Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un agent des douanes, a déposé deux griefs : l’un contre sa suspension, l’autre contre son licenciement -il a été arrêté et interrogé par la police après le passage d’un chargement de cocaïne par le poste frontalier alors qu’il était en devoir - l’employeur a ensuite suspendu le fonctionnaire s’estimant lésé pendant qu’il menait une enquête sur les actions du fonctionnaire s’estimant lésé - le fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu ne rien savoir du complot d’importation, dans lequel était impliqué son frère - l’arbitre de grief a conclu selon la prépondérance des preuves que l’employeur avait eu des motifs valables pour suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé pendant l’enquête - l’arbitre de grief a également conclu que l’employeur avait des motifs valables pour licencier le fonctionnaire s’estimant lésé sur la base des éléments de preuve au dossier. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-10-04
  • Dossier:  166-02-35308, 566-02-13
  • Référence:  2007 CRTFP 104

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GHYSLAIN LAPLANTE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Indexed as
Laplante c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Georges Nadeau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
James G. Cameron, avocat

Pour l'employeur:
Simon Kamel, avocat

Affaire entendue à Sherbrooke (Québec),
du 27 au 30 juin 2006 et du 30 janvier au ler février 2007.

I. Griefs renvoyés à l'arbitrage

1      Ghyslain Laplante (le « fonctionnaire s'estimant lésé »), inspecteur des douanes à l'Agence des services frontaliers du Canada (l'« employeur »), a déposé deux griefs à l'encontre respectivement de la décision de l'employeur de le suspendre pour une période indéfinie sans solde durant l'enquête menée le 21 juin 2004, et de le licencier pour inconduite le 21 avril 2005.

2      L'employeur allègue dans sa lettre de congédiement que le fonctionnaire s'estimant lésé a participé à un complot afin d'aider son frère ainsi que son associé, au trafic de cocaïne au Canada. L'employeur écrit ce qui suit :

Le 22 décembre 2004, j'ai reçu le rapport d'enquête des Affaires internes et les renseignements recueillis démontrent clairement votre participation à un complot afin d'assister votre frère ainsi que son associé, au trafic de cocaïne au Canada.

Il s'agit d'une inconduite très sérieuse puisqu'elle contrevient aux fondements même du code de déontologie et de conduite de l'ASFC. En effet, en tant qu'inspecteur des douanes, vous devez promouvoir le respect d'un vaste éventail de dispositions législatives. Le poste que vous occupez implique donc que vous adoptiez un comportement éthique compatible avec les lois que vous êtes chargé de faire appliquer.

De plus, en vertu du code et des lignes directrices sur les conflits d'intérêts, il est interdit d'accorder, relativement à des questions officielles, un traitement de faveur à des parents ou amis dans lesquels vous, parents ou amis avez des intérêts.

Malgré la gravité des gestes qui vous sont reprochés, j'ai voulu évaluer les circonstances atténuantes pouvant militer en votre faveur, incluant votre version des faits. Toutefois, dans un contexte où vos actes étaient prémédités, je demeure convaincu qu'aucune circonstance ne peut rétablir le lien de confiance essentiel à l'exercice de vos fonctions.

3      Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé assure qu'il n'en est rien et qu'il est une victime par association des activités de son frère.

4      Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l' « ancienne Loi »).

II. Résumé de la preuve

5      Les témoins à l'audience étaient les témoins de l'employeur, ainsi que le fonctionnaire s'estimant lésé. Afin de situer les témoignages, résumons d'abord les faits non-controversés.

6      Le fonctionnaire s'estimant lésé est agent de douanes depuis de nombreuses années. Il travaille par quarts, parfois le jour, parfois en soirée et parfois la nuit. Son poste d'attache est situé au poste frontalier à Frelighsburg (Québec), mais il arrive de faire des quarts de travail dans d'autres postes frontaliers situées à proximité.

7      Un des frères du fonctionnaire s'estimant lésé, Serge Laplante, est soupçonné par les autorités d'importation de cocaïne. L'employeur allègue que dans la nuit du 20 au 21 juin 2004, le fonctionnaire s'estimant lésé, alors qu'il était en devoir, a laissé passer à la frontière un chargement de drogue, se rendant ainsi complice d'une opération menée  par son frère. L'enquête a révélé qu'on a trouvé dans le portefeuille de Serge Laplante l'horaire de travail du fonctionnaire s'estimant lésé.

8      Le premier témoin est le caporal Denis Turcotte, agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le caporal Turcotte est agent de la GRC depuis 25 ans et est aux services frontaliers de Lacolle (Québec) depuis mai 2004. Il supervise les enquêtes de la GRC et a la responsabilité de quatre à cinq officiers.

9      Le caporal Turcotte témoigne qu'il a entendu parler pour la première fois du fonctionnaire s'estimant lésé le 16 juin 2004, lors d'une rencontre à St-Jean-sur-Richelieu et c'est le 21 juin 2004 qu'il l'a rencontré. Il indique qu'il avait été désigné comme enquêteur principal au dossier le 16 juin 2004. Il devait rassembler les renseignements et donner des tâches aux autres policiers participant à l'enquête. Une vingtaine de policiers étaient présents la nuit du 20 au 21 juin 2004, au moment où l'arrestation du fonctionnaire s'estimant lésé a eu lieu au poste de services frontaliers de Frelighsburg.

10 Le caporal Turcotte présente l'ensemble des documents reliés à l'enquête qu'il a colligé dans quatre volumes numérotés de I à IV (pièce E-1). Il indique que c'est lui qui a préparé le résumé de l'enquête se trouvant à l'annexe 2 du volume I. Il souligne que l'annexe 3 du même volume contient la liste des 41 pièces à conviction répertoriées au moment de la préparation du document et ajoute qu'il y a maintenant 44 pièces à conviction au dossier. Il indique que les items 40 et 41 de cette liste font référence à quatre disques compacts et un disque DVD contenant les enregistrements des conversations et la transcription de ces conversations. L'annexe 8 contient les notes qu'il a prises entre les 16 et 21 juin 2004.

11 Le caporal Turcotte relate que l'enquête portant le nom de projet Claquette était issue de deux autres enquêtes de la GRC (projet Canala et projet Cruiser), ainsi que d'une enquête de la « Drug Enforcement Agency » (DEA) américaine (projet Busted Manatee). Il résume l'enquête qui a conduit à l'arrestation du fonctionnaire s'estimant lésé. Deux individus de la région de Valleyfield, les frères Tony et Daniel Roy, étaient sous enquête relativement à l'importation de cocaïne par l'entremise de camionneurs. La DEA avait recours à un agent source qui, sous les directives de la DEA, se présentait comme un fournisseur de cocaïne. Un des frères Roy a communiqué avec cette personne pour transiger des quantités importantes de cocaïne. La première transaction a eu lieu le 23 avril 2004. Un camionneur a pris possession de ce qu'il croyait être 200 kg de cocaïne (190 kg de fausse et 10 kg de vraie) qu'il devait apporter au Québec. Il a été arrêté une heure plus tard lors de ce qui semblait être une vérification routière de routine et qui était, en fait, une opération de la DEA. Le camionneur, qui a refusé de collaborer avec la police, a écopé de 11 ans et demi de prison.

12 L'agent source de la DEA n'avait que le numéro de téléavertisseur de Tony Roy et c'est ce dernier qui communiquait par téléphone avec l'agent source. Toutes les conversations entre l'agent source et M. Roy ont été enregistrées par la DEA. Le rapport d'enquête de la DEA se trouve à l'annexe 31 du volume III (pièce E-1). Les quatre disques compacts contenant l'enregistrement des conversations téléphoniques sont déposés en preuve (pièces E2 à E-5). La transcription de ces conversations se trouve à l'annexe 35 du volume III (pièce E-1).

13 À la suite de l'arrestation du premier camionneur, Tony Roy a continué d'avoir des contacts avec l'agent source de la DEA. Il désirait effectuer une deuxième transaction. Lors de ces conversations, il explique à l'agent source qu'il a réuni une deuxième équipe, qu'il a une « porte », qu'il doit payer pour le passage et que ça passe à 100 %. Il est aussi question d'utiliser une automobile ou un autre véhicule plutôt qu'un semi-remorque.

14  Le caporal Turcotte dépose l'horaire de travail de fonctionnaire s'estimant lésé (pièce E-1, annexe 4) qui se trouvait dans le portefeuille de Serge Laplante lors de son arrestation (pièce E-1, annexe 5), ainsi que le rapport de saisie relatif à cet horaire (pièce E-1, annexe 23). Il dépose aussi les photos prises du véhicule loué utilisé pour le transport de la cocaïne (pièce E-6), une camionnette Chevrolet Avalanche, ainsi que le rapport des agents du renseignement américain à la suite de l'arrestation du chauffeur de cette camionnette (pièce E-1, annexe 6).

15 Le caporal Turcotte dépose en preuve les ordonnances pour obtenir le registre des appels effectués de téléphones appartenant au fonctionnaire s'estimant lésé, à Serge Laplante, à Tony et Dan Roy et au chauffeur (pièces E-1 et E-7, annexes 20 à 22). Il dépose aussi un fichier colligeant ces appels à ceux enregistrés par la DEA (pièces E-1 et E-8, annexe 33) le compte de téléphone du fonctionnaire s'estimant lésé (pièce E-9) et ses comptes bancaires (pièce E-1, annexes 24, 25, 26 et 27). Deux relevés des écoutes électroniques sont aussi déposés (pièce E-1, annexes 32 et 33). Le deuxième document comprend les appels effectués entre les suspects.

16 Le caporal Turcotte explique les circonstances et conséquences de la transaction de cocaïne qui a échoué. Les frères Roy avaient pris la place d'un important trafiquant et avaient repris contact avec une personne qu'ils croyaient être le fournisseur à Miami. La cocaïne provenait de la Colombie et avait une valeur « sur la rue » de 4,5 $ millions de dollars pour 200 kg. À la suite de leur arrestation, les frères Roy ont été extradés aux États-Unis et purgent respectivement 11 et 13 ans de prison. D'autres personnes impliquées dans cette affaire ont aussi été extradées. Les autorités américaines n'ont pas déposé d'accusation contre Serge ou Ghyslain Laplante. Un nouveau procureur a été nommé qui étudie présentement le dossier.

17 Le caporal Turcotte passe en revue les conversations téléphoniques interceptées par la DEA et qui ont été produites en preuve sous la forme de quatre disques compacts (pièces E-2, E-3, E-4 et E-5). La transcription de ces conversations est aussi produite (pièce E-1, annexe 35). Il note qu'à la suite de l'échec de la première transaction, c'est lors de la conversation interceptée le 6 mai 2004 (pièces E-1 et E-2, annexe 35), que Tony Roy informe l'agent source de la DEA qu'il a constitué une nouvelle équipe et qu'il dispose d'une « porte ». Lors de la conversation du 10 mai 2004, M. Roy indique qu'il n'a pas la capacité de donner plus d'argent à l'agent source parce qu'il doit payer à l'avance son entrée au pays pour éviter d'avoir des problèmes. Le lendemain, le 11 mai 2004, M. Roy mentionne encore qu'il doit payer son entrée au pays et ajoute que les membres de la nouvelle équipe ne se connaissent pas. Le 12 mai 2004, M. Roy informe l'agent source qu'il n'utilisera pas un semi-remorque mais une automobile, parce que la « porte » n'accepte que des voitures.

18 Le caporal Turcotte note que les relevés d'appels (pièce E-1, annexes 33 et 34) indiquent que le soir du 12 mai, à 18 h 46, un appel d'une durée de cinq minutes a été fait du téléphone cellulaire de Serge Laplante au domicile du fonctionnaire s'estimant lésé. Il note que le lendemain matin, le 13 mai, à 9 h 19, un appel a été fait du téléphone cellulaire de Serge Laplante au domicile du fonctionnaire s'estimant lésé et qu'immédiatement après, un appel a été fait du même téléphone cellulaire au chauffeur qui a été arrêté par la suite. Au cours de la conversation du 13 mai 2004, il est question que le chauffeur utilise sa propre voiture ou qu'un véhicule soit loué et M. Roy reconfirme qu'il paie pour franchir la frontière.

