Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a présenté un grief portant sur des faits survenus au cours des six années précédentes - le défendeur a rejeté le grief parce qu’il n’a pas été présenté à l’intérieur du délai prévu à la convention collective - le demandeur a demandé la prorogation du délai pour présenter son grief au premier palier de la procédure applicable aux griefs - la vice-présidente a conclu que le demandeur n’a pas justifié la tardiveté du grief par des raisons claires, logiques et convaincantes - elle a décidé qu’un fait postérieur à la présentation du grief ne peut justifier une prorogation de délai - le demandeur ne peut non plus invoquer les conseils reçus d’un représentant du défendeur pour justifier la présentation du grief plus de 25 jours après avoir eu connaissance des faits sur lesquels repose le grief. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-12-14
  • Dossier:  568-02-115
  • Référence:  2007 CRTFP 118

Devant le président


ENTRE

JACQUES DEMERS

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

défendeur

Répertorié
Demers c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour le demandeur:
Lui-même

Pour le défendeur:
Karl G. Chemsi, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
les 10 et 11 juillet 2007.

Demande devant le président

1 Jacques Demers (le « demandeur ») est traducteur au Bureau de la traduction du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Sa spécialisation est la traduction dans les domaines de la science et des mathématiques.

2 En vertu de l'article 45 de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « président ») m'a délégué, en ma qualité de vice‑présidente, toutes les attributions que lui confère l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »), pour entendre et trancher toute question de prorogation de délai dans cette affaire.

3 Le 14 juin 2004, le demandeur présente un grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs alléguant du harcèlement de la part de l'employeur pour les trois motifs suivants : a) il n'a pas reçu d'incitatif en vertu du Régime d'incitatif monétaire (RIM) depuis l'année 2000; b) il aurait été affecté sans raison valable à une équipe où la nature des textes à traduire est sans rapport avec sa formation en traduction ou son expérience; c) depuis janvier 2000, il lui est interdit de continuer de prendre ses congés sans préavis, un avant-midi à la fois, du fait de son insomnie.

4 Le grief du demandeur se lit comme suit :

[…]

J'ai découvert récemment qu'en janvier 2000 j'ai fait l'objet de deux gestes de harcèlement insoupçonnés de la part de mon Chef de service à l'époque, M. Jacques Pellerin.

Le premier de ces gestes a consisté à me classer à mon insu parmi les traducteurs lents afin de m'empêcher de toucher des incitatifs dans le cadre du RIM, ou à tout le moins à rendre la chose nettement plus difficile. (Par traducteurs lents, j'entends ceux pour qui les heures pro forma sont toujours égales aux heures facturables sur les relevés mensuels, quelles que soient les raisons pour lesquelles le nombre d'heures réelles a dépassé le nombre d'heures prévues.) Je viens de découvrir qu'à l'époque je ne faisais pas partie des traducteurs lents.

Le second de ces gestes a consisté à m'affecter sans raison valable à une équipe où la nature des textes à traduire est sans rapport avec ma formation ou mon expérience en traduction. Comme conséquence de cette réaffectation faite par malveillance et non pour les besoins du service, parmi une quinzaine de collègues qui ont une formation scientifique ou technique, à ma connaissance je suis le seul à travailler dans un domaine sans rapport avec sa formation ou son expérience, ce qui me désavantage dans l'atteinte des objectifs. Ce n'est que vers la fin de 2000 que j'ai appris que j'étais classé parmi les traducteurs considérés comme lents. J'étais alors sous l'impression que cette classification était récente et elle m'a paru plausible parce qu'il y avait déjà une dizaine de mois que je travaillais dans un domaine nouveau pour moi. Ce n'est que par hasard que j'ai récemment découvert que j'ai été classé parmi les traducteurs lents dès janvier 2000, c'est-à-dire à un moment où mon chef de service n'avait apparemment aucune raison de me considérer comme un traducteur lent.

Il y a eu un autre geste de harcèlement en janvier 2000. À cette époque, je prenais depuis longtemps mes congés annuels de façon ponctuelle, c'est-à-dire sans préavis, une demi-journée à la fois, l'avant-midi. Mon chef de service m'a interdit de continuer de prendre mes congés de cette façon en sachant que j'étais insomniaque. Sa malveillance était évidente dans ce cas, mais j'ai alors considéré la chose comme un geste isolé sans rapport avec ma nouvelle affectation. Ce n'est que récemment que je me suis rendu compte que j'avais en même temps fait l'objet de deux autres gestes malveillants et que ces trois gestes faisaient partie d'un même harcèlement.

J'ai songé par la suite porter plainte pour harcèlement, mais le 7 mai dernier M. Charles Vézina (Conflits d'intérêts et harcèlement, TPSGC) m'a dit qu'un grief serait mieux indiqué. Je dépose donc ce grief moins de 25 jours ouvrables après avoir pris connaissance de la recommendation de M. Vézina.

[…]

Je voudrais que l'on révise la comptabilisation de mes incitatifs depuis janvier 2000 en tenant compte du fait que je n'étais pas parmi les traducteurs lents jusque-là et que mon chef de service n'avait aucune raison valable de me classer parmi les traducteurs lents à ce moment. Je souhaiterais réintégrer l'équipe où je me trouvais avant la réaffectation mentionnée à la section […] ci-dessus. Finalement, j'aimerais pouvoir recommencer à prendre mes congés annuels de façon ponctuelle comme auparavant.

[…]

5 Le 8 mai 2006, l'employeur rejette le grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs au motif qu'il est hors délai et, subsidiairement, parce que le gestionnaire n'aurait pas fait preuve de mauvaise foi quant aux autres points. L'employeur est prêt à prendre des mesures d'adaptation à l'égard du demandeur quant à la prise de congés annuels sans préavis, en autant que le demandeur fournisse un certificat médical de ses limitations et un certificat indiquant les mesures d'adaptation requises.

