Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a modifié les heures de travail normales de certains employés à la suite d’un avis de négociation collective - l’agent négociateur a déposé une plainte pour pratique déloyale de travail alléguant que l’employeur ne s’est pas conformé à son obligation de négocier de bonne foi et de respecter les conditions d’emploi - la Commission a conclu qu’en modifiant les heures de travail normales de certains employés, l’employeur n’avait pas respecté les conditions d’emploi qui étaient en vigueur au moment où l’avis de négociation collective a été transmis et qui étaient maintenues en vigueur en vertu de l’article 107 de la nouvelle LRTFP - par conséquent, la Commission a ordonné à l’employeur de cesser d’imposer des modifications aux heures de travail normales des employés pendant la période prévue à l'article 107 de la nouvelle LRTFP - la Commission a également conclu que le fait que l’employeur n’ait pas respecté les conditions d’emploi ne suffisait pas, en l’absence de toute autre preuve, à étayer l’allégation selon laquelle celui-ci n’avait pas négocié de bonne foi. Plainte accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-07-12
  • Dossier:  561-02-106
  • Référence:  2006 CRTFP 86

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique



ENTRE

ASSOCIATION DES PILOTES FÉDÉRAUX DU CANADA

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

Répertorié
Association des pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant : Georges Nadeau, vice-président

Pour la plaignante : Phil Hunt, avocat
Gregory Holbrook, Association des pilotes fédéraux du Canada

Pour le défendeur : Jennifer Champagne, avocate


Affaire entendue à Ottawa,
les 14 et 15 juin 2006 .
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Plainte devant la Commission

[1]   Le 18 avril 2006, l’Association des pilotes fédéraux du Canada (l’agent négociateur) a déposé une plainte contre le Conseil du Trésor du Canada et Transports Canada. Dans cette plainte, visée à l’article 190 de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la nouvelle LRTFP), on allègue que l’employeur ne s’est pas conformé à l’obligation de négocier de bonne foi (article 106) ni à l’obligation de respecter les conditions d’emploi encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné (article 107). L’employeur a répondu en niant ces allégations.

[2]   L’article 106 se lit comme suit :

Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

[3]   L’article 107 se lit comme suit :

Une fois l’avis de négociation collective donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

a) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

b) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

[4]   Au début de l’audience, l’avocat de la plaignante reconnaissait que la violation alléguée de l’article 106 faisait suite à la violation de l’article 107 et ne tiendrait pas toute seule.

Résumé de la preuve

[5]   Le premier témoin pour l’agent négociateur a été le capitaine Greg Holbrook. Ce dernier est le président de l’Association des pilotes fédéraux du Canada. Il a été pilote dans l’armée avant d’obtenir un certificat en enquête sur les accidents d’avion ( University of Southern California ). Il s’est joint au Bureau de la sécurité des transports du Canada en 1991 comme inspecteur de l’aviation civile (IAC) et est ensuite passé à Transports Canada comme IAC en exécution du Règlement de l’aviation canadien. Le capitaine Holbrook a été actif comme représentant de l’agent négociateur dans ces deux postes et est le président national de l’Association depuis le 1er juillet 2000.

[6]   Le capitaine Holbrook a témoigné qu’il a été membre de l’équipe de négociation syndicale dans la ronde de négociation collective de 1997 à 1999 ainsi que dans la ronde de négociation de 2000 à 2003 et qu’il est membre de l’équipe de négociation syndicale dans l’actuelle ronde, qui a commencé après la signification de l’avis de négocier, le 22 décembre 2003, et qu’il reste à conclure.

[7]   Le capitaine Holbrook a témoigné que, en février 2006, des membres de la région du Québec ont porté à son attention des documents relatifs aux heures de travail. Ces documents indiquaient que l’employeur était allé de l’avant et qu’il avait mis en œuvre dans le milieu de travail sa proposition à la table de négociation. L’employeur avait informé les employés de modifications quotidiennes de leurs heures de travail normales. Le capitaine a déclaré que la convention collective des IAC prévoyait un horaire de jour et que les IAC ne travaillaient pas par quarts. Conformément à l’article 18 de la convention collective, ils doivent être affectés selon une période de sept heures de travail par jour entre 7 h et 18 h. Il a ajouté que ce n’était pas habituel que l’horaire de travail soit l’objet de modifications quotidiennes. L’avis de négocier avait été signifié le 11 décembre 2003 et c’était la première fois qu’il avait appris que l’employeur prenait de telles mesures. Il considère que c’était une violation du gel législatif des conditions d’emploi en vigueur une fois signifié l’avis de négociation.

[8]   Le capitaine Holbrook a témoigné que les négociations étaient dans une impasse depuis juillet 2005. Les parties avaient voulu entreprendre une conciliation. Toutefois, des problèmes en matière de désignation de sécurité les en avaient empêchés. La demande de création d’un comité d’examen pour ladite désignation avait été différée dans une tentative pour trouver une solution. En ce qui a trait aux conditions d’emploi, les négociations avaient permis de résoudre un certain nombre de questions. Cependant, quatre questions restaient en suspens, dont celle des heures de travail. Cette question était si importante qu’elle recevait en fait plus d’attention des membres que la rémunération.

[9]   Le capitaine Holbrook a témoigné qu’il y avait eu pendant longtemps des menaces et de l’intimidation quant aux heures de travail, ce à quoi l’agent négociateur n’avait pas réagi. Il a dit que l’on avait délibérément décidé de ne réagir qu’aux mesures effectives pouvant être documentées. L’agent négociateur avait cru que la question des modifications quotidiennes des heures de travail avait été réglée à la table lors de la précédente ronde de négociation qui avait donné lieu à la convention collective expirant en juillet 2003. Cette convention collective s’applique à environ 350 employés.

[10]   Le capitaine Holbrook a témoigné que la question de la flexibilité quant aux heures de travail s’est d’abord posée au cours de la ronde de négociation collective de 1997-1999. Le négociateur du Conseil du Trésor a informé l’agent négociateur que l’employeur entendait véritablement exercer le droit de flexibilité que lui conférait le libellé d’alors concernant les heures de travail. Le négociateur a, après avoir lu le libellé existant à l’époque, déclaré qu’ils pourraient faire un certain nombre de choses que les membres du syndicat trouveraient extrêmes, y compris fixer au jour le jour différentes heures de travail normales pour divers employés. L’agent négociateur craignait que l’employeur cherche de la sorte à priver les employés de leur droit à l’indemnité d’heures supplémentaires. Le capitaine Holbrook a affirmé qu’ils croyaient que l’employeur avait l’intention de fixer aux employés des horaires de travail débordant le cadre allant de 7 h à 18 h et de considérer ensuite ces heures comme des heures normales donnant lieu à une rémunération à taux simple. Ils craignaient aussi que l’employeur agisse ainsi irrégulièrement, qu’il change les heures de travail au jour le jour. L’employeur maintenait catégoriquement que, d’un point de vue juridique, il était en droit d’assurer la gestion et que le libellé de la convention collective ne limitait pas sa capacité à fixer des horaires de travail lui permettant de payer à taux simple des heures travaillées n’importe quand, c’est-à-dire le jour ou le soir. Le capitaine Holbrook a déclaré qu’il y avait eu une augmentation des heures supplémentaires parce que la disponibilité des simulateurs était plus limitée. Les horaires prévoyaient une utilisation du matériel 24 heures sur 24, et les employés pouvaient se voir attribuer des heures de travail le soir ou la nuit.