19  Le caporal Turcotte note que le 14 mai 2004, Serge Laplante communique avec des centres de location. Du 16 mai au 21 mai 2004, huit appels téléphoniques sont faits entre le téléphone cellulaire de Serge Laplante et le domicile du fonctionnaire s'estimant lésé. Le 26 mai 2004, Serge Laplante communique avec une agence de location de voitures. Lors de la conversation du 4 juin 2004, M. Roy indique, en faisant référence à la « porte », qu'il doit vérifier pour déterminer quand son « gars » travaille. Le 7 juin 2004, Tony Roy indique à l'agent source que cette personne, le « gars » ne travaille pas la fin de semaine et qu'il finit le vendredi à minuit et que par conséquent, le chauffeur devra se rendre avant minuit le vendredi ou attendre la nuit du lundi suivant. Le chauffeur a été arrêté par la DEA 17 juin 2004, et a accepté de collaborer à l'enquête. Sous la direction de la DEA, il a communiqué le même jour avec Serge Laplante pour obtenir les instructions à suivre pour franchir la frontière. Serge Laplante lui a dit de se présenter le soir du 20 juin après minuit et demi. Tony Roy a aussi informé l'agent source le 20 juin 2004 que le passage de la frontière ne se fera qu'aux petites heures du matin parce que « […] mon gars ne travaille pas […] travaille juste le lundi de toute façon. » Les arrestations ont eu lieu la nuit du 20 au 21 juin après que la voiture a traversé la frontière. Tony Roy, qui lui n'a pas encore été arrêté, communique une dernière fois, le 22 juin 2004, avec l'agent source pour exprimer son étonnement qu'un deuxième « voyage » ait été saisi. Il mentionne ce qui suit au cours de cette conversation :

[Traduction]

« tous mes gars sont en prison »

et ajoute que

« les policiers ont fait passer le camion par ma porte […] ils ont arrêté la porte et ont arrêté tout le monde »

et un peu plus tard

« […] le livreur a été arrêté, il est en prison » et « Il s'agit de trois personnes […] le conducteur, la porte et son contact. Ils ont tous été arrêtés ». […] « le gars est passé au bon moment […] mais des policiers conduisaient son camion ».

20 Le caporal Turcotte produit la cassette de l'enregistrement vidéo de l'interrogatoire du fonctionnaire s'estimant lésé (pièce E-10) immédiatement après son arrestation. Cet interrogatoire a été fait par le sergent Richard Delorme de la GRC. L'enregistrement vidéo est présenté et le caporal Turcotte commente les passages qu'il juge importants dans l'interrogatoire du fonctionnaire s'estimant lésé. Il dépose aussi en preuve l'enregistrement vidéo du passage de l'automobile contenant la drogue aux douanes.

21 Le caporal Turcotte indique qu'après avoir pris connaissance de tous les éléments de preuve, il est convaincu de l'implication du fonctionnaire s'estimant lésé.

22 En contre-interrogatoire, le caporal Turcotte reconnaît qu'il s'agissait d'une transaction de drogue d'importance et que les frères Roy n'étaient qu'un chaînon dans la hiérarchie criminelle. Selon les frères Roy, la transaction de 150 kg de cocaïne valait de 3 à 3,5 millions de dollars. Le caporal Turcotte indique que la police saisit environ 5 % de ce qui est passé à la frontière. Cette transaction est une transaction importante pour les frères Roy, puisqu'ils venaient d'en perdre une de 200 kg. Il ajoute que la violence ou la menace de violence est souvent présente, surtout dans les niveaux inférieurs de la hiérarchie criminelle pour maintenir la discipline dans les rangs. Les contacts entre les niveaux sont maintenus à un strict nécessaire pour des raisons de sécurité.

23 En réponse aux questions, le caporal Turcotte indique que selon lui, Serge Laplante est le contact de Tony Roy pour la « porte » et pour le chauffeur et que Tony Roy ne connaissait ni la porte ni le chauffeur. Il confirme aussi qu'une fois le chauffeur arrêté, la seule personne qu'il pouvait identifier dans le but de collaborer avec la police et alléger sa peine était Serge Laplante.

24 Questionné sur les changements de dates du passage anticipé de la drogue à la frontière observés dans les enregistrements des conversations téléphoniques de Tony Roy, le caporal Turcotte confirme que dans la conversation du lundi 7 juin 2004, le chauffeur devait passer avant minuit le vendredi soir suivant, soit le 11 juin 2004, sinon il devrait attendre jusqu'au lundi soir suivant. Il confirme aussi que le fonctionnaire s'estimant lésé ne travaillait pas le soir du 11 juin 2004. Le caporal Turcotte indique qu'il est possible que Tony Roy ou Serge Laplante se soit trompé et ajoute que c'est la seule date qui ne se peut pas. Questionné sur le fait que le chauffeur, dans la conversation du 9 juin 2004, mentionne qu'il devait partir tôt le 10 juin 2004 pour arriver avant minuit le 11 juin 2004, le caporal Turcotte indique qu'il s'agit là aussi d'une erreur imputable à Serge Laplante. Le caporal Turcotte reconnaît que la feuille trouvée sur la personne de Serge Laplante (pièce E-1, annexe 4) établit clairement que le fonctionnaire s'estimant lésé ne travaillait pas le 11 juin 2004.

25 Appelé à expliquer pourquoi il n'avait pas cherché à obtenir un mandat d'écoute électronique du téléphone de Serge Laplante, le caporal Turcotte indique que cela aurait été impossible à faire entre les 16 et 20 juin 2004. Le délai était trop court.

26 Le caporal Turcotte réitère que selon lui, en se fiant à l'ensemble des conversations, l'indication que le passage devait se faire avant minuit le 11 juin 2004 était une erreur. Il n'a pas envisagé l'option que la « porte » n'existait simplement pas et que Serge Laplante ait tout simplement menti à Tony Roy. Il confirme que la transaction a été retardée du 10 au 17 juin 2004, ce qui a eu pour conséquence de reporter le passage de la frontière au 20 juin au soir après minuit (le 21 juin 2004). Le caporal Turcotte reconnaît que le fonctionnaire s'estimant lésé a travaillé pendant les nuits du 18 au 20 juin 2004 (pièce E-1, annexe 4), mais note qu'il s'agit là de temps supplémentaire qui n'apparaît pas sur l'horaire (pièce E-1, annexe 5) qu'avait en sa possession Serge Laplante.

27 Le caporal Turcotte reconnaît qu'avant le 10 juin 2004, le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas un suspect et que, selon les relevés d'appels obtenus par mandat, il n'a jamais communiqué avec les frères Roy et que son seul contact était son frère Serge Laplante. Le caporal Turcotte confirme aussi que les mandats obtenus pour vérifier les comptes bancaires du fonctionnaire s'estimant lésé et de son épouse n'ont pu révéler quelque chose d'anormal, mais ajoute qu'il est rare de trouver de l'« argent sale » dans un compte bancaire.

28 Relativement à l'interrogatoire par la GRC du fonctionnaire s'estimant lésé après son arrestation, le caporal Turcotte confirme que ce dernier n'était pas obligé de répondre, mais a quand même choisi de répondre aux questions pendant une heure. Il reconnaît que ses notes (pièce E-1, annexe 8) indiquent qu'il n'y a pas assez de preuve pour prouver que le fonctionnaire s'estimant lésé savait qu'il y avait 150 kg de cocaïne dans la voiture.

29 Gabriel Duteau a été le témoin suivant. M. Duteau est le chef des opérations de renseignements pour la frontière terrestre du Québec à l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Il occupe ce poste depuis avril 2003. À ce titre, il supervise les agents de renseignements de l'ASFC qui font de la liaison et de l'échange de renseignements avec les agences policières et para-policières des deux côtés de la frontière.

30 M. Duteau témoigne que le 16 juin 2004, il a reçu un appel du sergent Rick Hilton de la GRC à St-Jean-sur-Richelieu qui voulait le rencontrer pour l'informer d'un cas potentiel de corruption d'un inspecteur des douanes. Lors de la rencontre, le sergent Hilton lui a expliqué le scénario envisagé par la GRC et l'a invité à être présent lors de l'opération policière dans la nuit du 20 au 21 juin 2004.

31 M. Duteau témoigne qu'il a alors rencontré le directeur des Affaires internes de l'ASFC, Normand Robert, ainsi que le directeur régional, Gilles Parent. M. Duteau dépose la déclaration sous serment qu'il a rédigé en novembre 2004 (pièce E-12). M. Duteau indique que la raison pour laquelle il a rédigé une déclaration est qu'on avait beaucoup de difficulté à obtenir les renseignements de la DEA. La GRC ne parvenait pas à les obtenir et ne pouvait donc pas les transmettre au directeur des Affaires internes. M. Duteau a communiqué avec le caporal Turcotte qui lui a permis de consulter le rapport de l'agent d'infiltration et de relire les transcriptions des conversations téléphoniques. M. Duteau indique qu'à partir de ces documents, il a rédigé la déclaration pour que la Direction des enquêtes internes puisse commencer une enquête.

32 M. Duteau témoigne que le 20 juin 2004 il s'est présenté à St-Jean-sur-Richelieu pour le début de l'opération policière. Il apprend alors l'arrestation du chauffeur qui avait la tâche d'aller chercher la cocaïne en Floride. Il apprend aussi l'implication de Serge Laplante. Il note que Serge Laplante était connu des services frontaliers car on le soupçonnait de contrebande de narcotique ou de devises. Un avis de guet avait été émis à son sujet. M. Duteau indique aussi qu'il a alors appris que Serge Laplante travaillait pour les frères Roy. Pendant l'opération policière, il était en poste à St-Jean-sur-Richelieu où il écoutait les communications dans le secteur. Il indique que l'agent couvreur (agent de police qui assure la liaison entre les services policiers et l'agent qui infiltre un réseau criminel) leur transmettait le contenu des conversations entre l'agent d'infiltration et le fonctionnaire s'estimant lésé. (L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé s'est objecté à l'introduction de cette preuve en indiquant qu'il s'agissait de ouï-dire. J'ai accepté son objection en notant que c'était du ouï-dire et en avisant les parties présentes que j'y donnerais le poids approprié.)

33 M. Duteau reconnaît qu'il a consulté le rapport de l'agent d'infiltration pour rédiger le paragraphe 7 de sa déclaration (pièce E-12) et note que la description contenue dans les notes de l'agent d'infiltration (pièce E-1, annexe 10) correspond à ce qu'il a lu à l'époque et ce qu'il a noté au paragraphe 7 de sa déclaration.

34 M. Duteau témoigne qu'après l'arrestation du fonctionnaire s'estimant lésé, il a communiqué avec son supérieur pour lui relater les événements. Relativement au contenu du paragraphe 8 de sa déclaration (pièce E-12), M. Duteau indique qu'il a consulté les relevés d'appels et a été à même de constater que le fonctionnaire s'estimant lésé avait communiqué avec son frère Serge Laplante. Au sujet du paragraphe suivant, il indique que le surintendant Luke Bury avait rencontré le fonctionnaire pour discuter de la situation de son frère Serge Laplante qui avait quitté un bureau de douanes sans autorisation alors que l'automobile qu'il conduisait devait faire l'objet d'une fouille.

35 En contre-interrogatoire, M. Duteau confirme que ce qu'il relate dans sa déclaration est soit des renseignements obtenus de la GRC, soit ce qu'il a entendu de l'agent couvreur ou de M. Bury.

36 Le représentant de l'employeur a convoqué M. Bury comme prochain témoin. M. Bury travaille à titre de surintendant à l'ASFC. Il supervise une quinzaine d'employés de la section commerciale où l'on dédouane la marchandise commerciale. Pour assurer le remplacement d'employés en congé, il travaille aussi à la section des voyageurs. M. Bury témoigne que lorsqu'il est affecté à la section des voyageurs et qu'il travaille hors des heures normales, il a la responsabilité de bureaux satellites. Il s'agit de petits bureaux entourant un  bureau principal. C'est ainsi qu'il a eu à superviser le travail fait à Frelighsburg.

37 M. Bury présente des photos prises du poste frontalier de Frelighsburg (pièce E-13). Il indique qu'il y a généralement un ou deux inspecteurs des douanes affectés au quart de jour, alors que la nuit, il n'y a qu'un inspecteur en poste. L'inspecteur affecté à ce poste frontalier s'occupe de l'inspection primaire, secondaire et agit aussi comme agent d'immigration. Il y a un léger chevauchement des quarts de travail en début et en fin de quart. Il y a trois quarts de travail qui sont fixés de 8 h à 16 h, de 16 h à 24 h et de 24 h à 8 h. À la suite des consultations avec le syndicat, le poste de Frelighsburg a eu un horaire de travail dit non conventionnel en vertu duquel les fonctionnaires travaillent plus d'heures dans une journée que normalement prévues mais moins de jours par année. La convention collective exige que l'horaire de travail soit affiché 15 jours à l'avance de la période de huit semaines que couvre l'horaire. La gestion, les fonctionnaires et les conjoints sont les seuls à avoir accès à cet horaire. Cet horaire n'est pas affiché et ne peut être vu par le public.

38 M. Bury indique que les changements d'horaire sont effectués de façon très informelle. Dans les petits bureaux, cela se fait par courriels ou par simple note écrite. Les fonctionnaires s'échangent des quarts de travail entre eux. La gestion s'attend à ce que les quarts soient couverts et les corrections apparaissent sur les feuilles de temps.

