Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé avait avec sa surveillante une relation tendue et, à la suite de la plainte de harcèlement déposée par le fonctionnaire s’estimant lésé contre elle, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a mené une enquête, mais aucune des plaintes de harcèlement du fonctionnaire s’estimant lésé n’a été jugée fondée et celui-ci a été informé par lettre qu’il devait retourner au travail le lundi suivant - le fonctionnaire s’estimant lésé était fort ébranlé et a envoyé par télécopieur une demande de congé de dix jours ouvrables pendant lequel il voulait examiner le rapport, demande qui lui a été refusée - l’ACIA a enjoint le fonctionnaire s’estimant lésé de se présenter au travail le lendemain, sans quoi il s’exposait à des mesures disciplinaires - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a en fait reçu la lettre qu’au moment où il a reçu sa lettre de licenciement - le jour où il devait se présenter au travail, le fonctionnaire s’estimant lésé a envoyé par télécopieur une demande de congé pour raisons personnelles - l’ACIA a rejeté la demande et a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé de se présenter au travail le lendemain, à défaut de quoi il ferait l’objet de mesures disciplinaires - l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas bien saisi la portée de la lettre et qu’il ne l’a interprétée que comme un rejet de sa demande de congé - le fonctionnaire s’estimant lésé pensait qu’il était en mode de négociation avec l’employeur - deux jours plus tard, l’employeur a envoyé une autre lettre rejetant une autre demande de congé sans solde et imposant une suspension de trois jours pour défaut persistant de se présenter au travail - dans sa lettre, l’employeur ordonnait au fonctionnaire s’estimant lésé de se présenter au travail cinq jours plus tard et l’avertissait que le défaut de ce faire entraînerait son licenciement - le fonctionnaire s’estimant lésé a été très surpris par la lettre de suspension - comme le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas présenté au travail, il a été licencié - l’arbitre de grief a conclu que le principe de base sur lequel s’appuie la présente décision est l’obligation d’équité envers les employés non-représentés par un agent négociateur - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas eu l’occasion de tenter d’amener l’employeur à changer d’avis au sujet du licenciement - on l’a informé qu’il risquait de faire l’objet de mesures disciplinaires s’il ne se présentait pas au travail seulement six jours avant son licenciement, mais il n’a pas perçu le signal - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas saisi la gravité de la situation - il n’a appris qu’à un jour de préavis qu’il était au milieu d’un processus disciplinaire - l’arbitre de grief a conclu que le processus disciplinaire s’est déroulé sur une très courte période et dans un contexte où l’employeur aurait dû se rendre compte du fait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas représenté dans ses démarches avec l’employeur, qu’il était émotif et qu’il n’avait pas les idées claires - la politique disciplinaire de l’employeur est juridiquement contraignante à titre de juste reflet des exigences de mesures disciplinaires progressives - une réprimande écrite remplace la suspension de trois jours et le grief concernant le licenciement est accueilli intégralement - le rétablissement qui doit se dérouler dans le cadre d’un protocole de retour au travail sera assuré par un tiers. Grief portant sur la suspension accueilli en partie. Grief portant sur le licenciement accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2006-07-13
  • Dossiers:  166-32-36738 et 36739
  • Référence:  2006 CRTFP 87

Devant un arbitre de grief



ENTRE

MICHAEL MCQUAID

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
McQuaid c. Agence canadienne d'inspection des aliments

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant :  Ken Norman, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  Dave Riffel

Pour l'employeur :  Richard E. Fader, avocat


Affaire entendue à Calgary, Alberta,
du 24 au 26 avril 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Griefs renvoyés à l'arbitrage

[1]    Le 21 février 2005, Mike McQuaid, conseiller principal en ressources humaines (PE-04), région de l'ouest, a déposé deux griefs corrélatifs contre l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA). Dans le premier, il contestait une suspension de trois jours imposée le 21 janvier 2005 et reçue le 24 janvier 2005. Dans le second, il protestait contre une lettre de licenciement rédigée un jour après, soit le 25 janvier 2005, et reçue le 28 janvier 2005. Les deux griefs qualifient la mesure disciplinaire en question [traduction]  d'« injuste, déraisonnable et de mauvaise foi ».

