Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaintes portaient sur deux cas où les plaignants, agents des douanes à Peace Bridge, Fort Erie (Ontario), ont exercé leur droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du CCT - les plaignants prétendaient que l’employeur n’avait pas appliqué les procédures prévues à deux occasions où ils avaient refusé de travailler en vertu du CCT et qu’il avait refusé sans raison valable de leur verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle ils avaient exercé ces droits - l’employeur considérait que les refus de travailler étaient la continuation de refus précédents où les plaignants avaient soulevé bon nombre des mêmes questions et qu’il n’était donc pas nécessaire que des agents de santé et sécurité de Ressources humaines et Développement social Canada (RHDSC) fassent à nouveau enquête - les agents de santé et sécurité de RHDSC avaient fait enquête les deux fois précédentes et avaient conclu qu’il n’existait pas de danger, après quoi les fonctionnaires étaient retournés au travail - la Commission a conclu que l’employeur avait contrevenu aux articles 128 et 129 du CCT en refusant de participer à une enquête interne ou de permettre à un agent de santé et sécurité d’effectuer une enquête afin de faire la lumière sur les refus de travailler - la Commission a conclu que l’employeur avait contrevenu à l’article 147 du CCT en refusant de verser aux plaignants la rémunération afférente à la période au cours de laquelle ils avaient exercé leur droit de refuser de travailler en vertu du CCT, et en les menaçant de représailles pour avoir exercé les droits qui leur sont reconnus par cette disposition - la Commission a ordonné à l’employeur d’afficher la décision à un endroit où tous les employés pourront en prendre connaissance. Plaintes accueillies.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-01-05
  • Dossier:  560-02-11 à 14
  • Référence:  2007 CRTFP 1

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique


ENTRE

ANTONIO FERRUSI ET GAETANO GIORNOFELICE

plaignants

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
Ferrusi et Giornofelice c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des plaintes visées à l'article 133 du Code canadien du travail

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Beth Bilson, commissaire

Pour les plaignants:
Andrew Raven et Lisa Addario, avocats

Pour le défendeur:
Richard E. Fader, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 31 mai, les 1er et 2 juin ainsi que le 23 juin 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Plaintes devant la Commission

1 Antonio Ferrusi et Gaetano Giornofelice (les « plaignants ») sont des agents des douanes employés par l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), à Peace Bridge, Fort Erie (Ontario). La présente demande se rapporte à des plaintes par lesquelles les plaignants allèguent que l'employeur n'a pas suivi les procédures appropriées quand ils ont exercé leur droit de refus de travailler conformément à la partie II du Code canadien du travail (le « Code ») et que l'employeur a, à tort, refusé de leur verser la rémunération afférente à une période au cours de laquelle ils exerçaient leurs droits en vertu du Code. Comme les plaignants ont fondé leurs plaintes sur le même enchaînement d'événements, les parties ont convenu qu'une preuve ne serait présentée que relativement à la plainte de M. Ferrusi, et que les conclusions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») seraient considérées comme s'appliquant aux deux séries de plaintes.

2 Les dispositions de la partie II du Code qui sont les plus importantes aux fins de la présente décision se lisent comme suit :

[…]

122. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

[…]

« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets sur l'intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d'avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

[…]

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'employé au travail peut refuser d'utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d'accomplir une tâche s'il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

[…]

c)      l'accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

[…]

(6) L'employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

[…]

(8) S'il reconnaît l'existence du danger, l'employeur prend sans délai les mesures qui s'imposent pour protéger les employés; il informe le comité local ou le représentant de la situation et des mesures prises.

(9) En l'absence de règlement de la situation au titre du paragraphe (8), l'employé, s'il y est fondé aux termes du présent article, peut maintenir son refus; il présente sans délai à l'employeur et au comité local ou au représentant un rapport circonstancié à cet effet.

(10) Saisi du rapport, l'employeur fait enquête sans délai à ce sujet en présence de l'employé et, selon le cas :

a)      d'au moins un membre du comité local, ce membre ne devant pas faire partie de la direction;

b)      du représentant;

c)      lorsque ni l'une ni l'autre des personnes visées aux alinéas a) et b) n'est disponible, d'au moins une personne choisie, dans le même lieu de travail, par l'employé.

[…]

(13) L'employé peut maintenir son refus s'il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d'exister malgré les mesures prises par l'employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu'il est informé du maintien du refus, l'employeur en avise l'agent de santé et de sécurité.

(14) L'employeur informe le comité local ou le représentant des mesures qu'il a prises dans le cadre du paragraphe (13).

  128.1 (1) Sous réserve des dispositions de toute convention collective ou de tout autre accord applicable, en cas d'arrêt du travail découlant de l'application des articles 127.1, 128 ou 129 ou du paragraphe 145(2), les employés touchés sont réputés, pour le calcul de leur salaire et des avantages qui y sont rattachés, être au travail jusqu'à l'expiration de leur quart normal de travail ou, si elle survient avant, la reprise du travail.

[…]

129. (1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l'agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l'employeur, de l'employé et d'un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l'employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

[…]

(4) Au terme de l'enquête, l'agent décide de l'existence du danger et informe aussitôt par écrit l'employeur et l'employé de sa décision.

[…]

(6) S'il conclut à l'existence du danger, l'agent donne, en vertu du paragraphe 145(2), les instructions qu'il juge indiquées. L'employé peut maintenir son refus jusqu'à l'exécution des instructions ou leur modification ou annulation dans le cadre de la présente partie.

(7) Si l'agent conclut à l'absence de danger, l'employé ne peut se prévaloir de l'article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois - personnellement ou par l'entremise de la personne qu'il désigne à cette fin - appeler par écrit de la décision à un agent d'appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.

[…]

133. (1) L'employé - ou la personne qu'il désigne à cette fin - peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l'article 147.

[…]

(6) Dans les cas où la plainte découle de l'exercice par l'employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

[…]

  147. Il est interdit à l'employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s'il ne s'était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre - ou menacer de prendre - des mesures disciplinaires contre lui parce que :

[…]

  c)      soit il a observé les dispositions de la présente partie   ou cherché à les faire appliquer.

  […]

  147.1 (1) À l'issue des processus d'enquête et d'appel prévus aux articles 128 et 129, l'employeur peut prendre des mesures disciplinaires à l'égard de l'employé qui s'est prévalu des droits prévus à ces articles s'il peut prouver que celui-ci a délibérément exercé ces droits de façon abusive.

[…]

Des dispositions connexes décrivent les pouvoirs que les agents de santé et de sécurité ont de mener des enquêtes et de donner des instructions, ainsi que les pouvoirs que les agents d'appel ont de modifier les instructions des agents de santé et de sécurité ou d'y ajouter quelque chose.

Résumé de la preuve

3 Les plaintes avaient trait à deux cas dans lesquels les plaignants et d'autres employés disaient avoir exercé leur droit de refus de travailler en vertu de l'article 128 du Code. Ces refus remontent au 11 novembre et au 16 novembre 2005. En traitant de ces refus de travailler, l'employeur les a reliés à deux précédents refus de travailler en date du 18 août et du 24 octobre 2005; M. Ferrusi était parmi les employés ayant refusé de travailler à ces deux occasions.

4 Ces quatre refus de travailler étaient en outre liés à un vaste ensemble de préoccupations quant à la sécurité au travail ayant été l'objet de discussions entre les employés du service des douanes et de l'immigration à la frontière, leurs représentants syndicaux et l'employeur au cours d'un certain nombre d'années. Ces discussions avaient conduit à la fourniture de matériel de sécurité supplémentaire pour les agents, ainsi qu'à la révision de protocoles concernant les risques relatifs au travail de ces agents. À l'époque des refus de travailler de M. Ferrusi, en 2005, des agents des douanes de tout le pays soulevaient des questions particulières à propos de la sécurité au travail, et il y avait eu un certain nombre de refus de travailler à des postes frontaliers de diverses parties du Canada. M. Ferrusi a dit que plusieurs questions importantes étaient en suspens. La première de ces questions était de savoir si les agents des douanes avaient les [traduction] « outils » appropriés pour faire face à des individus dangereux ou violents qui pourraient créer des problèmes en mettant en danger les agents ou d'autres personnes. M. Ferrusi a déclaré que, bien que les agents aient actuellement des matraques, des neutralisants en aérosol à base d'oléorésine (semblables à des vaporisateurs de poivre) et des vêtements de protection, la position d'un bon nombre des agents est qu'ils devraient avoir des armes courtes. L'actuelle politique, qualifiée de politique de [traduction] « libération et notification », exige que les agents, quand ils reconnaissent un individu qui a été identifié comme une menace dans un avis de [traduction] « surveillance d'individu armé et dangereux », laissent passer l'individu et notifient les agents de la paix les plus proches. M. Ferrusi a affirmé que lui et d'autres agents estiment que le temps de réaction du personnel local d'exécution de la loi devant ces situations n'est pas adéquat pour assurer la sécurité des agents des douanes et d'autres personnes pouvant être mises en péril par l'entrée d'individus dangereux au Canada.