39 M. Bury décrit les fonctions d'un inspecteur des douanes. L'inspecteur, dans un premier temps, établit l'admissibilité d'une personne à entrer dans le pays. Il le fait en posant des questions aux personnes sur leur citoyenneté et leur lieu de résidence. Par la suite, l'inspecteur doit déterminer l'admissibilité des marchandises et déterminer les droits à percevoir et s'assurer que le voyageur ne possède pas de marchandise prohibée ou contrôlée. Les inspecteurs des douanes ont la responsabilité d'empêcher l'entrée au Canada de marchandises illicites.

40 M. Bury élabore sur le type de questions posées par l'inspecteur des douanes. Il doit s'informer du nom, de la citoyenneté et du lieu de résidence, ainsi que la durée de l'absence hors du pays de personnes. L'inspecteur doit aussi déterminer les effets et la marchandise en la possession du voyageur. À la question de savoir s'il suffit à un voyageur de s'identifier par son prénom, M. Bury répond que c'est insuffisant et qu'une telle réponse engendrait d'autres questions à savoir si le voyageur a un passeport, un certificat de naissance ou une autre preuve d'identité. Des commentaires tels que « […] il y a ça en arrière […] il y a trop de monde ici […] » devraient pousser un inspecteur à interroger le voyageur sur sa marchandise. C'est le rôle de l'inspecteur des douanes de déterminer si cette marchandise peut entrer dans le pays.

41 M. Bury témoigne que son supérieur, Alain Aubut, lui a demandé de rencontrer la fonctionnaire s'estimant lésé au sujet d'un avis de guet qui concernait son frère. La discussion a porté sur ses relations avec son frère. Le fonctionnaire s'estimant lésé a indiqué à M. Bury qu'il ne parlait pratiquement jamais à son frère, qu'il ne le voyait que deux fois par année et que ce n'est que par un collègue qu'il avait appris l'occupation de camionneur de son frère. Il était par contre au courant de l'histoire du passage sans arrêt qui avait impliqué son frère à Abercorn et a pris sa défense. M. Bury indique qu'il a offert au fonctionnaire s'estimant lésé la chance de travailler à un endroit où il ne serait pas seul pour la durée de l'avis de guet pour éviter d'avoir à fouiller son frère. Le fonctionnaire s'estimant lésé a alors indiqué que son frère ne passait jamais la frontière à Frelighsburg. M. Bury, à l'époque, a été satisfait des réponses de ce dernier. À la suite des évènements du 20 juin 2004, M. Bury a rédigé un courriel à son supérieur pour décrire la conversation qu'il avait eue avec le fonctionnaire s'estimant lésé au sujet de l'avis de guet (pièce E-14). Il a aussi préparé une note écrite au sujet de cette rencontre pour M. Duteau, le chef des renseignements, sur le même sujet (pièce E-15). M. Bury dépose aussi l'avis de guet visant Serge Laplante (pièce E-16).

42 En contre-interrogatoire, M. Bury reconnaît que certains types de camions utilisent le poste frontalier de Frelighsburg tels que des camions transportant des « billes de bois » ou des camions de marchandise pourvu que les papiers soient en règle. Il mentionne aussi le passage de personnes habitant à proximité qui font de la livraison locale. M. Bury reconnaît aussi qu'au poste de douanes d'East Pinnacle, le poste est fermé à minuit et qu'il n'y a pas de barrière. Une affiche demande aux voyageurs de se présenter à un autre poste frontière. M. Bury n'est pas au courant du nombre de passages sans arrêt effectués dans les postes frontaliers de Moores Line, East Pinnacle ou de Frelighsburg. Il indique que les bureaux des douanes fermés sont la responsabilité de la GRC. Il ne connaît pas les horaires de patrouilles de la GRC.

43 Questionné sur ce qu'un inspecteur des douanes doit faire si quelqu'un de dangereux faisant l'objet d'un avis de guet se présente, M. Bury indique que l'inspecteur qui craint pour sa sécurité doit se retirer et aviser la police.

44 Le représentant de l'employeur a convoqué M. Aubut à témoigner. M. Aubut est le chef des opérations du secteur St-Armand depuis août 1995 et a plus de 35 ans de service dans la fonction publique fédérale. Il dirige une équipe de six superviseurs de premier niveau qui surveillent le travail des inspecteurs des douanes. Il doit assurer l'administration des programmes douaniers et d'immigration pour neuf points frontaliers. La région du Québec comporte dix districts sous la supervision de directeurs régionaux ayant chacun trois ou quatre chefs d'opérations ou directeurs adjoints.

45 M. Aubut témoigne qu'en décembre 2003, il a reçu un appel du directeur l'avisant qu'un frère du fonctionnaire s'estimant lésé, Serge Laplante, faisait l'objet d'un avis de guet. Il a demandé à M. Bury d'offrir au fonctionnaire s'estimant lésé d'être relocalisé.

46 M. Aubut témoigne que le rôle d'un inspecteur des douanes est de protéger la population canadienne et l'économie canadienne en contrôlant l'admissibilité au Canada des voyageurs et de la marchandise.

47 M. Aubut indique que si un individu ne s'identifie qu'avec son prénom, à moins qu'il ne s'agisse de quelqu'un qu'il connaît, il exigerait que la personne s'identifie et fournisse un document officiel avec photo. Il ajoute que des commentaires voulant que le voyageur a de la marchandise et qu'il y a trop de monde autour éveilleraient ses soupçons. Il demanderait au voyageur ce qu'il transporte.

48 M. Aubut témoigne que quelques heures avant l'opération du 20 juin 2004, il a reçu un appel de la directrice du district de la Montérégie, qui l'informait de l'implication possible d'un inspecteur des douanes dans un trafic de drogues. Il a pris les dispositions nécessaires pour assurer la relève de ce fonctionnaire, au cas où il serait arrêté. Le lendemain, il a remis au fonctionnaire s'estimant lésé l'avis de suspension pendant une enquête.

49 Le prochain témoin présenté par l'employeur a été l'agent d'infiltration de la GRC que j'identifie par les initiales AI. AI travaille à la GRC depuis 1990 dans la section des enquêtes spéciales. AI indique que l'infiltration est une technique d'enquête pour accumuler des preuves sur un individu, un groupe d'individus ou une organisation dans le but de supporter des allégations criminelles ou autres. Pour devenir agent d'infiltration, il a dû suivre, avec succès, une formation spécifique de la GRC. Auparavant, il était enquêteur et patrouilleur pour la GRC dans les Territoires du Nord-Ouest et en Nouvelle-Écosse. Il est agent d'infiltration à temps plein depuis 2002.

50 AI relate le rôle qu'il a joué dans la nuit du 20 au 21 juin 2004. Il a d'abord pris possession d'une camionnette Chevrolet Avalanche du côté américain. Ce véhicule était impliqué dans un trafic de 150 kg cocaïne. Son rôle était de remplacer le chauffeur de la camionnette arrêté aux États-Unis pour franchir la frontière. AI identifie les notes qu'il a écrites à la suite des évènements (pièce E-1, annexe 9).

51 AI témoigne qu'il travaille toujours avec un agent couvreur qui assure la liaison avec les services policiers et qui lui donne ses objectifs. Il a reçu la directive de se rendre au poste frontalier et de demander pour un dénommé Serge et si l'inspecteur des douanes le laissait passer sans parler, il devait engager une conversation avec lui. L'objectif était de déterminer si l'inspecteur des douanes était impliqué dans le complot pour faciliter l'entrée au Canada.

52 AI témoigne qu'en arrivant au poste frontalier, il a été interpellé par une personne de race blanche parlant le français. L'inspecteur des douanes lui a demandé son nom. AI a répondu Alain, car s'était le prénom de la personne arrêtée aux États-Unis. L'inspecteur lui a demandé combien de temps il avait passé aux États-Unis. AI a répondu deux semaines. AI a demandé à l'inspecteur si Steve était dans le voisinage. L'inspecteur a indiqué qu'il ne connaissait pas Steve. AI a ajouté « Steve devait m'attendre icitte. » L'inspecteur lui a alors dit : « C'est pas plutôt Serge? » AI lui a fait un clin d'oil et lui a dit que c'était plutôt ça. L'inspecteur lui a demandé s'il connaissait la région et AI lui a dit non et a ajouté : « Je ne veux pas me promener avec ça […] Serge était supposé de me rencontrer ici. » Il est allé se stationner environ 45 mètres plus loin. Quelques minutes plus tard, l'inspecteur est venu à son véhicule avec un morceau de papier. AI indique que l'inspecteur lui a demandé s'il avait le numéro de téléphone de Serge. AI lui a répondu que son téléphone cellulaire était mort depuis 15 h durant l'après-midi et qu'il devait rencontrer Serge à cet endroit à 00 h 30. AI a ajouté qu'il s'était perdu et c'est pourquoi il était un peu en retard. AI témoigne qu'il a dit à l'inspecteur qu'il avait parlé à Serge à 13 h 30 et qu'ils s'étaient donné rendez-vous à la frontière. AI a demandé à l'inspecteur s'il pouvait appeler Serge parce que son téléphone cellulaire ne fonctionnait pas à cet endroit. L'inspecteur a indiqué qu'il n'aimait pas utiliser le téléphone du poste pour ces « affaires-là. » AI a insisté en disant : « Téléphone à Serge, dis lui que son chum est arrivé.» AI témoigne que l'inspecteur lui a alors demandé s'il connaissait la région et qu'il a répondu non. L'inspecteur lui a alors montré une photocopie d'une carte montrant le chemin jusqu'à Dunham en lui indiquant que Serge devait être là dans la région, en indiquant Dunham. L'inspecteur lui a demandé s'il avait un point de rendez-vous. AI témoigne qu'il a dit de nouveau que Serge devait l'attendre dans la région, indiquant le poste frontalier. AI a demandé s'il y avait une station d'essence à Dunham et l'agent a dit oui. AI a alors dit à l'inspecteur d'appeler à Serge pour lui dire qu'il serait à la station d'essence à Dunham. L'inspecteur a dit à AI d'attendre et qu'il allait appeler Serge. Pendant que l'inspecteur était dans l'édifice, deux véhicules ont passé la frontière dont celui de l'agent couvreur. AI a alors reculé au poste frontalier et a avisé l'inspecteur qu'il allait attendre à Dunham parce qu'il y avait trop de monde. L'inspecteur lui a alors dit de ne pas s'inquiéter,  que c'était des réguliers. L'inspecteur lui a dit qu'il avait de la difficulté avec sa carte d'appel. AI a dit à l'inspecteur qu'il allait être à la station d'essence à Dunham. L'inspecteur lui a alors montré sur la carte de faire attention de tourner à droite sur la route 213 et de ne pas continuer sur la route 207. AI a répété à l'inspecteur d'appeler Serge et il est parti.

53 AI témoigne qu'il a alors communiqué avec son agent couvreur pour l'informer de sa conversation avec l'inspecteur des douanes. L'agent couvreur lui a alors dit de continuer jusqu'à Dunham. À Frelighsburg, il a rencontré une voiture stationnée du côté opposé avec les phares allumés. Il s'agissait d'une voiture de marque Accura de couleur rouge. La voiture a suivi le véhicule de AI et celui de l'agent couvreur. L'agent couvreur a alors indiqué à AI qu'il s'agissait de Serge et qu'il devait se stationner sur l'accotement dès qu'il aurait une chance. Serge avait alors dépassé le véhicule de l'agent couvreur. Dès qu'il s'est rangé sur l'accotement, la GRC a procédé à l'arrestation de Serge Laplante. AI a rédigé un compte rendu de ses notes entre 10 h 10 et 11 h 40 sur son ordinateur portatif. AI indique que tout au long de l'opération, son téléphone cellulaire ne fonctionnait pas et qu'il communiquait à l'aide d'un poste émetteur de la police.

54 AI témoigne qu'il passe la frontière à l'occasion dans ses temps libres et qu'il a été surpris que l'inspecteur ne lui demande pas son nom de famille et qu'il ne le questionne pas sur la marchandise qu'il transportait. Il a aussi été surpris de se faire remettre une carte sans l'avoir demandée. C'était la première fois qu'il voyait cela à un poste frontalier.

55 AI témoigne que lorsqu'il s'est présenté au poste frontalier, il jouait le gars nerveux. Il ajoute que lorsqu'il a demandé pour Steve, l'inspecteur a eu l'air surpris. AI témoigne qu'en aucun temps il a été agressif ou a menacé physiquement ou verbalement l'inspecteur. Son rôle était de passer le véhicule à la frontière et de rencontrer Serge. En passant la frontière, il devait tenter de déterminer si l'inspecteur allait faciliter l'entrée au Canada. Il voulait confirmer que l'inspecteur connaissait Serge et avait une connaissance de son arrivée au Canada.

56 En contre-interrogatoire, AI indique que son premier point de contact est l'agent couvreur. C'est l'agent couvreur qui donne les objectifs et qui assure la sécurité de l'agent d'infiltration. Il confirme que son premier objectif était de faire entrer la camionnette à la frontière et que son rôle secondaire était de voir si l'inspecteur des douanes était corrompu.

