Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Selon la plaignante, le comité de sélection a abusé de son pouvoir du fait qu’il n’a pas bien compris sa réponse à la question de l’entrevue concernant l’esprit de décision et a omis de lui demander des précisions; le comité d’évaluation a omis de communiquer avec un ancien superviseur qui avait supervisé la plaignante plus longtemps que son superviseur actuel. L’intimé a soutenu qu’il n’était pas dans l’intention du législateur de donner au Tribunal le pouvoir de réviser ou évaluer les notes d’un plaignant, ou encore de le passer en entrevue. En outre, la plaignante avait le fardeau de prouver qu’il y avait eu abus de pouvoir et, pour s’acquitter de ce fardeau, elle devait faire plus que démontrer qu’il y avait eu des erreurs, des omissions ou une conduite irrégulière. Décision : L’allégation d’abus de pouvoir est une question très grave, et pour obtenir gain de cause une plainte de ce genre doit démontrer qu’il y a un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus, qui constitue plus qu’une simple erreur, omission ou conduite irrégulière. Le Tribunal a fait observer que son rôle ne consiste pas à réévaluer les notes attribuées à un plaignant pour une réponse donnée ou de réviser les réponses fournies pendant une entrevue simplement parce qu’un plaignant n’est pas d’accord avec la décision. Le fait que la plaignante n’était pas d’accord avec la note attribuée par le comité d’évaluation à sa réponse concernant l’esprit de décision et le fait que ce comité n’avait pas clarifié sa réponse ne constituaient pas pour autant un abus de pouvoir. Le Tribunal a conclu qu’il n’interviendrait pas, car il n’y avait aucune preuve d’erreur grave, omission ou conduite irrégulière dans la façon dont l’entrevue avait été menée. Enfin, s’agissant de la vérification des références de la plaignante, la conduite du comité d’évaluation était tout à fait conforme à ce qui avait été convenu au début du processus. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2006-0021
Rendue à:
Ottawa, le 21 novembre 2006

BRENDA PORTREE
Plaignante
ET
L'ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL DE SERVICE CANADA, AU SEIN DU MINISTÈRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DéVELOPPEMENT SOCIAL CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir aux termes de l'alinéa 77(1)(a) de la Loie sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Sonia Gaal, vice-présidente
Date de l'audience:
Le 5 octobre 2006
Décision rendue en:
Anglais
Répertoriée:
Portree c. Administrateur général de Service Canada et al.
Référence neutre:
2006 TDFP 0014

Motifs de décision

Introduction

1 Brenda Portree dépose une plainte au motif qu’elle n’a pas été nommée à un poste intérimaire PM‑02 pour cause d’abus de pouvoir. La plaignante allègue que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir en appliquant les critères de mérite à sa candidature au poste visé.

2 Une audience a eu lieu à Winnipeg le 5 octobre 2006.

Contexte

3 La plaignante, Mme Portree, a posé sa candidature à un poste intérimaire d’agent universel (PM‑02) au ministère des Ressources humaines et du Développement social – Service Canada (l’intimé). Il s’agissait d’un processus de nomination interne annoncé, le processus de sélection numéro 2006-CSD-CC-MAN-4121-SC-I-0013.

4 Le 28 avril 2006, l’intimé a affiché sur Publiservice un avis d’information concernant une nomination intérimaire qui visait six employés. Mme Portree ne faisait pas partie du nombre.

5 Le 18 avril 2006, Mme Portree a déposé une plainte auprès du Tribunal de le dotation de la fonction publique (le Tribunal), dans laquelle elle alléguait l’abus de pouvoir dans l’application du mérite en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la LEFP), L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13.

6 Les paragraphes qui suivent sont tirés des allégations de la plaignante ainsi que de la réponse de l’intimé à celles-ci.

7 L’intimé a décidé que l’évaluation des qualifications essentielles relatives au poste d’agent universel (PM‑02) se ferait par entrevue et vérification des références.

8 Les candidats ont reçu les questions, de même que les définitions des compétences et les critères, deux semaines avant la date de l’entrevue afin de pouvoir se préparer à celle-ci. L’entrevue visait à évaluer chacun des candidats au regard de toutes les qualifications essentielles définies dans l’énoncé des critères de mérite. Les candidats étaient autorisés à apporter leurs notes à l’entrevue, mais celles-ci n’étaient pas soumises au comité d’évaluation et ne faisaient pas partie du processus d’évaluation.