5 Un autre problème est le niveau de la formation donnée aux agents, y compris la formation relative aux armes, afin de leur assurer les compétences nécessaires pour faire face à des circonstances dangereuses. Il y a également la question de la pertinence et du moment opportun de l'information fournie aux agents au sujet des situations en train de se dérouler ou à propos d'individus pouvant être dangereux.

6 Dans son témoignage, M. Ferrusi a fait état de son actuelle description de travail, qui, à un certain nombre d'endroits, mentionne les exigences physiques et psychologiques du travail, et il a donné un certain nombre d'exemples de situations dans lesquelles il s'est retrouvé face à des individus imprévisibles ou menaçants.

7 Le matin du 18 août 2005, M. Ferrusi et trois autres employés ont déclaré qu'ils exerçaient leur droit de refus de travailler. Peu après, l'employeur a contacté Lindsay Harrower, agent de santé et de sécurité, Ressources humaines et Développement social Canada (RHDSC) et lui a demandé de l'aide. M. Harrower, qui travaille à London (Ontario), est arrivé à Peace Bridge vers 11 h 30. À son arrivée, il a constaté que l'employeur n'avait pas mené d'enquête comme l'exige le paragraphe 128(10) du Code. M. Harrower attendait que cette enquête soit effectuée, puis, comme les employés maintenaient leur refus de travailler, il a entrepris sa propre enquête. Au terme de son enquête, c'est-à-dire vers 15 h 45 le 19 août, M. Harrower a fait savoir aux parties qu'il avait conclu qu'il n'existait pas de danger, et les employés sont retournés au travail. M. Harrower a subséquemment remis aux parties un rapport écrit substantiel, qui a été communiqué le 30 août (pièce E-2).

8 Dans le rapport, les raisons données par M. Ferrusi à l'égard du refus de travailler sont consignées comme suit :

[Traduction]

[…]

-  
Les recommandations du rapport du Comité sénatorial intitulé À la limite de l'insécurité, recommandations dans lesquelles il est dit que l'on devrait assurer une présence de la GRC 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sinon il faudrait armer les agents des douanes
-   Deux incidents critiques récents
-  
Les inspecteurs des douanes ainsi que les inspecteurs stagiaires des douanes n'ont pas la formation pour faire face à ces situations critiques et à d'autres types de situations semblables
-  
On me laisse dans le noir quant au danger que je pourrais devoir affronter et je suis incapable de réagir de manière appropriée, à cause d'un système informatique qui fait problème, ainsi que d'un manque de données introduites dans le SASLIP [Système automatisé de surveillance à la ligne d'inspection primaire] et le SIED [Système intégré d'exécution des douanes]

[…]

M. Harrower a également consigné les raisons données par les autres employés, lesquelles raisons soulevaient en grande partie les mêmes questions.

9 M. Harrower a en outre énuméré la documentation que M. Ferrusi lui avait fournie :

[Traduction]

  1. Le rapport du Comité sénatorial intitulé « À la limite de l'insécurité - Rapport provisoire du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense - Juin 2005 »
  2. Le rapport de juillet 2002 établi par ModuSpec Risk Management Services Canada Ltd. London (Ontario) à l'intention de l'Agence des douanes et du revenu du Canada et intitulé « Customs Inspectors and Superintendents Job Hazard Analysis Report - Phase 1 Documentation Review »
  3. Une copie Internet d'un article d'Adrian Humphreys en date du 16 août 2005 paru dans le National Post et intitulé « Gaps found in border database Dangerous individuals not red-flagged »
  4. Cinq plaintes faisant actuellement l'objet d'un examen / d'une enquête de l'employeur conformément à l'article 127.1 du Code canadien du travail, partie II, plaintes selon lesquelles :
    • L'ASFC ne m'équipe pas d'une arme courte
    • On ne me donne pas accès à TOUTE l'information connue qui est énumérée dans les bases de données du CIPC et d'autres bases de données en matière d'exécution de la loi qu'utilisent les partenaires nationaux et internationaux des Douanes dans ce domaine
    • On ne me donne pas accès à TOUS les avis relatifs à la surveillance de personnes armées et dangereuses connues qui figurent dans les bases de données du CIPC et d'autres bases de données en matière d'exécution de la loi qu'utilisent les partenaires nationaux et internationaux des Douanes dans ce domaine quand ils travaillent à la ligne d'inspection primaire
    • On ne me donne pas accès à TOUS les avis relatifs à la surveillance de terroristes connus qui sont enregistrés auprès du SCRS et de partenaires internationaux ouvrant dans le domaine de l'exécution de la loi
    • L'ASFC n'a pas de mécanisme de rapport centralisé national permettant aux agents des douanes de noter : a) pourquoi la police a été appelée en renfort, b) quel a été le temps de réaction des policiers après que ceux-ci furent appelés par les agents des douanes, et c) quelle a été la réponse exacte de la police pour expliquer la raison pour laquelle il n'y aurait pas de renfort.

10 Il ressort clairement du rapport que M. Harrower a eu des discussions approfondies sur toutes ces questions avec les représentants de l'employeur et avec les employés ayant refusé de travailler, y compris M. Ferrusi. Il y a un recoupement évident entre les motifs à la base du refus de travailler et les plaintes devant être l'objet d'un examen à l'aide du processus de règlement interne prévu à l'article 127.1 du Code. Lors de sa discussion avec M. Harrower résumée dans le rapport et au cours de son témoignage devant moi, M. Ferrusi a reconnu que les cinq plaintes énumérées avaient été examinées par le comité mixte de santé et de sécurité au travail, mais il a déclaré qu'il estimait que ce processus n'allait pas assez vite aux fins d'un règlement des questions et qu'exercer son droit de refus de travailler en vertu de l'article 128 du Code était la seule manière de faire avancer les choses.

11 Dans son témoignage, M. Harrower a affirmé que l'employeur avait décrit le refus de travailler du 18 août comme un maintien d'un précédent refus, en date du 26 mai, qui avait soulevé bon nombre des mêmes questions, et il a dit que l'employeur l'avait exhorté à ne pas mener d'enquête. Il considérait toutefois que tous les refus de travailler devaient être traités comme un incident distinct et faire l'objet d'une enquête, sauf si les circonstances étaient identiques.

12 Sur le fondement de son enquête, M. Harrower avait conclu qu'il n'existait pas de danger. Son rapport traitait des questions soulevées par les employés. Concernant le rapport du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense intitulé À la limite de l'insécurité (pièce U-1), M. Harrower a déclaré ceci :

[Traduction]

[…]

Le rapport en question, de nature provisoire, a été soumis au gouvernement de l'époque et contient des recommandations seulement. En tant que rapport provisoire, ce document, d'une vaste portée, traite de tous les aspects de la sécurité nationale et de la défense, y compris la question des postes frontaliers. Jusqu'à ce que les ministères et/ou organismes visés par ce rapport aient eu la possibilité de bien examiner et de commenter les recommandations pouvant toucher leurs politiques, procédures ou pratiques établies, il serait prématuré de réagir à l'une quelconque des recommandations du rapport comme étant quoi que ce soit d'autre que des recommandations.

[…]

13 Quant au rapport établi par ModuSpec Risk Management Services, M. Harrower a attiré l'attention sur le passage suivant du rapport [traduction] : « […] Soulignons que les mesures correctives recommandées sont de nature préliminaire et peuvent être modifiées selon les conclusions de la phase 2 de la présente étude. […] » Quoi qu'il en soit, M. Harrower a signalé que l'employeur traitait d'un bon nombre des questions soulevées dans le rapport dans le cadre d'un plan d'action devant servir de base à la modification des politiques de sécurité dans l'ensemble du système des services frontaliers.

