Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié pour avoir donné une fausse description de son état de santé en vue d’obtenir des prestations - la Chambre des communes (l’employeur) considérait que la faute de conduite alléguée constituait un incident déterminant justifiant le congédiement - suivant une décision provisoire, des documents vidéos obtenus à l’aide d’une caméra de surveillance et un rapport fondé sur ces documents vidéos n’étaient pas admissibles comme preuve - dès la reprise de l’audience, l’employeur a tenté de présenter comme preuve une lettre rédigée par l’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé, étant donné que celleci contenait supposément une déclaration contre intérêt - l’arbitre de grief a conclu que la lettre était admissible - avant son congédiement, le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait l’objet de plusieurs mesures disciplinaires au sujet desquelles il n’avait déposé aucun grief - le fonctionnaire s’estimant lésé s’est blessé au dos, sur les lieux de travail, au début de juin - le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué à l’employeur que des tâches modifiées ne conviendraient pas - à la mijuillet, la physiothérapeute du fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) que le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait exécuter des tâches modifiées, mais le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé qu’il n’avait jamais discuté de telles tâches avec cette dernière; trois jours plus tôt, son médecin avait indiqué à la CSPAAT qu’il n’était pas en état de travailler - le fonctionnaire s’estimant lésé a refusé d’assister à une journée de formation relative à un scanneur en raison de sa blessure, un peu plus d’une semaine après qu’il l’ait subie - l’employeur a alors demandé une surveillance vidéo et, en se fondant sur les images obtenues, a d’abord suspendu le fonctionnaire s’estimant lésé, puis l’a licencié - par suite des activités de surveillance vidéo, les prestations de la CSPAAT du fonctionnaire s’estimant lésé ont été rétroactivement refusées à partir de la fin de juin - l’employeur a tenté de déposer une contrepreuve qui n’a été accueillie qu’en partie - l’arbitre de grief a conclu que la décision de la CSPAAT de mettre fin aux prestations ne constituait pas une préclusion découlant d’une question déjà tranchée - les allégations à l’endroit du fonctionnaire s’estimant lésé, qui ont mené à son congédiement, n’ont pas été prouvées par l’employeur au moyen de preuves claires et convaincantes - l’employeur n’a pas présenté de preuves qui contredisaient l’évaluation réalisée par le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé ou les restrictions indiquées par la physiothérapeute - il n’y avait aucune raison de mettre en doute le diagnostic du médecin du fonctionnaire s’estimant lésé - à l’exception de la demijournée de formation, aucune tâche modifiée n’a été proposée au fonctionnaire s’estimant lésé - le refus d’assister à la formation n’a été formulé que neuf jours après la blessure et l’employeur n’a pas démontré que le refus était incompatible avec les restrictions médicales - l’employeur aurait dû effectuer un suivi auprès du médecin du fonctionnaire s’estimant lésé, ou demander qu’une tierce partie examine ce dernier, et aurait ensuite dû lui proposer des tâches modifiées - les renseignements dont disposait l’employeur ne suffisaient pas pour justifier sa conclusion, soit que le fonctionnaire était malhonnête, et l’employeur n’a pas démontré que la disciple était justifiée - l’arbitre de grief a réintégré le fonctionnaire s’estimant lésé dans ses fonctions - la mesure de redressement appropriée était la réintégration plutôt que la compensation - le versement de paiements pour dommages et intérêts et pour le fléchissement de la cote de solvabilité du fonctionnaire s’estimant lésé a été refusé, étant donné qu’aucune correspondance n’a été établie entre les relevés de cartes de crédit et le paiement de produits de première nécessité. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations
de travail au Parlement

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-07-04
  • Dossier:  166-HC-344
  • Référence:  2006 CRTFP 84

Devant un arbitre de grief



ENTRE

DAVID SABOURIN

fonctionnaire s’estimant lésé

et

CHAMBRE DES COMMUNES

employeur

Répertorié
Sabourin c. Chambre des communes

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Ian R. Mackenzie, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Paul Champ, avocat, et Samantha Lamb, avocate

Pour l’employeur : Charles Hofley, avocat


Affaire entendue à Ottawa, Ontario,
du 13 au 17 mars et le 28 avril 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Grief renvoyé à l’arbitrage

[1]   L’emploi de David Sabourin à la Chambre des communes a cessé le 14 octobre 2003. Son employeur a allégué qu’il avait malhonnêtement donné une fausse idée de son état de santé après un accident de travail, afin de pouvoir réclamer des prestations; il s’est fondé sur cette allégation d’inconduite comme incident déterminant justifiant le congédiement. M. Sabourin est représenté par l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC); avant sa cessation d’emploi, il était assujetti à la convention collective conclue entre l’AFPC et la Chambre des communes à l’égard de l’unité de négociation du sous–groupe des Services postaux (date d’expiration : le 30 juin 2003; pièce G–1).

[2]   Le 14 février 2006, j’ai rendu une décision sur l’admissibilité de la surveillance vidéo et d’un rapport fondé sur les bandes vidéo (Sabourin c. Chambre des communes, 2006 CRTFP 15). J’ai jugé que ces éléments de preuve n’étaient pas admissibles. L’audience sur le fond s’est poursuivie dans la semaine du 13 mars 2006.

[3]   La preuve dans ma décision préliminaire y est résumée, avec des renvois dans la présente décision. J’ai tenu compte des éléments de preuve pertinents dans ce contexte–là pour décider si le grief était fondé.

[4]    Le 24 février 2006, l’employeur a demandé un ajournement de deux mois de l’audience qui devait avoir lieu le 13 mars 2006, en disant qu’il lui fallait plus de temps pour préparer sa cause, étant donné que la preuve sur bande vidéo avait été jugée inadmissible. M. Sabourin s’est opposé à cette demande. Après avoir entendu les arguments des parties dans un appel conférence, le 28 février 2006, j’ai rejeté la demande d’ajournement parce que j’estimais que l’employeur avait eu suffisamment de temps pour se préparer.

Décisions sur la preuve

[5]   L’employeur a tenté de produire comme pièce une lettre rédigée par l’avocat de M. Sabourin, Paul Champ, à celui de l’employeur, Charles Hofley. Cette lettre aurait contenu une admission contre les intérêts de l’intéressé. M. Sabourin s’est opposé à son introduction en disant qu’elle avait été rédigée « sans préjudice ». Cynthia Lamb a plaidé cette motion pour M. Sabourin.

[6]   Me Lamb a déclaré que l’absence de l’expression « sans préjudice » de la lettre n’était pas déterminante. Le facteur déterminant consistait à savoir si la lettre avait été rédigée en vue de l’obtention d’un règlement : Bande Blood c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord), 2003 CF 1397 (C.A.). La raison d’être du privilège à l’égard du règlement consiste à encourager le règlement des différends.

[7]   L’avocate a déclaré que trois conditions doivent être réunies pour que ce privilège soit reconnu (Tommy Hillfiger Licensing Inc. c. Price Costco, [2000] A.C.F. n o 84 (Div. P.I.) :

  1. il doit exister un différend;

  2. la communication doit être faite dans l’intention explicite ou implicite de ne pas être divulguée;

  3. la communication doit avoir pour objet de tenter de conclure un règlement.

[8]   Me Lamb a déclaré que non seulement la possibilité d’un règlement y est mentionnée, mais encore la lettre a été envoyée (à la suite de ma décision préliminaire) afin de faciliter la discussion d’un éventuel règlement. Elle m’a aussi renvoyé à Newfoundland and Labrador Housing Corp. v. Canadian Union of Public Employees, Local 1860, [1998] Nfld. L.A.A. No. 30 (QL).

[9]   Me Hofley a admis que le fond et non la forme est le facteur déterminant pour décider si le privilège s’applique ici. Il a déclaré que la lettre en question était simplement une réponse à celle qu’il avait lui–même envoyée pour demander un ajournement, et que ce n’était pas une invitation de conclure un règlement. La lettre avait pour but non pas de négocier, mais plutôt de donner des opinions sur l’effet de la décision préliminaire, et sa dernière phrase renforce cette interprétation : [traduction] « Nonobstant tout ce qui précède, nous restons disposés à discuter d’un règlement […] ».

[10]   Me Lamb a déclaré que la lettre établissait le contexte de la réouverture des discussions avec l’employeur, puisqu’on peut y lire aussi [traduction] « […] Si cette affaire finit par être entendue ». Bref, quand on lit toute la lettre, on se rend compte qu’elle explique pourquoi il était préférable d’envisager un règlement. La mention d’une demande d’ajournement dans le premier paragraphe est une question distincte.

[11]   J’ai jugé la lettre admissible. C’est la substance et non la forme qui compte lorsqu’il s’agit de déterminer si une lettre d’un avocat est protégée par le privilège. Dans ce cas–ci, le fait que la lettre ne portait pas la mention « Sans préjudice » n’est pas déterminant; j’ai tenu compte de son intention globale, et mon analyse m’a mené à la conclusion qu’elle ne pouvait pas être protégée par le privilège. Tout son contenu, jusqu’au dernier paragraphe, n’a rien à voir avec le règlement du grief. Elle pose la position de l’agent négociateur, qui a dit espérer que la décision quant à la preuve sur bande vidéo avait été « instructive » pour l’employeur, en l’informant que M. Sabourin comptait faire comparaître des témoins au sujet des menaces qu’on lui aurait faites. La mention d’un règlement dans le dernier paragraphe est accessoire et ce, d’autant plus que ce paragraphe commence par [traduction] « […] Nonobstant tout ce qui précède, nous restons disposés à discuter d'un règlement […] ».

[12]   À la fin de la présentation des arguments pour le fonctionnaire s’estimant lésé, Me Hofley a déclaré qu’il désirait faire comparaître plusieurs témoins en réplique. Me Champ a accepté que l’employeur rappelle Paul Deault pour qu’il témoigne sur la question de savoir s’il avait aidé M. Sabourin à s’asseoir sur un divan au travail et à s’en relever. J’ai décidé qu’André Cyr, le coordonnateur de la santé et de la sécurité au travail, pourrait être appelé à témoigner en réplique au sujet des demandes de remboursement de médicaments à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT), mais pas des autres questions sur lesquelles Me Hofley voulait qu’il témoigne. J’ai décidé aussi que les autres témoins que l’avocat de l’employeur voulait faire comparaître ne pourraient pas être appelés à témoigner en réplique. Les arguments des parties et les motifs de ma décision sont présentés plus loin, à partir du paragraphe 82.

Résumé de la preuve

[13]   M. Sabourin est âgé de 43 ans; il travaillait à la Chambre des communes depuis 10 ans lorsqu’il a été suspendu sans traitement, le 24 juillet 2003; il a été licencié le 14 octobre 2003. À l’époque, il travaillait aux services postaux de l’entrepôt de la Chambre des communes situé sur le chemin Belfast. Il est marié et père de trois adolescents.

Dossier disciplinaire

[14]   L’employeur se fonde en partie sur le dossier disciplinaire de M. Sabourin pour justifier son licenciement. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait déjà écopé d’une réprimande verbale, de deux lettres de réprimande, d’une suspension de trois jours et d’une suspension de vingt jours assortie d’une rétrogradation avant d’être licencié par suite d’un présumé incident déterminant. Il n’avait présenté aucun grief pour contester les sanctions disciplinaires qui lui avaient été imposées jusque–là.

[15]   Le 6 décembre 1999, M. Sabourin a reçu une lettre de réprimande pour s’être servi d’un coupon de taxi sans autorisation. Cette lettre de réprimande (pièce E–18) se lit notamment ainsi :

[Traduction]

[…]

Le 5 octobre 1998, après un accident au travail, on vous a remis un coupon de taxi […] pour que vous puissiez immédiatement consulter un médecin. Vous ne vous êtes pas servi de ce coupon de taxi à ce moment–là et vous ne l’avez pas non plus rendu à la direction, mais vous l’avez utilisé le 16 octobre 1999 pour vous rendre de Vanier à Gloucester, à raison de 30 $. […] Je savais que vous aviez assisté à la réunion André–Laurendeau qui a eu lieu à Vanier le 16 octobre, et je savais aussi que vous viviez à Gloucester (Orléans).

Lors de notre rencontre, vous avez immédiatement avoué que vous aviez utilisé le coupon de taxi, que vous regrettiez de l’avoir fait et que vous aviez manqué de jugement à cette occasion–là. Vous avez aussi dit que vous étiez embarrassé et humilié par ce que vous aviez fait et vous avez immédiatement offert de rembourser intégralement la somme en question.

Votre franchise a été très appréciée, et j’en ai tenu compte dans ma décision. L’utilisation sans autorisation de ce coupon de taxi peut être assimilée à un vol, et les actions du genre sont traitées avec une grande rigueur à la Chambre des communes. En fait, si vous aviez nié votre responsabilité, les Services de sécurité et/ou la Police d’Ottawa auraient poursuivi l’enquête. Dans l’éventualité où cela aurait prouvé votre culpabilité, vous auriez probablement perdu votre emploi à la Chambre des communes, comme c’est arrivé dans des cas de vol comparables.

La présente lettre n’est qu’une lettre de réprimande, mais vous êtes néanmoins averti que toute inconduite de votre part au cours des deux prochaines années sera traitée avec la plus grande rigueur et pourra mener à votre renvoi automatique de la Chambre des communes, si l’incartade est suffisamment grave.

[…]

[16]   M. Sabourin a témoigné qu’il était ivre le soir où il s’était servi du coupon de taxi, et qu’il ne pensait pas clairement. Il a dit avoir admis sa faute quand on l’a convoqué, en précisant qu’il avait remboursé la somme.

[17]   Richard Mallette, le chef, Services postaux, distribution, messagers et transport, a témoigné que M. Sabourin a écopé en juillet 2000 d’une réprimande verbale pour s’être absenté de son lieu de travail sans la permission de son superviseur. (M. Sabourin était parti à la banque; son absence avait duré quelque 55 minutes.) M. Mallette a déclaré que les employés avaient été informés aux réunions avec le personnel de leur obligation d’obtenir la permission de leur superviseur pour s’absenter. M. Sabourin a témoigné qu’il avait été incapable de trouver son superviseur pour obtenir la permission voulue et que, à condition que le comptoir soit couvert par un employé, il n’y avait pas de problème lorsqu’on s’absentait brièvement, avec la pratique établie.

[18]   Le 5 juillet 2001, M. Sabourin a reçu une lettre de réprimande pour s’être absenté de son travail sans autorisation. Cette lettre (pièce E–19) se lit notamment comme suit :

[Traduction]

[…]

Le vendredi 29 juin 2001, vous avez quitté votre travail vers 11 h 40 sans informer votre superviseur que vous partiez plus tôt que prévu pour vous rendre à l’immeuble Wellington, où vous alliez assister au tirage 50/50, à midi. Le tirage s’est terminé avant 12 h 10. Vous aviez l’autorisation d’y assister, mais pas de partir de votre travail plus tôt par la suite. Votre pause–repas était censée durer de 12 h 30 à 13 h 30; vous êtes retourné au travail à cette heure–là.

Je tiens à vous rappeler que cette rencontre a été organisée pour vous donner la possibilité d’expliquer cette absence sans autorisation. On vous a déjà servi une réprimande verbale dans le passé pour des incidents analogues, mais j’ai été heureux de constater que vous assumiez la responsabilité de vos actions. Par conséquent, je suis disposé à vous imposer une sanction moins dure, en vous remettant simplement cette lettre de réprimande pour vous être absenté de votre travail sans autorisation.

[…]

Je vous rappelle que, si vous ne vous présentez pas au travail une autre fois, vous pourriez écoper de sanctions disciplinaires plus lourdes.

