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Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

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  • Date:  2006-06-21
  • Dossier:  561-02-00102
  • Référence:  2006 CRTFP 76

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique



ENTRE

ASSOCIATION INTERNATIONALE DES MACHINISTES ET DES TRAVAILLEURS DE L'AÉROSPATIALE ET SECTION LOCALE 147 DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES TRAVAILLEURS CORRECTIONNELS FÉDÉRAUX

plaignantes

et

SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeur

et

UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS - SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - CSN

intervenant

Répertorié
Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux c. Service correctionnel du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION (no 2)

Devant :  Dan Butler, commissaire

Pour les plaignantes : Susan Ballantyne, avocate

Pour le défendeur : Richard Fader, avocat

Pour l'intervenant : John Mancini, avocat


Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 17 mars et le 19 avril 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)


Plainte devant la Commission

[1]   Le 27 février 2006, l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et la section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux (« les plaignantes ») ont déposé auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la Commission ») une plainte fondée sur l'alinéa 190(1)g) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) contre Service correctionnel du Canada (« le défendeur » ou « SCC »). Les plaignantes allèguent que le défendeur s'est livré à une pratique déloyale au sens de l'article 185 de la nouvelle LRTFP, et qu'il a tout particulièrement enfreint l'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP en refusant de permettre aux plaignantes d'utiliser ses installations pour la distribution du courrier aux agents correctionnels.  À l'audience, les plaignantes ont aussi fait valoir que le défendeur avait enfreint l'alinéa 186(1)b) de la nouvelle LRTFP en faisant preuve de distinction illicite à l'égard d'une organisation syndicale.

[2]   À la suite des discussions préliminaires à l'ouverture de l'audience, le 17 mars 2006, les parties ont présenté leur preuve et leurs arguments à la Commission, le 19 avril 2006. Le UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS - SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - CSN (« UCCO-SACC-CSN »), ayant la qualité d'intervenant, a présenté des arguments de vive voix. À la suite d'une entente conclue au préalable avec les plaignantes et le défendeur, j'ai rendu une décision « embryonnaire » à l'intention des parties, le 1re mai 2006, appelée décision no 1, qui apportait les conclusions suivantes :

[...]

Le refus du défendeur de livrer le courrier des plaignantes aux agents correctionnels, à leur lieu de travail, pourrait être qualifié, pris isolément, d'intervention dans la formation d'une organisation syndicale au sens de l'alinéa 186(1)a) de la LRTFP.  Cependant, j'estime que ce refus ne constitue pas une infraction à la LRTFP parce que le défendeur pourrait raisonnablement croire que l'activité en question représente une tentative d'une organisation syndicale, pendant les heures de travail normales, d'amener les employés à adhérer à une organisation syndicale, une activité qui, sans l'autorisation de l'employeur, est interdite en vertu du paragraphe 188a) de la LRTFP.

Je conclus également que la preuve dans cette affaire n'est pas suffisante pour établir que les mesures prises par le défendeur constituent une distinction illicite à l'égard d'une organisation syndicale au sens de l'alinéa 186(1)b) de la LRTFP.

Par conséquent, les plaignantes n'ont pas établi qu'il y a eu pratique déloyale de travail au sens de l'article 185 de la LRTFP.

Je note que la plaignante renvoie également à une violation de la Loi sur la Société canadienne des postes.  À l'audience, les plaignantes n'ont pas fait valoir qu'il y avait eu violation de la Loi sur la Société canadienne des postes et je ne me prononce pas sur cet élément.

[...]

La plainte a donc été rejetée.

[3]   La deuxième partie de la décision porte, tel que convenu, sur les motifs de ma décision concernant la demande de qualité d'intervenant du UCCO-SACC-CSN, et contient un résumé de la preuve et de l'argumentation, ainsi que les motifs complets de la décision finale.

Qualité d'intervenant

[4]   Le 17 mars 2006, le personnel de la Commission a écrit au UCCO-SACC-CSN en mon nom afin d'attirer son attention sur les documents entamant les présentes procédures et sur les dispositions de l'article 14 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79 (« le Règlement ») qui prévoit ce qui suit :

[...]

14. (1) Quiconque a un intérêt substantiel dans une affaire dont la Commission est saisie peut demander à celle-ci d'y être ajouté à titre de partie ou d'intervenant.

(2) Après avoir donné aux parties l'occasion de présenter leurs observations à l'égard de la demande, la Commission peut ajouter le demandeur à titre de partie ou d'intervenant.

[...]

[5]   Le UCCO-SACC-CSN a écrit, le 21 mars 2006, afin de demander d'intervenir dans la plainte aux motifs que toute décision dans cette affaire aurait nécessairement une incidence sur les droits et obligations de l'agent négociateur en place. Le 27 mars 2006, le personnel de la Commission a répondu en demandant au UCCO-SACC-CSN de préciser ses motifs avant le 31 mars 2006, conformément au paragraphe 15(1) du Règlement :

[...]

15. (1) La Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie ou d'un intervenant, demander que les renseignements figurant dans un document déposé par une autre partie ou un autre intervenant soient complétés ou précisés.

[...]

Le personnel de la Commission a aussi demandé aux plaignantes et au défendeur de transmettre leurs commentaires concernant la demande de qualité d'intervenant, avant le 9 avril 2006.

[6]   Le 23 mars 2006, les plaignantes ont indiqué qu'elles entendaient contester la demande de qualité d'intervenant. Le 27 mars 2006, les plaignantes ont suivi avec une lettre faisant valoir que le UCCO-SACC-CSN n'avait pas une connaissance directe du conflit, qu'il ne pouvait pas aider la Commission à trancher la question et que sa présence à l'audience comme intervenant pourrait compliquer les procédures et leur causer un préjudice.

[7]   Le 28 mars 2006, le UCCO-SACC-CSN a argué, pour motiver sa demande d'intervention, que, dans le cadre d'une plainte liée à une campagne de syndicalisation ciblant le UCCO-SACC-CSN, il serait « dangereux » que la Commission refuse d'accorder la qualité d'intervenant au UCCO-SACC-CSN.

[8]   Le défendeur a indiqué, le 31 mars 2006, qu'il ne présenterait pas d'observations sur la question.

[9]   Je juge la réponse de UCCO-SACC-CSN inutile aux fins de la demande fondée sur le paragraphe 15(1) du Règlement. Dans sa lettre du 26 mars 2006, le UCCO-SACC-CSN indique seulement que la Commission serait confrontée à un « danger » si elle ne décidait pas en faveur de sa demande, compte tenu du contexte de la plainte. Le UCCO-SACC-CSN n'a pas donné de détails au sujet de la nature du danger et n'a fourni que des explications brèves et indirectes de l'intérêt qu'il pourrait apporter à l'audience. Tout particulièrement, le UCCO-SACC-CSN n'a rien fourni qui pourrait faire croire qu'il aurait apporté des renseignements spéciaux ou supplémentaires pouvant aider la Commission.

[10]   Par conséquent, il serait tentant de rejeter une demande si peu étayée, n'eut été le fait que, comme la plupart des observateurs l'auraient instinctivement compris, une mesure liée à une campagne de syndicalisation visant à déloger le UCCO-SACC-CSN comme agent négociateur concerne, pratiquement par définition, l'intérêt substantiel de l'agent négociateur en place. Lors de l'examen de la demande, j'ai noté le fait que le UCCO-SACC-CSN n'a pas participé à l'audience ayant mené à la décision antérieure de la Commission dans Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux c. Service correctionnel Canada, Conseil du Trésor et Don Graham, 2005 CRTFP 50. La première plainte mettait en cause les mêmes parties principales et la même campagne de syndicalisation, mais la nature de la situation que devait examiner la Commission à ce moment était, selon moi, différente de celle que je dois étudier dans la présente plainte. À mon avis, l'essence et la substance de la première décision touchent davantage, me semble-t-il, le droit individuel des employés de porter des casquettes et des épinglettes des plaignantes que le droit collectif réclamé par une organisation syndicale. Même si les droits individuels en cause étaient clairement liés aux intérêts des plaignantes, la Commission a, dans la première affaire, formulé la question comme portant sur la liberté des employés d'exprimer individuellement leur préférence quant à l'agent négociateur les représentant dans leur milieu de travail. Je n'ai pas conclu que l'effort de l'employeur en vue de limiter cette liberté constituait une intervention dans la formation d'une organisation syndicale. En revanche, les détails de l'affidavit des plaignantes en l'espèce portent à croire que l'activité au cour de la plainte est plus clairement associée aux droits et aux intérêts collectifs rattachés à des organisations syndicales qu'à une demande faite au nom d'employés individuellement. Si ce n'est que pour ce motif, j'ai conclu qu'il serait plus prudent d'accorder la qualité d'intervenant au UCCO-SACC-CSN afin de lui permettre d'affirmer et de défendre, au besoin, ses intérêts substantiels dans le cadre du règlement de la plainte.

[11]   Par conséquent, je conclus que le UCCO-SACC-CSN s'est acquitté du fardeau d'établir qu'il avait un intérêt substantiel dans ces procédures, malgré des observations peu étoffées. J'aimerais également préciser, pour mémoire, qu'on ne m'a pas convaincu que les plaignantes subiraient un préjudice à l'audience du fait de la présence de l'intervenant, comme elles le prétendaient. Il ne fait guère de doute que les intérêts des plaignantes et ceux de l'intervenant ne concordent pas, mais cela est normalement le cas lorsqu'une organisation syndicale tente d'en déloger une autre. À mon avis, cette décision est peu susceptible de nuire à la capacité des plaignantes de présenter leur preuve et de plaider leur cause.

[12]   Lorsqu'elle accorde la qualité d'intervenant à une tierce partie, la Commission a le pouvoir discrétionnaire de déterminer les paramètres de sa participation à l'audience. Dans la présente situation, comme l'intervenant éventuel n'a pas manifesté son intention de présenter de preuve et que rien ne permet de croire que les parties principales ne seraient pas en mesure de fournir l'information requise, et compte tenu de la crainte exprimée par les plaignantes que la présence d'un intervenant ne complique l'audience, j'ai décidé de limiter le rôle de l'intervenant lors de l'audience à la présentation d'un argument final de vive voix.

Résumé de la preuve

[13]   Les plaignantes et le défendeur ont convenu de vive voix de certains faits fondamentaux au début de l'audience. Les plaignantes n'ont pas jugé opportun de produire d'autres éléments de preuve par des témoignages directs. Pour sa part, le défendeur a fait comparaître deux témoins. Les plaignantes ont alors fait entendre un troisième témoignage en guise de réfutation. Les parties ont présenté neuf pièces qui ont été versées au dossier de la Commission et sont disponibles pour consultation.