[2]    Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l'« ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

[3]    Du point de vue de l'employeur, il s'agit d'une affaire sans équivoque. Sur une période de deux semaines, en janvier 2005, quatre lettres (pièces E-6, E-8, E-10 et E-13) de Wayne Outhwaite, directeur de la Division des opérations des ressources humaines à l'ACIA, enjoignaient au fonctionnaire s'estimant lésé de se présenter au travail. Ce dernier n'ayant pas obtempéré la première fois, d'autres lettres ont suivi pour le mettre en garde contre des mesures disciplinaires qui seraient prises contre lui, puis ont imposé lesdites mesures par voie d'une suspension de trois jours avec l'avertissement clair que tout nouveau défaut de se présenter au travail [traduction]  « entraînerait [son] licenciement. »

[4]    La première lettre, en date du 11 janvier 2005 (pièce E-6), indique que le rapport d'enquête pour harcèlement de Simkins and Associates était joint à l'envoi. La lettre mentionne que les allégations de harcèlement faites par le fonctionnaire s'estimant lésé à l'endroit de sa superviseure, Pat Henderson, gestionnaire des ressources humaines (PE-06), région de l'ouest, n'étaient pas considérées comme fondées dans le rapport. La lettre poursuit en ordonnant au fonctionnaire s'estimant lésé de retourner au travail le lundi 17 janvier 2005 et de se présenter à Mme Henderson. Cette lettre a été suivie d'un message que M. Outhwaite a laissé sur le répondeur du téléphone domiciliaire du fonctionnaire s'estimant lésé le 13 janvier 2005 et dans lequel il l'avisait qu'on allait lui faire parvenir un colis. À la fin de ce courrier vocal, M. Outhwaite a laissé les numéros auxquels on pouvait le joindre au bureau et à la maison ainsi que son numéro de téléphone cellulaire.

[5]    La deuxième lettre (pièce E-8) de M. Outhwaite était datée du 17 janvier 2005. Elle commence par rejeter la demande que le fonctionnaire s'estimant lésé a télécopiée le même jour pour obtenir dix jours ouvrables de congé dans le but d'examiner le rapport d'enquête sur le harcèlement. Il est dit dans la lettre que [traduction] « [v]otre examen du rapport et la nécessité de votre retour au travail sont deux questions distinctes ». La lettre rappelle ensuite au fonctionnaire s'estimant lésé que, dans une lettre datée du 25 juin 2004, M. Outhwaite avait [traduction] « fait plus que son devoir » en offrant d'accorder à M. McQuaid un congé avec solde du 29 juin 2004 jusqu'à la fin de la rédaction du rapport d'enquête final sur le harcèlement. Dans la lettre, M. Outhwaite se disait satisfait des résultats du rapport et ordonnait au fonctionnaire s'estimant lésé de se présenter au travail le jour suivant, soit le 18 janvier 2005. La lettre se termine sur l'avertissement que si le fonctionnaire s'estimant lésé ne se présente pas au travail, on considérera son absence comme un congé non autorisé passible de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement. Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a en fait reçu cette lettre que le 28 janvier 2005. Elle se trouvait dans la même enveloppe de sa lettre de congédiement en date du 25 janvier 2005 (pièce E-15).

[6]    Le 19 janvier 2005, M. Outhwaite a laissé un message vocal au fonctionnaire s'estimant lésé dans lequel il rejetait sa nouvelle demande, télécopiée la veille au soir, en vue d'obtenir un congé d'un an pour raisons personnelles, il le priait instamment de se présenter au travail le lendemain matin et il lui signifiait qu'une lettre livrée par messager suivrait pour confirmer ces messages.

[7]    Dans la troisième lettre, en date du 19 janvier 2005 (pièce E-10), M. Outhwaite justifie son refus d'accéder à la demande de congé pour raisons personnelles du fonctionnaire s'estimant lésé par un motif d'exigences opérationnelles voulant que [traduction] « nous [ayons] besoin d'agents de ressources humaines dans la région de l'ouest en raison de la crise de l'ESB ». Cette lettre se poursuit ainsi :

[Traduction]

[...]

Je suis conscient que la réintégration du lieu de travail pourrait s'avérer difficile pour toutes les personnes concernées. Par conséquent, j'offre les services d'un tiers ou d'un médiateur pour rétablir une relation de travail favorable avec votre gestionnaire. Je vous demande aussi de me faire toute suggestion pouvant faciliter la restauration d'un climat de travail positif avec votre gestionnaire.

[...]

