Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé avait un crédit de 35 jours dans sa banque de congé annuel (30 jours pour l’année en cours et 5 jours reportés de l’année antérieure) - il a soumis un calendrier de congé annuel qui prévoyait l’utilisation de 23,75 jours - l’employeur lui a demandé d’épuiser tous ses crédits - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas choisi de dates supplémentaires pour épuiser le solde de ses crédits - l’employeur a fixé les dates auxquelles le fonctionnaire s’estimant lésé devait épuiser le crédit de 11,25 jours de congé annuel qui lui restait - le grief conteste la décision de l’employeur de fixer lui-même les dates supplémentaires de congé annuel du fonctionnaire s’estimant lésé - l’arbitre de grief a conclu que la convention collective ne donnait pas à l’employeur le droit de fixer unilatéralement les dates auxquelles les crédits de congé annuel reportés d’une année antérieure devaient être utilisés - par contre, l’employeur pouvait fixer l’utilisation de crédits de congé annuel acquis pendant l’année en cours - l’arbitre de grief a ordonné à l’employeur de rembourser au fonctionnaire s’estimant lésé le salaire équivalant aux cinq jours de congé annuel reportés de l’année antérieure. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P–35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-07-14
  • Dossier:  166-02-33915
  • Référence:  2006 CRTFP 89

Devant un arbitre de grief



ENTRE

PIERRE LADOUCEUR

fonctionnaire s'estimant lésé

et

Conseil du Trésor
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Ladouceur c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Jean-Pierre Tessier, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Valérie Charette, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur :  Jeff Laviolette, Secrétariat du Conseil du Trésor


(Affaire décidée sans audience)

Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]    Pierre Ladouceur (« le fonctionnaire s'estimant lésé ») travaillait au ministère de la Défense nationale à titre de scientifique au moment où il a déposé un grief en février 2002 relativement à la prise de ses congés annuels. Le grief a été renvoyé à l'arbitrage de grief en mars 2004.

[2]    Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.  En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

[3]    Le 8 juin 2005, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé que son grief soit décidé sur la base de représentations écrites. L'employeur a consenti à cette demande le 17 juin 2005. L'échange de représentations écrites s'est conclu le 8 septembre 2005.

Résumé de la preuve

[4]    Les parties se sont entendues sur les faits qui suivent :

[...]

L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor (Défense nationale) s'entendent à l'effet que les faits suivants concernant le grief de M. Pierre Ladouceur (dossier 166-02-33915) ne sont pas en litige :

  1. Le 4 février 2002, l'employé s'estimant lésé déposait un grief libellé comme suit :

    [Traduction]

    « Je conteste l'ordonnance de fournir des demandes de congés signées pour des journées que je n'ai pas choisies. »

    La mesure corrective demandée était la suivante :

    [Traduction]

    « Rétablir tous les congés en question :

    27 février - 1 mars

    11 mars - 15 mars

    25 mars - 28 mars »