[14]   Les plaignantes et le défendeur ont convenu des faits suivants. La Commission a reconnu que les plaignantes constituaient une organisation syndicale au sens de la nouvelle LRTFP. Les plaignantes mènent une campagne de syndicalisation en vue de devenir l'agent négociateur d'une grande unité de négociation d'envergure nationale composée des agents correctionnels au service du défendeur. Il s'agit de la troisième plainte déposée par les plaignantes dans le cadre de leur campagne de syndicalisation. La Commission a tranché en faveur des plaignantes dans la première plainte. Aucune date d'audience n'a encore été fixée pour leur deuxième plainte contestant le prétendu refus de l'employeur de mettre en application la première décision. Trois déclarations écrites d'employés confirment la pratique du défendeur de permettre aux employés de recevoir du courrier personnel à leur lieu de travail (pièces C-1, C-2 et C-3). Au nom du défendeur, Don Head a donné comme consigne aux directeurs de ne pas distribuer l'envoi postal des plaignantes qui est au cour de la présente audience. Le défendeur a plutôt retourné la majorité des envois à l'administration centrale des plaignantes. Trois lettres du défendeur aux plaignantes témoignent de cette mesure (pièces C-4, C-5 et C-6).

[15]   Diane Lacelle, le premier témoin du défendeur, est fonctionnaire depuis 1977 et compte plus de dix ans d'expérience à SCC. Elle occupe présentement le poste de directrice générale des relations du travail, un poste classé aux groupe et niveau EX-02. Mme  Lacelle gère 39 postes équivalents à temps plein à l'administration centrale de SCC et travaille sous la direction du commissaire adjoint aux ressources humaines.

[16]   Mme  Lacelle a été mis au fait de l'envoi lorsque la région du Québec de SCC lui a demandé quoi faire des boîtes d'enveloppes adressées aux agents correctionnels que les établissements de la province avaient reçues. Un exemple de lettre contenue dans les enveloppes a été envoyé par télécopieur à Mme  Lacelle.

[17]   Le même matin, Mme  Lacelle a reçu un courriel de Don Head, sous-commissaire principal, demandant conseil au sujet de l'envoi postal. Mme  Lacelle a compris que la majorité des 54 établissements de SCC à travers le pays avaient également reçu l'envoi, en lots, en piles, dans des boîtes ou sous forme de courrier individuel.

[18]   Mme Lacelle a déclaré qu'à sa connaissance, il n'y avait jamais eu, par le passé, d'envois en nombre de ce type destinés aux employés dans leur lieu de travail. Certaines pièces de correspondance d'une organisation syndicale auraient peut-être pu se « glisser », mais ce à l'insu de l'employeur ou avant qu'il ne s'en rende compte. L'envoi des plaignantes était sans précédent et coïncidait avec un contexte sensible de négociation en vue de conclure une nouvelle convention collective qui durait déjà depuis près de quatre ans.

[19]   Le principal souci de la direction est que les activités des organisations syndicales au lieu de travail ne nuisent pas au service et à la capacité de l'employeur d'assurer la sécurité dans les établissements de SCC, pour les détenus et pour le personnel. La direction souhaite également être une partie neutre qui n'intervient pas dans les activités syndicales légitimes.

[20]   En ce qui concerne l'envoi postal des plaignantes, la direction était préoccupée en raison de son volume et de sa nature, du travail supplémentaire qu'il faudrait pour le distribuer et de la complexité de son contenu qui risquait de distraire le personnel recevant la lettre de leurs tâches quotidiennes pendant les heures de travail. Ces distractions soulèvent des questions de sécurité parce que les interruptions peuvent nuire au rendement au travail du personnel correctionnel assumant des fonctions essentielles liées à la sécurité. Lorsqu'on lui a demandé si les appréhensions de la direction demeureraient les mêmes s'il était possible de livrer le courrier après les heures de travail, Mme  Lacelle a répondu que SCC est en service continu et que la seule solution serait de faire livrer le courrier à l'extérieur des installations de SCC pendant le temps libre des employés. Une fois que le courrier arrive à la salle du courrier, il devient sous le contrôle des agents correctionnels et doit être traité par eux. Il ne peut pas être livré sans passer par la salle de courrier pour des raisons de sécurité reliées aux substances illicites et à la contrebande. Selon Mme  Lacelle, la question de la sécurité s'appliquerait également si les plaignantes laissaient simplement une boîte de courrier à la réception pour les employés parce qu'un agent de sécurité devrait surveiller la boîte et les déplacements autour. Si un représentant des plaignantes se tenait près de la boîte pour en distribuer le contenu à l'extérieur des installations de l'employeur, la situation pourrait être différente.

[21]    SCC n'a pas de politique concernant le courrier personnel adressé aux employés, seulement une politique régissant le courrier destiné aux détenus.

[22]    Mme  Lacelle a fourni des conseils et des recommandations à M. Head. Celui-ci a donné comme consigne aux directeurs de ne pas distribuer le courrier des plaignantes et de le retourner aux plaignantes (pièce R-2), le jour après que Mme  Lacelle a reçu la lettre par télécopieur de la région du Québec.

[23]    En contre-interrogatoire, Mme  Lacelle a indiqué qu'elle ne savait pas si l'agent négociateur précédent, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), avait laissé des boîtes de feuillets pour les employés au lieu de travail, comme le UCCO-SACC-CSN était censé le faire aujourd'hui. Elle a confirmé que probablement tous les agents correctionnels avaient été informés des consignes de M. Head au sujet de l'envoi postal (pièce R-2) étant donné que, dans son courriel aux directeurs, il demandait de l'afficher dans tous les lieux de travail. Encore une fois, M. Head a donné cette consigne afin d'éviter que la distribution des enveloppes ne perturbe le service, et la direction voulait que le personnel sache que cela était la raison. Si une enveloppe était livrée à un agent correctionnel malgré la consigne donnée par M. Head, la direction n'obligeait pas le destinataire à la retourner.

[24]    On lui a demandé de fournir des précisions concernant la nature des risques à la sécurité associés à la livraison des lettres des plaignantes. Mme  Lacelle a expliqué que l'élément de distraction à l'ouverture des enveloppes n'était que le début d'un problème potentiel. Les destinataires pourraient souhaiter discuter du contenu avec leurs collègues créant ainsi un effet d'entraînement. Elle a fait valoir que le contenu des lettres était assez complexe, tout particulièrement en ce qui a trait à la question de la pension toujours en litige, et était sensible dans le cadre de la campagne de syndicalisation en cours. Le lecteur devait se concentrer en raison de la complexité du contenu. Que la lettre soit ouverte ou non par les employés, la rumeur de sa présence dans le lieu de travail se répandrait ou deviendrait le sujet du jour. C'est pourquoi, un simple employé tenant une lettre non ouverte pendant les heures de travail pourrait causer une perturbation, tout particulièrement dans le cadre d'une campagne de syndicalisation délicate.

[25]    Mme  Lacelle a convenu, comme l'affirmait les plaignantes, que la lettre ne demandait pas explicitement aux employés de lire son contenu pendant les heures de travail.

[26]    Mario Charette occupe le poste de gestionnaire, Opération et administration des dossiers, à SCC; un poste classé aux groupe et niveau AS-06.  M. Charette est au service de la fonction publique depuis 29 ans, dont 20 à SCC.

[27]    M. Charette a décrit de manière générale la livraison du courrier aux établissements de SCC : le courrier est livré par la Société canadienne des postes ou par un service de messagerie à la salle de courrier. Là, ou dans une autre salle réservée à cette fin, les agents correctionnels balayent le courrier à l'aide d'appareils d'analyse à rayons X pour vérifier s'il contient des substances illicites ou des produits de contrebande. Si le courrier n'est pas suspect, il est trié en fonction des unités organisationnelles de l'établissement et placé dans la boîte ou le casier approprié dans la salle de courrier ou l'unité. Les employés prennent leur courrier à ces endroits ou une personne peut être désignée pour le distribuer.

[28]    En guise de réplique, les plaignantes ont présenté le témoignage de Nelson Hunter. M. Hunter est un agent correctionnel depuis 15 ans et a travaillé toutes ces années à l'établissement Joyceville près de Kingston (Ontario). M. Hunter a récemment pris un congé de son travail afin de participer à la campagne de syndicalisation des plaignantes. M. Hunter a déclaré avoir vu des documents écrits de l'AFPC et du UCCO-SACC-CSN laissés dans des boîtes ou en piles à divers emplacements du lieu de travail, en moyenne une ou deux fois par mois, en sautant quelques mois. Ces documents de l'agent négociateur portaient sur divers sujets et avaient été livrés par le représentant de l'agent négociateur ou par une autre personne au nom de l'agent négociateur. On pouvait trouver les documents soit au poste de sécurité des visiteurs, devant le bureau du responsable de la liste d'appel, dans les aires communes du personnel ou de repos ou dans les bureaux des unités. M. Hunter a confirmé que ces documents contenaient parfois de l'information sur les pensions.

[29]    En contre-interrogatoire, M. Hunter a admis qu'il n'avait pas pu observer directement une pratique semblable dans un autre établissement que celui de Joyceville.

Résumé de l'argumentation

Au nom des plaignantes

[30]    Dans la décision dans l'affaire Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux, 2005 CRTFP 50, mettant en cause les mêmes plaignantes et le même défendeur, l'arbitre de grief a statué qu'il était inapproprié et illégal de la part de l'employeur de faire des distinctions illicites à l'égard des plaignantes en interdisant aux employés de porter leurs casquettes et épinglettes au lieu de travail.

[31]    D'après les observations des plaignantes, l'affaire que je dois trancher est très semblable. L'employeur permet la livraison de courrier personnel aux agents correctionnels dans leur lieu de travail quel que soit son contenu (à l'exception de la présence de substances illicites ou de produits de contrebande), sauf s'il émane des plaignantes. Ce faisant, l'employeur fait preuve de distinction illicite à l'endroit des plaignantes et intervient dans la formation d'une organisation syndicale, ce qui va à l'encontre de l'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP.

[32]    Le défendeur prétend qu'en permettant la livraison du courrier en question, il participerait à la formation d'une organisation syndicale, ce qu'interdit la nouvelle LRTFP. Les plaignantes conviennent que l'employeur ne peut pas participer à la formation d'une organisation syndicale, mais n'accepte pas, compte tenu des faits en l'espèce, que c'est ce que ferait l'employeur en livrant le courrier des plaignantes.

[33]    Le fait de permettre la livraison du courrier personnel aux agents correctionnels à leur lieu de travail s'assimile à une « pratique courante » pour SCC. S'il y avait contestation juridique de la décision de l'employeur de permettre la livraison du courrier des plaignantes aux employés dans leur lieu de travail, la défense de la « pratique courante » serait une réponse absolument valable.