[8]    La lettre enjoint ensuite au fonctionnaire s'estimant lésé de se présenter au travail le jour suivant, soit le 20 janvier 2005, sans quoi il s'exposerait à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'au congédiement. En conclusion, M. Outhwaite rappelle au fonctionnaire s'estimant lésé l'existence du Programme d'aide aux employés (PAE) et lui précise le numéro de téléphone sans frais de ces programmes.

[9]    La quatrième lettre de M. Outhwaite est datée du 21 janvier 2005. Elle reprend les faits exposés dans sa première lettre du 11 janvier 2005. Elle rejette ensuite une nouvelle demande de congé sans solde de M. McQuaid, reçue par télécopieur le 20 janvier 2005, pour les mêmes motifs que ceux donnés deux jours auparavant. La lettre impose une suspension de trois jours pour défaut persistant de se présenter au travail et ordonne au fonctionnaire s'estimant lésé de retourner au travail le 25 janvier 2005. La lettre poursuit ainsi : [traduction] « Nous vous avisons que le défaut de vous présenter au travail, ainsi qu'on vous l'ordonne, entraînera la cessation de votre emploi à l'Agence ». M. Outhwaite conclut sa lettre en réitérant sa volonté [traduction] « de retenir les services d'un tiers ou d'un médiateur pour faciliter le rétablissement d'une relation de travail positive avec votre gestionnaire ».

[10]    Finalement, comme le promettait la quatrième lettre, datée du 25 janvier 2005, M. Outhwaite a mis fin à l'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé pour défaut de se présenter au travail, ainsi qu'on le lui avait ordonné.

[11]    C'est un tableau fort différent que le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé brosse des jours sombres qui ont précédé son licenciement. Les faits qu'il relate remontent à un jour funeste d'avril 2003, plus précisément le 8 avril 2003. Le moins que l'on puisse dire, pour le fonctionnaire s'estimant lésé, c'est que ce jour a transformé sa carrière. À l'issue d'une réunion ordinaire du personnel, Mme Henderson, lui a demandé de demeurer dans la pièce. Elle lui a ensuite demandé d'aller chercher le dossier de « B » (le Dr « B » était un vétérinaire stagiaire en poste à un établissement de traitement de la viande. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait le déplacement depuis le Manitoba et avait fait certaines recommandations concernant le comportement inapproprié allégué du Dr « B » à l'endroit de subalternes et de vétérinaires de sexe féminin.) Lorsque le fonctionnaire s'estimant lésé est revenu à la salle de réunion avec le dossier, Mme Henderson s'en est prise à lui. Elle était renversée parce qu'elle avait reçu un appel du directeur régional, à Winnipeg, lui apprenant le licenciement du Dr « B ». Tout en fulminant contre le fonctionnaire s'estimant lésé, Mme Henderson a jeté dans la corbeille une partie de son dossier « B ». Le fonctionnaire s'estimant lésé était sidéré. On ne l'avait jamais autant malmené au cours de sa carrière. J'imagine qu'il avait été fortement secoué par la crise de colère de Mme Henderson.

[12]    Le grief que le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé pour protester contre le langage et le comportement affichés par Mme Henderson le 8 avril 2003 a été accueilli par lettre datée du 18 juin 2003 (pièce G-2), de Fiona Spencer, vice-présidente, Ressources humaines, ACIA. La lettre affirme que [traduction] « le ton de Mme Henderson était inapproprié, tout comme ce geste de jeter une partie de votre dossier dans la corbeille. Mme Henderson a exprimé des regrets pour cela et a offert de s'excuser. » Ultérieurement, elle a effectivement présenté des excuses. Cependant, d'après le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé, par la suite, les choses n'ont plus été les mêmes entre lui et Mme Henderson. Elle ne communiquait avec lui que lorsqu'elle devait le faire.

