Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a photographié son superviseur alors qu’il dormait à son bureau et, par courriel, a fait parvenir à certains collègues la photographie en question accompagnée d’un commentaire désobligeant - le supérieur hiérarchique du superviseur a imposé une suspension de trois jours - celle-ci a été réduite ultérieurement à une journée - la fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que son comportement constituait une dénonciation - l’arbitre de grief a conclu qu’en envoyant la photographie à ses collègues, la fonctionnaire s’estimant lésée cherchait à gêner et à humilier son superviseur - l’arbitre de grief a conclu que la suspension de trois jours, réduite ultérieurement à une journée, était appropriée dans les circonstances. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-12-19
  • Dossier:  566-02-272
  • Référence:  2007 CRTFP 121

Devant un arbitre de grief


ENTRE

LYNN NESSRALLAH

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATRICE GÉNÉRALE
(Commission de la fonction publique)

défenderesse

Répertorié
Nessrallah c. Administratrice générale (Commission de la fonction publique)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
D.R. Quigley, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Sean McGee, avocat

Pour la défenderesse:
Jennifer Lewis, avocate

Affaire entendue à Ottawa, Ontario,
les 4, 6 et 7 septembre 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 La présente décision a trait à un grief déposé par Lynn Nessrallah (la « fonctionnaire s’estimant lésée ») le 2 août 2005 concernant une suspension sans solde de trois jours. La fonctionnaire s'estimant lésée est conseillère en matière d’activités politiques (PE-05) au sein de la Direction générale des politiques à la Commission de la fonction publique (CFP). La suspension a été imposée parce que la fonctionnaire s'estimant lésée a pris une photographie du gestionnaire dont elle relevait pendant qu’il dormait à son bureau et a joint cette photographie à un courriel, qu’elle a ensuite envoyé à quatre collègues. La défenderesse allègue que la fonctionnaire s'estimant lésée avait l’intention de jeter le discrédit sur le gestionnaire auprès des employés.

2 La lettre de suspension datée du 7 juillet 2005 et signée par Dal Hines, directeur général, Délégation, Direction générale des politiques, CFP, (pièce E-6) se lit en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

La présente lettre concerne notre réunion du 28 juin 2005 durant laquelle vous avez été priée d’expliquer vos gestes lorsque vous avez distribué un courriel et une photographie à des collègues.

Lors de notre réunion, vous avez confirmé que vous aviez pris la photographie en question et l’aviez envoyée avec un courriel à quatre collègues. Vous avez également confirmé que vous aviez montré cette photographie à d’autres employés dans votre unité de travail et que vous aviez en fait pris une deuxième photographie de votre gestionnaire sans son consentement et que vous n’avez montré cette photographie à personne, mais qu'elle se trouve sur votre ordinateur personnel avec la photographie originale. Vous avez également expliqué le contexte dans lequel vous avez agi ainsi, et subséquemment vous m’avez fourni une réponse écrite détaillée à mes questions.

J’estime que la distribution de ces documents était un geste délibéré que vous avez posé pour jeter le discrédit sur votre gestionnaire auprès de ses employés. Ce genre de comportement est tout à fait inacceptable, particulièrement parce qu’il mine la relation employeur-employé qui doit exister et ainsi ne peut être toléré.

Par conséquent, conformément au pouvoir qui m’a été délégué, je vous suspens sans solde pendant une période de trois (3) jours ouvrables, soit du 11 juillet 2005 au 13 juillet 2005, inclusivement. Cette mesure disciplinaire a été atténuée en raison de vos années de service et du fait qu’il n’y a eu aucun incident de ce genre par le passé. De plus, je vous demande de détruire les images en cause, afin de ne plus vous en servir. Veuillez m’informer de leur destruction quand vous les aurez détruites. Si vous refusez d’obtempérer, vous vous exposez à d’autres mesures disciplinaires.

[…]

3 Comme mesure correctrice, la fonctionnaire s'estimant lésée demande ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Un redressement intégral, y compris l’élimination de toute mesure disciplinaire de mon dossier, une indemnisation pour toute perte de revenu avec intérêts, et une assurance qu’il n’y aura pas d’autres représailles pour ma dénonciation. Je demande également que l’on me réattribue tous les congés de maladie que j’ai dû prendre à cause de l’effet qu’ont eu l’enquête et la mesure disciplinaire sur ma santé et ma capacité de travailler.