[34]    L'interdiction imposée à l'employeur de participer aux campagnes de syndicalisation vise à protéger l'intérêt public en maintenant l'employeur à distance des organisations syndicales et en l'empêchant de s'ingérer dans les tentatives de recrutement auprès des employés. C'est exactement ce que l'employeur a fait en l'espèce. Contrairement à sa pratique par le passé, l'employeur a commencé à examiner le courrier personnel reçu et à le censurer s'il provenait des plaignantes, en le renvoyant à l'expéditeur. Dans la mesure où le courrier des plaignantes a été traité différemment d'un autre type de correspondance personnelle, l'employeur a fait preuve de distinction illicite et est intervenu dans la capacité des plaignantes de s'organiser.

[35]    Dans l'affaire Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux, l'arbitre de grief a conclu que le port des casquettes et des épinglettes des plaignantes était une activité licite :

[...]

[109] [...] j'ai conclu que le port de casquettes et d'épinglettes de l'ANTCF(ANACF) est une activité légitime légale d'une organisation syndicale dûment autorisée et qu'il ne met absolument pas en danger les détenus, le personnel et les agents de correction dans leurs établissements respectifs.

[...]

L'arbitre de grief a également conclu que le représentant de l'employeur avait fait preuve de distinction illicite à l'égard des plaignantes, en violation de l'ancienne LRTPF, lorsqu'il a interdit le port des casquettes des plaignantes seulement :

[...]

[99]  Je conclus par conséquent que M. Graham a contrevenu au paragraphe 9(1) de l'ancienne LRTFP en faisant une distinction injuste à l'égard de l'AIMTA et de l'ANTCF(ANACF), à savoir d'une organisation syndicale, lorsqu'il a interdit dans son courriel le port des casquettes de l'ANTCF(ANACF).

[...]

[36]    En appliquant la logique de cette décision à la plainte qui nous occupe, il doit être discriminatoire et en violation de la nouvelle LRTFP de permettre la livraison de tout courrier personnel, à l'exception du courrier personnel provenant des plaignantes. Cependant, la décision doit établir une distinction du fait que, dans cette affaire, l'arbitre de grief n'a pas conclu qu'il y avait eu intervention de l'employeur dans la formation d'une organisation syndicale. Or, en l'espèce, il y a clairement eu intervention. Une organisation syndicale ne peut pas recruter une unité de négociation sans être en mesure de communiquer avec les employés. La communication est le prélude nécessaire pour permettre à une organisation syndicale d'entamer son travail de persuasion. Les plaignantes auraient souhaité communiquer avec tous les employés à leur lieu de résidence si cela avait été possible, mais elles n'étaient pas autorisées, contrairement à l'agent négociateur en place, à obtenir leurs adresses domiciliaires. Par conséquent, comme solution de rechange, elles ont voulu profiter de la pratique de l'employeur de permettre la livraison du courrier personnel au lieu de travail pour communiquer avec les employés. L'employeur est intervenu activement, en vue de contrer la livraison du courrier des plaignantes, au lieu de demeurer neutre et d'adopter une politique de non-intervention.

[37]    Les plaignantes n'ont pas intenté la présente procédure auprès de la Commission pour s'assurer que les employés lisaient leur courrier pendant les heures de travail. Rien dans les documents des plaignantes (pièces R-1 et R-3) n'incitent les employés à prendre le temps pendant leur travail pour lire l'information. Les plaignantes s'attendent à ce que les agents correctionnels fassent preuve de discernement, comme ils le font lorsqu'ils reçoivent toute autre correspondance personnelle, indépendamment du fait que le document soit intéressant, provocateur ou perturbateur. Rien dans la preuve ne permet de conclure que le courrier des plaignantes pourraient causer une distraction ou contribuer à créer une situation instable. Par ailleurs, rien ne démontre que les documents provenant soit de l'AFPC ou du UCCO-SACC-CSN, dont il est question dans le témoignage de M. Hunter, ait jamais causé de distraction ou d'instabilité. Il est louable que l'employeur se préoccupe des questions de sécurité, mais il a agi avec trop de circonspection au point d'intervenir illicitement en concluant, par exemple, que le simple fait de tenir une lettre non ouverte des plaignantes pourrait causer une distraction suffisante pour causer un risque à la sécurité.

[38]    Les plaignantes ont invoqué la décision du Conseil canadien des relations du travail, comme il s'appelait à l'époque, dans Le Syndicat canadien indépendant des transports et le Syndicat uni des transports et la Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton, (1984) 7 CLRBR (NS) 137, pour résumer la jurisprudence concernant le mouvement de recrutement syndical et les droits de l'employeur. Les plaignantes ont cité plusieurs passages de la décision qui cernent le thème principal de la jurisprudence, à savoir qu'un employeur peut seulement intervenir dans les activités syndicales légitimes ayant cours en dehors des heures de travail s'il a des motifs impérieux et justifiables liés au service de le faire. Sous-jacent à la jurisprudence est le besoin de trouver un juste équilibre entre, d'une part, le respect de la liberté des employés de s'associer et de s'organiser et, d'autre part, le droit de l'employeur d'assurer son service. En l'espèce, les plaignantes ne cherchent pas à obtenir le droit de recruter des membres pendant les heures de travail. Elles ne s'opposent pas, par exemple, à ce que l'employeur donne comme instruction aux employés de ne pas lire le courrier pendant les heures de travail. Cependant, en interdisant la distribution du courrier des plaignantes, l'employeur va au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger ses intérêts, ayant ainsi pour effet d'intervenir substantiellement dans l'activité syndicale.

[39]    Les plaignantes invoquent également l'affaire Quan c. Conseil du Trésor, [1990] A.C.F. n104, et Alliance de la Fonction publique du Canada et Carey Barnowski c. Agence des douanes et du revenu du Canada, Rob Wright et Reid Corrigal, 2001 CRTFP 105, à l'appui de la proposition voulant que l'on fasse une interprétation large de « l'activité syndicale ».

[40]    En conclusion, les plaignantes demandent à la Commission de statuer que le fait d'accorder au courrier des plaignantes un traitement différent de celui réservé à tout autre courrier personnel constitue une distinction illicite contrairement à l'alinéa 186(1)b) de la nouvelle LRTFP. Les plaignantes demandent également à la Commission de déclarer que le refus de distribuer l'information des plaignantes pendant leur campagne de syndicalisation constitue une intervention dans la formation d'une organisation syndicale, ce qui est également contraire à l'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP. Les plaignantes demandent à la Commission d'ordonner à l'employeur de s'abstenir d'intervenir dans les activités de recrutement des plaignantes. Tout particulièrement, la Commission devrait exiger que l'employeur permette la livraison du courrier des plaignantes aux employés dans leur lieu de travail. Si les plaignantes devaient engager des frais supplémentaires pour envoyer de nouveau leurs documents d'information aux lieux de travail de SCC, l'employeur devrait assumer ces frais. Les plaignantes souhaitent aussi que la Commission ordonne à l'employeur d'afficher des avis dans le lieu de travail indiquant que le refus de l'employeur de permettre la distribution du courrier des plaignantes était contraire à la nouvelle LRTFP. Cette dernière mesure de redressement est nécessaire compte tenu que tous les agents correctionnels ont reçu la décision initiale de l'employeur et que tous doivent maintenant savoir que l'employeur a contrevenu à la loi en prenant cette décision.

[41]    Subsidiairement, les plaignantes réclament une ordonnance de la Commission leur permettant de laisser des documents pour les agents correctionnels à leur lieu de travail, de la même manière que les autres organisations syndicales ont pu le faire.

Au nom du défendeur

[42]    Le fait que l'employeur n'a pas de politique relative à la distribution du courrier personnel aux employés dans leur lieu de travail n'est pas pertinent. La jurisprudence établit clairement qu'une organisation syndicale ne peut pas recruter des membres au lieu de travail pendant les heures de travail. Les questions de l'existence d'une politique concernant le courrier personnel ou des motifs de l'employeur liés au service pour restreindre l'activité syndicale au lieu de travail sont seulement pertinentes en ce qui concerne les activités syndicales ayant lieu en dehors des heures de travail.

[43]    Or, dans les circonstances en l'espèce, la livraison du courrier des plaignantes serait assimilable à de la sollicitation pendant les heures de travail. Si l'arbitre de grief juge que cela est le cas, la plainte ne peut pas être accueillie. S'il y a sollicitation, il est inutile de se demander si l'employeur avait des motifs légitimes liés au service d'empêcher la livraison du courrier.

[44]    Subsidiairement, si l'arbitre de grief conclut que la livraison du courrier des plaignantes n'est pas assimilable à de la sollicitation, le défendeur a des motifs uniques liés au service d'interdire la distribution du courrier dans ses lieux de travail.

[45]    La principale question est de déterminer si l'employeur peut être contraint de livrer le courrier d'une organisation syndicale ayant pour seul but de recruter des membres contrairement au paragraphe 188(1) de la nouvelle LRTFP. Trois faits sont cruciaux : 1) la preuve n'est pas contredite relativement au fait qu'il s'agissait du premier envoi en nombre de ce type dont la direction ait eu connaissance; 2) la direction devait prendre une décision face à la situation unique à laquelle elle était confrontée; 3) de par sa nature même, la distribution du courrier dans un établissement correctionnel doit se faire pendant les heures de travail. Quiconque est responsable de la livraison du courrier est nécessairement au travail et devient donc un agent de la sollicitation.

[46]    Le défendeur prône la prudence dans l'application de la notion de « en dehors des heures de travail » dans la jurisprudence invoquée dans le cadre de la présente plainte. En réalité, les établissements de SCC sont en service 24 heures sur 24; il n'y a pas d'heures « en dehors des heures de travail ».

[47]    Un examen de la correspondance démontre quelle visait à recruter des membres pendant les heures de travail. La première page de la lettre (pièce R-1) indique ce qui suit : [traduction] « Les membres du comité directeur de l'ANTCF vous invitent à prendre quelques minutes pour lire notre proposition ». Il n'est indiqué nulle part de ne pas lire le document pendant les heures de travail.  La lettre encourage également les membres à remplir la carte de membre fournie, et la brochure accompagnant la lettre contient une carte de membre au nom de la plaignante.

[48]      Rien ne démontre que l'employeur a distribué, en connaissance de cause, du courrier semblable par le passé. Les boîtes contenant les documents de recrutement des plaignantes ont été envoyées au lieu de travail dans le but de perturber et de causer un effet d'entraînement. La direction était confrontée à la décision de livrer ou non le courrier contenant les cartes d'adhésion des plaignantes. Il a jugé qu'il ne pouvait pas livrer le courrier parce qu'il aurait ainsi facilité le recrutement au lieu de travail. Dans cette optique, le défendeur prétend qu'un employeur ne peut pas être tenu d'agir d'une manière qui va à l'encontre d'une interdiction imposée par la nouvelle LRTFP.