[…]

[19]   M. Sabourin a témoigné qu’il était un des organisateurs du tirage de Centraide. Plusieurs autres employés n’étaient pas retournés au travail immédiatement après le tirage. M. Mallette a dit ne pas se rappeler que M. Sabourin ou son représentant avaient fait valoir ces points–là à l’entrevue disciplinaire.

[20]   Le 4 octobre 2001, M. Sabourin a écopé d’une suspension de trois jours pour avoir ouvert une lettre d’une députée et pour avoir tenté d’inciter un collègue à changer son interprétation de l’incident. La lettre disciplinaire (pièce E–20) au sujet de cette incartade se lit notamment ainsi :

[Traduction]

[…]

Le 29 août 2001, l’unité postale de la Justice a reçu une demande du bureau de Mme Bakopanos, qui voulait qu’on envoie le contenu (des enveloppes) de six boîtes de lettres au bureau de sa circonscription par Xpresspost. D’après les témoignages entendus dans notre enquête, vous étiez occupé à faire quelque chose de personnel. Quand on vous a dit de mettre les enveloppes dans des boîtes et de les envoyer, vous avez réagi d’un air maussade. Ensuite, vous avez ouvert une des enveloppes; vous en avez lu le contenu, puis vous avez décidé d’appeler le bureau de la députée au sujet du mode de livraison. Votre appel est resté sans réponse; vous avez alors envoyé les boîtes d’enveloppes par le courrier ordinaire pour les colis standard. Les boîtes n’ont été envoyées par Xpresspost que le lendemain matin, quand votre collègue a remarqué qu’elles étaient encore dans la salle.

L’incident suivant est arrivé après notre première rencontre du 12 septembre au sujet de cet incident–là. Quand un collègue qui avait été témoin de l’incident vous a abordé, vous avez tenté de le convaincre de changer son interprétation de l’affaire. Vous lui avez alors dit « Peux–tu faire un message pour moi? Tu diras au petit cocksucker, what goes around comes around ( [traduction] : quand on crache en l’air… »).

Au sujet du premier incident, vous prétendez que vous ne saviez pas que le contenu des boîtes de lettres devait être envoyé par Xpresspost. Par l’intermédiaire de votre représentant syndical, vous avez fait valoir qu’on lit régulièrement le contenu des enveloppes ouvertes pour trouver une date. Enfin, vous avez expliqué que vous preniez votre pause à ce moment–là, ce qui aurait expliqué que vous vous occupiez d’affaires personnelles et expliqué aussi la frustration que vous avez manifestée quand on vous a dit de vous occuper de l’envoi.

Vous avez reconnu que le second incident s’est produit comme on vous l’a décrit; vous avez présenté des excuses et dit avoir du remords, en déclarant vous être senti humilié et embarrassé par tout l’incident.

[…] J’ai réinterrogé les témoins pour déterminer si vous saviez ou pas que le contenu des boîtes de lettres devait être envoyé par Xpresspost. Les deux témoins ont confirmé qu’ils étaient présents lorsqu’on vous a dit que ces enveloppes devaient être mises dans des boîtes et envoyées par Xpresspost.

Par conséquent, je dois rejeter votre version de l’incident. Les deux témoins ont affirmé sans équivoque que vous saviez quel mode de livraison on avait demandé. Qui plus est, je n’arrive pas à comprendre pourquoi vous êtes allé jusqu’à téléphoner au bureau de la députée si vous croyiez dès le début que ces lettres devaient être envoyées par la poste ordinaire. Si vous en étiez convaincu, pourquoi seriez–vous allé jusqu’à téléphoner à son bureau? Je doute aussi de votre version des faits pour une autre raison, à savoir que vous avez dit que vous étiez en pause à ce moment–là. Cela me paraît vraiment incroyable pour diverses raisons. Premièrement, vous n’étiez revenu de votre pause du déjeuner que depuis une trentaine de minutes. Deuxièmement, la pratique établie veut qu’on ne prenne pas de pause dans l’après–midi, puisque les employés préfèrent partir un peu plus tôt à la fin de la journée. Je l’ai confirmé avec vos collègues, et l’un d’eux a aussi confirmé que vous étiez parti à votre heure habituelle ce soir–là, ce qui contredit votre allégation que vous étiez en pause.

Compte tenu de tout ce qui précède, vous comprendrez que je n’ai d’autre choix que de vous imposer une suspension. La franchise dont vous avez fait preuve à notre deuxième rencontre m’a convaincu d’alléger la sanction combinée pour les deux incidents. Cela dit, je dois aussi tenir compte du fait que vous aviez à votre dossier une lettre de réprimande datée du 6 décembre 1999 pour vous être servi sans autorisation d’un coupon de taxi. En outre, en juillet 2000 et en juillet 2001, vous avez écopé d’une réprimande verbale et d’une réprimande écrite pour vous être absenté sans autorisation de votre lieu de travail.

[…]

[…] Comme vous l’avez dit vous–même lors de notre dernière rencontre, c’est peut–être bien votre dernière chance de continuer à travailler à la Chambre des communes. Nous apprécions nos employés, et il serait vraiment dommage que des problèmes de comportement viennent réduire à néant tout l’investissement de l’employeur en vous, aussi bien que vos propres efforts. Je vous invite à réfléchir sérieusement à votre attitude sur le travail en général. Si vous avez besoin d’aide pour composer avec des problèmes personnels susceptibles d’influer sur votre comportement au travail, je vous encourage fortement à communiquer avec le Programme d’aide aux employés, au […]

[21]   M. Sabourin a témoigné avoir dit à son collègue ce qu’on lui impute dans la lettre disciplinaire, en niant toutefois que ce qu’il disait était une menace. Il a aussi déclaré qu’il ne souscrivait pas nécessairement à la sanction dont il avait écopé, mais qu’il voulait simplement [traduction] « qu’on n’en parle plus ». M. Mallette a témoigné pour sa part que l’expression [traduction] « dernière chance de continuer à travailler » figurant dans la lettre reproduisait textuellement les propos de M. Sabourin, et non les siens.

[22]   Le 3 juin 2002, M. Sabourin a écopé d’une suspension de 20 jours assortie d’une rétrogradation, pour avoir volé l’employeur. La lettre disciplinaire (pièce E–17) se lit notamment comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] En mai 2002, votre superviseur, Pierre Giguère, a constaté dans une demande de papeterie datée du 10 avril 2002 que deux (2) boîtes de piles avaient été commandées pour l’unité. Il a eu des soupçons parce qu’on ne se sert pas de piles au Bureau de poste de l’immeuble Wellington.

Ce mois–là, vous avez aussi pris un « Bescherelle » à l’Unité de l’immeuble Wellington. Vous avez demandé à une collègue, Monique Payant, de prendre le livre dans les stocks pour qu’il ne paraisse pas dans l’inventaire. Le lendemain, elle a refusé de faire ce que vous lui demandiez. Vous avez alors téléphoné à Daniel Lavoie, à l’unité de l’immeuble Confédération, en lui demandant de vous envoyer un « Bescherelle » pour couvrir l’inventaire, et il l’a fait.

À la suite de ces incidents, la direction comptait faire enquête; elle a envoyé des avis aux employés. Toutefois, à la demande de votre représentant syndical et de vous–même, les entrevues prévues ont été annulées et une réunion a été organisée pour le lendemain. Votre représentant a déclaré à la direction que vous étiez prêt à admettre votre culpabilité.

Au cours de notre rencontre, vous avez effectivement admis avoir pris les piles et le « Bescherelle » pour votre usage personnel. Vous avez toutefois déclaré que vous n’aviez pas fait pression sur Mme Payant à la suite de son refus de vous couvrir pour ce livre. Vous avez déclaré avoir dit à M. Lavoie que vous aviez besoin de ce livre afin de pouvoir l’apporter à la maison pour votre fille.

Vous savez qu’il ne s’agit pas du premier incident pour lequel la direction a dû prendre des mesures disciplinaires à votre endroit […] [La liste des sanctions disciplinaires dont le fonctionnaire s’estimant lésé avait écopé jusque–là suit.]

Je tiens à vous répéter que le vol est la forme d’inconduite la plus grave dans une relation d’emploi et qu’il mène habituellement au congédiement. Néanmoins, la direction a tenu compte du fait que vous avez des enfants et des répercussions que votre congédiement aurait pour votre famille.

Cela dit, en raison de la gravité de votre inconduite, des mesures disciplinaires ne sauraient être évitées, et j’ai donc décidé de vous imposer une suspension de 20 jours. Pour éviter de faire subir à votre famille les conséquences financières d’une telle décision, toutefois, je suis disposé à lever cette suspension. Veuillez prendre note qu’une suspension levée est tout aussi susceptible que si elle était maintenue de justifier des mesures disciplinaires plus dures en cas de récidive, même si vous ne subirez aucune sanction pécuniaire.

Vous devrez aussi rembourser à la Chambre des communes le prix des articles dont vous vous êtes emparé…

[…] Comme on l’a dit au cours de notre rencontre, c’est votre dernière chance de continuer à travailler à la Chambre des communes .

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original.]

[23]   M. Sabourin a témoigné qu’il ne pensait pas avoir mal agi à l’époque puisqu’il avait vu d’autres employés faire le même genre de chose, mais il a ajouté qu’il avait admis sa culpabilité quand il s’était fait prendre et qu’il s’était senti humilié.

[24]   M. Sabourin a signé un « Protocole d’entente » au sujet de cette mesure disciplinaire (pièce E–21). À l’audience, il a renoncé à la confidentialité de ce protocole, qui prévoyait les conditions suivantes :

[Traduction]

[…]

  1. L’employé écope d’une suspension de 20 jours (non purgée) – voir la lettre annexée – pour s’être emparé de 24 piles et d’un « Bescherelle » de la papeterie de l’immeuble Wellington.

  2. L’employé va rembourser à la Chambre des communes une somme de 16,71 $ par chèque à l’ordre du Receveur général du Canada.

  3. L’employé va se retirer, par lettre adressée aux Services du personnel, du concours 2002–13 (poste de superviseur avec nomination pour une période indéterminée) et du concours 2002–24 (affectation intérimaire comme superviseur).

  4. L’employé va demander, dans une lettre adressée à Richard Mallette, d’être rétrogradé OPS–3 dans un poste de commis au traitement du courrier à l’entrepôt du chemin Belfast.

  5. L’employé ne présentera pas de grief pour contester les modalités du Protocole.

  6. Toutes les parties tiendront ce protocole d’entente confidentiel, en s’entendant pour que son contenu soit communiqué au personnel de la Chambre des communes responsable de sa mise en œuvre.

. . .

[25]   M. Mallette avait participé aux rencontres avec M. Sabourin pour discuter du protocole d’entente. Il a témoigné que la rétrogradation éviterait que l’intéressé ait des contacts directs avec les clients. M. Sabourin avait dit avoir du remords, et il semblait à M. Mallette qu’il comprenait clairement les implications de ses actions. M. Mallette a d’ailleurs témoigné que M. Sabourin comprenait qu’il s’agissait [traduction] « certainement d’une dernière, toute dernière chance ». Pour sa part, M. Sabourin a témoigné qu’on ne lui avait pas dit qu’il s’agissait d’une entente de dernière chance. Il a aussi déclaré avoir signé le protocole d’entente parce qu’il était menacé de perdre son emploi s’il refusait de le faire. M. St. Louis, enfin, a témoigné qu’il était très clairement précisé dans la lettre disciplinaire (aussi bien que verbalement) que c’était la dernière chance de M. Sabourin de continuer à travailler.

Présumé incident déterminant

[26]   Comme je l’ai dit plus haut, il y a des éléments de preuve sur le présumé incident déterminant dans la décision que j’ai rendue antérieurement quant à l’admissibilité de la preuve sur bande vidéo.

[27]   M. Sabourin s’est blessé à son travail le 9 juin 2003. Son superviseur, M. Deault, l’a conduit à l’hôpital. M. Sabourin a témoigné que M. Deault lui avait dit dans la voiture qu’il devrait prendre soin de dire au médecin qu’on ne pouvait pas lui offrir des fonctions modifiées. M. Deault a nié avoir dit cela. M. Sabourin n’est pas resté à l’hôpital parce qu’on lui a dit qu’il devrait attendre longtemps pour voir un médecin. Il est retourné au travail prendre son véhicule et s’est rendu jusqu’à une clinique locale où il a été vu par le Dr Wijay, qui lui a dit de prendre une semaine de repos en lui prescrivant des analgésiques et des anti–inflammatoires. À la fin de la semaine, M. Sabourin avait encore mal; il a informé M. Deault qu’il allait voir son médecin de famille (le Dr James Dickson) le lundi suivant. M. Sabourin a témoigné que son médecin avait établi son diagnostic en lui demandant [traduction] « comment ça allait », et qu’il avait conclu que l’intéressé s’était soit fait une entorse lombaire, soit pincé un nerf. M. Sabourin n’a subi aucun autre examen — aux rayons X, par exemple — en vue d’un diagnostic avant septembre 2003.

[28]   Le Dr Dickson avait prescrit à M. Sabourin des médicaments, notamment des analgésiques (pièce E/G–3), mais ce dernier n’a pas pu se rappeler exactement quels médicaments lui avaient été prescrits. M. Cyr a témoigné que l’employeur n’avait absolument pas été informé que M. Sabourin avait demandé le remboursement de médicaments. M. Cyr a témoigné que ses demandes auraient été acquittées par la CSPAAT et que l’employeur les aurait vues. Il a déclaré qu’il était financièrement plus avantageux de réclamer un remboursement à la CSPAAT que de le faire par l’intermédiaire du régime d’assurance–maladie des employés (Sun Life), parce qu’il n’y a pas de franchise pour les demandes de remboursement adressées à la CSPAAT. M. Sabourin a témoigné qu’il n’avait pas demandé le remboursement de tous ses médicaments parce qu’il pensait qu’ils n’étaient pas tous assurés. Après sa suspension sans traitement, il pensait aussi n’être plus protégé par le régime d’avantages sociaux. En contre–interrogatoire, M. Cyr a déclaré qu’il n’avait pas parlé de médicaments d’ordonnance avec M. Sabourin et qu’il ne lui avait pas dit qu’il aurait pu en réclamer le remboursement à la CSPAAT.

[29]   Le 17 juin 2003, M. Sabourin s’est fait demander de passer à l’entrepôt du chemin Belfast pour prendre les formulaires de la CSPAAT que son médecin allait devoir remplir (j’en ai parlé plus longuement dans ma décision intérimaire). M. Deault l’a invité à monter à son bureau. M. Sabourin a témoigné qu’il s’était aidé de la rampe pour gravir les marches. M. Deault a déclaré pour sa part que l’intéressé avait effectivement de la difficulté à monter les marches et qu’il marchait lentement. Une fois arrivés dans son bureau, M. Deault lui a demandé s’il voulait s’asseoir. M. Sabourin a témoigné que M. Deault l’avait aidé à prendre place sur un divan bas et qu’il l’avait aussi aidé à se relever. M. Deault l’a nié. En contre–interrogatoire, il a toutefois reconnu que M. Sabourin avait du mal à marcher et à rester assis.

[30]   Robert Frenette (le superviseur de M. Deault) lui avait demandé de téléphoner à M. Sabourin au sujet d’un cours sur scanneurs qui devait avoir lieu le lendemain (le 18 juin 2003). J’ai décrit le contenu de cette discussion et la nature du cours en question dans ma décision intérimaire, au paragraphe 16.

[31]   M. Sabourin a témoigné qu’il y avait des jours où il souffrait énormément au début de la journée, mais que, les médicaments aidant, au milieu de la journée, il se sentait mieux au point de pouvoir faire des courses comme aller acheter du lait ou de prendre sa voiture pour aller au club vidéo. Il faisait des exercices d’assouplissement et des flexions sur les jambes, sans forcer. Selon lui, chaque jour était différent côté douleur. En contre–interrogatoire, il a témoigné qu’il restait couché certains jours et qu’il restait parfois assis. Il a dit qu’il n’était pas apte à retourner au travail avant le 1er juillet 2003, en précisant qu’il ne voulait pas courir le risque de se blesser de nouveau au dos.