6 Le 18 mai 2006, le grief est présenté au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Le 30 juin 2006, le grief est rejeté à ce palier au motif qu'il est hors délai.

7 Le 18 juillet 2006, le grief est présenté au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

8 Le 4 août 2006, le demandeur dépose la présente demande de prorogation du délai pour présenter son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs. La demande de prorogation de délai se lit comme suit :

[…]

En juin 2004, j'ai déposé un grief de harcèlement contre mon ex-directeur de service. Ce harcèlement a été constitué par plusieurs gestes de natures très différentes. C'est en février 2004 que j'ai découvert le principal de ces gestes, pour lequel je demande une mesure corrective à l'employeur. À l'époque, l'agente de relations de travail du syndicat avec qui j'ai discuté [sic] la question était d'avis que l'on devrait examiner la possibilité de porter plainte pour abus de pouvoir. Elle m'a néanmoins suggéré de consulter M. Charles Vézina, Conflits d'intérêts et harcèlement, TPSGC, lequel m'a conseillé de déposer un grief, ce qui fut fait dans la période de 25 jours suivant sa réponse.

Un médiateur a été nommé, mais il a fait traîner les choses en longueur, et c'est pourquoi ce n'est qu'en avril de cette année qu'a eu lieu l'audition au premier palier. Il y a eu une audition au deuxième palier en juin. Les deux fois on m'a répondu que mon grief a été déposé hors délai, parce qu'il n'a pas été déposé dans la période de 25 jours suivant la découverte faite en février 2004. Pour ma part, il me semble que la loi suppose implicitement qu'au moment de la découverte des faits qui motivent le grief, le plaignant sait ou devrait savoir qu'il y a là matière à un grief. Ce n'était pas mon cas. Ayant conclu que j'avais été victime d'un harcèlement, je cherchais tout naturellement du côté des plaintes pour harcèlement. L'agente des relations  de travail du syndicat elle-même ne savait pas que l'outil à utiliser était le grief. Dans ce cas, je trouve déraisonnable de fixer le début de la période de délai en février 2004 et c'est pourquoi je demande une prorogation de délai.

J'ai également une seconde raison de demander une prorogation de délai et je crois que c'est la plus importante des deux. Il y a au Bureau de la traduction une [sic] programme de primes à la productivité appelé Régime d'incitatif monétaire (RIM). Le geste de harcèlement que j'ai mentionné ci-dessus a consisté à me classer par malice parmi les traducteurs lents afin de m'empêcher de toucher des primes, et je demande une recomptabilisation de ces primes comme mesure corrective. En août 2005, en plus de vérifier que j'avais été classé parmi les traducteurs lents par mon ex-chef de service à un moment où il n'avait aucune raison valable de le faire, j'ai découvert l'existence de ce que l'on pourrait appeler une « liste noire », c'est-à-dire qu'il existait un groupe de traducteurs pour lesquels le chef de service avait à toutes fins utiles décidé d'avance qu'ils ne pourraient toucher aucune prime à la productivité, et cela, quelque soit la difficulté des textes à traduire. Qui plus est, mon analyse révèle que le RIM, tel qu'il était géré dans notre service, récompensait plutôt les traducteurs lents et que, par ailleurs, contrairement à l'affirmation de mon ex-chef de service, je n'en faisais pas partie. À lui seul ce fait nouveau justifierait un grief et je crois par conséquent que mon grief n'est pas hors délai. J'ai mentionné ce fait lors des auditions aux deux premiers paliers et il n'en est aucunement fait mention dans les deux réponses que j'ai reçues.

Je demande donc une prorogation de délai pour les raisons ci-dessus.

[…]

9 Entre le 8 et le 23 août 2006, l'employeur communique avec le demandeur par courriel pour fixer une date d'audition du grief au troisième palier.

10 Le 29 août 2006, l'employeur s'oppose à la demande de prorogation de délai et à la compétence d'un arbitre de grief pour entendre le grief du demandeur.

11 Le 31 août 2006, le demandeur dépose les observations écrites qui suivent :

[…]

Ma demande de prorogation mentionne un fait nouveau, à savoir la découverte en août 2005 de l'existence d'une « liste noire » à l'époque pour laquelle je demande une recomptabilisation de mes primes à la productivité (les heures pro forma aux termes du RIM). Ni madame Duhaime au premier palier ni monsieur Barabé au deuxième palier n'ont nié explicitement l'existence de cette liste, de même qu'ils ont évité d'en faire mention comme fait nouveau dans leurs réponses respectives. Étant donné le risque pour le Bureau que d'autres traducteurs demandent une recomptabilisation, celui-ci est très fortement motivé à me débouter. Le Bureau est en conflits [sic] d'intérêts dans ce grief, étant à la fois juge et partie. On comprend donc, d'une part, pourquoi le médiateur s'est réfugié dans le silence, lui qui devait vérifier si une telle liste existait à l'époque ci-dessus et me communiquer le résultat de sa vérification, et d'autre part, pourquoi mes interlocuteurs aux deux premiers paliers ont évité d'en parler.

En ce qui concerne mon grief, cette découverte confirme d'une façon nouvelle que j'ai été victime d'un geste malveillant en avril 2000, geste qui s'ajouterait à deux autres de même nature posés deux mois plus tôt.

[…]

12 Le 10 octobre 2006, l'employeur rejette le grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs pour les motifs suivants : le grief est hors délai, puisqu'il s'est passé plus de quatre ans entre  les événements qui y ont donné lieu et la présentation du grief; le nouveau fait invoqué est postérieur au grief. L'employeur est cependant disposé à prendre des mesures d'adaptation à l'égard du demandeur s'il fournit un certificat médical indiquant ses limitations et les mesures d'adaptation requises.

13 Le 5 mars 2007, le demandeur dépose sa réponse à l'objection de l'employeur. Le 7 mars 2007, l'employeur réplique à la réponse du demandeur.

