Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésées occupaient des postes classifiés aux groupe et niveau PM-01 - elles réclamaient de la rémunération provisoire à un niveau de classification supérieur - elles avaient effectué de 50 à 55 % des fonctions d’un collègue occupant un poste classifié aux groupe et niveau CR-05 - l’arbitre de grief a conclu qu’elles n’avaient pas satisfait à l’exigence de la convention collective suivant laquelle elles auraient dû exercer << [...] une grande partie des fonctions d’un employé-e d’un niveau de classification supérieur [...] >> Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P–35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-06-16
  • Dossiers:  166-02-33100 à 33102
  • Référence:  2006 CRTFP 75

Devant un arbitre de grief



ENTRE

MONIQUE BEAUDRY, NICOLE GRAVELLE ET PIERRETTE LEBLANC

fonctionnaires s'estimant lésées

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

employeur

Répertorié
Beaudry et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Jean-Pierre Tessier, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésées :  Laurent Trudeau, avocat

Pour l'employeur :  Stéphane Hould, avocat


Affaire entendue à Ottawa, Ontario,
les 26 et 27 septembre 2005.

Grief renvoyé à l'arbitrage

[1]    Monique Beaudry, Nicole Gravelle et Pierrette Leblanc (les « fonctionnaires s'estimant lésées ») travaillent comme agentes d'aide à la clientèle au ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences. Leur classification est aux groupe et niveau PM-01.

[2]    À l'automne 2000, les fonctionnaires s'estimant lésées constatent que le salaire des groupe et niveau CR-05 est réajusté à un niveau supérieur au leur, et ce, rétroactivement au 27 juillet 1998. Elles prétendent effectuer des fonctions de traitement de dossiers semblables à celles effectuées par des fonctionnaires aux groupe et niveau CR-05 et déposent donc en octobre 2000 trois griefs demandant à l'employeur de leur verser le salaire des groupe et niveau CR-05 depuis le 27 juillet 1998.

[3]    Il y a eu divers échanges entre les parties relativement à des possibilités de médiation et d'arbitrage accéléré. Après de longs délais, les griefs ont été renvoyés à l'arbitrage le 7 janvier 2004 et l'audience a eu lieu en septembre 2005. 

[4]    Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.  En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

Résumé de la preuve

[5]    Au début de l'audience, l'employeur souligne que toute question relative à la classification de postes est hors de la compétence d'un arbitre de grief. Cette remarque de l'employeur n'a pas fait l'objet de discussions puisque le grief de chacune des trois fonctionnaires s'estimant lésées porte sur une demande de rémunération.

[6]    Les fonctionnaires s'estimant lésées demandent à être rémunérées à un niveau supérieur, soit CR-05, parce qu'elles auraient exécuté une grande partie des fonctions de postes classifiés à ces groupe et niveau depuis le 27 juillet 1998. L'arbitre de grief doit donc vérifier si l'alinéa 64.07a) de la convention collective conclue par le Conseil de Trésor et l'Alliance de la fonction publique du Canada le 16 mai 2000 relativement à l'unité de négociation du groupe Services des programmes et de l'administration donne droit à leurs prétentions. L'alinéa 64.07a) se lit comme suit :

64.07

a)
Lorsque l'employé-e est tenu par l'Employeur d'exécuter à titre intérimaire une grande partie des fonctions d'un employé-e d'un niveau de classification supérieur et qu'il ou elle exécute des fonctions pendant au moins trois (3) jours de travail ou postes consécutifs, il ou elle touche, pendant la période d'intérim, une rémunération d'intérim calculée à compter de la date à laquelle il ou elle commence à remplir ces fonctions, comme s'il ou elle avait été nommé à ce niveau supérieur.
 

[…]

[7]    Mme Beaudry explique que dans ses fonctions d'agente d'aide à la clientèle, elle doit rencontrer des clients de l'assurance-emploi et des clients du Programme de la sécurité du revenu (PSR). Le PSR diffère de l'aide sociale. Le PSR traite de sécurité de la vieillesse, de suppléments garantis, d'allocation de survivant, etc.