[49]    Dans L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 144-2-296 (1992) (QL), la Commission a examiné, entre autres, les allégations selon lesquelles l'employeur tolérait certaines activités des employés au lieu de travail pendant les heures de travail dans le cadre d'une campagne de syndicalisation. La Commission a dûment conclu, à la page 7, que l'employeur avait agi promptement pour faire cesser les activités une fois qu'il en avait pris connaissance :

[...]

Ce qu'il faut retenir des allégations, tout au plus, c'est que les fonctionnaires membres de l'unité de négociation, pendant les heures de travail et dans les locaux de l'employeur, ont communiqué entre eux en vue de solliciter l'appui de leurs collègues à la demande qu'avait présentée le requérant pour devenir leur agent négociateur accrédité.  Dans certains cas, les fonctionnaires ont pu effectivement utiliser le réseau téléphonique et les télécopieurs de l'administration pour communiquer entre eux; cependant, cela ne veut aucunement dire que l'employeur était de collusion avec le requérant en vue de solliciter l'appui des fonctionnaires à la demande d'accréditation de celui-ci. Au contraire, selon les allégations, chaque fois qu'on a signalé une activité irrégulière à l'attention de la direction, cette dernière a promptement pris les mesures voulues pour faire cesser l'activité. [...]

[...]

[50]    Il faut établir une distinction entre la situation examinée dans Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux et les circonstances de la plainte en l'espèce qui sont radicalement différentes. Dans la première plainte, l'arbitre de grief a conclu que le port des casquettes et des épinglettes par les employés montre leur affiliation, mais ne comporte pas de sollicitation. Il y avait également une politique de l'employeur ciblant expressément les casquettes et épinglettes des plaignantes. En revanche, l'affaire qui nous occupe porte sans contredit sur une activité de recrutement. Rien ne démontre que l'employeur écartait uniquement le courrier des plaignantes. L'employeur a plutôt décidé de ne pas permettre la livraison des cartes d'adhésion comme telles. Rien ne démontre que l'employeur ait jamais permis la distribution de cartes d'adhésion de toutes autres organisations syndicales. Il ne s'agit pas d'interdire la distribution des cartes de l'ANTCF, mais bien de toutes les cartes.

[51]    L'affaire Le Syndicat canadien indépendant des transports invoquée par les plaignantes s'applique seulement pour la proposition que, comme dans Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux, le port des casquettes et épinglettes de l'agent négociateur n'est pas assimilable à de la sollicitation. Il n'est donc pas utile de trancher la question soulevée en l'espèce.

[52]    Le défendeur a fait valoir que la décision dans Le Syndicat des employés de banque, section locale 2104, (CLC) et la Banque de commerce canadienne impériale, (1985) 10 CLRBR (NS) 182 (QL), est plus pertinente puisqu'elle aborde la question de la livraison de correspondance d'un syndicat visant à faire du recrutement entre autres activités. Le défendeur a cité des passages de cette décision, dont le dernier, à la page 18 de ses observations, correspond au dilemme auquel SCC était confronté :

[...]

Malheureusement, le syndicat a en l'espèce mis à rude épreuve la neutralité de l'employeur en se servant de son système de courrier. Le courrier ne pouvait être distribué aux employés sans que l'employeur ne soit étroitement lié à la campagne de syndicalisation du SEB. Les actions du syndicat ont mis la Banque dans un dilemme de taille. Si elle ne remettait pas le courrier, elle risquait de voir le syndicat déposer une plainte, ce qu'il a finalement fait. Si elle remettait le courrier, elle s'exposait à être accusée de n'être pas restée neutre et d'avoir participé à la campagne de syndicalisation du SEB.

[...]

De la même manière que la banque, dans cette décision, n'était pas tenue de livrer le courrier ce qui aurait entraîné la violation du Code canadien du travail interdisant les activités de recrutement pendant les heures de travail, on ne peut pas conclure que SCC a violé l'article 185 et l'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP puisque s'il avait fait ce que demandaient les plaignantes, il aurait enfreint l'article 188 de la nouvelle LRTFP.

[53]    Subsidiairement, le défendeur prétend que SCC a une bonne raison d'interdire la livraison du courrier des plaignantes. Il n'y a pas d'heures « en dehors des heures de travail » parce que les activités de SCC se poursuivent 24 heures sur 24. L'envoi en nombre par les plaignantes soulève des préoccupations légitimes en matière de sécurité. Son arrivée « en masse » crée en soi une distraction et est susceptible de devenir le « sujet de l'heure ». Le contenu du courrier était provocateur comme en témoigne l'une des pages volantes de la brochure qui indique que les agents correctionnels [traduction] « .  sont pris en otages par un syndicat qui promet de travailler pour nous » (pièce R-3). Il ne s'agit pas ici d'une banque ou d'une compagnie d'autobus. Dans le contexte unique d'un établissement correctionnel, la sécurité préventive est importante, et c'est exactement ce qui a motivé la direction. L'objet des documents des plaignantes était de perturber et de faire boule de neige. Par conséquent, SCC avait un motif légitime lié au service de ne pas distribuer le courrier. Il faut lui accorder une plus grande marge de manouvre que tout autre établissement afin d'exploiter ses pénitenciers de manière à assurer la sécurité.

[54]    Pour ces motifs, l'arbitre de grief devrait rejeter la plainte.

Au nom de l'intervenant

[55]    Le fait d'accueillir la plainte, et de permettre ainsi aux plaignantes d'accéder au système postal de l'employeur à des fins de recrutement au lieu de travail, renverserait 100 ans de pratique et de jurisprudence en matière de travail. L'envoi de courrier en soit ne pose pas de problème (pièce R-1 et R-3), mais la correspondance des plaignants visait à persuader les employés de signer et de retourner une carte d'adhésion, une activité ne pouvant pas se faire par le biais du système postal de l'employeur.

[56]    D'autres syndicats avant les plaignantes ont réussi à mener des campagnes de syndicalisation sans utiliser le système postal de l'employeur, comme il se doit. Ils ont trouvé des moyens de se procurer les adresses domiciliaires des employés ou de communiquer avec les membres éventuels. Lors de sa campagne, il y a quatre ans, le UCCO-SACC-CSN n'a certainement pas agi de la manière que les plaignantes prétendent aujourd'hui être appropriée. Pour démontrer qu'il y a distinction illicite contrairement à la nouvelle LRTFP, elles doivent démontrer que le UCCO-SACC-CSN ou l'AFPC ont été autorisés, avant elles, à utiliser le système postal de l'employeur. Cette preuve ne peut se faire parce qu'aucun syndicat ne procède de cette manière. Mme  Lacelle a confirmé qu'il s'agissait, à sa connaissance, du seul cas du genre auquel SCC ait été confronté. Par conséquent, les plaignantes n'ont pas prouvé qu'il y avait distinction illicite.

[57]    L'intervenant note que, contrairement à ce qu'allèguent les plaignantes, le UCCO-SACC-CSN n'a pas eu accès aux adresses domiciliaires des employés grâce à des sources officielles. Tout syndicat sait qu'il doit faire le travail nécessaire pour obtenir ces adresses directement des employés ou par d'autres moyens. En l'espèce, les plaignantes n'étaient pas bien organisées. Maintenant, elles voudraient que la Commission leur vienne en aide.

[58]    En ce qui concerne le témoignage selon lequel des documents du UCCO-SACC-CSN et de l'AFPC ont été retrouvés au lieu de travail, il est important de mentionner que la convention collective prévoit certains modes d'information à l'intention de l'agent négociateur, comme l'utilisation des tableaux d'affichage ou des installations de l'employeur pour tenir des réunions, mais cela n'a rien à voir avec le recrutement et ne constitue pas de la distinction illicite. Par ailleurs, l'alinéa 186(3)b) de la nouvelle LRTFP exclut de la définition de pratique déloyale certaines activités au lieu de travail autres que les activités de recrutement :

[...]

186. (3) Ne constitue pas une violation de l'alinéa (1)a) le seul fait pour l'employeur ou le titulaire d'un poste de

[...]

b) permettre l'utilisation de ses locaux pour les besoins de l'organisation syndicale.

[...]

[59]    Contrairement à l'affaire Le Syndicat canadien indépendant des transports qui ne concernait pas une activité visant à faire du recrutement, la présente affaire porte indéniablement sur une activité de recrutement; une forme de recrutement ayant eu cours au lieu de travail pendant les heures de travail. Par conséquent, l'affaire Le Syndicat canadien indépendant des transports ne s'applique pas.

[60]    La plainte est frivole et devrait être rejetée. L'autre mesure corrective que suggèrent les plaignantes (leur permettre de laisser leur courrier à un emplacement du lieu de travail) est également frivole et constitue de la sollicitation, au même titre que  la livraison du courrier des plaignantes par le biais du système postal de l'employeur.

Réfutation des plaignantes

[61]    Les documents des plaignantes sont naturellement des documents de recrutement, mais ce qu'interdit la nouvelle LRTFP est la sollicitation pendant les heures de travail. Rien dans la présente affaire n'indique que les plaignantes souhaitaient que les agents correctionnels arrêtent de travailler afin de lire les documents. Les agents correctionnels sont parfaitement capables de comprendre la distinction qui existe entre le courrier personnel et non personnel et de se conduire en conséquence pendant les heures de travail.

[62]    En faisant livrer leur courrier par le défendeur, les plaignantes ne recrutent pas des membres pendant les heures de travail, mais cherchent simplement à communiquer avec les employés afin d'être en mesure de solliciter leur appui plus tard, en dehors des heures de travail. Comme mentionné précédemment, les plaignantes ne s'opposent pas à ce que l'employeur donne comme consigne aux employés de ne pas lire le courrier personnel pendant les heures de travail.

[63]    Selon le témoignage de Mme Lacelle, la direction n'a pas nécessairement pris la décision de ne pas distribuer le courrier des plaignantes en raison de son contenu. Son témoignage n'indique pas clairement que l'employeur a ouvert une enveloppe ou qu'il en connaissait le contenu. Mme Lacelle a déclaré que même une enveloppe non ouverte causerait un problème.

[64]    La décision dans Le Syndicat des employés de banque, section locale 2104, invoquée par le défendeur, ne s'applique pas en l'espèce du fait qu'elle concerne une situation où l'employeur était doté d'une politique interdisant la livraison du courrier personnel. Ce n'est pas le cas dans la présente affaire. Le monde entier peut envoyer du courrier personnel aux agents correctionnels à leur lieu de travail, sauf si ce courrier provient des plaignantes.

[65]    La sécurité préventive est une question importante, mais le droit des employés de participer à une activité légitime d'une organisation syndicale l'est également. Ce qui nous ramène précisément à la quête d'un équilibre comme le recommande la jurisprudence. Un équilibre peut être atteint entre les préoccupations des plaignantes et celles du défendeur en permettant la distribution du courrier, en imposant comme condition que ce courrier, à l'instar de toute autre pièce de correspondance, ne soit pas lu pendant les heures de travail.