9 Les candidats devaient fournir le nom et le numéro de téléphone de leur superviseur actuel ainsi que les coordonnées, d’un répondant récent relié au travail. Les membres du comité d’évaluation ont préparé les questions et les critères prévus et utilisés dans le cadre de la vérification des références. Ils ont également décidé qu’ils communiqueraient avec le superviseur actuel et, s’il fallait d’autres informations, ils vérifieraient alors le deuxième répondant relié au travail.

10 Pour établir la cotation, les réponses des candidats aux questions d’entrevue ont été examinées en se fondant sur les critères préétablis. L’information tirée de la vérification des références a ensuite été examinée au regard des critères afin de déterminer les notes globales des candidats pour chacune des qualifications. Le comité d’évaluation a utilisé la même échelle et les mêmes critères prévus pour tous les candidats.

11 La plaignante a échoué à une question de l’entrevue qui servait à évaluer « l’esprit de décision » (expression qui se traduit en anglais par « Decisiveness »). Il fallait obtenir une note de 70 % pour réussir; la plaignante n’a obtenu que 50 %. Comme il s’agissait d’une qualification essentielle pour le poste visé, la plaignante n’a pu être intégrée au bassin des candidats qualifiés.

Preuve

12 La plaignante n’a pas témoigné. Appelée à témoigner par la plaignante, Mme Gaylene Higgs était le seul témoin à l’audience. Mme Higgs est la superviseure actuelle de la plaignante et a agi à titre de répondante pour la plaignante auprès du comité d’évaluation.

13 Selon le témoignage de Mme Higgs, la plaignante a occupé un poste intérimaire de PM‑02 qui s’est prolongé jusqu’en mars 2006. L’équipe de gestion était d’avis qu’il était juste d’offrir une telle prolongation à Mme Portree, ayant jugé qu’elle pouvait faire le travail avec un peu d’encadrement et qu’elle avait démontré des possibilités dans son emploi précédent.

14 En contre-interrogatoire, Mme Higgs a déclaré qu’elle croyait avoir suffisamment d’informations pour agir comme répondante pour la plaignante. Elle a ajouté que si elle avait eu quelque inquiétude que ce soit à ce titre, elle en aurait informé un membre ou la présidente du comité d’évaluation afin qu’ils puissent s’adresser à quelqu’un qui connaissait mieux la plaignante.

15 La plaignante a soumis plusieurs documents qui ont été déposés sur consentement des parties. La plupart de ces documents avaient été remis par l’intimé à la plaignante et comprenaient des informations sur le processus, de même que des notes manuscrites prises par les membres du comité sur les réponses de la plaignante à la question visant à évaluer l’esprit de décision.

16 Sur consentement, la plaignante a également soumis la preuve documentaire suivante :

  • réponses sur la question relative à l’esprit de décision par l’une des personnes retenues, Mme Del Briscuso;
  • réponses de Mme Briscuso sur la question traitant de l’ouverture aux autres;
  • courriel de la présidente du comité d’évaluation, Mme Yvette Simpson, à la plaignante, lui fournissant les explications sur l’évaluation et la raison pour laquelle elle n’a pas obtenu la note de passage sur la question visant à évaluer l’esprit de décision;
  • référence écrite de Mme Higgs;
  • référence du superviseur pour Mme Briscuso, concernant la question relative à l’esprit de décision;
  • le Guide de notation qualitative;
  • le registre des congés approuvés de Mme Higgs.

17 L’intimé et la Commission de la fonction publique n’ont appelé aucun témoin.

Questions en litige

18 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part du comité d’évaluation au motif qu’il n’a pas attribué une note supérieure pour la réponse à la question visant à évaluer l’esprit de décision et, ce faisant, qu’il n’a pas sélectionné la candidature de la plaignante pour un poste intérimaire de PM‑02?
  2. Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part du comité d’évaluation au motif qu’il n’a pas effectué une autre vérification des références concernant la plaignante?

Observations

A) Position de la plaignante

19 La plaignante est d’avis que le comité d’évaluation n’a pas bien compris sa réponse sur la question relative à l’esprit de décision, qu’il a interprété ses propos hors contexte, qu’il a formulé des hypothèses et qu’il a omis de lui demander des précisions pendant l’entrevue. Selon la plaignante, il s’agit là d’une violation du principe du mérite qui équivaut à un abus de pouvoir.