57 En réponse aux questions, AI indique qu'il avait constaté en arrivant à Enosburg, (ville située du côté américain de la frontière) que la communication avec le téléphone cellulaire ne se faisait pas. AI témoigne qu'il a alors décidé d'utiliser un poste émetteur de la police qui a été caché dans la camionnette. À sa connaissance, il n'y avait pas de magnétophone ou de caméra à bord du véhicule. AI témoigne qu'il n'a pas vu l'enregistrement vidéo fait au moment où il a passé la frontière. AI indique que pour pouvoir enregistrer, il faut une autorisation de la Cour. Dans le cas de cette opération, il devait se présenter à un poste frontalier. Il n'y avait pas de menaces à sa sécurité et donc, il n'était pas nécessaire d'écouter les conversations.

58 Questionné sur ses notes relatives aux évènements (pièce E-1, annexe 9), AI reconnaît que ce qu'il rapporte dans celles-ci n'est pas du mot à mot et que dans certaines situations, les perceptions entrent en jeu. AI confirme qu'il ne s'est identifié à l'inspecteur des douanes qu'avec le prénom Alain et a été surpris que l'inspecteur ne lui demande pas son nom de famille avant de passer à la deuxième question. Si le fonctionnaire s'estimant lésé est impliqué, il est raisonnable, selon AI, qu'il va connaître Alain Charron. AI indique aussi qu'il a volontairement utilisé le prénom de Steve au lieu de Serge. AI reconnaît qu'il n'a pas mentionné dans ses notes qu'il a fait un clin d'oil au fonctionnaire s'estimant lésé, mais indique qu'en relisant ses notes, cela lui est revenu en mémoire. C'est à la suite de cet échange que le fonctionnaire s'estimant lésé lui a demandé s'il connaissait la région. AI n'avait pas indiqué à ce moment de la conversation qu'il s'était perdu. AI précise que ce n'est que plus tard, au cours de la conversation, qu'il indique au fonctionnaire s'estimant lésé qu'il s'est perdu aux États-Unis. AI confirme que c'est de sa propre initiative qu'il s'est stationné à une trentaine de mètres plus loin et non à la suggestion de l'inspecteur des douanes.

59 AI indique que c'est l'inspecteur des douanes qui lui a demandé s'il connaissait la région et s'il avait un point de contact. Relativement aux passagers des deux véhicules qui ont passé la frontière, AI maintient que le fonctionnaire s'estimant lésé lui a dit qu'ils étaient des réguliers. AI indique qu'il a retenu les points importants dans ses notes, qu'il témoigne parce que c'est son devoir de le faire et qu'il le fait au meilleur de sa connaissance.

60 En ré-interrogatoire, AI indique que sa perception était que l'inspecteur des douanes était impliqué. Lorsque AI a demandé à l'inspecteur des douanes d'appeler Serge, il a dit : « Je n'aime pas utiliser le téléphone pour des choses comme ça. »

61 Le fonctionnaire s'estimant lésé a été le témoin suivant. Il travaillait comme inspecteur des douanes depuis un peu moins de 22 ans au moment de son congédiement. Il confirme que son dossier est vierge. Il est marié depuis 1993 et est père de trois enfants; une fille de 12 ans et deux jumeaux de 7 ans. Il indique que son travail était important pour lui. Il se considérait privilégié d'avoir un poste au gouvernement et s'attendait à être muté sous peu dans un poste de bureau et ainsi pouvoir cesser de travailler des quarts. À l'époque, il s'attendait à travailler encore pendant environ 13 ans avant de pouvoir prendre sa retraite.

62 Le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne qu'il est le huitième enfant d'une famille qui comportait deux filles et six garçons. Son frère Serge est le quatrième enfant de la famille. Le plus vieux de la famille a environ 64 ans, alors que lui est âgé de 45 ans. Serge Laplante a 57 ans.

63 Questionné sur les relations entre lui et sa famille, le fonctionnaire s'estimant lésé indique que c'est en 1993 qu'il a vu pour la dernière fois le plus vieux de ses frères, Ronald, lors de son mariage. Quant à son deuxième frère, Yvon, la dernière fois qu'il l'a vu, c'est en 1987, lors du décès de leur mère. Il voit sa sour France cinq à six fois par année et celle-ci demeure près de chez lui. Il voit son frère Mario deux à trois fois par année. Celui-ci a une déficience mentale et il téléphone régulièrement chez lui. Il avait un frère, Normand, qui est décédé. Sa sour Muriel habite à Washington, il la voit deux fois par année et lui parle souvent au téléphone.

64 Relativement à sa relation avec son frère Serge, le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il le voyait normalement deux à trois fois par année au restaurant lors de l'anniversaire de son frère Mario, à l'occasion d'un brunch chez sa sour France à Pâques ou lorsqu'il organisait une épluchette de blé-d'Inde quand sa sour Muriel venait en été. Jusqu'en 2004, il n'avait pas eu de conversations téléphoniques avec son frère Serge à moins d'une mortalité dans la famille. Les dernières fois qu'il a vu son frère Serge, c'était chez sa sour France, à Pâques de l'année 2004, et aux funérailles de son oncle Henri Laplante le 22 mai 2004. Il mentionne qu'en février 2004, Serge lui avait téléphoné pour l'aviser qu'il avait un conteneur pour lui.

65 Au sujet de ce conteneur, la fonctionnaire s'estimant lésé mentionne qu'en octobre 2003, lors de l'anniversaire de son frère Mario, à la table au restaurant, il a mentionné qu'il voulait se construire une remise. Il indique que Serge lui a suggéré qu'il pourrait lui avoir un conteneur qui pourrait servir de remise. Son frère travaillait dans le domaine du transport. Le fonctionnaire s'estimant lésé a alors indiqué qu'il était intéressé et a demandé à son frère de lui faire savoir quand un conteneur serait disponible. Il a ensuite indiqué qu'il y a eu beaucoup d'appels au sujet du conteneur mais que plusieurs de ses appels restaient sans réponse et tombaient sur le boîte vocale. Il témoigne qu'à un certain moment, Serge lui a indiqué qu'il avait un conteneur et qu'il voulait le rencontrer à Iberville pour lui montrer. Le fonctionnaire s'estimant lésé s'est présenté au rendez-vous. Le conteneur convenait, mais il était sur une remorque qui était prise dans la glace. Les frères ont convenu que lorsqu'il serait possible de déplacer le conteneur, Serge irait le livrer. Par la suite, il y a eu quelques appels liés à la livraison qui était toujours reportée. Finalement, le conteneur a été vendu à quelqu'un d'autre.

66 Le fonctionnaire s'estimant lésé a avisé son frère que le meilleur temps pour livrer le conteneur était lorsqu'il travaillait de nuit puisqu'il était à la maison le jour. Il devait être là pour aider avec son camion ou son tracteur à débarquer le conteneur de la remorque. Il indique que c'est le 22 mai 2004 qu'il a donné à son frère l'information qui apparaît sur la feuille indiquant son horaire de travail (pièce E-1, annexe 6) et il témoigne que le 22 mai 2004, son frère Serge lui a téléphoné le matin pour lui demander à quelle heure devait avoir lieu les funérailles de son oncle et s'il avait l'intention de s'y rendre. Il a dit à son frère qu'il n'allait pas aux funérailles mais qu'il était sur le point de quitter la maison pour aller au village de Sutton. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique également qu'il possède un atelier à Sutton où il bricole. C'est à cet atelier que Serge Laplante est allé le voir avant d'assister aux funérailles.

67 Le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne que lors de cette rencontre, Serge lui a posé quelques questions. Serge désirait des renseignements au sujet du poste frontalier le plus près du Lac Shelby. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a alors répondu qu'il y avait deux postes frontaliers à proximité: East Pinnacle et Frelighsburg. Il a demandé à son frère Serge pour quelle raison il désirait ces renseignements. Ce dernier lui a répondu que c'était parce qu'il voulait acheter un bateau au Lac Shelby et qu'un de ses amis s'en allait en vacances aux États-Unis et que lorsqu'il reviendrait, cet ami devait passer par le Lac Shelby pour accrocher la remorque et ramener le bateau. Le Lac Shelby est très proche de la frontière. Le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne que son frère lui a aussi dit qu'il allait avoir un conteneur et lui a demandé quand était le meilleur temps pour le livrer. C'est à ce moment qu'il a donné les renseignements sur les quarts de nuits qu'il allait travailler. Il indique qu'il avait toujours sur un pare-soleil de son camion une copie de son horaire de travail.

68 Le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne que par la suite, il a eu des conversations téléphoniques avec Serge au sujet de la succession d'un autre oncle dont tous les neveux et nièces étaient des héritiers. Serge a aussi communiqué avec lui pour s'enquérir s'il pouvait exporter une automobile aux États-Unis en passant par n'importe quel poste frontalier américain. Le fonctionnaire s'estimant lésé s'est renseigné auprès de ses collègues américains pour ensuite transmettre ce renseignement à Serge. Il ajoute que les conversations étaient du genre de questions et de réponses et non pas du genre d'une invitation au restaurant. Il indique que son frère a aussi communiqué avec lui pour retrouver un ancien collègue de travail qui demeurait à Sutton. Il indique aussi qu'il a retrouvé le numéro de téléphone et l'a donné à son frère.

69 Le fonctionnaire s'estimant lésé poursuit son témoignage en décrivant ce qui s'est passé le 20 juin 2004. Il indique qu'il est parti de son domicile vers 22 h. Il est allé au village pour rencontrer des gens parce que cette journée était une journée d'élection relativement à la fusion ou la défusion de la municipalité. Les résultats l'intéressaient. Par la suite, en se rendant à son travail, il s'est arrêté au poste frontalier d'East Pinnacle pour jaser avec l'inspecteur des douanes Claude Benoit. Il faisait cela régulièrement lorsque c'était M. Benoit qui travaillait. M. Benoit était en compagnie d'un patrouilleur frontalier américain qu'il connaissait aussi. Par la suite, il s'est rendu à Frelighsburg. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il avait travaillé la nuit du 19 au 20 juin 2004.

70 Le fonctionnaire s'estimant lésé poursuit son témoignage en indiquant que vers 00 h 15 une camionnette conduite par un Américain a franchi la frontière. Cette personne franchit régulièrement la frontière pour aller s'approvisionner en fruits et légumes au marché central à Montréal. Il indique qu'il a engagé une courte conversation avec cette personne. Le second véhicule à franchir la frontière a été la camionnette Chevrolet Avalanche. Lorsque le véhicule s'est présenté, il a demandé au chauffeur de s'identifier et celui-ci a répondu Alain Charron. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il lui a ensuite demandé depuis combien de temps il était parti. Le chauffeur lui a répondu depuis deux semaines. Il lui a demandé s'il avait acheté ou reçu quelque chose et le chauffeur a répondu par la négative. Il dit aussi qu'à ce point-là, il avait atteint le point de finalité. Il lui a dit : « OK, c'est correct », car il était satisfait des réponses du client. C'est à ce moment-là que le chauffeur lui a dit : « Je me suis perdu dans les petites routes avant d'arriver ici. » Le fonctionnaire s'estimant lésé lui a répondu : « Tu n'es pas le premier, il y a plein de gens qui se perdent » et lui a demandé : « Connais-tu la région? » Le chauffeur lui a répondu : « non ». Le chauffeur lui a demandé s'il avait vu une automobile rouge et il a répondu par la négative. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il arrive assez souvent que le poste frontalier soit utilisé comme lieu de rencontre. Le chauffeur de la camionnette Chevrolet Avalanche lui a demandé s'il pouvait se stationner un peu plus loin en faisant un signe de la main. Le fonctionnaire s'estimant lésé lui a alors dit qu'il pouvait se stationner au fond de la cour, de cette façon, si un camion se présentait, il ne serait pas « dans les jambes ». Le chauffeur de la camionnette est alors allé se stationner au fond de la cour.

71 Le fonctionnaire s'estimant lésé poursuit son témoignage en indiquant qu'il est alors entré dans le bureau. Il indique qu'il avait hâte que ce chauffeur quitte car il était fatigué puisqu'il n'avait pas dormi depuis les 24 dernières heures. La veille, il avait travaillé un quart de travail de nuit en temps supplémentaire et avait passé la journée dans une fête de famille à Longueuil. Quand une automobile se présente au poste frontalier, une cloche sonne. L'inspecteur des douanes peut donc s'assoupir entre les clients. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il souhaitait le départ de la camionnette pour qu'il puisse faire un somme. Constatant que le chauffeur attendait encore, il a décidé de prendre une carte routière et de lui indiquer comment se rendre à Dunham. C'est une carte routière que la ville ou la chambre de commerce remet aux touristes. Il a pris la carte et s'est dirigé vers la camionnette.