14 L'audience de la présente demande s'est déroulée les 10 et 11 juillet 2007, les parties n'étant pas disponibles avant ces dates.

Résumé de la preuve

15 Le demandeur a été le seul témoin. L'employeur a présenté son dossier à la lumière du témoignage et du contre-interrogatoire du demandeur. Le témoignage du demandeur relate des faits qui ont eu lieu entre 1999 et 2007, dont certains n'ont pas de lien avec les questions devant moi. Le résumé de la preuve tient compte des faits pertinents à ma décision sur la demande de prorogation de délai.

16 Le demandeur explique que les travaux de traduction sont assujettis au RIM. En vertu du RIM, on évalue un texte pour déterminer le nombre d'heures nécessaires à la traduction avant de remettre le texte au traducteur. Le temps prévu est habituellement le temps facturé au client. Une fois le texte traduit, le traducteur déclare le nombre réel d'heures de traduction. Si le traducteur utilise moins de temps que prévu, des heures « pro forma » lui sont créditées. À la fin de l'exercice financier, les heures « pro forma » accumulées par un traducteur peuvent donner lieu à un incitatif monétaire. Si le traducteur prend plus de temps que prévu pour traduire un texte, il doit donner une explication pour le dépassement. Le chef de service examine alors le travail et décide si le dépassement est justifié et s'il peut être facturé au client en raison, par exemple, de la difficulté du texte ou de la recherche requise. Si le dépassement est considéré justifié, le traducteur peut quand même se voir créditer des heures « pro forma », à la discrétion du chef de service. Si le dépassement n'est pas considéré justifié, les heures de traduction sont considérées égales aux heures prévues et aucune heure « pro forma » n'est créditée au traducteur. Dans la mesure où la traduction se fait dans les heures prévues ou qu'elle dépasse les heures prévues sans justification, la conséquence pour le traducteur est qu'il ne reçoit pas d'incitatif monétaire.

17 En 1998, le demandeur a changé d'équipe de traduction à la demande de Jacques Pellerin, son chef de service à l'époque. Il est passé de l'équipe de traduction desservant l'Agence spatiale canadienne, où il faisait la traduction de brevets, à l'équipe de traduction du Service de sciences et technologies, où il a commencé à faire la traduction de textes sur l'environnement et la météorologie. Comme traducteur chevronné, il avait reçu chaque année une somme importante aux termes du RIM. Il s'est dit désavantagé, par rapport aux traducteurs qui travaillaient dans leur propre spécialisation, une fois chargé de la traduction de textes sur l'environnement, qui ne font pas partie de sa spécialisation. Ses heures de traduction sont devenues égales aux heures prévues. Le demandeur allègue que, lorsque ses heures de traduction dépassaient les heures prévues, elles ne faisaient plus l'objet d'un examen par le chef de service pour lui créditer des heures « pro forma » comme pour les autres traducteurs. Le demandeur admet qu'à ce moment-là, bien qu'il était requis de le faire, il ne donnait habituellement pas d'explication pour ses dépassements d'heures de traduction, contrairement à ce qui était requis. Toutefois, à la suite d'un rappel, il a dit s'être conformé à cette exigence.

18 Selon le demandeur, le ralentissement de son débit de traduction a fait en sorte qu'en avril 2000, il a été classé, à son insu, parmi ce qu'il appelle « les traducteurs lents » ou la « liste noire ». Le demandeur soutient que l'existence d'une « liste noire » facilite la gestion du RIM car le chef de service évite l'examen fastidieux des textes des traducteurs lents lorsqu'il y a dépassement des heures prévues pour la traduction. Le chef de service comptabilise automatiquement les heures dépassées comme les heures prévues et les heures « pro forma » comme des heures prévues. Le demandeur estime que 30 p. 100 des traducteurs font partie de la « liste noire », ce qui représenterait 12 personnes. Il témoigne que les traducteurs lents sont, de par leur classement, automatiquement écartés du droit de se voir créditer des heures « pro forma » et, donc, un incitatif monétaire annuel, contrairement à leurs collègues qui ne sont pas classés ainsi. Il juge que le but de la « liste noire » est de permettre des économies au titre du RIM à la fin de l'exercice financier.

19 Le demandeur dit avoir de la difficulté à croire qu'il est le seul à se plaindre car, selon lui, il y a des traducteurs qui ont perdu beaucoup plus que lui. Il soutient que les autres traducteurs ne se plaignent peut-être pas parce qu'ils n'ont pas eu accès à l'information qu'il a demandée et n'ont pas eu connaissance d'un fait qui a été porté à sa connaissance. Par conséquent, il soutient que son grief ne peut être raisonnablement considéré hors délai alors que 12 personnes sont susceptibles de déposer le même grief. C'est en raison du harcèlement dont il se plaint qu'il a constaté la supercherie de l'employeur avant les autres.

20 Le classement du demandeur sur la « liste noire » a eu comme conséquence qu'il a perdu de façon permanente le droit à l'incitatif monétaire. Il soutient que son transfert à une autre équipe de traduction et son classement comme traducteur lent par la suite ont été des gestes malicieux de son chef de service de l'époque et constituent une forme de harcèlement à son égard. Il ajoute que son chef de service actuel, Robert Aubut, perpétue le même mode de comptabilité. Le demandeur ne s'est aperçu de son classement comme traducteur lent que bien après le fait, c'est-à-dire lorsqu'il s'est interrogé sur le non-paiement de l'incitatif monétaire pendant trois ans. Il a alors demandé une vérification des relevés de production pour la période d'octobre 1999 à mars 2000. Il a toutefois admis avoir reçu les relevés annuels, même s'ils étaient parfois en retard.