[11]   Le capitaine Holbrook a dit que, à l’époque, le libellé de la convention collective n’avait pas changé depuis de nombreuses années. La pratique en milieu de travail pour les IAC était que les heures de travail normales aillent du lundi au vendredi, de 7 h à 18 h, soit 7,5 heures de travail par jour. L’agent négociateur n’allait pas accepter quoi que ce soit qui puisse accroître les droits de l’employeur selon ce libellé. Le capitaine Holbrook a fait remarquer que la politique d’heures de travail flexibles de Transports Canada mise en application à l’époque (pièce C-4, point 8) prévoyait que les heures de travail pouvaient varier d’un employé à un autre, mais cette politique ne prévoyait pas des variations d’heures de travail de jour en jour pour le même employé. Il a déclaré que l’agent négociateur considérait que c’était une politique raisonnable conforme à la pratique en milieu de travail et au libellé de la convention collective. Le libellé a été renouvelé en 1999 sans modification, et il n’y a eu aucun changement dans la pratique en milieu de travail à la suite du renouvellement de la convention collective.

[12]   Le capitaine Holbrook a témoigné que la structure de l’article 18 de la convention collective expirant en 2001 (pièce C-5), et plus particulièrement dans le cas des clauses 18.01 et 18.02, existait parce qu’initialement il y avait un sous-groupe de postes de pilotes de la direction. Ces pilotes avaient constamment divers quarts et heures de travail quant aux opérations relatives aux vols de transport de personnel de direction. Il n’en était pas ainsi pour les IAC, qui travaillaient dans un environnement de bureau et n’avaient à sortir que pour faire des inspections de compagnie aérienne. La clause 18.02 traitait expressément des heures de travail des IAC. Après l’abolition relative aux pilotes, la subdivision les concernant a été supprimée, tandis que la clause 18.01 est restée telle quelle.

[13]   La question des horaires de travail a refait surface en l’an 2000, lors d’une réunion de consultation entre l’agent négociateur et Transports Canada. Le capitaine Holbrook a témoigné que Don Johns, agent des ressources humaines à Transports Canada, a déposé un document énonçant des lignes directrices pour l’application des dispositions en matière d’horaire de travail et d’heures supplémentaires de la convention collective du groupe Navigation aérienne ainsi que des questions connexes. L’employeur voulait s’engager dans des discussions sur le fondement de ce document. Le capitaine Holbrook a, après avoir examiné le document, conclu que c’était une interprétation énorme que ne permettait pas la convention collective et qui était contraire à la pratique en milieu de travail suivie depuis de nombreuses années. Par les exemples donnés dans le document, l’employeur prétendait pouvoir prévoir des heures de travail normales n’importe quand. L’agent négociateur n’avait jamais vu des horaires de travail normaux traités de cette manière; par conséquent, il a refusé de discuter du document et a rejeté une offre subséquente de médiation à cet égard. À la suite du refus de l’agent négociateur, il n’y a eu aucune modification des pratiques en milieu de travail ou tentative pour mettre en œuvre ces lignes directrices proposées.

[14]   Le capitaine Holbrook a déclaré que l’avis de négocier a été donné en octobre 2000, car la convention collective expirait le 25 janvier 2001. Au cours de négociations qui ont suivi, il y a eu un certain nombre de discussions à propos des heures de travail. L’employeur voulait que la journée normale de travail aille jusqu’à 20 h. L’agent négociateur rejetait la prolongation de la journée de travail, et la question a été l’une de celles dont le bureau de conciliation a traité. Le capitaine Holbrook a affirmé que l’agent négociateur a accepté le rapport du bureau de conciliation, lequel rapport proposait, entre autres choses, que soit renouvelé tel quel le libellé relatif aux heures de travail. Toutefois, l’employeur n’a pas répondu. Par lettre en date du 28 juin 2002, le capitaine Holbrook a écrit à Wayne Malone, directeur régional, Aviation civile de Transports Canada à Moncton (pièce C-8). Il était venu à l’attention du capitaine Holbrook que la direction dans l’Atlantique mettait en œuvre des heures de travail mobiles qui changeaient constamment. Le capitaine Holbrook a témoigné que M. Malone l’a rappelé pour dire que tel n’était pas le cas. Dans la première semaine de juillet 2002, l’agent négociateur a commencé des grèves tournantes et des grèves sélectives. Interrogé sur la question de savoir si, dans le cadre de cette action pendant les mois suivants, la direction avait changé la pratique quant aux heures de travail, le capitaine Holbrook a répondu que jamais la direction n’avait mis en œuvre une telle modification des heures de travail normales.

[15]   En vue du règlement de la grève en cours, un médiateur a été nommé pour aider les parties. Lors de ces discussions, on a traité de la question des heures de travail et il a été convenu d’un nouveau libellé avant que les questions en suspens soient soumises à un arbitre de différends (pièce C-9). Le capitaine Holbrook a témoigné qu’il a été convenu de ce libellé après qu’un engagement a été pris par Merlin Preuss, directeur général de l’Aviation civile, au nom de l’équipe de la direction. Cet engagement était que la direction ne modifierait pas quotidiennement les heures normales de travail et que l’on s’occuperait de tout gestionnaire qui apporterait de tels changements. C’est à la suite de cet engagement que le libellé figurant dans la convention qui a fini par être conclue a été signé (pièce C-2).

[16]   Le capitaine Holbrook a témoigné que la question des heures de travail a refait surface à la première réunion du comité des relations, le 14 octobre 2003. Pendant une discussion sur des séances conjointes d’information devant être tenues à propos de la nouvelle convention collective, Ron Armstrong, directeur général des Services des aéronefs de Transports Canada, a dit que comme gestionnaire il avait le droit d’interpréter individuellement la convention collective comme il le jugeait bon et qu’il n’était lié par aucun point de vue syndical sur la question. Il a ajouté qu’il estimait pouvoir modifier quotidiennement les heures normales de travail. Le capitaine Holbrook s’opposait vigoureusement à cette assertion et disait qu’il croyait que les conventions conclues au cours de négociations étaient très importantes. Interrogé sur la question de savoir si M. Armstrong avait mis en œuvre l’un de ces changements avant que l’avis de négocier soit donné, le 11 décembre 2003, le capitaine Holbrook a répondu que non.

