctives réclamées. J'ordonne par conséquent à l'employeur de se conformer à l'article B12.02 de la convention collective.

[72]   Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

[73]   Les griefs sont accueillis dans la mesure suivante :

  • il est ordonné à l'ACIA de retirer du dossier du Dr Frazee tous les renseignements relatifs aux plaintes faites en mai et juin 2003 par NB Pork, NB Swine Producers et Larsen Packers Ltd., ainsi que tous les renseignements concernant son pourcentage de condamnations prétendument excessif;

  • il est ordonné à l'ACIA de se conformer à l'article B12.02 de la convention collective à l'égard de la demande présentée par le Dr Frazee le 12 juin 2003 et d'envisager les mesures appropriées pour enquêter et prendre des mesures correctives relativement à l'ingérence dénoncée.

Le 5 mai 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Léo–Paul Guindon,
arbitre de grief

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