[8]    Mme Beaudry indique que, en 1998-1999, il y a eu une fusion entre Santé et Bien-être social Canada et les centres d'emploi, de sorte qu'on retrouve maintenant dans les mêmes équipes de travail des employés venant de l'assurance-emploi et d'autres venant de Santé et Bien-être social Canada. Mme Leblanc vient de l'assurance-emploi et a reçu de la formation sur le PSR. À l'inverse, Mme Gravelle vient de Santé et Bien-être social Canada et a complété sa formation en assurance-emploi. Pendant la période visée par les griefs, les trois fonctionnaires s'estimant lésées travaillaient avec Carol Danis qui s'occupait uniquement du PSR.

[9]    En 1996, l'employeur décide de doter des postes d'agents d'aide à la clientèle aux groupe et niveau PM-01. Dans l'avis de dotation des postes (pièce F-1), on insiste sur deux volets : d'une part, le service à la clientèle (entrevue de classification de situation, recherche d'information et classification des faits) et d'autre part, l'expérience en traitement de demandes. Par la suite, la rémunération des trois fonctionnaires s'estimant lésées est rajustée aux groupe et niveau PM-01. Elles traitent alors de dossiers d'assurance-emploi et de PSR.  Cependant, M. Danis demeure classifié aux groupe et niveau CR-05 et traite uniquement de dossiers dans le cadre du PSR. La rémunération de M. Danis est alors inférieure à celle des fonctionnaires s'estimant lésées d'environ 1 000 $ annuellement.

[10]    À la suite d'une entente intervenue entre l'employeur et l'agent négociateur des fonctionnaires s'estimant lésées en 2000, les fonctionnaires classifiés aux groupe et niveau CR-05 ont vu leur rémunération être majorée, et ce, rétroactivement au 27 juillet 1998. Ce réajustement inversait la situation, car, à compter de ce moment, M. Danis (CR-05) recevait environ 1 000 $ de plus par année que chacune des trois fonctionnaires s'estimant lésées.

[11]    Les fonctionnaires s'estimant lésées déposent divers documents (pièces F-4, F-6, F-8 et F-10) pour démontrer les démarches qu'elles ont effectuées pour faire reconnaître qu'elles exécutaient des tâches similaires à celles des postes classifiés aux groupe et niveau CR-05 et, notamment, qu'elles s'occupaient de dossiers dans le cadre du PSR et du traitement de dossiers d'assurance-emploi.

[12]    En août 2000, on informe Mme Beaudry que des employés classifiés aux groupe et niveau PM-01 qui vont à Gatineau, Québec, pour faire du traitement de dossiers à temps plein dans le cadre du PSR (lors de remplacements ou d'un surcroît de travail) seront rémunérés aux groupe et niveau CR-05. Mme Beaudry considère que, dans ses tâches quotidiennes, elle effectue non seulement de l'entrée de données, mais aussi du traitement de dossiers et que, en conséquence, elle et les deux autres fonctionnaires s'estimant lésées devraient être rémunérées aux groupe et niveau CR-05. En ce sens, Mme Beaudry envoie un courriel à l'employeur le 16 août 2000 (pièce F-5). Le 19 septembre 2000, l'employeur répond qu'il ne peut accepter cette demande.

[13]    Mme Gravelle corrobore le témoignage de Mme Beaudry. Mme Gravelle ajoute qu'elle avait indiqué à l'employeur que sa description de travail ne faisait pas mention de son traitement de dossiers dans le cadre du PSR et du traitement de dossiers d'assurance-emploi. L'employeur lui aurait répondu que, même si on tenait compte de ces tâches, la classification de son poste demeurerait inchangée. Mme Gravelle estime qu'elle consacre plus de la moitié de son temps au traitement de dossiers.  Il est vrai qu'elle reçoit des clients, recueille de l'information, entre des données, mais elle s'occupe aussi du traitement de dossiers.

[14]    La situation change en février 2001, car, à cette date, l'employeur a transmis un avis indiquant ce qui suit : « [d]ans le cadre de la mise en ouvre progressive du service de première ligne (PSR), les agents des CRHC de Gatineau n'effectueront plus de transactions dans la base de données de la Sécurité de la vieillesse. » Ainsi, la comparaison possible entre les groupes et niveaux PM-01 et CR-05 couvre la période du 27 juin 1998 au 6 février 2001.