14 Dans le système existant, les agents des douanes à la ligne d'inspection primaire ont reçu de l'information grâce à un certain nombre de bases de données informatiques, y compris le SASLIP et le SIED. Les agents à la ligne d'inspection secondaire avaient en outre accès à des bases de données policières nationales (du CIPC et du SRRJ), tenues par la Gendarmerie royale du Canada. Dans son rapport, M. Harrower examinait l'affirmation des employés selon laquelle cette différence quant à l'accès à l'information causait de la confusion et pouvait empêcher les agents à la ligne d'inspection primaire d'avoir les renseignements nécessaires à leur sécurité. Il a conclu qu'il n'y avait aucune preuve [traduction] « […] à l'appui de l'allégation selon laquelle le fait de fournir des données du CIPC à une ligne d'inspection primaire (LIP) permettrait d'accroître de façon efficace le niveau de sécurité pour un inspecteur à une LIP […] »

15 M. Ferrusi a témoigné sur la nature des [traduction] « deux incidents critiques récents » énumérés parmi les motifs du refus de travailler. À l'une de ces occasions, le conducteur d'un véhicule prétendait lors du contact initial qu'il s'était perdu et que son intention n'était pas d'entrer au Canada. Il a été renvoyé à la [traduction] « ligne secondaire » pour un examen plus intensif, et l'on a découvert qu'il y avait dans la voiture de la drogue et une matraque paralysante; interrogé davantage, l'un des occupants de la voiture a dit qu'ils se dirigeaient vers un endroit en Ontario pour pénétrer dans une maison par effraction. Dans le deuxième incident, des agents à la ligne d'inspection primaire avaient été alertés à l'égard d'une voiture particulière par un [traduction] « avis de surveillance d'armes », mais leur fouille initiale du véhicule n'avait révélé la présence d'aucune arme. Ils avaient renvoyé la voiture vers la ligne secondaire, où l'on s'était rendu compte que le conducteur avait caché des armes à feu et des munitions.

16 M. Harrower a traité de ces incidents très brièvement dans son rapport. Il a déclaré au cours de son témoignage qu'il ne croyait pas que ces incidents avaient un rapport avec le refus de travailler du 18 août, car ils n'avaient aucune incidence directe sur les conditions existantes lors du refus.

17 M. Harrower a décrit le genre et l'étendue de la formation donnée aux agents des douanes et aux inspecteurs stagiaires, et, apparemment, il n'avait pas considéré cette formation comme déficiente au point de justifier le refus de travailler à cette occasion particulière. Il a également énoncé la politique en vigueur pour l'obtention de l'aide de la police. Il a bel et bien dit que [traduction] « les temps de réaction peuvent varier dans le temps », mais il a déclaré que l'actuelle instruction donnée aux agents de contacter le service central de répartition de la police régionale de Niagara assurait [traduction] « la réaction la plus rapide ».

18 Enfin, M. Harrower a fait référence à l'article du National Post cité par les employés. Il a conclu que [traduction] « rien qui corrobore les allégations du National Post n'a été avancé » et que l'article lui-même ne fournissait pas d'information fiable.

19 J'ai décrit le refus de travailler du 18 août 2005 et l'enquête subséquente en donnant certains détails pour deux raisons. Premièrement, il s'agissait nettement d'un cas où le processus enclenché par la décision de refuser de travailler en vertu de l'article 128 était le bon, de l'avis de M. Ferrusi. Certes, l'employeur n'a pas à l'origine mené une enquête interne, mais il y a été remédié une fois M. Harrower arrivé. Il est aussi à noter que M. Ferrusi a approuvé le processus, mais non la conclusion de M. Harrower selon laquelle il n'existait pas de danger; cette conclusion a été l'objet d'un appel qui n'était pas encore tranché à l'époque de la présente audience. Deuxièmement, le rapport de M. Harrower donne également un résumé assez complet des grandes questions qui ont été soulevées dans tous les refus de travailler se rapportant à la présente procédure.

20 Le 24 octobre 2005, il y a eu un autre refus de travailler, de la part d'environ 49 employés, y compris M. Ferrusi. M. Harrower était l'agent de santé et de sécurité que l'on avait appelé pour qu'il enquête sur ce refus, et il avait conclu qu'il n'existait pas de danger. Là encore, les employés sont retournés au travail.

21 Le refus du 24 octobre a été déclenché par [traduction] « un avis de surveillance d'individu armé et dangereux », qui a été résumé comme suit dans le rapport de M. Harrower (pièce E-4) :

[Traduction]

[…]

Dans les détails de l'avis de surveillance, il était mentionné que le suspect était un suspect principal dans un cambriolage récent, dans le secteur Lewiston, New York, cambriolage après lequel une arme automatique et une certaine quantité de minutions ont été déclarées comme manquantes, et il était spécifié que l'individu en question avait un lourd casier judiciaire aux États-Unis, ce qui incluait des condamnations pour agression de policier et homicide par négligence. On croyait en outre que l'individu conduisait une camionnette noire Chevy S1 dont les plaques d'immatriculation n'étaient pas connues.

[…]

Les agents avaient reçu l'instruction de suivre la politique de [traduction] « libération et notification ». Dans leur discussion avec M. Harrower lors de l'enquête, les employés avaient soulevé des questions liées au matériel, à la formation et à l'information semblables à celles qui avaient été examinées à l'époque du refus du 18 août. De plus, comme ils l'avaient fait le 18 août, les employés ont exprimé une préoccupation particulière à propos des difficultés à faire face à un individu dangereux dans le contexte d'un voyage en autobus.

22 Par suite de son enquête, M. Harrower avait conclu qu'aucune preuve n'indiquait que la personne faisant l'objet de l'avis de surveillance d'individu armé et dangereux était en train de traverser la frontière canadienne ou avait l'intention de le faire, qu'il était en possession d'armes à feu ou qu'il avait une résidence quelconque au Canada. M. Harrower avait conclu que le suspect n'était pas l'objet d'une [traduction] « chasse à l'homme » aux États-Unis, mais était simplement recherché pour interrogatoire au sujet du cambriolage; on avait alerté les autorités canadiennes pour leur demander d'informer les autorités américaines s'ils apercevaient le suspect. Il est dit dans le rapport de M. Harrower que [traduction] « […] des aspects des communications, des procédures et de la formation devraient être réévalués et améliorés pour accroître la marge globale de sécurité des employés dans cet environnement de travail », mais M. Harrower avait conclu que les politiques existantes suffisaient dans l'ensemble pour empêcher que les circonstances dans lesquelles s'inscrivait le refus constituent un danger au sens de la partie II du Code.

23 Le 11 novembre 2005, M. Ferrusi a déclaré au début de son quart de travail, c'est-à-dire vers 21 h 10, qu'il refuserait de travailler, sur le fondement d'une déclaration faite quelques jours plus tôt par l'honorable Anne McLellan, alors vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. M. Ferrusi avait initialement fait une déclaration orale en ce sens aux trois surintendants présents - Carol Chernish, Steve Jones et John Eldridge. M. Jones a ultérieurement établi un dossier pour consigner cette série d'événements (pièce E-7) et a rapporté comme suit la déclaration de M. Ferrusi :

[Traduction]

[…]

L'honorable Anne McLellan, vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a déclaré au Sénat que le gouvernement envisageait d'assurer une présence armée aux principaux points terrestres d'entrée au Canada. Cette déclaration est considérée comme équivalant à reconnaître un changement dans la position du gouvernement et à reconnaître que j'ai besoin d'une présence armée, sans laquelle je suis en danger.

[…]

Les avocats des plaignants ont fourni à la Commission une copie de la transcription du témoignage de la ministre McLellan au Comité sénatorial (pièce U-9) où est consignée vraisemblablement la déclaration de la ministre. M. Ferrusi a cependant témoigné qu'il avait basé son refus de travailler sur un compte rendu de cette déclaration dans un journal (pièce U-15), plutôt que sur une version officielle quelconque. Dans son témoignage, il a affirmé qu'il considérait comme très significatif que la ministre McLellan, qui était en définitive responsable des activités de l'employeur, semblait appuyer la position qui avait été adoptée par lui et de nombreux autres employés.