[32]   J’ai précisé plus haut que j’avais décidé qu’une lettre envoyée à Me Hofley par Me Champ était admissible (pièce E–25). La partie de cette lettre sur laquelle Me Hofley s’est fondé pour dire qu’elle constituait une admission contraire aux intérêts du fonctionnaire s’estimant lésé se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Accomplir certaines activités brièvement ne peut et ne doit pas mener à la conclusion que quelqu’un peut accomplir des activités du même genre une journée durant ni, plus sérieusement, que quelqu’un agit frauduleusement […]

[…]

[33]   En contre–interrogatoire, M. Sabourin s’est fait demander s’il avait participé à l’érection d’un bâti de basket–ball à sa résidence pendant qu’il était en congé d’accident du travail. Il a témoigné que le bâti avait été transporté chez lui à l’arrière d’une fourgonnette. Il avait ouvert la boîte, mais c’est son fils qui en avait retiré les pièces. On lui a demandé si c’était agir contrairement aux instructions de son médecin : il a répondu que non, parce que son médecin lui avait dit qu’il pouvait vaquer aux activités qu’il [traduction] « supportait ». Son épouse, son fils et un voisin ont assemblé le panier et son poteau pendant qu’il leur lisait les instructions. On lui a demandé s’il avait érigé le mât, et il a témoigné qu’il ne s’en souvenait pas. Il ne se rappelait pas non plus s’il avait aplati la boîte en sautant dessus. Par ailleurs, on lui a aussi demandé s’il avait lavé sa voiture à la main : il a témoigné qu’il ne se le rappelait pas. Quand on lui a demandé s’il avait été capable de se pencher et de se tourner pour laver sa voiture, il a dit qu’il n’en était pas sûr, mais que son médecin lui avait dit qu’il pouvait accomplir les activités qu’il supportait; certains jours, il se sentait bien, alors qu’il se sentait mal d’autres jours. Certains jours, il devait même demander à son épouse d’attacher ses lacets.

[34]   En contre–interrogatoire, M. Sabourin a déclaré qu’un voisin avait vu quelqu’un assis dans une voiture garée dans la rue se servir d’une caméra magnétoscopique, et qu’il l’en avait informé. M. Sabourin était allé voir le vidéaste; ils avaient eu une explication.

[35]   Le 3 juillet 2003, M. Cyr a téléphoné au Dr Dickson pour lui demander des précisions sur ce que celui–ci avait écrit dans le formulaire de Détermination des capacités fonctionnelles du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce G–5). Il a témoigné que le Dr Dickson lui avait dit que M. Sabourin était incapable d’assumer des fonctions modifiées.

[36]   M. Sabourin est allé voir une physiothérapeute (Mélanie Farmer) 11 fois entre le 11 juillet et le 7 août 2003. Mme Farmer a préparé un rapport d’évaluation daté du 11 juillet 2003 (pièce E/G–3) pour la CSPAAT. Dans ce rapport, elle a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû être entièrement rétabli dans six semaines. À l’époque (le 11 juillet 2003), elle avait énuméré les restrictions suivantes de ses activités physiques : il lui était interdit de se pencher ou de se tourner et de soulever quoi que ce soit; il devait s’asseoir en s’appuyant le dos sur un rouleau lombaire. Dans sa lettre datée du 11 septembre 2003 (pièce E–23), l’agent d’indemnisation de la CSPAAT a souligné qu’il avait communiqué avec la physiothérapeute vers le 17 juillet 2003 et qu’elle avait [traduction] « déclaré que [M. Sabourin serait] capable de retourner à des fonctions modifiées ». M. Sabourin a témoigné n’avoir jamais parlé de fonctions modifiées avec sa physiothérapeute.

[37]   M. Cyr a témoigné qu’il avait eu une conversation téléphonique avec M. Sabourin le 14 juillet 2003, en lui demandant s’il était disposé à assumer des tâches modifiées; M. Sabourin a répondu qu’il n’était pas apte à retourner au travail. M. Sabourin a nié avoir parlé de fonctions modifiées avec M. Cyr. Le 16 juillet 2003, le Dr Dickson a rempli un rapport sur l’évolution de l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé à l’intention de la CSPAAT (pièce E/G–3), avec un diagnostic de [traduction] « lésion mécanique au dos ». Il soulignait dans ce rapport que M. Sabourin était [traduction] « inapte au travail pour le moment ». Le médecin déclarait aussi qu’on avait commandé un tomodensitogramme du dos de l’intéressé.

[38]   M. Sabourin a été convoqué le 22 juillet 2003 à une entrevue disciplinaire à laquelle il était accompagné d’un représentant syndical, en présence d’Art St. Louis, le directeur de la Gestion des bâtiments, qui présidait la rencontre, avec M. Frenette et M. Cyr. Cheryl Paquette assistait aussi à la réunion, pour prendre des notes (pièce G–12). M. St. Louis a déclaré à M. Sabourin qu’on le soupçonnait de fraude dans le contexte de sa demande à la CSPAAT et que l’employeur était convaincu qu’il simulait d’être blessé. M. Sabourin a témoigné que M. St. Louis lui avait dit que, s’il refusait de démissionner, on pourrait appeler la Police provinciale de l’Ontario (PPO), la Police d’Ottawa ou la GRC, et qu’il pourrait être accusé de fraude. M. St. Louis a témoigné pour sa part avoir simplement dit à M. Sabourin que la CSPAAT pourrait faire enquête et faire intervenir la police. Il a dit ne pas se rappeler d’avoir parlé de la Police d’Ottawa ni de la GRC. Les notes prises à la réunion font état de la possibilité que des accusations soient portées par la PPO et précisent que l’affaire était [traduction] « sortie » de la Chambre des communes.

[39]   Les mêmes personnes se sont de nouveau réunies le 24 juillet 2003 (pièce G–13). Cette fois–là, M. Sabourin a été informé de la preuve obtenue grâce à la surveillance vidéo. Les notes prises à cette occasion révèlent que M. St. Louis avait dit que les [traduction] « conséquences étaient graves » et que la PPO pourrait être appelée à intervenir. M. St. Louis a témoigné qu’il tenait à ce que M. Sabourin soit [traduction] « bien informé », et qu’il voulait dire que la CSPAAT pourrait appeler la PPO à s’en mêler. Dans les notes, on peut aussi lire qu’il a dit qu’une fois que l’information aurait été communiquée à la CSPAAT, l’affaire ne serait plus [traduction] « de notre ressort ». M. St. Louis a témoigné que, si M. Sabourin avait démissionné, l’employeur aurait [traduction] « fermé le dossier » sans prendre d’autres mesures. M. Sabourin s’est fait dire qu’il serait suspendu en attendant les résultats d’une enquête et il a reçu le jour même une lettre lui annonçant qu’il était suspendu sans traitement (pièce G–2).

[40]   La lettre de suspension sans traitement précisait que l’employeur détenait des renseignements qui [traduction] « laissaient entendre que son état de santé était incompatible avec les renseignements médicaux fournis ». Les renseignements dont l’employeur parlait dans la lettre étaient essentiellement les bandes vidéo de surveillance de M. Sabourin (que j’ai jugées inadmissibles). M. St. Louis a témoigné que les autres renseignements sur lesquels l’employeur s’était fondé comprenaient les observations de M. Deault et le refus de M. Sabourin de participer au cours sur scanneurs. M. Sabourin s’est fait dire dans la lettre de suspension qu’il était suspendu sans traitement parce qu’il [traduction] « était soupçonné d’utilisation frauduleuse des congés d’accident du travail ». Dans cette lettre, l’employeur déclarait aussi qu’il allait poursuivre ses investigations et examiner la demande d’indemnités de M. Sabourin de concert avec l’agent d’indemnisation de la CSPAAT. M. Mallette a déclaré dans son témoignage que la direction doutait que la blessure ait été aussi grave que M. Sabourin le prétendait.

[41]   M. Sabourin a témoigné avoir commencé à se sentir mieux vers la fin de juillet. Le 29 ou le 30 juillet 2003, le Dr Dickson lui a demandé s’il se sentait capable d’assumer des fonctions modifiées, et il lui a répondu affirmativement.

[42]   Un peu plus tard, M. Sabourin a reçu de Rob Panchuk, l’agent d’indemnisation chargé de son dossier à la CSPAAT, une lettre datée du 5 août 2003 (pièce E–22) l’informant que sa demande d’indemnités était rejetée à compter du 25 juin 2003 :

[Traduction]

La présente lettre a pour objet de confirmer notre conversation du 29 juillet 2003 dans laquelle nous avons parlé du traitement de votre demande.

Votre demande a été approuvée pour une blessure au dos que vous avez subie le 9 juin 2003 pendant votre travail pour la Chambre des communes. Le Dr Wijay a diagnostiqué des douleurs mécaniques au dos en vous prescrivant une semaine de congé. Nous avons reçu un autre rapport médical du Dr Dickson déclarant que votre absence serait prolongée en raison de vos douleurs au dos persistantes. Le Dr Dickson a aussi rempli un rapport de détermination de vos capacités fonctionnelles dans lequel il décrit vos capacités comme il suit :

  • Marcher sur de courtes distances seulement
  • Rester assis moins de 30 minutes
  • Rester debout moins de 15 minutes
  • Faire des efforts physiques comme c’est supportable

Votre employeur déclare vous avoir offert des fonctions modifiées comprenant le visionnement de matériel de formation. André Cyr dit avoir téléphoné à votre médecin pour en parler, en précisant que votre médecin l’a informé que vous étiez incapable d’accomplir quelque tâche que ce soit à cause de votre blessure.

Votre employeur nous a aussi fait parvenir des bandes vidéo de surveillance (enregistrées entre le 25 juin et le 11 juillet 2003) qui démontrent selon lui votre aptitude à travailler, contrairement aux renseignements médicaux que vous avez soumis dans votre demande.

Après avoir visionné les bandes, j’ai conclu que je ne peux pas approuver le versement d’indemnités pour le temps que vous n’avez pas travaillé à partir du 25 juin 2003. Il m’est impossible de conclure que vous aviez encore des problèmes de dos à partir de cette date–là. Pour arriver à cette conclusion, j’ai regardé les bandes en tenant compte des précautions normales pour les gens qui ont mal au dos, à savoir :

  • Ne pas rester longtemps en position statique, comme rester longtemps assis ou debout
  • Ne pas porter de charge ni marcher longtemps
  • Ne pas se pencher ni se tourner de façon répétitive ou extrême
  • Ne rien soulever de façon répétée ou ne rien soulever de lourd

Les bandes démontrent votre aptitude à :

  • Rester longtemps assis et debout
  • Marcher longtemps
  • Vous tourner et vous pencher de façon répétée
  • Soulever des objets de façon répétée

Qui plus est, on n’y voit aucune manifestation physique évidente de maux de dos quelconques comme le fait de marcher lentement ou de grimacer de douleur.

Vous m’avez informé que votre employeur ne vous a jamais offert de fonctions modifiées et qu’il n’a pas non plus mentionné de telles fonctions à votre médecin. Jusqu’à présent, ce que vous m’avez dit n’est pas compatible avec les renseignements que j’ai dans votre dossier de demande. Toutefois, si vous pouvez me prouver que ce que vous dites est vrai, je reviendrai sur ma décision.

Si vous ne comprenez pas les motifs de ma décision ou ne souscrivez pas à mes conclusions, veuillez communiquer avec moi. Je me ferai un plaisir d’en parler avec vous.

Je tiens aussi à vous informer que la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail impose des délais d’appel. Si vous désirez interjeter appel de ma décision, la Loi exige que vous m’en informiez par écrit d’ici au 6 février 2003.

[43]   M. Cyr a déclaré qu’il avait montré cette lettre à M. St. Louis. M. Sabourin a témoigné quant à lui qu’aucun membre du personnel de la Chambre des communes ne lui en a parlé. En contre–interrogatoire, il a commencé par dire qu’il ne souscrivait pas à la conclusion de l’agent d’indemnisation dans la lettre, en disant que, puisqu’il allait présenter un grief pour contester son licenciement, il avait décidé de ne pas faire appel de la décision de la CSPAAT. Il a déclaré qu’il pensait gagner son grief et se disait qu’il pourrait ensuite recommuniquer avec la CSPAAT pour qu’elle revienne sur sa décision. En contre–interrogatoire, toutefois, il a fini par dire qu’il [traduction] « souscrivait » à la lettre, en déclarant : [traduction] « Je m’y suis conformé ».

[44]   M. Cyr a communiqué avec l’agent d’indemnisation de la CSPAAT pour savoir si celle–ci allait prendre d’autres mesures contre M. Sabourin, par exemple en intentant des poursuites. Il a témoigné que l’agent d’indemnisation lui avait dit que, puisque le montant des prestations en question était inférieur à 5 000 $, l’affaire n’allait pas être confiée à une équipe d’enquête; la CSPAAT ne comptait prendre aucune autre mesure.

[45]   M. Cyr a témoigné que l’agent d’indemnisation lui avait bel et bien parlé de fonctions modifiées, puisqu’il voulait s’assurer que l’employeur avait des fonctions modifiées à offrir au fonctionnaire s’estimant lésé. M. Cyr a déclaré que c’est M. Mallette qui aurait pris la décision d’offrir de telles fonctions. Il n’en avait pas parlé avec lui parce que ce dernier était absent.

[46]   Le Dr Dickson a conclu que M. Sabourin était prêt à retourner travailler en assumant des fonctions complètes à compter du 26 août 2003 (pièce E/G–3). Dans son rapport à la CSPAAT sur l’évolution de l’état de santé de l’intéressé (daté du 26 août 2003), le Dr Dickson écrivait que les douleurs que M. Sabourin éprouvait au bas du dos avaient [traduction] « largement disparu ». Le même jour, il écrivait que M. Sabourin aurait été prêt à retourner travailler en assumant des [traduction] « fonctions modifiées allégées » dès le 4 août 2003, mais qu’on ne lui avait pas offert de telles fonctions (pièce E/G–3).

[47]   Un autre agent d’indemnisation de la CSPAAT, W.A. Howard, a étudié la demande de M. Sabourin et a rendu une décision-lettre à ce sujet le 11 septembre 2003 (pièce E–23) :

[Traduction]

La présente lettre a pour objet de confirmer notre conversation d’aujourd’hui sur un autre examen de votre demande. Comme on vous l’annonçait dans notre lettre du 5 août 2003, nous avons cessé de vous verser des indemnités pour compenser votre manque à gagner parce que nous estimions que vous n’avez pas été incapable de travailler depuis le 25 juin 2003.

Votre représentant syndical et votre employeur nous ont fait parvenir d’autres renseignements, et j’ai réexaminé votre dossier en conséquence. Vous avez déclaré penser que votre employeur ne vous a jamais offert des fonctions modifiées. Or, votre employeur nous a fait savoir qu’on a communiqué avec vous une fois pour vous demander d’assister à un cours d’une demi–journée consistant à regarder des bandes vidéo, et que vous lui avez fait savoir à ce moment–là que vous en étiez totalement incapable. Votre employeur a aussi communiqué avec vous le 2 juillet 2003, date à laquelle vous avez présenté un formulaire de détermination de vos capacités fonctionnelles dans lequel on déclarait que vous étiez totalement inapte à travailler, en ajoutant toutefois que vous pourriez retourner au travail pour assumer des fonctions modifiées. À ce moment–là, vous avez dit que vous ne pouviez pas travailler, et la direction a communiqué avec votre médecin. Ils ont parlé de fonctions modifiées, mais votre médecin a déclaré que vous étiez totalement inapte à travailler à ce moment–là.