  2. Le grief apparaît à la clause 16.05 de la convention collective du groupe Recherche expirant le 30 septembre 2003.
  3. Au moment de déposer son grief, M. Ladouceur travaillait au ministère de la Défense nationale (MDN) à titre de scientifique de la défense (DS-04) pour le service des contrats de la division des Jeux de la guerre.
  4. M. Ladouceur était à l'emploi du MDN depuis 1969 et avait un statut d'employé embauché pour une période indéterminée.
  5. Au moment de déposer son grief, M. Ladouceur était couvert par la convention collective du groupe Recherche, signée le 12 décembre 2001 et expirant le 30 septembre 2003.
  6. En vertu de l'alinéa 16.02 de la convention collective du groupe Recherche, M. Ladouceur avait droit à six (6) semaines de vacances par année.
  7. L'employé s'estimant lésé a logé au total quatre (4) griefs à l'encontre des demandes de l'employeur au sujet des congés annuels. Les griefs en question comportaient des faits similaires, à quelques exceptions près. Ceux-ci ont été respectivement déposés les 21 juillet 1999, 21 mars 2001, 21 décembre 2001 et 4 février 2002.
  8. Une décision a été rendue le 29 mai 2000 par l'arbitre Joseph W. Potter sur le grief du 21 juillet 1999, décision qui rejetait le grief.
  9. Une décision a également été rendue le 29 mai 2002, toujours par le même arbitre, sur le grief du 21 mars 2001. Ce grief a été entendu selon la procédure d'arbitrage accéléré. Cette décision a aussi rejeté le grief.
  10. Le grief du 21 décembre 2001 avait été mis en suspens au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, en attendant la décision sur le grief du 21 mars 2001. À ce jour, il est toujours en suspens au dernier palier.
  11. C'est le quatrième grief, daté du 4 février 2002 qui fait l'objet du présent renvoi à l'arbitrage.
  12. Pour l'année financière 2001-2002, M. Ladouceur avait un total de sept (7) semaines de congé annuel (six (6) semaines acquises au cours de l'année et une (1) semaine reportées de l'année financière précédente).
  13. Au moment de déposer son grief, M. Ladouceur avait pris vingt-trois jours et trois quarts (23 ¾) de vacances pour l'année 2001-2002.
  14. Le 7 février 2004, M. Ladouceur a pris sa retraite.
  15. Le 10 février 2004, l'employeur rejetait le grief au dernier palier. Cette réponse a été reçue par M. Ladouceur le 19 février 2004.
  16. Le grief a été renvoyé à l'arbitrage le 31 mars 2004.
  17. Les parties se réservent le droit de soumettre des éléments de preuve supplémentaires.

[...]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

Résumé de l'argumentation

[5]    Au cours des dernières années, le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé quatre griefs à l'encontre des demandes de l'employeur. Le présent grief constitue le quatrième et dernier grief de cette série. Le fonctionnaire s'estimant lésé y conteste le fait que, en février 2002, l'employeur voulait l'obliger à épuiser tous ses crédits de congé annuel en le forçant à prendre 11 jours et un quart (11 ¼) de congé annuel en février et mars 2002.

[6]    En novembre 1997, la politique du Sous-chef d'État-major de la Défense portant sur le congé annuel des militaires et des membres de la fonction publique du Groupe du SCEMD et de l'élément de capacité (EC) 4A (la « politique de 1997 ») demandait des employés de soumettre un plan pour l'utilisation de tous leurs congés annuels au cours de l'année financière, en spécifiant des dates exactes.

[7]    Selon le fonctionnaire s'estimant lésé, la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l'Institut professionnel de la Fonction publique du Canada le 12 décembre 2001 pour l'unité de négociation du groupe Recherche ne permettait pas à l'employeur de fixer les dates des congés annuels puisque la politique de 1997 ne rencontre pas les exigences prévues à la convention collective.

[8]    Selon le fonctionnaire s'estimant lésé, l'arbitre de grief doit examiner les questions suivantes :

 

a)

Qu'entend-on par « nécessité du service » ?

b)

L'employeur peut-il invoquer les « nécessités du service » futures (et hypothétiques) pour fixer le congé d'un employé ?

c)

Dans quelles circonstances l'employeur peut-il fixer le congé annuel d'un employé ?

d)

L'employé peut-il, de sa propre initiative, décider de reporter les crédits de congé annuel non utilisés au cours d'une année de référence ?

e)

L'employeur peut-il imposer unilatéralement une limite au report de congés annuels ?

f)

L'employeur a-t-il fait tout effort raisonnable pour respecter les voux de l'employé s'estimant lésé en ce qui a trait au moment et à la durée de son congé annuel ?

[9]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a comparé les versions successives de la convention collective pour expliquer la motivation de l'employeur à émettre une politique relative à la prise de congé et à l'utilisation des crédits accumulés de congé annuel. Ainsi, dans la convention collective antérieure au grief, la clause de report des congés se lit comme suit :

[...]