[15]    Selon les fonctionnaires s'estimant lésées, elles ont effectué pendant le période visée une grande partie des tâches de leurs collègues des groupe et niveau CR-05. De fait, leurs tâches consistent, d'une part, au traitement de dossiers dans le cadre du PSR et, d'autre part, au service à la clientèle dans le cadre de l'assurance-emploi, à l'entrée de données et au traitement de dossiers.

[16]    Manon Courcelle, directrice de la prestation de service, indique que, de 1998 à 2001, il y avait des agents d'aide à la clientèle à Hull, à Gatineau de même qu'à Maniwaki. À la suite des revendications des fonctionnaires s'estimant lésées, Mme Courcelle a demandé qu'on réévalue la description de travail de celles-ci en tenant compte du fait qu'elles effectuaient du traitement de dossiers. Un consultant en classification a conclu que le fait de tenir compte du traitement de tels dossiers ne modifie pas l'évaluation de leurs postes. Cette conclusion (pièce E-2) est acceptée en 2002, donc postérieurement aux griefs, mais avant que ceux-ci soient renvoyés à l'arbitrage de grief.

[17]    Compte tenu du fait que les griefs des fonctionnaires s'estimant lésées portaient sur l'exécution de fonctions similaires à celles effectuées pas des fonctionnaires classifiés aux groupe et niveau CR-05, Mme Courcelle a fait un relevé des périodes de travail et des tâches accomplies du 1er avril 1998 au 26 novembre 1998 (pièce E-5). La compilation effectuée (pièce E-5) démontre que M. Danis a traité 1 146 dossiers dans le cadre du PSR alors que les fonctionnaires s'estimant lésées en ont traité entre 454 et 522 chacune. Selon Mme Courcelle, cet échantillonnage est significatif et démontre que le traitement de dossiers dans le cadre du PSR représente moins de 40 % du temps de travail de ces dernières.

[18]    Pour avoir un meilleur aperçu de la situation, Mme Courcelle a préparé un relevé des tâches exécutées par les fonctionnaires s'estimant lésées en 1999 et 2000 (pièce E-6). Cette compilation démontre que le temps qu'elles ont passé avec les clients dans le cadre du PSR représente de 30 à 40 % environ de leur temps de travail.

[19]    Relativement au fait que certains agents d'aide à la clientèle classifiés aux groupe et niveau PM-01 sont rémunérés au taux des groupe et niveau CR-05, Mme Courcelle indique que ce sont des fonctionnaires qui acceptent volontairement de temps à autres de travailler à temps plein au traitement de dossiers.

[20]    En contre-preuve, Mme Beaudry a témoigné pour commenter les relevés (pièces E-5 et E-6) préparés par Mme Courcelle. Mme Beaudry souligne que, souvent, pour faciliter l'accès aux clients, elle entre des données à la fin de ses heures de travail ou le lendemain. Elle estime qu'elle consacre au PSR et au traitement de dossiers de 50 à 60 % de son temps de travail.

[21]    Diane Mutchmore est agente en ressources humaines. Son témoignage porte sur les descriptions de tâches. Elle souligne qu'il y a eu des ébauches de travail, mais rien d'officiel.

Résumé de l'argumentation

[22]    Les fonctionnaires s'estimant lésées soulignent que leur description de travail était inexacte puisqu'on n'y fait pas mention du travail qu'elles font dans le cadre du PSR. Selon elles, une partie de leurs fonctions n'est pas comptabilisée.

[23]    Renvoyant à la décision Beaulieu et al. c. Conseil du Trésor (Cour fédérale du Canada), 2000 CRTFP 76, les fonctionnaires s'estimant lésées soulignent qu'un fonctionnaire n'est pas tenu d'accomplir toutes les fonctions d'un poste de niveau supérieur, mais qu'il suffit qu'il exécute une grande partie des fonctions de ce poste pour avoir droit à de la rémunération intérimaire.

[24]    De son côté, l'employeur souligne que la description de travail des fonctionnaires s'estimant lésées ne justifie pas un changement de classification même si on y ajoute les fonctions qu'elles exécutent dans le cadre du PSR et le traitement de dossiers. De plus, l'arbitre de grief n'a pas compétence pour régler des questions de classification.

[25]    L'employeur souligne que la jurisprudence établit qu'il incombe aux fonctionnaires s'estimant lésées de démontrer qu'elles accomplissaient une grande partie des fonctions d'un poste de niveau supérieur. Or, la preuve présentée par Mme Courcelle indique que les fonctionnaires s'estimant lésées accomplissaient moins de 40 % des tâches attribuées aux groupe et niveau CR-05, ce qui est loin d'être suffisant.