J’ai moi–même communiqué avec vous le 17 juillet 2003; nous avons alors parlé de fonctions modifiées. Vous avez de nouveau déclaré que vous étiez absolument inapte à travailler et incapable de retourner au travail pour assumer des fonctions modifiées. J’ai communiqué avec votre physiothérapeute, qui m’a déclaré que vous seriez capable de recommencer à travailler avec des fonctions modifiées. Vous avez persisté à dire que vous étiez incapable de retourner au travail, même avec des fonctions modifiées.

Ensuite, j’ai regardé les bandes vidéo reçues de votre employeur. Nous avons conclu que cela prouvait que vous n’étiez pas totalement incapable de travailler, et nous avons décidé de cesser de vous verser des prestations à compter du 25 juin 2003.

Après avoir analysé la décision du 5 août 2003, j’ai conclu qu’il m’est impossible de la modifier. Même s’il y a une certaine confusion sur la question de savoir quand on vous a offert des fonctions modifiées, voire si on l’a fait, les bandes vidéo démontrent que vous n’étiez pas du tout incapable de travailler dès le 25 juin 2003, de sorte que vous ne pouvez pas avoir droit à des indemnités pour compenser votre manque à gagner à partir de cette date.

Je tiens à rendre la meilleure décision possible en me fondant sur la preuve. Pour ce faire, il est important que j’aie tous les renseignements pertinents. Si vous ne souscrivez pas à ma décision, peut–être n’ai–je pas tous les renseignements en main. Si vous avez des faits nouveaux à me communiquer, veuillez m’en informer, et je réévaluerai ma décision. Si vous ne souscrivez toujours pas à ma décision une fois que je l’aurai réévaluée en me fondant sur les faits nouveaux que vous m’aurez envoyés, n’hésitez pas à communiquer avec moi. Nous pourrons discuter de la situation; si nécessaire, j’acheminerai votre objection à la Direction des appels.

Si vous ne comprenez pas les motifs de ma décision ou ne souscrivez pas à mes conclusions, veuillez communiquer avec moi. Je me ferai un plaisir d’en parler avec vous.

Je tiens aussi à vous informer que la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail impose des délais d’appel. Si vous souhaitez interjeter appel de ma décision, la Loi exige que vous m’en informiez par écrit d’ici au 11 mars 2004.

[48]   M. Cyr a témoigné qu’il ne savait pas que l’agent d’indemnisation avait communiqué avec la physiothérapeute. M. St. Louis a déclaré qu’il n’avait été informé des conclusions de la physiothérapeute qu’en lisant la décision-lettre de la CSPAAT. M. Sabourin n’a pas interjeté appel de cette décision-lettre.

[49]   M. Sabourin a effectivement subi un tomodensitogramme le 16 septembre 2003; dans son rapport, le médecin concluait à l’existence de [traduction] « troubles minimaux de dégénérescence des disques intervertébraux dans les segments thoraciques inférieurs, avec réduction minimale de l’espace intervertébral » (pièce E/G–3).

[50]   Dans la lettre de licenciement datée du 14 octobre 2003, l’employeur déclarait qu’il licenciait M. Sabourin parce que celui–ci avait [traduction] « tenté de frauder l’employeur en se faisant verser des indemnités d’accident du travail » (pièce G–3). L’employeur concluait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait [traduction] « malhonnêtement donné une fausse idée » de son état de santé afin de pouvoir réclamer des indemnités d’accident du travail. Sur la foi de cet incident et des cinq sanctions disciplinaires qu’il avait imposées à M. Sabourin jusque–là, l’employeur concluait que l’incident déterminant avait prouvé que [traduction] « […] la confiance qui doit exister dans une relation entre un employeur et un employé ne peut plus être rétablie […] » Cette lettre était signée par le sergent d’armes de la Chambre des communes, M.G. Cloutier.

[51]   M. St. Louis a témoigné qu’il avait tenu compte de plusieurs facteurs avant de recommander l’imposition d’une sanction disciplinaire, en plus de la preuve sur bande vidéo. Il a dit avoir ordonné la surveillance vidéo par prudence afin d’obtenir plus de renseignements. Les bandes vidéo ne sont pas le critère fondamental sur lequel il a basé sa recommandation. M. St. Louis a témoigné qu’il avait tenu compte des facteurs suivants avant d’arriver à sa décision : M. Sabourin s’était présenté au travail pour prendre et déposer les formulaires de la CSPAAT sans donner d’indication manifeste qu’il souffrait, ce qui était incompatible avec son état de santé déclaré. Les rapports de la CSPAAT et les communications de l’employeur avec elle avaient [traduction] « très clairement » précisé qu’il aurait dû être proactif en coopérant, alors qu’il avait été [traduction] « rien moins que coopératif ». M. Sabourin n’a pas coopéré quand il a refusé d’assister au cours sur scanneurs. La CSPAAT avait conclu qu’il était capable de s’acquitter de fonctions modifiées dès le 25 juin 2003, et pourtant, il a persisté à se déclarer inapte à travailler et à refuser de collaborer. M. St. Louis a dit avoir tenu compte aussi de la décision-lettre de la CSPAAT mettant fin au versement des prestations à M. Sabourin, en la jugeant convaincante. Cette lettre de la CSPAAT en date du 5 août 2003, avait [traduction] « confirmé dans son esprit » que l’employeur était dans la bonne voie. Pour déterminer la sanction à imposer, M. St. Louis a témoigné avoir étudié le dossier disciplinaire de M. Sabourin, en constatant que l’intéressé n’avait pas respecté une entente dite de « dernière chance » moins d’un an après l’avoir conclue. Il a déclaré avoir retrouvé dans sa conduite la même démarche malhonnête. Dans le passé, M. Sabourin avait coopéré et manifesté du remords, alors que, dans ce cas–ci, il ne voulait rien savoir de toutes les tentatives qu’on avait faites pour régler le problème. M. St. Louis a témoigné que la relation entre l’employé et l’employeur était irrémédiablement rompue.

[52]   Pour sa part, M. Mallette a témoigné qu’on n’avait pas de reproches à faire à M. Sabourin quant à son rendement professionnel et que l’employeur estimait qu’il travaillait avec compétence.

[53]   Dans sa réponse à M. Sabourin au troisième palier de la procédure de règlement des griefs (pièce G–8), l’employeur a fait état de la surveillance vidéo et de son analyse par un physiothérapeute [traduction] « qui avaient confirmé [que le fonctionnaire s’estimant lésé] donnait une fausse idée de son état de santé […] » L’employeur a aussi mentionné le fait que les bandes vidéo avaient été communiquées à la CSPAAT et que l’agent d’indemnisation [traduction] « souscrivait à [sa] conclusion ». L’employeur poursuivait en ces termes :

[Traduction]

[…]

En se fondant sur ces opinions d’experts de l’extérieur, la direction a conclu que la confiance qui doit exister dans une relation employé-employeur ne pouvait pas être rétablie en l’occurrence, en décidant de mettre fin à votre emploi […] La direction a agi de façon raisonnable dans les circonstances.

[…]

Après le licenciement

[54]   M. Sabourin a témoigné sur les répercussions de son licenciement et sur ce qu’il avait fait pour mitiger les dégâts. Il a déposé en preuve ses déclarations de revenu et ses états de compte. En 2004, il a trouvé un emploi comme contractuel à Statistique Canada. Il est sans emploi depuis le 1er juillet 2005. Il a touché des prestations d’assurance-emploi avant et après son emploi à Statistique Canada. Il a témoigné avoir présenté de nombreuses demandes d’emploi sans succès. Son épouse a dû fermer sa garderie et se trouver un emploi de salariée pour avoir des avantages sociaux.

[55]   M. Sabourin a témoigné qu’il a été réduit à emprunter de l’argent à des amis et à des membres de sa famille pour pouvoir payer ses factures. Il a présenté une liste des gens à qui il devait de l’argent, en témoignant qu’on ne lui facturait pas d’intérêts pour ces sommes. Il a aussi déclaré que ses cartes de crédit étaient à zéro avant son licenciement, mais qu’il devait désormais beaucoup d’intérêts pour des avances de fonds et pour des frais liés au paiement de ses factures et des nécessités de la vie. Il devait 2 000 $ d’intérêts sur une carte de crédit et 2 500 $ sur une autre, avec 100 $ d’intérêts à payer sur une troisième. Il a aussi déclaré que sa cote de crédit avait souffert de sa situation financière après son licenciement.

[56]   M. Sabourin avait obtenu des crédits de congés de maladie anticipés avant son licenciement, et il a été incapable de rembourser la valeur de ces crédits à son employeur à cause de sa situation financière précaire.

Arguments

Résumé de l’argumentation sur la contre–preuve

[57]   L’employeur a tenté de produire une contre–preuve. Comme je l’ai déjà signalé, j’ai permis à deux témoins seulement de comparaître dans ce contexte. M. Sabourin ne s’est pas opposé à ce que M. Deault témoigne en réplique, et j’ai décidé que M. Cyr pourrait aussi donner une contre–preuve sur un point.

[58]   L’employeur voulait faire comparaître les personnes suivantes pour sa contre–preuve :

  1. M. Cyr, sur la conversation téléphonique du 14 juillet 2003 dans laquelle, selon lui, M. Sabourin lui aurait dit qu’il n’était apte à assumer aucune fonction. M. Sabourin a affirmé n’avoir jamais dit cela à M. Cyr. Selon Me Hofley, M. Cyr n’a pas été interrogé sur cette question, ce qui est contraire à la règle de Browne v. Dunn (1894), 6 R. 67 (H.L.).

  2. M. Cyr, sur les demandes de remboursement de médicaments et sur la procédure de présentation de ces demandes pour les employés blessés dans l’exercice de leurs fonctions.

  3. Chantal Paquette, la personne qui avait pris des notes aux réunions disciplinaires. Me Hofley soutenait qu’il y avait des contradictions dans les témoignages quant à l’allégation qu’on allait appeler la PPO et que M. St. Louis n’avait pas été interrogé sur cette question, contrairement à la règle de Browne v. Dunn.

  4. La physiothérapeute de M. Sabourin, sur les discussions qu’elle aurait pu avoir avec lui quant à son aptitude à assumer des fonctions modifiées.

  5. M. St. Louis et peut–être une ou deux autres personnes, sur le redressement approprié et plus particulièrement sur l’opportunité d’une réintégration.

[59]   L’employeur a aussi fait valoir que, puisque c’est le fonctionnaire s’estimant lésé qui a contesté la surveillance vidéo, les bandes vidéo auraient dû être admises en preuve, ou le vidéaste/enquêteur aurait dû être autorisé à témoigner de vive voix.

[60]   Me Champ a déclaré qu’il était inacceptable qu’on fasse comparaître Mme Paquette pour contredire ou contester le témoignage de M. Sabourin : l’employeur avait déjà fait comparaître deux témoins de cette réunion (MM. Cyr et St. Louis), et les deux avaient reconnu en contre–interrogatoire qu’on avait parlé de la PPO. Il était clair pour l’employeur que M. Sabourin contestait cet élément de la preuve. L’employeur aurait d’ailleurs pu faire comparaître Mme Paquette avant de finir de plaider sa cause. Le témoignage de Mme Paquette allait simplement renforcer ce que d’autres avaient déjà dit. Qui plus est, ses notes avaient déjà été déposées en preuve (pièces G–12 et G–13).

[61]   Me Champ a déclaré que faire témoigner la physiothérapeute aurait scindé la thèse de l’employeur de façon inacceptable, puisque ce dernier savait ce qu’elle avait déclaré avant de présenter ses derniers arguments.

[62]   En ce qui concerne un éventuel témoignage de M. Cyr sur la conversation téléphonique du 14 juillet 2003, Me Champ a déclaré que ce témoin avait dit en contre–interrogatoire que M. Sabourin l’avait informé qu’il n’était pas apte à assumer les fonctions modifiées. Puisque cela n’a pas été dit dans son interrogatoire principal, il ne s’agit pas en principe d’une situation visée par Browne v. Dunn. Il serait possible de ne pas tenir compte du témoignage de M. Sabourin sur ce point, puisque c’est marginal. Ce serait préférable à l’ajournement de l’audience nécessaire pour rappeler M. Cyr à témoigner sur ce point.

[63]   Me Champ a fait valoir qu’il ne serait pas correct de rappeler M. Cyr pour témoigner sur l’assurance-médicaments. Sa contre–preuve servirait à attaquer la crédibilité de M. Sabourin quant à la question de savoir s’il prenait des médicaments en juin et juillet 2003. Les documents déposés en preuve ne sont pas favorables à cette prétention, puisque la preuve comprend déjà les notes du Dr Dickson (pièce E/G–3), où l’on peut lire qu’il avait prescrit des médicaments. Le témoignage de M. Cyr serait inutile pour l’arbitre de grief.

[64]   En ce qui concerne l’enquêteur (ou vidéaste), Me Champ m’a renvoyé à Enwin Utilities Ltd. v. I.B.E.W. (2003), 114 L.A.C. (4th) 421 ainsi qu’à R. v. Bisko (1998), 123 C.C.C. (3d) 432 (Ont. C.A.). La preuve admise en ce qui concerne les activités de surveillance est fonction de l’équité de l’enquête de l’employeur. Dans cette affaire–ci, la surveillance vidéo a duré un certain temps sans que l’employeur communique avec M. Sabourin. Il y a des éléments de preuve sur ce que le vidéaste faisait, mais M. Sabourin ne se fonde absolument pas sur ces éléments–là. Me Champ a soutenu que les principes établis dans R. v. Bisko s’appliquent en l’espèce puisqu’il n’est pas admissible qu’on invoque une preuve exclue pour détruire la crédibilité d’une partie, sauf dans des circonstances très particulières. En l’espèce, le témoignage rendu n’est pas de toute évidence susceptible d’être prouvé mensonger, ce qui est la seule raison qui justifierait qu’on introduise en preuve des éléments déjà jugés portant atteinte à des droits garantis par la Charte.

[65]   En ce qui concerne la preuve sur le redressement éventuel, la charge de prouver que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas fait suffisamment d’efforts pour mitiger les répercussions de son licenciement incombe à l’employeur. Me Champ a déclaré que l’employeur aurait le droit de faire comparaître un témoin sur les paiements d’intérêts, mais les autres redressements réclamés sont manifestement connus, et l’employeur aurait déjà pu faire comparaître des témoins à ce sujet. La contribution de M. St. Louis en ce qui concerne un éventuel redressement n’est ni claire, ni justifiée, puisque rappeler des témoins sur ce point retarderait l’audience. Me Champ m’a aussi renvoyé à cet égard à Canadian Pacific Forest Products Ltd. v. I.W.A. Loc. 2693 (1993), 32 L.A.C. (4th) 18, de même qu’à Consumers Gas Co. v. E.C.W.U. Loc. 513 (1987), 32 L.A.C. (3d) 121.

[66]   Me Hofley a déclaré qu’il ne vaut pas la peine de discuter des principes invoqués pour justifier une contre–preuve qui sont exposés dans Canadian Pacific et Consumers Gas. Le droit de réplique ne devrait pas être interprété aussi étroitement (Canada Post v. L.C.U.C. (1988), 1 L.A.C. (4th) 447 (1988)). Qui plus est, le fonctionnaire s’estimant lésé a le droit d’être rappelé à témoigner pour réfuter tous les témoignages rendus en contre–preuve. L’employeur ne tente pas de soulever des faits nouveaux, ni des faits dont il était conscient au début de sa plaidoirie. La raison pour laquelle il veut faire comparaître des témoins en contre–preuve consiste à tirer au clair des témoignages contradictoires ainsi qu’à rétablir la crédibilité d’éléments contestés en vertu de Browne v. Dunn. Faute de processus de divulgation, il est impossible de prévoir tout ce que l’autre partie va soulever pour défendre un grief. Me Hofley m’a renvoyé à Community Lifecare Inc. v. Community Health Care Workers Union (2001), 98 L.A.C. (4th) 365.

