Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, psychologue-conseil, exerçait les fonctions de directeur adjoint par intérim quand il a été accusé de six infractions criminelles relativement à sa conduite en dehors des heures de travail - il a plaidé coupable à un chef d’accusation de s’être conduit de manière menaçante, ce qui lui a valu une condamnation avec sursis et une période de probation de 18 mois - les autres chefs d’accusation ont été abandonnés - l’employeur a licencié le fonctionnaire s’estimant lésé - s’appuyant sur les critères établis dans Millhaven Fibres Limited, Millhaven Works v. Oil, Chemical and Atomic Workers International Union, Local 9-670 (1967), (1A) Union Management Arbitration Cases 328, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’était pas fondé d’infliger une mesure disciplinaire au fonctionnaire s’estimant lésé pour sa conduite en dehors des heures de travail - rien ne prouvait que sa conduite ou sa condamnation avait nuit à la réputation de l’employeur ou à celle de ses collègues de travail - la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé ne l’a pas rendu inapte à remplir convenablement les fonctions de son poste d’attache à titre de psychologue-conseil - les autres employés n’ont pas refusé de travailler avec lui ni manifesté quelque réticence ou incapacité à le faire - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été reconnu coupable d’une grave infraction au Code criminel - sa conduite n’a pas empêché l’employeur de gérer adéquatement son effectif - l’arbitre de grief a ordonné que le fonctionnaire s’estimant lésé soit réintégré dans ses fonctions. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-03-02
  • Dossier:  166-02-35306
  • Référence:  2007 CRTFP 26

Devant un arbitre de grief


ENTRE

FREDERICK JAMES TOBIN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P 35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Barry D. Done, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
David Yazbeck, avocat

Pour l'employeur:
John Jaworski, avocat

Affaire entendue à Kingston (Ontario), du 2 au 5 octobre 2006,
et à Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2006.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Grief renvoyé à l'arbitrage

[1] Avant la cessation de son emploi, Frederick James Tobin était psychologue-conseil (groupe et niveau PS-03) au Service correctionnel du Canada (SCC). Il travaillait au Centre de traitement régional de l'Ontario (CTR), au Pénitencier de Kingston.

[2] L'emploi de M. Tobin a cessé quand l'employeur lui a fait parvenir une lettre datée du 7 mai 2004 (Pièce E-23) qui se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

J'ai fait une analyse exhaustive du document sur votre plaidoyer et sur la peine, de même que de l'examen administratif réalisé en 2002. J'ai aussi tenu compte de vos propos lors de notre rencontre du 28 avril 2004 ainsi que des observations que votre représentante syndicale m'a faites parvenir par écrit le 4 mai 2004.

Comme votre représentante syndicale l'a déclaré le 4 mai 2004, vous avez plaidé coupable à une accusation de conduite menaçante à l'endroit de [HM], incitant ainsi [HM] à avoir des craintes raisonnables pour sa sécurité dans toutes les circonstances; ce faisant, vous avez commis une infraction interdite par l'alinéa 264 (2)d) du Code criminel du Canada. Vous avez déclaré accepter la responsabilité de vos actes dans le contexte de cette condamnation, et le tribunal vous a imposé une condamnation avec sursis assortie de dix-huit mois de probation.

Vous avez contrevenu à la Règle 2 - Conduite et apparence du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle :

  • se conduit d'une manière susceptible de ternir l'image du Service, qu'il soit de service ou non;
  • est coupable d'un acte criminel ou d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire en vertu d'une loi du Canada ou d'une province ou territoire pouvant jeter le discrédit sur le Service ou saper son rendement ultérieur au Service.

J'ai conclu dans ma décision que votre conduite était incompatible avec les fonctions dont vous devez vous acquitter comme psychologue, ainsi qu'avec la conduite attendue des employés du Service correctionnel du Canada.

Vous avez jeté le discrédit sur le Service correctionnel du Canada aux yeux du public, du personnel et des délinquants, et la confiance qu'on vous accordait a été irrévocablement sapée.

J'ai tenu compte de vos années de service et de votre dossier disciplinaire, mais cela ne mitige pas la gravité de vos actes. Par conséquent, en fonction de ce qui précède et conformément au paragraphe 11 (2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, je vous informe que votre emploi au Service correctionnel du Canada a cessé à compter du 23 avril 2004.

[…]

[Les parties m'ont demandé de n'identifier la personne qui avait fait l'objet de la conduite de M. Tobin que par les initiales « HM » dans ma décision.]

[3] M. Tobin a déposé un grief le 18 mai 2004 pour contester sa cessation d'emploi, en demandant à être réintégré sans perte de traitement ni d'avantages.

[4] Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

[5] La date de l'audience avait d'abord été fixée au 1er juin 2005, mais l'audience a été reportée à trois reprises, à la demande de l'une ou l'autre des parties. Le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a ordonné et présidé une conférence préparatoire dans cette affaire.

II. Résumé de la preuve

[6] Avant d'analyser la preuve produite à l'audience, j'aimerais situer le contexte général qui a mené à l'affaire. En janvier 2001, HM a commencé à travailler comme bénévole au CTR; c'est ainsi que M. Tobin a fait sa connaissance. Ils ont entamé une liaison en mars 2001. HM est plus tard devenue une employée occasionnelle du SCC, où elle a travaillé jusqu'en janvier 2002. En juillet 2002, M. Tobin a été accusé au criminel de six infractions liées à des incidents concernant HM. Il a plaidé coupable à une de ces accusations; toutes les autres ont été rejetées. Par ailleurs, HM a intenté une poursuite contre le SCC et contre certains de ses employés.

[7] Les parties ont déposé 70 pièces et fait comparaître 5 témoins, dont M. Tobin.

[8] Alan Stevenson est le directeur de l'Établissement Pittsburgh. Il a résumé ses 36 ans de service au SCC, en insistant sur ses fonctions à titre de directeur de l'Établissement Collins Bay (ÉCB) et sur la structure de gestion de cet établissement, où le sous-directeur des Opérations correctionnelles joue un rôle d'importance extrêmement critique (Pièce E-3), parce que c'est le titulaire de ce poste qui remplace le directeur en son absence - à peu près 40 p. 100 du temps, d'après M. Stevenson. Les fonctions du sous-directeur sont extrêmement exigeantes, car il doit non seulement avoir du jugement, mais aussi être capable de toujours travailler efficacement tant avec le personnel qu'avec les détenus.

[9] Quand le poste de sous-directeur de l'ÉCB est devenu vacant, M. Stevenson s'est fait demander s'il accepterait que M. Tobin l'occupe à titre intérimaire pour une période de six à huit semaines. Au début, M. Stevenson avait des réserves, mais, après avoir rencontré M. Tobin, il a accepté de lui confier le poste. En fait, il a même accepté de prolonger l'affectation intérimaire de M. Tobin à une ou deux reprises, de sorte qu'elle s'est poursuivie du 25 février au 9 juillet 2002, la date à laquelle il a suspendu M. Tobin sans traitement en attendant les résultats d'une enquête (Pièce E-8), après que l'employeur eut été informé que ce dernier avait été arrêté, accusé au criminel et détenu (pièces E-1 et E-2).

[10] M. Stevenson a entrepris une enquête; toutefois, hormis une très brève rencontre, lorsqu'il est allé porter des documents à la résidence de M. Tobin, il n'a plus joué aucun rôle dans la cessation d'emploi de l'intéressé. Lors de cette rencontre-là, M. Tobin l'avait assuré qu'il n'était pas coupable de ce dont on l'accusait (Pièce E-7).

[11] En contre-interrogatoire, M. Stevenson a reconnu que M. Tobin s'était bien acquitté de sa tâche de sous-directeur de l'ÉCB et qu'il avait fait preuve d'une bonne connaissance des exigences juridiques et stratégiques en situation de crise ainsi que d'un bon jugement.

[12] Même s'il n'est pas l'auteur du « Rapport narratif d'évaluation du candidat » produit dans le contexte de l'affectation intérimaire de M. Tobin comme sous-directeur au CTR (Pièce G-2), M. Stevenson n'en a pas moins dit souscrire à l'évaluation figurant aux paragraphes 2 et 4 de la page 2 de ce document :

[Traduction]

[…]

Connaissances :

[…]

Dans ses fonctions de sous-directeur par intérim et dans ses affectations antérieures, M. Tobin a toujours fait preuve d'une connaissance et d'une compréhension approfondies de la mission du SCC, de ses politiques et de ses objectifs globaux. Il aide son personnel à comprendre les enjeux, en le sensibilisant à l'importance de veiller à répondre aux exigences juridiques et stratégiques.