20 De l’avis du comité d’évaluation, la plaignante n’a pas démontré dans sa réponse qu’elle avait réussi à prendre une décision difficile dans un court laps de temps. Toutefois, la plaignante croit que sa réponse démontrait qu’elle avait pris une telle décision et qu’elle avait effectivement traité des différents points figurant dans la question. La plaignante soutient avoir fourni un très bon exemple, ce qui devrait se traduire dans la note qui lui a été attribuée. La plaignante déclare que ces actes, erreurs ou omissions de la part du comité d’évaluation contreviennent aux principes du mérite et équivalent à un abus de pouvoir.

21 La plaignante soutient également qu’il y a eu abus de pouvoir de la part du comité d’évaluation au motif qu’il a attribué une plus grande importance et accordé plus de poids aux réponses de Mme Briscuso concernant l’esprit de décision, qu’il ne l’a fait pour la réponse de la plaignante. Selon cette dernière, les deux candidates avaient présenté le même exemple et la réponse de Mme Briscuso était l’équivalent de la réponse donnée par la plaignante.

22 Le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir au motif qu’il a établi des critères ou une réponse prévue sur la question concernant l’esprit de décision, mais il a posé une question qui n’était pas claire et qui ne permettait pas aux candidats de fournir l’information requise.

23 En dernier lieu, sur cet aspect de la plainte, la plaignante soutient que la référence donnée par Mme Higgs au sujet de Mme Portree était positive en ce qui a trait à la question concernant l’esprit de décision, ce qui démontre qu’elle a satisfait aux exigences liées à cette qualification.

24 Les membres du comité d’évaluation ont également abusé de leur pouvoir au motif qu’ils ont omis de communiquer avec un autre superviseur qui avait supervisé la plaignante pour une période plus longue que Mme Higgs, pour répondre aux questions du comité d’évaluation.

25 La plaignante soutient que Mme Higgs, superviseure intérimaire, a été absente du travail pour une période de temps considérable. Elle a supervisé la plaignante, qui elle-même occupait un poste intérimaire, pendant une période de quatre mois, ce qui désavantageait la plaignante, car toutes deux avaient une courbe d’apprentissage. À titre comparatif, le superviseur de Mme Briscuso, qui était en fonction depuis trois ans, constituait une référence plus solide.

B) Position de l’intimé

26 L’intimé est d’avis que à la plaignante a le fardeau de prouver qu’il y a eu abus de pouvoir et que ce fardeau dépasse largement la démonstration d’erreurs, d’omissions ou de conduite irrégulière. L’intimé souligne que la plaignante n’a présenté aucune preuve à l’appui de ses allégations. De plus, la plaignante ne prétend pas que la candidature de Mme Briscuso n’aurait pas dû être retenue.

27 Selon l’intimé, la plaignante demande au Tribunal de revoir ses réponses sur la question relative à l’esprit de décision, de les comparer aux réponses de Mme Briscuso et de déterminer si ses réponses méritent une note supérieure à celle qu’on lui a attribuée. Or, ce n’est pas l’intention du législateur de donner au Tribunal le pouvoir de réviser ou d’évaluer les notes d’un plaignant, ou encore de le passer en entrevue.

28 De plus, l’intimé déclare que les arguments de la plaignante sont fondés sur des documents présentés par elle-même et sur sa propre opinion des questions et réponses de l’entrevue. Il n’y a aucune preuve concernant l’emploi lui-même, notamment les fonctions ou les tâches visées.

29 Le comité d’évaluation a rendu une décision sur la réponse fournie par la plaignante concernant l’esprit de décision. Certes, la plaignante n’est pas d’accord avec la décision, mais cette dernière ne constitue pas pour autant une erreur, à plus forte raison un abus de pouvoir. L’intimé souligne que la plaignante n’a même pas témoigné pour expliquer les nuances et les distinctions dans sa réponse.

30 Le Tribunal devrait respecter les décisions des membres du comité d’évaluation, lesquels connaissent très bien le domaine. Il devrait exister une présomption selon laquelle ils connaissent les fonctions et les exigences du poste, et qu’ils sont qualifiés pour évaluer les candidats.

31 En résumé, l’intimé déclare que la plaignante n’a produit aucune preuve de mauvaise foi, de favoritisme ou d’acte répréhensible. Dans les faits, la plaignante n’a pas produit la moindre preuve selon laquelle les actes visés constituent un abus de pouvoir.