[66]    Les plaignantes ont mentionné la présence de documents du UCCO-SACC-CSN et de l'AFPC dans le lieu de travail pour appuyer leur argument relativement à la distinction illicite, mais également pour souligner le fait que, comme il n'a pas été démontré que ce type de correspondance était nuisible, elle ne pouvait pas constituer un risque à la sécurité, comme le prétendait Mme Lacelle.

Motifs

[67]    L'affaire dont je suis saisi est une plainte fondée sur l'alinéa 190(1)g) de la nouvelle LRTFP :

[...]

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle

[...]

g) l'employeur, l'organisation syndicale ou toute personne s'est livré à une pratique déloyale au sens de l'article 185.

[...]

[68]    L'article 185 de la nouvelle LRTFP définit la pratique déloyale en renvoyant à une série d'interdictions énoncées aux articles 186 à 188 :

[...]

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s'entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[...]

[69]    Les détails de la présente plainte m'amènent à me pencher sur l'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP :

[...]

Les plaignantes font valoir que, s'il continue de retarder illégalement la livraison du courrier, SCC contreviendra à l'alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, en nuisant davantage à la campagne de recrutement syndical des plaignantes, ce qui est contraire aux dispositions 185 et 186(1)a) de la Loi.

[70]    L'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP est libellé comme suit :

186. (1) Il est interdit à l'employeur et au titulaire d'un poste de direction ou de confiance, qu'il agisse ou non pour le compte de l'employeur

a) de participer à la formation ou à l'administration d'une organisation syndicale ou d'intervenir dans l'une ou l'autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;

[71]    Dans les observations présentées à l'audience, les plaignantes ont aussi allégué que l'employeur avait violé l'alinéa 186(1)b) de la nouvelle LRTFP :

[...]

186. (1) Il est interdit à l'employeur et au titulaire d'un poste de direction ou de confiance, qu'il agisse ou non pour le compte de l'employeur

[...]

b) de faire des distinctions illicites à l'égard de toute organisation syndicale.

[...]

[72]    S'il s'agissait des deux seules dispositions de la nouvelle LRTFP en cause dans cette affaire, ma tâche serait de déterminer si les plaignantes se sont acquittées de leur fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur s'est livré à une pratique déloyale de travail en intervenant dans la formation d'une organisation syndicale ou en faisant preuve de distinction illicite à l'égard d'une organisation syndicale en refusant de distribuer le courrier des plaignantes aux agents correctionnels à leur lieu de travail.

[73]    Cependant, une autre disposition de la Loi s'applique dans cette affaire. Le paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP interdit à une organisation syndicale de tenter de recruter des membres aux installations de l'employeur pendant les heures de travail des employés. Cette interdiction s'applique sauf si l'employeur a donné son aval à l'activité :

[...]

188. Il est interdit à l'organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu'aux autres personnes agissant pour son compte :

a)   sans consentement de l'employeur, de tenter, sur le lieu de travail d'un fonctionnaire et pendant les heures de travail de celui-ci, de l'amener à adhérer ou continuer d'adhérer, ou à s'abstenir ou cesser d'adhérer à une organisation syndicale;

[...]

[74]    À titre de mesure corrective, les plaignantes demandent à la Commission d'ordonner au défendeur de permettre la distribution de leur courrier aux employés à leur lieu de travail. Subsidiairement, elles demandent à la Commission de rendre une ordonnance leur permettant de laisser des documents destinés aux agents correctionnels dans leur lieu de travail, comme les autres organisations syndicales ont pu le faire.

[75]    Le défendeur estime que le fait de distribuer le courrier des plaignantes équivaudrait à permettre le recrutement des membres par une organisation syndicale au lieu de travail pendant les heures de travail. Le défendeur prétend qu'il ne peut pas être contraint de distribuer aux employés, dans leur lieu de travail pendant les heures de travail, des documents d'une organisation syndicale dont l'unique but est de recruter des membres. S'il était contraint de le faire, le défendeur se retrouverait carrément en violation du paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP. Pour ce motif, il estime que la plainte ne peut pas être accueillie.

[76]    En suivant la logique du défendeur, je devrais, en premier lieu, déterminer si le courrier des plaignantes représente une tentative « sur le lieu de travail d'un fonctionnaire et pendant les heures de travail de celui-ci, de l'amener à adhérer ou continuer d'adhérer, ou à s'abstenir ou cesser d'adhérer à une organisation syndicale » comme le prévoit le paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP. Si je conclus que cela est le cas, et que la preuve établit que l'employeur n'a pas donné ou ne donne pas son consentement à l'activité, la question de savoir si le refus de l'employeur de distribuer le courrier contrevient aux alinéas 186(1)a) ou b) devient sans objet. Subsidiairement, si les questions soulevées dans les alinéas 186(1)a) et b) demeurent des questions réelles, je pourrais néanmoins me retrouver sans la possibilité d'offrir une réparation qui ne contreviendrait pas au paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP.

[77]    Bien que l'analyse proposée par le défendeur soit valable, je préfère évaluer d'abord les infractions alléguées des alinéas 186(1)a) et b) de la nouvelle LRTFP dans l'ordre afin de répondre directement aux précisions de la plainte. Un examen de l'application du paragraphe 188a) dans la présente affaire suivra compte tenu de son importance pour trancher la question.

[78]    Je constate incidemment que la question de savoir si la plaignante est une organisation syndicale au sens de la nouvelle LRTFP n'est pas en litige. Dans Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux a rendu la décision nécessaire quant à la qualité de la plaignante au paragraphe 90 :

[...]

L'AIMTA et son élément la section locale 147 ANTCF(ANACF) correspondent à la définition d'une organisation syndicale à l'article 2 de l'ancienne LRTFP.  Je fonde cette conclusion sur l'introduction des Statuts et du Règlement intérieur dûment constitués et établi (pièces G-2 et G-3) des intéressés.

[...]

[79]    Je note également que rien ne permet de croire que l'employeur a consenti à la livraison du courrier des plaignantes; bien au contraire.

Le défendeur est-il intervenu dans la formation d'une organisation syndicale?

[80]    La preuve présentée par les parties pendant l'audience n'était pas détaillée. Les plaignantes mènent une campagne de syndicalisation en vue de déloger l'intervenant comme agent négociateur accrédité pour représenter l'unité de négociation composée des agents correctionnels au service du défendeur. Sur la question de l'intervention de l'employeur dans la formation d'une organisation syndicale (intervention dans la campagne de syndicalisation), les plaignantes et le défendeur ont fait valoir, dans un exposé conjoint des faits, que l'employeur n'a pas livré en grande partie le courrier des plaignantes, un élément important de leur campagne de syndicalisation, et qu'il a plutôt retourné le courrier à l'administration centrale des plaignantes (pièces C-1, C-2 et C-3). Le témoignage de Mme Lacelle nous a appris que cette décision relevait de la responsabilité de M. Head, sous-commissaire principal, qui a communiqué par courriel avec les directeurs et les agents correctionnels, le 21 février 2006 (pièce R-2). Mme  Lacelle a expliqué pourquoi, à son avis, l'employeur s'est inquiété de l'arrivée dans divers établissements de SCC du courrier en nombre des plaignantes. Elle a aussi présenté sa perspective relativement à l'intention sous-tendant la décision de l'employeur. M. Head n'a pas témoigné. Selon Mme Lacelle, l'employeur a agi principalement pour éviter que les activités des plaignantes, tout particulièrement la livraison de son courrier, ne perturbent les services de l'employeur et ne nuisent à sa capacité d'assurer la sécurité dans les établissements de SCC. L'employeur souhaitait également être perçu comme une partie neutre dans le contexte sensible de la campagne de syndicalisation en cours et ne voulait pas intervenir dans les activités syndicales.

[81]    Les plaignantes ont indiqué qu'elles avaient tenté de communiquer avec les agents correctionnels par la distribution de courrier au lieu de travail parce que, contrairement à l'intervenant, elles n'avaient pas accès à la liste des adresses domiciliaires des employés. Au moment de l'envoi, les plaignantes avaient apparemment réussi à obtenir les adresses domiciliaires de seulement 25 % de la population ciblée par d'autres moyens. Je note que l'intervenant a réfuté le fait qu'il avait ou a accès à une liste complète des adresses domiciliaires des employés. De toute manière, ce fait allégué ne peut pas, à lui seul, trancher la question.

[82]    Le reste de la preuve présentée à l'audience est liée en grande partie à la deuxième question, à savoir s'il y a eu distinction illicite ou si les préoccupations de l'employeur relativement à la perturbation du travail et à la sécurité constituent des motifs impérieux liés au service d'intervenir dans les affaires d'une organisation syndicale.

[83]    La brève preuve qui m'a été soumise est, je crois, suffisante pour établir le fait que les actions du défendeur, lorsqu'elles sont considérées d'un point de vue pratique et isolément, ont contrecarré les efforts des plaignantes visant à former une organisation syndicale.  En refusant de distribuer le courrier des plaignantes, le défendeur a porté atteinte aux efforts des plaignantes de communiquer avec les employés. Même si la preuve ne le démontre pas directement, il est néanmoins raisonnable de conclure que la mesure prise par le défendeur a eu ou du moins aurait pu avoir un effet préjudiciable sur la campagne de syndicalisation des plaignantes. Il est difficile d'imaginer pourquoi les plaignantes demanderaient à la Commission d'ordonner des mesures correctives, si tel n'était pas le cas. Voilà pourquoi je conclus que le défendeur est intervenu dans le contexte de l'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP. Il reste cependant à déterminer si, en raison de cette intervention, l'employeur a violé la nouvelle LRTFP.

[84]    La présente affaire diffère donc considérablement de la situation liée au port des casquettes et des épinglettes examinée dans Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux. Dans cette affaire, la Commission n'a pas jugé que l'employeur était intervenu dans la formation d'une organisation syndicale lorsqu'il a tenté d'interdire le port des casquettes de baseball et les épinglettes des plaignantes. Je crois qu'il existe une distinction réelle et importante entre les deux situations. Même si, en réalité, le port des casquettes et des épinglettes s'inscrivent dans le cadre d'une campagne de syndicalisation, la question sous-jacente dans l'affaire des « casquettes et épinglettes » était la liberté des employés de manifester leur préférence d'affiliation à un agent négociateur dans leur lieu de travail. L'arbitre de grief n'a pas estimé que cette forme d'expression d'affiliation portait atteinte aux intérêts opérationnels légitimes et fondamentaux de l'employeur. Il a aussi conclu, je crois, que rien n'étayait de manière suffisante la conclusion que le port des casquettes et épinglettes constituait une tentative sérieuse et active de recruter des membres au sein d'une organisation syndicale au lieu de travail pendant les heures de travail. En revanche, dans l'affaire qui nous occupe, ce qui est au cour de l'affaire n'est pas la liberté d'expression des employés quant à l'agent négociateur de leur préférence, mais bien la capacité d'une organisation syndicale de mener sa campagne de syndicalisation par le biais d'une stratégie de communication particulière aux installations de l'employeur et, on pourrait croire, pendant les heures ouvrables. Dans l'affaire antérieure, en raison de la nature de l'activité interdite par l'employeur, il était difficile, voire impossible, pour les plaignantes de démontrer l'intervention au sens de l'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP. En l'espèce, la nature de l'activité interdite par l'employeur soulève directement la question de l'intervention.