[13]    L'événement significatif suivant a été un courriel que le fonctionnaire s'estimant lésé a adressé à Mme Anderson, avec copie envoyée à M. Outhwaite, le 2 février 2004 (pièce G-3), et qui accusait Mme Henderson de lui avoir retiré de façon humiliante l'autorisation d'utiliser son téléphone cellulaire. Le courriel s'achève sur l'affirmation [traduction] qu'« il s'agit de l'une des nombreuses fois où j'ai été harcelé depuis le printemps dernier et je dois respectueusement demander que cela cesse. » Cette fois M. Outhwaite est intervenu et a demandé des détails. Le fonctionnaire s'estimant lésé s'y est opposé au motif que Mme Henderson était une amie personnelle de longue date de M. Outhwaite. Par courriel daté du 23 février 2004 (pièce G-4), M. Outhwaite a dit refuser de ne pas s'en mêler, expliquant qu'il n'y avait rien d'autre qu'une relation professionnelle de longue date entre Mme Henderson et lui et a réitéré sa demande de détails sur les cas allégués de harcèlement. Le courriel indique que M. Outhwaite serait à Calgary la semaine suivante et qu'il sollicite une rencontre avec le fonctionnaire s'estimant lésé. Par lettre datée du même jour (pièce G-5), le fonctionnaire s'estimant lésé dresse, à l'attention de M. Outhwaite, une liste de dix exemples qu'il veut que l'on considère comme des plaintes formelles selon la politique de l'ACIA en matière de harcèlement. Après une longue attente et, d'après le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé, à la suite des lettres envoyées par son avocat, l'ACIA a retenu les services de la firme Simkins & Associates pour conduire une enquête à cet égard. Finalement, le 23 décembre 2004, le rapport final d'enquête a été remis à l'ACIA.

[14]    Le fonctionnaire s'estimant lésé a reçu le rapport final de Simkins & Associates dans le colis que M. Outhwaite lui a adressé, accompagné de la première lettre datée du 11 janvier 2005. Le soir du jeudi 13 janvier 2005, le fonctionnaire s'estimant lésé a été prendre livraison du colis à son comptoir postal local. Dans son témoignage, il dit avoir été fort ébranlé en parcourant une première fois le rapport final. Il n'arrivait tout simplement pas à croire qu'aucune de ses plaintes de harcèlement n'avait été corroborée dans le rapport final. Il est ensuite aller se coucher, mais a passé une nuit blanche. À partir de ce moment-là, et pour les 12 jours qui ont suivi et qui ont abouti à son licenciement, le fonctionnaire s'estimant lésé est demeuré émotif. Il ne pouvait pas se résoudre à accepter la sombre perspective de retourner travailler pour Mme Henderson.

[15]    Dans une lettre, télécopiée à M. Outhwaite le soir du 18 janvier 2005 (pièce E-9), dans laquelle il réitère sa demande de congé pour raisons personnelles, le fonctionnaire s'estimant lésé communique ainsi ses sentiments :

[Traduction]

Malgré les conclusions du rapport Simkins, je continue de croire que j'ai été victime de harcèlement de la part de Mme Henderson et j'éprouve beaucoup de réticence à retourner travailler pour elle. Je suis préoccupé par les éventuelles représailles que pourrait engendrer le dépôt de ma plainte. S'il fallait que je retourne au travail dans un proche avenir, la situation s'avérerait très stressante pour nous deux. Je le sais parce que je me souviens très bien de la tension qui régnait pendant les jours qui ont précédé mon congé actuel; cette tension est particulièrement ressentie de par la nature du travail accompli, comme le traitement de plaintes de harcèlement et la fourniture de conseils sur des questions de rendement.

[16]    Finalement, dans son témoignage, le fonctionnaire s'estimant lésé dit avoir été très étonné par la lettre de suspension de trois jours reçue le matin du 24 janvier 2005. Il pensait qu'il était en train de négocier avec l'employeur. Pas une fois les messages téléphoniques cordiaux de Wayne Outhwaite n'avaient fait mention de « mesures disciplinaires ». L'idée même de faire l'objet de mesures disciplinaires a eu l'effet d'un affront sur le fonctionnaire s'estimant lésé. Dans toute sa carrière, il n'avait fait qu'une fois l'objet de mesures disciplinaires, et cela s'était produit il y a fort longtemps, lors de son passage au centre de formation de la GRC. M. McQuaid avait alors commis une infraction en omettant de repasser ses lacets de chaussures de course.

[17]    Je conclus que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas bien saisi la portée de la lettre du 19 janvier 2005, qui le mettait en garde contre les mesures disciplinaires qui seraient prises contre lui s'il ne se présentait pas au travail le lendemain, lorsqu'il a reçu ladite lettre, l'après-midi du 21 janvier 2005. La réponse télécopiée le 22 janvier 2005 (pièce E-14) par le fonctionnaire s'estimant lésé montre qu'il ne l'avait interprétée que comme un rejet de sa demande de congé pour raisons personnelles en date du 18 janvier 2005. Le contenu de cette lettre télécopiée confirme le point défendu par le fonctionnaire s'estimant lésé dans son témoignage, lorsqu'il déclare qu'il pensait qu'il était en mode de négociation avec Wayne Outhwaite. Cette lettre se lit comme suit dans son intégralité :

[Traduction]

[...]