24 Dans le refus de travailler, M. Ferrusi a fini par être rejoint par environ 28 autres employés. Dans la plupart des cas, les formulaires dans lesquels ces employés ont officiellement consigné leur refus de travailler comportaient en annexe une déclaration dactylographiée, qui se lit comme suit :

[Traduction]

Déclaration de refus de travailler

La vice-première ministre Anne McLellan a, le 31 octobre 2005, annoncé au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense qu'elle avait donné mandat au président de l'Agence des services frontaliers du Canada et au commissaire de la GRC de lui présenter des options quant à la manière dont le gouvernement du Canada assurera une présence armée accrue à la frontière.

L'annonce de la vice-première ministre selon laquelle la frontière a besoin d'une présence armée confirme mon opinion que mon lieu de travail n'est pas sûr.

Il n'y a actuellement pas de présence policière à mon lieu de travail. Ni moi ni l'un quelconque de mes collègues n'avons la formation ou les instruments appropriés.

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense a rapporté en juin 2005 que la direction des Douanes avait modifié un rapport indépendant qui confirmait qu'il devrait y avoir une présence armée à la frontière.

Certains des formulaires relatifs aux refus de travailler comportaient en outre des observations manuscrites supplémentaires comme celles-ci :

[Traduction]

On me laisse dans le noir quant au danger que je pourrais devoir affronter et je suis incapable de réagir de manière appropriée, à cause d'un système informatique qui fait problème, ainsi que d'un manque de données introduites dans le SASLIP et le SIED.

On ne me donne pas accès à tous les avis de surveillance d'individus armés et dangereux connus qui figurent dans les bases de données du CIPC et du NCIC pendant le travail à la ligne d'inspection primaire, soit notre premier point de contact avec les gens qui voyagent.

25 M. Jones a témoigné qu'il avait commencé à consulter d'autres gestionnaires au sujet du refus de travailler et à prendre des dispositions pour que du personnel de gestion se charge de certaines des responsabilités des employés ayant retiré leurs services. En particulier, M. Jones avait consulté M. Peter Morocco, le directeur de district, qui s'était rendu en personne à Fort Erie, où il était arrivé vers minuit le 11 novembre. À ce moment-là, selon M. Jones, il y avait seulement cinq employés, dont M. Ferrusi, qui maintenaient leur refus de travailler. M. Morocco a été mis au courant de la situation, puis a entrepris de rencontrer le groupe d'employés refusant de travailler. Lors de cette rencontre, il a remis à chacun de ces employés une lettre portant sa signature. Cette lettre dit ceci :

[Traduction]

[…]

La présente lettre est une réponse à votre refus, en date d'aujourd'hui, basé sur le fait qu'il n'y a pas de présence armée à votre lieu de travail. L'employeur a examiné les circonstances de votre actuel refus et déterminé qu'elles sont identiques à celles de l'abandon de travail du 18 août 2005.

L'enquête du 18 août 2005 de l'agent de santé et de sécurité du programme du Travail de RHDSC a conduit à une décision selon laquelle il n'existe pas de danger. L'opinion de l'agent à cette époque était qu'aucune preuve n'indiquait qu'il fallait une présence armée à Peace Bridge. Se fondant sur l'avis écrit d'absence de danger de l'agent de santé et de sécurité qui vous a été remis le 19 août 2005, l'employeur estime que vos actions actuelles constituent un maintien de refus. Vous n'êtes plus en droit de continuer à refuser de travailler en vertu de l'article 128 ou du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail, partie II (le Code).

Donc, je vous demande de reprendre vos fonctions immédiatement. Le maintien de votre refus de vous présenter au travail sera considéré comme une absence non autorisée et vous ne recevrez pas de rémunération pour le reste de votre quart de travail. De plus, des mesures disciplinaires pourront être prises, ce qui pourrait inclure une sanction pécuniaire.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l'original]

Cette lettre a également été remise aux autres employés qui avaient initialement été partie au refus de travailler. M. Ferrusi a témoigné que, lorsque M. Morocco lui avait remis ainsi qu'aux autres employés la lettre, M. Morocco a dit que cette lettre représentait la position officielle de l'ASFC, et qu'il n'avait [traduction] « aucune latitude » dans ses discussions avec eux. M. Morocco a déclaré qu'il ne se souvenait pas d'avoir fait une déclaration de ce genre et qu'il avait cru comprendre que la lettre avait été rédigée au bureau régional; il n'était pas au courant d'une lettre presque identique (pièce U-10) qui avait été remise à un employé de l'ASFC de la Colombie-Britannique.

26 M. Ferrusi a témoigné qu'il était incertain de la position dans laquelle lui et ses collègues étaient à ce stade-là. Il avait demandé à M. Morocco s'ils pourraient avoir l'occasion d'en discuter, et M. Morocco leur avait permis de rester dans la salle de conférence. M. Ferrusi avait décidé de contacter RHDSC et avait joint Darlene Tunney, agente de santé et de sécurité. Il a déclaré que les employés avaient reçu une lettre les menaçant d'une mesure disciplinaire et indiquant que l'employeur considérait qu'il s'agissait non pas d'un nouveau refus de travailler nécessitant une enquête mais plutôt d'un maintien du refus du 18 août. Mme Tunney avait dit qu'elle [traduction] « ferait des appels » et qu'elle recontacterait M. Ferrusi. Avant que Mme Tunney rappelle, a témoigné M. Ferrusi, il avait été convenu entre les employés qu'ils retourneraient tous au travail pour ne pas s'exposer à des mesures disciplinaires.

27 Mme Tunney a affirmé qu'elle était entrée en communication avec un représentant de l'employeur - elle présumait que c'était M. Morocco - et lui avait communiqué les demandes de renseignements de M. Ferrusi. Elle a déclaré que M. Morocco lui avait dit que la position de l'employeur était que le refus de travailler des employés devrait en fait être considéré comme un maintien du refus du 18 août 2005 et que cela justifiait la mention d'une mesure disciplinaire; le corollaire était qu'une enquête sur le refus de travailler ne serait pas effectuée. Mme Tunney a demandé si l'employeur [traduction] « voulait vraiment suivre cette voie », et M. Morocco a répondu que c'était devenu la [traduction] « position nationale » de l'employeur. Mme Tunney a affirmé que, lorsqu'elle avait téléphoné à M. Ferrusi pour lui parler à nouveau, les employés étaient retournés au travail, et aucune enquête n'avait été entreprise quant aux circonstances dans lesquelles s'inscrivait ce refus.

28 Mme Tunney a exprimé son point de vue personnel que, bien qu'il puisse y avoir des situations où les actions d'employés constituent un [traduction] « maintien » d'un refus de travailler qui avait été jugé non fondé, il n'était pas loisible à l'employeur de déterminer unilatéralement les situations comparables et de refuser d'entreprendre le processus d'enquête. Elle estimait que chaque nouveau refus de travailler devrait être l'objet d'une enquête et qu'il devrait être possible aux employés de demander que des agents de santé et de sécurité impartiaux évaluent les circonstances.

29 Les plaignants ont déposé chacun une plainte relativement à ce refus du 11 novembre, alléguant que la décision de l'employeur de traiter le refus comme le maintien d'un précédent refus et d'exclure la possibilité d'une enquête était contraire au Code.

30 Au cours de son quart de travail du 16 novembre 2005, M. Ferrusi avait reçu un appel de l'un de ses homologues au point d'entrée de Windsor désireux de savoir si lui et ses collègues avaient reçu un avis particulier de surveillance d'individu armé et dangereux. M. Ferrusi avait répondu que non, et l'agent de Windsor lui avait envoyé par télécopie une copie. Cet avis de surveillance se rapportait à un individu ayant commis une agression sexuelle en Californie; l'avis précisait qu'il était possible que l'individu soit en route vers une destination canadienne inconnue, à bord d'un autobus Greyhound. M. Ferrusi avait effectué une vérification de données concernant cette personne dans le SASLIP. Ainsi, M. Giornofelice avait décidé, vers 17 h, qu'il refuserait de travailler et avait demandé à M. Ferrusi d'être le représentant en matière de santé et de sécurité aux fins de l'enquête. Un refus écrit de travailler a été présenté au surintendant, M. Jones, qui était de service. Le surintendant a déclaré qu'il parlerait à ses supérieurs hiérarchiques pour déterminer la voie à suivre.

