Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la décision d’utiliser des renseignements statistiques pour évaluer son rendement - l’arbitre de grief a conclu qu’une disposition interprétative de la convention collective ne pouvait pas, en soi, lui accorder la compétence voulue pour examiner le processus d’évaluation du rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-01-19
  • Dossier:  166-34-36595
  • Référence:  2007 CRTFP 12

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MARY BALL

fonctionnaire s’estimant lésée

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Ball c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ken Norman, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Krista Devine, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Simon Kamel, avocat

Affaire entendue à Saskatoon (Saskatchewan),
le 6 septembre 2006.
(Représentations écrites déposées les 3 et 31 octobre et le 10 novembre 2006.)
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Grief renvoyé à l'arbitrage

1 Par le biais d'un grief déposé le 6 janvier 2005, Mary Ball a contesté l'utilisation de statistiques relativement à l'évaluation de rendement dans le cadre de son « Rapport de gestion du rendement de l'employé », pour la période allant du 1er septembre 2003 au 31 août 2004. La mesure corrective importante souhaitée consistait à retirer un certain nombre d'observations statistiques présentes dans les commentaires du gestionnaire superviseur.

2 La convention collective qui s'applique relativement à ce grief est celle ayant été signée par l'organisme portant maintenant le nom d'Agence du revenu du Canada et l'Alliance de la Fonction publique du Canada, le 12 décembre 2004, à l'égard de l'unité de négociation du groupe Exécution des programmes et services administratifs (« la convention collective »).

3 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.

4 Le 21 septembre 2005, la fonctionnaire s'estimant lésée a renvoyé son grief à l'arbitrage en se fondant sur l'article 58 de la convention collective.

5 En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l'« ancienne Loi »).

II. Résumé de l'argumentation

6 Au début de l'audience, l'employeur a soulevé une objection de compétence. À la conclusion de l'argument relatif à la question consistant à savoir si cette objection devait être entendue en l'absence de preuves, les parties sont parvenues à un accord. Elles ont accepté que l'argument soit entendu, par voie de représentations écrites, en l'absence de preuves, en ce qui concerne la question suivante :

[Traduction]

Déterminer si la stipulation 58.01a) de la convention collective du groupe Exécution des programmes et services administratifs (qui prend fin le 31 octobre 2007) habilite la Commission à réviser une évaluation de rendement en se fondant sur les trois critères décrits à cet égard et à conclure que les renseignements statistiques ou les normes ne permettent pas de bien rendre compte de la façon dont un employé s'est acquitté des tâches qui lui ont été confiées.

La stipulation 58.01a) de la convention collective se lit comme suit :

ARTICLE 58

EXAMEN DU RENDEMENT ET DOSSIER DE L'EMPLOYÉ-E

58.01 Aux fins du présent article,
a)
l'appréciation et/ou l'évaluation officielle du rendement de l'employé-e signifie toute appréciation et/ou évaluation écrite par un superviseur portant sur la façon dont l'employé s'est acquitté des tâches qui lui ont été assignées pendant une période déterminée dans le passé;

A. Pour l'employeur

7 Selon les représentations de l'employeur, rien dans la stipulation 58.01a), qui offre tout simplement une définition, ne vient modifier la série de décisions par lesquelles les arbitres de griefs régis par l'ancienne Loi ont établi que les évaluations de rendement sont du ressort de la direction; les évaluations de rendement ne peuvent faire l'objet d'une révision. Il y a de cela une génération, dans Veilleux et le Conseil du Trésor (Commission de la Fonction publique), dossier de la CRTFP 166-02-11370 (19820729), à la page 14, il a été décidé qu'un arbitre de grief « […] ne peut non plus s'arroger le droit de décider à la place de l'employeur de l'évaluation à donner à un employé, puisque ce droit appartient à l'employeur aux termes de l'article 7 de la Loi sur l'administration financière ». Plus récemment, dans Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2005 CRTFP 177, au ¶ 13, il a été mentionné que la jurisprudence sous le régime de l'ancienne Loi indique clairement qu'un arbitre de grief n'a pas compétence pour réviser une évaluation de rendement. Au ¶ 63, on réitère ce point, en mentionnant une stipulation conditionnelle selon laquelle la convention collective peut donner lieu à une compétence extrêmement limitée. Dans Bahniuk, l'arbitre de grief a déterminé qu'il avait compétence uniquement quant à la question étroitement restreinte de la mauvaise foi.

8 On a également fait référence à Largess c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-17666 et 17667 (19881207), qui a statué, aux pages 19 à 21, qu'un arbitre de grief n'a pas compétence pour réviser une évaluation de rendement, car une telle révision ne fait pas intervenir une question d'interprétation ou d'application d'une convention collective ou d'une décision arbitrale.