14.07   Report des congés

a)
Le nombre de jours de congé annuel acquis, mais non utilisés qui peuvent être reportés d'une année de congé annuel à une autre ne doit pas dépasser le nombre maximal de jours de congé annuel que l'employé a le droit d'acquérir pendant une année financière.
b)
Nonobstant la clause 14.07 a), lorsqu'au cours d'une année de congé annuel, l'employé demande des congés annuels qui ne peuvent pas lui être accordés en tout ou en partie en raison des nécessités du service, la partie inutilisée de son congé annuel est reportée à l'année de congé annuel suivante.
c)
Dès la fin de l'année de congé annuel, à la demande de l'employé et avec l'approbation de l'employeur, les crédits de congé annuel acquis, mais non utilisés excédant vingt (20) jours peuvent être payés en espèces au taux de rémunération quotidien de l'employé, calculé selon la classification établie dans le certificat de nomination de son emploi réel le dernier jour de l'année de congé annuel.

[...]

[10]    La convention collective visée par le présent grief stipule ce qui suit :

[...]

16.05 Attribution de congé annuel

Afin de répondre aux nécessités du service, l'Employeur se réserve le droit de fixer le congé annuel de l'employé, mais doit faire tout effort raisonnable pour :

a)
lui accorder le congé annuel dont la durée et le moment sont conformes aux voux de l'employé ;
b)
ne pas le rappeler au travail après son départ pour son congé annuel.

[...]

16.07 Report des congés annuels

a)
Lorsque, dans une année de référence pour congé, tous les congés n'ont pas été attribués, la portion non utilisée de ces congés annuels est reportée à l'année suivante.
b) Épuisement des congés annuels
 
Pendant une année de référence pour congé, les crédits de congé annuel acquis, mais non utilisés doivent, sur demande de l'employé et à la discrétion de l'Employeur, être payés en argent au taux de rémunération journalier de l'employé, calculé selon la classification stipulée dans son certificat de nomination à son poste d'attache le 31 mars.

[...]

[11]    Enfin, la convention collective postérieure au présent grief stipule ce qui suit :

[...]

16.05  Attribution de congé annuel

**

a)
Les employés doivent normalement prendre tous leurs congés annuels au cours de l'année de congé annuel pendant laquelle ils les acquièrent.
b)
Afin de répondre aux nécessités du service, l'Employeur se réserve le droit de fixer le congé annuel de l'employé, mais doit faire tout effort raisonnable pour :
 i
lui accorder le congé annuel dont la durée et le moment sont conformes aux voux de l'employé ;
 ii
ne pas le rappeler au travail après son départ pour son congé annuel.

[...]

16.07 Report et épuisement des congés annuels

a)
Lorsque, dans une année de référence pour congé, tous les congés n'ont pas été attribués, la portion non utilisée de ces congés annuels jusqu'à concurrence de deux cent soixante-deux virgule cinq (262,5) heures est reportée à l'année suivante. Tous les crédits de congé annuel en sus de deux cent soixante-deux virgule cinq (262,5) heures sont automatiquement payées en argent au taux de rémunération journalier de l'employé calculé selon la classification indiquée dans son certificat de nomination à son poste d'attache le dernier jour de l'année de référence pour congé.

[...]

[12]    Selon le fonctionnaire s'estimant lésé, la politique de 1997 mentionne que les conventions collectives stipulent le nombre de crédits de congé annuel qu'un fonctionnaire peut accumuler. Selon lui, cette affirmation est fausse dans le cas de la convention collective applicable au présent grief, car il n'y a pas de limite au report des crédits de congé annuel. L'employeur ne pouvait donc pas imposer une politique limitant le report des crédits de congé annuel en l'absence de stipulation précise de la convention collective en ce sens.

[13]    Relativement à la question de « nécessité du service », le fonctionnaire s'estimant lésé a soutenu que l'employeur se cachait derrière les motifs du besoin de repos des fonctionnaires alors que, en réalité, la politique de 1997 visait à éviter le paiement des crédits inutilisés de congé annuel. Les motifs d'ordre financier diffèrent de la question de la nécessité du service. Ainsi, dans Tremblay c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-17538 (1989) (QL), l'arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[...]