31 Vers 17 h 15, d'après le dossier établi par M. Jones (pièce E-8), un certain nombre d'autres agents s'étaient joints à M. Giornofelice dans le refus de travailler. À 17 h 20, M. Jones avait informé M. Ferrusi qu'aucune enquête interne ne serait effectuée et il lui avait donné pour instruction de retourner travailler à la ligne d'inspection primaire. À ce stade, M. Ferrusi avait également refusé de travailler, ce qui portait à 18 le nombre d'employés ayant opposé ce refus. M. Morocco avait été prié de se rendre sur place et s'était adressé aux employés vers 17 h 55. Il leur avait remis une lettre semblable à celle qui avait été remise aux employés le 11 novembre, les avisant que l'employeur considérait ce refus comme un maintien du refus du 24 octobre 2005 et les informant de la possibilité d'une mesure disciplinaire. M. Ferrusi avait fourni à M. Morocco une copie de l'article 147.1 du Code et avait déclaré qu'il ne pensait pas que l'employeur avait le pouvoir d'adopter l'approche choisie. Selon M. Ferrusi (mais là encore M. Morocco a affirmé qu'il ne se souvenait pas d'avoir fait ces déclarations), M. Morocco avait dit que c'était [traduction] « la voie que suivait l'ASFC » et que, personnellement, il n'avait aucune latitude pour adopter une approche différente.

32 M. Ferrusi a affirmé qu'il avait demandé si les employés ayant opposé le refus pourraient avoir la possibilité de consulter sur leur position. M. Morocco et les autres gestionnaires avaient quitté la salle de conférence vers 18 h. M. Ferrusi a affirmé qu'il avait téléphoné à RHDSC et qu'il avait parlé à Paul Danton. M. Danton est un gestionnaire de la conformité qui a certaines responsabilités de surveillance; il agit en outre comme agent de santé et de sécurité aux fins du Code. M. Ferrusi avait demandé si M. Danton pourrait mener une enquête sur le refus de travailler. M. Danton avait dit qu'il rappellerait, et M. Ferrusi ainsi que les autres employés avaient attendu dans la salle de conférence. Vers 18 h 30, d'après M. Ferrusi, M. Morocco était arrivé et avait posé la question de savoir s'ils retournaient au travail. Les employés avaient demandé plus de temps, et M. Morocco avait de nouveau quitté la pièce.

33 M. Danton a témoigné qu'il était chez lui quand il avait reçu l'appel de M. Ferrusi. Il avait parlé à M. Morocco, qui avait expliqué la position de l'employeur selon laquelle les questions soulevées par le refus de travailler étaient semblables à celles soulevées relativement à un avis de surveillance d'individu armé et dangereux en date du 24 octobre 2005, et avaient déjà été réglées lors de la précédente enquête. M. Danton avait également parlé à un conseiller technique du bureau de Toronto et avait demandé s'il serait possible de mener une enquête en tenant une conférence téléphonique plutôt qu'en allant sur place, puisque, à ce stade, le refus de travailler durait depuis un certain temps. M. Danton avait alors avisé MM. Morocco et Ferrusi qu'il s'entretiendrait avec eux par téléphone.

34 Pendant le contre-interrogatoire, on a présenté à M. Danton une directive en matière de programme opérationnel (pièce U-4) couvrant l'enquête sur les refus de travailler menée par les agents de santé et de sécurité. Bien que cette directive envisage qu'une enquête puisse être menée par téléphone, elle indique aussi que, comme le paragraphe 129(1) du Code traite d'une enquête menée « en présence de » l'employeur et des employés, une enquête par téléphone devrait être utilisée à titre de [traduction] « dernier recours ». M. Danton a expliqué que son intention était de déterminer par téléphone s'il y avait d'autres circonstances que ce qu'il avait compris des propos de MM. Morocco et Ferrusi, et qu'il se serait rendu sur place s'il l'avait jugé nécessaire.

35 La conférence téléphonique avait commencé vers 19 h. Les témoins qui ont décrit la téléconférence - MM. Ferrusi, Danton et Morocco - étaient jusqu'à un certain point en désaccord sur la durée de cette conférence. M. Danton pensait que la téléconférence avait duré 15 ou 20 minutes, M. Ferrusi s'en souvenait comme d'une conférence ayant duré environ de 8 à 10 minutes, et M. Morocco croyait qu'elle avait duré 20 ou 30 minutes. La chronologie établie par M. Jones spécifiait que la conférence avait commencé à 19 h et que, à 19 h 15, M. Morocco donnait pour instruction aux employés de retourner au travail; cela indique que la durée de la conférence peut correspondre davantage à ce dont se souviennent MM. Ferrusi et Danton, à savoir que la conférence a été plutôt brève.

36 Quoi qu'il en soit, la conférence a principalement porté sur les demandes de renseignements de M. Danton à M. Ferrusi à propos des caractéristiques qui distingueraient les circonstances du 16 novembre de celles du 24 octobre. M. Ferrusi a expliqué que tous les avis de surveillance d'individu armé et dangereux présentent différentes conditions; dans ce cas-ci, des choses comme le casier judiciaire de l'individu visé par l'avis, le degré de violence possible et la possibilité que l'individu arrive par autobus ajoutaient de nouveaux éléments à la situation. M. Danton a fini par accepter l'argument de l'employeur selon lequel le scénario de base - un avis de surveillance d'individu armé et dangereux exigeant de la vigilance- était semblable à celui du 24 octobre, les détails de l'identité de l'individu pouvant toutefois différer; il avait conclu qu'il n'existait pas de danger.

37 En arrivant à cette conclusion, M. Danton n'avait pas à portée de la main les formulaires de refus de travailler, l'avis de surveillance d'individu armé et dangereux ou la lettre distribuée aux employés, mais il a bel et bien procédé à une enquête complète et remis aux parties un rapport écrit (pièce E-6) contenant ses conclusions.

38 Après que M. Danton eut communiqué aux participants à la conférence téléphonique sa conclusion selon laquelle il n'existait pas de danger, les employés étaient retournés au travail. Ils ont subséquemment été avisés que l'employeur déduirait de leur rémunération une heure de salaire pour la période du 16 novembre allant de 18 h à 19 h. La preuve montrait que, pendant cette période, les employés étaient restés dans la salle de conférence avec l'accord de M. Morocco; c'était pendant ce temps qu'ils avaient contacté M. Danton et avaient attendu qu'il décide de la manière de procéder. La période a pris fin avec le début de la conférence téléphonique à laquelle a participé M. Danton. La position de l'employeur était que la déduction salariale n'avait pas le caractère d'une mesure disciplinaire mais était attribuable au fait que les employés ne travaillaient pas, tandis qu'ils auraient normalement dû travailler, et qu'ils ne pouvaient donc s'attendre à être payés.

39 MM. Ferrusi et Giornofelice ont déposé des plaintes, alléguant que l'employeur n'avait pas bien suivi le processus d'enquête prévu dans le Code et que la déduction salariale dans les circonstances n'était pas justifiée.

Résumé de l'argumentation

40 L'avocat de l'employeur, Richard E. Fader, a argué que l'employeur avait traité correctement les refus de travailler des 11 et 16 novembre 2005, en adoptant comme position qu'il s'agissait de maintiens de précédents refus. Il m'a renvoyé aux décisions suivantes du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) : Christine Nugent c. Travailleurs en communication du Canada et Bell Canada, [1982] CCRI Décision no 360; Dave Davies c. Key Lake Mining Corporation, [1987] CCRI Décision no 660. Dans ces cas, le CCRI a statué que, une fois qu'une conclusion faisant autorité et indiquant une absence de danger avait été rendue, le droit de l'employé de refuser de travailler expirait. Dans l'affaire Nugent, le CCRI a statué qu'une perte de salaire n'était pas une « sanction pécuniaire ou autre » au sens de la disposition équivalant à l'article 147 du Code. Dans Hutchinson c. Conseil du Trésor (Environnement Canada), dossier de la CRTFP 160-2-52 (1998) (QL), la Commission a conclu que, une fois qu'il a été déterminé qu'il n'existe pas de danger, l'employé ne peut plus avoir des motifs raisonnables de refuser de travailler, et le refus de travailler de l'employé peut constituer un recours abusif aux dispositions du Code, de sorte que l'employeur est alors en droit de prendre des mesures disciplinaires.