21 Le demandeur a fait une première analyse de ses heures de traduction à la demande du représentant syndical qu'il a consulté. Il a d'abord fait une erreur en considérant les mois de janvier, février et mars 2000, alors qu'il aurait dû comptabiliser ses heures à compter d'avril 2000, le début de l'exercice financier au cours duquel il s'est aperçu qu'il était classé comme traducteur lent. En cours d'analyse, il a remarqué que son classement comme traducteur lent remontait à son transfert au Service de sciences et technologies. C'est cette coïncidence qui lui a fait constater, en février 2004, qu'il s'agissait de harcèlement à son égard.

22 Le demandeur soutient qu'en 2005, il a travaillé sur le même texte qu'un autre traducteur qui aurait dépassé de 16 p. 100 les heures prévues. Ce traducteur aurait tout de même reçu un crédit d'heures « pro forma », alors que le demandeur n'a rien reçu pour un dépassement qu'il a jugé semblable. Le demandeur affirme que ce fait nouveau,  qu'il a appris après la présentation de son grief, lui a permis de confirmer les soupçons qu'il entretenait au moment de la présentation de son grief concernant l'existence d'une « liste noire » et de son classement sur cette liste.

23 Le demandeur témoigne que, pendant plus de 16 ans, il a pris ses vacances de façon irrégulière avec l'aval de son chef de service, et ce, pour le motif suivant : il est insomniaque. Lorsqu'il passait une mauvaise nuit, il pouvait arriver au bureau en fin de matinée en prenant une demi-journée de congé. Tout le monde était satisfait, puisqu'il était au bureau tous les jours et le service n'était pas perturbé par son absence pendant une période prolongée de congé annuel. M. Pellerin lui a soudainement retiré ce privilège, de façon malicieuse, lors d'une rencontre qui portait sur un autre sujet. Ce n'est qu'en février 2004 que le demandeur s'est rendu compte que son classement sur la « liste noire », sa mauvaise évaluation en 2003 et une lettre de blâme en 2002, faisaient preuve d'une série de gestes de harcèlement.

24 Le demandeur témoigne qu'il a eu l'intention de déposer un grief concernant son évaluation et la lettre de blâme, mais la promotion de sa représentante syndicale à un poste de gestion a fait en sorte qu'il a manqué les délais pour déposer ses griefs.

25 Par contre, le demandeur a déposé le présent grief sans trop se soucier des délais, car il était convaincu que le délai pour déposer un grief de harcèlement était plus long et sa représentante syndicale ne lui avait rien signalé à ce sujet. Il a par la suite consulté Charles Vézina, gestionnaire de programme par intérim, Conflits d'intérêts et de harcèlement, qui lui a suggéré qu'une nouvelle comptabilisation de ses heures « pro forma » pourrait démontrer un préjudice pécuniaire susceptible d'être contesté par grief. Le demandeur a donc déposé le présent grief dans les 25 jours qui ont suivi les conseils de M. Vézina.

26 Lors d'une séance de médiation, dont la date n'a pas été précisée, l'employeur s'est engagé à enquêter pour vérifier si le problème du 16 p. 100 était généralisé et à tenir une seconde réunion. Cette réunion n'a pas eu lieu. Par la suite, l'employeur a préparé une analyse détaillée des heures de tous les traducteurs de l'équipe. Selon le demandeur, cette analyse est suspecte parce qu'elle sert à dissimuler l'existence d'une « liste noire ». Le demandeur soutient qu'un échantillonnage d'une demi-douzaine de traducteurs aurait été suffisant pour constater la situation qu'il soulevait, mais que l'employeur a profité de la situation pour fausser l'analyse.

27 En contre-interrogatoire, le demandeur fait état des trois gestes malicieux qu'il reproche à l'employeur. D'abord, en 2000, le privilège de prendre des demi-journées de congé sans préavis lui a été retiré à l'occasion d'une rencontre concernant une plainte déposée contre lui. Ensuite, il a été affecté à une équipe de travail dont le domaine de spécialisation était différent, pour lui rendre la vie difficile. Enfin, il a arrêté de recevoir l'incitatif monétaire. Il dit s'être questionné sur la situation en février 2002, mais qu'il n'avait aucune preuve à ce moment-là.

28 Le demandeur admet avoir déposé une plainte à la Commission de la fonction publique en 2002 concernant sa mutation à une autre équipe de traduction, mais qu'il ne s'agissait pas des mêmes questions que celles qui font l'objet de son grief. Le demandeur admet aussi que le Bureau de la traduction a perdu le contrat pour la traduction des brevets de l'Agence spatiale canadienne. Il ne s'est pas plaint de la perte de l'incitatif monétaire en 2002. Il pensait qu'il était lent simplement parce qu'il travaillait dans un domaine de traduction qu'il connaissait moins bien qu'auparavant. Cette situation a changé en 2004, quand il a appris qu'il était sur une « liste noire ». Le demandeur dit avoir droit à l'incitatif monétaire pour la période pendant laquelle il a été sur la « liste noire ».

29 Le demandeur admet qu'il a probablement reçu l'incitatif monétaire pour l'année 2000, mais qu'il a encaissé le chèque sans regarder de quoi il s'agissait; il ne s'est pas vraiment préoccupé de la situation avant de recevoir les relevés comparatifs en 2004, bien qu'il recevait des relevés annuels avant 2004.

30 Le demandeur admet avoir reçu une copie du document qui décrit le RIM, mais ne pas l'avoir étudié. Il n'a donc pas pris connaissance du fait qu'il pouvait déposer un grief s'il n'était pas satisfait de l'incitatif monétaire qu'il recevait ou qu'il aurait dû recevoir. Il admet qu'une nouvelle comptabilisation a été adoptée de 2000 à 2002, qu'il a reçu une lettre à ce sujet, mais qu'il n'en a pas regardé les détails. Il admet qu'il n'a pas pris connaissance du délai pour déposer un grief concernant la lettre de blâme ou son évaluation avant qu'il soit trop tard. À ce moment-là, il se concentrait sur son grief de harcèlement. Il a déposé un grief en octobre 2003, après avoir discuté avec un représentant syndical, Marc Grenon, de tous ses problèmes avec M. Pellerin.