Plusieurs décisions ont étudié l'expression "nécessité du service" et les arbitres ont conclu que cette expression a "trait à la nature du travail requis et non à la nature de l'analyse des dépenses et de la tenue des livres de comptabilité accomplie au bureau central" [...]

[...]

[14]    L'employeur ne pouvait pas invoquer la nécessité du service pour des raisons d'ordre financier ou pour des besoins futurs et hypothétiques, tel qu'évoqué dans l'affaire Power c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP  166-02-17064 (1988) (QL) :

[...]

Il ne serait pas sage de tenter de donner une définition s'appliquant dans tous les cas de ce qui constitue une véritable nécessité du service. En l'espèce, il suffit de dire que les lignes de conduite que l'employeur établit unilatéralement pour des raisons d'ordre financier seulement ne peuvent être considérées comme constituant vraiment une nécessité du service si elles ont pour effet de dénier aux employés les droits qui leur sont reconnus par la convention collective. [...]

[...]

Quoi qu'il en soit, le libellé de l'article 16.04 de la convention collective pertinente me mène à conclure que l'employeur ne pourrait à bon droit refuser de reporter un congé en invoquant les nécessités du service que dans des circonstances exceptionnelles. Comment l'employeur peut-il savoir à l'avance que les nécessités du service l'empêcheront d'accorder un congé qui serait reporté pendant l'exercice financier à venir ? [...]

[...]

[15]    De plus, le fonctionnaire s'estimant lésé plaide dans ses représentations écrites, qu'il pouvait décider de sa propre initiative de reporter ses crédits inutilisés de congé annuel.

[...]

Selon le fonctionnaire, le libellé de cette clause a changé par rapport à ce qu'il était en 1983. À cette époque, la clause 14.07b) stipulait que lorsque "l'employé demande des congés annuels qui ne peuvent pas lui être accordés en tout ou en partie en raison des nécessités du service, la partie inutilisée de son congé annuel est reportée [...]". Il est donc apparent, lorsqu'on compare les deux clauses, que les conditions d'application qui figuraient dans le libellé en 1983 n'apparaissaient plus au moment où l'employé a déposé son grief.

Enfin, comme mentionné plus haut dans la décision Power (supra), l'arbitre semble confirmer le droit des employés de reporter leurs congés inutilisés et souligne que l'employeur conserve toujours le droit de refuser une demande de congé par la suite si celle-ci contrevient aux nécessités du service. Il serait par conséquent erroné de prétendre que seul l'employeur peut décider de reporter des congés annuels en vertu de l'alinéa 16.07a).

[...]

[16]    Dans la présente affaire, l'employeur n'aurait pas fait tous les efforts raisonnables pour respecter les voux du fonctionnaire s'estimant lésé en ce qui a trait à la durée de son congé annuel. Le fonctionnaire s'estimant lésé a choisi des dates de congé annuel et une durée de congé, et ce, pour près de cinq semaines. L'employeur a ajouté d'autres dates de congé, prolongeant ainsi la durée du congé.

[17]    De son côté, l'employeur a soumis ce qui suit :

[...]

Les faits dans la présente affaire démontrent clairement que l'employeur a donné à l'employé s'estimant lésé, plusieurs opportunités pour lui soumettre un calendrier précis de congé annuel, tout en indiquant à quelle date il planifiait prendre ses crédits de congés annuels acquis pour l'année de congé en cours. [...]

Pour l'année financière 2001/2002, M. Ladouceur avait un total de trente-cinq jours (35) de crédits de congés annuels (30 jours de crédits pour l'année de congé en cours et 5 jours reporté de l'année financière antérieure). Il a soumis à l'employeur un calendrier de congé annuel spécifiant qu'il prendrait 23 jours et trois quarts (23 ¾) de congé annuel. Veuillez noter qu'il s'est vu accorder ces journées de congé annuel conformément à sa demande ; de ce fait, les dispositions de la clause 16.05a) ont été respectées.