[17]   Le capitaine Holbrook a témoigné qu’il a participé à une consultation régionale patronale-syndicale tenue à Montréal en novembre 2005. Durant cette réunion, les représentants régionaux de l’agent négociateur ont soulevé la question des heures de travail après s’être fait dire par leurs gestionnaires que des modifications quotidiennes des heures de travail étaient permises. Le capitaine Holbrook a affirmé que l’agent négociateur n’estimait pas que des modifications quotidiennes des heures de travail étaient permises. Il a déconseillé à la direction de prendre des mesures précipitées pour mettre en œuvre de tels changements, car les parties étaient dans une période de gel législatif. La direction a répondu en déclarant qu’elle n’estimait pas être liée par cela et que des personnes de l’administration centrale lui avaient dit qu’elle avait le pouvoir de le faire.

[18]   En mars 2006, par suite de courriels portés à son attention (pièce C-11), le capitaine Holbrook a su que la direction avait mis en œuvre des modifications quotidiennes des heures de travail normales. Les courriels traitaient de la fixation des heures de travail normales à l’égard de la formation relative au simulateur Cessna Citation en avril 2006 à Ottawa et ils prévoyaient des modifications quotidiennes des heures de travail de manière qu’elles coïncident avec la disponibilité du simulateur.

[19]   L’agent négociateur voyait cette mesure de la direction de la région du Québec comme une modification importante des conditions d’emploi et a rappelé aux membres de l’ensemble du Canada qu’ils devraient conserver leurs heures de travail normales quand ils se présentent pour de la formation relative au simulateur.

[20]   Au cours du contre-interrogatoire, le capitaine Holbrook a été informé que M. Preuss témoignerait qu’il avait dit quelque chose de différent de l’engagement qu’il avait prétendument pris. Le capitaine Holbrook a répété ce qu’il croyait avoir entendu à l’époque et a déclaré qu’il avait pris des notes pendant la réunion.

[21]   Lors du réinterrogatoire, le capitaine Holbrook a produit les notes rédigées peu après la réunion (pièce C-12) tenue le 1er novembre 2002.

[22]   Le deuxième témoin appelé par la plaignante a été Ron Young. M. Young était le négociateur dont l’APFC avait retenu les services et il avait assisté à la réunion du 1er novembre 2002. Il a témoigné qu’il se souvenait clairement de l’échange ayant eu lieu pendant la réunion et il a confirmé ce que le capitaine Holbrook avait déclaré dans sa déposition au sujet de ce que M. Preuss avait dit.

[23]   Le premier témoin appelé par le défendeur a été Stephen Buckles. M. Buckles est, depuis août 1998, le directeur des Opérations aériennes et il travaille à Transports Canada depuis 1985.

[24]   M. Buckles a témoigné qu’il a pris part aux négociations en 1999 qui se sont soldées par la convention collective ayant expiré en janvier 2001 et aux négociations qui ont mené à l’actuelle convention, dont la date d’expiration se situe en janvier 2005.

[25]   M. Buckles a témoigné qu’avant 1999, il n’y avait pas de politique officielle quant à la détermination des heures de travail et que les gestionnaires de Transports Canada appliquaient la convention collective différemment dans l’organisation. L’avocat de la plaignante a fait une objection à la présentation de cet élément de preuve, au motif que ce témoignage contredisait la preuve avancée par le capitaine Holbrook, qui maintenait qu’une politique existait et était appliquée uniformément dans tout le Canada. Le capitaine Holbrook n’avait pas été contesté en contre-interrogatoire sur son assertion. L’avocate du défendeur a répliqué que la règle énoncée dans Browne v. Dunn (1894) 6 R. 67 (H.L.) ne s’appliquait pas dans les présentes circonstances parce que le capitaine Holbrook avait seulement fait référence à la politique de 1982 sur les heures de travail flexibles et avait témoigné quant à la manière dont la situation avait évolué à l’égard des heures de travail. Elle a ajouté que la règle dans Browne v. Dunn ne doit pas être appliquée strictement au point de rendre tout témoignage presque impossible ou beaucoup trop long. J’ai permis que la question soit posée, sous réserve d’une décision sur l’admissibilité de cette question.

[26]   M. Buckles a témoigné que, avant les négociations qui ont donné lieu à la convention collective ayant expiré en 2001 (pièce C-5), il y avait eu des discussions entre les gestionnaires de Transports Canada. Différentes écoles de pensée existaient à propos de l’interprétation de l’article 18, concernant les heures de travail. Le consensus général entre eux était que le libellé existant de la convention collective permettait à un gestionnaire de modifier ou changer les heures de travail pour répondre aux exigences opérationnelles. À l’extrême, on croyait que les employés pouvaient se voir imposer un horaire couvrant n’importe quelle période de la journée et n’importe quelle journée de la semaine, y compris le samedi et le dimanche. Il était également soutenu que des heures supplémentaires n’avaient pas à être rémunérées tant que 37,5 heures n’avaient pas été travaillées pendant la semaine. La pratique générale était que des heures supplémentaires soient rémunérées après 7,5 heures de travail par jour. M. Buckles a déclaré que le représentant du Conseil du Trésor avait réprimandé la direction de Transports Canada pour n’avoir pas utilisé la latitude donnée par la convention et avoir appliqué celle-ci différemment. L’intention était d’informer l’agent négociateur durant les négociations que, après la conclusion d’une nouvelle convention collective, la direction appliquerait une interprétation uniforme de l’article 18. M. Buckles a affirmé que le message avait été transmis et que l’intention avait été indiquée clairement. À la suite des négociations, M. Johns avait établi un document d’interprétation visant à aider les gestionnaires à appliquer la convention collective uniformément quant aux heures de travail. Ce document énonce des lignes directrices pour l’administration des heures de travail (pièce C-6). Ces lignes directrices indiquaient qu’un horaire de travail débordant le cadre de la période allant de 7 h à 18 h pouvait être établi sans qu’il y ait d’heures supplémentaires et que des heures supplémentaires seraient payées seulement lorsque la durée du travail dépasserait 37,5 heures par semaine. Toutefois, ces lignes directrices n’ont jamais été utilisées, et les parties ont entamé des négociations peu après.

[27]   M. Buckles a témoigné que, après la conclusion de la convention collective en juillet 2003, il avait établi, en consultation avec son superviseur, avec les ressources humaines et, dans une moindre mesure, avec la direction de l’aviation civile, un projet de politique sur les heures de travail (pièce E-2). M. Buckles a passé en revue le contenu du projet de politique et clairement affirmé que ce document était demeuré une ébauche et n’avait pas été officiellement disséminé. Une copie du document avait été remise au capitaine Holbrook pendant un atelier en matière de négociation à la satisfaction des parties qui avait eu lieu à l’Institut de formation de Nav Canada en octobre 2003.