[…]

J'ai eu l'occasion de gérer plusieurs crises avec l'aide de M. Tobin; il a fait preuve d'une bonne connaissance des exigences juridiques et stratégiques ainsi que d'un bon jugement dans des situations très difficiles. Il donne au personnel les instructions nécessaires pour que la crise se règle en toute sécurité. Je considère son style de gestion et ses connaissances comme un atout dans la gestion des situations de crise.

[13] M. Stevenson n'avait parlé ni avec M. Tobin, ni avec qui que ce soit à l'administration centrale nationale du SCC des questions relatives aux accusations portées contre l'intéressé avant de décider de le suspendre, le 9 juillet 2002. Il a reconnu qu'il aurait pu opter pour autre chose qu'une suspension sans traitement, par exemple une réaffectation ou une suspension avec traitement.

[14] Une fois l'enquête menée à bien, M. Stevenson a lu le rapport de l'examen administratif réalisé par les enquêteurs (Pièce E-15). Il reconnaît que ceux-ci avaient constaté que le dossier disciplinaire de M. Tobin était resté vierge jusque-là.

[15] M. Stevenson n'a parlé à personne de la question de savoir si l'arrestation et les accusations allaient saper la capacité de M. Tobin de s'acquitter de ses fonctions, mais, bien que ce dernier l'eût assuré qu'il n'était pas coupable, il s'inquiétait, parce que le fonctionnaire s'estimant lésé avait plaidé coupable à l'accusation d'avoir eu une conduite menaçante à l'endroit de HM.

[16] Nancy L. Stableforth travaille pour le SCC depuis 10 ans; ces quatre dernières années, elle a occupé le poste de sous-commissaire de la Région de l'Ontario. Elle a passé sa carrière en revue et expliqué ses fonctions à titre de sous-commissaire (Pièce E-9).

[17] Mme Stableforth est convaincue que la description de poste générique d'un psychologue-conseil au CTR (Pièce E-10) était encore valable pour la période de 2002 à 2004. Elle a aussi déclaré que les Règles de conduite professionnelle dans le Service correctionnel du Canada (les « Règles de conduite professionnelle ») (Pièce E-11) et le Code de discipline au Service correctionnel du Canada (le « Code de discipline ») (Pièce E-12) s'appliquaient durant toute la période pertinente pour le grief.

[18] Mme Stableforth était en vacances lorsqu'elle a lu deux articles de journaux sur l'arrestation de M. Tobin et sur les accusations portées contre lui (pièces E-13 et E-14). À son retour au travail, plusieurs mois avant sa nomination au poste de commissaire adjointe régionale, elle a pris connaissance de la situation mettant M. Tobin en cause en lisant le rapport de l'examen administratif du 20 novembre 2002. Sur la foi de ce rapport, elle a signé une lettre autorisant le retour de M. Tobin au travail avec traitement rétroactif, quoique ni dans son poste de sous-directeur par intérim, ni dans son poste d'attache de psychologue-conseil. Même si Mme Stableforth a reconnu qu'elle n'avait rencontré M. Tobin que plus tard cette année-là pour lui parler des conclusions du rapport de l'examen administratif, elle s'est dite convaincue que, comme HM était une ancienne employée occasionnelle et que de graves accusations au criminel avaient été portées, il n'aurait pas été correct de réintégrer M. Tobin dans un poste nécessitant des contacts avec les détenus, particulièrement avec les réserves qu'elle avait sur son jugement et sa capacité de se contrôler.

[19] Le 19 avril 2004, M. Tobin a plaidé coupable à une accusation de conduite menaçante à l'endroit de HM. Toutes les autres accusations portées contre lui ont été rejetées (Pièce E-2). Deux articles de journaux ont été publiés sur sa comparution au tribunal et son plaidoyer de culpabilité (pièces E-17 et E-18). Le 23 avril 2004, Mme Stableforth a derechef suspendu M. Tobin sans traitement, en attendant les résultats d'une autre enquête, et elle a pris rendez-vous avec M. Tobin et avec son avocat le 28 avril 2004 (Pièce E-20) pour parler du plaidoyer de culpabilité.

[20] Dans un courriel adressé aux Ressources humaines à l'administration centrale nationale du SCC, Mme Stableforth a résumé sa rencontre du 28 avril 2004 avec M. Tobin et avec son avocat (Pièce E-21). Bien que très peu d'information ait été inchangée lors de cette rencontre, on s'était entendu pour qu'un représentant de l'agent négociateur de M. Tobin communique avec Mme Stableforth en vue de le représenter. Cette communication s'est faite dans une lettre datée du 4 mai 2004 (Pièce E-22) de Marija Dolenc, agente des relations d'emploi de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada. Mme Stableforth n'a pas répondu à cette lettre.

[21] Le 7 mai 2004, Mme Stableforth a mis fin à l'emploi de M. Tobin à compter du 23 avril 2004, la date de sa seconde suspension pour une période indéfinie (Pièce E-23). Elle n'a eu aucun autre contact avec M. Tobin, avec son agent négociateur ni avec son avocat après la lettre de Mme Dolenc datée du 4 mai 2004.

[22] Mme Stableforth a expliqué pourquoi elle avait décidé de mettre fin à l'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé :

  • la Règle 2 (Conduite et apparence) des Règles de conduite professionnelle (Pièce E-11) avait été violée;
  • la conduite de M. Tobin avait discrédité le SCC;
  • M. Tobin avait plaidé coupable à une accusation d'acte criminel;
  • le jugement de M. Tobin allait en souffrir;
  • il est particulièrement important que les employés du SCC respectent la loi, en raison de leur rôle de modèles pour les détenus;
  • M. Tobin n'allait plus être crédible lorsqu'il ferait du counseling et donnerait des avis;
  • la conduite qui avait mené au dépôt des accusations au criminel s'était manifestée dans plus d'un incident.

[23] Mme Stableforth n'a pas rencontré M. Tobin pour lui remettre la lettre qui lui annonçait sa cessation d'emploi; elle a préféré la lui faire livrer par un service de messagerie.

[24] En contre-interrogatoire, Mme Stableforth a avoué qu'elle n'avait pas de formation en psychologie ni d'expérience dans l'analyse des médias et qu'elle n'avait pas non plus fait d'études en statistique. Par contre, en sa qualité d'avocate ayant de l'expérience en droit criminel, elle savait qu'il est possible de conclure à la culpabilité de l'accusé même s'il peut protester de son innocence. Après avoir été informée des accusations au criminel portées contre M. Tobin, elle n'a pas parlé avec lui de l'exercice de ses fonctions.

[25] Mme Stableforth a reconnu que commettre un acte criminel n'entraîne pas automatiquement un congédiement pour motif disciplinaire puisqu'il faut tenir compte de tous les facteurs. Dans ce contexte, l'emprisonnement est un important facteur à considérer.

[26] M. Tobin avait un dossier disciplinaire vierge avant cette affaire; on n'avait jamais conclu qu'il avait harcelé qui que ce soit au travail. Comme on peut le constater à la lecture de son curriculum vitæ (Pièce E-9), Mme Stableforth n'avait aucune responsabilité de gestion hiérarchique vis-à-vis de M. Tobin avant le 21 octobre 2002, quand elle a commencé à occuper son poste actuel. Lorsqu'elle est arrivée à sa décision de mettre fin à l'emploi de l'intéressé, elle ne s'est pas demandé si d'autres cadres supérieurs du SCC qui avaient eux aussi été mentionnés dans les articles de journaux avaient écopé de sanctions disciplinaires pour l'inconduite alléguée par HM, et elle n'avait pas non plus consulté M. Stevenson.

[27] Mme Stableforth a souscrit à l'observation suivante figurant dans le rapport de l'examen administratif :

[Traduction]

[…]

Après l'affectation de M. TOBIN à l'ACR, en septembre 2001, rien n'indiquait que sa relation avec [HM] influait négativement sur son travail ni sur le fonctionnement du SCC.

[…]

[28] Bien que Mme Stableforth ait concédé qu'elle n'était au courant d'aucun problème de rendement de M. Tobin après le retour de celui-ci au travail, en novembre 2002, elle estimait que la confiance qu'elle lui faisait avait été sapée par ce qu'il lui avait dit auparavant - qu'il allait vraisemblablement être exonéré -, étant donné qu'il avait ensuite plaidé coupable à une accusation de harcèlement. En dépit de ce problème de confiance, le 14 août 2003, elle a demandé que M. Tobin soit affecté pour une période de six mois [traduction] « […] dans les domaines de la psychologie, de la réintégration, des programmes et/ou de la recherche […] » dans la région de Kingston (Pièce G-5).