31 Le fait nouveau auquel le demandeur fait référence s'est produit en août 2005, alors qu'il a reçu les relevés comparatifs de l'employeur, ce qui lui a permis de constater l'existence d'une « liste noire ». C'est à ce moment que le crédit d'heures « pro forma » donné au traducteur qui avait eu un dépassement de 16 p. 100 a pris tout son sens. Le demandeur admet qu'il n'a soulevé ce fait pour la première fois que lors de l'audition de son grief au premier palier de la procédure de règlement de griefs.

32 Le demandeur reconnait que la « liste noire » n'est pas une liste qui existe dans les faits, mais une expression figurée servant à décrire les personnes dont les heures réelles sont toujours équivalentes aux heures facturées et qui, par conséquent, ne reçoivent aucun incitatif monétaire. La « liste noire » est la conclusion de sa propre analyse d'une situation camouflée par l'employeur.

Résumé de l'argumentation

33 Au soutien de sa demande de prorogation, le demandeur soumet que le grief n'est pas hors délai du seul fait que le fait nouveau auquel il fait référence soit survenu après la présentation du grief. Même si le grief est jugé hors délai, le demandeur prétend qu'il a fait preuve de diligence raisonnable et qu'il n'est pas responsable du retard, puisqu'il avait des raisons valables. Le président devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d'ordonner à l'employeur d'examiner le bien-fondé du grief.

34 Selon le demandeur, si un fait nouveau survient avant que l'employeur réponde au grief, ce dernier est tenu de le considérer. Il serait selon lui illogique de déposer un second grief visant les mêmes mesures correctives. Le fait nouveau s'ajoute aux faits qui ont donné lieu au grief original, de sorte que le grief qui était hors délai ne l'est plus. Le demandeur plaide que cet argument a été soulevé à chaque palier de la procédure de règlement des griefs, mais que l'employeur n'en a pas tenu compte.

35 Le demandeur soutient qu'il est tout aussi illogique d'appliquer un délai de 25 jours à un grief de harcèlement. Selon lui, le délai de présentation du grief doit commencer à courir à compter du moment où il a reçu les conseils de M. Vézina l'incitant à présenter un grief.

36 Le demandeur plaide que son grief est fondé sur plusieurs faits successifs : l'existence d'une « liste noire », les relevés allant de 2000 à 2002, la mutation dans une autre équipe de traduction, puis le fait qu'un autre traducteur a reçu un traitement préférentiel pour avoir traduit le même texte que lui.

37 Selon le demandeur, son placement sur une « liste noire » était une sanction disciplinaire déguisée et, s'il avait déposé un grief à cet égard, il aurait pu être renvoyé à l'arbitrage. L'employeur ne lui a jamais expliqué pourquoi la comptabilisation de ses heures « pro forma » avait changé. Les représentants de l'employeur à chacun des trois paliers de la procédure de règlement des griefs ont fait preuve de mauvaise foi parce qu'ils ont refusé de considérer le fait nouveau, qui, selon le demandeur, était tout comme un nouveau grief. Il demande au président d'ordonner à l'employeur d'examiner de nouveau le bien-fondé du grief.

38 Le demandeur soumet qu'en raison de ces circonstances, il n'a pas à débattre de la durée du retard, car l'existence d'un fait nouveau fait en sorte qu'il n'y a pas eu de retard.

39 Le demandeur soutient qu'il a fait preuve de diligence raisonnable, puisqu'il a signalé à l'employeur l'existence d'un fait nouveau à la première occasion. Il a pensé à ce fait pendant que se déroulait l'audition au premier palier de la procédure de règlement des griefs et l'a immédiatement communiqué à l'employeur.

40 Le demandeur est d'avis que l'évaluation du préjudice de ne pas avoir accès à la procédure d'arbitrage de grief doit pencher en sa faveur, car l'employeur doit répondre de ses actions. Sa réclamation d'incitatif monétaire se compare à la réclamation de Maher Arar, à celle des personnes infectées par l'hépatite C ou des personnes qui ont contracté le VIH. Il ne devrait pas y avoir deux poids, deux mesures entre ces réclamations et la sienne. La compensation pécuniaire qu'il recherche représente moins de 25 ¢ par contribuable, ce qui lui semble dérisoire compte tenu de la capacité financière de l'employeur. Le fait d'avoir été placé sur une « liste noire » par malice le met au même rang que d'autres qui ont reçu des indemnités.

41 Si le grief du demandeur est accueilli, la réputation de celui-ci sera rétablie et l'employeur aura à répondre aux allégations soulevées par le grief de harcèlement et aura à donner des réponses différentes que celles qui ont été données jusqu'à présent. La seule façon de réparer le tort dont a été victime le demandeur est de procéder à une nouvelle comptabilisation des relevés entre avril 2000 et avril 2003, ou au-delà de ces dates, selon le modèle qu'il a proposé.

42 L'employeur, pour sa part, soutient que le grief déposé en juin 2004 porte sur des faits qui sont survenus en 2000, soit quatre ans auparavant. L'employeur s'est opposé à ce grief manifestement hors délai à chaque étape de la procédure de règlement des griefs, même s'il en a examiné de façon incidente le bien-fondé.

43 Le demandeur avait le fardeau de démontrer de façon claire, logique et convaincante les motifs le poussant à déposer un grief quatre ans après les faits, plutôt que dans les 25 jours prévus par la convention collective. Ce n'est pas la qualification du grief qui détermine la date à compter de laquelle court un délai (abus de pouvoir, harcèlement ou perte pécuniaire), mais les faits qui sont à son origine.

44 De plus, la mutation du demandeur à une autre équipe de traduction, la réduction de l'incitatif monétaire en 2000 et les problèmes avec M. Pellerin sont des questions qui ont déjà été traitées par la Commission de la fonction publique dans une décision rendue le 3 juin 2002. Le présent grief aborde le même sujet que la plainte devant la Commission de la fonction publique. Cet élément est une preuve irréfutable que le demandeur a eu connaissance des faits au soutien de son grief deux ans avant sa présentation.