C) Position de la Commission de la fonction publique

32 La Commission de la fonction publique (la « CFP ») n’a pas pris position sur les faits de l’espèce, mais s’est penchée sur la loi et sur les modifications apportées à la LEFP.

33 La CFP soutient que le libellé du préambule de la LEFP accorde la responsabilité première aux administrateurs généraux dans un cadre exigeant qu’ils rendent compte à la CFP, laquelle, à son tour, rend compte directement au Parlement.

34 La nouvelle LEFP prévoit un système de responsabilisation en matière de dotation interne qui ne laisse aucun vide juridique ayant besoin d’être comblé par une définition au sens large de l’abus de pouvoir. Il existe une structure de dotation complète pour les nominations dans la fonction publique, la résolution de conflits et les recours. Par exemple, en incluant expressément les éléments d’erreur, d’omission ou de conduite irrégulière au paragraphe 15(3) de la LEFP, le législateur crée une tribune permettant que ces questions soient réglées par l’administrateur général, lequel peut révoquer une nomination et prendre des mesures correctives, le cas échéant.

35 La CFP allègue que les cinq catégories générales d’abus de pouvoir énoncées dans la décision Tibbs c. le Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008, et énumérées par David Philip Jones et Anne S. de Villars dans Principles of Administrative Law (Toronto : Thomson Carswell, 2004) ne s’appliquent pas à la LEFP. En donnant son aval à ces catégories, le Tribunal risque de réduire à néant le système de responsabilisation prévu par le législateur et énoncé dans le préambule de la Loi.

36 La CFP soutient également qu’il y a une distinction entre « l’abus de pouvoir » et « l’abus de pouvoir discrétionnaire ». Selon l’ouvrage précité de Jones et de Villars, les cinq catégories générales d’abus traitent de l’abus dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. La CFP est d’avis que la notion d’abus de pouvoir discrétionnaire appliquée par le Tribunal dans la décision Tibbs, supra, doit être rejetée, car l’article 77 de la LEFP traite des plaintes fondées sur « l’abus de pouvoir » et non sur « l’abus de pouvoir discrétionnaire ».

37 Il y a un principe bien reconnu en interprétation juridique, selon lequel, lorsque le législateur utilise une expression particulière, on doit examiner la signification de l’expression. Le paragraphe 77(1) de la LEFP fait mention de « l’abus de pouvoir » plutôt que de « l’abus de pouvoir discrétionnaire ». Selon la CFP, la version française de la Loi appuie également le fait que l’abus de pouvoir n’est pas l’équivalent de l’abus de pouvoir discrétionnaire.

38 En dernier lieu, la CFP soutient que « l’abus de pouvoir » prévu au paragraphe 77(1) de la LEFP n’englobe ni erreur ni omission, mais qu’elle comprend une certaine forme de conduite irrégulière liée à un acte répréhensible intentionnel. Dès lors, selon la CFP, le Tribunal devrait interpréter l’abus de pouvoir conformément à l’arrêt Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263, au paragraphe 23, dans lequel la Cour a analysé le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. En l’espèce, la Cour a jugé qu’il doit y avoir un refus délibéré de tenir compte d’une fonction officielle conjugué au fait de savoir que l’inconduite sera vraisemblablement préjudiciable au demandeur, afin de conclure qu’une action fautive a été établie.

Analyse

Question I: Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part du comité d’évaluation au motif qu’il n’a pas attribué une note supérieure pour la réponse à la question visant à évaluer l’esprit de décision et, ce faisant, qu’il n’a pas sélectionné la candidature de la plaignante pour un poste intérimaire de PM‑02?

39 C’est un fait non contesté que la LEFP a modifié le processus de dotation au sein de la fonction publique fédérale. Dans l’ancienne LEFP, la sélection des candidats était fondée sur un système de mérite relatif, alors que la LEFP accorde un plus grand pouvoir discrétionnaire aux gestionnaires quant à la sélection du candidat qui constitue la « bonne personne » pour occuper le poste comme le prévoient les paragraphes 30(1) et (2) de la LEFP, qui sont ainsi conçus :

30. (1) Les nominations -- internes ou externes -- à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles -- notamment la compétence dans les langues officielles -- établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

(…)