41 Me Fader a soutenu que, bien que le présent cas ne se rapporte pas à du matériel, comme dans Nugent, ou à un contact avec une substance, comme dans Davies, elle a bel et bien trait à une répétition des mêmes questions, mais dans des circonstances factuelles légèrement différentes. Ce sont ces questions fondamentales - les questions de formation, de matériel et d'information - soulevées par les employés qui sont au cour du refus et non les légères variations dans les circonstances factuelles à chaque occasion. Dans le cas des deux avis de surveillance d'individu armé et dangereux en date du 24 octobre et du 16 novembre, par exemple, il est vrai qu'ils visaient deux individus différents qui se trouvaient à deux endroits différents. Toutefois, les refus étaient basés non pas sur ces distinctions factuelles mais sur les préoccupations générales de M. Ferrusi et d'autres employés, lesquelles préoccupations avaient été exprimées un certain nombre de fois et à l'égard desquelles M. Harrower avait conclu le 24 octobre qu'il n'existait pas de danger. Me Fader a cité la décision rendue dans un appel d'une décision par un agent de santé et de sécurité dans Stone c. Canada (Service correctionnel), [2002] D.A.A.C.C.T. no 27. L'agent des appels dans ce cas a fait les observations suivantes :

[…]

[51] Sous leur forme actuelle, les dispositions du Code sur le droit de refuser de travailler n'ont pas été conçues comme un outil pour régler des problèmes à long terme comme celui qu'a cerné M. Stone dans la présente espèce. Le droit de refuser de travailler prévu par le Code reste une mesure d'urgence prévue pour composer avec des situations où l'on peut raisonnablement s'attendre à ce que l'employé soit blessé lorsqu'il sera exposé au danger, à la situation ou à la tâche. Toutefois, il ne peut s'agir d'un danger qui fait partie intégrante des conditions de travail normales ou des conditions normales d'emploi. Cette déclaration, à elle seule, est lourde de conséquences pour les agents de correction. Étant donné que la probabilité de violence fait partie des conditions d'emploi des agents de correction, lesquels sont spécifiquement formés pour composer avec ces situations, il est très difficile d'envisager une situation, dans un tel environnement, où le risque de violence pourrait justifier un refus de travailler autrement que dans des circonstances exceptionnelles et spécifiques.

[…]

42 Me Fader a déclaré que cette question a d'importantes conséquences opérationnelles pour l'employeur. Le refus de travailler d'un certain nombre d'employés peut causer un sérieux dérangement et un préjudice pécuniaire aux personnes qui comptent sur des procédures efficaces à la frontière, même si le refus de travailler fait l'objet d'une enquête assez rapidement. L'employeur continue de prendre part aux efforts pour régler les questions générales que le personnel frontalier a soulevées. Cependant, si l'employeur ne peut à un moment donné traiter les refus de travailler comme ayant déjà été résolus, ce peut être lourd de conséquences.

43 Andrew Raven, avocat des plaignants, a argué qu'il n'est pas loisible à l'employeur de décider unilatéralement qu'un refus de travailler est basé sur des motifs identiques à ceux d'un précédent refus, et de refuser de suivre le processus d'enquête prévu dans le Code. Contrairement à ce qu'il en était dans Nugent, Davies et Hutchinson, où le matériel ou la condition ayant déclenché le refus de travailler était un facteur stable dans l'environnement de travail, les situations auxquelles doivent réagir les agents des douanes sont instables et comportent une vaste gamme de caractéristiques. M. Ferrusi a reconnu qu'il y a des risques inhérents à son emploi et qu'il n'opposait pas un refus de travailler dans toutes les situations où un avis de surveillance d'individu armé et dangereux avait été lancé. Lui et les autres employés se servaient de leur jugement à l'égard de risques accrus correspondant à des situations particulières, et l'employeur n'était pas en droit de contourner la procédure énoncée dans le Code sur le fondement de sa propre évaluation selon laquelle ces risques n'existaient pas. De plus, contrairement à ce qu'il en était dans Brisson et Roy c. VIA Rail Canada Inc., [2004] CCRI Décision no 273, soit une décision également citée par Me Fader, les employés étaient à chaque occasion retournés au travail lorsqu'une conclusion d'absence de danger avait été rendue par un agent de santé et de sécurité et ils s'étaient prévalu de leurs droits d'appel plutôt que de maintenir leur refus.

44 Me Raven a cité les propos suivants tenus dans Ontario (Ministry of Labour) v. Hamilton (City) (2002), 58 O.R. (3d) 37 (C.A.) :

[Traduction]

[…]

[16] La LSST est une loi d'intérêt public réparatrice visant à garantir un niveau minimum de protection pour la santé et la sécurité des travailleurs. En interprétant une mesure législative de ce genre, il importe de tenir compte de certains principes directeurs. Une législation protectrice conçue pour promouvoir la santé et la sécurité du public doit être généreusement interprétée, de façon conforme aux objectifs du régime législatif. Il faut éviter les interprétations étroites ou techniques qui entraveraient la réalisation des objectifs du législateur en matière de bien public.

[…]

45 L'avocat m'a également renvoyé à un certain nombre de décisions examinant les responsabilités respectives de l'employé et de l'employeur relativement à un refus de travailler. Dans Michael P. Chaney c. Auto Haulaway Inc., [2000] CCRI Décision no 47, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a déclaré :

[…]

[26] Dans les cas de ce genre, il importe particulièrement de déterminer si l'employé qui a exercé le droit de refuser de travailler avait des motifs raisonnables de croire qu'un danger existait. À cet égard, le Conseil a toujours retenu l'interprétation la plus large possible du concept de motifs raisonnables.

[27] Le but de la législation est de prévenir les accidents et les blessures au travail. Cet objectif ne peut être atteint si les employés sont dissuadés de signaler des conditions dangereuses possibles parce que la charge d'établir le bien-fondé de leurs craintes est trop lourde. Lorsque les employés se plaignent que des mesures de représailles ont été prises à leur endroit parce qu'ils ont exercé leur droit de refuser de travailler aux termes du Code, il faut en premier lieu chercher à connaître les raisons pour lesquelles l'employeur a décidé de prendre des mesures disciplinaires au lieu de s'interroger sur le caractère raisonnable du refus de l'employé […]

[…]

46 Il est à noter que, dans Chaney, le CCRI siégeait, en vertu de dispositions du Code qui ont subséquemment été modifiées, relativement à un renvoi d'une décision d'un agent de santé et de sécurité et jouait le rôle que tient un agent d'appel en vertu des dispositions actuelles. Cela signifie que sa tâche incluait le fait de déterminer si l'employé avait des motifs raisonnables de refuser de travailler, tâche qui ne m'a pas été soumise. Néanmoins, l'extrait de Chaney semble bel et bien reconnaître l'importance accordée par Me Raven à l'inversion de la charge de la preuve qui est prévue au paragraphe 133(6) du Code.

47 Ce point a été réitéré dans Kenneth G. Lequesne c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2004] CCRI Décision no 276 :

[…]

[73] En imposant le fardeau de la preuve à l'employeur, le Code crée une importante exception à la règle générale selon laquelle le fardeau de la preuve incombe au plaignant. L'inversion du fardeau de la preuve repose sur le principe selon lequel les employés doivent être libres d'exercer leurs droits légitimes sans en être entravés par une coercition de l'employeur.

[…]

48 Dans Kinhnicki et Dupuis c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 52, l'arbitre de grief a fait ce commentaire :

[…]

[40] L'effet combiné des articles 147 et 147.1 répond à deux objets. D'une part, celui d'exiger des employés qu'ils se conforment aux processus prescrits aux articles 128 et 129 en les exposant à des sanctions immédiates ou à des mesures disciplinaires en cas de non-respect. D'autre part, celui de permettre que l'évaluation de la question de savoir si un danger existait réellement passe par tous les paliers de révision avant que l'on détermine si une mesure disciplinaire doit être imposée. Même alors, la mesure disciplinaire est limitée aux cas où l'employé exerce délibérément son droit de refuser de travailler de façon abusive. La condition selon laquelle l'employeur doit démontrer le caractère délibéré de l'exercice abusif indique une intention profonde d'accorder aux employés le bénéfice du doute lorsqu'ils invoquent leur droit de refuser de travailler conformément à l'article 128.