Cher Wayne,

Hier après-midi, j'ai reçu votre lettre datée du 19 janvier 2005, dans laquelle vous refusez d'accéder à ma demande de congé pour raisons personnelles. Je suis déçu de votre décision, que je trouve déraisonnable.

J'ai retourné tous vos appels téléphoniques; votre lettre indiquait cependant que vous m'aviez appelé en d'autres occasions, mais sans laisser de message. Je ne peux répondre à vos messages si je n'en ai pas connaissance. Veuillez continuer de correspondre avec moi par écrit plutôt que par téléphone.

La date du 24 janvier 2004 que vous proposez pour mon retour au travail est prématurée et inacceptable. Je n'ai pas encore eu l'occasion de prendre connaissance du rapport, d'obtenir des explications au sujet du rapport de Simkins, d'obtenir des conseils médicaux et juridiques ou d'examiner en profondeur les options que je pourrais avoir dans cette affaire. Je demeure préoccupé par des mesures de représailles que Mme Henderson pourrait prendre à la suite du dépôt de ma plainte de harcèlement à son endroit et j'estime que de telles mesures de représailles seraient encore plus susceptibles de se produire en raison de mon récent grief.

[...]

[18]    Deux griefs mettant en cause M. Outhwaite ont été déposés le 20 janvier 2005; l'un portait sur le rapport final d'enquête et l'autre sur le refus de M. Outhwaite d'accéder à la demande de congé pour raisons personnelles du fonctionnaire s'estimant lésé.

Résumé de l'argumentation

[19]    La position de l'ACIA a d'abord été exprimée par Mme Spencer, vice-présidente, Ressources humaines, dans la réponse qu'elle a faite le 27 octobre 2005 (pièce G-32) aux deux griefs en question. Dans cette lettre, il est indiqué que, à quatre reprises, on a enjoint par écrit au fonctionnaire s'estimant lésé de se présenter au travail, sans quoi il ferait face à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement motivé. La lettre fait ensuite valoir que la cause du fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas visée par l'une ou l'autre des exceptions du principe « obéir d'abord, se plaindre ensuite ».

[20]    L'argument que Richard Fader m'a présenté reprenait cette dernière position, à savoir que les excuses avancées par le fonctionnaire s'estimant lésé pour ne pas se présenter au travail n'étaient pas visées par les trois exceptions du principe « obéir d'abord, se plaindre ensuite ». Ces excuses ne se fondaient pas sur des questions d'illégalité, d'immoralité ou de sécurité. En ce qui concerne cette position, comme je l'expliquerai dans mes motifs, les faits ne confirmaient pas cela. Quatre ordres écrits de se présenter au travail, à défaut de quoi des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement seraient prises, n'ont tout simplement pas été acheminés au fonctionnaire s'estimant lésé. Cependant, M. Fader a affirmé que, avant le matin du 24 janvier 2005, le fonctionnaire s'estimant lésé avait en main une lettre qui ne laissait place à aucun doute. Cette lettre imposait une suspension de trois jours et indiquait clairement que le défaut de se présenter au travail le matin suivant [traduction] « entraînerait votre licenciement. »

[21]    À l'appui de cet argument, M. Fader a cité les cas suivants : Budgel c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25555 (1994) (QL); Kwan c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-27120 (1996) (QL); Petrovic c. Conseil du Trésor (Ressources naturelles Canada), dossier de la CRTFP 166-02-28216 (1998) (QL); Pachowski c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et accise), dossier de la CRTFP 166-02-28543 (1999) (QL); Pachowski c. Canada (Conseil du Trésor) [2000] A.C.F. no 1679; Sainte-Marie c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2006 CRTFP 30. L'essence de ces cas est capturée dans le plus récent, Sainte-Marie, où l'on trouve les déclarations suivantes aux paragraphes 135 et 136 :

[...]

[135]  L'employé a été averti par écrit, à plusieurs reprises, de se présenter au travail sans quoi il en subirait les conséquences.