[29] HM a refusé d'être interrogée ou de participer davantage à l'enquête, en raison de la poursuite qu'elle a intentée contre le SCC et contre son personnel, ainsi que des accusations au criminel portées contre M. Tobin, qui étaient encore en cours. Néanmoins, sur la foi des déclarations que HM avait faites aux enquêteurs, Mme Stableforth a conclu que M. Tobin avait persisté pendant un certain temps dans sa conduite envers elle.

[30] Mme Stableforth a préféré ne pas parler aux collègues de M. Tobin, au psychologue en chef ni à M. Stevenson (le superviseur immédiat de M. Tobin) avant de décider de mettre fin à l'emploi de ce dernier. Elle a toutefois dit se rappeler avoir eu des échanges sur cette question avec le commissaire, le directeur James W. Blackler et le sous-commissaire adjoint aux Opérations, Lou Kelly.

[31] Quand elle a levé la première suspension de M. Tobin, Mme Stableforth savait qu'il pourrait être jugé coupable de n'importe quelle des accusations qui pesaient contre lui.

[32] Au sujet des articles de journaux et du discrédit qui en résultait pour le SCC, Mme Stableforth a déclaré qu'elle n'avait que globalement vérifié l'exactitude de ces articles en les comparant à la transcription de l'audience où M. Tobin avait enregistré son plaidoyer et s'était fait imposer sa peine (Pièce E-2), en précisant toutefois qu'elle ne s'était pas fondée sur ces articles. Elle a avoué qu'elle n'avait aucune preuve de l'attitude du public envers le SCC par suite de ces articles et qu'elle n'avait pas fait de sondage pour la savoir. Elle a affirmé : [traduction] « Je n'ai pas mis fin à l'emploi de M. Tobin à cause de la couverture médiatique. »

[33] HM ne travaillait plus au SCC après janvier 2002; par conséquent, les incidents de juillet 2002 résultaient de la conduite de M. Tobin hors des heures de travail. Néanmoins, Mme Stableforth s'est fondée sur les allégations de HM mentionnées par les enquêteurs dans leur rapport de l'examen administratif, à savoir que cette conduite de M. Tobin se serait manifestée aussi pendant qu'il était en service.

[34] En ce qui concerne son résumé de sa rencontre du 28 avril 2004 avec M. Tobin et avec son avocat, Mme Stableforth a reconnu qu'elle n'y avait pas fait état de l'explication que l'avocat de M. Tobin lui avait donnée sur la raison pour laquelle l'intéressé avait plaidé coupable, en partant du principe qu'elle n'allait pas juger l'affaire de nouveau.

[35] Mme Stableforth n'a pas expressément dit à M. Tobin ni à son avocat, lors de cette rencontre du 28 avril 2004, qu'elle craignait que la Règle deux (Conduite et apparence) des Règles de conduite professionnelle ait été violée. Elle ne leur a pas non plus fait part de ses conclusions, telles qu'exprimées dans la lettre annonçant à M. Tobin sa cessation d'emploi (Pièce E-23), bref que sa conduite était incompatible avec ses fonctions de psychologue-conseil, pas plus d'ailleurs que du fait que cela jetait le discrédit sur le SCC ou qu'elle avait perdu confiance en M. Tobin.

[36] En décidant que mettre fin à l'emploi de M. Tobin était justifié, Mme Stableforth n'a pas tenu compte de ses évaluations ni des éloges qu'il avait reçus. Elle n'a pas tenu compte non plus des autres postes auxquels il aurait pu être nommé, pas plus d'ailleurs que du potentiel de réhabilitation, étant donné qu'elle estimait que sa conduite avait été si grave qu'elle ne pouvait pas être corrigée, et que l'inconduite suffisait en elle-même à justifier une cessation d'emploi.

[37] Néanmoins, Mme Stableforth a reconnu que des employés du SCC qui avaient été jugés coupables de graves infractions criminelles, notamment un gestionnaire reconnu coupable de voies de fait contre son épouse, n'avaient pas perdu leur emploi pour autant.

[38] M. Tobin s'est fait refuser une aide juridique aux frais de l'État parce que [traduction] « […] une grande partie des actes d'inconduite qu'on alléguait [qu'il avait commis] n'avaient pas eu lieu au travail […] » (Pièce G-8). Dans un document interne préparé par la Direction générale des relations avec les médias du SCC (Pièce G-9), on laissait entendre que, au cas où quelqu'un demanderait si l'on fournirait à M. Tobin une aide juridique pour sa défense, il faudrait répondre que : [traduction] « les accusations au criminel étaient le résultat d'un litige personnel qui n'avait rien à voir avec son travail au SCC, et que c'est pour cette raison qu'il n'était pas représenté par des avocats du gouvernement. »

[39] M. Tobin a expliqué ses études et son cheminement professionnel, pour lequel il a brièvement examiné 18 pièces, des évaluations tant officielles qu'officieuses de son rendement, des éloges et des reconnaissances de sa participation à des activités liées à son travail d'août 1988 à octobre 2003, par exemple :

•    Pièce G-2 :
« Rapport narratif d'évaluation du candidat » pour une affectation intérimaire comme sous-directeur au CTR;
•    Pièce G-3 : 
demande de M. Stevenson que M. Tobin soit nommé sous-directeur de l'ÉCB (15 mai 2002);
•    Pièce G-5 :
demande de Mme Stableforth qu'on envisage une affectation nationale pour M. Tobin dans les domaines de la psychologie, de la réintégration, des programmes et/ou de la recherche (14 août 2003);
•    Pièce G-10 :
« Rapport d'examen et d'évaluation du rendement » à titre de directeur du programme de l'Unité du comportement féminin au CTR (16 octobre 1989);
•    Pièce G-11 :
« Rapport d'examen et d'évaluation du rendement » à titre de directeur du programme de l'Unité du comportement féminin au CTR (12 février 1992);
•    Pièce G-12 :
« Rapport d'examen et d'évaluation du rendement » à titre de directeur du programme de l'Unité du comportement féminin au CTR (27 février 1992);
•    Pièce G-13 :
lettre d'éloges (29 décembre 1993);
•    Pièce G-16 :
« Rapport d'examen et d'évaluation du rendement » à titre de psychologue-conseil au CTR (16 avril 1996);
•    Pièce G-17 :
« Rapport d'évaluation du rendement » à titre de psychologue-conseil au CTR (17 juin 1998);
•    Pièce G-19 :
« Rapport d'évaluation du rendement » à titre de psychologue, chef de la Psychologie et des programmes, agent principal de projet et sous-directeur par intérim au CTR (27 juillet 2000);
•    Pièce G-20 :
« Rapport d'évaluation du processus de sélection » (19 octobre 2000);
•    Pièce G-21 :
« Programme de planification de la relève de la Région de l'Ontario du SCC » à l'intention de M. Tobin (non daté);
•    Pièce G-25 :
« Rétroaction sur le rendement de la haute direction » pour M. Tobin (16 mai 2001);
•    Pièce G-28 :
note d'éloges (18 avril 2002);
•    Pièce G-31 :
« Rapport d'évaluation du rendement » à titre d'agent de projet à l'administration centrale régionale (14 octobre 2003);
•    Pièce G-38 :
« Certificat d'appréciation » (non daté).

[40] M. Tobin n'a pas pu se rappeler s'il avait assuré M. Stevenson que sa relation avec HM était finie avant de se faire offrir son affectation intérimaire au poste de sous-directeur de l'ÉCB. Même si cette relation était connue de certains membres du personnel du SCC, M. Tobin ne s'était jamais fait imposer de sanction disciplinaire pour sa relation avec HM. Il a reconnu avoir dit à M. Stevenson et à Mme Stableforth qu'il était innocent des accusations portées contre lui. Il était convaincu et l'est encore que sa conduite n'était pas criminelle.

[41] M. Tobin a expliqué l'impact que les accusations au criminel, sa détention et la couverture médiatique ont eues sur lui-même, sur son épouse et sur ses enfants. Si ce n'est en lui rappelant qu'il pouvait s'adresser au Programme d'aide aux employés, l'employeur ne lui a pas donné de formation ni de counseling pour l'aider à composer avec les accusations tout en continuant à s'acquitter de ses fonctions.

[42] Quand on lui a demandé d'expliquer pourquoi il avait plaidé coupable à l'une des six accusations, M. Tobin a déclaré que c'était par suite d'un processus qui s'était déroulé au fil de nombreuses discussions avec son épouse et avec son avocat. En outre, la longueur du procès au pénal à laquelle il fallait s'attendre et l'estimation de ce que sa défense allait lui coûter étaient des facteurs importants dans ce contexte.