[67]   L’avocat de l’employeur a déclaré qu’il voulait faire comparaître Mme Paquette parce que M. St. Louis assistait à l’audience et qu’il serait préférable de la faire témoigner par souci d’équité. Si j’estimais qu’il n’était pas acceptable de la faire comparaître, M. St. Louis pourrait témoigner lui–même, d’après lui.

[68]   Me Hofley a déclaré que les témoignages sur les demandes de remboursement de médicaments étaient loin d’être clairs et convaincants. M. Cyr aurait pu expliquer la procédure de demandes de remboursement de médicaments quand un employé touche des indemnités de la CSPAAT.

[69]   Me Hofley a souligné que l’employeur avait en main et le rapport de la physiothérapeute, et les lettres de la CSPAAT, dont les auteurs précisent clairement que la physiothérapeute avait confirmé que M. Sabourin était apte à assumer des fonctions modifiées; pourtant, le fonctionnaire s’estimant lésé avait continué à nier qu’il aurait été capable. Compte tenu de ce qu’on peut lire dans ce rapport et du témoignage de M. Sabourin lui–même, il faut bien conclure que la preuve est contradictoire; ce n’est pas de faits nouveaux qu’il s’agit.

[70]   L’avocat a aussi déclaré que la question de savoir comment procéder au sujet de la partie du redressement réclamé du grief n’avait pas été tranchée au début de l’audience. En ce qui concerne la preuve relative à la mitigation des conséquences, l’employeur part du principe que, dans l’éventualité où le grief serait accueilli, il présenterait des observations détaillées pour soutenir que le redressement approprié ne consisterait pas à réintégrer M. Sabourin dans ses fonctions. Me Hofley a déclaré que c’est ainsi qu’il se disait que l’audience allait se dérouler, comme c’est souvent le cas. Agir ainsi ne fait subir un préjudice à personne. Selon lui, l’employeur n’a su qu’à l’audience qu’on allait présenter une preuve sur la mitigation des conséquences du licenciement, et c’est pourquoi il allait avoir besoin d’un ajournement pour répondre comme il se doit à ces éléments–là.

[71]   Me Hofley a déclaré que sa demande de faire comparaître le vidéaste était liée à la portée de la décision préliminaire ainsi qu’au fait que l’agent négociateur avait carrément contesté la validité de la surveillance vidéo. À son avis, rien dans la décision préliminaire sur l’admissibilité ne limitait l’admissibilité de la preuve autre que celle sur bande vidéo ainsi que le rapport de la physiothérapie. L’agent négociateur n’a pas réclamé l’exclusion de toute l’information recueillie grâce à la surveillance. Dans Centre for Addiction and Mental Health v. Ontario Public Service Employees Union, [2004] O.L.A.A. No. 457 (QL), l’arbitre avait accepté d’exclure les bandes vidéo aussi bien que les témoignages sur ce point, sans toutefois refuser d’entendre les témoins de l’employeur, et il avait aussi admis en preuve le rapport de l’enquête. Exclure ce témoignage–là revient à empêcher absolument l’employeur de plaider sa cause. La décision Enwin établissait une distinction entre les témoignages rendus par des témoins oculaires et la surveillance vidéo, et cette distinction est tout aussi applicable en l’espèce.

[72]   Selon Me Hofley, M. Sabourin a carrément contesté la surveillance vidéo. Il n’est pas juste que l’agent négociateur puisse faire exclure des éléments de preuve et [traduction] « choisir » ce qu’il veut dire sur cette période. Cela revient à ne présenter qu’une partie de la vérité, et c’est de toute évidence injuste. M. Sabourin a déclaré qu’il avait été lésé parce qu’on l’avait filé. À tout le moins, un témoignage rendu de vive voix contredirait ce qu’il a prétendu. M. Sabourin s’est contredit en témoignant sur la surveillance dont il avait fait l’objet. Il a dit avoir téléphoné à M. Cyr le 14 juillet 2003 pour lui demander si l’on enregistrait ses allées et venues sur vidéo, mais il a pourtant témoigné qu’il savait dès le 3 juillet 2003 qu’il était sous surveillance. Ce ne serait que justice d’autoriser l’employeur à faire témoigner l’enquêteur afin qu’on sache si M. Sabourin était sous surveillance ou pas le 14 juillet 2003. M. Sabourin lui–même a soulevé cette question, ce qui signifie qu’il a renoncé à ses droits dans ce contexte. Le témoignage sur la surveillance est pertinent, d’un intérêt certain et justifiable.

[73]   Me Hofley a déclaré que M. Sabourin avait souscrit au contenu des décisions-lettres de la CSPAAT datées du 5 août et du 11 septembre 2003, qui font état de la surveillance vidéo. Il n’a interjeté appel d’aucune de ces décisions-lettres. En souscrivant à leur contenu, il a souscrit aussi à la preuve sur bande vidéo, alors qu’il l’a contredite dans son témoignage. Il a admis la preuve relative à l’installation du bâti de basket–ball, et le témoignage du vidéaste serait l’occasion de tirer cet élément de preuve au clair grâce à un autre témoignage direct.

[74]   En réplique, Me Champ a déclaré qu’il ne s’agit pas ici d’un processus de divulgation, et que l’employeur ne peut pas se servir de l’arbitrage de grief pour trouver de nouveaux motifs de licenciement. L’obligation de l’employeur de se baser sur les motifs déclarés au moment du licenciement est un principe fondamental des relations de travail. La preuve contenue dans le rapport de la physiothérapeute est un élément nouveau puisque l’employeur n’en disposait pas à l’époque où il a pris la décision de licencier le fonctionnaire s’estimant lésé, et il tente maintenant de l’introduire en preuve de façon détournée.

[75]   Me Champ a fait valoir que la règle établie dans Browne v. Dunn oblige les avocats à présenter les différentes versions des faits au témoin, puis à lui donner l’occasion de s’expliquer. Rien n’oblige une partie à prévenir l’autre qu’elle va faire comparaître quelqu’un qui rendra un témoignage en ce sens.

[76]   L’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé fait aussi valoir que l’employeur aurait pu présenter sa preuve sur les demandes de remboursement de médicaments dans le cadre de ses interrogatoires principaux. M. Cyr ne contredira pas directement le témoignage rendu à cet égard.

[77]   Me Champ a souligné que l’employeur ne s’est pas fondé sur le rapport de la physiothérapeute, mais plutôt sur la lettre de la CSPAAT; il aurait pu faire comparaître l’agent d’indemnisation de la CSPAAT. Il n’y a pas de différence évidente dans les témoignages sur le rapport de la physiothérapeute, et la démarche de l’employeur revient à scinder sa thèse.

[78]   En outre, Me Champ a déclaré que, en ce qui concerne les témoignages sur le redressement éventuel, je n’ai pas compétence pour opter sur une indemnité tenant lieu de réintégration, conformément aux principes établis dans Gannon c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 417 (QL). Quoi qu’il en soit, M. St. Louis a bel et bien témoigné en déclarant que la relation de confiance était rompue.

[79]   Me Champ a maintenu que la question des autres éléments de preuve liés à la surveillance n’a pas été traitée explicitement dans ma décision préliminaire, mais que je m’y suis attaqué implicitement. L’employeur doit avoir souscrit à mon raisonnement puisqu’il n’a pas tenté d’introduire de tels éléments de preuve dans ses interrogatoires principaux. Les admettre maintenant équivaudrait à les laisser entrer par la petite porte. Le fonctionnaire s’estimant lésé ne cherche pas à se faire verser des dommages–intérêts généraux au titre de ce que les enquêteurs ont fait. Les dates de la surveillance ont été soulevées par l’employeur, qui est resté muet sur les enjeux de l’affaire. Selon Me Champ, le fonctionnaire s’estimant lésé était disposé à soumettre le rapport de surveillance pour démontrer qu’on le surveillait le 14 juillet 2003; il a déclaré que M. Sabourin était tout aussi disposé à ne pas invoquer la preuve dont je suis saisi en ce qui concerne la surveillance.

[80]   Me Hofley a déclaré qu’aucun employé de la CSPAAT ne peut être contraint à témoigner devant un tribunal quelconque en vertu de la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance des travailleurs.

[81]   À son avis, il est inacceptable d’introduire une preuve puis de dire [traduction] « N’en tenez tout simplement pas compte ». Cette preuve est extrêmement importante, puisqu’il s’agit de déterminer si M. Sabourin savait dès le 3 juillet 2003 qu’il était sous surveillance.

Décision sur la contre–preuve

[82]   À l’audience, j’ai souligné que le résumé de la jurisprudence arbitrale présenté par Brown and Beatty dans Canadian Labour Arbitration, 3e édition (1997), 3:2655 résumait succinctement les principes applicables à la contre–preuve :

[Traduction]

[…]

La portée de la contre–preuve se limite à la réfutation, et tout élément de preuve allant au–delà ne saurait être accepté par l’arbitre. Cette limitation de la contre–preuve est largement fondée sur l’injustice qui résulterait du fait d’autoriser une partie à scinder sa thèse. Il s’ensuit que la contre–preuve est habituellement consacrée à attaquer la crédibilité des témoins de la partie adverse ou encore à expliquer toute contradiction dans ses propres témoignages. On ne peut pas s’en servir pour soulever une nouvelle question qui ne l’a pas été dans les interrogatoires principaux, ni pour renforcer la preuve produite de cette façon […]

[…]

[83]   Comme M. Sabourin était d’accord pour qu’on fasse comparaître M. Deault, j’ai décidé que l’employeur pouvait lui faire présenter sa contre–preuve. J’ai aussi autorisé l’employeur à rappeler M. Cyr sur la question des avantages sociaux de la CSPAAT. Enfin, j’ai réservé ma décision sur la pertinence de son témoignage ainsi que sur l’importance qu’il fallait lui accorder.

[84]   J’ai jugé qu’il n’aurait pas été correct de faire comparaître Mme Paquette. J’avais déjà entendu les témoignages de deux des personnes que l’employeur avait fait comparaître au sujet de cette réunion. Le témoignage de Mme Paquette n’allait qu’étayer des témoignages que j’avais déjà entendus, et ce n’est pas une contre–preuve acceptable. J’ai aussi rejeté l’autre possibilité que l’employeur avait proposée, celle de faire témoigner de nouveau M. St. Louis sur la réunion. M. St. Louis savait qu’il y avait eu une allégation de menaces, et il avait témoigné sur ce qu’il avait déclaré à la réunion ainsi que sur ses intentions. L’inviter à présenter une contre–preuve à cet égard n’aurait rien ajouté à ce qu’il avait déjà déclaré, mais aurait simplement renforcé la thèse de l’employeur.

[85]   J’ai décidé aussi qu’il ne serait pas correct de faire recomparaître M. Cyr pour qu’il témoigne sur sa conversation téléphonique avec M. Sabourin le 14 juillet 2003. La règle établie dans Browne v. Dunn exige qu’on présente les deux versions des faits, pas que toutes les différences dans les témoignages soient soumises au témoin. M. Cyr a dit que M. Sabourin a déclaré quelque chose; M. Sabourin le nie. Autrement dit, en témoignant de nouveau, M. Cyr ne ferait que répéter ce qu’il a déjà dit dans son interrogatoire principal. Je ne vois pas l’intérêt d’entendre ce genre de témoignage répétitif. Il est clair qu’il y a deux versions différentes de la conversation, et je vais devoir décider laquelle est la bonne, mais je puis le faire avec la preuve dont je suis déjà saisi.

[86]   J’ai jugé qu’il ne serait pas opportun de faire comparaître M. St. Louis et d’autres personnes pour qu’ils témoignent sur la question des redressements éventuels. M. St. Louis ne témoignerait que sur l’à–propos ou l’incongruité de réintégrer M. Sabourin. Je ne me suis pas prononcé sur la question que Me Champ avait soulevée quant à ma compétence d’accorder une indemnité tenant lieu de réintégration (en disant qu’il serait préférable d’attendre que les parties présentent leurs derniers arguments). Bien qu’on ne parle pas toujours des dommages avant que l’affaire ne soit tranchée au fond, l’employeur soulève toujours la question de la réintégration dans le cadre de sa thèse s’il a des craintes que le fonctionnaire s’estimant lésé soit réintégré, parce que s’il ne prouve pas que la sanction imposée était justifiée, la décision ordonne automatiquement la réintégration. Souvent, la question des dommages découle inévitablement de la réintégration, car il s’agit alors de déterminer si le fonctionnaire s’estimant lésé doit se faire indemniser des pertes subies au titre du traitement et des avantages sociaux, par exemple, après la décision initiale sur le fond du grief. En l’espèce, le temps écoulé depuis son licenciement permettait à M. Sabourin de témoigner sur les dommages financiers qu’il a subis. L’employeur a d’ailleurs pu le soumettre à un contre–interrogatoire au sujet de sa demande de dommages–intérêts. Il n’a toutefois pas précisé quelle preuve il pourrait produire sur le coût des intérêts ou de la mitigation des conséquences de la sanction, et j’estime que son contre–interrogatoire de M. Sabourin sur ces questions était suffisant pour protéger ses intérêts. M. St. Louis a d’ailleurs déjà témoigné sur la question de la perte de confiance, et j’en ai pris note.

[87]   J’ai conclu qu’il ne serait pas correct de faire comparaître la physiothérapeute. Son rapport que M. Sabourin était apte à assumer des fonctions modifiées a été mentionné dans la décision-lettre de la CSPAAT. L’employeur connaissait cette preuve dès qu’il a reçu la décision-lettre, soit avant de présenter sa thèse. Il avait la possibilité de faire comparaître la physiothérapeute en présentant ses arguments. Bref, la contre–preuve qu’il veut déposer, l’employeur l’avait déjà; il la connaissait quand il a présenté sa preuve.

[88]   J’ai jugé qu’il ne serait pas correct non plus de faire comparaître le vidéaste (ou — si l’on préfère — l’enquêteur). En ce qui concerne la portée de la décision préliminaire, si l’employeur avait opté pour cette position, il aurait dû la faire valoir au début de l’audience sur le fond du grief, ou en présentant sa thèse. De toute façon, je souscris au raisonnement avancé dans Enwin à savoir que les témoignages sur la surveillance ne sont pas admissibles lorsqu’on a conclu que la surveillance elle–même ne l’est pas.

[89]   Enfin, j’ai décidé que la surveillance vidéo restait inadmissible. J’ai rejeté la prétention que le fonctionnaire s’estimant lésé avait [traduction] « renoncé » à ses droits quant à cette surveillance en soulevant carrément la question. Premièrement, je ne souscris pas à l’idée que les dates auxquelles la surveillance a eu lieu — ni celles auxquelles M. Sabourin en a été conscient — seraient pertinentes. J’ai déjà déclaré la surveillance inadmissible, et les témoignages sur les dates auxquelles M. Sabourin aurait su qu’il était surveillé ne sont donc pas pertinents. À mon avis, le témoignage de M. Sabourin sur ce qu’il faisait pendant qu’il était sous surveillance soulève la question de la preuve sur bande vidéo. M. Sabourin témoignait sur ses activités après sa blessure. Il aurait pu facilement témoigner sur ces activités même en l’absence de toute surveillance vidéo par l’employeur. J’ai donné une marge de manœuvre à l’avocat de l’employeur dans ses questions, puisqu’il a de toute évidence mentionné des événements dont il n’avait connu l’existence que grâce aux bandes vidéo, mais cela n’équivaut pas à une renonciation à l’objection de M. Sabourin au dépôt de ces bandes en preuve.