[136]  Le fonctionnaire s'estimant lésé préfère ne pas retourner au travail dans son poste tant que les questions de relations de travail ne seront pas réglées. C'est son choix et il doit en subir les conséquences.

[...]

[22]    Au nom du fonctionnaire s'estimant lésé, Dave Riffel a d'abord fait valoir que le processus disciplinaire menant au congédiement était tout simplement injuste. Tout le processus disciplinaire s'est déroulé sur une période on ne peut plus courte, dans un contexte où M. Outhwaite aurait dû se rendre compte du fait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas syndiqué, qu'il était émotif et qu'il n'avait pas les idées claires. En second lieu, M. Riffel a affirmé que M. Outhwaite avait été de mauvaise foi du fait qu'il était trop proche de Mme Henderson et qu'on l'avait questionné dans le cadre de l'enquête de Simkins & Associates sur le harcèlement.

[23]    Sur la question de l'injustice, M. Riffel a fait valoir que, à bien des égards, M. Outhwaite avait enfreint la politique en matière de discipline que l'ACIA a publiée et qui est entrée en vigueur le 3 mai 2004. À la page 4, on peut lire que [traduction] « la décision d'un licenciement pour motifs disciplinaires ne devrait être prise que lorsque les autres mesures disciplinaires ont échoué ou sont jugées inadéquates et lorsqu'il est déterminé que l'employé n'est plus apte à continuer d'exercer les fonctions de son poste pour cause d'inconduite. » Dans Haydon c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2002 CRTFP 10, il est dit que l'un des principes applicables aux sanctions disciplinaires est que « l'employeur doit appliquer les sanctions disciplinaires progressivement. » La décision Laboucane c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), dossiers 166-02-16086 à 16088 de la CRTFP (1987) (QL), fait valoir, en rapportant les arguments du fonctionnaire s'estimant lésé, l'affirmation de M. Riffel selon laquelle la décision Taback (dossiers de la Commission 166-2-13187 à 13191) corrobore la proposition voulant que le fonctionnaire s'estimant lésé « aurait dû être soumis à des mesures disciplinaires avant d'être congédié. » Ce temps de réflexion n'a pas été accordé au fonctionnaire s'estimant lésé. On n'a pas davantage déterminé qu'il ne faisait plus l'affaire pour continuer d'exercer son emploi. En d'autres termes, dans le langage de la doctrine arbitrale, ses possibilités de réhabilitation n'ont pas été prises en considération (voir Mann c. Conseil du Trésor (Transports Canada), 2003 CRTFP 100, au paragr. 261). Qui plus est, sous la rubrique « [traduction] Exigences de la politique », la politique de l'ACIA en matière de discipline indique, à la page 4, que les mesures disciplinaires [traduction] « comprennent une entrevue disciplinaire au cours de laquelle on donne à l'employé l'occasion de s'expliquer sur ses actes. » Dans Haydon, il est mentionné qu'une telle rencontre personnelle a eu lieu avec le fonctionnaire s'estimant lésé. À la page 8 de la Politique de l'ACIA en matière de discipline, sous la rubrique [traduction] « Avis disciplinaire », il a attiré mon attention sur les commentaires voulant qu'une rencontre personnelle soit préférable et que l'on devrait tenir compte des circonstances atténuantes et des facteurs contributifs.

[24]    Finalement, en ce qui a trait au principe général du devoir d'agir équitablement envers tout employé susceptible d'être congédié, M. Riffel a cité le paragraphe 45 du récent jugement rendu par la Cour fédérale dans l'affaire Pelletier c. Procureur général du Canada, 2005 CF 1545, qui se lit en partie comme suit : « Sur ce point, il n'y a pas de doute que le devoir d'agir équitablement s'impose lorsque l'emploi d'une personne est en jeu » (Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19 […], à la page 677) et que dans ces cas, « une justice de haute qualité est exigée » (Kane c. Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 RCS 1105 (1980) 110 D.L.R. (3d) 31, au paragr. 13). » Au paragraphe 48 de ce même jugement, il est dit que le droit de se faire entendre est une obligation minimale. Le juge Noël fait observer, au paragraphe 85, que cette obligation comprend les « droits des participants », tels qu'expliqués par la Cour suprême du Canada dans le jugement Baker, de manière que la possibilité soit « donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur. »

[25]    Quant aux raisons pour lesquelles je pourrais tenir compte du rôle que M. Outhwaite a joué dans tout cela, M. Riffel a cité la décision Maan, où, au paragraphe 260, on a tenu compte de la conduite d'un supérieur qui s'en est pris à un fonctionnaire s'estimant lésé en considérant cela comme un facteur atténuant.