45 La partie du grief qui traite de l'interdiction de prendre des congés annuels sans autorisation préalable est manifestement hors délai et le demandeur ne peut invoquer ce fait en rétrospective au soutien d'un autre grief, alors qu'il aurait pu s'en plaindre à l'époque. Le demandeur n'a soulevé aucun motif qui l'aurait empêché de déposer un grief à ce sujet à ce moment-là. Le demandeur ne peut contourner les délais qui servent à la stabilité des relations de travail en regroupant des faits qui se sont produits sur plusieurs années.

46 En ce qui concerne l'incitatif monétaire, le demandeur a reçu un compte-rendu annuel de son rendement aux fins du RIM. Même si ces rapports n'étaient pas toujours ponctuels, ceci ne l'empêchait pas de déposer un grief pour chaque année où il a été lésé. Il a manqué une occasion chaque fois qu'il n'a pas agi. Même si son grief ne concernait que l'année précédant sa présentation, il serait tout de même tardif. Le changement de délégué syndical ou l'incompétence de son remplaçant ne sont pas une explication valable pour tarder d'agir. Le demandeur connaissait fort bien les délais prévus dans la convention collective, puisqu'il a admis dans son témoignage qu'il avait manqué les délais pour déposer d'autres griefs. Ce n'est pas parce que M. Vézina lui a dit de présenter un grief, que le délai de 25 jours commence à courir à partir de cette date. Les conseils de M. Vézina ne sont pas un motif justifiant de prolonger les délais. Même en prenant les dates suggérées par le demandeur comme étant à l'origine de sa constatation des faits, son grief est tout de même hors délai.

47 La suggestion du demandeur que son grief ne serait pas hors délai en raison du fait nouveau est illogique et sans fondement. Le fait nouveau allégué par le demandeur n'en est pas vraiment un. La mention d'anciens faits ne constitue pas un fait nouveau simplement parce que les faits anciens sont soulevés pour la première fois lors de la procédure de règlement des griefs.

48 La « liste noire » est une création du demandeur pour justifier sa théorie d'être victime de harcèlement. Il n'y a aucune raison claire, logique ou convaincante à l'appui de sa demande de prorogation.

49 Le préjudice relatif est contre l'employeur. Ce dernier a fait une analyse rétroactive de quatre ans et les résultats de cette analyse n'appuient pas la thèse du demandeur. Le demandeur admet lui-même que le montant qui lui serait dû est dérisoire. Le demandeur admet en fin de compte qu'il s'agit d'un grief de harcèlement qui ne peut être renvoyé à l'arbitrage. Le demandeur plaide qu'il aurait pu déposer un grief concernant une sanction pécuniaire ou une mesure disciplinaire sur la base des mêmes faits que ceux invoqués dans le présent grief. L'employeur argue que le demandeur ne peut à ce stade-ci changer la nature de son grief, alors qu'il n'a rien soulevé de tel pendant la procédure de règlement des griefs. Même si une prorogation du délai de présentation du grief était accordée, un arbitre de grief n'aurait pas compétence en la matière.

50 Le demandeur détenait l'information concernant les données de comparaison en 2000, mais n'a rien fait avant 2004. Selon la jurisprudence, un tel délai est inexcusable.

51 L'employeur soulève que le RIM est soumis à son propre régime de griefs, dont le demandeur ne s'est pas prévalu. Cette procédure prévoit une limite de 25 jours pour déposer un grief.

52 Le demandeur réplique qu'il ne comprend pas que l'employeur ait continué à traiter le grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs en dépit du fait qu'il avait demandé une prorogation de délai au président. Il déplore que l'employeur ait, d'une part, soulevé le retard du grief à chaque palier, sans pour autant avoir traité du fait nouveau ou de sa plainte de harcèlement.

53 Selon le demandeur, il n'y avait aucun motif valable pour le mettre sur la liste des traducteurs lents puisqu'il n'est pas plus lent qu'un traducteur spécialiste. Il se croyait lent parce qu'il traduisait dans un nouveau domaine, mais le fait nouveau contredit ceci.

54 Le demandeur croit que si l'agent négociateur connaissait l'existence d'une « liste noire » au moment où il le représentait, il ne l'aurait pas appuyé dans sa démarche car il aurait alors été dans une situation de conflit d'intérêts par rapport au RIM, qu'il avait aidé à créer. L'employeur a compliqué inutilement son enquête afin de dissimuler l'existence d'une « liste noire ».

55 Le demandeur soutient que son affectation à une nouvelle équipe de traduction a eu un impact sur l'incitatif monétaire auquel il aurait eu droit et que le RIM favorise les traducteurs lents. N'eut été de la « liste noire », il aurait pu bénéficier du fait d'être un traducteur lent.

56 Il aurait pu déposer un grief pour le retrait de son privilège concernant les congés annuels, mais ce privilège était apparemment contraire aux dispositions de la convention collective. Ce n'est que plus tard qu'il a constaté que le retrait de son privilège faisait partie de plusieurs gestes de harcèlement par M. Pellerin.

57 Les donnés comparatives qu'il a reçues en 2004 sont différentes des rapports annuels qu'il a reçus, parce qu'elles permettent de constater la situation dans son ensemble. Le demandeur dit qu'il n'invoque pas comme justification du délai le changement de représentant syndical. Il invoque plutôt le fait que M. Vézina lui a conseillé de présenter un grief au lieu d'une plainte de harcèlement et que le délai devrait courir à compter des conseils qu'il a reçus, puisque M. Vézina agissait à titre de conseiller de l'employeur en matière de harcèlement.