40 La décision du Tribunal dans l’affaire Tibbs, supra, traite de ce nouveau cadre comme suit :

[63] Cette section du préambule renforce l’un des objectifs législatifs clé de la LEFP, soit que les gestionnaires détiennent un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui a trait aux questions de dotation. Pour s’assurer de la souplesse nécessaire, le législateur a choisi de s’éloigner du régime de dotation de l’ancienne LEFP qui était axé sur un système à base de règles. L’ancien système fondé sur le mérite relatif n’existe plus. La définition du mérite prévue au paragraphe 30(2) de la LEFP accorde aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire considérable pour choisir la personne qui non seulement répond aux qualifications essentielles mais qui est également la bonne personne pour faire le travail, car elle possède des atouts supplémentaires, ou elle répond à des besoins actuels ou futurs ou à des exigences opérationnelles.

41 Le mandat du Tribunal est clairement défini dans la LEFP. Le paragraphe 88(2) de la LEFP se lit comme suit :

Le Tribunal a pour mission d’instruire les plaintes présentées en vertu du paragraphe 65(1) ou des articles 74, 77 ou 83 et de statuer sur elles.

42 La plaignante a porté plainte aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, qui est ainsi rédigé :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixé par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

(…)

43 Lorsqu’il dépose une plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a), un plaignant est maintenant tenu d’expliquer qu’il n’a pas été nommé en raison d’une action ou d’une inaction donnée. De plus, cette action ou inaction doit démontrer selon toute vraisemblance qu’il pourrait ou pouvait y avoir abus de pouvoir.

44 La plaignante n’a pas allégué qu’il y avait abus de pouvoir dans l’établissement des critères de mérite utilisés par le comité d’évaluation pour doter le poste visé. Elle a toutefois allégué que le comité d’évaluation avait abusé de son pouvoir dans l’évaluation des critères de mérite concernant sa candidature. Plus précisément, la plaignante a prétendu qu’il y avait eu abus de pouvoir de la part du comité d’évaluation à son égard dans l’évaluation de la qualification essentielle concernant l’esprit de décision.

45 Certes, le législateur n’a prévu aucune définition de l’abus de pouvoir dans la Loi. Cependant, le paragraphe 2(4) de la LEFP fournit certains indices :

2. (4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

46 L’inclusion de la mauvaise foi et du favoritisme personnel dans le paragraphe 2(4), conjuguée aux termes utilisés dans les autres dispositions de la LEFP telles que le paragraphe 15(3), indique qu’il doit y avoir un acte grave, une erreur, une omission ou une conduite irrégulière pour que le Tribunal accepte le bien-fondé d’une plainte d’abus de pouvoir. Comme il est énoncé dans la décision Tibbs, supra, il faut plus que de simples erreurs ou omissions pour constituer un abus de pouvoir :

[65] Il ressort clairement du préambule et de la LEFP dans son ensemble que l’intention du législateur était qu’il fallait plus que de simples erreurs ou omissions pour constituer un abus de pouvoir. Par exemple, en vertu de l’article 67 de la LEFP, les motifs de révocation d’une nomination par un administrateur général après une enquête sont l’erreur, l’omission et une conduite irrégulière. Ces motifs de révocation sont clairement moins élevés que ceux requis en vue de constater un abus de pouvoir. Le choix de différents mots par le législateur est important : Sullivan et Driedger, supra, à la p. 164. L’abus de pouvoir constitue plus qu’une simple erreur ou omission.

[66] Comme la plaignante l’a reconnu, l’abus de pouvoir exige un acte répréhensible. Par conséquent, l’abus de pouvoir comprendra toujours une conduite irrégulière, mais la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière peut déterminer si elle constitue un abus de pouvoir ou non.

47 L’allégation d’abus de pouvoir est une question très grave et ne doit pas être prise à la légère. En résumé, pour obtenir gain de cause devant le Tribunal, une plainte d’abus de pouvoir doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a un acte répréhensible grave ou une faute majeure dans le processus, qui constitue plus qu’une simple erreur, omission ou conduite irrégulière justifiant l’intervention du Tribunal.