Résumé de l’argumentation sur le fond du grief

Pour l’employeur

[90]   Me Hofley a déclaré que M. Sabourin avait trahi à plusieurs reprises la confiance que l’employeur doit avoir en lui. Dans chacun des incidents qui lui ont fait écoper des mesures disciplinaires, particulièrement l’avant–dernier, l’employeur aurait pu le licencier, mais il a préféré l’avertir, en optant pour des sanctions disciplinaires progressives. Dans les lettres disciplinaires progressives qu’il a reçues, M. Sabourin a été clairement averti qu’il risquait d’être licencié s’il persistait dans son comportement.

[91]   L’avocat de l’employeur a souligné que M. Sabourin n’a contesté aucune des sanctions disciplinaires qui lui avaient été imposées jusque–là et que toute preuve qu’il aurait tenté d’expliquer ses actions à l’égard des infractions qui lui avaient valu ces mesures n’est pas admissible (Greyhound Lines of Canada Ltd. v. Amalgamated Transit Union, Local 1374 (1991), 22 L.A.C. (4th) 291).

[92]   Selon Me Hofley, dans les affaires d’incidents déterminants, même des transgressions très mineures peuvent justifier le congédiement (Air Canada v. International Association of Machinists, Lodge 148 (1973), 5 L.A.C. (2d) 7; Brown et Beatty, 7:4312). Il m’a aussi renvoyé à Anten c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166–2–27491 et 27499 (1997). Toutefois, ce qu’on reproche à M. Sabourin en l’occurrence n’est pas sans importance. L’exclusion de la preuve sur bande vidéo a rendu plus difficile la présentation de la thèse de l’employeur, mais son avocat a déclaré que, si j’arrivais à conclure que M. Sabourin avait commis la moindre infraction, je devrais maintenir la décision de le licencier.

[93]   Me Hofley a passé en revue la preuve qui démontre, selon l’employeur, la malhonnêteté de M. Sabourin. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a correctement décrit son état de santé ni à la CSPAAT, ni à l’employeur. Il n’a pas interjeté appel de la décision de la CSPAAT, en témoignant même qu’il souscrivait au contenu de la lettre de l’organisme l’informant qu’il allait cesser de lui verser des prestations (pièce E–23). La seule façon de concilier la preuve avec les prétentions de M. Sabourin qu’il était [traduction] « totalement inapte à travailler » serait de conclure qu’il avait donné une fausse idée de son état de santé et qu’il abusait des congés de maladie.

[94]   Subsidiairement, Me Hofley a déclaré que, si je n’arrivais pas à conclure que M. Sabourin avait été le moindrement malhonnête, la doctrine de préclusion de la chose tranchée s’appliquerait à la décision de la CSPAAT (pièce E–23). Le critère d’application de cette doctrine figure dans Korenberg v. Global Wood Concepts Ltd., [2005] O.J. No. 5333 (Ontario S.C.J.) (QL) :

[Traduction]

[…]

Premièrement, il faut pouvoir répondre par l’affirmative aux trois questions suivantes :

Les questions en jeu étaient–elles les mêmes?

Les parties étaient–elles les mêmes?

La décision était–elle une décision judiciaire finale?

Si l’on peut répondre oui à toutes ces questions, la cour doit se demander s’il y a [traduction] « quelque chose dans les circonstances de l’affaire faisant que l’application usuelle de la doctrine de préclusion découlant d’une question déjà tranchée entraînerait une injustice ».

[…]

[95]   Me Hofley a fait valoir qu’on pouvait répondre oui aux trois questions auxquelles il faut répondre pour satisfaire à ce critère. Les questions en jeu étaient les mêmes. M. Sabourin a été licencié pour avoir frauduleusement abusé des congés de maladie, et la CSPAAT a décidé de cesser de lui verser des indemnités parce qu’il avait faussement décrit son état de santé. Les mêmes parties étaient en cause, et l’employeur a pleinement participé à toute l’affaire. La décision était finale, et M. Sabourin n’en a pas appelé.

[96]   L’avocat a aussi décrit les facteurs établis par la Cour suprême du Canada dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, pour déterminer si l’application de la doctrine de préclusion découlant d’une question déjà tranchée causerait une injustice. Ces facteurs sont premièrement le libellé de la loi et l’objet du régime législatif, deuxièmement la possibilité d’interjeter appel, troisièmement les protections des intérêts des parties, quatrièmement la compétence du décideur, cinquièmement les circonstances ayant donné lieu à la décision antérieure et enfin sixièmement le risque de causer une injustice.

[97]   Me Hofley a rappelé qu’il était possible d’interjeter appel de la décision de la CSPAAT. En ce qui concerne les protections des intérêts des parties, il a fait valoir que le manque d’aptitude à contre–interroger des témoins n’était pas considéré par les tribunaux comme un facteur déterminant. Quant à la compétence du décideur, il a déclaré que l’agent d’indemnisation était sans doute la personne la mieux placée (et par surcroît quelqu’un de particulièrement rompu à la pratique des décisions sur les cas de fausse représentation de leur état de santé par les demandeurs). M. Sabourin a participé au processus; on lui a d’ailleurs donné toutes les possibilités de le faire. Il n’y a manifestement pas eu d’injustice, puisque l’intéressé était parfaitement bien informé de ses droits, qu’on lui avait amplement donné la possibilité d’en appeler et que son agent négociateur, qui le représentait, était au courant de toutes les circonstances. L’agent négociateur a même demandé que le grief soit suspendu en attendant que la CSPAAT termine son examen du dossier (pièce E–24). Il est clair que les parties avaient agi de la sorte parce qu’elles entendaient se fonder sur les conclusions de la CSPAAT.

[98]   Subsidiairement, Me Hofley a déclaré que ce serait un abus de procédure de conclure que M. Sabourin n’a pas donné une fausse idée de son état de santé, quand la CSPAAT a conclu qu’il l’a fait. Il m’a renvoyé à Toronto (City) v. C.U.P.E., Local 79, [2003] 3 R.C.S. 77; 2003 CSC 63 (6 novembre 2003).

[99]   Selon Me Hofley, la preuve m’oblige à conclure que M. Sabourin a été malhonnête et qu’il a faussement décrit son état de santé. La prochaine question que j’ai à trancher consiste à savoir si le fait qu’il a agi malhonnêtement en mentant sur son état de santé justifie le congédiement dans toutes les circonstances. L’avocat a fait valoir que la jurisprudence sur l’abus des congés de maladie et sur les incidents déterminants ne me laisse d’autre choix que de conclure que le congédiement était justifié. Selon lui, l’abus des congés de maladie a toujours été considéré par les arbitres comme un acte comparable au vol punissable par le licenciement (Johnson Matthey Ltd. v. United Steelworkers of America, Local 9046 (2004), 131 L.A.C. (4th) 249). Il a souligné que ce jugement traite des limites de ce qu’un patient peut déclarer aux médecins comme symptômes de maux de dos, en déclarant que les mêmes limitations s’appliquent ici. Qui plus est, il m’a renvoyé à Biron c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166–2–14447 (1984).

[100]   Me Hofley a souligné que la malhonnêteté de M. Sabourin était intentionnelle et calculée (Goodyear Canada Inc. Collingwood Plant v. United Rubber, Cork, Linoleum and Plastic Workers of America, Local 834 (1993), non encore rapportée).

[101]   Il a aussi déclaré que, lorsqu’une inconduite liée à l’abus des congés de maladie est prouvée, c’est au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il appartient de convaincre l’arbitre de grief que la relation d’emploi est récupérable et viable (Quality Meat Packers Ltd. v. United Food and Commercial Workers International Union, Local 743 (1998), 69 L.A.C. (4th) 410). Il a soutenu que le fait que M. Sabourin n’a pas reconnu avoir mal agi et s’est mal comporté en témoignant (en faisant preuve d’une absence totale de respect pour la procédure ou pour l’employeur) prouve que la relation d’emploi n’est pas viable.

[102]   L’avocat a affirmé que, dans l’éventualité où je déciderais que l’employeur n’a pas prouvé qu’il avait une raison suffisante de licencier l’intéressé, la preuve démontre clairement que le redressement ne devrait pas inclure la réintégration. Il est clair que la relation de confiance entre l’employeur et l’employé est rompue. Le retour de M. Sabourin au lieu de travail pourrait facilement l’amener à récidiver.

[103]   En ce qui concerne la demande d’indemnisation (au titre du coût des dettes qu’il a accumulées), Me Hofley a déclaré que M. Sabourin n’avait pas pensé aux implications de ses actions pour sa famille, et qu’il doit assumer la responsabilité de ces pertes.

[104]   Pour conclure, Me Hofley a déclaré que je devrais [traduction] « lever mon chapeau » à l’employeur, qui est allé au–delà de ce que n’importe quel employeur pourrait faire (et bien au–delà de ses obligations légales) en donnant à M. Sabourin plusieurs chances d’améliorer son comportement.

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[105]   Me Champ a rappelé que cette affaire concerne un travailleur blessé dans l’exercice de ses fonctions qui s’est retrouvé invalide. L’employeur ne l’a pas contesté. La question à trancher est la durée de l’invalidité de M. Sabourin. La position de l’employeur que l’intéressé a frauduleusement simulé une blessure appelle une charge de la preuve plus lourde que celle normalement exigée de la prépondérance des probabilités. L’employeur doit avancer des preuves suffisantes, solides et convaincantes.

[106]   Me Champ a déclaré qu’il arrive fréquemment qu’on ne s’entende pas sur le moment auquel l’employé est prêt à retourner au travail. Il se peut que les parties soient honnêtement en désaccord sur des questions comme celles–là sans qu’on puisse dire que l’employé s’est comporté frauduleusement. Me Champ a avancé l’idée que l’employeur avait décidé de trancher cette mésentente en imposant une mesure disciplinaire parce qu’il regrettait de ne pas avoir licencié M. Sabourin pour d’autres incidents antérieurs d’inconduite. Selon lui, il n’existe aucune preuve de comportement frauduleux en l’espèce.

[107]   L’avocat a déclaré que la question fondamentale est l’état d’esprit de M. Sabourin. Pour qu’on puisse conclure à une malhonnêteté intentionnelle et calculée (Goodyear Canada Inc.), il faut que l’intéressé ait eu l’intention d’induire l’autre partie en erreur. Or, rien dans la preuve n’indique que M. Sabourin ait vu le rapport de la physiothérapeute déclarant qu’il était capable d’assumer des fonctions modifiées. Il n’avait pas parlé de fonctions modifiées avec elle, mais avec le Dr Dickson. Me Champ a déclaré que l’employeur conteste maintenant l’honnêteté du Dr Dickson et que, si l’agent négociateur l’avait su, il aurait appelé le médecin à témoigner.

[108]   Me Champ a passé la preuve en revue en concluant que rien ne laisse entendre que M. Sabourin ait délibérément tenté d’induire qui que ce soit en erreur de quelque façon que ce soit. Selon lui, il y a toute une différence entre les conclusions des décisions-lettres de la CSPAAT et une conclusion que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait commis une fraude. Il a déclaré que l’employeur s’est bel et bien fondé sur les bandes vidéo exclues pour arriver à sa décision de licencier M. Sabourin. À son avis, l’employeur a tenté d’adapter sa preuve à la décision qu’il avait prise; il a déclaré que M. St. Louis a été malhonnête dans son témoignage lorsqu’il a dit s’être basé sur les lettres de la CSPAAT et non sur les bandes vidéo.

[109]   Me Champ a maintenu qu’on n’a jamais offert des fonctions modifiées à M. Sabourin. Il y avait de la confusion chez les témoins de l’employeur sur la question de savoir qui avait le pouvoir d’offrir de telles fonctions. Selon Me Champ, s’il allait crier à la fraude, l’employeur aurait dû offrir des fonctions modifiées à l’intéressé et demander au Dr Dickson de déterminer s’il pourrait s’en acquitter. L’avocat a aussi déclaré que les menaces de l’employeur d’appeler la police étaient révélatrices de son attitude et de son approche.

[110]   Me Champ m’a renvoyé à Salvation Army (Sunset Lodge) v. Hospital Employees’ Union (2004), 76 C.L.A.S. 182, en déclarant que les ressemblances entre cette affaire–là et celle qui nous occupe sont frappantes. Dans Salvation Army, l’arbitre avait souligné que la preuve sur les activités de l’employé s’estimant lésé n’était pas incompatible avec les restrictions médicales de ses activités, comme on l’a vu au cours de l’audience ici. Une décision défavorable à M. Sabourin m’obligerait à ignorer totalement la décision rendue dans cette affaire–là, selon l’avocat.

[111]   Me Champ établit aussi une distinction entre la présente affaire et Biron ainsi que Quality Meat Packers Ltd. parce que, dans ces deux affaires–là, on avait des preuves que les employés s’estimant lésés travaillaient à d’autres emplois, ce qui n’est pas le cas ici. De même, dans Goodyear Canada Inc., il y avait une preuve probante d’intention d’induire en erreur, ce qui n’est pas non plus le cas en l’espèce.

[112]   Me Champ a dit souscrire au critère d’application du principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée établi dans Korenberg. Il a déclaré que la décision de la CSPAAT ne satisfait à ce critère pour aucun des trois facteurs, à savoir qu’il ne s’agit pas de la même question, ni des mêmes parties, ni d’une décision finale. La CSPAAT n’a pas décidé si M. Sabourin avait agi frauduleusement, de sorte qu’il ne s’agissait pas de la même question. Les parties n’étaient pas les mêmes, parce que l’agent négociateur n’a pas été partie à la procédure de la CSPAAT. En outre, la décision n’était pas finale parce que l’agent d’indemnisation n’est pas un organisme judiciaire. D’ailleurs, M. Sabourin n’a pas eu non plus la possibilité de voir les bandes vidéo sur lesquelles la CSPAAT s’est fondée, ni les documents versés à son dossier. Le fait que M. Cyr a eu des discussions avec la CSPAAT sans que M. Sabourin le sache renforce l’impression que le processus n’était pas judiciaire. Dans ce contexte, Me Champ m’a renvoyé à l’analyse dans Hotel-Dieu Grace Hospital v. Canadian Auto Workers, Local 2458 (2004), 129 L.A.C. (4th) 225.

[113]   Subsidiairement, Me Champ a fait valoir qu’une décision fondée sur le principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée serait injuste pour M. Sabourin. La décision de la CSPAAT a été basée sur une atteinte aux droits que la Charte reconnaît à M. Sabourin.

[114]   En ce qui concerne une éventuelle réintégration, Me Champ a déclaré qu’on ne peut pas se fonder sur le comportement de M. Sabourin en contre–interrogatoire pour dire qu’il ne devrait pas être réintégré, comme Me Hofley l’a dit. L’avocat du fonctionnaire s’estimant lésé a décrit son contre–interrogatoire en le qualifiant d’hostile. Les questions incendiaires de Me Hofley (par exemple, il a demandé à M. Sabourin [traduction] « Pouvez–vous pleurer facilement? ») n’avaient d’autre but que de le perturber. Me Champ a déclaré que M. Sabourin serait capable de travailler de façon professionnelle, comme il l’a toujours fait, s’il retournait à son lieu de travail.

[115]   Me Champ a déclaré que je n’ai pas compétence pour ordonner le versement d’une indemnité tenant lieu de réintégration (Gannon). En effet, le paragraphe 11(4) de la Loi sur la gestion des finances publiques m’empêche d’opter pour un autre redressement que la réintégration.