[28]   En réponse à une question sur la manière dont la convention collective était appliquée aujourd’hui relativement au simulateur, M. Buckles a témoigné qu’ils ne fournissent pas officiellement un préavis de 12 jours ouvrables si ce n’est au moyen de l’horaire semblable à celui qui figure dans la pièce C-11. Sur le plan opérationnel, il est difficile de prévoir longtemps d’avance ce que seront les exigences. Il a déclaré que soit il y a un accord mutuel pour modifier les heures de travail, soit l’horaire n’est pas modifié et les heures supplémentaires sont rémunérées. Il a affirmé que telle est la pratique courante depuis de nombreuses années et depuis qu’il est le directeur des Services aériens (c.-à-d. depuis 1998). Quand on lui a demandé quel effet avait l’exigence relative au préavis sur la pratique dont il parlait, M. Buckles a répondu qu’elle n’en avait aucun. Il a par ailleurs mentionné qu’il a joué un rôle dans l’actuelle ronde de négociation collective.

[29]   En contre-interrogatoire, M. Buckles a confirmé que, dans la ronde de négociation collective entamée en 1998, la question des heures de travail a été débattue sans qu’une proposition ne soit l’objet d’un échange, et le syndicat faisait une objection à la position énoncée par l’employeur. Il a également confirmé qu’aucune modification des clauses 18.01 et 18.02 de la convention collective n’a résulté de ces discussions. Il a répété que le document d’interprétation (pièce C-6) établi par M. Johns n’a jamais été utilisé. Il a aussi confirmé que ce document avait été établi avant l’avis de négocier.

[30]   Pour ce qui est du projet de politique sur les heures de travail figurant comme pièce E-2, M. Buckles a confirmé que ce document n’a jamais été disséminé et avait été établi avant la signification de l’avis de négocier. M. Buckles a d’abord déclaré qu’il n’était pas parfaitement au courant de la date de l’avis de négocier à l’époque où il a rédigé le document, mais, quand on lui a fait état de l’échange par voie de courriels qui a eu lieu en octobre 2003 (pièce C-13), il a reconnu qu’il l’était.

[31]   Interrogé sur la question de savoir si l’employeur et l’agent négociateur avaient convenu d’un document de mise en œuvre à l’égard des heures de travail, M. Buckles a affirmé qu’un tel document n’a jamais été conclu. Il a en outre confirmé que le plan décrit dans la pièce C-13 pour la distribution de préavis de 12 jours quant à des modifications quotidiennes des heures de travail avant le 10 novembre n’a jamais été exécuté. Il a ajouté que, à sa connaissance, des modifications quotidiennes des heures de travail n’ont pas été faites dans son organisation et que le syndicat n’a donc pas été notifié à ce sujet.

[32]   Le témoin suivant a été Jules Pilon, gestionnaire régional, Aviation commerciale et d’affaires, région du Québec, qui travaille à Transports Canada depuis mai 1982. M. Pilon a décrit le travail effectué sous sa responsabilité et a dit que la majorité des employés travaillent de 7 h 30 à 15 h 30 ou de 8 h à 16 h. La plupart des travaux sont accomplis au bureau, quoique bien fréquemment des employés soient tenus de se rendre auprès de transporteurs pour faire des inspections ou vérifications sur place. Les inspecteurs de l’aviation détiennent un permis de pilote et, pour le maintenir, ils sont tenus de recevoir une formation régulière, qui inclut une formation en salle de classe et une formation sur simulateur.

[33]   M. Pilon a témoigné que c’est vers la fin de 2003 et le début de 2004 qu’il a commencé à recevoir d’avance les horaires de formation des employés relevant de lui. Auparavant, l’horaire de formation allait directement aux employés concernés, et ceux-ci n’avisaient leurs gestionnaires qu’à la dernière minute. M. Pilon a apporté ce changement parce que la nouvelle convention collective prévoit le paiement d’heures supplémentaires après 18 h. Il voulait que les gestionnaires relevant de lui réduisent le plus possible, grâce à une meilleure planification, les heures supplémentaires payées aux employés. M. Pilon a fourni des exemples d’horaires qui avaient été préparés (pièces E-3 à E-12) et qui modifiaient les heures normales de travail de manière à limiter les heures supplémentaires payées pendant la participation à des séances de formation sur simulateur. Il a déclaré que, en vue de la présente audience, il avait demandé aux gestionnaires relevant de lui de confirmer quand ils avaient commencé à mettre en œuvre des modifications quotidiennes des heures de travail normales relativement à la formation (pièces E-13 et 14). M. Pilon a fait état de l’échange par voie de courriels au sujet de la formation d’avril 2006 qui a donné lieu à la plainte (pièces E-15 et E-16). M. Pilon a témoigné que, après la signature de la dernière convention en juillet 2003, il y avait eu un certain nombre de discussions sur l’application de l’article relatif aux heures de travail et sur le paiement des heures supplémentaires. L’employeur avait voulu procéder de cette façon, et M. Pilon a trouvé des exemples selon lesquels ils ont pu faire cela dès le début de 2004.

[34]   En contre-interrogatoire, M. Pilon a confirmé que le plus récent exemple de modifications quotidiennes des heures normales de travail qu’il avait pu trouver remontait à février 2004. Il a déclaré qu’il n’était pas au courant que l’employeur n’avait pas exécuté le plan en octobre 2003 de manière à introduire un horaire de travail variant d’une journée à une autre. Il n’était pas au courant du document présenté comme étant le projet de politique (pièce E-2). M. Pilon a affirmé qu’il avait fait une recherche rapide pour trouver des exemples et qu’il peut y avoir des exemples de modifications antérieures. Interrogé sur la question de savoir s’il avait mis le capitaine Holbrook au courant des exemples de modifications quotidiennes des heures de travail qui ont été donnés, M. Pilon a répondu que c’était avec le représentant régional de l’agent négociateur qu’il communiquait et que ces représentants étaient traités de la même façon que les autres employés. M. Pilon a renvoyé à la pièce E-8, où M. Audet, représentant de l’agent négociateur, était l’un des employés à qui des courriels ont été envoyés. M. Pilon a confirmé que des modifications des heures de travail avaient toujours été acceptables si elles étaient acceptées par l’employé. Il a déclaré que la politique était de demander toujours aux employés s’ils étaient d’accord sur un changement, de chercher à parvenir à un accord mutuel et de travailler de concert. Dans l’exemple avancé au sujet de M. Audet, c’était à sa demande que ce dernier a eu un horaire en dents de scie, c’est-à-dire qui variait d’une journée à une autre. Interrogé sur la question de savoir si les exemples qu’il donnait correspondaient tous à des accords mutuels, M. Pilon a répondu qu’il s’agissait effectivement d’accords mutuels, sauf pour ce qui était des exemples relatifs à Ghislain Samson et à Pierre Roy qui ont donné lieu à la plainte.