Motifs

[26]    La partie qui dépose un grief de rémunération intérimaire a le fardeau de la preuve.  Il lui incombe de démontrer qu'elle accomplit en grande partie les fonctions d'un poste de niveau supérieur.

[27]    Les fonctionnaires s'estimant lésées ont indiqué qu'elles accomplissaient des tâches similaires à celles de leurs collègues de travail classifiés aux groupe et niveau CR-05. Il est vrai qu'il y a chevauchement entre leurs fonctions et celles de M. Danis. Une grande différence repose cependant sur le fait que M. Danis accomplit la totalité de ses tâches dans le cadre du PSR.

[28]    Dans Bungay et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2005 CRTFP 40, l'arbitre de grief, indique ce qui suit :

[…]

[71]Tel que noté dans Moritz c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 147, la jurisprudence indique clairement que le chevauchement de certaines responsabilités avec celles d'un échelon supérieur ne fait pas en sorte que le travail accompli équivaille à l'exécution, en grande partie, des tâches correspondant à une classification supérieure.

[…]

[29]    Dans le présent cas, la preuve de l'employeur est prépondérante. Le relevé du temps de travail des fonctionnaires s'estimant lésées révèle qu'elles accomplissent moins de 40 % des tâches de M. Danis. Elles ne consacrent donc qu'une partie de leur temps à des fonctions attribuées aux groupe et niveau CR-05. Cependant, pour le reste du temps, selon leur témoignage, elles estiment faire du travail aux groupe et niveau CR-05 puisqu'elles effectuent du traitement de dossiers.

[30]    Concernant cet aspect, on doit retenir que la partie des tâches des fonctionnaires s'estimant lésées qui est comparable à celles de M. Danis est le traitement de dossiers. En effet, elles ne prétendent plus effectuer en grande partie un travail similaire à celui de leur collègue depuis février 2001. La directive de l'employeur de l'époque (pièce F-3) prévoit que les agents du CRHC de Gatineau n'effectueront plus de transactions dans le base de données de la sécurité de la vieillesse.

[31]    La preuve des fonctionnaires s'estimant lésées concernant cet aspect du traitement de dossiers est peu convainquante. Elles conviennent passer beaucoup de temps en entrevue et a entrer des données. Elles indiquent aussi passer du temps à traiter des dossiers même à la fin de leur journée de travail et en dehors des heures régulières de travail. Je conclus que ces tâches n'ajoutent que quelque 10 à 15 %  d'élément comparable au travail de leur collègue classifié aux groupe et niveau CR-05. Donc, 40 % du temps de travail dans le cadre du PSR et 10 à 15 % du temps de tâches comparables à celles d'un fonctionnaire classifié aux groupe et niveau CR-05 ne peuvent correspondre à l'exigence d'accomplir une grande partie des fonctions d'un poste de niveau supérieur.

[32]    Il est vrai que les fonctionnaires s'estimant lésées n'ont pas à démontrer qu'elles accomplissent toutes les fonctions attribuées aux groupe et niveau CR-05 mais qu'elles les accomplissaient en grande partie. Aussi, dans l'affaire Bégin et al. c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), dossiers de la CRTFP 166-02-18911 à 18917 (1990) (QL), l'arbitre de grief fait droit à un grief de rémunération provisoire parce que les fonctionnaires passaient plus de 70 % de leur temps de travail à effectuer des fonctions d'un poste de niveau supérieur. Dans le présent cas, nous sommes bien loin de ce pourcentage.

[33]    Il est vrai que l'employeur a reconnu que, dans le cas où des fonctionnaires classifiés aux groupe et niveau PM-01 acceptaient de travailler à temps plein au traitement de dossiers dans le cadre du PSR, ils étaient rémunérés aux groupe et niveau CR-05.  Encore là, je ne vois pas comment je pourrais traiter de la même façon les fonctionnaires s'estimant lésées alors qu'elles ne font pas une grande partie du travail d'un poste de niveau supérieur.

[34]    Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

[35]    Les griefs sont rejetés.

Le 16 juin 2006.

Jean-Pierre Tessier,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.