[…]

49 Me Raven a souligné que l'employeur s'était explicitement abstenu de contester la bonne foi des employés ayant pris part aux refus de travailler, dont M. Ferrusi, et il a soutenu que l'employeur n'était donc pas en droit de considérer les actions de ces employés comme un recours abusif au processus parce que ces actions faisaient partie de quelque campagne plus vaste.

Motifs

50 Concernant les présentes plaintes, ma fonction n'est pas d'évaluer substantiellement le bien-fondé de la décision de M. Ferrusi de refuser de travailler les 11 et 16 novembre. Le Code prévoit qu'une enquête d'un agent de santé et de sécurité et un appel selon l'article 146 serviront à la détermination approfondie de la légitimité d'un refus de travailler. Ma tâche se limite à déterminer si l'employeur était en droit d'exclure le recours à ces mécanismes en considérant les refus de travailler comme [traduction] « un maintien » de refus de travailler antérieurs et s'il était en droit, relativement au 16 novembre, de déduire une heure de salaire pour la période non travaillée par M. Ferrusi. La tâche comporte aussi la détermination de la question de savoir si les actions de l'employeur qui remontent au 11 et au 16 novembre constituaient une violation de l'article 147 du Code.

51 La preuve indique que, le 11 novembre, l'employeur a adopté la position selon laquelle les employés n'étaient pas en droit de [traduction] « maintenir » leur refus de travailler, et ils sont retournés au travail conformément à l'instruction qui leur en avait été donnée. Malgré les questions soulevées par Mme Tunney, il n'y a pas eu d'enquête interne, et aucune enquête n'a été faite par un agent de santé et de sécurité de RHDSC.

52 Pour ce qui est du 16 novembre, le tableau est un peu plus obscur. Lorsque M. Danton a été contacté, il a mené ce qu'il considérait comme une enquête, mais par téléphone, et il a établi un rapport écrit énonçant ses raisons pour conclure à l'absence de danger, comme il l'aurait fait dans toute autre enquête. M. Morocco disait que l'employeur n'assimilait pas la conversation téléphonique avec M. Danton à une enquête et qu'il pensait qu'aucune enquête n'était nécessaire, étant donné la position adoptée par l'employeur. M. Ferrusi a affirmé que, indépendamment de la question de savoir si M. Danton estimait mener une enquête ou non, le processus n'a pas été suivi correctement du point de vue des employés : il n'y a pas eu d'enquête interne, et la discussion téléphonique avec M. Danton n'était pas une enquête adéquate sur les raisons du refus. En ce qui a trait à la déduction salariale, M. Ferrusi a dit que lui et les employés croyaient que l'heure qu'ils avait passée dans la salle de conférence avant la téléconférence avec M. Danton faisait partie du processus de refus de travailler. Comme ils contestaient la légitimité de la voie suivie par l'employeur et qu'ils espéraient que M. Danton accepterait de mener une enquête, ils ne refusaient pas de se conformer à une instruction appropriée de retourner au travail. Ils étaient confortés dans cette opinion par le fait que M. Morocco les avait autorisés à continuer d'utiliser la salle de conférence et ne leur avait pas directement enjoint de reprendre le travail.

53 Bon nombre des cas cités par l'avocat donnaient des indications et étaient utiles à bien des égards, mais ni l'une ni l'autre des parties n'ont pu me fournir un cas comportant exactement les présentes circonstances - c'est-à-dire les circonstances où l'employeur considérait un refus de travailler comme un maintien d'un refus antérieur et n'a donc pas reconnu qu'il convenait de suivre la procédure énoncée dans le Code (enquête interne, enquête par un agent de santé et de sécurité et appel).

54 Il semble clair que la procédure régissant les refus de travailler qui est énoncée dans le Code est destinée à assurer une protection à l'employé dont l'évaluation de ses propres circonstances de travail est que celles-ci comportent un risque de se blesser ou de tomber malade. Cet employé est en droit de refuser de travailler - et est à l'abri des conséquences disciplinaires qu'aurait normalement un tel abandon de travail - jusqu'à ce qu'il soit possible que la menace alléguée en matière de santé et de sécurité soit l'objet d'une enquête. Dans certains cas, l'employeur peut reconnaître que le risque décrit par l'employé existe et il peut s'engager à améliorer la situation. Dans d'autres cas, l'employeur et l'employé peuvent ne pas être d'accord quant à l'existence d'un risque, et une partie externe - un agent de santé et de sécurité employé par RHDSC - peut être prié de faire une évaluation du risque. Pendant tout ce processus d'enquête, l'employé est en droit de s'abstenir de reprendre le travail.

55 Une fois que l'agent de santé et de sécurité a définitivement déterminé qu'il n'existe pas de danger, l'employé est tenu de retourner au travail. Le recours qui est alors disponible, si l'employé est encore convaincu qu'il y a un risque, est le processus d'appel. C'est seulement au terme de l'ensemble de ce processus que l'employeur peut envisager de prendre des mesures disciplinaires à l'égard d'un employé qui a délibérément utilisé le processus de façon abusive.

56 Certes, ce processus est destiné à offrir un recours aux employés désireux qu'une question de santé ou de sécurité soit réglée, mais il reconnaît aussi les intérêts opérationnels de l'employeur. Le système prévoit que les étapes d'enquête de la procédure seront menées promptement. Une fois que l'agent de santé et de sécurité a communiqué l'opinion selon laquelle il n'existe pas de danger, l'employé est tenu de retourner au travail et il doit attendre l'issue de l'appel, s'il y en a un.

57 En ce qui concerne les présentes plaintes, l'employeur adopte comme position que les résultats des enquêtes faites par M. Harrower le 18 août et le 24 octobre ont réglé la question de savoir s'il existait un danger pour M. Ferrusi et que les procédures énoncées dans le Code n'ont donc pas de rapport avec les événements des 11 et 16 novembre, qui étaient simplement des manifestations courantes des mêmes situations existant aux dates antérieures.

58 Je ne trouve rien dans les dispositions du Code qui permettrait à l'employeur d'adopter cette position unilatéralement. Il est évidemment un peu difficile de voir comment l'environnement de travail des agents des douanes et les circonstances soulevées par les employés comme fondement des refus de travailler s'intègrent dans une affirmation selon laquelle « […] l'accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé ». Il est sans aucun doute également difficile de déterminer quels dangers sont inhérents à l'emploi et quels dangers peuvent représenter des motifs légitimes de refuser de travailler. Ce sont des questions qu'un agent de santé et de sécurité et un agent d'appel peuvent à juste titre examiner. Jusqu'à un certain point, M. Danton a bel et bien examiné ces questions lors de son enquête téléphonique du 16 novembre, mais l'employeur n'a pas considéré que c'était effectivement une enquête. La question en l'espèce est de savoir si l'employeur peut unilatéralement décider que les circonstances à deux occasions sont tellement semblables qu'il n'y a en fait qu'un refus de travailler.

59 Il faut se rappeler que le droit de refuser de travailler est un droit qui appartient en premier lieu à un employé individuel. Il peut y avoir d'autres employés qui partagent une préoccupation et décident de refuser eux aussi de travailler. Il peut y avoir des questions soulevées comme fondement d'un refus de travailler qui sont examinées par le syndicat représentant les employés ou, lorsqu'il s'agit d'une préoccupation générale, par un comité de santé et de sécurité au travail. Néanmoins, le Code exige que les préoccupations de l'employé individuel ayant conduit à un refus particulier de travailler soient abordées conformément aux dispositions du Code.

60 Dans le cas de l'incident du 16 novembre, un appel pourrait aboutir à une conclusion selon laquelle toutes les situations de surveillance d'individu armé et dangereux représentent simplement un risque du métier, bien qu'il soit difficile d'imaginer qu'il n'y aurait pas un certain fondement pour décider que certaines de ces situations sont plus risquées que d'autres. M. Ferrusi lui-même a dit qu'il n'a pas refusé de travailler à toutes les occasions où un avis de surveillance d'individu armé et dangereux avait été lancé, mais qu'il estimait qu'il y avait des risques particuliers liés aux deux cas du 24 octobre et du 16 novembre. En outre, le processus relatif à l'incident du 11 novembre pourrait aboutir à une conclusion selon laquelle toutes les déclarations de politiciens sont générales et ne définissent pas en soi des situations comme représentant des risques. Le fait est qu'il n'est pas loisible à l'employeur de décider unilatéralement de considérer des situations comme des continuations de précédentes situations, sans permettre aux employés d'invoquer les procédures destinées à leur assurer des moyens d'obtenir une évaluation des dangers au travail qui soit indépendante des tensions et des pressions opérationnelles du lieu de travail. En déterminant que les situations des 11 et 16 novembre étaient [traduction] « simplement comme » celles du 18 août et du 24 octobre respectivement, l'employeur a unilatéralement tranché une question que la procédure d'enquête était destinée à résoudre et il a refusé à M. Ferrusi et à d'autres employés la possibilité de contester cette caractérisation devant un agent de santé et de sécurité et finalement devant un agent d'appel.