[35]   Le témoin suivant a été Merlin Preuss. Il est directeur général de l’aviation civile depuis mars 2002 et s’est joint à la fonction publique en 1988, après une carrière dans l’Aviation royale du Canada. M. Preuss a déclaré que, le 4 avril 2006, il a rédigé une réponse à un courriel du capitaine Holbrook se plaignant de ce que la région du Québec mettait en œuvre des modifications quotidiennes des heures de travail (pièce C-14). Il a témoigné qu’il se souvenait de la discussion à la table de négociation où l’agent négociateur pensait pour quelque raison que la direction prendrait sur elle de changer l’horaire quotidiennement, 364 jours par année, suivant un cycle de 12 jours. Il a dit que les représentants de l’agent négociateur ne voulaient pas que soient quotidiennement modifiées les heures normales de travail. M. Preuss trouvait peu probable que les heures de travail normales puissent être quotidiennement modifiées; sans un préavis, il n’y aurait aucun avantage à changer des choses quotidiennement. Dans le contexte de bonnes relations de travail, il a déclaré au syndicat que de bons gestionnaires ne fermeraient pas les yeux là-dessus et considéreraient de tels changements comme une perte de temps.

[36]   En janvier 2005, le capitaine Holbrook a écrit un courriel à M. Preuss pour porter à l’attention de ce dernier des modifications quotidiennes d’heures de travail relatives à la formation. M. Preuss a confirmé qu’il avait écrit à Michael Stephenson pour lui demander d’examiner la situation (pièce E-17). Dans ce courriel, M. Preuss disait : [traduction] « Je crois toujours que ce type de programme était peu vraisemblable, mais le contexte était que nous changerions quand nous saurions qu’il y aurait un programme particulier comme une vérification. » Interrogé sur la question de savoir s’il voyait quoi que ce soit d’incohérent, M. Preuss a affirmé que la direction n’avait pas prévu l’horaire de travail lié à la formation. La discussion portait principalement sur les vérifications combinées et sur les modifications des heures de travail de manière que toutes les équipes travaillent en même temps afin de minimaliser les heures supplémentaires.

[37]   M. Preuss a affirmé qu’un document a été établi (pièce E-18) après la conclusion de la dernière convention collective (pièce C-2) pour expliquer les changements apportés à la convention. C’était une tentative de l’employeur et de l’agent négociateur pour travailler davantage en coopération. Quant à savoir qui avait établi ce document, M. Preuss n’en était pas certain, mais l’intention était que le document soit utilisé pour tenir des séances conjointes d’information. En fin de compte, on ne s’est jamais entendu sur le document, et les séances conjointes d’information n’ont pas eu lieu.

[38]   Quand on lui a demandé d’expliquer les « Oh! oh! » de sa réponse figurant dans le courriel du 24 octobre 2003 (pièce E-1), quant au fait qu’il avait été informé que le projet de politique sur les heures de travail (pièce E-2) avait été distribué aux employés dans une région, M. Preuss a déclaré que la direction des services de l’aviation avait disséminé ce projet de politique avant quoi que ce soit d’autre qu’ils aient établi. M. Preuss a témoigné qu’il croit bien que son intention était d’obtenir l’accord du capitaine Holbrook. Toutefois, il n’a jamais eu l’accord du capitaine Holbrook et ce projet de politique n’a donc jamais été publié.

[39]   M. Preuss a affirmé que les heures de travail avaient été l’objet de discussions pendant un certain nombre d’années. Il a témoigné qu’ils ne pouvaient entrevoir de modifier quotidiennement les heures de travail, que le contexte était une vérification et que la formation n’a jamais été soulevée.

[40]   En contre-interrogatoire, M. Preuss a dit qu’il n’avait joué aucun rôle dans la planification de modifications quotidiennes des heures de travail dont il est question dans la première partie de la pièce C-13. Au sujet de la réunion du 1er novembre 2002, il a ajouté qu’il ne voyait aucun avantage à changer les heures de travail quotidiennement et que, dans le contexte d’une saine gestion, il n’admettrait pas ce style de gestion. Il n’avait pris aucune note pendant cette réunion.

[41]   M. Preuss a répété que la formation n’avait pas été débattue pendant la réunion où la question des modifications quotidiennes des heures de travail avait été examinée à la table de négociation. Interrogé sur les procès-verbaux du comité des relations (pièce E-20), M. Preuss a déclaré que c’était une question en suspens à la table de négociation en janvier 2006.

[42]   Lors du réinterrogatoire, M. Preuss a affirmé que son rôle dans l’établissement des heures de travail était davantage celui d’un conseiller, car il n’a pas de pouvoir hiérarchique sur les régions. Il a également dit qu’il serait nécessaire d’avoir une certaine justification pour changer quotidiennement l’horaire de travail.

Résumé de l’argumentation

[43]   L’avocat de la plaignante a commencé par dire que la négociation est une étape cruciale dans les relations de travail. La législation exige de la bonne foi de la part des parties et impose un gel à l’égard des conditions d’emploi pour favoriser l’égalité des chances et l’équité des règles du jeu. Le gel s’applique à toutes les conditions d’emploi pouvant être incluses dans une convention collective et qui sont en vigueur à la date de la signification de l’avis.

[44]   L’avocat a fait valoir que l’agent négociateur protège depuis des décennies le droit de ne pas être l’objet d’horaires de la façon décrite à la page 4 de la pièce C-11, avec des changements quotidiens. Le capitaine Holbrook a témoigné que le droit de ne pas avoir des heures de travail qui varient d’une journée à une autre était important pour les membres et que permettre à l’employeur d’imposer des changements au jour le jour serait très mauvais pour les employés ayant des horaires comme ceux dont il est question dans la pièce C-11.

[45]   L’avocat a souligné que, comme l’a affirmé le capitaine Holbrook au cours de son témoignage, la direction avait avancé cette question lors de la ronde de négociation collective de 1997-1998 et affirmé son droit de changer les heures de travail. L’agent négociateur s’opposait à cette affirmation. C’était contraire à tout ce qui s’était vu depuis des décennies dans les pratiques en milieu de travail. C’était contraire à la politique ministérielle sur les heures de travail flexibles, ainsi qu’à la politique du Conseil du Trésor, et ce n’était pas conforme à la convention collective ni aux mentions relatives aux heures de travail normales. En fin de compte, le libellé quant aux heures de travail a été renouvelé sans modification, et la pratique de l’établissement des horaires de travail n’a pas été changée.

[46]   La question a refait surface au cours d’une réunion de consultation patronale-syndicale, lorsque l’employeur a présenté un document d’interprétation (pièce C-6). L’agent négociateur s’est opposé à ce document, et l’employeur n’a pris aucune mesure pour appliquer l’interprétation qu’il mettait en avant.