9 L'employeur a fait valoir que, pour cette raison, le grief dont j'ai été saisi était nécessairement sans fondement parce qu'il ne porte pas sur une question d'interprétation ou d'application concernant la stipulation 58.01a) de la convention collective, étant donné que cette stipulation a pour seul objet de définir ce qu'est une évaluation officielle du rendement d'un employé. C'est également ce qui a été décidé dans Ahad et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166-2-15840, 16038 et 16233 (19870126), relativement à une stipulation identique. À la page 23, on y mentionne un élément particulièrement pertinent concernant l'affaire qui nous occupe, selon lequel une stipulation définitionnelle ne peut servir de fondement à un renvoi en vertu des dispositions de l'alinéa 91(1)a) de l'ancienne Loi pour « […] un employé insatisfait du contenu d'un rapport d'appréciation de rendement […] ».

10 Par la suite, dans Raymond et al. c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, dossiers de la CRTFP 166-18-20105 à 20107 (19910211), aux pages 15 et 16, on a repris le commentaire émis dans Canada Post Corporation v. Public Service Alliance of Canada (19950815), non publiée, selon lequel un article d'une convention collective ne constituant qu'une définition [traduction] « […] ne devrait pas (à moins de mauvaise foi) servir de fondement à des droits importants et fondamentaux […] ».

11 En ce qui concerne l'objet et l'utilisation d'une disposition définitionnelle, dans Denike et le Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14264 (19831107), paragr. 15, on a stipulé qu'un article de convention collective énonçant une définition « […] ne peut qu'aider à interpréter une ou plusieurs dispositions de cette convention […] ».

12 À titre subsidiaire, l'employeur a fait valoir que, même si j'acceptais l'argument de la fonctionnaire s'estimant lésée selon lequel il y a eu violation de la stipulation 58.01a) de la convention collective, je n'avais pas compétence pour entendre le présent renvoi à l'arbitrage. Il appuie son raisonnement sur le fait que, si les dires de la fonctionnaire s'estimant lésée sont acceptés, il s'ensuit qu'il n'y a pas eu d'évaluation officielle. S'il n'y a pas eu d'évaluation officielle, alors la stipulation 58.01a) de la convention collective ne s'applique pas, étant donné qu'elle constitue la porte d'entrée déterminée par la fonctionnaire s'estimant lésée à l'application de la convention collective.

B. Pour la fonctionnaire s'estimant lésée

13 À la plaidoirie de l'employeur selon laquelle une contestation du contenu d'une évaluation de rendement n'est pas admissible à l'arbitrage, la fonctionnaire s'estimant lésée a répliqué en faisant valoir que le présent grief ne portait pas sur cette question. Il vise à contester la manière dont l'évaluation de rendement a été effectuée. Plus particulièrement, l'argument avancé est que l'évaluation n'était pas fondée sur les tâches confiées à Mme Ball, comme le prévoit la stipulation 58.01a) de la convention collective, mais plutôt sur des mesures statistiques externes et des quotas arbitraires. Dans Ahad, à la page 22, on appuie la proposition selon laquelle un arbitre de grief peut prendre en compte les contestations à l'égard d'un processusd'évaluation de rendement fondées sur autre chose que la mauvaise foi ou la discrimination, et qui stipule qu'un arbitre de grief a compétence lorsque l'évaluation écrite est faite par quelqu'un d'autre qu'un superviseur ou qu'elle ne permet d'évaluer la façon dont l'employé s'est acquitté des tâches qui lui ont été assignées durant une période donnée. En outre, il est mentionné au ¶ 14 de la décision Bahniuk qu'un arbitre de grief a une compétence limitée l'autorisant à évaluer si les « […] conditions établies dans les […] lignes directrices […] » en matière d'admissibilité ont été satisfaites.

14 En outre, il est ici question d'un différend au sujet de l'interprétation de la convention collective. Dans Resi-Care Cape Breton Association v. Canadian Union of Public Employees, Local 3008 (1996), 58 L.A.C. (4th) 46, à la page 53, on appuie la proposition selon laquelle le fait de rendre une décision au sujet de points de vue opposés de cette nature et ayant trait à la signification d'une convention collective est une chose courante en matière d'arbitrage. Par conséquent, l'argument de l'employeur selon lequel la stipulation 58.01a) de la convention collective est de nature définitionnelle et n'octroie aucun droit fondamental ne permet pas de remettre en question ma compétence en vertu de l'alinéa 92(1)a) de l'ancienne Loi pour interpréter une disposition d'une convention collective ou une décision arbitrale.

