Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En novembre 2005, le demandeur a déposé une demande de prorogation de délai pour présenter un grief relatif à la façon dont il a été traité par son employeur en 2002 - l’employeur s’est opposé à la demande - le demandeur n’a pas donné de motifs convaincants et impérieux pour expliquer le retard, si ce n’est qu’il disait avoir une personnalité non antagoniste - la jurisprudence de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique en matière de prorogation de délai s’applique aux nouvelles dispositions correspondantes à ce sujet, car les principes élaborés dans cette jurisprudence sont de même nature que la règle d’équité visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique - le demandeur n’a pas fait la preuve d’une diligence raisonnable et n’a pas prouvé non plus que son grief avait quelque chance de succès - l’employeur a traité de la question du préjudice à son égard et a donné des raisons à l’appui de sa thèse sur cette question - bien que personne ne doive être critiqué pour une tentative de règlement informel d’un conflit, il faut tenir compte des délais tout en s’assurant de l’accès à la procédure formelle de règlement des différends - rien ne prouvait que le demandeur ait été mal conseillé par son agent négociateur - le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-08-14
  • Dossier:  568-02-00024
  • Référence:  2006 CRTFP 96

Devant le président



ENTRE

PAUL VIDLAK

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence canadienne de développement international)

défendeur

Répertorié
Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Sylvie Matteau, présidente intérimaire

Pour le demandeur :  lui-même

Pour le défendeur :  Lourena Prud'homme


Décision rendue sans audience.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Demande devant le président

[1]     Le demandeur, Paul Vidlak, a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) en date du 15 novembre 2005 pour demander une prorogation de délai afin de déposer un grief [traduction] « [...] concernant le traitement [qu'il a] subi de la part des dirigeants de la Direction générale de l'Europe centrale et de l'Est de l'Agence canadienne de développement international [ACDI] en 2002 ».

[2]    Dans sa lettre, le demandeur a admis qu'il [traduction] « s'[était] écoulé passablement de temps depuis ». Cependant, il a fait valoir que ce retard se justifiait du fait de [traduction] « circonstances atténuantes et documentées ».

[3]    Le défendeur a répondu à la demande en date du 16 mars 2006. Il s'y est objecté, arguant qu'elle [traduction] « excédait considérablement » la période prévue à cet égard dans la convention collective. À son avis, rien ne prouve que le fonctionnaire s'estimant lésé avait déjà indiqué qu'il entendait déposer un grief. L'employeur a soulevé cinq arguments au soutien de son objection : 1) que le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'était pas acquitté de son fardeau de la preuve en établissant des motifs valables à l'appui de l'exercice, par la Commission, de son pouvoir discrétionnaire; 2) que le fonctionnaire s'estimant lésé avait dépassé de beaucoup le temps alloué; 3) que le fonctionnaire s'estimant lésé ne travaillait plus à l'ACDI depuis 2,5 ans; 4) que rien ne prouvait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait déjà mentionné son intention de déposer un grief; et 5) que le délai porterait beaucoup préjudice à l'employeur. Le demandeur a répondu, en date du 23 mars 2006, qu'il était prêt à s'acquitter de son fardeau de la preuve au cours d'une audience. Le 1er mai 2006, l'employeur a écrit à la CRTFP pour rappeler son objection et, conformément au paragraphe 15(1) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le Règlement), pour demander des détails au demandeur.

[4]    La CRTFP a ensuite demandé que le demandeur fournisse par écrit un exposé très détaillé et des arguments au soutien de sa demande. Ce document a été déposé par le demandeur le 23 mai 2006. A suivi de la correspondance et la CRTFP a décidé de rendre une décision sur la foi des observations écrites des parties, en prenant en compte que les faits fondamentaux qui entourent cette affaire ne sont pas contestés.

[5]    Quand la CRTFP a reçu la demande de M. Vidlak au départ, elle a informé l'employeur et l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) que cette demande avait été déposée. Dans sa réponse en date du 16 mars 2006, l'AFPC a informé la CRTFP qu'elle n'a pas pris position relativement à cette demande. Dans une lettre ultérieure, elle a avisé les parties qu'elle avait refusé de représenter le demandeur. Cette lettre était datée du 26 juin 2006 et a été acheminée après que la CRTFP ait fait parvenir la dernière lettre du demandeur à l'AFPC pour obtenir des observations supplémentaires.