72 Lorsqu'il est arrivé au véhicule, le chauffeur a baissé la vitre de la portière. Le fonctionnaire s'estimant lésé lui a dit : « Tu ne connais pas la région? » Le chauffeur lui a répondu que non. Il lui a alors donné la carte et lui a expliqué qu'il pouvait se rendre à Dunham avec le tracé qu'il lui avait fait. La raison pour laquelle il lui indiquait Dunham était que de cet endroit, une personne peut aller dans toutes les directions. De Dunham, on pouvait se diriger vers St-Jean-sur-Richelieu, Cowansville, Granby ou Sutton. Lorsqu'il lui a donné la carte, le chauffeur l'a remercié et c'est alors que le chauffeur lui a demandé s'il avait vu Steve. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a hésité puis a répondu : « Steve? » Il indique qu'à ce moment, il ne savait pas de qui le chauffeur parlait. Le chauffeur a à nouveau demandé : « As-tu vu Steve? » C'est alors qu'il a fait le rapprochement avec son frère Serge et il a dit : « Tu veux dire Serge? » Il a fait ce rapprochement car son frère Serge lui avait parlé d'un ami qui avait une camionnette et qui devait ramasser un bateau au Lac Shelby et que le chauffeur lui avait demandé s'il avait vu une voiture rouge. Son frère Serge conduit une automobile rouge. Le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne qu'il a indiqué au chauffeur qu'il n'avait pas vu son frère. Le chauffeur lui a demandé de téléphoner à Serge. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a alors dit au chauffeur : « T'as pas un cellulaire? » Le chauffeur lui a dit que oui, mais que les batteries étaient « mortes » depuis trois heures. Le chauffeur a réitéré sa demande : « Peux-tu téléphoner à Serge? » Il lui a répondu : « Pas vraiment, je vais essayer » et indique qu'il a dit « pas vraiment » pour différentes raisons. Le téléphone du poste n'est pas un téléphone public et les fonctionnaires ne doivent pas faire d'appels interurbains aux frais de l'employeur. Il ajoute qu'il n'aime pas déranger les gens à minuit et que ce n'est pas une heure raisonnable.

73 Le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne qu'il a quitté la camionnette pour retourner au bureau. Il a essayé de téléphoner à son frère Serge avec sa carte d'appel à deux ou trois reprises mais cela ne fonctionnait pas. Entre-temps, deux véhicules ont franchi la frontière; une grise voiture de marque Honda avec deux occupants (un homme et une femme) et une camionnette Nissan conduite par un homme. Les occupants des deux véhicules ont rapporté qu'ils n'avaient rien acheté. Par la suite, il indique qu'il avait communiqué avec la téléphoniste pour obtenir des instructions sur l'utilisation de la carte d'appel. C'est alors qu'il a entendu le klaxon de la camionnette Chevrolet Avalanche. Le chauffeur avait reculé vers le poste frontalier. Il ne sait pas depuis combien de temps il était là et ne l'a remarqué qu'après le coup de klaxon. En sortant du bureau, il a indiqué au chauffeur qu'il n'était pas capable de joindre son frère, ce à quoi le chauffeur a répondu : « C'est correct,  pas grave. » Le chauffeur lui a alors dit qu'il devait aller faire le plein d'essence. Le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne qu'il lui a dit que justement, sur la carte, quand il arriverait à Dunham, il y avait une station d'essence sur la gauche et qu'il ne pouvait pas la manquer. Il lui a montré sur la carte et lui a donné des instructions pour traverser le village deFrelighsburg. Le chauffeur l'a remercié et il est parti très vite. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il a regretté ne pas lui avoir dit de faire attention aux chevreuils et il ajoute que lorsque le camion a reculé au bureau, le chauffeur a dit : « Il y a beaucoup de trafic ici. » Il a répondu : « Non, c'est régulier. » Après le départ de la camionnette, il a tenté à nouveau de joindre son frère Serge, mais n'a réussi qu'à laisser un message dans la boîte vocale.

74 Relativement à la déclaration de AI, le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne qu'à la question d'identification, AI lui a répondu Alain Charron et qu'en 22 ans de carrière, jamais personne ne lui a répondu par seulement un prénom. Si cela avait été le cas, il aurait demandé son nom au complet. Il ajoute que la discussion sur Steve a eu lieu lorsque la camionnette Chevrolet Avalanche était stationnée au fond de la cour et que AI n'a jamais dit : « Je ne veux pas me promener avec ça. » AI lui a demandé s'il pouvait se stationner au fond de la cour. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique que AI ne lui a jamais dit : « Serge m'a dit de le rencontrer ici à minuit et demi. » Il réitère que la discussion au sujet de Serge a eu lieu au fond de la cour. Il affirme qu'il n'a jamais dit à AI que les téléphones cellulaires ne fonctionnaient pas et que c'est plutôt AI qui lui a dit que les batteries du téléphone cellulaire étaient « mortes ».

75 Le fonctionnaire s'estimant lésé poursuit en indiquant que AI ne lui a pas demandé s'il avait un téléphone dans le bureau et affirme que lorsque AI lui a demandé d'appeler, il a répondu : « Pas vraiment mais je vais essayer. » AI ne lui a jamais dit d'appeler Serge et de lui dire que « son chum » est arrivé. Le fonctionnaire s'estimant lésé affirme qu'ils ont discuté de la carte avant de parler de Serge et que la raison pour laquelle il s'était rendu à la camionnette stationnée au fond de la cour était pour lui donner la carte pour que AI quitte les lieux. C'est lorsqu'il a reculé jusqu'au bureau que AI lui a dit qu'il devait aller chercher de l'essence. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique que AI ne rapporte pas la discussion dans la bonne séquence. Il précise que c'est lorsque AI a reculé qu'il lui a dit qu'il ne pouvait joindre Serge. Il ajoute que l'on voit sur l'enregistrement que AI ressort la carte et qu'il lui donne des renseignements sur la direction à prendre et note que l'on voit le geste de la main sur l'enregistrement. Il maintient qu'il n'a jamais dit « c'est des réguliers » mais plutôt « c'est régulier ». Il ajoute qu'il ne peut avoir dit « c'est des réguliers » parce que le deuxième véhicule était conduit par l'agent couvreur qui n'était certainement pas un régulier. Il indique ne pas avoir dit à AI qu'il avait des problèmes avec sa carte d'appel mais plutôt qu'il était incapable de joindre Serge. Il ajoute qu'il avait compris que AI devait faire le plein d'essence. AI l'a remercié mais ne lui a pas demandé de communiquer de nouveau avec Serge.

76 Le fonctionnaire s'estimant lésé indique que, lors de l'interrogatoire avec la GRC, l'agent lui a dit que le téléphone du poste de douanes de Frelighsburg avait été placé sous écoute électronique. Il a alors répliqué : « Pas de problème, je n'ai rien à cacher. » Il témoigne qu'il était au courant que cela s'était déjà fait dans des bureaux de douaniers et qu'il savait que cela pouvait se faire.

77 Invité à commenter le niveau de difficulté du travail d'inspecteurs des douanes dans la région de Frelighsburg, East Pinnacle et Morris Line, le fonctionnaire s'estimant lésé a indiqué qu'il était facile de traverser des marchandises de contrebande. Il indique qu'il n'y a aucune surveillance et que depuis 1993, la GRC ne faisait plus de patrouille. Il a travaillé dans tous ces endroits, entre autres, pour faire du remplacement pendant les absences de ses collègues en congé de maladie. Il indique qu'à East Pinnacle, après minuit, on verrouille la porte et on cache la clé. Les agents américains téléphonent pour signaler le passage de camions ou de voitures et ces faits sont notés à des fins statistiques. Il indique qu'il est très facile de passer sans s'arrêter à cet endroit.

78 Le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne que depuis que la GRC n'est plus disponible pour répondre à leurs appels, les inspecteurs des douanes doivent communiquer avec la Sureté du Québec. Durant le quart de nuit, la Sureté du Québec n'a qu'un ou deux véhicules pour couvrir un territoire que le fonctionnaire qualifie d'immense.

79 Relativement au poste de Frelighsburg, le fonctionnaire s'estimant lésé témoigne que si un véhicule arrive des États-Unis et qu'il passe sans s'arrêter, il y a peu de chance de pouvoir l'identifier. On ne voit pas les véhicules arriver de loin. Selon lui, il s'est fait beaucoup de contrebande de cigarettes et d'alcool et peut-être même de drogue.

80 Questionné à savoir pourquoi son frère aurait choisi Frelighsburg si cela est si facile, le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu que son frère savait que la nuit, il ne faisait pas de fouille. L'inspecteur des douanes est seul, il n'a pas de remplaçant et n'est pas armé. Il indique que son frère savait cela parce qu'il l'avait déjà dit lors d'une discussion en famille. Selon lui, son frère a voulu profiter de ses quarts de travail de nuit parce qu'il savait qu'il ne fouillait pas. Il affirme qu'il n'a jamais eu de discussion avec son frère Serge relativement à un paiement de 100 000 $. Le fonctionnaire s'estimant lésé croit que son frère s'est servi de lui pour avoir plus d'argent en faisant croire à ses complices qu'il avait besoin d'une porte. En réalité, il n'avait pas besoin de porte.

81 Le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il n'y a rien d'anormal dans ses comptes bancaires et qu'il n'est pas quelqu'un qui dépense beaucoup. Il n'a pas d'automobiles neuves et il ne lui reste que trois ans à payer pour son prêt hypothécaire.

82 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé réitère qu'il a eu peu de contact avec son frère avant l'automne 2003. Il avait environ trois ou quatre contacts par année. Il se souvient l'avoir vu peut-être une fois à Frelighsburg, mais ne peut dire quand. Il n'était pas proche de son frère. En 2004, il a plus de contacts pour les raisons données plus tôt dans son témoignage. Il maintient n'avoir jamais affirmé à la GRC qu'il n'avait pas eu de contact et a tout simplement oublié de mentionner l'histoire du conteneur. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique que selon les conseils de son avocat, il ne devait rien dire. Il croyait que c'était une tempête dans un verre d'eau. Il indique n'avoir jamais reçu le conteneur, mais affirme avoir fait des blocs de béton dans son sous-sol en vue de l'arrivée du conteneur.

83 Le fonctionnaire s'estimant lésé mentionne que relativement aux échanges téléphoniques concernant l'héritage d'un oncle, qu'ils étaient tous, ses frères et sours, des héritiers mais que son frère Serge tardait à signer. Une de ses sours lui a demandé de dire à Serge qu'ils attendaient après lui pour qu'il signe. Le fonctionnaire s'estimant lésé indique que sa sour France n'avait pas le numéro de téléphone de Serge et que son autre sour habite Washington. Il ne se souvient pas combien de fois il a communiqué avec Serge à ce sujet, mais ajoute qu'à de nombreuses reprises il a joint sa boîte vocale.

84 En réponse aux questions, le fonctionnaire s'estimant lésé confirme qu'il a vu que la camionnette Chevrolet Avalanche avait une plaque d'immatriculation commerciale commençant avec la lettre « F ». Il indique que même s'il s'agit d'un véhicule commercial, il n'était pas obligé d'exiger la présentation d'une carte d'identité. La personne n'avait rien à déclarer. À l'occasion, les inspecteurs des douanes ont des statistiques à remplir sur les véhicules commerciaux.

85 Le fonctionnaire s'estimant lésé confirme que relativement à la discussion au sujet de Steve/Serge avec AI, il n'a pas confirmé que AI parlait bien de son frère Serge. Il n'a pas cru important de le faire. Il n'est pas au courant si son frère a déjà été arrêté et affirme qu'il n'a pas été inquiété que quelqu'un cherche son frère, même si celui-ci avait déjà passé sans arrêter. Il n'aurait jamais cru que son frère l'impliquerait de la sorte et confirme qu'il s'est fait jouer un mauvais tour à son insu. Il a vu son frère un mois après les incidents aux funérailles de son neveu mort à la suite d'un accident de moto.

86 Questionné à savoir s'il n'avait pas été inquiet de donner à son frère son horaire de travail, le fonctionnaire s'estimant lésé répond que non, puisqu'il le faisait pour obtenir le conteneur. Il indique aussi qu'il a montré le chemin pour Dunham parce qu'il souhaitait que AI s'en aille. Il ne sait pas où se trouve le bateau; ce n'était pas son problème, mais bien celui de son frère. Il reconnaît que ce n'est pas dans les fonctions d'un inspecteur des douanes de donner des directions, mais qu'il peut aider un voyageur.

87 Questionné sur ses réponses aux questions du policier qui l'a interrogé le matin du 21 juin, le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il était fatigué, qu'il avait travaillé la veille de 6 h à minuit et était revenu le soir du 20 juin 2004.

88 Questionné à savoir s'il avait trouvé particulier la mention par AI qu'il y avait beaucoup de trafic au poste frontalier, le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'à ce point dans la conversation, son travail de douanier était finalisé. AI cherchait son frère et, selon lui, c'était au sujet du bateau. Il n'y avait pas là de quoi s'inquiéter.