Toutefois, l'employé s'estimant lésé ne s'est pas conformé aux directives de son employeur, car il n'a pas spécifié de date pour les onze jours et un quart (11 ¼) des crédits de congé annuel restants. Par conséquent, en fonction des nécessités du service, l'employeur a fixé à la fin du mois de février et pendant le mois de mars 2002, les onze jours et un quart (11 ¼) des crédits de congé annuel restants de l'employé s'estimant lésé.

La clause 16.05 de la convention collective est très explicite. Elle autorise l'employeur à fixer les congés annuels à condition de faire tout effort raisonnable pour tenir compte de la demande de congé pour les crédits de congé annuel restants, l'argument présenté par la représentante de l'employé s'estimant lésé concernant « les nécessités de service » n'a pas sa raison d'être.

L'employeur soumet qu'il n'a pas enfreint les dispositions de la convention collective en fixant les congés annuels de l'employé s'estimant lésé. La preuve démontre clairement que l'employeur a fait tous les efforts raisonnables pour accorder à l'employé s'estimant lésé les congés annuels dont la durée et le moment étaient conformes à sa demande. Néanmoins, puisque l'employé s'estimant lésé n'a pas soumis de calendrier de congé pour l'utilisation de ses crédits de congé annuel restant pour l'année en cours, l'employeur s'est prévalu de son droit de fixer les crédits de congé annuel restant selon les nécessités du service.

[...]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

[18]    Dans Ladouceur c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2000 CRTFP 51, concernant le fonctionnaire s'estimant lésé et des faits similaires, l'arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[...]

[66]    Je conclus que le libellé de la convention collective accorde à l'employeur le droit de fixer le congé annuel, mais qu'il doit faire tout effort raisonnable pour accorder le congé annuel dont la durée et le moment sont conformes aux voux de l'employé.

[...]

[19]    En réplique, le fonctionnaire s'estimant lésé a soulevé ce qui suit :

[...]

Le problème réside dans le fait que l'employeur ait forcé l'employé s'estimant lésé à prendre le reste des crédits de congé contenus dans sa banque, soit onze jours et un quart (11 ¼). Avec égards pour l'opinion contraire, nous soumettons respectueusement que l'employeur erre lorsqu'il prétend au premier paragraphe de la page 2 de ses soumissions que "[p]ar conséquent, en fonction des nécessités du service, l'employeur a fixé à la fin du mois de février et pendant le mois de mars 2002, les onze jours et un quart (11 ¼) des crédits de congé annuel restants de l'employé s'estimant lésé." [...]

Le critère des nécessités du service sert en général à refuser un congé, comme souligné par l'arbitre dans la décision Power (166-2-17064), ou encore à fixer la date d'un congé annuel lorsqu'un employé désire prendre son congé, mais ne peut le faire à la date choisie, justement en raison des nécessités du service. Les différentes clauses de la convention collective devant s'interpréter les unes par rapport aux autres, admettre la position de l'employeur viderait de son sens la clause 16.07a) qui permet à l'employé de reporter à l'année suivante la portion non utilisée de ses crédits de congé annuel.

[...]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

[Le passage souligné l'est dans l'original]

Motifs

[20]    L'exposé conjoint des faits et les arguments des parties m'indiquent que le problème soulevé dans le présent dossier se situe dans un contexte particulier. Dans le secteur où travaille le fonctionnaire s'estimant lésé, il y a eu au cours des dix dernières années environ une accumulation des crédits de congé annuel. L'employeur a élaboré une politique visant à promouvoir l'utilisation des crédits de congé annuel au cours de la période où ils sont acquis et à éliminer le report des crédits inutilisés.

[21]    Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de faire référence au texte des conventions collectives antérieure et postérieure pour interpréter l'article 16 de la convention collective applicable au présent grief.

[22]    Dans le présent dossier, le fonctionnaire s'estimant lésé avait droit à six semaines de congé pour l'année en cours. Les crédits d'une septième semaine avaient été reportés de l'année précédente. Pour l'année en cours, le fonctionnaire s'estimant lésé avait demandé 23 jours et trois quarts (23 ¾) de congé annuel. En février, l'employeur lui demande de fournir des dates pour les 11 jours et un quart (11 ¼) restant, dont six jours et un quart (6 ¼) acquis pendant l'année en cours et cinq jours reportés de l'année antérieure.