C. Réfutation par l'employeur

15 En réfutation, l'employeur a fait valoir que la fonctionnaire s'estimant lésée, par son argumentation, essaie de réaliser indirectement ce qui ne peut l'être directement, en tentant de faire passer la stipulation 58.01a) de la convention collective pour une disposition décrivant un processus, alors qu'il s'agit uniquement d'un article définitionnel. Les décisions susmentionnées par l'employeur montrent qu'un article définitionnel n'octroie aucun droit fondamental.

16 Dans Bahniuk,la compétence de l'arbitre de grief se limitait seulement au contexte de mauvaise foi ou de discrimination.

17 La distinction entre contenu et processus ne tient tout simplement pas à la lumière des faits relatifs au présent cas. Le grief de Mme Ball demande précisément qu'un arbitre de grief élimine tous les renseignements présents sous forme de chiffres de son évaluation de rendement. Bref, on demande à un arbitre de grief de modifier le contenu d'une évaluation de rendement.

18 La décision Resi-Care Cape Breton Association ne s'applique pas à la présente affaire, car elle s'est déroulée dans un contexte très différent, dans lequel l'arbitre n'a pas eu à composer avec un grief portant sur une définition présente dans la convention collective; en outre, à la page 50, l'arbitre a indiqué que [traduction] « […] dans le présent cas, toutefois, étant donné la façon dont la convention collective a été rédigée, je crois qu'il est utile de tenir compte également de certaines dispositions de la Trade Union Act [de la Nouvelle-Écosse] ».

III. Motifs

19 Il est normalement convenu par les parties que les évaluations de rendement relèvent du point de vue de la direction et qu'en soi, elles ne sont pas sujettes à une révision dans le cadre d'une décision arbitrale (voir Veilleux). Par conséquent, aucune question relative au contenu d'une évaluation de rendement ne peut faire l'objet d'une décision arbitrale (voir Ahad). Cependant, si la contestation d'une évaluation de rendement repose sur une allégation de mauvaise foi ou de discrimination, l'arbitre de grief dispose alors d'une compétence extrêmement limitée pour rendre une décision (voir Bahniuk).

20 La question de compétence que l'on me demande de résoudre revient à décider si, de façon similaire, la stipulation 58.01a) de la convention collective peut faire en sorte qu'un arbitre de grief dispose d'une compétence extrêmement limitée, fondée sur les critères énoncés dans cette disposition. Il est vrai que dans Ahad, à la page 22, on mentionne qu'un arbitre de grief a compétence lorsque l'évaluation écrite est faite par quelqu'un d'autre qu'un superviseur ou qu'elle ne permet pas d'évaluer la façon dont l'employé s'est acquitté des tâches qui lui ont été assignées durant une période donnée. Je note également que dans Bahniuk, au ¶ 14,on stipule qu'un arbitre de grief dispose d'une compétence limitée pour examiner si certaines conditions d'admissibilité énoncées dans les lignes directrices ont été satisfaites. Toutefois, selon moi, ces commentaires portent sur la question de la compétence de base découlant d'une allégation de mauvaise foi. Les arguments de la fonctionnaire s'estimant lésée ne m'ont pas convaincu du bien-fondé de la proposition selon laquelle un article définitionnel de la convention collective peut, en soi, justifier qu'un arbitre de grief révise une évaluation de rendement parce que le processus comporte des lacunes (voir la décision Denike, dans laquelle on stipule qu'un article définitionnel peut uniquement aider à interpréter une disposition de fond d'une convention collective; ensuite, dans Raymond, on adopte clairement un point de vue similaire en soutenant la doctrine établie dans Canada Post Corporation selon laquelle une stipulation définitionnelle d'une convention collective ne devrait pas (en l'absence de mauvaise foi) servir de fondement à des droits fondamentaux).

21 On m'a demandé de déterminer si la teneur définitionnelle de la stipulation 58.01a) de la convention collective, en soi, m'habilitait, dans le cadre du mandat législatif prévu à l'alinéa 91(1)a) de l'ancienne Loi, à juger du bien-fondé de l'utilisation de renseignements statistiques ou de normes dans un examen de rendement. Compte tenu des renvois susmentionnés à des décisions rendues sous le régime de l'ancienne Loi, la décision Resi-Care Cape Breton Association, qui concerne le secteur privé, est fondée sur un libellé de loi et de convention collective fort différent qui ne s'avère être d'aucune utilité dans le cas qui nous occupe.

22 Enfin, comme je ne suis pas convaincu d'avoir compétence dans le présent cas, je ne vois aucun besoin d'examiner les représentations subsidiaires de l'employeur.

23 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

24 Je souscris à la contestation de l'employeur en matière de compétence, et le présent grief est rejeté.

Le 19 janvier 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Ken Norman,
arbitre de grief

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