89 Le fonctionnaire s'estimant lésé confirme que selon lui, les postes frontaliers d'East Pinnacle et Morris Line sont de « véritables passoires » comme d'autres postes. Il note que des passages sans s'arrêter se sont effectués en plein jour à East Pinnacle et à Frelighsburg. Questionné à savoir pourquoi son frère aurait fait passer la drogue par Frelighsburg, le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il faudrait lui demander. Il ajoute que son frère savait que la nuit, ils ne fouillaient pas. Il l'avait dit à la table lors d'une discussion sur les services douaniers. Il n'y a pas de sécurité, de remplaçant et les inspecteurs des douanes ne sont pas armés. Le fonctionnaire s'estimant lésé affirme qu'il ne tiendrait pas un gars par le bras qui a de la cocaïne et possiblement une arme. S'il croit qu'il y a de la drogue, il doit téléphoner au poste frontalier de St-Amable en identifiant le véhicule et le numéro de la plaque d'immatriculation. Il ne mettrait pas sa vie en péril. Selon le fonctionnaire s'estimant lésé, son frère Serge savait qu'en passant par Frelighsburg, il n'y avait aucun risque pour faire son boni de 100 000 $. À la question de savoir pourquoi son frère l'aurait impliqué à son insu, ce dernier indique que c'était pour faire les 100 000 $. Il ajoute que c'est son frère Serge qui lui a proposé le conteneur. Il mentionne que ses sours n'ont pas parlé à Serge depuis ce temps.

90 Relativement au fait qu'il n'a pas mentionné durant l'interrogatoire qu'il avait tenté de joindre son frère Serge, le fonctionnaire s'estimant lésé indique essentiellement qu'il ne lui est pas venu à l'esprit de le mentionner puisqu'il ne lui avait pas parlé. Il réitère que lorsque AI a mentionné une voiture rouge, il a pensé que AI cherchait son frère.

91 Questionné sur le moment où il a donné son horaire à son frère Serge (pièce E-1, annexe 33), le fonctionnaire s'estimant lésé indique que ce n'est pas le 4 juin 2004 qu'il a donné son relevé à son frère, mais bien le 22 mai 2004, à l'occasion des funérailles de son oncle. Il ajoute qu'il a pris la peine de fabriquer des blocs de béton pour recevoir le conteneur et qu'il avait toujours ces blocs à la maison. Il n'a jamais reçu le conteneur et n'en veut plus; il ne veut plus rien de son frère.

92 Relativement au fait que AI affirme qu'il ne lui a pas demandé son nom de famille, le fonctionnaire s'estimant lésé indique qu'il est d'avis que AI ment pour ajouter du poids à son enquête. Il mentionne que dans la déclaration qu'il a signée le 1er décembre 2004, (pièce E-19), on devrait lire à la page 7 qu'il a rencontré son frère à l'occasion des funérailles de son oncle. Il termine en indiquant qu'il a toujours collaboré à 100 %.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour l'employeur

93 Le représentant de l'employeur affirme d'entrée de jeu que s'il y a prépondérance de preuve démontrant l'implication du fonctionnaire s'estimant lésé dans un complot pour importer des narcotiques, le congédiement est une mesure disciplinaire appropriée. Il cite Dionne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel Canada), 2003 CRTFP 69, où il est fait mention qu'il existe des formes d'inconduites qui sont incompatibles avec une charge publique détenue par un employé surtout si les fonctions de cette charge consiste à appliquer la loi.

94 Selon le représentant de l'employeur, les faits dans ce dossier militent en faveur de la participation du fonctionnaire s'estimant lésé dans un complot d'importation de narcotiques. Il ne peut s'agir de simples coïncidences car il y a beaucoup trop d'anomalies dans les faits. La preuve au dossier rend plus probable l'implication de l'inspecteur des douanes que sa non-implication.

95 Le représentant de l'employeur souligne que je dois évaluer la crédibilité des témoins, celle des deux officiers de la GRC et celle du fonctionnaire s'estimant lésé. Il note que ce dernier a déclaré en témoignage que la GRC avait menti dans ce dossier dans le but « d'avoir [s]a tête » Le représentant de l'employeur soumet la décision rendue dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (QL), où il est fait mention que même si un témoin témoigne avec confiance, son témoignage doit être analysé à la lumière de l'ensemble des faits. D'autant plus que le fonctionnaire s'estimant lésé affirme essentiellement que les agents de la GRC ont comploté contre lui. Il ne peut faire une telle affirmation gratuitement.

96 Le représentant de l'employeur questionne la crédibilité de la version des évènements présentée par le fonctionnaire s'estimant lésé. Il souligne que ce dernier affirme que non seulement le complot d'importation de narcotiques a été fait à son insu, mais ajoute que l'agent d'infiltration de la GRC (AI) a délibérément fabriqué de la preuve pour l'impliquer. Il prétend que cet agent a inventé le déroulement des évènements dans la nuit du 20 au 21 juin 2004. De l'avis du représentant de l'employeur, il s'agit là de très graves accusations qui doivent être étayées par de la preuve. Sans aucune preuve pour l'appuyer, cette affirmation relève de la plus pure fantaisie. Il note que les agents de la GRC n'ont pas été contre-interrogés quant à leur réelle motivation ou s'ils avaient fait l'objet de pression de leurs supérieurs. Il note aussi que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a jamais présenté de preuve voulant qu'il ait déposé une plainte au comité de déontologie policière pour fabrication de preuve. Le représentant s'appuie aussi sur la décision rendue dans Ayangma c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64, où des allégations similaires de complot non étayées par de la preuve ont été rejetées par l'arbitre de grief.

97 Le représentant de l'employeur souligne que l'on doit présumer de la bonne foi des témoins de la GRC et qu'à défaut de preuve contraire, la version de l'agent d'infiltration des évènements confirme l'implication du fonctionnaire s'estimant lésé. Il mentionne la décision Jalal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général -  Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27992 (19990421), qui reprend les critères qui doivent être suivis pour déterminer la crédibilité d'un témoin. Il note que le caporal Turcotte a déterminé que le passage de la drogue devait se faire à Frelighsburg le soir même où le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait et que l'agent d'infiltration devait valider cette information et déterminer si l'inspecteur était impliqué. Le représentant de l'employeur note que le passage de la drogue s'est fait comme il se devait.

98 Selon le représentant de l'employeur, certaines des explications fournies par le fonctionnaire s'estimant lésé sont surprenantes. Par exemple, la raison pour laquelle il a donné à son frère son horaire de travail et l'histoire du conteneur ont été présentées plus de deux ans après le congédiement. Le fonctionnaire s'estimant lésé a donné cet horaire en dépit du fait qu'il sait que son frère peut mentir, qu'il avait sciemment commis un passage sans s'arrêter et sans se poser des questions. Le fonctionnaire s'estimant lésé, à titre d'inspecteur des douanes, aurait dû se poser des questions. Pourquoi Serge Laplante aurait-il besoin de son l'horaire de travail du 17 mai au 21 juin 2004? Comme par hasard, l'horaire de travail s'arrête le soir même du passage des stupéfiants à la frontière. Le représentant de l'employeur note aussi que les trois tentatives de livraison de stupéfiants relatées par le caporal Turcotte révélées par l'écoute électronique devaient toutes avoir lieu durant la période du 17 mai au 21 juin 2004. Le représentant de l'employeur juge peu crédible la version du fonctionnaire s'estimant lésé, un inspecteur des douanes de carrière, qu'il se soit fait duper par son frère alors qu'il reconnaît que son frère lui a posé plusieurs questions sur les ports des douanes et sur son horaire de travail.

99 Le représentant de l'employeur note qu'à plusieurs reprises, le fonctionnaire s'estimant lésé a affirmé qu'il n'était pas proche de son frère alors que les faits démontrent le contraire. La preuve fait état d'échange de services entre les frères. Le fonctionnaire s'estimant lésé n'hésite pas à communiquer avec les douanes américaines pour obtenir des renseignements pour son frère relativement à l'exportation d'un véhicule automobile. Il fait des recherches pour retrouver un ancien collègue et Serge Laplante est prêt à lui trouver un conteneur. Pourtant, le fonctionnaire s'estimant lésé affirme également que Serge fait ses choses et qu'il fait les siennes et qu'il ne sait même pas où il habite. Le représentant de l'employeur soumet que le fonctionnaire s'estimant lésé est beaucoup plus au courant des activités de son frère qu'il ne le prétend. Il serait tout à fait étonnant de voir un frère qu'il ne fréquente pas avant 2004 réapparaître dans sa vie en posant toutes sortes de questions sur les douanes sans que cela ne tire une sonnette d'alarme. Le représentant de l'employeur soumet que le fonctionnaire a fabriqué une histoire à partir des documents de la GRC alors que l'agent d'infiltration a présenté ses notes prises au moment des évènements de la nuit du 20 au 21 juin 2004.

100 Le représentant de l'employeur souligne aussi que le fonctionnaire s'estimant lésé explique les réponses qu'il a données durant l'interrogatoire de la GRC par son état de fatigue et, qu'à son avis, il s'agissait d'une situation banale. Alors que cet interrogatoire était une occasion importante pour tenter de se disculper, le fonctionnaire s'estimant lésé a préféré jouer sur les mots en soulignant qu'il n'avait jamais parlé à son frère ce soir là alors qu'il a tenté de joindre son frère du poste frontalier.

101 Le représentant de l'employeur ajoute que le fonctionnaire s'estimant lésé a remis une photocopie d'une carte routière à l'agent d'infiltration, en lui indiquant comment se rendre à Dunham sans même connaître l'itinéraire de ce dernier. Le représentant note qu'alors qu'il prétend qu'il veut voir l'agent d'infiltration quitter le poste frontalier pour qu'il puisse faire un somme et dès que l'agent d'infiltration quitte, le fonctionnaire s'estimant lésé tente de joindre son frère. S'il était si pressé de faire une sieste, pourquoi prendre le temps de joindre son frère? Le représentant de l'employeur note aussi que les explications du fonctionnaire s'estimant lésé au sujet de ce qui lui permit de comprendre que l'agent d'infiltration cherchait son frère ne tiennent pas. Si cela avait été le cas, le fonctionnaire s'estimant lésé aurait vérifié sa compréhension de la situation avec l'agent d'infiltration.

102 Concernant l'argumentation voulant que les trafiquants auraient pu utiliser un des autres postes frontaliers non surveillés, le représentant de l'employeur mentionne en fait que l'importance du chargement imposait aux trafiquants la nécessité de s'assurer de la certitude du passage. Il souligne que le relevé des conversations téléphoniques établit que Serge Laplante a communiqué avec la résidence du fonctionnaire s'estimant lésé le 20 juin vers 18 h (pièce E-1, Vol II). De plus, il souligne que l'écoute électronique des conversations de Tony Roy avec l'agent source américain établit que, dès le 11 mai 2004, Tony Roy confirme que le passage des stupéfiants à la frontière est garanti à 100 % (pièce E-1, Vol III, annexe 33).

103 Le représentant de l'employeur souligne que le fonctionnaire s'estimant lésé ne pose aucune question à son frère Serge Laplante dans toutes leurs conversations et ne s'intéresse pas à ce qui se passe avec M. Charron que l'agent d'infiltration remplace au moment où celui-ci franchit le poste frontière. Le fonctionnaire s'estimant lésé fait lui-même des déductions qu'il ne valide pas. S'il faut le croire, toute l'histoire avec M. Charron ne le concerne pas. Le représentant de l'employeur note que c'est exactement ce qu'il devait faire, ne pas poser de questions et laisser M. Charron passer la frontière.

104 Le représentant de l'employeur note quand même que le fonctionnaire s'estimant lésé confirme plusieurs faits relatés par l'agent d'infiltration, telle la conversation utilisant les prénoms Steve et Serge ainsi que la remise de la carte routière sans qu'elle soit demandée. Le représentant de l'employeur ajoute que tout ce que fait le fonctionnaire s'estimant lésé, c'est de modifier l'ordre des choses pour que cela convienne à ses explications et lorsque le témoignage de l'agent d'infiltration est trop incriminant, le fonctionnaire s'estimant lésé affirme que cela a été inventé de toutes pièces.

105 Le représentant affirme que les circonstances présentées ressemblent beaucoup à la situation décrite dans MacKenzie c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes, Accise et Impôt), dossiers de la CRTFP 166-02-26614 et 166-02-26615 (19970203), ainsi qu'à Charbonneau c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes, Accise et Impôt), dossiers de la CRTFP 166-02-25889 et 166-02-25890 (19950523), où l'on a conclu à la complicité des douaniers.

106 Le représentant de l'employeur note que si l'on observe la fréquence des appels téléphoniques, on note que Serge Laplante s'active tout d'un coup à préparer la transaction et qu'entre ces appels, par hasard, il communique avec le fonctionnaire s'estimant lésé. Pris individuellement, on pourrait croire à une coïncidence, mais lorsqu'on regarde l'ensemble des coïncidences, on conclut à la probabilité.