[…]

4 Au dernier palier de la procédure de règlement des griefs en mars 2006, Anne-Marie Robinson, vice-présidente, Direction générale de la gestion ministérielle, CFP, a réduit la suspension à une journée.

5 Les deux avocats ont donné un exposé introductif. L’avocate de la défenderesse a appelé deux témoins et a déposé 12 pièces. La fonctionnaire s'estimant lésée a témoigné, et son avocat a déposé quatre pièces. Même si j’ai admis les pièces, certaines ne sont pas pertinentes, et par conséquent, j’examinerai uniquement celles qui ont trait à la suspension.

6 Au début de l’audience, l’avocate de la défenderesse a demandé que le nom du gestionnaire dont relève la fonctionnaire s'estimant lésée ne soit pas indiqué dans ma décision. Je lui ai demandé de me présenter les éléments de preuve et le 21 septembre 2007, j’ai tenu une conférence téléphonique avec les deux parties pour entendre leurs observations sur le sujet.

7 L’avocate de la défenderesse a fait valoir que le nom du gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée ne devrait pas être identifié, puisqu’il ne constituait pas l’une des parties à la procédure et que si la fonctionnaire s'estimant lésée demandait à ce qu’il soit identifié, il s’agirait d’un geste malveillant de sa part.

8 L’avocat de la fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré que si le gestionnaire de celle-ci n’était pas identifié, les collègues de la fonctionnaire s'estimant lésée, qui se considéraient comme ayant dénoncé un acte fautif, ne devraient pas l’être non plus. De plus, l’avocat a précisé que le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée avait menacé d’intenter des poursuites contre elle pour diffamation si sa suspension était réduite.

9      J’ai conclu la conférence téléphonique en informant les avocats que j’examinerais soigneusement leurs observations. Après les avoir examinés, j’ai décidé qu’il ne serait pas approprié d’identifier le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée et j’expliquerai les motifs qui m’ont amené à en décider ainsi plus tard dans la présente décision. Par conséquent, cette personne sera désignée comme « le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée » ou « son gestionnaire » partout dans la décision.

10 J’ai également décidé de ne pas nommer les collègues de la fonctionnaire s'estimant lésée et là aussi, j’expliquerai mes motifs plus tard dans la présente décision.

II. Résumé de la preuve

11 En avril 2003, le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée, un avocat au ministère de la Justice, classifié dans le groupe et au niveau LA-2A, a accepté un échange avec la CFP, dans le groupe et au niveau EX-01.

12 Le premier témoin appelé par la défenderesse était Dal Hines. M. Hines a été employé de la fonction publique pendant 34 ans avant de prendre sa retraite le 22 août 2007. D’avril 2003 à avril 2006, il était directeur général de la Direction de la délégation à la Direction générale des politiques à la FPC et il supervisait le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée.

13 Lors de son témoignage, M. Hines a expliqué que la fonctionnaire s’estimant lésée était venue le voir le 26 janvier 2005 pour lui faire part de ses préoccupations au sujet du comportement de son gestionnaire au travail. Son gestionnaire était responsable de trois secteurs d’activité qui incluaient les activités politiques, les langues officielles (exemptions) et le système d’administration des priorités. Initialement, cinq employés relevaient directement du gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée; cependant, en 2005, ce nombre avait monté à 10. M. Hines a expliqué que la fonctionnaire s'estimant lésée lui avait dit qu’elle était la porte-parole d'un certain nombre de ses collègues au niveau PE-05. Elle se préoccupait des habitudes de travail de son gestionnaire, puisqu’à plusieurs occasions on avait constaté qu’il dormait durant les réunions, qu’il jouait au jeu de cartes solitaire à son ordinateur et qu’il arrivait au travail tard et quittait tôt. La fonctionnaire s'estimant lésée a remis en question ses capacités de leadership, son manque de vision et de planification stratégique et les retards qu’il accusait dans l’exécution des tâches qui lui était confiées.