[116]   Me Champ a aussi affirmé que j’ai compétence pour ordonner le versement d’une indemnité au titre du coût des emprunts du fonctionnaire s’estimant lésé, en me renvoyant à Canada (Procureur général) c. Lussier, [1993] A.C.F. n o 64 et à Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 27.

[117]   Me Champ m’a demandé d’accueillir le grief et d’accorder les redressements suivants au fonctionnaire s’estimant lésé :

  1. Réintégration dans son ancien poste ou dans le groupe et au niveau où il aurait été s’il avait continué d’être employé.

  2. Traitement rétroactif au 9 août 2003 (quand le Dr Dickson a dit qu’il serait en mesure de retourner travailler) jusqu’à présent, moins le revenu gagné pour mitiger sa perte de revenu et ses prestations d’assurance-emploi. Ordonnance enjoignant à l’employeur de verser les trop–payés au titre de l’assurance-emploi directement à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC).

  3. Versement de la valeur des contributions du fonctionnaire s’estimant lésé aux régimes d’avantages sociaux depuis son licenciement, y compris toutes ses contributions au régime de retraite, tous les crédits de congé annuel accumulés et tous les crédits de congé de maladie accumulés, avec déduction de tous les crédits de congé de maladie anticipés utilisés des crédits de congé de maladie accumulés.

  4. Versement de 5 750 $ dans les 10 jours de la décision au titre du coût des emprunts du fonctionnaire s’estimant lésé. Bien que ce genre de redressement ne puisse pas être ordonné à la légère, l’employeur savait que M. Sabourin était particulièrement vulnérable financièrement. Cette somme comprend 3 750 $ en coûts d’emprunts détaillés (pièce E/G–1) et 2 000 $ de dommages-intérêts pour avoir sapé sa cote de crédit. Me Champ a déclaré que, même si ces sommes ne sont pas précises, il m’est loisible d’adopter une approche [traduction] « vraiment globale » pour déterminer cette indemnité.

[118]   Me Champ a aussi affirmé que M. Sabourin devrait être réinscrit sur la liste de paie dans les 10 jours de la décision. Il a affirmé que des demandes de redressement aussi détaillées que celle–ci sont justifiées en raison de la nature de l’affaire. Il a aussi demandé que je reste saisi du dossier.

Argumentation de l’employeur en réplique

[119]   Me Hofley a déclaré que la norme de la preuve est celle de la prépondérance des probabilités. De toute manière, il faut produire une preuve solide et convaincante, et l’employeur l’a fait.

[120]   Selon Me Hofley, la sanction disciplinaire a été imposée essentiellement non pour une fraude, mais pour la fausse idée que M. Sabourin a donnée de sa conduite ainsi que pour son manque d’honnêteté quant à ses capacités.

[121]   Me Hofley m’a demandé pourquoi nous admettrions la crédibilité de M. Sabourin en préférant son témoignage. Ses souvenirs ne concordent pas toujours, et il a des antécédents notoires de malhonnêteté. M. Deault n’avait rien à gagner en mentant. M. St. Louis a été insulté par l’allégation de Me Champ qu’il était malhonnête. Il est directeur à la Chambre des communes, où il s’est distingué avec de longs états de service et il s’est comporté de façon professionnelle dans tout son témoignage.

[122]   L’avocat a déclaré que toute allégation que l’employeur [traduction] « voulait avoir » M. Sabourin n’est que pure spéculation, sans que le moindre indice ne le confirme. La Chambre des communes a fait l’impossible pour M. Sabourin.

[123]   Me Hofley affirme que je devrais tirer une conclusion défavorable du fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas fait comparaître le Dr Dickson. Selon lui, le médecin ne pouvait pas aider l’employeur à s’attaquer au fond du problème parce que tout ce qu’il savait était basé sur ce que son patient lui avait dit. Bref, l’employeur part du principe que M. Sabourin a été malhonnête dans ce qu’il a dit à son médecin.

[124]   En ce qui concerne les prétendues menaces de l’employeur d’appeler la police, Me Hofley souligne que le témoignage de M. St. Louis a été direct. En effet, il a déclaré que la Chambre des communes n’avait pas l’habitude d’appeler la police pour dénoncer ses employés, et que la direction ne faisait que décrire la procédure de la CSPAAT telle qu’elle la comprenait, en informant M. Sabourin de ses droits.

[125]   Me Hofley a déclaré que la décision Salvation Army (Sunset Lodge) n’est pas pertinente, parce qu’il n’y est pas question d’un incident déterminant. Dans cette affaire–là, l’arbitre de grief avait eu la possibilité de regarder une bande vidéo, ce qui l’avait amené à conclure que les actions de l’employé s’estimant lésé n’étaient pas incompatibles avec les limitations de ses activités. L’employeur n’avait pas mené sa propre enquête; il s’était fié exclusivement sur la bande vidéo, ce qui n’est pas le cas ici. En outre, dans cette affaire–là, le médecin avait témoigné, et il avait pu mettre les choses en perspective.

[126]   En ce qui concerne le principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, Me Hofley a déclaré que l’agent négociateur était parfaitement au courant des activités de la CSPAAT. Il a aussi souligné que la loi impose à la CSPAAT un biais favorable à l’employé, à qui elle doit accorder le bénéfice du doute.

[127]   Me Hofley a fait valoir que la décision Gannon était fondée sur la Loi sur la gestion des finances publiques, qui ne s’applique pas aux employés de la Chambre des communes. Il a donc déclaré que le processus de détermination de l’opportunité d’une réintégration dans un cas comme celui–ci est analogue à celui qui prévaut dans d’autres compétences. Il m’a renvoyé à NAV Canada v. International Brotherhood of Electrical Workers, Local 2228 (2004), 131 L.A.C. (4th) 429. Selon lui, presque toutes les circonstances dans lesquelles la réintégration n’est pas justifiée qui sont énumérées dans cette décision–là sont réunies en l’espèce. Le témoin a fait la preuve de son animosité à l’endroit de la direction durant toute l’audience.

[128]   Me Hofley a soutenu qu’une indemnité tenant lieu de réintégration du genre des dommages-intérêts versés en cas de congédiement injustifié serait acceptable. À son avis, l’indemnité pourrait être de six mois de traitement, moins les gains de l’intéressé pour mitiger ses problèmes financiers.

[129]   Enfin, l’avocat a déclaré que le coût des dettes du fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas prouvé, puisqu’il n’a produit que des totaux sommaires de ce qu’il doit. Il n’a rien avancé pour démontrer à quelles fins il a obtenu des avances d’argent; les dommages sont bien trop distants.

Autre argumentation du fonctionnaire s’estimant lésé en réplique

[130]   Me Champ a soutenu qu’il aurait dû avoir le droit de répondre aux arguments de Me Hofley qui n’étaient pas une véritable contre–preuve. Il a plus particulièrement demandé que je l’autorise à présenter des arguments en réplique sur l’application de Gannon et de NAV Canada. Me Hofley s’y est opposé, et j’ai décidé d’autoriser Me Champ à présenter une contre–preuve seulement sur NAV Canada.

[131]   Me Champ a maintenu qu’il me faut encore conclure que la sanction disciplinaire était justifiée avant de pouvoir envisager d’accorder au fonctionnaire s’estimant lésé une indemnité tenant lieu de réintégration. Il a aussi souligné que la décision invoquée par Me Hofley n’applique pas les principes retenus en cas de congédiement injustifié, contrairement à ce que son collègue a déclaré. Elle établit plutôt [traduction] « l’approche moderne », qui consiste à verser à l’employé des dommages-intérêts qui l’indemnisent de la perte économique qu’il a subie en n’étant plus membre d’une unité de négociation assujettie à une convention collective. NAV Canada, supra, pose aussi le principe qu’on ne devrait pas tenir compte des gains obtenus pour mitiger une situation défavorable quand on détermine le montant de l’indemnité tenant lieu de réintégration.

[132]   Dans l’éventualité où je déciderais d’ordonner qu’on verse une indemnité à M. Sabourin plutôt que de le réintégrer, Me Champ a déclaré que je ne devrais rendre aucune ordonnance quant aux prestations d’assurance-emploi, puisque la jurisprudence a établi qu’il n’existe aucune obligation de rembourser ces prestations quand on se fait accorder une indemnité de ce genre.

[133]   L’avocat a enfin soutenu que, si je devais décider d’ordonner le versement d’une indemnité tenant lieu de réintégration, je devrais tenir compte de la valeur du statut de fonctionnaire fédéral en ordonnant deux mois de traitement par année de service, avec ajout de 20 p. 100 au titre des avantages sociaux. Qui plus est, je devrais accorder à M. Sabourin l’indemnité de cessation d’emploi à laquelle il aurait eu droit en vertu de la convention collective, à savoir une semaine de traitement par année de service.

Autre argumentation en réplique pour l’employeur

[134]   Me Hofley a déclaré que l’employeur souscrirait à l’idée que je ne me prononce pas sur le remboursement des prestations d’assurance-emploi, mais pas pour les raisons avancées par Me Champ.

[135]   Selon Me Hofley, il serait déraisonnable d’accorder au fonctionnaire s’estimant lésé une indemnité de deux mois de traitement par année de service; lui accorder un mois serait plus acceptable, et c’est tout près de ce que l’employeur a proposé. Par le comportement qu’il a eu au fil des années, M. Sabourin a démontré qu’il n’apprécie pas son emploi.

[136]   Me Hofley a dit que rien dans la convention collective ne m’autorise à accorder au fonctionnaire s’estimant lésé une indemnité de cessation d’emploi. Or, la Loi sur les relations de travail au Parlement interdit toute modification de la convention collective. Le calcul de l’indemnité tenant lieu de réintégration devrait refléter le nombre d’années de service, et l’indemnité devrait être de l’ordre de six à huit mois de traitement.

Motifs de décision

[137]    L’audience de ce grief a été longue et chaudement contestée. Me Hofley a déclaré que je devrais [traduction] « lever mon chapeau » à l’employeur pour sa patience dans ses rapports avec le fonctionnaire s’estimant lésé. À mon avis, il ne serait pas plus juste pour un arbitre de grief de « lever son chapeau » à l’une ou l’autre partie à un grief que de la [traduction] « pointer du doigt ». Son rôle consiste à peser la preuve et à se prononcer sur le fond du grief.

[138]   Je dois répondre aux trois questions fondamentales suivantes :

  • La décision de l’agent d’indemnisation de la CSPAAT de faire cesser le versement des indemnités fait–elle intervenir le principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

  • L’employeur avait–il une raison valable d’imposer une sanction disciplinaire à M. Sabourin?

  • S’il avait une raison valable, l’incident sur lequel il s’est basé était–il un incident déterminant justifiant le licenciement?

Préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[139]   L’employeur allègue que les décisions-lettres des agents d’indemnisation de la CSPAAT (pièces E–22 et E–23) prouvent que le fonctionnaire s’estimant lésé est coupable de fausse représentation, ce qui m’empêcherait par conséquent d’arriver à une autre conclusion. Or, pour que la doctrine de préclusion découlant d’une question déjà tranchée puisse s’appliquer, les parties doivent être les mêmes, la question ou les questions en jeu doivent être identiques et la décision doit être à la fois finale et judiciaire (voir Sherman c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 125, confirmée par 2006 CF 192).

[140]   Je reconnais que les parties sont les mêmes. M. Sabourin avait le droit de présenter un grief indépendamment pour contester la sanction disciplinaire dont il avait écopé, et il bénéficiait des conseils de son agent négociateur à l’égard de sa demande à la CSPAAT, mais je ne peux pas conclure que les questions en jeu étaient identiques. L’agent d’indemnisation de la CSPAAT a déclaré à M. Cyr que le montant des prestations que le fonctionnaire s’estimant lésé avait touché ne justifiait pas une enquête par son organisme. J’en déduis que la CSPAAT n’avait pas effectivement conclu que M. Sabourin s’était comporté de façon frauduleuse ou malhonnête. La lettre du 5 août 2003 mentionnait ce qui suit : [traduction] « J’ai conclu que je ne peux pas approuver le versement d’une indemnité pour le temps que vous n’avez pas travaillé à compter du 25 juin 2003. Il m’est impossible de conclure que vous aviez encore des problèmes de dos à partir de cette date […] » La lettre datée du 11 septembre 2003 est décrite comme la conclusion d’un [traduction] « nouvel examen » de la demande. L’agent en question se disait incapable de changer la décision originale, puisque la bande vidéo montrait [traduction] « que [M. Sabourin n’était] pas du tout incapable de travailler dès le 25 juin 2003 et [qu’il n’avait donc pas] droit à des indemnités pour compenser [son] manque à gagner à partir de cette date ». Cette décision de la CSPAAT est pertinente pour l’analyse à effectuer afin de déterminer si l’employeur a prouvé qu’il avait une raison valable d’agir comme il l’a fait, mais elle ne porte pas précisément sur la principale question que je dois trancher dans ce grief, celle de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé a agi de façon frauduleuse ou malhonnête.

[141]   Je juge aussi que la façon de procéder des agents d’indemnisation n’était pas suffisamment « judiciaire ». Il s’agissait d’une décision administrative de la CSPAAT. Le principal facteur qui m’amène à cette conclusion est l’absence de divulgation complète des arguments à réfuter. Dans Rasanen v. Rosemount Instruments Ltd. (1994), 112 D.L.R. (4th) 683, le juge Abella a déclaré que la procédure d’audience doit donner aux parties la possibilité de savoir ce qu’on leur reproche pour réfuter ces accusations. Même si M. Sabourin s’est fait offrir la possibilité de fournir d’autres renseignements, on ne lui a pas offert celle de regarder les bandes vidéo sur lesquelles le décideur s’est fondé. Bien que je reconnaisse que l’absence de contre–interrogatoire n’est pas nécessairement un facteur critique, l’absence totale de possibilité pour le fonctionnaire s’estimant lésé de se faire pleinement entendre est bel et bien un tel facteur.

[142]   Pour conclure, les décisions-lettres des agents d’indemnisation de la CSPAAT ne font pas intervenir le principe de préclusion découlant d’une question déjà tranchée et ne sont donc pas exécutoires. Cela dit, elles restent pertinentes, et j’en ai tenu compte pour arriver à une conclusion sur la question de savoir si l’employeur a prouvé qu’il avait une raison valable de licencier l’intéressé.

Sanction disciplinaire imposée pour un présumé abus des congés d’accident du travail

[143]   L’employeur a déclaré que ce qu’il considère comme un incident déterminant consistait à [traduction] « malhonnêtement donner une fausse idée » de son état de santé afin de pouvoir réclamer des indemnités. À l’audience, l’employeur a qualifié ce comportement de vol; il a parlé dans la lettre de suspension de ses soupçons d’utilisation frauduleuse des congés d’accident du travail. Dans sa lettre de licenciement, il a déclaré que M. Sabourin avait tenté de frauder l’employeur. Quelle que soit la façon de les décrire, des allégations comme celles–là doivent être étayées par des preuves claires, solides et convaincantes.

[144]   Les témoignages sur le sens des allusions à la police lors des rencontres disciplinaires du 22 et du 24 juillet 2003 sont contradictoires. Il ne fait aucun doute que la PPO a été mentionnée à ces réunions, les notes prises à l’époque le prouvent (pièces G–12 et G–13). Le témoignage de M. St. Louis est pertinent aussi à cet égard. Il a dit que l’affaire [traduction] « s’envolerait » si M. Sabourin démissionnait. Je déduis du contexte que cela incluait la possibilité que la police n’interviendrait pas s’il choisissait de démissionner. J’ai pris bonne note aussi du fait que, dans le contexte de la sanction disciplinaire imposée au fonctionnaire s’estimant lésé pour avoir utilisé un coupon de taxi sans autorisation, l’employeur avait dit que les services de sécurité du Sénat ou la police auraient pu être invités à enquêter si M. Sabourin n’avait pas coopéré. Je conclus donc que l’employeur a bel et bien parlé de la police pour tenter d’encourager M. Sabourin à démissionner. Toutefois, comme il n’a pas démissionné, je n’estime pas cette action de l’employeur pertinente pour conclure si la sanction disciplinaire était justifiée.