[23]    Dans un premier temps, examinons si l'employeur peut fixer la prise de congé de cinq jours de crédits de congé annuel reportés de l'année antérieure. La clause 16.07 de la convention collective applicable régit le report des congés annuels et leur épuisement. Cette clause stipule comme suit :

16.07 Report des congés annuels

a)
Lorsque, dans une année de référence pour congé, tous les congés n'ont pas été attribués, la portion non utilisée de ces congés annuels est reportée à l'année suivante.
b)
Épuisement des congés annuels
 
Pendant une année de référence pour congé, les crédits de congé annuel acquis, mais non utilisés doivent, sur demande de l'employé et à la discrétion de l'Employeur, être payés en argent au taux de rémunération journalier de l'employé, calculé selon la classification stipulée dans son certificat de nomination à son poste d'attache le 31 mars.

[24]    Le texte de la convention collective est précis : un crédit de congé annuel qui n'a pas été attribué au cours de l'année est reporté à l'année suivante. C'est le cas pour les cinq jours reportés dans le présent dossier.

[25]    La sous-clause 16.07b) de la convention collective applicable au présent grief prévoit un seul mode d'épuisement des congés. À la demande du fonctionnaire, et à la discrétion de l'employeur, les crédits de congé annuel peuvent être payés en argent au taux de rémunération journalier du fonctionnaire. Ce mode unique d'épuisement des crédits accumulés de congé peut, à première vue, sembler limitatif et difficile à appliquer. Cependant, en pratique, le fait que l'employeur ait toute discrétion pour payer des crédits de congé annuel peut forcer les parties à s'entendre sur une utilisation des crédits de congé à défaut de paiement. Toutefois, conclure que la clause 16.07 a un caractère incitatif n'empêche nullement qu'elle a une portée réelle et ne lui enlève pas son caractère fonctionnel, ce qui confirme que les parties n'ont pas stipulé pour ne rien dire. Cette analyse me porte à conclure que l'employeur ne pouvait unilatéralement fixer la prise des cinq jours de crédits reportés de congé annuel.

[26]    Il reste à examiner le cas des six jours et un quart (6 ¼) de crédits de congé annuel de l'année en cours. La question en litige est l'application de la clause 16.05 de la convention collective relative à l'attribution de congé annuel. Cette clause se lit comme suit :

16.05 Attribution de congé annuel

Afin de répondre aux nécessités du service, l'Employeur se réserve le droit de fixer le congé annuel de l'employé, mais doit faire tout effort raisonnable pour :

a)
lui accorder le congé annuel dont la durée et le moment sont conformes aux voux de l'employé ;
b)
ne pas le rappeler au travail après son départ pour son congé annuel.

[27]    Pour comprendre la procédure applicable à l'attribution de congé annuel, il faut se référer à l'ensemble des dispositions de l'article 16. Pour des fins de compréhension, nous pouvons résumer le texte comme suit :

16.01

La période de référence pour le congé annuel est du 1e avril au 31 mars.

16.02

Le fonctionnaire acquiert des crédits de congé.

16.04

Le fonctionnaire a droit à des congés annuels payés selon les crédits qu'il a acquis.

16.05

Le fonctionnaire peut prendre un congé annuel dont la durée et le moment sont conformes à ses voux.

16.07

Lorsque, dans une année de référence pour congé, tous les congés n'ont pas été attribués, la portion non utilisée de ces congés annuels est reportée à l'année suivante.

[28]    Dans la convention collective applicable au grief, la clause 16.05 prévoit que l'employeur accorde un congé annuel dont la durée et le moment sont conformes aux voux du fonctionnaire. La clause 16.07 prévoit que les congés non attribués (non accordés) sont reportés à l'année suivante.