58 Le demandeur soutient que les autres traducteurs qui ne reçoivent pas l'incitatif monétaire ne se sont pas plaints, parce qu'il leur manque de l'information pour pouvoir se plaindre. Ils ont tout simplement accepté qu'ils étaient plus lents et qu'ils n'avaient pas droit à l'incitatif monétaire. Le demandeur demande une enquête pour déterminer que la perte de l'incitatif monétaire était du harcèlement, ce qui donnerait lieu à un grief pour sanction pécuniaire.

59 Le demandeur expose que les gestes qu'il soulève font partie d'un tout, soit le retrait de ses privilèges de congé annuel, la lettre de blâme versée à son dossier, son changement d'équipe de traduction, son classement sur la liste des traducteurs lents, la perte de l'incitatif monétaire et la façon dont l'employeur a mené son enquête. Son grief découle des conséquences permanentes de son classement au titre de traducteur lent. Il demande que le bien-fondé de son grief soit considéré sérieusement.

Motifs

60 Le demandeur soutient que sa découverte des faits qui sont à l'origine du grief est récente, sans pour autant en préciser la date. Il soutient que ces faits font partie d'un contexte de harcèlement à son égard. Le premier fait dont se plaint le demandeur est qu'il a été classé à son insu parmi les traducteurs lents (la « liste noire »), afin qu'il ne puisse plus toucher l'incitatif monétaire dans le cadre du RIM. Ce fait aurait débuté en avril 2000 et se serait poursuivi jusqu'en février 2004. Le deuxième fait est que le demandeur aurait été affecté sans raison valable à une équipe de traduction où la nature du travail était sans rapport avec sa formation ou son expérience de traduction. Ce fait remonte à 1998. Le troisième fait est que son chef de service lui a retiré le privilège de prendre ses congés annuels une demi-journée à la fois, bien qu'il le faisait depuis longtemps. Ce dernier fait remonte à l'année 2000.

61 Le demandeur a présenté son grief le 14 juin 2004.

62 La stipulation 30.04 de la convention collective intervenue le 23 février 2004 entre le Conseil du Trésor et l'Association canadienne des employés professionnels à l'égard de l'unité de négociation du groupe Traduction prévoit un délai de 25 jours pour déposer un grief :

30.04 Délais

Lorsqu'il s'agit de calculer le délai au cours duquel une mesure quelconque doit être prise dans le cadre de la présente procédure, les samedis, les dimanches et les jours fériés désignés sont exclus.

  1. Tout fonctionnaire peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite par l'alinéa 30.01b) au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit :
  1. La date à laquelle il est informé oralement ou par écrit de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief,

    ou

  2. La date à laquelle il en prend connaissance pour la première fois.

[…]

Les conventions collectives antérieures prévoyaient le même délai de présentation.

63 Le délai de 25 jours prévu à la stipulation 30.04 de la convention collective est celui dont l'employeur et l'agent négociateur du demandeur ont convenu comme étant « […] suffisant pour permettre à un demandeur de réfléchir, d'obtenir des conseils et de décider de l'opportunité ou non de présenter un grief […] » : Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113, ¶24. Il s'agit du délai que l'on trouve dans la plupart des conventions collectives de l'administration publique fédérale.

64 Nonobstant la stipulation 30.04 de la convention collective, le président peut, en vertu de l'alinéa 61b) du Règlement, par souci d'équité, venir en aide à une partie n'ayant pas respecté le délai de présentation à un palier quelconque de la procédure de règlement des griefs. Quant à savoir s'il convient de prolonger un tel délai, les critères suivants, énoncés à Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, ¶75, ont été considérés maintes fois utiles à l'application du facteur de l'« équité » :

  • la justification du retard par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l'évaluation de l'injustice qui serait causée au demandeur si la prorogation était refusée par rapport à celle que subirait l'autre partie si la prorogation était accordée;
  • les chances de succès du grief.

65 En prévision de l'audience, le greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a remis une copie de Schenkman aux parties, qui en ont tenu compte dans la présentation de leur preuve et de leurs arguments. Ceci dit, je suis d'avis que l'analyse du premier critère de Schenkman est suffisante pour disposer de la demande du demandeur visant la prorogation du délai pour présenter un grief.

66 Dans Mark c. Agence canadienne d'inspection des aliments, 2007 CRTFP 34, j'ai statué que l'action ou les circonstances donnant lieu à un grief sont limitées dans le temps et qu'un demandeur doit déposer son grief dès qu'il prend connaissance des événements y donnant lieu :

[…]

[22] D'une manière générale, l'action ou les circonstances donnant lieu à un grief sont limitées dans le temps et on ne peut les prolonger en invoquant d'autres circonstances qui débordent le cadre de la décision initiale de l'employeur. En l'espèce, le délai de 25 jours pour le dépôt d'un grief a commencé à s'écouler à partir de la date du refus de l'employeur, soit le 22 décembre 2004, et non à partir de la date à laquelle le demandeur avait réuni ce qu'il considérait comme une preuve suffisante pour présenter un grief. Sauf lorsque les parties conviennent d'une prolongation comme le prévoit la convention collective, le délai pour le dépôt d'un grief n'est pas unilatéralement prolongé par les tentatives de l'employé pour convaincre l'employeur de revenir sur sa décision ou de la modifier. Dans la mesure où un acte est une violation de la convention collective, il n'y a pas de norme minimale à atteindre pour ce qui est du degré de connaissance du demandeur nécessaire avant qu'un grief puisse être présenté.

[…]

67 Le demandeur fait ici valoir deux motifs au soutien de sa demande de prorogation du délai pour présenter son grief : a) l'existence d'un fait nouveau, dont il a pris connaissance après la présentation de son grief et qu'il a soulevé pour la première fois lors de l'audition au premier palier de la procédure de règlement des griefs, et b) le grief a été présenté dans les 25 jours qui ont suivi les conseils reçus du représentant de l'employeur chargé de l'administration des plaintes de harcèlement. Je dois donc décider si ces deux motifs font en sorte que le retard du demandeur est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes.