48 Bien qu’en vertu de la LEFP le Tribunal dispose de pouvoirs considérables relativement aux affaires dont il est saisi, ce n’est pas un organisme d’enquête. De ce fait, il n’a pas le mandat de se lancer à la recherche des faits pour un plaignant. Le Conseil canadien des relations industrielles (le « Conseil ») a examiné le rôle d’un organisme doté d’un pouvoir décisionnel ou d’un tribunal quasi judiciaire dans la décision Virginia McRaeJackson (Re), [2004] CCRI no 290 (QL). Il s’agit d’une longue décision qui analyse en détail le rôle du Conseil dans l’examen des plaintes de manquement au devoir de juste représentation présentée par des individus à l’encontre de leur syndicat en vertu de l’article 37 du Code canadien du travail, L.R., 1985, ch. L‑2. Le Tribunal considère cette analyse utile pour examiner la question en litige.

49 Les employés qui allèguent qu’il y a eu abus de pouvoir et qui, partant, invoquent une contravention à la LEFP et souhaitent obtenir un redressement en raison de cette contravention, doivent présenter des éléments de preuve et des arguments convaincants pour obtenir gain de cause. Il semblerait avisé dans la plupart des cas que le plaignant présente sa position en commençant par témoigner sur les circonstances qui, à son avis, constituent un abus de pouvoir, et en produisant une preuve documentaire à l’appui de ses prétentions. À l’audience, le plaignant doit produire une preuve, généralement par une combinaison de son propre témoignage, du témoignage des témoins et des documents justificatifs pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, les faits nécessaires permettant au Tribunal de conclure qu’il y ait eu abus de pouvoir. Cependant, la plaignante n’a pas témoigné à l’audience et pratiquement aucune preuve n’a été produite pour prouver le bien-fondé de sa plainte.

50 L’employé doit comprendre qu’il ne suffit pas d’exposer ce que l’on considère comme une injustice. La plainte doit établir les faits sur lesquels le plaignant se base pour prouver le bien-fondé de sa cause devant le Tribunal. La présentation d’une plainte dépasse la simple allégation voulant que l’intimé a abusé de son pouvoir. Les allégations doivent porter sur des faits graves et présenter une chronologie des événements, les dates et heures, ainsi que les témoins, s’il y a lieu.

51 L’objet de l’alinéa 77(1)a) n’est pas de servir de redressement « passe‑partout » aux plaignants qui invoquent l’abus de pouvoir dès qu’ils ne sont pas satisfaits des résultats d’un processus de sélection. Le plaignant ne doit pas traiter le Tribunal comme une solution de dernier recours pour interjeter appel de la décision d’un administrateur général sur la nomination ou la nomination proposée, uniquement parce que sa candidature n’a pas été retenue. Comme il est indiqué précédemment, à moins qu’il ne soit de nature grave, un acte répréhensible sous la forme d’erreur, d’omission ou de conduite irrégulière n’est pas suffisant pour constituer un abus de pouvoir.

52 Comme il est expliqué dans la décision Tibbs, supra, le préambule de la LEFP met en évidence le pouvoir discrétionnaire du comité d’évaluation en matière de nomination. Les cotes ne sont plus requises et nécessaires en vertu de la LEFP et l’on pourrait procéder à la nomination d’un candidat qui aurait moins de points que d’autres candidats qualifiés si le comité de sélection détermine qu’il est la « bonne personne ». Dans cet esprit, le rôle du Tribunal n’est donc pas de réévaluer les notes attribuées à un plaignant pour une réponse donnée ou de réviser les réponses fournies pendant une entrevue simplement parce qu’un plaignant n’est pas d’accord avec la décision concernant une question d’entrevue. Ainsi, dans les circonstances en l’espèce, le Tribunal n’interviendra pas, car il n’y a aucune preuve selon laquelle il y a eu erreur grave, omission ou conduite irrégulière dans la façon dont l’entrevue a été menée.

53 Nonobstant l’absence d’éléments de preuve présentés par la plaignante à l’audience, le Tribunal conclut que l’intimé a mené des entrevues et vérifié les références écrites de manière équitable. Les candidats ont tous reçu les mêmes questions avant l’entrevue. Les références ont été fournies par écrit et la plaignante avait la possibilité de rencontrer les personnes concernées et de discuter de son entrevue.

54 Le fait que la plaignante n’est pas d’accord avec la cote attribuée par le comité d’évaluation à sa réponse concernant l’esprit de décision et le fait que ce comité n’a pas clarifié sa réponse ne constituent pas pour autant un abus de pouvoir. Il s’agit d’une décision du comité d’évaluation, lequel était le mieux placé pour déterminer s’il fallait apporter d’autres précisions sur cette question précise pendant l’entrevue.