61 La preuve présentée à l'audience indique que l'employeur a adopté l'approche qui a été la sienne en raison de la perturbation causée à ses opérations à la frontière par des refus répétés de travailler de la part d'employés à Fort Erie et ailleurs. Son approche se fondait sur des motifs qu'il considérait comme semblables et qui étaient l'objet d'une vaste discussion aux niveaux des comités de santé et de sécurité au travail, dans l'élaboration des politiques de l'employeur de même que sur la scène politique et la scène publique. À long terme, ces questions peuvent être réglées à l'un quelconque de ces niveaux ou grâce à une jurisprudence générale issue des appels à l'égard de cas individuels.

62 Je ne suis toutefois pas habilité à traiter de ces questions dans un cadre si vaste. On m'a demandé d'examiner simplement la question de savoir si l'employeur a violé les dispositions du Code en traitant les refus de travailler des 11 et 16 novembre comme des maintiens des précédents refus de travailler du 18 août et du 24 octobre, ainsi que la question de savoir si les déclarations de l'employeur et les lettres distribuées aux employés les 11 et 16 novembre constituaient des menaces de représailles allant à l'encontre de l'article 147. On se rappellera que, à l'époque de ces précédents refus de travailler, M. Harrower avait conclu qu'aucun danger n'existait dans l'un ou l'autre cas. Les employés sont retournés au travail quand il a rendu ces conclusions, puis ont interjeté appel. Il n'y a pas eu de décision de l'agent d'appel dans l'un ou l'autre cas. On peut peut-être comprendre le mécontentement de l'employeur qui a conduit ce dernier à considérer les refus de travailler des 11 et 16 novembre comme de simples maintiens de ces précédents refus. Cependant, permettre à l'employeur de ne pas tenir compte du processus ou de tronquer celui-ci en déterminant unilatéralement qu'il n'y avait pas de distinctions factuelles importantes entre ces événements reviendrait à refuser aux employés la chance de contester cette assertion par les moyens prévus au Code. Outre qu'il peut actuellement contester l'assertion d'un employé voulant qu'un risque existe, l'employeur pourrait décider qu'une telle assertion devrait être ignorée et ne devrait pas faire l'objet d'un examen.

63 Concernant la déduction salariale pour l'heure se situant entre 18 h et 19 h le 16 novembre, les employés attendaient alors de savoir si M. Danton mènerait une enquête, et cette période s'est terminée lorsque la téléconférence avec M. Danton a commencé. L'employeur disait qu'il s'agissait non pas d'une réaction d'ordre disciplinaire, mais simplement d'un calcul salarial lié au temps pendant lequel les employés ne travaillaient pas après que l'employeur eut fait savoir clairement qu'il ne considérait pas que le refus de travailler était légitime.

64 J'ai conclu que l'employeur n'était pas en droit de contourner le processus d'enquête en affirmant simplement qu'il s'agissait non pas d'un nouveau refus de travailler mais du maintien d'un précédent refus. J'ai également conclu que l'employeur n'a pas satisfait à l'exigence prévue au paragraphe 133(6) du Code et consistant à prouver qu'il ne s'agissait pas d'un refus de verser une rémunération pour une période durant laquelle les employés exerçaient leurs droits au sens de l'article 147 du Code et que les lettres et les déclarations communiquées aux employés constituaient des menaces injustifiées en vertu de l'article 147.

65 L'employeur a pour la première fois adopté sa nouvelle approche des refus de travailler le 11 novembre, en annonçant qu'il adoptait comme position que le refus de travailler basé sur une nouvelle déclaration de la vice-première ministre était [traduction] « un maintien » du refus de travailler du 18 août et en remettant aux employés ayant opposé un refus de travailler une lettre indiquant que des mesures disciplinaires pourraient s'ensuivre si les employés ne retournaient pas au travail. La réaction des employés à cette occasion a été de reprendre le travail plutôt que de devoir faire face à la perspective d'une mesure disciplinaire, même avant que Mme Tunney ait rappelé pour aviser les employés qu'elle estimait que l'approche de l'employeur n'était pas conforme au Code.

66 Le 16 novembre, l'employeur a adopté la même approche, reliant le refus de travailler au refus du 24 octobre, qui se rapportait à un différent avis de surveillance d'individu armé et dangereux et, là encore, en distribuant une lettre qui faisait état de la possibilité de mesures disciplinaires. Le témoignage de M. Ferrusi était que les employés se retrouvaient ainsi dans un doute considérable quant à leurs droits. Selon M. Ferrusi, la période pendant laquelle les employés étaient dans la salle de conférence et durant laquelle ils ont établi un contact initial avec M. Danton et discuté de ce qui arrivait, était une période où ils exerçaient leur droit de refus en vertu du Code. Ils ont en outre eu des signaux déroutants de la part des représentants de l'employeur, qui, outre l'avertissement dans la lettre, n'ont pas directement donné l'ordre de reprendre le travail mais ont en fait permis aux employés de continuer à utiliser la salle de conférence pour leur réunion. Vu que M. Ferrusi avait de sérieux doutes sur la légitimité de l'approche adoptée par l'employeur, doutes confirmés par sa conversation téléphonique avec Mme Tunney le 11 novembre, il était raisonnable de sa part de croire que l'heure passée dans la salle de conférence faisait partie d'un processus qui mènerait à une clarification des questions et, espérait-il, à une enquête sur le refus de travailler. Même s'il avait été déterminé en fin de compte que l'employeur agissait correctement en affirmant que les refus de travailler du 24 octobre et du 16 novembre constituaient en fait un seul et même refus, cette question était si peu claire pendant cette heure-là que l'employeur ne peut, à mon avis, être considéré comme affirmant que la déduction salariale n'avait rien à voir avec l'exercice, par les employés, des droits que leur confère le Code.

67 La Commission conclut que l'employeur a agi de façon contraire aux articles 128 et 129 du Code en refusant de participer à une enquête interne ou de permettre la tenue d'une enquête par un agent de santé et de sécurité à l'égard des refus de travailler des 11 et 16 novembre 2005.

68 La Commission conclut que l'employeur a violé l'article 147 du Code en refusant de verser une rémunération à M. Ferrusi pour une période pendant laquelle ce dernier exerçait son droit de refus de travailler en vertu du Code.

69 La Commission conclut que, par des communications aux employés en date des 11 et 16 novembre et notamment par des lettres aux employés, l'employeur a enfreint l'article 147 du Code en faisant à tort des menaces de représailles aux employés exerçant leurs droits au sens de cet article.

70 La Commission juge approprié dans les circonstances d'exercer ses pouvoirs selon l'alinéa 40(1)i) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique d'exiger de l'employeur qu'il affiche cette décision à un endroit où elle sera accessible à tous les employés.

71 Pour ces motifs, la Commission rend l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

72 La Commission déclare que l'employeur a enfreint les articles 128 et 129 du Code en refusant de participer à une enquête interne ou de permettre la tenue d'une enquête par un agent de santé et de sécurité à l'égard des refus de travailler des 11 et 16 novembre 2005.

73 La Commission déclare que les lettres remises à M. Ferrusi les 11 et 16 novembre 2005 et les communications orales de l'employeur à ces dates-là concernant les lettres constituent des menaces injustifiées au sens de l'article 147 du Code et vont à l'encontre de cet article.

74 La Commission ordonne à l'employeur d'indemniser M. Ferrusi à l'égard de toute perte de salaire et d'avantages pour la période se situant entre 18 h et 19 h le 16 novembre 2005.

75 La Commission ordonne que l'employeur affiche cette décision à un endroit où elle sera accessible à tous les employés.

Le 5 janvier 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Beth Bilson,
commissaire

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