Résumé de la preuve

[6]    Le demandeur était un employé de l'ACDI. En juillet 2001, il était détaché de l'ACDI à Développement des ressources humaines Canada (DRHC), comme s'appelait alors ce ministère, et en juillet 2003, il a accepté un déploiement à DRHC.

[7]    Dans sa lettre en date du 23 mai 2006, le demandeur expose essentiellement deux motifs pour expliquer pourquoi il n'a pas déposé de grief dans le délai indiqué :

[Traduction]

[...]

1)
Je ne suis pas une personne qui cherche les affrontements. Au cours de mes vingt-cinq ans au service de la population canadienne, je ne suis jamais passé près de déposer un grief contre la direction. Je serais plutôt du genre à accorder le bénéfice du doute. C'est exactement ce que j'ai fait pendant tout mon mandat à l'ACDI. Je l'ai fait lorsque j'ai reçu du directeur Lemelin, en janvier 2001, la directive écrite de chercher un autre emploi. Je suis allé jusqu'à lui souligner que sa directive était injuste et non méritée. J'ai demandé l'aide des représentants principaux du syndicat (M. Bernier) en leur posant certaines questions, mais personne ne m'a conseillé de déposer un grief.
2)
Comme je l'ai mentionné, j'avais tendance à accorder le bénéfice du doute à la direction pour tenter de préserver des relations interpersonnelles harmonieuses. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé un détachement plutôt que de contester ou d'ignorer la directive. Cependant, les choses ont changé quand j'ai finalement obtenu une copie du rapport BMCI daté d'avril 2004, mais je ne l'ai obtenu de l'ACDI qu'après plusieurs tentatives en février 2005. Ce rapport a été initialement demandé par le ministre Whelan en novembre 2003, en réponse à ma lettre de cinq pages à son intention en octobre exposant mes préoccupations relativement aux pratiques de gestion de la DGEEC et à la façon dont elle m'a traité.

[...]

[8]    Il ajoute :

[Traduction]

[...]

            Le rapport de BMCI confirmait et appuyait toutes mes préoccupations, ce qui confirme que la réponse de la direction à mes inquiétudes liées à la gestion de projet et ses protestations étaient malveillantes, non fondées et injustifiées et, par conséquent, la directive du directeur Lemelin n'était pas fondée. J'ai continué de tenter de régler mon différend à l'amiable avec l'employeur, en vain. En dernier recours, je demande donc une prorogation du délai de dépôt d'un grief pour contester le traitement injuste de la direction à mon égard.

            En outre, je soumets respectueusement que la prétention de l'employeur selon laquelle il subirait un « gros préjudice » si ma demande était accueillie est sans fondement. Les personnes qui ont joué un rôle dans cette affaire sont toujours en vie et peuvent témoigner, les dossiers demeurent tous disponibles, et je suis certain qu'il serait préférable que justice soit bel et bien rendue en permettant à une partie indépendante de se prononcer sur le bien-fondé de ce différend.

            Je crois que l'exposé qui précède répond à la demande de détails présentée par l'employeur et explique pourquoi j'ai tardé à déposer un grief et j'ose espérer que la Commission souscrira à ma position.

[...]

[9]    Le défendeur, dans sa lettre du 1er mai 2006, avait souligné que si cette procédure était accueillie, elle lui causerait un grand préjudice dans la préparation d'une défense adéquate, compte tenu du fait que quatre années se sont écoulées depuis que le soi-disant incident est survenu en 2002. Le défendeur a également souligné qu'il n'était plus l'employeur du demandeur, et que rien n'établissait que le demandeur avait déjà indiqué son intention de déposer un grief.

Motifs

[10]    Le demandeur n'a pas fourni de raisons convaincantes pour expliquer le retard et pour justifier pour quels motifs il devrait être soustrait aux conséquences de son défaut de déposer un grief à temps. Même si je devais accepter que la date à laquelle il a reçu son rapport de BMCI pourrait être utilisée comme date de calcul du retard dans le dépôt du grief, le demandeur demeure en retard de neuf mois et n'a pas expliqué ce retard autrement qu'en affirmant qu'il ne recherche pas les affrontements.