[29]    Le report de crédits de congé annuel n'est pas une pratique d'attribution de congé, mais plutôt la conséquence de l'impossibilité d'accorder les congés demandés par le fonctionnaire. La stricte obligation de l'employeur est de respecter les voux du fonctionnaire. Ces voux s'expriment par la mention d'une durée et d'un moment. Ainsi, le fonctionnaire s'estimant lésé doit spécifier une durée (ex. cinq jours) et un moment (ex. du 4 au 8 juin).

[30]    Dans le présent cas, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas précisé de durée et de moment pour son congé; il a refusé d'indiquer une durée et un moment pour la prise des six jours et un quart (6 ¼) de congé annuel et a préféré les reporter.

[31]    Le fonctionnaire s'estimant lésé se réfère à Power relativement à la question de la nécessité du service. Je crois qu'il y a intérêt à citer quelques passages de cette décision :

[...]

Il ne serait pas sage de tenter de donner une définition s'appliquant dans tous les cas de ce qui constitue une véritable nécessité du service. En l'espèce, il suffit de dire que les lignes de conduite que l'employeur établit unilatéralement pour des raisons d'ordre financier seulement ne peuvent être considérées comme constituant vraiment une nécessité du service si elles ont pour effet de dénier aux employés les droits qui leur sont reconnus par la convention collective.

[...]

Quoi qu'il en soit, le libellé de l'article 16.04 de la convention collective pertinente me mène à conclure que l'employeur ne pourrait à bon droit refuser de reporter un congé en invoquant les nécessités du service que dans des circonstances exceptionnelles. Comment l'employeur peut-il savoir à l'avance que les nécessités du service l'empêcheront d'accorder un congé qui serait reporté pendant l'exercice financier à venir ?

[...]

[32]    Dans Power, l'arbitre de grief mentionne des nécessités du service et des raisons financières qui auraient « [...] pour effet de dénier aux employés le droit qui leur est reconnu par la convention collective ».

[33]    Comme je l'ai indiqué précédemment, le report de crédits inutilisés de congé annuel n'est pas un droit, mais une conséquence de l'impossibilité d'utiliser tous les crédits de congé annuel. Il n'y a donc d'autre choix que de les payer ou de les reporter.

[34]    Dans le présent cas, aucune nécessité du service n'a empêché la prise de congé annuel. Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas indiqué à l'employeur à quel moment et pour quelle durée il souhaitait utiliser le solde de ses crédits de congé annuel. L'employeur n'a pas invoqué la nécessité du service pour brimer les droits du fonctionnaire s'estimant lésé. En fait, en janvier, il lui a indiqué qu'aucune nécessité du service n'empêchait le fonctionnaire s'estimant lésé d'indiquer une durée et un moment de prise de congé annuel en février ou mars.

[35]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a dénoncé dans son grief que l'employeur allait à l'encontre de l'article 16 de la convention collective. L'employeur a indiqué au fonctionnaire que les nécessités du service en février et mars permettaient que le fonctionnaire choisisse le moment et la durée de la prise dans la portion non utilisée de ses crédits de congé annuel. Le fonctionnaire s'estimant lésé a refusé d'indiquer un moment et une durée. L'employeur a attribué un moment et une durée de jours de congé. Dans ces circonstances, le fonctionnaire s'estimant lésé ne peut invoquer sa propre turpitude et dénoncer le fait que l'employeur ne respecte pas ses voux, puisque c'est lui-même qui refuse d'indiquer le moment et la durée de prise de congé annuel.

[36]    Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

[37]    Le grief est accueilli en ce qui concerne les cinq jours de crédits reportés de congé annuel que l'employeur a obligé le fonctionnaire s'estimant lésé à prendre contre son gré. J'ordonne à l'employeur de payer au fonctionnaire s'estimant lésé, au taux de rémunération journalier de ce dernier immédiatement avant sa retraite, l'équivalent de cinq jours de congé annuel.

[38]    Le grief est rejeté en ce qui concerne les six jours et un quart (6 ¼) de congé annuel inutilisés dans l'année où ils ont été acquis et dont le moment et la durée ont été fixés par l'employeur.

Le 14 juillet 2006.

Jean-Pierre Tessier,
arbitre de grief

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