[85]    J'ouvre ici une parenthèse pour confirmer que la preuve en l'espèce démontre que l'envoi postal en question visait à recruter des membres au sein d'une organisation syndicale.  L'examen du contenu des enveloppes ne laisse aucun doute quant à son caractère et à son objet (pièces R-1 et R-3). Dans leur réfutation, les plaignantes ont admis qu'il s'agissait naturellement de documents de recrutement. Il n'y a donc aucune raison de débattre de ce point.

[86]    La défense des plaignantes est que l'envoi postal ne constituait pas une tentative de recrutement pendant les heures de travail  [C'est moi qui souligne]. Je reviendrai à cette question plus loin.

[87]    En résumé, je réponds à la première question, à savoir si le défendeur est intervenu dans la formation d'une organisation syndicale, par l'affirmative.

Le défendeur a-t-il fait preuve de distinction illicite à l'égard de la plaignante en sa qualité d'organisation syndicale?

[88]    Dans la décision concernant les « casquettes et épinglettes », la Commission a statué que l'employeur avait fait preuve de distinction illicite à l'endroit d'une organisation syndicale en interdisant aux employés de porter les casquettes et épinglettes des plaignantes; interdiction qui ne s'appliquait pas aux autres organisations syndicales. Les plaignantes prétendent qu'il y a semblable distinction en l'espèce. Que révèle la preuve?

[89]    Les plaignantes et le défendeur conviennent que l'employeur n'est pas doté d'une politique sur la distribution du courrier personnel aux employés et qu'il a, par le passé, permis la livraison du courrier personnel aux employés à leur lieu de travail. Trois employés de différents établissements de SCC ont confirmé qu'ils recevaient couramment du courrier personnel à leur travail (pièces C-1, C-2 et C-3). M. Charette a expliqué le processus habituel de réception, triage et distribution du courrier aux établissements du défendeur.

[90]    En contre-preuve, M. Hunter a ajouté un nouvel élément. Il a déclaré qu'à l'établissement Joyceville, les employés avaient couramment accès à des renseignements écrits sur une gamme de sujets émanant de l'agent négociateur en poste, le UCCO-SACC-CSN, comme c'était le cas précédemment pour l'AFPC. Ces documents sont laissés dans les installations de l'employeur par un représentant de l'agent négociateur ou une autre personne en son nom. Les employés peuvent trouver les documents soit au poste de sécurité des visiteurs, devant le bureau du bureau du responsable de la liste d'appel, dans les aires communes du personnel ou de repos ou dans les bureaux des unités. En contre-interrogatoire, un bémol a été apporté au témoignage de M. Hunter lorsque celui-ci a avoué ne pas avoir une connaissance personnelle directe de la situation dans d'autres établissements correctionnels.

[91]    À première vue, il semble donc que la décision de l'employeur de refuser de distribuer le courrier personnel provenant des plaignantes constitue, à tout le moins, une entorse à la « pratique courante », tant de manière générale en ce qui concerne le courrier personnel dans son sens large et peut-être aussi, de manière plus particulière, en ce qui concerne les documents de l'agent négociateur. Mais, est-ce que cette entorse à la « pratique courante » constitue une distinction illicite à l'égard de la plaignante en sa qualité d'organisation syndicale?

[92]    Mme Lacelle, qui a à son actif dix années d'expérience à SCC, a déclaré que l'arrivée de l'envoi postal massif des plaignantes était une situation sans précédent. Face au caractère nouveau de la situation, et comme il n'était pas doté d'une politique sur la distribution du courrier personnel aux employés, l'employeur a dû prendre une décision sans pouvoir se fonder sur une expérience antérieure. En contre-interrogatoire, Mme Lacelle a admis qu'il lui était impossible de confirmer qu'aucun envoi postal d'une organisation syndicale n'ait jamais été livré dans un établissement; à son avis, il est possible que des pièces de correspondance se soient « glissées » à l'insu de l'employeur.

[93]    Le défendeur prétend que rien dans la preuve soumise ne démontre qu'il ait jamais distribué sciemment du courrier de ce type. Il n'y a pas distinction illicite parce que, contrairement à l'affaire des « casquettes et épinglettes », le défendeur n'a pas interdit uniquement la distribution des envois des plaignantes, en permettant la distribution d'autres formes d'envois provenant d'autres organisations syndicales. Lorsqu'il a été confronté pour la première fois au dilemme de distribuer ou non le courrier personnel en nombre envoyé par les plaignantes, il a refusé de procéder à la distribution non pas parce que le courrier provenait des plaignantes, par opposition à une autre organisation syndicale, mais parce qu'il s'agissait de documents visant à recruter des membres dans leur lieu de travail et pendant les heures de travail. La conclusion à tirer de l'argument du défendeur est qu'il aurait réagi exactement de la même manière si le même type d'envois avaient été envoyés par une autre organisation syndicale.  Par conséquent, il n'y a pas eu distinction illicite.

[94]    Deux pièces du casse-tête revêtent, selon moi, une importance en l'espèce. Premièrement, aucune des trois pièces soumises pour établir l'existence d'une pratique de livraison du courrier personnel (pièces C-1, C-2 et C-3) ne fait mention de courrier personnel provenant d'organisations syndicales. Deuxièmement, dans son témoignage au sujet des documents du UCCO-SACC-CSN et AFPC se retrouvant dans le lieu de travail, M. Hunter donne seulement une description sommaire de ces documents. Rien dans la preuve ou ailleurs ne me permet de conclure que ces documents des autres organisations syndicales sont ou étaient de nature similaire aux documents envoyés par les plaignantes. Sans une telle preuve, le témoignage de Mme  Lacelle, selon lequel il s'agissait d'une situation nouvelle et unique pour le défendeur, n'est pas contredit. Je n'ai donc aucune raison en soi de rejeter l'affirmation du défendeur selon laquelle il aurait pris la même décision si des documents semblables avaient été envoyés par une autre organisation syndicale. L'élément des « casquettes et épinglettes » d'une interdiction exclusive visant une organisation syndicale, et seulement cette organisation syndicale, n'est pas établi à ma satisfaction par la preuve en l'espèce.

[95]    Comme je n'ai pas reçu d'observations détaillées sur ce point, il se peut également que les types de documents syndicaux mentionnés par M. Hunter ne soient pas visés par l'alinéa 186(3)b) de la nouvelle LRTFP, comme le prétend le défendeur.

[96]    Mon analyse de ce point se préoccupe de la distinction illicite possible entre des organisations syndicales. Le libellé de l'alinéa 186(1)b) de la nouvelle LRTFP, ne limite cependant pas la portée de la distinction illicite de cette manière. Il est possible aux termes de l'alinéa 186(1)b) de conclure qu'un employeur a fait preuve de distinction illicite à l'endroit d'une organisation syndicale par rapport à un groupe de comparaison qui n'est pas une organisation syndicale; la population des employés qui sont exclus de la représentation syndicale en est un exemple. Dans le cas des plaignantes, elles soutiennent que l'employeur a fait preuve de distinction illicite par rapport à « d'autres » ayant envoyé du courrier personnel aux agents correctionnels à leur lieu de travail. L'alinéa 186(1)b) de la nouvelle LRTFP prévoit-il la possibilité d'un tel comparateur?

[97]    Je crois que l'article 186 de la nouvelle LRTFP a pour objets généraux d'assurer que l'employeur n'intervienne pas dans les affaires internes des organisations syndicales, d'équilibrer les chances en matière de relations du travail et de maintenir la direction et l'agent négociateur à distance lorsqu'il est question de certaines activités syndicales licites. Dans ce contexte, le mal que l'on veut enrayer en interdisant la distinction illicite devrait être relié à une réglementation des relations du travail s'inscrivant dans l'objet de la nouvelle LRTFP. Plus précisément, l'alinéa 186(1)b) de la nouvelle LRTFP devrait, à mon avis, être interprété de sorte à déterminer si un employeur a fait preuve d'un sentiment antisyndical en réservant un traitement différent à une organisation syndicale. Pour évaluer cette possibilité, un plus vaste éventail de comparateurs pourrait légitimement faire l'objet d'une étude dans le cadre d'une plainte aux termes de l'alinéa 186(1)b) de la nouvelle LRTFP. Il s'agit de ne jamais permettre à l'employeur d'influencer ou d'intimider les employés relativement aux questions liées à la syndicalisation ou à la représentation.

[98]    Si j'accepte, à cette fin, que tous les « autres » ayant envoyé du courrier personnel aux lieux de travail de SCC sont des comparateurs potentiels au sens de l'alinéa 186(1)b) de la nouvelle LRTFP, les plaignantes ont le fardeau de démontrer que le traitement différent réservé par le défendeur au courrier des plaignantes, par opposition au courrier personnel provenant d'autres sources, révèle un sentiment antisyndical. La seule preuve m'ayant été fournie relativement aux intentions de l'employeur découle du témoignage de Mme  Lacelle concernant la perturbation pouvant être causée par le courrier des plaignantes, tout particulièrement dans le contexte sensible d'une campagne de syndicalisation. Même si des questions se posent quant au fondement (voir plus loin) de la préoccupation du défendeur d'éviter les perturbations, rien dans la preuve ne porte à croire que cette préoccupation cache un sentiment antisyndical sous-jacent, que ce soit contre toute organisation syndicale ou une organisation syndicale en particulier. Par conséquent, je ne crois pas que les plaignantes ont réussi à s'acquitter du fardeau de la preuve.

[99]    Pour les motifs susmentionnés, je conclus que le défendeur n'a pas fait de distinction illicite à l'endroit d'une organisation syndicale au sens prévu à l'alinéa 186(1)b) de la nouvelle LRTFP en refusant de distribuer le courrier des plaignantes.

L'intervention du défendeur dans la formation d'une organisation syndicale était-elle en violation de la nouvelle LRTFP?

[100]    Le régime établi par la nouvelle LRTFP m'amène maintenant à me pencher sur la signification et l'incidence de l'interdiction prévue au paragraphe 188a) de la Loi :

[...]