107 Le représentant de l'employeur porte à mon attention Rose c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accises), dossiers de la CRTFP 166-02-27307 et 166-02-27308 (19961216), où il est fait mention qu'il ne s'agit pas de démontrer hors de tout doute les gestes reprochés à l'agent des douanes mais bien d'établir la conduite de l'agent des douanes en vertu de la prépondérance des probabilités. Le représentant de l'employeur passe en revue le témoignage de l'agent d'infiltration et note que celui-ci n'avait aucun intérêt à s'en prendre au fonctionnaire s'estimant lésé.

108 Quant à la question du délai entre la suspension indéfinie et le congédiement, le représentant de l'employeur plaide que le délai est attribuable aux difficultés à obtenir de la GRC et de la DEA les renseignements nécessaires pour conclure l'enquête administrative. Il me renvoie à Decae c. le Conseil du Trésor (Revenu Canada - Accise), dossier de la CRTFP 166-02-26796 (19960513), où un tel délai n'est pas jugé déraisonnable.

109 Le représentant de l'employeur termine en indiquant que le fonctionnaire s'estimant lésé a créé une brèche dans le système de sécurité aux frontières canadiennes. La tâche d'un inspecteur des douanes est de déterminer l'admissibilité des personnes et de la marchandise au Canada. L'article 21 du Code criminel stipule que quelqu'un qui omet d'accomplir quelque chose en vue d'aider quelqu'un à commettre une infraction participe à celle-ci et que la décision de congédier la personne dans ces circonstances est appropriée.

B. Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

110 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé débute sa plaidoirie en portant à mon attention la décision rendue dans Alberta and Government of Alberta and Alberta Union of Provincial Employees (Khan), 131 L.A.C. (4th) 118, où il est fait mention qu'en l'absence d'une condamnation au criminel, l'employeur se doit de présenter une preuve suffisamment solide pour établir un motif raisonnable de congédiement.

111 Passant en revue la jurisprudence soumise par le représentant de l'employeur, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé souligne que le critère qui apparaît dans la décision MacKenzie est le même que celui qu'on trouve dans Dionne. Il s'agit de déterminer si le fonctionnaire s'estimant lésé a participé ou non dans l'activité qui lui est reprochée, compte tenu du fait que cette activité en soi est incompatible avec la charge détenue par l'employé. Toutefois il note qu'il y a des différences importantes dans les circonstances présentes et celles décrites dans ces décisions.

112 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé souligne que dans MacKenzie, un témoin impliquait directement le douanier. Ce douanier n'avait fourni aucune explication cohérente et la preuve avait été faite qu'il s'était procuré un bijou dispendieux en payant en argent comptant. Or, dans le cas présent, ce n'est aucunement le cas. Relativement à Charbonneau, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé note que le tribunal a conclu que ce douanier savait très bien que son frère était impliqué dans de la contrebande d'alcool, qu'il avait reçu des cadeaux de ce dernier et qu'il n'a posé aucune question lorsque ce frère s'est présenté au poste frontalier. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé allègue que ce n'est pas ce qui s'est produit dans le cas présent. Dans Rose, l'avocat note qu'il y a, à son avis, une énorme différence avec la situation dans laquelle se trouve le fonctionnaire s'estimant lésé et note, en particulier, que Manon Rose avait reçu des sommes importantes d'argent et n'avait aucune explication valable de leurs provenances.

113 Commentant la présentation de l'article 21 du Code criminel, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé note qu'il faut, pour déterminer la culpabilité d'un individu, établir qu'il avait l'intention de commettre un crime. Or, contrairement aux affaires soumises par le représentant de l'employeur, de l'avis de l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé, il n'existe pas une telle preuve dans la présente affaire.

114  L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé note que le représentant de l'employeur reconnaît qu'il a le fardeau de me convaincre qu'en vertu de la prépondérance de la preuve que le fonctionnaire s'estimant lésé savait qu'il y avait une transaction illégale et qu'en voulant aider pour cette transaction, il s'est fermé les yeux. Il convient que si j'arrive à cette conclusion, je dois rejeter le grief.

115 Revenant à Dionne, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé soumet qu'il n'y a pas de preuve solide justifiant le congédiement. Au contraire, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé argue que la preuve indique que son client est un homme honnête qui s'est fait avoir par son frère. Il ajoute qu'un examen du témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé et de l'ensemble des faits permet de conclure qu'il est improbable qu'il avait l'intention de faire traverser une quantité importante de stupéfiants à la frontière.

116 De l'avis de l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé, il y a trois témoignages importants dans la présente affaire, celui des deux agents de la GRC, le caporal Turcotte et l'agent d'infiltration AI, et celui du fonctionnaire s'estimant lésé. Au sujet du témoignage du caporal Turcotte, il note que plusieurs choses importantes sont ressorties lors du contre-interrogatoire.

117 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé souligne que l'on sait qu'il s'agissait d'une vaste opération policière impliquant une vingtaine d'agents de la GRC et une demi-douzaine d'agents de la DEA. Une quantité importante de cocaïne était en jeu. Quatre des personnes impliquées sont en prison (les frères Roy, ainsi que les deux chauffeurs qui devaient transporter les stupéfiants).

118 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé note que la preuve a révélé que la deuxième tentative d'importation devait d'abord avoir lieu durant la période du 4 au 10 juin 2004. Il note que selon la transcription de la conversation téléphonique avec l'agent source américain qui a eu lieu le lundi 7 juin 2004 (pièce E-1, Vol III), Tony Roy indique à l'agent source que son gars à la frontière est en congé à partir de minuit le vendredi et n'est de retour à son poste que le lundi soir qui suit. En vérifiant l'horaire de travail du fonctionnaire s'estimant lésé, on s'aperçoit qu'en fait ce dernier travaillait de nuit le samedi 12 juin 2004 et le dimanche 13 juin 2004. Il y a donc une différence significative entre l'horaire du fonctionnaire s'estimant lésé et l'information obtenue lors de l'écoute électronique. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé est d'avis qu'il ne peut y avoir que deux explications plausibles à cette différence : soit que quelqu'un d'autre que le fonctionnaire s'estimant lésé était impliqué ou qu'il n'y avait personne à la frontière qui était impliqué. Le caporal Turcotte n'avait pas d'explication pour cette différence.

119  L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé note que la troisième tentative devait avoir lieu entre le 17 et le 20 juin 2004. Il souligne que la transcription de la conversation téléphonique du 17 juin 2004, entre M. Charron et Serge Laplante indique clairement que le passage ne pouvait se faire avant le 20 juin 2004, à minuit. Pourtant, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé note que son client travaillait du 18 au 20 juin 2004. Cela ne concorde pas avec la thèse de l'employeur.

120 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé souligne que le caporal Turcotte reconnaît que ce dernier n'a pas été soupçonné avant le 10 juin 2004, et ne l'a été qu'à cause du lien de parenté. Il reconnaît que jamais, dans les conversations téléphoniques sous écoute, il a eu des conversations entre le fonctionnaire s'estimant lésé et les frères Roy ou M. Charron. Il reconnaît que les perquisitions bancaires dans les comptes du fonctionnaire s'estimant lésé et de son épouse n'ont rien révélé. Il reconnaît que lors de l'interrogatoire de ce dernier, malgré les instructions de son avocat de ne pas répondre aux questions, il a répondu aux questions de l'enquêteur. Il reconnaît aussi que les notes (pièce E-1) indiquent qu'il n'y a pas assez de preuve pour inculper le fonctionnaire s'estimant lésé parce qu'il n'est pas possible de prouver qu'il savait qu'il y avait 150 kg de cocaïne dans le véhicule qui a franchi la frontière.

121 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé estime qu'il n'y a pas de preuve concrète de l'implication de son client. La preuve est uniquement circonstancielle et si l'on analyse les faits à partir de l'horaire de travail, l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé soutient qu'ils mènent à la conclusion que soit la « porte » était quelqu'un d'autre, soit qu'il n'y en avait tout simplement pas. Chose certaine, de son avis, ce n'était pas le fonctionnaire s'estimant lésé. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé ajoute que M. Duteau a admis qu'il n'avait pas de raison de douter du fonctionnaire s'estimant lésé avant le 16 juin 2004.

122 Au sujet du témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé, son avocat note qu'il a donné des explications sur sa relation avec son frère Serge Laplante. De toute évidence, il ne s'agit pas d'une famille très proche. Le fonctionnaire s'estimant lésé nous a aussi donné une explication de ce qui s'est passé la nuit du 20 au 21 juin 2004. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé souligne que j'aurai a jugé de la crédibilité de son témoignage. Il note que ce dernier a donné une explication claire des raisons des appels téléphoniques échangés avec son frère Serge, explication qu'il juge tout à fait légitime. Il note aussi que fonctionnaire confirme que c'est bien lui qui a donné son horaire de travail à Serge Laplante.

123 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé souligne qu'il y a deux versions des évènements de la nuit du 20 au 21 juin 2004; celle de l'agent d'infiltration AI et celle du fonctionnaire s'estimant lésé. Bien qu'il y a beaucoup de points communs entre les deux versions, il y a aussi des distinctions importantes. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé émet l'hypothèse qu'il est possible que chacun de ces témoins donne leur version honnête des évènements. Il indique que l'horaire de travail de juin 2004 (pièce E-1) confirme que le fonctionnaire s'estimant lésé a travaillé en temps supplémentaire le 19 juin de 18 h à 24 h à East Pinnacle et qu'il a travaillé de 00 h à 7 h 45 le 20 juin au matin à Frelighsburg. Le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé nous indique qu'il s'est rendu par la suite à Longueuil pour une fête de famille à l'occasion de la fête des pères pour ensuite revenir travailler la nuit du 20 juin à partir de 23 h 30 à Frelighsburg. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé mentionne qu'il est fort possible que le fonctionnaire s'estimant lésé était fatigué, comme il l'a affirmé dans son témoignage. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé affirme qu'il est alors possible que ce dernier ait manqué certains commentaires faits par l'agent d'infiltration. Selon lui, il n'y a pas de preuve qu'il a compris qu'il y avait une substance illégale et qu'en connaissance de cause il a permis à cette substance de franchir la frontière. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé ajoute que c'est aussi à cause de cette fatigue qu'il a fourni à l'agent d'infiltration une carte parce qu'il souhaitait qu'il quitte le périmètre du porte frontalier.

124 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé note qu'il y a deux versions de la présentation de l'agent d'infiltration au poste frontalier. L'un prétend n'avoir dit que le prénom Alain alors que l'autre prétend qu'il a utilisé le nom complet Alain Charron. Ceci dit, les deux s'entendent que la question suivante : « Combien de temps avez-vous passé aux États-Unis? » L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé argue que si, comme le prétend l'employeur, le code pour se reconnaître était l'identification par le seul prénom, une fois l'identification faite, pourquoi demander la deuxième question?

125 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé note que l'agent d'infiltration a insisté dans son témoignage sur le fait qu'il a dit au fonctionnaire s'estimant lésé qu'il avait trop de trafic et qu'il voulait quitté le poste au plus vite, ce à quoi ce dernier a répliqué que c'était des « réguliers ». Le fonctionnaire s'estimant lésé, de son côté, maintient avoir simplement dit : « C'est régulier. » L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé note que les deux voitures qui sont effectivement passées au poste frontalier ne comportaient pas des voyageurs réguliers puisque, dans un cas, il s'agissait de l'agent couvreur.

126 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé argue que l'agent d'infiltration AI a pu se tromper dans la séquence des évènements. Ce qui le frappe, c'est le fait que la GRC avait pris le temps de poster des agents dans le bois pour filmer la scène alors qu'elle n'a pas été assez prévoyante pour prévoir l'installation d'une écoute électronique dans le bureau et dans le camion conduit par l'agent d'infiltration. À son avis, l'explication relative à la difficulté d'obtenir un mandat est plus ou moins plausible.

127 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé soutient que la décision de congédiement repose essentiellement sur le témoignage d'un seul témoin qui implique son client. Il souligne que c'est la GRC qui avait la responsabilité, dans le cadre de son enquête, d'établir une preuve convaincante de l'implication du fonctionnaire s'estimant lésé, un inspecteur des douanes avec plus de 22 ans de service. C'est la GRC qui a choisi de ne pas prévoir d'écoute électronique efficace, ce qui aurait permis de l'impliquer ou de le disculper.

128 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé m'invite à examiner les réponses du fonctionnaire s'estimant lésé aux questions posées par le représentant de l'employeur qui ont été franches et convaincantes. Il fait référence à la réponse suivante : « Je n'aurais pas cru que mon frère m'aurait impliqué, j'étais surpris et enragé […] Je ne lui ai jamais parlé depuis […] ». L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé souligne aussi que les sours du fonctionnaire s'estimant lésé n'ont pas parlé à Serge Laplante depuis ces mêmes incidents.

129 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé termine en indiquant que le fardeau de la preuve incombe à l'employeur et que ce dernier se devait de convaincre le tribunal que le fonctionnaire s'estimant lésé avait été impliqué en toute connaissance de cause dans une transaction de drogue ou qu'il s'était fermé les yeux sur une telle transaction. L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé maintient que la preuve à cet égard n'a pas été faite.