[43] M. Tobin a déclaré que les raisons sur lesquelles Mme Stableforth s'est fondée dans la lettre qui lui annonçait sa cessation d'emploi (Pièce E-23) n'avaient pas été soulevées par elle lors de leur rencontre du 28 avril 2004, une semaine avant sa cessation d'emploi. Par conséquent, il n'a jamais eu la possibilité de réfuter les conclusions que a) sa conduite était incompatible avec les fonctions dont il était tenu de s'acquitter à titre de psychologue-conseil, b) il avait jeté le discrédit sur le SCC aux yeux du public, de son personnel et de ses délinquants et que c) la confiance qu'on lui faisait avait été irrévocablement sapée.

[44] M. Tobin ne s'est pas fait offrir de formation, de counseling ni de cours pour savoir comment composer avec des problèmes de rendement au travail et ne s'est pas fait proposer non plus d'accepter un autre emploi plutôt que d'être congédié.

[45] Après être resté environ sept mois sans travail entre sa seconde suspension pour une période indéfinie, à compter du 23 avril 2004, puis sa cessation d'emploi qui avait suivi, M. Tobin a accepté un poste de psychométricien au Département des services de développement du comté de Leeds-Grenville. Ce poste qu'il occupe actuellement exige des contacts personnels avec les clients sur une base régulière. Essentiellement, ses fonctions comprennent l'administration et l'interprétation de tests psychologiques, la formation du personnel et des rapports avec des enfants, des adolescents, des adultes et des enseignants. Les clients de l'organisation ont des problèmes de développement et des troubles d'apprentissage et de développement.

[46] Le nouvel employeur de M. Tobin était conscient des accusations au criminel qui avaient été portées contre lui et savait aussi que le fonctionnaire s'estimant lésé avait plaidé coupable, puisque M. Tobin le lui avait expliqué à l'entrevue qu'il avait passée avant de recevoir une offre d'emploi.

[47] En contre-interrogatoire, M. Tobin s'est fait demander de donner des précisions sur l'historique de son emploi. En sa qualité de directeur du programme de l'Unité du comportement féminin au CTR, il devait s'occuper de six à dix détenues, de concert avec un autre psychologue. Il a déclaré que, comme on peut le lire dans la Pièce G-2 (le « Rapport narratif d'évaluation du candidat » établi pour son affectation intérimaire comme sous-directeur au CTR), il lui fallait faire preuve de jugement dans des sérieuses situations. Il a dit qu'il ne connaissait pas HM avant janvier 2001, quand elle a débuté comme bénévole au CTR, mais que leur liaison avait commencé peu de temps après, en mars 2001. Entre mars et septembre 2001, ils avaient rompu une ou deux fois, mais la relation avait repris entre septembre 2001 et février 2002. HM travaillait comme commis occasionnelle à l'ÉCB avant que M. Tobin n'arrive là comme sous-directeur par intérim. Même s'il n'avait pas informé M. Stevenson de la liaison qu'il entretenait avec HM, plusieurs hauts fonctionnaires du SCC, dont M. Blackler, étaient au courant. M. Tobin a décrit sa relation avec HM en la qualifiant d'intermittente. Par exemple, il a déclaré que HM lui avait donné une clé de sa résidence, puis lui avait demandé de la lui rendre pour ensuite la lui redonner, à la suite de la conférence de formation de Cornwall - du 25 au 27 juin 2002 - (Pièce G-34), à laquelle elle l'avait accompagné. M. Tobin s'est dit convaincu que son épouse a appris entre septembre 2001 et février 2002 qu'il avait une relation avec HM, mais il a poursuivi sa liaison même s'il savait que c'était stressant pour son épouse et pour ses enfants. Il a reconnu avoir participé en novembre 2000 à un cours d'une journée sur l'anti-harcèlement pour les gestionnaires (Pièce G-34), en admettant que sa conduite à l'endroit de HM en juillet 2002 n'était pas correcte et qu'elle constituait du harcèlement, puisque HM a déclaré s'être sentie menacée; il a qualifié les messages qu'il avait laissés le 2 juillet 2002 dans la boîte vocale de l'intéressée de [traduction] « vulgaires, orduriers, méprisables et inacceptables ».

[48] M. Tobin a admis que la description d'un poste de psychologue-conseil au CTR (Pièce E-10) était conforme à la réalité, en avouant avoir reçu un exemplaire des Règles de conduite professionnelle ainsi qu'une copie du Code de discipline. À titre de sous-directeur du CTR et de l'ÉCB, il se devait d'assurer la conformité de son personnel au Code de discipline, et c'est à lui qu'il incombait d'imposer la discipline nécessaire. Il a déclaré avoir eu une [traduction] « certaine connaissance » du document intitulé « A Guide to Staff Discipline and Non Disciplinary Demotion or Termination of Employment for Cause » (Pièce G-6).

[49] Janet de Laat est directrice de l'Établissement Frontenac depuis avril 2002. Au SCC depuis 13 ans, elle a travaillé dans le domaine des relations de travail, ce qui l'a menée au poste de directrice des Relations de travail ainsi qu'à deux postes de sous-directrice d'établissements carcéraux, d'abord en 1996 au Pénitencier de Kingston, puis en 1998 à l'ÉCB. Elle connaît M. Tobin depuis 1996; c'est pour elle un ami, tout comme son épouse. Dans la fin de semaine du 2 juillet 2002, elle avait pris des arrangements pour rencontrer socialement les Tobin, mais Mme Tobin lui a téléphoné pour l'informer que son mari avait été arrêté et qu'on avait porté des accusations au criminel contre lui. À la demande de M. Tobin, Mme de Laat a envoyé un message à M. Stevenson sur sa pagette pour l'informer des accusations. Sa seule autre participation au processus a consisté à assister à deux entrevues dans le cadre de l'enquête qui a mené à la cessation d'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé.

[50] À l'automne 2003, M. Tobin était affecté à l'Établissement Frontenac et relevait directement de Mme de Laat. Il travaillait très dur, et Mme de Laat comme son équipe de direction étaient contents de ses résultats. Son arrivée là après qu'il eut été accusé au criminel et qu'on en ait parlé dans les journaux n'a suscité aucune réaction négative. Même en sachant que M. Tobin avait plaidé coupable à l'une des accusations, Mme de Laat ne croyait pas que son aptitude à s'acquitter de ses fonctions en souffrirait; elle a dit qu'elle n'aurait eu aucune hésitation à lui confier des tâches l'amenant à avoir des contacts avec les détenus.

[51] En contre-interrogatoire, Mme de Laat a déclaré qu'elle savait que M. Tobin s'était rendu coupable d'inconduite, puisqu'il lui avait avoué qu'il avait une liaison avec HM presque dès le début de cette relation.

[52] David J. Farnsworth est le directeur de la Réhabilitation psychologique au CTR. Il a expliqué le déroulement de sa carrière tant avant son arrivée au SCC en 1990 que depuis, jusqu'à sa nomination à son poste de directeur en 1997.

[53] C'est à titre de superviseur immédiat de M. Tobin que M. Farnsworth a rempli et signé en 1996 la Pièce G-16, une évaluation du rendement du fonctionnaire s'estimant lésé au CTR. M. Tobin était chargé de traiter six à huit détenues, de superviser quatre subordonnés et de travailler avec tout le personnel du SCC. La cote d'évaluation globale que M. Farnsworth lui a attribuée était « supérieur »; il s'est dit d'avis que M. Tobin est [traduction] « tout à fait compétent ».

[54] M. Farnsworth a déclaré avoir été au courant des accusations au criminel portées contre M. Tobin; il a aussi reconnu qu'il savait que ce dernier avait plaidé coupable, puisqu'il a assisté à son procès. Il n'aurait aucune crainte si M. Tobin retournait travailler au CTR, même en ayant des interactions avec des détenues, puisque tout ce qu'il a pu constater était [traduction] « une excellente interaction avec les détenues pendant cinq ans ». M. Farnsworth a reconnu qu'il est un ami de M. Tobin et ce, depuis 1990.

[55] En contre-interrogatoire, M. Farnsworth a déclaré qu'il demeure un ami de M. Tobin et qu'il était au courant de sa liaison avec HM.