188. Il est interdit à l'organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu'aux autres personnes agissant pour son compte 

a) sans consentement de l'employeur, de tenter, sur le lieu de travail d'un fonctionnaire et pendant les heures de travail de celui-ci, de l'amener à adhérer ou continuer d'adhérer, ou à s'abstenir ou cesser d'adhérer à une organisation syndicale;

[...]

[C'est moi qui souligne]

[101]    Le défendeur invoque le paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP comme défense contre l'allégation de violation au paragraphe 186(1) de la nouvelle LRTFP. Cette défense est-elle possible?  En cas de conflit entre le droit de former une organisation syndicale sans intervention de la part de l'employeur (objet de l'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP) et le droit de l'employeur de ne pas être aux prises avec des activités de recrutement pendant les heures de travail (objet du paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP), comment régler ce conflit?

[102]    Le Conseil canadien des relations du travail (CCRT), comme il s'appelait alors, a été confronté à une situation en grande partie semblable dans l'affaire Time Air Inc., (1989) 77 di 55. Dans cette affaire, l'employeur a prétendu que l'article du Code canadien du travail interdisant le recrutement de membres aux installations de l'employeur pendant les heures de travail constituait une défense contre l'allégation qu'il avait violé l'interdiction prévue par le Code d'intervenir dans la formation d'un syndicat ou dans la représentation des employés d'un syndicat. En se fondant sur la jurisprudence applicable, le CCRT a accepté (bien que de manière implicite) la pertinence de cette défense. La décision cite, par exemple, la conclusion de la Commission des relations de travail de l'Ontario dans une autre affaire portant sur le conflit entre des dispositions comparables d'une loi sur le travail :

[...]

L'article 53 de la Loi doit être utilisé par l'employeur comme une arme défensive plutôt qu'offensive. Il a pour but de permettre à l'employeur de se défendre de l'accusation d'avoir porté atteinte aux droits conférés à une personne en vertu de l'article 3 de la Loi en empêchant cette personne de tenter, au lieu de travail d'un employé, de persuader un autre employé, pendant ses heures de travail, de devenir, de s'abstenir de devenir ou de continuer d'être membre d'un syndicat...

[...]

[103]    Selon la décision Time Air Inc., l'utilisation de cette défense repose sur la démonstration que l'activité syndicale visée constituait du recrutement. Pour trancher la question, le CCRT a renvoyé au critère utilisé dans Le Syndicat des employés de banque, section locale 2104, qui met l'accent sur l'intention de l'activité syndicale :

[...]

[...]  l'utilisation du terme "tenter" ne peut que nous amener à conclure qu'il doit y avoir intention, de la part de la partie qui est accusée, de violer un article au moment où elle a commis des actes qu'il interdisait, ce qui n'est pas le cas en l'absence du terme en question. Toutefois, il est bel et bien employé en l'espèce, et il convient de lui donner la signification qu'il exige. Par conséquent, pour que le Conseil juge que l'alinéa 185d) a été violé, il faudra démontrer que le SEB avait l'intention de tenter de persuader les employés, pendant leurs heures de travail, de devenir membres du syndicat.

[...]

Dans les circonstances de l'affaire Time Air Inc., le CCRT a conclu que l'objet de l'activité syndicale n'étant pas de recruter des membres pendant les heures de travail, l'employeur ne pouvait pas se prévaloir de cette « arme défensive ».

[104]    Bien que les faits examinés dans la présente plainte diffèrent à certains égards de ceux examinés dans Time Air Inc., la question sous-jacente de l'interprétation de la loi n'est pas, selon moi, substantiellement différente. Je ne vois pas de raison de principe en l'espèce pour interdire à l'employeur d'invoquer une défense fondée sur le paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP. Le même critère concernant l'intention s'applique. Cependant, dans l'affaire qui nous occupe, un élément important de la question de l'intention a déjà été démontré, au moins en ce qui a trait au recrutement. Précédemment dans la présente décision, j'ai déterminé que l'objet des documents envoyés par les plaignantes était d'amener des employés à adhérer à une organisation syndicale. Les plaignantes ont convenu que cela était vrai. Les plaignantes prétendent néanmoins ne pas avoir eu l'intention que les employés lisent le courrier pendant les heures de travail. Ce qui, selon les observations des plaignantes, exclut la situation du champ d'application du paragraphe 188a).

[105]    La proposition selon laquelle il faudrait traiter différemment l'activité syndicale au lieu de travail en dehors des heures de travail de celle ayant cours pendant les heures de travail a été largement examinée et appuyée dans les décisions d'arbitrage. Les plaignantes ont invoqué, par exemple, la décision du Conseil canadien des relations du travail (CCRT) dans Le Syndicat canadien indépendant des transports. Le résumé du texte se lit comme suit :

[Traduction]

Le Conseil réaffirme sa politique antérieure selon laquelle l'employeur doit avoir des motifs impérieux et justifiables liés au service pour s'opposer au droit des employés de solliciter des adhésions au syndicat de leur choix auprès de leurs collègues, même si ce droit est exercé sur la propriété de l'employeur en dehors des heures de travail.

[106]    Plus loin dans la décision, le CCRT cite en l'approuvant les deux principes généraux suivants devant s'appliquer pour tenter d'établir un équilibre entre les droits des employeurs et ceux des employés en ce qui concerne les activités de recrutement :

a) Les règles empêchant la sollicitation et la diffusion de documents ayant pour but d'interdire le recrutement de membres sur la propriété de l'entreprise par les employés, en dehors de leurs heures de travail, constituent, semble-t-il, une entrave déraisonnable à la syndicalisation et, par conséquent, sont nulles; cependant, elles peuvent être valides si des preuves démontrent que des circonstances particulières rendent ces règles nécessaires au maintien de la production et de la discipline;

b) des règles empêchant la sollicitation et la diffusion de documents qui interdisent le recrutement de membres par les employés pendant les heures de travail sont, semble-t-il, valides au moment de leur adoption, si aucune preuve n'indique qu'elles étaient discriminatoires ou qu'elles étaient appliquées injustement [...]

[107]    Ce même raisonnement a été adopté dans plusieurs autres décisions. La présomption sous-tendant principalement la jurisprudence est de permettre la tenue d'activités de recrutement dans les installations de l'employeur, mais en dehors des heures de travail, à moins de circonstances très exceptionnelles ou de motifs impérieux liés au service justifiant l'intervention de l'employeur. La présomption est que les activités ayant pour but de recruter des membres au sein d'une organisation syndicale sont interdites si elles ont cours pendant les heures de travail.

[108]    Pour déterminer si les plaignantes ont procédé ou non à de la sollicitation, ou si leur intention était de solliciter l'adhésion de membres en dehors ou pendant les heures de travail, il faut tout d'abord comprendre le sens de « heures de travail » dans le contexte de l'affaire. Le libellé du paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP précise « les heures de travail de celui-ci » et non, par exemple, « les heures ouvrables à l'établissement de l'employeur ». Devrait-on en conclure que l'interdiction à l'égard du recrutement de membres doit s'appliquer à un employé individuellement en fonction de son horaire particulier de travail? Par exemple, une organisation syndicale pourrait-elle, en toute légalité, organiser une réunion aux installations de l'employeur dans le but de recruter des membres pendant les heures ouvrables de l'établissement, dans la mesure où la réunion a lieu en dehors des heures de travail personnelles des employés présents à la réunion et des représentants de l'organisation syndicale qui sont aussi des employés?

[109]    Un appui se dégage de la jurisprudence en faveur d'une approche libérale à l'égard des droits des employés quand il s'agit de trancher des questions de ce genre, par exemple, en ce qui concerne la protection des droits des employés à participer aux activités de recrutement au lieu de travail pendant les pauses-repas payées et autres pauses. Je crois toutefois qu'il faut faire preuve de circonspection en appliquant ces précédents dans les circonstances en l'espèce. Dans un établissement qui fonctionne 24 heures sur 24, grâce à des équipes rotatives, le fait de conclure que la notion d'« heures de travail [d'un employé] » s'applique strictement à un employé individuellement pourrait donner lieu à une situation où deux employés participeraient à une même activité en même temps, un étant dans la légalité parce que l'activité a lieu en dehors de ses heures de travail personnelles, l'autre dans l'illégalité parce qu'elle a lieu pendant ses heures de travail. Je crains que cette interprétation ne soit pas compatible avec l'esprit du paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP. Cela permet à tout le moins de constater qu'il faut appliquer l'expression « heures de travail [d'un employé] » de manière raisonnable et pratique, en tenant compte du contexte du lieu de travail et de la situation des employés.

[110]    Les plaignantes soutiennent que leur envoi postal était une tentative de communiquer avec les employés à leur lieu de travail, mais ne visait pas à les convaincre de devenir membres pendant les heures de travail. À cet égard, les plaignantes prétendent qu'il faut établir une distinction entre l'action de communiquer avec les employés au lieu de travail pendant les heures de travail et la tentative de les convaincre en dehors des heures de travail. Elles estiment que les parties peuvent se fier à ce que les agents correctionnels fassent preuve de discernement en n'ouvrant pas le courrier personnel distribué au lieu de travail pendant les heures de travail ou, s'ils l'ouvrent, en le traitant de manière à ne pas nuire à leurs tâches. Subsidiairement, les plaignantes seraient d'accord pour que l'employeur ordonne explicitement aux employés de ne jamais lire le courrier personnel reçu pendant leurs heures de travail, ce qui comprend le courrier des plaignantes.

[111]    Comment pouvons-nous confirmer que les plaignantes souhaitaient uniquement tenter de convaincre les employés d'adhérer à leur organisation en dehors de leurs heures de travail? À qui incombe le fardeau de la preuve?

[112]    Je crois qu'il revient à l'employeur d'établir qu'il y a eu ou aurait pu y avoir sollicitation par l'intermédiaire de l'envoi postal pendant les heures de travail des employés ou, subsidiairement, que l'employeur aurait pu raisonnablement croire en cette possibilité. En pratique, il est très difficile de trancher la question avec la preuve limitée dont je dispose. Il est, par exemple, virtuellement impossible de prédire comment les agents correctionnels réagiraient en recevant le courrier des plaignantes pendant leurs heures de travail. Attendraient-ils réellement leurs pauses ou jusqu'à la fin de leurs heures de travail pour lire le courrier des plaignantes et réagir?

[113]    Les éléments de preuve permettent de connaître le véritable contenu de l'envoi postal des plaignantes. Comme le défendeur l'a indiqué, il n'y a certainement rien dans cet envoi qui étaye la proposition selon laquelle la tentative de persuasion pourrait avoir cours uniquement à l'extérieur des heures de travail. Les plaignantes n'avertissent pas, par exemple, les destinataires de prendre connaissance du contenu et de signer la carte de membre jointe seulement après leurs heures de travail. Comme l'a fait remarquer le défendeur, la première page du document (pièce R-1) dit simplement :

[Traduction]

[...] Les membres du comité directeur de l'ANTCF vous invitent à prendre quelques minutes pour lire notre proposition.