14 M. Hines a témoigné qu’il avait pris au sérieux les allégations faites par la fonctionnaire s’estimant lésée. Il lui a dit qu’il prendrait des mesures, car selon lui il s’agissait d’un problème de gestion du rendement. M. Hines a ensuite rencontré cinq des personnes qui relevaient directement du gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée et des représentants des Ressources humaines (RH) pour explorer des options de perfectionnement organisationnelles pour le gestionnaire et les employés rendant compte directement à lui.

15 M. Hines s’est rappelé qu’il avait vu le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée en train de dormir durant les heures de travail. Même s’il ne pouvait se souvenir du moment exact, c’était avant 2003 lorsqu’ils avaient travaillé ensemble à différents projets; à l’époque, le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée ne relevait pas de lui. M. Hines se souvient aussi être entré dans le bureau du gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée en automne 2004 et même s’il lui semblait que ce dernier était assoupi à son bureau, M. Hines ne pouvait être certain puisqu’il avait le dos tourné.

16 M. Hines a été prié de parler du souvenir qu’il avait de la réunion qu’il avait eue à la mi-mars 2005 avec le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée pour discuter des allégations de cette dernière. Il a déclaré qu’à cette occasion, il n’y est pas allé de main morte. Le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée était décontenancé et a nié les allégations. M. Hines lui a répondu qu’il avait de la difficulté à croire que cinq employés auraient inventé la même histoire et qu’il fallait faire quelque chose. M. Hines lui a également annoncé qu’il recrutait une consultante, par la conclusion d’un contrat à fournisseur unique, pour accélérer le processus et que la consultante le rencontrerait lui (c'est-à-dire le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée), la fonctionnaire s'estimant lésée et ses collègues pour procéder à un « examen d’efficacité du groupe et de sa direction ».

17 M. Hines a indiqué que la pièce E-2 était le contrat conclu en vue de l’« examen d’efficacité du groupe et de sa direction » signé le 17 mars 2005.

18 Le 18 mars 2005, la consultante a rencontré le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée et, le 30 mars 2005, elle a rencontré individuellement la fonctionnaire s'estimant lésée et cinq de ses collègues. Le 1er avril 2005, la consultante a de nouveau rencontré le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée pour l'informer de ce qu'elle avait appris durant ses rencontres avec la fonctionnaire s'estimant lésée et ses collègues.

19 La prochaine étape du processus était pour la consultante de personnaliser 10 des 12 séances d’encadrement et d’initiative d’une durée de 1,5 à 2 heures chacune. Cependant, avant que la consultante eût pu le faire, son contrat a été suspendu, parce que le 6 juin 2005, le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée a porté à l’attention de M. Hines un courriel (pièce E-1) que la fonctionnaire s'estimant lésée avait envoyé le 4 janvier 2005 à l’adjoint de M. Hines et à trois de ses collègues. Dans l’objet du courriel, on pouvait lire : [traduction] « Avertissement : Voici ce qui se produit lorsqu’on travaille trop fort! » Dans le texte du courriel, la fonctionnaire s'estimant lésée avait écrit : [traduction] « Eh bien, au moins il a compensé pour sa sieste en jouant aux cartes à 16 h 30! Pas de farce! »

20 M. Hines a témoigné qu’après avoir examiné le courriel, il estimait que les circonstances avaient changé et qu’une enquête était peut-être nécessaire. Il a communiqué avec les représentants des RH pour les consulter à ce sujet.

21 M. Hines a déclaré que lorsque la fonctionnaire s'estimant lésée était venue le voir le 26 janvier 2005, il était d’avis qu’elle avait suivi l’approche qui convenait. Cependant, après avoir pris connaissance de la pièce E-1, il avait le sentiment que la fonctionnaire s'estimant lésée n’avait pas été complètement honnête avec lui et qu’elle n’avait pas agi de bonne foi. Puis, il a remis en question le résultat qu’il pensait initialement pouvoir obtenir en faisant appel à la consultante, parce que maintenant, il semblait que le problème était plus compliqué qu'il n’avait été amené à le croire au départ.

22 M. Hines a déclaré que c’était l’un des collègues de la fonctionnaire s'estimant lésée qui avait transmis la pièce E-1 au gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée.

23 Le 13 juin 2005, M. Hines a communiqué avec le directeur de la Technologie de l’information (TI) de la CFP pour lui demander de faire une recherche dans le compte de courrier électronique de la fonctionnaire s'estimant lésée pour y extraire tout courriel qu’elle aurait pu envoyer avec une pièce jointe.