55 De plus, dans le courriel de Mme Simpson adressé à la plaignante le 11 avril 2006, on tente d’expliquer en détail la raison pour laquelle la plaignante n’a pas obtenu la note de passage de 70 % à la question concernant l’esprit de décision. Mme Simpson a examiné les deux exemples fournis par la plaignante au cours de l’entrevue, avec l’interprétation du comité d’évaluation et les points faibles dans ses réponses. Il est intéressant de remarquer que Mme Simpson termine son courriel en félicitant la plaignante pour ses notes parfaites aux questions sur « l’attitude axée sur le client » et déclare que son exemple pour cette question était « sans aucun doute représentatif de l’excellente qualité du service que nous pourrions offrir à nos clients » [Traduction].

56 La plaignante refuse d’accepter le fait qu’elle a échoué à la question concernant l’esprit de décision malgré les explications détaillées de Mme Simpson, la rencontre avec les membres du comité d’évaluation et l’information fournie par l’intimé au cours de la période de communication de renseignements. Or, la plaignante n’a produit aucune preuve qui permettrait au Tribunal de conclure au bien-fondé d’une plainte d’abus de pouvoir. Le simple fait de rejeter le résultat final ne constitue pas une preuve d’acte répréhensible de la part du comité d’évaluation. Le fait que la plaignante ne soit pas d’accord avec les notes attribuées par le comité d’évaluation ne constitue pas un abus de pouvoir.

Question II: Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part du comité d’évaluation au motif qu’il n’a pas effectué une autre vérification des références concernant la plaignante?

57 L’autre point soulevé par la plaignante a trait à la répondante Mme Higgs. D’une part, elle soutient que Mme Higgs ne la connaissait pas suffisamment pour fournir une référence favorable. D’autre part, elle soutient que la réponse de Mme Higgs à la question touchant l’esprit de décision était un exemple relatif à la plaignante justifiant le fait qu’elle aurait dû avoir une note supérieure.

58 Le Tribunal se trouve en présence d’arguments contradictoires présentés par la plaignante au sujet du même témoin. La plaignante ne peut alléguer deux choses contraires, selon sa position : ou bien Mme Higgs était une répondante appropriée, ou bien elle ne l’était pas.

59 En premier lieu, la décision du comité d’évaluation de communiquer uniquement avec Mme Higgs ne constitue pas un abus de pouvoir. Comme il est énoncé précédemment, le comité d’évaluation était le mieux placé pour évaluer s’il avait suffisamment d’informations sur la plaignante. Une fois les réponses aux questions fournies dans le cadre adéquat, le comité d’évaluation ne devrait pas « tenter » d’obtenir une référence favorable ou défavorable.

60 En deuxième lieu, Mme Higgs a déclaré dans son témoignage être à l’aise de fournir la référence pour la plaignante et que si cela n’avait pas été le cas, elle en aurait informé le comité d’évaluation en conséquence. Le Tribunal juge que les réponses de Mme Higgs en contre-interrogatoire sur ce point étaient sincères et faites de bonne foi.

61 En dernier lieu, le comité d’évaluation a décidé que les membres du comité communiqueraient avec le superviseur actuel des candidats et que s’ils voulaient obtenir davantage d’informations, ils s’adresseraient au deuxième répondant et collègue de travail. La plaignante n’a produit aucune preuve à l’appui d’une conclusion selon laquelle le comité d’évaluation aurait dû communiquer avec un deuxième répondant, et surtout, que son défaut de le faire constituait un abus de pouvoir. Au contraire, le témoignage de Mme Higgs appuie la conclusion selon laquelle, dans le cas de la vérification des références de la plaignante, le comité d’évaluation a agi tout à fait conformément à ce qu’il avait dit qu’il ferait au début du processus.

Décision

62 Pour ces motifs, le Tribunal rejette la plainte.

Sonia Gaal

Vice-présidente

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2006-0021
Intitulé de la cause:
Brenda Portree et Administrateur général de Service Canada, au sein du ministère des Ressources Humaines et Développement social Canada et al.
Date et lieu
de l'audience:
Le 5 octobre 2006
Winnipeg (Manitoba)
Décision du tribunal
en date du:
21 novembre 2006

Comparutions:

Pour la plaignante:
Kelly Drennar
Pour l'intimé:
Karl Chemsi
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique:
Marjolaine Guay
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