Et :

Après avoir lu l'information ci-jointe, nous vous encourageons à remplir la carte de membre fournie.

[114]    Aucun des témoignages présentés à l'audience ne situe le courrier des plaignantes dans le cadre d'une stratégie de recrutement générale prévoyant que le recrutement comme tel des membres se ferait en dehors des heures de travail. On pourrait penser, par exemple, à des représentants des plaignantes sur place qui discuteraient de l'envoi avec leurs collègues pendant leurs pauses, ou avant ou après leurs quarts de travail; à une liste de réunions pendant les temps libres au lieu de travail ou à proximité de celui-ci dans le but de recruter des membres; à des représentants postés à l'entrée de l'établissement afin d'encourager les employés arrivant pour leur quart de travail ou terminant celui-ci à signer la carte d'adhésion. Bien qu'il n'incombe pas aux plaignantes de démontrer que la sollicitation pouvait seulement avoir cours en dehors des heures de travail, je note avec intérêt qu'aucune preuve soumise ne met en doute la probabilité que la distribution du courrier pourrait déclencher une sollicitation (ou devenir le sujet du jour) dans le lieu de travail pendant les heures de travail.

[115]    Selon le témoignage du défendeur, la direction connaissait le contenu de l'envoi lorsqu'elle a pris la décision d'empêcher sa distribution. Mme  Lacelle a déclaré avoir été informée du contenu lorsque la région du Québec lui a envoyé le document par télécopieur. La preuve indique également que les agents correctionnels auraient balayé les enveloppes à leur arrivée pour déceler la présence de substances illicites ou de produits de contrebande, sans préciser s'ils les ont ouvertes ou non. (Je remarque que les plaignantes ne m'ont pas demandé de conclure que le défendeur avait pu connaître le contenu de l'envoi par un moyen inapproprié. Les plaignantes ne laissent pas entendre, par exemple, que l'ouverture du courrier personnel des employés constituait un manquement au respect de la vie privée qui aurait logiquement pu s'inscrire dans une évaluation de la légitimité et de la légalité des actions de l'employeur.)

[116]    D'après le témoignage de Mme  Lacelle, le défendeur connaissait le contexte sensible dans lequel se déroulait la campagne de syndicalisation des plaignantes, alors qu'un long processus de négociation collective était toujours en cours. Elle a déclaré que la direction de SCC souhaitait demeurer neutre aux yeux de ses employés.

[117]    Compte tenu de la nature de l'envoi, et comme l'employeur connaissait le caractère sensible de la campagne de syndicalisation en cours, je suis persuadé, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur aurait raisonnablement pu croire que l'envoi constituait une tentative des plaignantes pour recruter des membres pendant les heures de travail. Prenons l'exemple clair d'un organisateur syndical abordant un employé pendant les heures de travail pour le convaincre de signer une carte. Même si l'employé peut, dans ces circonstances, faire preuve de discernement et ne pas prêter oreille à la sollicitation, l'action de l'organisateur constitue une violation du paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP. Ce qui est le cas également en l'espèce. L'employeur aurait pu conclure que l'envoi des plaignantes ouvrait potentiellement la voie au recrutement de membres au lieu de travail pendant les heures de travail, une activité qu'interdit le paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP. L'employeur n'était pas obligé de s'en remettre au discernement des employés de ne pas prêter attention à la sollicitation avant la fin de leurs heures de travail, ni d'informer les employés au préalable de ne pas lire le document pendant les heures de travail. Autrement dit, l'employeur n'avait pas à soupeser la probabilité que l'action de communiquer avec les employés soit temporairement séparé de l'action de recruter des membres. La probabilité raisonnable de sollicitation pendant les heures de travail était suffisante pour justifier la réponse de l'employeur.

[118]    À titre corollaire, je ne peux pas trouver de fondement suffisant dans la preuve pour soutenir la prétention des plaignantes selon laquelle l'intention était seulement de convaincre les employés de devenir membres en dehors de leurs heures de travail ou que, peu importe l'intention, il est plus probable que la sollicitation prévue par l'intermédiaire des documents des plaignantes se serait bornée à la période en dehors des heures de travail des employés.

[119]    La preuve peut-elle nous mener plus loin? La preuve présentée par le défendeur fait état de la crainte de SCC que les documents des plaignantes puissent perturber le lieu de travail ou nuire à sa capacité de maintenir la sécurité, que ce soit pour les employés, les détenus ou le public. Le défendeur affirme que, de par leur nature et leur complexité, voire par leur existence même, les documents d'information des plaignantes représentaient un véritable défi pour les intérêts légitimes et fondamentaux liés au service. Selon les observations du défendeur, ces préoccupations sont particulièrement importantes dans un environnement où les questions de sécurité sont omniprésentes, 24 heures sur 24. Contrairement à d'autres situations examinées dans la jurisprudence, la notion de « en dehors des heures de travail » pose un plus grand problème lorsqu'elle s'applique à un établissement correctionnel dont le service est en continu. Ce qui est clair est que la distribution du courrier reçu à la salle de courrier engage le temps et l'effort des employés pendant les heures de travail. Cette situation pourrait faire en sorte que les employés deviennent des agents de la sollicitation envisagée par le courrier des plaignantes, ou qu'ils participent à la formation d'une organisation syndicale, contrairement à l'alinéa 186(1)a).

[120]    Le défendeur a toléré la distribution de courrier personnel dans le passé, mais je n'ai pas entendu d'argument me convainquant qu'il devrait être tenu de continuer de le faire dans tous les cas, ni qu'il devrait être tenu de le faire s'il craint de réelles répercussions pour la sécurité. D'une part, on pourrait rejeter les préoccupations du défendeur au sujet de la perturbation ou des répercussions potentielles pour la sécurité, mais rien dans la preuve ne porte à croire que les craintes de l'employeur n'étaient pas réelles ou que ses actions étaient fondées sur d'autres motifs qui pourraient remettre en question sa décision. D'autre part, le défendeur n'a pas présenté de preuve concrète démontrant que les documents entraîneraient probablement des perturbations et des risques à la sécurité. Comme les plaignantes ont également fait remarquer, rien dans la preuve dont je dispose ne démontre que les documents distribués de temps à autre par l'autre agent négociateur dans le lieu de travail avaient causé le genre de perturbation envisagée dans le témoignage de Mme  Lacelle.

[121]    L'importance de cette dernière série d'éléments de preuve, ou absence d'éléments de preuve, est peut-être contestable. La preuve de ce genre semble plus pertinente pour déterminer si l'employeur avait des motifs impérieux liés au service d'intervenir que comme moyen de défense relativement à la sollicitation pendant les heures de travail fondée sur le paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP. En supprimant l'élément de recrutement de l'analyse de cette affaire, le critère des motifs impérieux liés au service devient partie intégrante de la défense pouvant être invoquée par le défendeur. La jurisprudence a accordé une protection importante, mais non illimitée, au droit des syndicats de mener leurs activités légitimes au lieu de travail pendant les heures de travail. Les conventions collectives fixent fréquemment des paramètres autour de ce qui est permis ou ne l'est pas. Par ailleurs, l'intérêt de l'employeur à maintenir le service, tout particulièrement lorsque des questions de sécurité sont en jeu, est un facteur dont il faut tenir compte.

[122]    Ceci étant dit, je ne crois pas que la preuve soit suffisante pour permettre de conclure que l'employeur avait des motifs impérieux liés au service d'intervenir en bloquant la distribution du courrier des plaignantes, en supposant à cette fin que le courrier ne constituait pas une forme de recrutement de membres. Je n'ai aucune raison de remettre en question le témoignage de Mme  Lacelle selon lequel la direction craignait une perturbation du travail. Je ne souhaite pas non plus démentir l'importance des préoccupations en matière de sécurité exprimées par le défendeur dans un lieu de travail comme le SCC. Cependant, je juge que la preuve présentée à cet égard était hautement conjecturale et n'offre pas un fondement solide pour établir que la distribution du courrier entraînerait, selon toute vraisemblance, des perturbations ou des conséquences pour la sécurité. Je peux seulement constater que la déclaration du défendeur relativement à ses craintes face à ces effets était véritable, ce qui n'a pas été contredit.

[123]    Ma conclusion sur ce point n'atténue pas la conclusion principale : compte tenu  de la preuve et des arguments m'ayant été présentés, j'ai conclu que le défendeur pouvait raisonnablement croire que la distribution du courrier des plaignantes ouvrait potentiellement la voie au recrutement de membres au lieu de travail, pendant les heures de travail. Par conséquent, le défendeur pouvait raisonnablement croire que le fait de permettre la distribution du courrier des plaignantes donnerait lieu à une infraction au paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP. À cet égard, la décision du défendeur de refuser de distribuer le courrier était une mesure licite en vue de prévenir une activité (la tentative par une organisation syndicale de persuader les employés sur la propriété de l'employeur, pendant les heures de travail, d'adhérer à l'organisation) qui, sans le consentement de l'employeur, est interdite par le paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP.

[124]    Comme la distribution n'a pas été faite, il n'est naturellement pas nécessaire de statuer que le défendeur a violé l'interdiction prévue au paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP. L'importance de la conclusion porte plutôt sur ma décision antérieure selon laquelle, en refusant de distribuer le courrier des plaignantes, l'employeur est intervenu dans la formation d'une organisation syndicale au sens de l'alinéa 186(1)a) de la nouvelle LRTFP. La discussion sur l'application du paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP dans les circonstances en l'espèce m'amène à conclure que l'action du défendeur ne constitue pas, en définitive, une violation de la nouvelle LRTFP. Compte tenu de la violation possible ou probable du paragraphe 188a) de la nouvelle LRTFP qui aurait pu découler de la distribution du courrier des plaignantes par le défendeur, la décision de ce dernier de refuser de faire la distribution ne devrait pas être renversée.

[125]    Comme indiqué au départ, la présente décision m'amène à rejeter la plainte.

[126]    Comme j'ai rejeté la plainte, il est inutile d'examiner la proposition subsidiaire des plaignantes prévoyant que le défendeur pourrait distribuer le courrier tout en donnant comme instruction aux employés de ne pas le lire, à l'instar de tout autre courrier personnel, pendant les heures de travail.

[127]    Compte tenu de ce qui précède, j'ai rendu l'ordonnance qui suit dans la décision n1, datée du 1er mai 2006 :

 
Ordonnance

[128]    La plainte est rejetée.

Le 21 juin 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Dan Butler,
commissaire

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