24 Le 21 juin 2005, M. Hines a envoyé à la fonctionnaire s'estimant lésée une lettre (pièce E-3), qui était accompagnée de copies des courriels et des pièces jointes (incluant la pièce E-1) qu’elle avait envoyés à certains de ses collègues. Dans la lettre, il déclarait qu’il enquêtait sur la question et convoquait la fonctionnaire s'estimant lésée à une réunion dans son bureau le 22 juin 2005. À la demande de la fonctionnaire s'estimant lésée, la réunion a été reportée au 28 juin 2005.

25 À ce stade-ci de la procédure, l’avocat de la fonctionnaire s'estimant lésée a soulevé une objection quant à la pertinence des courriels accompagnés d’une pièce jointe mentionnés dans la lettre du 21 janvier 2005 de M. Hines, étant donné que dans la lettre de discipline (pièce E-6), il était question uniquement de la diffusion d'un courriel et d’une photographie.

26 L’avocate de la défenderesse a convenu que la lettre de discipline mentionnait uniquement un courriel et une photographie, mais a précisé que les autres courriels devaient être pris en considération pour montrer l’intention de la fonctionnaire s'estimant lésée d’embarrasser et d’humilier son gestionnaire.

27 J’ai décidé de ne pas examiner les autres courriels puisque la lettre de discipline mentionnait uniquement un courriel et une photographie qui, comme les deux parties en ont convenu, forment la pièce E-1. De plus, et comme cela sera noté plus tard, M. Hines a déclaré durant son témoignage que les représentants des RH lui ont dit de se concentrer uniquement sur la pièce E-1.

28 M. Hines a identifié la pièce E-5 comme le rapport disciplinaire qu’il avait dressé après sa réunion du 28 juin 2005 avec la fonctionnaire s'estimant lésée.

29 D’après M. Hines, lorsqu’il lui a demandé pourquoi elle avait envoyé la pièce E-1 à quatre collègues, la fonctionnaire s'estimant lésée a répondu que quelqu’un (elle ne se rappelait pas exactement qui) avait suggéré qu’elle prenne une photographie de son gestionnaire endormi à son bureau, de sorte que si la question était portée à l’attention de la direction, la fonctionnaire s'estimant lésée et ses collègues disposeraient d'une preuve. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait envoyé la pièce E-1 à quelqu’un d’autre, elle a répondu par la négative, mais a admis qu’elle avait montré la photographie à certains autres collègues. Elle a également admis qu’elle avait mentionné la photographie à un employé qui travaillait en dehors de son unité.

30 M. Hines a identifié la pièce E-4 comme la réponse écrite qu'il a reçue de la fonctionnaire s'estimant lésée après leur réunion du 28 juin 2005. Il a déclaré qu’il ne pensait pas que la fonctionnaire s'estimant lésée avait assumé la responsabilité pour ses gestes ni que ses excuses étaient sincères. Il a noté que si la fonctionnaire s'estimant lésée avait pris la photographie et l’avait gardée pour soi, [traduction] « on ne serait pas ici à une audience d’arbitrage ». Toutefois, la fonctionnaire s'estimant lésée s’en est servi pour une autre raison – pour ridiculiser son gestionnaire – et selon M. Hines, il s’agissait là d’un comportement tout à fait inapproprié. Il a déclaré qu’il avait pris au sérieux les allégations de la fonctionnaire s’estimant lésé et qu’il était en train de donner suite à ses affirmations.

31 M. Hines a témoigné qu’il a décidé qu’une mesure disciplinaire était justifiée, en dépit du fait que la fonctionnaire s'estimant lésée travaillait à la CFP depuis 27 ans et n’en avait jamais fait l’objet. Cependant, le manque de remords chez la fonctionnaire s'estimant lésée et le fait qu’elle n’assumait pas la responsabilité de ses actes l'ont incité à aller de l’avant.

32 On a référé M. Hines à la lettre de discipline qu’il avait signée le 7 juillet 2005 (pièce E-6). Il a déclaré que lorsqu’il a décidé d’imposer une mesure disciplinaire, il a tenu compte des autres courriels accompagnés d’une pièce jointe que lui avaient fournis les services de TI (pièce E-3), mais a mentionné uniquement la pièce E-1 dans sa lettre, se conformant ainsi aux conseils qu’il avait reçus des représentants des RH.