[47]   En juin 2002, le capitaine Holbrook s’est opposé à ce qui semblait être l’introduction d’heures normales de travail changeant constamment, lors d’une période de gel. L’employeur lui a assuré que tel n’était pas le cas.

[48]   L’avocat disait que la réunion du 1er novembre 2002 avait conduit au nouveau libellé dont on a convenu le 4 décembre 2002 (pièce C-9). Il a souligné deux points cruciaux à l’égard de ce nouveau libellé.

[49]   Tout d’abord, aucune disposition du nouveau libellé ne change de manière à accorder à la direction le droit unilatéral de fixer des heures de travail variant d’une journée à une autre comme c’est proposé dans la pièce C-11. La notion d’heures normales de travail est conservée telle qu’elle existait à l’article 19 relatif aux heures supplémentaires et, pour la première fois, ces termes sont inclus à l’article 18. Il faudrait une formulation claire pour modifier des années de pratique uniforme.

[50]   Le second point est que, si le syndicat a eu l’impression qu’il y avait une irrégularité, M. Preuss lui a assuré qu’il n’en était rien. Bien que deux versions légèrement différentes de ce qui avait été dit aient été présentées au cours de l’audience, l’avocat arguait en fin de compte que ces versions n’étaient pas si différentes. M. Preuss a confirmé qu’il avait dit au syndicat qu’il ne voyait aucun avantage à modifier quotidiennement les heures de travail et qu’il n’admettrait pas une telle approche. À la suite de cette conversation, l’agent négociateur était encouragé et a convenu du changement quant au préavis de 12 jours.

[51]   L’avocat a affirmé que la plainte n’a pas été déposée seulement parce que M. Preuss a fait une promesse. La plainte a été portée parce que des conditions en vigueur depuis plus de 15 ans ont été enfreintes pendant la période de gel.

[52]   En examinant la formulation de l’article 18, l’avocat arguait qu’une bonne part du libellé indique un haut niveau de régularité et il a déclaré que, à la table de négociation, la direction n’a jamais demandé clairement à obtenir le droit de modifier les heures de travail quotidiennement. Bien que l’employeur ait fait des tentatives d’intimidation un certain nombre de fois, il n’a jamais apporté l’un des changements proposés. L’avocat a argué que la convention collective assure à la direction toute la souplesse dont elle a besoin.

[53]   L’avocat a porté à mon attention un échange par voie électronique présenté dans la pièce C-13 qui, à son avis, fournit beaucoup de réponses à propos des motivations de l’employeur. L’avocat a argué que, si on lit attentivement l’échange sous forme de courriels, on peut conclure que la direction avait un objectif de convention collective avec des modifications des heures de travail. L’avocat a également argué qu’une interprétation juste de ce document indique l’existence d’un plan visant à perturber les employés avant les négociations. Toutefois, on n’est pas allé de l’avant à cet égard, la direction ayant décidé de ne pas mettre le plan en œuvre.

[54]   L’avocat soutenait qu’il y avait cinq raisons à l’appui de la plainte :

  • il y a eu une nette violation de la convention collective;

  • la question était à la table de négociation;

  • l’intention était d’influer sur les négociations en cours à un moment crucial d’impasse de la négociation;

  • cela s’inscrit dans le contexte de menaces à ce sujet;

  • il s’agissait d’une question délicate pour les membres, et c’était destiné à jeter un froid sur l’unité de négociation.

[55]   L’avocat m’a signalé une décision rendue par l’arbitre Quigley dans une plainte, soit l’affaire Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 29.

[56]   L’avocate du défendeur arguait que la seule question qui m’ait été soumise consistait à déterminer s’il y avait une preuve suffisante pour conclure qu’une violation du gel avait eu lieu. Elle a fait valoir que l’intention sous-jacente au gel est de maintenir le statu quo quant aux conditions qui existaient juste avant la signification de l’avis de négocier.

[57]   L’avocate a argué que les conditions en vigueur à l’époque étaient celles énoncées dans la convention collective. Cette convention collective donnait à l’employeur le droit de changer les heures de travail allant de 7 h à 18 h avec un préavis de 12 jours. Ce droit, établi dans la clause 18.01 de la convention collective, était en vigueur lorsque l’avis de négociation a été signifié. Ce droit est demeuré en vigueur.

[58]   L’avocate a en outre argué qu’il est indéniable que l’employeur peut changer l’horaire de travail qui se situe entre 7 h et 18 h. Elle soutenait qu’une preuve abondante a été présentée qui montre quand ce droit a été utilisé, lequel droit remonte à la signature de la convention collective. Même avant la signature, l’avocate a argué que M. Preuss avait clairement indiqué, lors de la négociation, son intention d’appliquer la convention de cette manière.

[59]   L’avocate a affirmé que M. Pilon reconnaissait qu’il y avait une période d’adaptation après la signature de la convention collective et que de nombreuses discussions ont eu lieu durant cette période. Toutefois, l’avocate a argué que ce n’est pas de la mauvaise foi ou une violation du gel. Aucune preuve ne montre que l’employeur ait appliqué la convention collective d’une manière différente après la signification de l’avis de négocier. L’employeur a continué à faire ce qu’il avait entrepris de faire, et il ressort du témoignage de M. Buckles et de M. Pilon qu’il n’y a pas eu d’intention de violer les dispositions sur le gel.

[60]   L’avocate arguait aussi que l’approche adoptée par M. Pilon dans l’application de la convention collective était raisonnable et ne représentait nullement une tentative pour influencer la négociation collective. Des modifications quotidiennes de l’horaire ont été faites dans le cas de la formation sur simulateur, dans un effort pour contrôler les dépenses. L’employeur a le droit de diriger et gérer le lieu de travail conformément à l’article 9 de la convention collective.

[61]   L’avocate disait qu’elle ne comprenait pas que le syndicat puisse conclure que l’on avait violé les dispositions sur le gel. Quant à l’échange par voie électronique présenté comme pièce C-13, l’avocate a déclaré que personne ne pourrait l’interpréter, car les auteurs n’ont pas été appelés à témoigner, et personne ne pourrait en attester le contenu. Le document est antérieur à l’avis de négocier, et le document signé par les deux parties figure en annexe à cet échange par courriels.

[62]   En faisant référence à la pièce C-4, soit la politique sur les heures de travail flexibles, l’avocate a argué que la convention collective prime toute politique de l’employeur, notamment lorsque la politique en cause est antérieure à la signature de la convention collective.