[26]    En contre-preuve, M. Fader a cité Glowinski, 2006 CF 78 (juge Kelen), au paragr. 40, qui reprend Endicott, 2005 CF 253 (juge suppléant Strayer) pour ce qui est de la proposition voulant que les politiques ministérielles ou du Conseil du Trésor n'entraînent généralement pas d'obligations juridiques à moins que la loi habilitante exige l'émission d'une telle politique. Je ne suis donc pas habilité à examiner la politique disciplinaire de l'ACIA pour trouver des irrégularités dans le processus suivi par M. Outhwaite.

[27]    En réponse à l'argument de M. Riffel touchant le caractère injuste de toute la procédure, M. Fader a attiré mon attention sur l'affaire Tipple, [1985] A.C.F. no 818 (Cour d'appel fédérale) relativement à la thèse selon laquelle toute semblable injustice procédurale serait entièrement réparée par l'audience de novo devant moi dans laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé a reçu un avis en bonne et due forme des allégations faites contre lui et a eu amplement le temps d'y répondre.

Motifs

[28]    Le principe de base sur lequel la présente décision s'appuie est le devoir d'agir équitablement envers un conseiller principal des ressources humaines exclu, comme le fonctionnaire s'estimant lésé. À cet égard, je retiens l'argument général que M. Riffel a repris de Pelletier.

[29]    Un élément du principe du devoir d'agir équitablement est énoncé par la Cour suprême du Canada dans Knight c. Indian Head Sch. Div. No. 19 et repris par le juge Noël dans Pelletier, au paragraphe 81 :

[...]

Dans le cas d'une charge occupée selon bon plaisir comme dans celui d'une charge dont on ne peut être renvoyé que pour un motif valable, l'un des buts de l'obligation d'agir équitablement imposée à l'organisme administratif est le même, savoir de permettre à l'employé de tenter d'amener l'employeur à changer d'avis au sujet du congédiement.

[...]

[30]    Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a assurément pas eu cette occasion. Et, sur cette question, l'audience devant moi ne saurait réparer entièrement, comme cela est dit dans Tipple, cette entorse au devoir d'agir équitablement.

[31]    Si l'on recule d'une étape, j'aimerais porter une attention particulière au processus disciplinaire progressif allégué qui a mené au congédiement. Il ne ressemble pas, tant s'en faut, à ce que Mme Spencer en a fait au paragraphe 17.

[32]    En premier lieu, la lettre du 11 janvier 2005 qui accompagne le rapport final de Simkins & Associates ne donne aucun avertissement disciplinaire. En deuxième lieu, la lettre datée du 17 janvier 2005 est égarée et ne parvient à son destinataire, le fonctionnaire s'estimant lésé, qu'après son licenciement. Au mieux, cela laisse la lettre en date du 19 janvier 2005, reçue l'après-midi du 21 janvier 2005, comme la toute première fois que le fonctionnaire s'estimant lésé a été avisé qu'il s'exposerait à des mesures disciplinaires s'il ne se présentait pas au travail.

[33]    Cependant, comme je l'ai fait remarquer au paragraphe 16 de la présente décision, il m'apparaît clairement que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas perçu ce signal. Dans son état de choc émotionnel, il était surtout préoccupé par ce qu'il pensait être une négociation au sujet de sa demande d'autorisation de se tenir à l'écart du lieu de travail, sans traitement, dans le cadre d'un congé pour raisons personnelles plutôt que de subir à nouveau le courroux de Mme Henderson. Cette dimension distingue le présent cas de celui de l'affaire Pachowski où, au paragraphe 71, Joseph Potter se dit convaincu que Mme Pachowski était consciente des fâcheuses conséquences qu'il y aurait à ne pas se présenter au travail. Dans Pelletier, le juge Noël fait, au paragraphe 66, le commentaire que l'employé doit saisir le sérieux de la situation, « autrement, le droit de l'employé d'être mis au courant des raisons de l'insatisfaction de l'employeur et son droit de réponse sont sérieusement affectés. »