[56] Au début de la reprise de l'audience, le 17 novembre 2006, conformément à une entente conclue à l'audience précédemment, les parties ont soumis avec consentement mutuel la Pièce E-25, sur les sanctions disciplinaires imposées à d'autres employés du SCC qui avaient commis des actes criminels.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour l'employeur

[57] Du côté positif, l'avocat de l'employeur a admis que M. Tobin comptait 16 années de service et qu'on lui avait offert plusieurs affectations intérimaires, notamment comme sous-directeur, tant au CTR qu'à l'ÉCB. M. Tobin a toujours été un bon employé; sa carrière progressait bien, comme le montrent ses nombreuses évaluations ainsi que les nombreux éloges qu'il a reçus, plus particulièrement ses rapports d'examen et d'évaluation du rendement de 1988 à 1990 (pièces G-10 et G-11), qui contenaient de nombreuses observations favorables. M. Stevenson a non seulement confié à M. Tobin sa première affectation intérimaire comme sous-directeur de l'ÉCB, il a aussi été satisfait de son rendement dans ce poste au point de prolonger jusqu'à quatre mois une affectation qui devait au départ ne durer que six semaines.

[58] Néanmoins, M. Tobin a commencé à manquer de jugement et, partant, à prendre de mauvaises décisions. Ainsi, sa décision de se faire accompagner par HM dans une conférence de formation pour les gestionnaires à Cornwall, en juin 2002, était une mauvaise décision attribuable à son manque de jugement. Et M. Tobin a continué à prendre de mauvaises décisions, notamment dans le contexte des événements de juillet 2002, qui ont mené à son arrestation et à sa détention.

[59] En outre, M. Tobin n'a pas été franc avec M. Stevenson au sujet de la liaison qu'il continuait d'avoir avec HM et de ce qui s'était passé entre eux pour aboutir à des accusations portées contre lui. En fait, M. Tobin a dit par deux fois à M. Stevenson qu'il n'était pas coupable des actes dont on l'accusait et qu'il s'attendait à être exonéré. Il l'a aussi déclaré à la sous-commissaire fraîchement nommée, Mme Stableforth. En dépit de ces assurances, il a plaidé coupable à l'accusation de harcèlement criminel le 19 avril 2004, 16 mois après son retour au travail à la suite de l'examen administratif.

[60] M. Tobin était tenu de se conformer aux Règles de conduite professionnelle ainsi qu'au Code de discipline.

[61] Le poste de sous-directeur que M. Tobin occupait par intérim était un poste important d'un niveau très élevé au SCC. À titre de sous-directeur, il pouvait être appelé à remplacer le directeur en l'absence de ce dernier, et il l'a effectivement été. Sa tâche consistait essentiellement à modifier le comportement des gens (pour qu'ils changent et deviennent des gens meilleurs); pour ce faire, M. Tobin devait avoir du jugement, mais il a manqué de jugement de façon répétée.

[62] Qui plus est, M. Tobin ne croyait pas avoir le moindrement mal agi, et il n'a pas présenté d'excuses.

[63] L'avocat de l'employeur a brièvement passé la jurisprudence en revue. Il a invoqué en tout neuf décisions portant sur les critères applicables lorsqu'on impose des sanctions disciplinaires à quelqu'un pour sa conduite hors des heures de travail : Flewwelling c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans), dossier de la CRTFP 166-02-14236 (19840328), Wells c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27802 (19971125), McIsaac c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-20610 (19901231), Gibbons c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada -Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-19622 (19901115), Moore c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-23658 (19930527), Fauteux c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-26211 (19950620), Beirnes c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-21914 (19920710), Cudmore c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-26517 (19960725) et Oliver c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 43.

B. Pour M. Tobin

[64] L'avocat de l'employeur ne s'est pas acquitté de la charge de la preuve. Il devait prouver qu'il avait des motifs valables pour une sanction disciplinaire, comme il l'a déclaré dans la lettre mettant fin à l'emploi de M. Tobin (Pièce E-23), à savoir que celui-ci avait contrevenu à la Règle deux (Conduite et apparence) des Règles de conduite professionnelle de même qu'au Code de discipline. Cette Règle deux des Règles de conduite professionnelle se lit comme suit :

[…]

Infractions

Commet une infraction l'employé qui :

[…]

•   
se conduit d'une manière susceptible de ternir l'image du Service, qu'il soit de service ou non;
•   
est coupable d'un acte criminel ou d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire […] pouvant jeter le discrédit sur le Service ou saper son rendement ultérieur au Service.

[…]

[65] Pour ce qui est du discrédit que les actions de M. Tobin auraient jeté sur le SCC, il ne suffit pas que l'employeur l'affirme; son avocat doit avoir de quoi le prouver. Or, il n'y a pas de preuve en l'espèce, mais seulement un postulat. On n'a pas produit de preuve que le SCC ait reçu des plaintes ou subi des conséquences négatives en invoquant un sondage ou une enquête auprès du public. On n'a pas non plus avancé la moindre preuve d'un impact négatif sur les opérations du SCC ni d'un effet quelconque du maintien en poste de M. Tobin au SCC. Dans ce contexte, l'employeur n'a produit que des reportages dans divers journaux (pièces E-13, E-14, E-17 et E-18).

[66] L'employeur n'a pas pris la peine de tenir compte d'une preuve objective fiable qui pourrait trancher la question de savoir si M. Tobin était en mesure de s'acquitter de ses fonctions de manière satisfaisante après son plaidoyer de culpabilité, par exemple ses évaluations de rendement et les commentaires de ses collègues, de son superviseur, de M. Stevenson, de M. Farnsworth, de Mme de Laat et des délinquants, voire de M. Tobin lui-même.

[67] L'avocat de M. Tobin m'a renvoyé à l'ouvrage de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4th Edition, para. 7:3010, sur la charge de la preuve dont l'employeur doit s'acquitter lorsqu'il impose des sanctions disciplinaires à un employé pour sa conduite hors des heures de travail :

[Traduction]

7:3010 Conduite hors des heures de travail

[…]

          Dans tous les cas, toutefois, les arbitres ont insisté sur le fait que les employeurs doivent prouver l'existence d'une véritable relation de cause à effet entre les événements qui se sont produits quand l'employé n'était pas en service et le fonctionnement efficient de leurs entreprises. Ils sont tenus de mener une enquête sérieuse pour déterminer jusqu'à quel point les activités personnelles de l'employé vont saper leurs intérêts, sans se baser sur des suppositions et des hypothèses sans fondement. En fin de compte, l'arbitre doit concilier les intérêts opposés de l'employeur et de l'employé, et la jurisprudence a établi que toute ingérence dans les affaires privées de l'employé doit être proportionnelle à l'intérêt de l'employeur qui est en jeu.

[Notes omises]

[68] L'avocat de M. Tobin m'a rappelé que celui-ci n'avait pas subi de sanction disciplinaire pour avoir eu une liaison avec HM, étant donné que de nombreux employés du SCC étaient au courant de leur relation et qu'on n'avait rien fait à ce sujet.

[69] Pour établir un lien entre sa conduite hors des heures de travail et la capacité de l'employé de s'acquitter de ses fonctions, il ne suffit pas d'avancer des hypothèses, et pourtant, en l'espèce, on n'a pas vraiment tenté de prouver l'existence d'un tel lien. De plus, il faut une preuve claire, convaincante et solide quand on allègue qu'un employé s'est rendu coupable d'inconduite grave ou d'un comportement criminel. Par exemple, dans Nova Scotia Community College v. Nova Scotia Teachers' Union (2003), 121 L.A.C. (4th) 159, l'arbitre a conclu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…]

[72] […] Bien que la charge de la preuve dans des affaires disciplinaires soit la prépondérance des probabilités, il est aussi reconnu que la preuve doit être « claire, convaincante et solide » lorsqu'il s'agit d'inconduite grave ou de comportement criminel […]

[…]

[70] L'avocat a reconnu l'applicabilité du critère établi dans Millhaven Fibres Limited, Millhaven Works v. Oil, Chemical and Atomic Workers International Union, Local 9-670 (1967), (1A) Union Management Arbitration Cases 328, rapportée dans Port Moody (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 825 (1997), 63 L.A.C. (4th) 203.

[71] L'avocat de l'employeur semble se fonder largement sur le fait que M. Tobin a d'une part dit qu'il n'était pas coupable et s'attendait à être exonéré alors que, d'autre part, il a plaidé coupable à l'une des accusations au criminel portées contre lui. Rien dans la lettre lui annonçant sa cessation d'emploi ne souligne que cela préoccupait l'employeur et encore moins que c'était un motif justifiant à son avis sa décision de mettre fin à l'emploi de M. Tobin. De toute façon, l'explication est facile à comprendre : M. Tobin ne mentait pas; il exprimait son opinion personnelle. Il a accepté d'agir de la façon la plus logique sur l'avis de son avocat. Qu'aurait-il pu faire d'autre? Se battre en cour? Faire plus de publicité sur l'affaire? Risquer de causer plus de tort, aussi bien à sa famille qu'au SCC? En soi, négocier un plaidoyer est une preuve de discernement.