[63]   Pour ce qui est des notes prises par le capitaine Holbrook à la réunion du 1er novembre, l’avocate a affirmé que ces notes renvoient seulement au fait que M. Preuss était disposé à prévenir les abus. Elles n’amènent aucunement à conclure que l’employeur ne peut faire varier les heures de travail dans les cas de vérification ou de formation. Il s’agit d’un droit de l’employeur qui a été négocié. De plus, les parties se sont rencontrées en 2005 et se réuniront de nouveau dans deux semaines pour chercher à conclure une convention collective.

[64]   L’avocate invoquait les décisions suivantes à l’appui de ses arguments : Conseil du Trésor c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1982] 2 C.F. 80; Association canadienne des professionnels de l’exploitation radio c. Conseil du Trésor (1990), dossier de la CRTFP 148-2-173 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Commission de la capitale nationale, [1996] A.C.F. no 57 (QL); Public Service Alliance of Canada v. National Capital Commission, [1996] S.C.C.A. No. 99 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Commission de la capitale nationale (1995), dossiers de la CRTFP 148-29-218 et 161-29-761 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, [1983] A.C.F. no 700; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (1991), dossier de la CRTFP 148-2-189 (QL); UCCO-SACC-CSN c. Conseil du Trésor, 2004 CRTFP 38; Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. Conseil du Trésor (1989), dossier de la CRTFP 148-2-149 (QL); UCCO-SACC-CSN c. Conseil du Trésor, 2004 CRTFP 38.

[65]   En conclusion, l’avocate soutenait qu’aucune preuve présentée à la Commission ne permettait de conclure que l’on avait enfreint les dispositions sur le gel. Le droit d’établir les heures de travail des employés est conféré à l’employeur dans la convention collective. L’employeur a commencé à mettre en œuvre ces droits après la signature de la convention collective le 30 juillet 2003. Il n’y a aucune preuve que l’employeur ait agi de mauvaise foi.

[66]   En guise de réfutation, l’avocat de la plaignante arguait qu’il y avait amplement de preuve de la pratique passée. Il a ajouté qu’il y a eu des tentatives pour obtenir l’appui du syndicat à l’égard de l’approche de l’employeur, qu’il y a eu des années de menaces et des années d’inaction à ce sujet, que dans la pièce C-13 l’employeur admettait que l’agent négociateur aurait une bonne cause s’ils ne procédaient pas à la mise en œuvre avant l’avis de négocier, qu’il n’y avait aucun consensus sur l’interprétation de l’article 18 et qu’il y avait divers points de vue sur la mise en œuvre. L’avocat a ajouté que, bien qu’il puisse y avoir une certaine preuve que l’employeur ait commencé à mettre en œuvre des changements en février 2004 (pièce E-3), la preuve est que l’agent négociateur est devenu au courant en avril 2006 quand deux membres ont refusé de donner leur accord quant à l’horaire proposé pour leur formation d’avril.

[67]   L’avocat a dit qu’il n’était pas à l’aise que l’avocate du défendeur ait soulevé le fait que les parties aient convenu d’entamer des réunions de médiation dans deux semaines. Il a déclaré qu’il estimait que cela n’avait rien à voir avec la plainte. Il a demandé le rétablissement d’un terrain neutre.

Motifs

[68]   La difficile relation entre les parties est quelque peu illustrée par la directive qu’a donné aux parties l’arbitre de différends Adams dans la décision qu’il a rendue en mars 2003 (pièce C-10) pour établir un comité permanent de représentants principaux, soit le comité des relations. Il est également évident que, malgré des efforts pour mettre en place ce comité, on a peu accompli pour ce qui est de régler ou éviter certaines des questions qui se posent, et notamment les questions entourant l’application de la convention collective. Certains facteurs contribuent à rendre ces relations plus difficiles, et le cas présent illustre ces difficultés.

[69]   Étant donné que la plaignante a admis que la violation de l’article 106 fait suite à la violation de l’article 107 et ne tiendrait pas toute seule, la présente décision traitera d’abord de l’allégation que l’employeur a enfreint les dispositions de l’article 107, souvent appelées les dispositions sur le gel quant aux conditions d’emploi une fois signifié l’avis de négociation.

[70]   Le juge LeDain a, dans Conseil du Trésor c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1982] 2 C.F. 80, écrit ceci à propos des dispositions sur le gel :

[…]

L’article 51 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique vise à maintenir le statu quo pour ce qui est des conditions d’emploi pendant que les parties entreprennent la négociation d’une convention. Il s’agit là d’une version particulière d’une disposition qu’on trouve généralement dans la législation ouvrière, destinée à promouvoir une négociation collective ordonnée et équitable. Il faut qu’il y ait un cadre de référence constant et stable servant de point de départ pour la négociation. Il ne faut donc pas donner de cette disposition une interprétation rigide qui lui ferait échec.

L’article 51 porte sur « toute condition d’emploi applicable aux employés de l’unité de négociation » à une période donnée. Cette condition doit être celle qui peut être incluse dans une convention collective, et non pas nécessairement celle qui y est déjà incluse. Elle doit être « en vigueur » à la date de l’avis de l’intention de négocier collectivement.

[…]

[71]   Les dispositions de l’article 107 de l’actuelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique sont, à toutes fins, identiques aux dispositions figurant à l’article 51 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

[72]   La jurisprudence invoquée par les parties ne change pas l’objet des dispositions sur le gel. Quand des plaintes ont été rejetées, elles l’ont été au motif que la partie plaignante n’avait pas établi qu’une condition d’emploi était en vigueur au moment de la signification de l’avis de négocier ou qu’une violation effective des conditions avait eu lieu parce que l’action de l’employeur était expressément permise en vertu de la condition particulière maintenue en vigueur. Dans l’affaire IPFPC c. ARC, les modalités de télétravail qui étaient en vigueur au moment où a été donné l’avis de négociation prévoyaient expressément la possibilité que l’employeur mette un terme à ces modalités avec un préavis raisonnable.

[73]   La question en l’espèce quant à la flexibilité permise à l’employeur dans l’établissement des heures de travail n’était pas quelque chose de nouveau pour les parties. La preuve révélait que cette question avait été l’objet de négociations collectives dès la ronde de 1998-1999. Au cours de ces négociations, l’employeur avait affirmé son droit d’établir des horaires de travail comme il le jugeait bon, tandis que le syndicat s’opposait à cette interprétation. À la suite de cette ronde de négociation, qui s’est conclue en décembre 1999, des lignes directrices (pièce C-6) ont été établies, en août 2000, dans le but, comme l’indique le document, d’assurer l’uniformité et l’optimalisation de la flexibilité inhérente à la convention. Ces lignes directrices ont été présentées à l’agent négociateur lors des consultations de l’été 2000. L’agent négociateur a réagi négativement, et l’employeur n’a pas procédé à la mise en œuvre de ces lignes directrices.