68 Le fait nouveau dont il est ici question est, de l'admission même du demandeur, une déduction qu'il a faite en août 2005, après avoir reçu les relevés comparatifs d'heures de traduction. Le demandeur a dit dans son témoignage qu'il a porté ce fait à la connaissance de l'employeur pour la première fois pendant l'audition de son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Le demandeur a aussi dit, dans son témoignage, qu'il a eu connaissance de l'octroi d'heures « pro forma » à un autre traducteur quelque temps en 2005. Le demandeur n'a cependant apporté aucune preuve indépendante à l'appui de cette prétention et je ne suis donc pas en mesure de vérifier ses dires. Quoiqu'il en soit, cet événement ne saurait expliquer la tardivité du grief, puisqu'il est survenu plus d'un an après la date de présentation du grief le 14 juin 2004.

69 Aucune règle de droit et aucune explication logique ne me permet d'accepter un fait postérieur à la présentation du grief pour justifier la prorogation du délai, surtout lorsque ce fait est tout à fait indépendant des réclamations du grief. Au moment où le demandeur a constaté qu'il n'avait pas reçu le même incitatif monétaire qu'un autre traducteur, il avait le droit de déposer un nouveau grief, ce qu'il a omis de faire. Il ne peut utiliser cet événement pour tenter de justifier, après le fait, que son grief initial n'ait pas été présenté dans le délai prévu dans la convention collective. Je n'accepte pas non plus son argument voulant qu'il n'avait pas à présenter un nouveau grief portant sur le fait nouveau parce que le redressement demandé aurait été le même que celui réclamé dans le grief initial. Malgré ce que fait valoir le demandeur, il n'y a aucun lien entre la tardivité du grief initial et les heures « pro forma » créditées à un autre traducteur.

70 Je rejette également l'argument du demandeur voulant que le grief aurait été présenté dans le délai prévu dans la convention collective parce qu'il a été présenté dans les 25 jours qui ont suivi les conseils reçus du représentant de l'employeur chargé de l'administration des plaintes de harcèlement. La convention collective stipule clairement que le demandeur avait 25 jours pour présenter un grief à compter de la date à laquelle il a été informé oralement ou par écrit de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief ou de la date à laquelle il en a pris connaissance pour la première fois. De l'admission du demandeur, les faits qui sont à l'origine du grief sont survenus il y a plusieurs années et il en avait pleinement connaissance au moment où ils se sont produits. De plus, le demandeur a admis qu'il n'a pas prêté attention lorsque l'employeur lui a remis les relevés annuels d'incitatif monétaire et qu'il ne s'en est pas préoccupé pendant plusieurs années. Il a admis qu'il avait manqué le délai pour présenter d'autres griefs, à plus d'une occasion. Tous les faits allégués pouvaient individuellement faire l'objet d'un grief à l'époque où ils se sont produits, que ce soit la perte du privilège de prendre des demi-journées de congé sans préavis, l'affectation à une autre équipe de travail ou la perte de l'incitatif monétaire. Le fait que le demandeur ait agi sur la base de conseils reçus d'un représentant de l'employeur ne transforme en rien des faits anciens en faits nouveaux susceptibles d'engendrer de nouveaux recours.

71 Par ailleurs, l'employeur a déposé en preuve, lors du contre-interrogatoire du demandeur, une décision de la Commission de la fonction publique concernant l'affectation du demandeur à une autre équipe de traduction. Le demandeur ne s'appuie pas sur ces faits pour soutenir le présent grief. La Commission de la fonction publique a rejeté la plainte du demandeur le 3 juin 2002. Le délai de 25 jours commençait à courir à compter du moment où le demandeur a pris connaissance, pour la première fois, des circonstances donnant lieu au grief. De sa propre admission, le demandeur a eu connaissance de son affectation à une nouvelle équipe de traduction en 1998, de sa perte du privilège de prendre des demi-journées de congé sans préavis en 2000 et de la perte de l'incitatif monétaire à compter d'avril 2000. J'accepte l'argument de l'employeur voulant que c'est bien la connaissance des faits qui sont à l'origine d'un grief qui détermine à compter de quelle date court le délai de présentation. Ce n'est pas parce que le demandeur décide de qualifier les faits de harcèlement que les délais recommencent à courir pour autant.

72 Comme il a été dit dans Mark, l'imposition de délais a sa raison d'être en relations de travail :

[…]

[24] En outre, il y a de bonnes raisons, du point de vue des relations de travail, pour imposer des délais. Premièrement, les procédures de règlement et d'arbitrage des griefs se veulent un mode définitif et exécutoire de résolution des conflits qui se posent pendant la durée de la convention collective. Deuxièmement, les délais contribuent à la stabilité des relations de travail en assurant une conclusion aux décisions opérationnelles de l'employeur, ce qui a pour conséquence de permettre d'éviter, pour l'agent négociateur ou l'employeur, une exposition constante ou à long terme à des incidents en milieu de travail.

[…]

73 Dans la présente affaire, les faits dont se plaint le demandeur se sont concrétisés au moment où il en a pris connaissance pour la première fois, soit en 1998, en 2000 et chaque année par la suite. En l'absence d'explication claire, logique et convaincante de la part du demandeur, il n'y a aucun fondement pour conclure qu'il a fait preuve de diligence dans la présentation de son grief ou que le retard était raisonnable dans les circonstances. Au contraire, je suis d'avis qu'en raison de la durée de la période écoulée et des recours déjà entrepris par le demandeur, le préjudice que subirait l'employeur si le délai était prolongé serait plus important que l'injustice que subit le demandeur, qui n'a pas fait valoir ses droits en temps opportun. Compte tenu de la preuve, je suis incapable de juger des chances de succès du grief. De toute façon, je considère cet élément sans conséquence à la lumière du présent dossier.

74 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

75 La demande de prorogation du délai est rejetée.

Le 14 décembre 2007.

Michele A. Pineau,
vice-présidente

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