[72] En ce qui concerne la prétention de l'avocat de l'employeur que M. Tobin aurait manqué de jugement, son avocat m'a pressé de faire une distinction entre manquer de jugement dans sa vie personnelle et en manquer dans sa vie professionnelle. Or, rien dans la preuve ne permet de conclure que M. Tobin ait manqué de jugement dans l'exercice de ses fonctions. De plus, sa relation avec HM après septembre 2001 n'a pas non plus influé sur sa capacité de s'acquitter de ses fonctions : on peut clairement le lire dans le rapport de l'examen administratif.

1. Crédibilité des témoins

[73] M. Stevenson ne se rappelle pas très clairement les événements. Le témoignage de M. Tobin a été ouvert, franc et sans faux-fuyants, même en contre-interrogatoire. En fait, l'intéressé ne s'est pas fait prier pour admettre même des faits négatifs et n'a pas tenté de donner le change ou d'esquiver des détails.

[74] En outre, les enquêteurs ont souligné que M. Tobin avait pleinement coopéré dans le contexte de l'examen administratif. Son avocat m'a donc dit que je devrais préférer son témoignage lorsque les versions des événements diffèrent, et que cela devrait inclure le témoignage de Mme Stableforth, puisqu'elle a parfois été réticente. À cet égard, l'avocat de M. Tobin a rappelé que Mme Stableforth s'était fait prier pour reconnaître que l'emprisonnement est un important facteur à peser lorsqu'on évalue la gravité des actes criminels, alors que c'est clairement précisé dans la Règle deux (Conduite et apparence) des Règles de conduite professionnelle.

[75] L'avocat de M. Tobin m'a demandé de tenir compte des facteurs de mitigation que sont les évaluations du rendement de M. Tobin, le témoignage de M. Farnsworth, celui de Mme de Laat, le fait que M. Tobin avait un dossier disciplinaire vierge et enfin les éloges qu'il avait reçus dans ses lettres de références du ministère de la Justice, du St. Lawrence College et du directeur de la Prison des femmes (pièces G-35 à G-39).

2. Admission de la mauvaise conduite

[76] M. Tobin n'a pas dit que ce qu'il avait fait n'était pas mal agir. Ce qu'il a dit, c'est que ce n'était pas criminel. Après tout, il a plaidé coupable et accepté les faits convenus dans le [traduction] « Rapport sur le plaidoyer et la peine » (Pièce E-2).

3. Capacité de M. Tobin de s'acquitter de ses fonctions

[77] En dépit de ce qui s'est passé entre HM et M. Tobin (et en dépit aussi des accusations au criminel, de la détention et de la couverture médiatique qui ont suivi), la preuve a montré que M. Tobin était capable de continuer de s'acquitter de ses fonctions de manière satisfaisante : il l'a fait. Quand il est retourné au travail, en novembre 2002, la preuve a révélé que son rendement à partir de ce moment-là jusqu'à sa suspension, 17 mois plus tard, au printemps 2004, n'avait posé aucun problème. C'est la meilleure preuve qui soit que l'affaire n'avait eu aucun impact sur ses fonctions. Le 14 août 2003, Mme Stableforth a demandé qu'on envisage de lui confier une affectation nationale en psychologie (Pièce G-5).

[78] L'inconduite de M. Tobin n'était pas assez grave pour justifier en elle-même sa cessation d'emploi, et l'employeur a eu tort de ne pas tenir compte de son potentiel de réhabilitation. C'est évident lorsqu'on voit comment le SCC a réagi dans des cas d'inconduite plus grave qui avaient abouti à des condamnations pénales de ses employés pour des affaires de voies de fait contre un conjoint et de conduite en état d'ébriété, par exemple (Pièce E-25).

[79] Rien dans la preuve n'a montré que l'employeur ait satisfait à ne serait-ce qu'un des cinq critères établis dans Millhaven Fibres sur lesquels on se fonde communément pour déterminer si l'employeur peut imposer des sanctions disciplinaires à un employé pour sa conduite hors des heures de travail.

[80] L'employeur aurait dû tenir compte de tous les facteurs de mitigation pour déterminer quelle était la mesure appropriée en l'espèce. À cet égard, l'avocat de M. Tobin m'a renvoyé à Canadian Labour Arbitration, où les 10 facteurs suivants sont énumérés au paragraphe 7:4400 :

[Traduction]

7:4400 Facteurs de mitigation

[…]

1.       Le dossier jusque-là vierge du fonctionnaire s'estimant lésé […]

2.       Les longs états de service du fonctionnaire s'estimant lésé […]

3.       Le fait que l'infraction a été ou non un incident isolé dans la carrière du fonctionnaire  s'estimant lésé […]

4.       La provocation […]

5.       Le fait que l'infraction a été commise ou non sous l'impulsion du moment par suite d'une aberration temporaire résultant de fortes pulsions émotionnelles, ou au contraire qu'elle était préméditée […]

6.       Le fait que la sanction imposée a causé des difficultés économiques particulières au fonctionnaire s'estimant lésé, compte tenu de sa situation personnelle […]

7.       La preuve que les règles de conduite de la compagnie, tacites ou affichées, n'ont pas été appliquées uniformément, ce qui constitue une forme de discrimination […]

8.       Les circonstances niant l'intention coupable, p. ex. la vraisemblance que le fonctionnaire s'estimant lésé n'ait pas compris la nature ou l'esprit d'un ordre qui lui avait été donné, de sorte qu'il a désobéi […]

9.       La gravité de l'infraction dans le contexte de la politique et des obligations de la compagnie […]

10.     Toutes les autres circonstances dont la commission devrait tenir compte à juste titre, p. ex. a) le refus du fonctionnaire s'estimant lésé de présenter des excuses et de régler le problème après s'être fait offrir la possibilité de le faire […] b) le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé a été congédié pour avoir conduit de façon inacceptable un véhicule de la compagnie alors que celle-ci a produit pour la première fois des règles applicables à la conduite des chauffeurs après son congédiement, ce qui a été considéré comme une circonstance atténuante […] c) le fait que la compagnie n'a pas permis à l'employé s'estimant lésé de s'expliquer ou de nier l'infraction alléguée […]

C. Réplique de l'employeur

[81] En réplique, l'avocat de l'employeur a fait les commentaires suivants. M. Farnsworth et Mme de Laat sont des amis intimes de M. Tobin. Après son retour au travail, ce dernier a plaidé coupable à une accusation portée contre lui, et c'est ce qui a changé les choses du point de vue de l'employeur. Bien que son avocat reconnaisse que les événements de juillet 2002 se soient produits dans une période très émotionnelle (et au départ sous l'impulsion du moment), mais les actes de l'intéressé n'ont pas continué d'être impulsifs quand il a laissé plusieurs messages dans la boîte vocale de HM.

[82] L'avocat de l'employeur a soutenu que je devrais me pencher sur la conduite criminelle des autres employés du SCC (Pièce E-25) dans leur contexte, compte tenu de leurs fonctions et des faits dans chaque cas, pour décider si la sanction imposée était conséquente. L'employeur n'a pas ordonné à M. Tobin de mettre fin à sa relation avec HM, en déclarant : [traduction] « il n'a pas la responsabilité de régir la vie personnelle de M. Tobin ».

IV. Motifs

[83] Pour s'acquitter de la charge de la preuve qui lui incombe dans les affaires disciplinaires, l'employeur doit normalement prouver que l'inconduite dénoncée s'est bel et bien produite, et que la sanction qu'il a imposée était raisonnable dans les circonstances. Cela dit, le fait que la conduite dénoncée en l'espèce s'est déroulée hors des heures de travail soulève un troisième facteur, étant donné que la conduite d'un employé hors des heures de travail n'est pas invariablement assujettie au pouvoir de l'employeur de le corriger par l'imposition de sanctions disciplinaires progressives.

[84] L'employeur s'est acquitté de la première partie de cette charge de la preuve en invoquant le plaidoyer de culpabilité. Néanmoins, avant de me demander si la sanction imposée était raisonnable ou non, je dois commencer par décider si l'employeur exerçait un contrôle sur la conduite de M. Tobin hors de ses heures de travail.

[85] L'employeur n'est pas généralement considéré comme le gardien de la rectitude morale de ses employés. L'avocat de l'employeur l'a reconnu, en déclarant que la raison pour laquelle l'employeur n'avait pas ordonné à M. Tobin de mettre fin à sa relation avec HM était qu'il n'avait pas [traduction] « la responsabilité de régir la vie personnelle de M. Tobin ». L'ironie du sort veut précisément que ce soit cette question-là qu'il me faut trancher afin de déterminer si l'employeur avait le droit d'imposer une sanction disciplinaire à M. Tobin pour sa conduite en dehors de ses heures de travail, bref pour quelque chose qui s'est passé dans sa vie privée. Si ce qui s'est passé échappait au contrôle de l'employeur, toute sanction disciplinaire imposée pour punir cette conduite hors des heures de travail ne saurait être justifiée.