[74]   La question s’est posée de nouveau au cours de la ronde suivante de négociation. À l’été 2002, le capitaine Holbrook a, pour l’agent négociateur, écrit au directeur régional pour l’Atlantique de Transports Canada afin de s’informer au sujet de l’introduction d’heures de travail selon une échelle mobile variant constamment. Le directeur lui a assuré que tel n’était pas le cas. Les heures de travail ont toutefois été l’objet de discussions à la table de négociation et durant des séances de médiation. L’employeur avait présenté des propositions, et on a fini par arriver à un accord sur un nouveau libellé de l’article 18 le 4 décembre 2002. Les circonstances ayant mené à cet accord sont pertinentes à l’égard de la question qui m’est soumise.

[75]   En examinant le témoignage du capitaine Holbrook et celui de M. Preuss, je suis parvenu à la conclusion que l’agent négociateur est fondé à soutenir qu’il avait été entendu à la table de négociation le 1er novembre 2002 que l’employeur n’entendait pas mettre en œuvre des modifications quotidiennes des heures normales de travail. Quoique les circonstances entourant l’établissement des horaires des employés aux fins de la formation sur simulateur n’aient pas été débattues expressément, les parties ont bel et bien examiné un certain nombre de circonstances. Le libellé proposé qui permettait à l’employeur de changer les heures normales de travail d’un employé moyennant un préavis de 12 jours permettait à des équipes travaillant à des vérifications d’être présentes en même temps. M. Preuss a dit à l’agent négociateur qu’il ne pouvait entrevoir de raisons de mettre en œuvre des modifications quotidiennes des heures de travail. M. Preuss est allé plus loin en affirmant que ce serait de la mauvaise gestion que de mettre en œuvre des modifications quotidiennes et qu’il n’admettrait pas une telle action. Il est regrettable que M. Preuss n’ait pas envisagé que des modifications quotidiennes puissent avoir lieu en raison de l’horaire de la formation sur simulateur avant de faire les déclarations qu’il a faites à la table de négociation. L’agent négociateur a accepté le libellé proposé, étant entendu que ce libellé ne mènerait pas à des modifications quotidiennes des heures de travail. L’ambiguïté a été levée.

[76]   Malgré les discussions ayant eu lieu pendant les négociations, à la suite de la conclusion de la convention collective (pièce C-2), l’employeur maintenait qu’il avait la flexibilité nécessaire pour incorporer des changements quotidiens aux heures de travail normales. Cela a donné lieu à l’élaboration d’une politique (pièce E-2) qui n’a jamais dépassé le stade d’une ébauche, car le syndicat s’opposait au contenu de ce document. L’avis de négociation a été signifié le 11 décembre 2003, sans politique ou accord modifiant ce qui avait été entendu lors des négociations.

[77]   La preuve m’amène en outre à conclure que la pratique sur le terrain n’a changé qu’à un moment donné vers la fin de 2003 et le début de 2004, lorsque l’employeur dans la région du Québec a obtenu d’avance les horaires de la formation sur simulateur lui permettant de déterminer des heures de travail 20 jours d’avance. Comme le confirme le témoignage de M. Pilon, jusqu’en avril 2006, les employés concernés ont de toute manière accepté les changements. En avril 2006, l’employeur a imposé des modifications quotidiennes des heures normales de travail des employés M. Roy et M. Samson (pièces E-15 et E-16). C’est alors que la plainte a été déposée par l’agent négociateur.

[78]   Je suis arrivé à la conclusion que l’employeur a enfreint les dispositions sur le gel en prétendant imposer des modifications quotidiennes des heures normales de travail des employés Pierre Roy et M. Samson. La condition d’emploi en vigueur au moment où l’avis de négociation a été signifié, le 11 décembre 2003, était que l’employeur n’imposerait pas de modifications quotidiennes des heures normales de travail. Non seulement un représentant de l’employeur avait, à la table de négociation, assuré qu’ils ne procéderaient pas de cette façon, mais l’employeur n’a pas mis en œuvre une politique (pièce E-2) qui était expressément destinée à apporter ce changement lorsque l’agent négociateur s’y est opposé.

[79]   Même si l’article 18 de la convention collective pouvait être interprété de manière à permettre l’imposition de modifications quotidiennes des heures normales de travail, par l’employeur, moyennant un préavis de 12 jours, il n’en demeure pas moins que le représentant de l’employeur a nettement amené l’agent négociateur à croire que l’employeur ne procéderait pas de cette manière. L’agent négociateur s’est fondé sur cette promesse quand ils ont convenu des modifications de l’article 18. Ces faits, ainsi que le fait que l’employeur n’a pas mis en œuvre une politique appliquant cette interprétation, m’amènent à conclure qu’il s’agit ici d’une condition en vigueur qui, à tout le moins, peut être incluse dans une convention collective. Cette situation est différente de celle de l’affaire UCCO-SACC-CSN c. Conseil du Trésor, où l’argument de la préclusion était basé sur une pratique passée et où l’arbitre de grief a conclu qu’il n’y avait pas eu une confiance préjudiciable. En l’espèce, une promesse a été faite et l’on a agi en conséquence.

[80]   En ce qui a trait à l’allégation que l’employeur ne s’est pas acquitté de l’obligation de négocier de bonne foi, je suis parvenu à la conclusion que, bien que j’aie conclu qu’il y a eu une violation de l’article 107, cela n’établit pas en soi que l’employeur n’a pas négocié de bonne foi. On n’a présenté aucune preuve pouvant m’amener à conclure que cette violation avait un effet sur les négociations. De plus, exception faite de la violation de l’article 107, on n’a présenté aucune preuve pour me convaincre que l’action de l’employeur a miné la capacité de l’agent négociateur à négocier ou pour établir que l’employeur a négocié de mauvaise foi en refusant de conclure une convention collective ou en adoptant une position telle qu’une convention serait impossible. Les parties étaient déjà dans une impasse quant aux heures de travail, et les retards dans les négociations après juillet 2005 sont le résultat de difficultés à parvenir à une entente sur la désignation de postes essentiels pour la sécurité en cas de grève, soit une étape nécessaire avant d’obtenir l’établissement d’un bureau de conciliation. La preuve n’étaye pas une allégation selon laquelle l’article 106 a été enfreint.

[81]   Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

[82]   La plainte est accueillie dans la mesure suivante.

[83]   Je déclare que l’employeur a, par l’intermédiaire des personnes agissant pour lui, omis de se conformer aux dispositions de l’article 107 de la nouvelle LRTFP en n’observant pas une condition d’emploi qui était en vigueur au moment où a été donné l’avis de négociation collective.

[84]   J’ordonne que l’employeur et les personnes agissant pour lui cessent d’imposer des modifications quotidiennes des heures normales de travail d’employés pendant la période prévue à l’article 107.

[85]   Je rejette la plainte selon laquelle l’article 106 de la nouvelle LRTFP a été enfreint.

Le 12 juillet 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Georges Nadeau,
vice-président

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