[145]   Il est clair que l’employeur a commencé par se fier à la surveillance vidéo et qu’il s’est essentiellement fondé sur les bandes vidéo ainsi que sur le rapport basé sur cette surveillance pour justifier sa décision de licencier l’intéressé. Je rappelle que j’ai déjà jugé inadmissible cette partie de la preuve. Me Champ a fait valoir que l’employeur avançait désormais de nouveaux motifs de licenciement en adaptant sa preuve en conséquence. Cela aurait pu être vrai si l’employeur s’était fondé sur une preuve qu’il n’avait pas en sa possession au moment où il a imposé la sanction. De son point de vue, il appert que la surveillance vidéo aurait pu être sa [traduction] « meilleure preuve », mais ce n’est pas le seul élément de preuve dont il a tenu compte pour arriver à sa décision. Je ne peux donc pas conclure que l’employeur avance de nouveaux motifs de licenciement. Ses motifs restent les mêmes, mais la preuve sur laquelle ils sont fondés a évolué pour tenir compte de l’exclusion d’une partie de ses éléments.

[146]   M. Sabourin a bel et bien maintenu qu’il était absolument inapte à travailler. Son médecin a confirmé cette conclusion. La preuve a révélé que M. Sabourin était capable de certaines activités au cours de la période pertinente, comme conduire sa voiture, marcher, se rendre au club vidéo et aller acheter du lait. L’intéressé a lui–même témoigné qu’il avait [traduction] « de bons jours et de mauvais jours ». Son témoignage sur l’érection d’un bâti de basket–ball n’est pas concluant. Les activités qu’il a témoigné avoir accomplies n’étaient pas à première vue incompatibles avec les limitations précisées par son médecin. La preuve sur la visite de M. Sabourin au bureau pour prendre et déposer les formulaires de la CSPAAT a montré qu’il avait effectivement de la difficulté à marcher et qu’il était visiblement souffrant. Son témoignage et celui de M. Deault sur la question de savoir si ce dernier l’a aidé à s’asseoir sur le divan et à se relever sont contradictoires. Dans l’ensemble, j’estime que je dois préférer le témoignage de M. Sabourin sur ce point. Bien que M. Deault ait été sûr de ne pas l’avoir aidé à s’asseoir ni à se relever, il se souvenait mal d’autres événements, et il a très justement déclaré que cela s’était passé il y a longtemps et qu’il ne pouvait pas se souvenir de tout. Je conclus par conséquent qu’il est probable que sa mémoire lui fasse défaut sur ce point–là aussi. Néanmoins, cet aspect de la preuve n’est pas d’importance critique pour ma décision. Même si M. Sabourin n’avait pas besoin d’aide pour s’asseoir ou se relever, on ne saurait en déduire qu’il était capable de retourner au travail pour assumer des fonctions modifiées — ou ses fonctions normales — et qu’il donnait par conséquent une fausse idée de son état de santé.

[147]   L’employeur n’a pas déposé de preuve contredisant l’évaluation médicale du Dr Dickson ni les restrictions citées par la physiothérapeute. Lorsque j’ai entendu le grief au fond, l’employeur a attaqué la crédibilité du Dr Dickson (en disant que son diagnostic était basé sur ce que le fonctionnaire s’estimant lésé lui avait dit), sans établir de base pour justifier cette contestation de la crédibilité du médecin et sans non plus le faire témoigner. Quand j’ai entendu la motion préliminaire, MM. Cyr et St. Louis ont témoigné qu’ils n’avaient aucune raison de douter du diagnostic du Dr Dickson. Dans Johnson MattheyLtd., le médecin n’avait jamais vu le patient jusque–là, et la preuve a démontré que l’intéressé était capable de marcher, de soulever des objets et de se pencher sans difficulté. L’arbitre en avait déduit que c’était une indication qu’il n’aurait peut–être pas été tout à fait franc avec le médecin. Toutefois, le Dr Dickson était le médecin traitant de M. Sabourin depuis longtemps, et l’employeur n’a pas prouvé que le fonctionnaire s’estimant lésé était capable d’accomplir régulièrement des activités sans difficulté. Je n’ai donc aucune raison de douter du diagnostic du Dr Dickson.

[148]   La physiothérapeute a énuméré certaines restrictions des activités de M. Sabourin le 11 juillet 2003, et ces restrictions concordent avec le diagnostic du Dr Dickson. Le 17 juillet 2003, l’agent d’indemnisation de la CSPAAT a communiqué avec la physiothérapeute pour ensuite déclarer dans son rapport qu’elle lui avait dit que M. Sabourin était capable d’assumer des fonctions modifiées, mais il n’y a rien en preuve sur leur conversation. Cela dit, il est clair que l’employeur n’a jamais parlé de fonctions modifiées avec la physiothérapeute, dont les commentaires sont donc présentés hors contexte et ne constituent que du ouï–dire. J’accepte aussi le témoignage de M. Sabourin qu’il n’a jamais parlé de fonctions modifiées avec la physiothérapeute.

[149]   Les avocats sont souvent passés d’un témoin à un autre pour déterminer qui avait le pouvoir d’offrir des fonctions modifiées à M. Sabourin. Le fait n’en demeure pas moins qu’on ne lui a pas offert de fonctions modifiées, hormis l’invitation à assister à un cours d’une demi–journée. La position de l’employeur est que M. Sabourin a dit qu’il était absolument inapte à travailler, de sorte qu’il n’aurait pas été opportun de lui offrir des fonctions modifiées. Pourtant, l’employeur allègue aussi que M. Sabourin était capable d’assumer des fonctions modifiées. S’il était convaincu que l’intéressé en était capable, il aurait dû faire un suivi avec le Dr Dickson ou demander que le fonctionnaire s’estimant lésé se soumette à un examen médical administré par une tierce partie afin de déterminer si c’était le cas, pour ensuite lui offrir des fonctions modifiées. Le refus de M. Sabourin d’assister au cours d’une demi–journée qu’on lui a offert ne suffit pas à démontrer qu’il simulait une blessure. Comme je l’ai dit dans ma décision préliminaire, l’employeur n’a pas prouvé que le refus de M. Sabourin d’assister à ce cours était incompatible avec les restrictions médicales qui lui étaient imposées. La demande de l’employeur qu’il assiste au cours a été faite à la dernière minute, neuf jours seulement après la blessure que M. Sabourin avait subie. Ni lui, ni l’employeur n’avaient eu la possibilité de communiquer avec le Dr Dickson afin de savoir dans quelle mesure ses limitations pourraient l’empêcher d’assister à la séance de formation.

[150]   Dans Gentek Building Products Ltd. v. U.S.W.A., Local 1105 (Batko) (2003), 119 L.A.C. (4th) 193, l’employeur avait conclu que l’employé s’estimant lésé simulait une blessure en se fondant sur une lettre de la CSPAAT rejetant une demande d’indemnités. L’employeur avait obtenu des indications contredisant la conclusion de l’agent d’indemnisation de la CSPAAT. L’arbitre avait jugé que l’employeur n’avait pas le droit de se fonder sur la décision de la CSPAAT à l’exclusion de tout autre facteur parce que la compétence de la CSPAAT est limitée à l’application de la Loi sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail, tandis que l’employeur avait aussi d’autres obligations découlant de la convention collective; il avait aussi conclu que la décision de la CSPAAT était pertinente, mais pas déterminante en ce qui concernait les droits de l’employé s’estimant lésé aux termes de la convention collective. Dans cette affaire–là, l’employeur n’avait pas tenu compte de renseignements médicaux qui lui avaient été fournis par le fonctionnaire s’estimant lésé, et l’arbitre avait conclu que :

[Traduction]

[…]

[…] La Compagnie était tenue de tenir vraiment compte de ces nouveaux renseignements et de réexaminer la situation en conséquence, notamment en menant une enquête en bonne et due forme et en évaluant la situation. Par exemple, la Compagnie aurait pu demander à l’employé s’estimant lésé de lui fournir d’autres renseignements médicaux. Elle aurait pu lui demander de subir un examen médical administré par un praticien indépendant […] L’employé s’estimant lésé aurait pu refuser de se soumettre à un tel examen, mais son refus aurait alors été un facteur pertinent. La Compagnie aurait pu demander à l’employé s’estimant lésé quelles mesures d’adaptation il lui fallait, ou demander au Syndicat s’il avait des propositions de mesures d’adaptation ou autres. La Compagnie n’a rien fait de tout cela et n’a pas non plus tenu dûment compte de tous les renseignements dont elle disposait, ni non plus d’ailleurs de son obligation de prendre des mesures d’adaptation aux besoins de l’intéressé en vertu du Code.

[…]

[151]   Dans le cas de M. Sabourin, des renseignements médicaux provenant de son médecin contredisaient les conclusions de la CSPAAT. L’employeur n’a pas non plus fait de suivi avec le Dr Dickson pour obtenir des explications ou un complément d’information. Compte tenu de la décision de la CSPAAT, l’employeur avait aussi la possibilité de demander que M. Sabourin se soumette à un examen médical administré par une tierce partie. Comme je l’ai souligné dans ma décision préliminaire, il avait des raisons d’avoir des réserves sur l’état de santé de M. Sabourin en raison de ses observations et des activités de M. Sabourin qu’on lui avait signalées. Toutefois, ces réserves auraient dû l’amener à demander un complément d’information au médecin de M. Sabourin (qui avait autorisé l’employeur à parler de son état de santé directement avec son médecin), ou encore à demander au fonctionnaire s’estimant lésé de se soumettre à un examen médical par une tierce partie. Bref, les renseignements dont l’employeur disposait à l’égard de M. Sabourin n’étaient pas suffisants pour justifier sa conclusion qu’il agissait malhonnêtement.

[152]   Je conclus donc que la preuve sur laquelle l’employeur s’est fondé pour justifier sa décision de licencier M. Sabourin ne satisfait pas à la norme exigible de la preuve claire, solide et convaincante. Par conséquent, l’employeur n’a pas prouvé qu’il avait une raison valable d’imposer une sanction disciplinaire à l’intéressé.

Incident déterminant

[153]   Compte tenu de ma conclusion que l’employeur n’a pas prouvé qu’il avait une raison valable d’imposer une sanction disciplinaire, je dois aussi conclure à l’inexistence d’un incident déterminant.

Redressements

[154]   M. Sabourin doit être réintégré dans son poste à la Chambre des communes à compter du 14 octobre 2003. Me Champ a déclaré qu’il devrait être réintégré à compter du 9 août 2003, la date à laquelle son médecin avait conclu qu’il était apte à reprendre ses fonctions normales. Toutefois, M. Sabourin n’a pas renvoyé à l’arbitrage de grief un grief contestant sa suspension sans traitement. Je conclus donc que je n’ai pas compétence pour ordonner que son traitement lui soit versé rétroactivement du 9 août au 14 octobre 2003.

[155]   L’employeur a déclaré que, si le grief devait être accueilli, la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas opportune dans les circonstances. Il a aussi fait valoir que l’arrêt Gannon de la Cour d’appel fédérale ne s’applique pas en l’espèce, alors que le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu le contraire. Je conclus que je n’ai pas à trancher la question de l’applicabilité de l’arrêt Gannon à l’employeur. Puisque je n’ai pas conclu à l’inconduite du fonctionnaire s’estimant lésé, sa réintégration est le résultat naturel de ma démarche, comme il se doit. On ne devrait envisager le versement d’une indemnité tenant lieu de réintégration que dans les cas où l’on a conclu à l’inconduite de la personne intéressée, si l’arbitre de grief jugeait le licenciement excessif dans les circonstances.

[156]   M. Sabourin réclame aussi des dommages-intérêts pour les intérêts qu’il a dû payer et pour les conséquences de son licenciement pour sa cote de crédit. Je reconnais qu’un arbitre de grief a compétence pour accorder des dommages-intérêts dans les circonstances appropriées, comme l’a établi Bedirian c. Canada (Procureur général) 2004 CF 566. En l’espèce, M. Sabourin a témoigné qu’il s’est servi de ses cartes de crédit pour obtenir des avances de fonds afin de payer ses nécessités, de même que pour payer les factures. Pour pouvoir envisager d’accorder des dommages-intérêts au titre de ces frais, j’ai besoin de preuves établissant un rapport entre les soldes des cartes de crédit de l’intéressé et le paiement de ses nécessités (par exemple sous forme de factures ou de reçus). Bien qu’on m’ait soumis les soldes de ses cartes de crédit et le montant de ses paiements d’intérêts, je n’ai reçu aucune preuve documentaire établissant le rapport entre les avances de fonds et le paiement des nécessités. C’est seulement si l’on me présente cette preuve que je pourrai arriver à déterminer comme il se doit, en ma qualité d’arbitre de grief, si des dommages-intérêts sont justifiés. Par conséquent, je ne peux pas ordonner le remboursement de ces frais.

[157]   L’avocat de M. Sabourin a avancé de nombreux arguments sur la décision que je devrais rendre quant aux conséquences d’une ordonnance de réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé. Je n’ai pas besoin de me prononcer sur la plupart de ces questions puisque les conséquences de la réintégration de M. Sabourin à compter du 14 octobre 2003 seront régies par la convention collective applicable (en termes de crédits de congés) ainsi que par un contrat ou par une loi (dans le cas des prestations du régime de soins de santé et autres). Je vais aussi laisser aux parties le soin de résoudre le problème des modalités de remboursement des crédits de congé de maladie avancés à M. Sabourin. En effet, nul ne conteste qu’il a reçu des avances de crédits de congé de maladie. Il s’ensuit que les dommages-intérêts au titre du traitement perdu entre le 14 octobre 2003 et la date de la présente décision doivent être réduits par déduction du revenu qu’il a touché au cours de cette période conformément aux déclarations de revenu qu’il a présentées. Par ailleurs, le remboursement des prestations d’assurance-emploi est du ressort des parties et de RHDCC.

[158]   M. Sabourin a déposé un certain nombre de pièces renfermant des renseignements financiers personnels (factures de cartes de crédit et déclarations de revenu, par exemple) ainsi que des renseignements médicaux (pièces G–16 et E/G–3). J’ordonne que ces pièces soient scellées. Elles seront retournées à l’avocat de M. Sabourin en temps opportun.

[159]   Je demeure aussi saisi de l’affaire pour une période de 90 jours à compter de la date de la présente décision, dans l’éventualité où les parties auraient de la difficulté à l’appliquer.

[160]   Je reconnais que la réintégration de M. Sabourin dans son milieu de travail sera un défi pour les deux parties. La procédure de règlement des griefs — et particulièrement l’audience — ont été marqués par une hostilité inutile des deux côtés. Je compte bien que les parties sauront faire abstraction de ce qui les oppose, en collaborant ensemble pour assurer un retour au travail relativement paisible du fonctionnaire s’estimant lésé.

[161]   Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[162]   Le grief est accueilli.

[163]   M. Sabourin doit être réintégré dans son poste à la Chambre des communes à compter du 14 octobre 2003. Il doit toucher rétroactivement le remboursement des pertes subies au titre du traitement et des avantages sociaux pour la période entre le 14 octobre 2003 et la date de sa réintégration, moins toutes les sommes qu’il a touchées pour mitiger ces pertes.

[164]   Je demeure saisi de l’affaire pour contribuer à l’exécution de la présente ordonnance, si nécessaire, pour une période de 90 jours à compter de la date de ma décision.

Le 4 juillet 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Ian R. Mackenzie,
arbitre de grief

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