[11]    La jurisprudence de l'ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission), précurseure de la CRTFP actuelle, est établie depuis longtemps quant à l'accueil ou au rejet d'une demande comme celle-ci. La nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), qui a constitué la CRTFP,prévoit qu'une prorogation de délai peut être accordée par souci d'équité. En vertu de l'article 63 de l'ancien Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993), la CRTFP possédait le pouvoir de proroger un délai « aux modalités et conditions » jugées souhaitables par la CRTFP. Au fil des ans, la CRTFP a élaboré des principes concernant l'application de cette disposition, principes qui sont de même nature que le principe de l'équité que renferme l'alinéa 61b) du nouveau Règlement. À ce titre, la CRTFP continue d'invoquer les critères élaborés au cours des années pour contribuer aux décisions prises à cet égard.

[12]    L'affaire Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, présentait une analyse de la jurisprudence jusqu'à ce moment-là et cernait les critères de base suivants permettant d'établir si la CRTFP doit exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'alinéa 63b) de l'ancien Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (qui est maintenant l'alinéa 61b) du nouveau Règlement) :

-
le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
- la durée du retard;

-
la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé;

-
l'équilibre entre l'injustice causée à l'employé et le préjudice que subit l'employeur si la prorogation est accordée;

- les chances de succès du grief.

La personnalité non antagoniste du demandeur ne fait pas en sorte de justifier le retard par des raisons claires, logiques et convaincantes. Comme il était énoncé précédemment, au mieux, le retard est de neuf mois, ce qui, compte tenu de la période accordée pour le dépôt, est passablement long. Le demandeur n'a pas prouvé sa diligence raisonnable ni ses chances de succès de quelque façon que ce soit. De plus, l'employeur avait abordé la question du préjudice qu'il avait subi en exposant des motifs au soutien de sa position sur cette question.

[13]    Le demandeur a mentionné qu'il a tenté de régler son différend de façon acceptable par les deux parties, mais qu'il n'y est pas parvenu. Dans l'affaire Pomerleau c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2005 CRTFP 148, j'ai traité de cette question très importante touchant les tentatives de règlement informel de conflits. Je répète en l'espèce que ce mode de règlement ne devrait jamais être reproché à qui que ce soit, employeur ou fonctionnaire. Cependant, comme les modes de règlement informel des conflits coexistent avec la procédure formelle de règlement des différends, toute échéance applicable à l'exercice du dernier ne peut être ignorée et le respect de l'échéance de dépôt incombe au fonctionnaire s'estimant lésé. Encore une fois, s'il existe un processus formel qui est sujet à un délai extinctif de droit, il sera toujours plus judicieux d'opter pour la voie informelle et de s'assurer d'avoir accès à la voie légale en même temps. Dans le cas contraire, la CRTFP a très peu de pouvoirs de rectifier de telles lacunes.

[14]    Enfin, rien ne prouve que le représentant de l'agent négociateur a amené le demandeur à faire un choix mal avisé. L'observation formulée par le demandeur dans sa lettre en date du 23 mai 2006 sur le fait que personne ne lui a conseillé de déposer un grief ne fait pas en sorte qu'il s'acquitte de son fardeau de la preuve relativement à l'un ou l'autre des critères énumérés dans l'affaire Schenkman. Le demandeur n'a pas fourni à la CRTFP de détails concernant ses communications avec son agent négociateur et je ne peux donc pas conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le conseil de son agent négociateur lui a occasionné une injustice. À l'heure actuelle, ses commentaires sur cette question constituent de simples allégations et non des preuves.

[15]    Compte tenu du fait que j'ai statué qu'en l'espèce, le retard de quatre ans, ou même de neuf mois, n'est pas justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, comme le prétendait le demandeur, et que rien n'indique qu'il a fait preuve de diligence raisonnable dans le dépôt de sa demande ou que son grief a même une chance de succès digne de foi, je conclus que le demandeur ne s'est pas acquitté de son fardeau et n'a pas établi que l'échéance devrait être prorogée par souci d'équité. En ce qui a trait à l'autre critère, celui du préjudice causé à l'employeur, il n'est pas nécessaire d'en tenir compte dans les circonstances actuelles, les premiers critères étant suffisants pour évaluer et rejeter la demande.

[16]    Pour ces motifs, la CRTFP rend l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

[17]    La demande de prorogation du délai de présentation d'un grief est rejetée.

Le 14 août 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Sylvie Matteau,
Présidente intérimaire

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