[86] L'avocat a reconnu qu'il faudrait appliquer les cinq critères établis dans Millhaven Fibres pour répondre à cette question. Je souscris à cet argument, puisque ce quintuple critère a été appliqué maintes fois au cours des 40 dernières années.

A.La conduite de M. Tobin a-t-elle sapé la réputation du SCC, et sa condamnation au criminel a-t-elle rendu sa conduite nuisible à la réputation générale du SCC et des employés travaillant au SCC?

[87] Le premier critère de Millhaven Fibres est étroitement lié à la Règle deux (Conduite et apparence) du Code de discipline; en l'espèce, c'est l'atteinte qui aurait été faite à la réputation du SCC, ce qui rappelle aussi la deuxième partie du quatrième critère, à savoir que sa condamnation aurait pu rendre la conduite de M. Tobin nuisible à la réputation générale du SCC et des employés qui y travaillent. Je vais donc me prononcer sur la pertinence de ce premier critère de Millhaven Fibres et de la seconde partie de son quatrième critère.

[88] J'accepte l'argument de l'avocat de M. Tobin voulant que l'employeur soit tenu d'avancer une preuve, voire une preuve claire et solide, compte tenu du caractère criminel de la conduite dénoncée, mais il doit assurément produire au moins une certaine preuve. Il me semble tout aussi logique que la gravité non seulement de la conduite, mais aussi de la sanction disciplinaire imposée peuvent rendre la charge de la preuve plus lourde, dans un contexte de procédure civile.

[89] Or, rien dans la preuve n'a démontré que le SCC ait souffert de la conduite de M. Tobin hors de ses heures de travail. Pour arriver à une telle conclusion, il me faudrait une preuve sur ce qui suit :

  1. la réputation du SCC avant les événements de juillet 2002;
  2. la réputation du SCC après les événements de juillet 2002;
  3. si la réputation du SCC a été sapée dans la période d'avant et d'après juillet 2002, une preuve que ce serait directement attribuable à la conduite de M. Tobin hors de ses heures de travail.

[90] On ne m'a avancé aucune preuve pour étayer une conclusion sur l'un ou l'autre de ces points. La seule preuve devant moi quant à l'atteinte que la situation aurait pu porter à la réputation du SCC tombe bien en deçà de toute norme de preuve acceptable et à plus forte partie d'une preuve claire, convaincante et solide.

[91] L'employeur a déposé quatre articles de journaux, deux suivant le dépôt des accusations au criminel (pièces E-13 et E-14) et les deux autres suivant le plaidoyer de culpabilité (pièces E-17 et E-18). Quel poids puis-je accorder à une preuve de ouï-dire comme celle-là? Les auteurs des articles n'ont pas été appelés à témoigner; ils n'ont pas prêté serment; ils n'ont pas été contre-interrogés. Je ne puis accepter ces articles que parce qu'ils ont été publiés, sans retenir leur contenu factuel qui contient de nombreuses inexactitudes, je le souligne.

[92] Même si j'accepte que le contenu des articles de journaux ne puisse pas être raisonnablement considéré comme flatteur pour le SCC ou comme susceptible d'améliorer d'une façon quelconque sa réputation, il ne contribue nullement à déterminer le tort que le SCC aurait subi, en général, ni à trancher les trois éléments de preuve qu'il me faudrait pour conclure que ce tort serait attribuable à M. Tobin, en particulier.

[93] À cet égard, je prends bonne note de la déclaration de Mme Stableforth : [traduction] « Je n'ai pas mis fin à l'emploi de M. Tobin à cause de la couverture médiatique. » D'ailleurs, Mme Stableforth a admis qu'elle n'avait aucune preuve de l'attitude du public à l'endroit du SCC par suite de la publication de ces articles et déclaré qu'elle ne s'était pas fondée sur les reportages dans la presse.

[94] La réputation des employés du SCC aurait-elle été sapée d'une façon quelconque? Là encore, l'employeur n'a rien avancé d'autre que les quatre articles de journaux, et ils tombent bien en deçà de la preuve requise. Qui plus est, d'autres faits tendent à prouver le contraire : les témoignages de Mme de Laat, la directrice de l'Établissement Frontenac, ainsi que de M. Farnsworth, un cadre supérieur du CTR, n'ont pas été sérieusement contestés, pas plus d'ailleurs que le fait qu'ils continuent d'être des amis de M. Tobin ne mine leur crédibilité. Ces deux témoins ont été très élogieux quant aux aptitudes et au rendement de M. Tobin, et ils ont tous deux déclaré qu'ils n'auraient aucune difficulté à travailler de nouveau avec lui s'il devait être réintégré. La question de savoir s'ils pensaient que la conduite de M. Tobin ou son plaidoyer de culpabilité avait sapé leurs réputations ne leur a pas été directement posée, mais le simple fait qu'ils ont comparu à l'audience comme témoins pour M. Tobin et leurs témoignages eux-mêmes, qui ne souscrivaient pas à la décision de mettre fin à son emploi, me semblent incompatibles avec une perception qu'ils auraient eue que la conduite de M. Tobin en dehors des heures de travail avait nui à leur réputation ou à celle du SCC. Je souligne qu'aucun employé n'a été appelé à témoigner pour laisser entendre que sa réputation en tant que membre du personnel du SCC ait été le moindrement ternie ou sapée par la conduite de M. Tobin.

B.La conduite de M. Tobin le rendait-il incapable de s'acquitter de ses fonctions de manière satisfaisante?

[95] Les fonctions de M. Tobin sont détaillées dans la description de poste d'un psychologue-conseil PS-03 (Pièce E-10). Dans certaines de ses observations, l'avocat de l'employeur a insisté sur l'importance du poste de sous-directeur que M. Tobin occupait par intérim (les fonctions de ce poste sont décrites dans la Pièce E-3), mais ce sont les fonctions de M. Tobin dans son poste d'attache de psychologue-conseil qui m'intéressent. On ne m'a avancé aucune preuve qui me permettrait de déterminer de laquelle des six fonctions d'un psychologue-conseil il ne pourrait plus s'acquitter de façon satisfaisante, à supposer que l'une d'entre elles ait posé problème, alors que la preuve tend très largement à démontrer le contraire.

[96] Selon le second critère de Millhaven Fibres, il faut que la conduite de l'employé le rende incapable de s'acquitter de ses fonctions de manière satisfaisante. En l'espèce, cette conduite s'entend des événements survenus au cours de la longue fin de semaine de juillet 2002. Tout ce qui s'est passé entre cette longue fin de semaine et la cessation d'emploi de M. Tobin, à toutes fins utiles, c'est qu'il a plaidé coupable le 19 avril 2004, mais ce n'est pas de cette conduite-là que l'employeur se plaignait. Entre-temps, M. Tobin a été autorisé à retourner au travail en novembre 2002; il y est resté jusqu'à sa seconde suspension le 23 avril 2004, soit 17 mois plus tard. On n'a absolument pas laissé entendre qu'il était incapable de s'acquitter de ses fonctions de manière satisfaisante durant cette période.

[97] Ce que nous savons grâce aux nombreuses évaluations de même qu'à une foule d'éloges, de félicitations, et ainsi de suite, c'est que M. Tobin avait toujours été un employé apprécié en tant que psychologue-conseil, directeur de programme, sous-directeur du CTR et sous-directeur de l'ÉCB, de même qu'en tant que directeur par intérim et du CTR, et de l'ÉCB. Et ces faits sont renforcés par les opinions de la directrice de l'Établissement Frontenac et du directeur de la Réhabilitation psychologique au CTR, qui sont convaincus que la capacité de M. Tobin de s'acquitter de ses fonctions fondamentales n'avait été absolument pas sapée par sa conduite hors des heures de travail.

[98] La preuve ne me permet donc pas de conclure que M. Tobin n'était pas en mesure de s'acquitter de ses fonctions d'une manière satisfaisante par suite de sa conduite hors des heures de travail. En fait, et bien que ses tâches de psychométricien au Département des services de développement du comté de Leeds-Grenville diffèrent dans une certaine mesure de celles d'un psychologue-conseil au SCC, on n'a pas contesté son témoignage quand il a déclaré continuer à s'acquitter de ses fonctions sans difficulté.