C. Réplique de l'employeur

130 En réplique, le représentant de l'employeur soutient qu'à son avis l'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé tente d'introduire un concept de droit criminel dans un arbitrage de grief. Il n'est pas nécessaire de faire la preuve hors de tout doute raisonnable, mais bien d'établir, selon la prépondérance de la preuve, l'implication du fonctionnaire s'estimant lésé. Le degré d'implication n'est pas significatif.

131 Quant à la date du passage des stupéfiants à la frontière, les instructions données par Serge Laplante au chauffeur M. Charron (pièce E-1, Vol III) concordait avec la période pendant laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé devait travailler selon l'horaire. De cette façon, Serge Laplante s'assurait de minimiser les risques de l'opération. Le représentant ajoute que le fait qu'il n'y ait pas eu de contacts entre le fonctionnaire s'estimant lésé et M. Charron ou les frères Roy est typique du stratagème utilisé par les trafiquants de s'assurer que les personnes ne se connaissent pas.

132 Le représentant de l'employeur note que le fonctionnaire s'estimant lésé accuse la GRC d'avoir monté un complot contre lui alors que son avocat parle de deux versions possibles d'un même évènement.

133 L'avocat du fonctionnaire s'estimant lésé mentionne que dans Rose, le dossier vierge de l'employée n'a pas réduit la sanction.

134 Quant au fait qu'il n'y a pas eu de dépôt d'accusation au criminel à l'endroit du fonctionnaire s'estimant lésé, l'avocat de ce dernier mentionne qu'à l'époque on attendait l'information de la DEA et que de toute façon, le fardeau de la preuve est différent à l'arbitrage de grief. Il termine en indiquant qu'il ne faut pas confondre les deux processus.

IV. Motifs

135 Le fonctionnaire s'estimant lésé, inspecteur des douanes, a été congédié en avril 2005, sur la base d'un rapport qui de l'avis du directeur régional de l'ASFC de démontrait clairement sa participation à un complot afin d'aider son frère ainsi que son associé au trafic de cocaïne au Canada.

136 Il incombait à l'employeur de démontrer cette participation selon la prépondérance des probabilités. Il ne s'agit donc pas ici de déterminer hors de tout doute raisonnable l'implication criminelle du fonctionnaire s'estimant lésé.

137 Je crois aussi important de réitérer la déclaration de la Cour d'appel fédérale dans la cause Flewwelling c. Canada, [1985] R.C.F. no 1129 (QL), citée par l'arbitre de grief Léo-Paul Guindon dans Dionne et a également été citée dans Faryna :

[…]

Il me semble qu'il existe des formes d'inconduite qui, peu importe qu'elles soient prohibées par règlement, par le Code criminel ou par toute autre loi, sont de nature telle que toute personne raisonnable peut facilement se rendre compte qu'elles sont incompatibles et en contradiction avec l'exercice par leur auteur d'une charge publique, surtout si les fonctions de cette charge consistent à appliquer la Loi.

[…]

138 Par conséquent, si je concluais qu'effectivement, le fonctionnaire s'estimant lésé avait participé de plein gré à ce complot, le congédiement serait la seule conclusion logique.

139 Malheureusement, après un examen attentif de la preuve qui m'a été présentée, c'est la conclusion à laquelle j'arrive.

140 La preuve a démontré qu'après avoir vu un premier complot d'importation de stupéfiants échouer, des trafiquants, les frères Roy, ont établi un contact avec le frère du fonctionnaire s'estimant lésé, Serge Laplante, en vue de faire passer un deuxième chargement d'importance de cocaïne à la frontière.

141 Les conversations téléphoniques enregistrées entre un des frères Roy et un agent source de la DEA américaine font état de la préparation pour assurer la prise de possession de la cocaïne à Miami et son acheminement au Canada. Au cours de ces conversations, à plusieurs reprises, il est question d'une « porte » à la frontière qui doit être payée.

142 Lors de la conversation enregistrée le 4 juin 2004 (pièce E-1, Vol III), Tony Roy indique à l'agent source qu'il doit vérifier si son gars travaille le jeudi 10 juin ou le vendredi 11 juin, ou même le samedi 12 juin, et convient de rappeler l'agent source le lundi suivant. Le lundi suivant, Tony Roy informe l'agent source que la transaction doit être complétée d'ici le jeudi après-midi pour que le chauffeur, M. Charron, puisse passer la frontière avant minuit le vendredi 11 juin, sinon il devra attendre au lundi suivant (pièce E-1, Vol III). Cette planification ne coïncide nullement avec l'horaire de travail du fonctionnaire s'estimant lésé déposé en preuve (pièce E-1). Bien que cette preuve pourrait nous incite à conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas impliqué dans le complot, le poids du restant de la preuve soumise reste prépondérant quant à son implication.

143 La preuve a révélé que M. Charron a rencontré l'agent source pour lui remettre la somme d'argent convenue pour se procurer la cocaïne. Toutefois, la DEA retardera la prise de possession d'une semaine, le temps nécessaire de mettre en place l'opération policière. Le 17 juin 2004, M. Charron a été arrêté par la DEA au moment où il prend possession de la drogue. Il accepte de collaborer avec la DEA et confirme l'implication de Serge Laplante dans le complot pour importer cette cocaïne au Canada. Il accepte de communiquer avec Serge Laplante pour lui faire croire qu'il a la drogue et pour connaître la marche à suivre. Cette conversation est enregistrée et révèle que Serge Laplante avise M. Charron de venir tranquillement car la « porte » est ouverte la nuit du 20 au 21 juin après minuit (pièce E-1, Vol III). Cette planification coïncide avec l'horaire de travail du fonctionnaire s'estimant lésé (pièce E-1) et tend à l'incriminer.

144 Il faut dire que Serge Laplante, lors de son arrestation, était en possession d'un document qui comportait des renseignements relatifs à l'horaire de travail du fonctionnaire s'estimant lésé (pièce E-1). Celui-ci a admis avoir donné des renseignements relatif à son horaire de travail à Serge Laplante. Il explique l'avoir fait le 22 mai 2004, lors des funérailles de son oncle, dans le but de faciliter la livraison d'un conteneur que son frère Serge lui avait promis. Il a indiqué à son frère les dates où il travaillait de nuit. Cette explication ne me convainc pas. L'horaire fourni n'indique que les postes de nuit alors qu'il est aussi à la maison et en mesure de recevoir le conteneur les jours de repos et lorsqu'il travaille en soirée. De plus, les renseignements contenus dans le document incluent des dates qui précèdent le 22 mai 2004. Je ne vois pas de raisons logiques pour lesquelles Serge Laplante, le 22 mai 2004, aurait pris en note les quarts de nuit du 17 au 21 mai 2004. L'admission par le fonctionnaire s'estimant lésé qu'il a donné ces renseignements à Serge Laplante, le fait que seuls les quarts de nuit sont notés sur le document trouvé en possession de Serge Laplante et le fait que vraisemblablement ce n'est pas lors de la journée des funérailles, le 22 mai 2004, que ces renseignements ont été transmis me portent à croire à l'implication du fonctionnaire s'estimant lésé dans le complot.

145 M. Charron a été remplacé par l'agent d'infiltration AI. Il n'y a malheureusement pas eu d'enregistrement audio de la conversation entre l'agent d'infiltration AI et le fonctionnaire s'estimant lésé au moment où l'agent d'infiltration passe la frontière. Bien que les versions divergent sur certains points, elles sont néanmoins similaires sur certains points essentiels. Les témoignages concordent quant au fait que l'agent d'infiltration indique qu'il cherche un certain Steve et que c'est le fonctionnaire s'estimant lésé qui mentionne qu'il cherche plutôt Serge. Pour expliquer le fait qu'il ne pose aucune question à l'agent d'infiltration AI pour vérifier son hypothèse autre que « Tu veux dire Serge? », le fonctionnaire s'estimant lésé déclare que le chauffeur du camion, l'agent d'infiltration AI, a d'abord demandé s'il avait vu un véhicule rouge avant de demander pour Serge. Il s'est alors rappelé soudainement que son frère Serge, qui conduit un véhicule rouge, lui avait parlé d'un ami qui devait l'aider à ramener un bateau des États-Unis. Cette explication ne me convainc pas. La version de l'agent d'infiltration ne fait pas mention qu'il a avisé le fonctionnaire s'estimant lésé qu'il cherchait une voiture rouge (pièce E-1, Vol I). De plus, lors de l'interrogatoire du 21 juin 2004, à la suite de son arrestation qui a été enregistré sur vidéo (pièce E-10), le fonctionnaire s'estimant lésé nie avoir suggéré le nom de Serge à l'agent d'infiltration AI qui demandait pour Steve. Il va jusqu'à poser la question à l'enquêteur « C'est qui ce gars là? » Pourtant, en témoignage à l'arbitrage de grief et dans le résumé d'entrevue du 1er décembre 2004 (pièce E-9), il confirme avoir suggéré le nom de Serge en se remémorant que Serge, qui conduisait une voiture rouge, attendait un ami pour l'aider à aller chercher un bateau. Les témoignages concordent aussi sur le fait qu'à la demande de l'agent d'infiltration, le fonctionnaire s'estimant lésé n'hésite pas à tenter de communiquer avec son frère Serge au milieu de la nuit pour l'aviser de l'arrivée de l'ami. Toutefois, la communication n'a pas lieu puisqu'il ne réussit qu'à joindre la boîte vocale. Difficile d'attribuer à la fatigue l'oubli du fonctionnaire s'estimant lésé de dire à l'enquêteur qu'il a identifié l'agent d'infiltration AI comme étant l'ami de Serge Laplante qui devait l'aider à remorquer un bateau. Cette omission tend à l'incriminer et rend à tout le moins sa version peu crédible. Cette version n'est pas non plus corroborée par quelconque preuve.

146 La preuve indique que le véhicule contenant la drogue a franchi la frontière sans être fouillé et a poursuivi son chemin jusqu'au moment où Serge Laplante lui signale sa présence. À ce moment-là, la GRC procède à l'arrestation de Serge Laplante. Le fonctionnaire s'estimant lésé est arrêté à son travail dans les moments qui ont suivi.

147 En révisant l'enregistrement de l'interrogatoire du fonctionnaire s'estimant lésé fait par la GRC le matin suivant son arrestation, j'ai noté que ce dernier nie à plusieurs reprises avoir parlé à son frère durant la journée précédente et nie à deux reprises avoir tenté de le joindre par téléphone. Pourtant, le registre des appels téléphoniques (pièce E-1, Vol III) confirme qu'il y a eu deux appels entre le téléphone de Serge Laplante et le domicile du fonctionnaire s'estimant lésé le 20 juin 2004, et confirme qu'à 1 h 15 le 21 juin, un appel à frais virés a été fait du poste frontalier au téléphone cellulaire de Serge Laplante. D'ailleurs, dans son témoignage, le fonctionnaire s'estimant lésé reconnaît avoir faits ces appels et attribue à la fatigue, ainsi qu'à la consigne de son avocat les réponses qu'il a données à l'enquêteur.

148 Le résumé de l'entrevue conduite le 1er décembre 2004, dans le cadre de l'enquête des affaires internes de l'ASFC a aussi été produit en preuve (pièce E-19). Chaque page de ce résumé est contresignée par le fonctionnaire s'estimant lésé. Dans ce résumé, il déclare : « Je n'ai aucun contact tél., poste, etc [sic] avec mon frère Serge Laplante […] » Pourtant, la preuve démontre par le registre des appels téléphoniques (pièce E-1, Vol III) qu'il a des contacts téléphoniques assez fréquents avec son frère Serge. Lors de son témoignage, le fonctionnaire s'estimant lésé explique que son frère lui avait promis un conteneur qui devait servir de remise et que cette promesse avait donné lieu à ces échanges téléphoniques. C'est d'ailleurs la livraison de ce même conteneur qui est le motif invoqué pour avoir transmis à son frère Serge des renseignements relatifs à son horaire de travail. Lors de son témoignage, le fonctionnaire s'estimant lésé nous a aussi fait part de diverses raisons pour les communications avec son frère Serge, dont entre autres la recherche d'un collègue de travail et l'obtention d'information sur l'exportation de voitures des États-Unis. Tout cela tend à confirmer l'existence d'un lien plus étroit entre les deux frères, lien que de toute évidence, le fonctionnaire s'estimant lésé a pris du temps à reconnaître.

149 Bien que les premières dates retenues pour le passage de la frontière ne coïncident pas avec l'horaire de travail du fonctionnaire s'estimant lésé, l'ensemble de la preuve présentée me pousse à conclure qu'il y a prépondérance de preuve voulant que ce dernier était impliqué dans le complot. La conséquence de cette implication ne peut être que le rejet du grief.

150 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

151 Les griefs sont rejetés.

Le 4 octobre 2007

Georges Nadeau,
arbitre de grief

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