[34]    À mon sens, la lettre que le fonctionnaire s'estimant lésé a télécopiée le 22 janvier 2005, lettre reproduite en entier au paragraphe 16, signalait assurément à M. Outhwaite que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait tout simplement pas mesuré la gravité de la situation. Cela est renforcé par les précédents messages télécopiés que le fonctionnaire s'estimant lésé a envoyés les 18 et 20 janvier 2005 et dans lesquels il sonnait l'alarme, tout d'abord pour dire à quel point la situation lui serait [traduction] « très stressante » [c'est moi qui souligne] de retourner travailler sous la supervision de Mme Henderson dans un proche avenir et, en second lieu, qu'il serait « [traduction] particulièrement stressant pour moi de travailler pour elle pendant le processus de règlement du grief. »

[35]    Finalement, dans la lettre télécopiée du fonctionnaire s'estimant lésé en date du 22 janvier 2005, il demande qu'on lui accorde davantage de temps, en partie pour obtenir un avis médical. Manifestement, ces trois télécopies envoient le signal que l'attention du fonctionnaire s'estimant lésé est entièrement tournée vers sa santé. En toute équité, M. Outhwaite aurait alors dû prendre le téléphone pour dissiper, auprès du fonctionnaire s'estimant lésé, tout doute quant à la menace qui pesait sur lui. M. Outhwaite n'ayant pas agi ainsi, la lettre du 19 janvier 2005 ne peut plus être considérée comme la première étape légitime du processus disciplinaire sur lequel l'ACIA se fonde devant moi.

[36]    Cela m'amène au matin du lundi 24 janvier 2005, lorsque, finalement, la lettre de M. Outhwaite, en date du 21 janvier 2005, signifiant une suspension de trois jours au fonctionnaire s'estimant lésé est livrée au domicile de ce dernier et lui apprend qu'il se trouve au milieu d'un processus disciplinaire. Il ne dispose alors que d'un court temps précieux pour digérer la nouvelle, y réfléchir ou chercher conseil au sujet de sa situation désastreuse. Il n'a pas eu plus que le reste de la journée et cette nuit-là pour être soumis au processus disciplinaire progressif, réfléchir sur ses méfaits allégués et envisager le sort qui l'attend certainement le matin suivant s'il ne se présente pas au travail sous la supervision de Mme Henderson. Cette expérience est encore plus intense que la situation dans laquelle « les événements se sont bousculés » avant le congédiement injuste, dans Pelletier, au paragraphe 57, où « entre l'appel téléphonique des représentants du Bureau du Conseil privé et la destitution, il ne s'est écoulé qu'une fin de semaine (deux jours) ».

[37]    En ce qui a trait aux éléments de la doctrine arbitrale des mesures disciplinaires progressives, je considère que tous les points de M. Riffel, qui sont résumés au paragraphe 21, sont bien fondés. Cela ne veut pas dire pour autant que je sois hermétique à l'instruction de la Cour fédérale dans Glowinski et Endicott et défende tout de même la thèse que la politique de discipline de l'ACIA soit juridiquement contraignante. En revanche, cela signifie effectivement que j'y vois là un juste reflet des exigences d'une discipline progressive. Pour une approche similaire, voir Mungham 2005 CRTFP 106, au paragraphe 31, où l'arbitre de grief Ian R. Mackenzie a considéré un document de politique sur les heures supplémentaires, publié par l'employeur, comme le reflet d'une compréhension commune des parties quant à ce que signifiait la répartition équitable des heures supplémentaires.

[38]    Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

[39]    Pour tous les motifs qui précèdent, j'accueille en partie le grief déposé contre la suspension de trois jours (dossier de la CRTFP 166-32-36738). En lieu, je lui substitue une réprimande écrite. Le grief déposé contre le licenciement est accueilli intégralement (dossier de la CRTFP 166-32-36739).

[40]    Le fonctionnaire s'estimant lésé doit être rétabli directement dans ses fonctions avec le salaire et les avantages sociaux perdus qui lui sont dus jusqu'à ce jour ou une compensation à cet égard. Un tel rétablissement doit se dérouler dans le cadre d'un protocole de retour au travail qui sera facilité par un tiers neutre, sur le choix duquel les parties s'entendront et dont les services seront retenus aux frais de l'ACIA. Je demeure saisi de ces redressements pendant 90 jours pour résoudre tout différend qui pourrait survenir entre les parties quant à leur mise en oeuvre.

Le 13 juillet 2006.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Ken Norman,
arbitre de grief

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