C.La conduite de M. Tobin a-t-elle abouti au refus ou à l'incapacité d'autres employés du SCC de travailler avec lui, ou leur a-t-il inspiré de la réticence à le faire?

[99] Ni M. Stevenson, ni Mme Stableforth ne se sont fait poser cette question directement. Toutefois, puisque Mme Stableforth a pris la décision de mettre fin à l'emploi de M. Tobin, il est raisonnable de conclure qu'elle pourrait avoir de la réticence à travailler avec lui.

[100] Par contre, la question a été directement posée à M. Farnsworth ainsi qu'à Mme de Laat, et les deux ont répondu sans équivoque qu'ils n'auraient aucune difficulté à travailler avec M. Tobin. Le témoignage de M. Farnsworth était particulièrement pertinent, puisqu'il est un directeur du CTR, où le poste d'attache de M. Tobin est affecté. On n'a fait comparaître aucun collègue de M. Tobin ni aucun de ses subordonnés, pas plus que des agents de correction ni aucun membre de l'équipe de direction du Pénitencier de Kingston, où le CTR est situé, pour leur faire exprimer leur réticence ou leur incapacité à travailler avec lui.

[101] Bref, pour que ce critère soit respecté, il aurait fallu qu'on me présente de solides preuves objectives qui me permettraient de conclure que M. Tobin serait traité comme un paria s'il devait être réintégré. On ne m'en a présenté aucune. La Pièce E-25, qui a été admise en preuve avec le consentement des parties le dernier jour de l'audience, est passablement révélatrice à cet égard. Elle porte sur les autres membres du SCC qui avaient été condamnés pour des infractions criminelles allant du harcèlement criminel (la même infraction qui faisait l'objet de l'accusation à laquelle M. Tobin a plaidé coupable), à la conduite en état d'ébriété et à des voies de fait contre une conjointe. Or, ces employés mentionnés dans la Pièce E-25 ont conservé leurs postes. On ne m'a pas avancé de preuve pour démontrer que les autres employés avaient de la réticence à travailler avec eux ou que leur maintien en poste avait créé une situation intenable au travail, que ce soit pour les employés ou pour la direction.

D. M. Tobin a-t-il été coupable d'une grave infraction du Code criminel?

[102] Dans le contexte de la seconde partie du quatrième critère établi dans Millhaven Fibres, peut-on conclure que la conduite de M. Tobin constituait une grave infraction du Code criminel?

[103] La gravité est une notion subjective ou comparative, bien entendu. De toute évidence, ce qui est grave pour l'un peut ne pas l'être pour l'autre, et le terme lui-même prête le flanc à l'interprétation. Pour cette raison, j'ai posé la question aux avocats en leur demandant de me préciser ce qui constitue à leur avis une grave infraction du Code criminel. Il semblerait d'après les exemples donnés que ce qu'on entend par une infraction grave pourrait être une agression, le fait de causer la mort, des infractions à l'endroit d'un enfant, d'une personne âgée ou infirme, un viol et des crimes de cette sorte. Je reconnais que de telles infractions sont graves. Peut-être la solution du problème de savoir ce qui constitue ou non une infraction grave consiste-t-elle à la comparer aux autres infractions reconnues par le Code criminel, pour déterminer où elle se situe dans l'ensemble des actes de ce genre. Cela dit, un des moyens de juger de la gravité relative d'une infraction consiste à déterminer les peines dont elle est punissable.

[104] Dans le cas de M. Tobin, les parties ont conjointement suggéré à la cour ce qu'elles considéraient comme une peine appropriée : c'était une condamnation avec sursis, assortie de 18 mois de probation sous conditions (Pièce E-2). La cour a conclu que les intérêts de M. Tobin et ceux de la société étaient servis, et que cette peine répondait aussi à l'objectif général de dissuasion des autorités judiciaires. Tous ces facteurs m'amènent à conclure pour les fins de mes délibérations que la conduite de M. Tobin ne constituait pas une grave infraction du Code criminel.

[105] Cette conclusion ne devrait d'aucune façon être interprétée comme laissant entendre que j'ai pris le plaidoyer de culpabilité à la légère, pas plus que la conduite hors des heures de travail qui a mené à ce plaidoyer. Ce n'est certainement pas le cas.

E. La conduite de M. Tobin a-t-il compliqué la tâche du SCC pour gérer efficacement son travail et diriger son personnel avec efficience?

[106] La preuve a démontré que le rendement de M. Tobin n'a pas posé de problème durant la période de 17 mois entre son retour au travail à la fin de sa première suspension et le début de sa seconde suspension pour une période indéfinie, le 23 avril 2004 (Pièce E-20). Durant toute cette période, les accusations au criminel portées contre lui étaient bien connues tant du SCC que du grand public, parce qu'il y avait eu des articles de journaux sur cela (pièces E-13, E-14, E-17 et E-18), d'après l'avocat de l'employeur. On ne m'a toutefois rien prouvé quant à la réaction que ces articles auraient suscitée chez un particulier ou un groupe, et l'on ne m'a pas non plus signalé de pétition d'un groupe de citoyens en colère exigeant le congédiement immédiat de M. Tobin, ni d'autres protestations du genre.

[107] Ce que nous avons, ce sont les pièces G-29, G-30 et G-31, qui couvrent la période de novembre 2002 à avril 2004, et ces pièces ne révèlent aucune difficulté de gestion du milieu de travail :

  • La Pièce G-29 porte sur l'affectation de M. Tobin à des tâches pour une période de six mois (du 25 novembre 2002 au 25 mai 2003), et les conditions suivantes sont particulièrement intéressantes :
    1. l'affectation sera menée à bien à condition que le rendement soit satisfaisant;
    2. l'affectation peut prendre fin sur préavis écrit de 30 jours;
    3. l'affectation peut être prolongée en fonction des exigences du service par accord mutuel des parties.
  • La Pièce G-30 prévoit une prolongation de l'affectation précisée dans la Pièce G-29 pour une période de plus de trois mois, aux mêmes conditions. L'employeur devait être satisfait de l'arrangement et du rendement de M. Tobin puisqu'il n'a pas mis fin à son affectation, mais l'a plutôt prolongée.
  • La Pièce G-31, dans laquelle Bonnie Smith, qui était alors le superviseur immédiat de M. Tobin, a officiellement évalué son rendement. Le 14 octobre 2003, elle a écrit ceci : [traduction] « […] Toutes les tâches qui ont été confiées à Fred ont été accomplies de façon exhaustive avec beaucoup d'efficience, et il a su extrêmement bien coopérer, en s'efforçant d'aider les autres dans tous les projets où son assistance pouvait être utile. »

[108] Bref, rien dans la preuve ne m'incite à conclure que cette affectation temporaire ait le moindrement sapé l'efficience opérationnelle du SCC. Il n'y a même pas eu l'ombre d'une indication que l'arrangement n'était pas bénéfique ni productif, ni qu'il incommodait beaucoup ou que c'était un gaspillage de ressources, comme ce pourrait être le cas pour un projet bidon.

F. Résumé

[109] Comme je l'ai déjà dit, l'employeur doit produire une preuve que les critères établis dans Millhaven Fibres s'appliquent, puisque, généralement parlant, il n'a aucun pouvoir sur les activités de ses employés hors de leurs heures de travail. Il doit prouver l'existence d'un lien entre les événements qui se sont produits en dehors des heures de travail et le lieu de travail. Avec les faits qui m'ont été présentés, je ne crois pas que l'employeur ait prouvé l'existence d'un tel lien. Je le répète, faute de ce lien essentiel, la conduite de M. Tobin hors de ses heures de travail échappe au contrôle du SCC, et toute sanction disciplinaire imposée pour punir cette conduite en dehors de ses heures de travail ne saurait être maintenue.

[110] Aussi tragiques que les événements aient été pour les deux familles, comme l'employeur l'a déclaré dans ses propositions de stratégies avec les médias (Pièce G-9), [traduction] « […] ils résultaient d'une situation personnelle non liée à son travail au SCC […] »

[111] Je dois préciser que l'audience a été reportée parce que les parties n'étaient pas disponibles, mais on ne m'a soumis aucune observation quant à la responsabilité qui devrait être assumée pour ce retard.

[112] Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

[113] J'ordonne à l'employeur de réintégrer M. Tobin dans son poste d'attache sans perte au titre du traitement ni des avantages sociaux, ainsi que de retirer de son dossier toute mention de la cessation de son emploi.

[114] Je demeure saisi du dossier pour une période de deux mois suivant la date de cette décision pour trancher toute question concernant la réintégration de M. Tobin.

Le 2 mars 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Barry D. Done,
arbitre de grief

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