33 Durant le contre-interrogatoire, M. Hines a affirmé que même s’il connaissait le principe de discipline progressive, ce principe n’a pas été soulevé durant ses discussions avec les représentants des RH.

34 M. Hines a réitéré que le contrat avec la consultante a été suspendu, mais n’a pas été annulé, puisque ses services auraient toujours pu être requis. Le contrat a fini par être renouvelé jusqu’en 2006.

35 En réponse à une question de l’avocat de la fonctionnaire s'estimant lésée qui voulait savoir si la CFP a une politique sur la prise de photographies, M. Hines a répondu que la prise de photographies de personnes disposées à se laisser photographier à l’occasion d’anniversaires, de retraites ou d'autres événements était autorisée. Il a ajouté : [traduction] « Nous n’avons jamais eu besoin d’une politique par le passé, et c’est la raison pour laquelle une politique sur la prise de photographies n’existe pas. »

36 M. Hines a déclaré que si c’était vrai que quelqu’un avait suggéré à la fonctionnaire s'estimant lésée qu’elle prenne une photographie de son gestionnaire en train de dormir à son bureau afin de disposer d’une preuve, il ne comprenait pas pourquoi elle l’avait envoyée à quatre de ses collègues. Il a noté que ce n’était pas juste la photographie qui était en cause, mais également la remarque désobligeante que, selon lui, la fonctionnaire s'estimant lésée avait incluse délibérément dans son courriel pour mettre son gestionnaire dans l’embarras.

37 M. Hines a indiqué que la raison pour laquelle il n’a pas émis une lettre de réprimande ou a donné un sévère avertissement au lieu d’imposer une suspension sans solde de trois jours à la fonctionnaire s'estimant lésée était qu’il avait le sentiment que la fonctionnaire s'estimant lésée n’avait pas été franche durant leur réunion du 28 juin 2005. Il l’avait trouvée évasive ou vague lorsqu’il lui avait demandé à qui elle avait montré la photographie. En tant qu’autorité disposant d’un pouvoir délégué, il pensait qu’une suspension sans solde de trois jours constituait une sanction disciplinaire appropriée.

38 En ce qui concerne la réunion du 28 juin 2005, M. Hines a précisé qu'à cette occasion la fonctionnaire s'estimant lésée était émotive. Tantôt elle était en larmes, tantôt elle était en colère. Elle a catégoriquement nié l’allégation selon laquelle elle aurait cherché à se moquer de son gestionnaire. M. Hines s’est souvenu qu’à un certain moment, il a interrompu la fonctionnaire s'estimant lésée et qu’elle lui a demandé si elle pouvait poursuivre sa déclaration jusqu'au bout. M. Hines a indiqué qu'à cette rencontre Susan Patterson, directrice des Relations de travail, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, représentait la fonctionnaire s'estimant lésée et que Francine Chabot-Plante, vice-présidente par intérim, Direction générale des politiques, y était également présente. À aucun moment n’ont-elles soulevé des préoccupations quant au ton de la réunion.

39 M. Hines a noté que même si, dans la partie d’analyse du rapport disciplinaire (pièce E-5), il avait déclaré que les actes de la fonctionnaire s'estimant lésée pouvaient être considérés comme de la diffamation et comme une éventuelle infraction au Code criminel, il ne s’agissait pas d’un facteur dans sa décision d’imposer une mesure disciplinaire.

40 Lorsqu’on l'a référé au rapport disciplinaire (pièce E-5), M. Hines a noté que quand il lui a demandé à qui elle avait montré la photographie, la fonctionnaire s'estimant lésée a mentionné les noms de trois collègues, mais qu’elle ne pouvait se souvenir si elle l’avait montré à quiconque d’autre. Elle a également indiqué qu’elle avait mentionné la photographie à un collègue dans une autre direction. Toutefois, dans sa réponse écrite faisant suite à leur réunion du 28 juin 2005 (pièce E-4), la fonctionnaire s'estimant lésée écrivait ceci : [traduction] « Elle [la photographie] n’a pas été envoyée à des personnes autres que les quatre qui figurent dans le courriel; je me souviens de l’avoir montrée à quelques autres employés dans notre division (je ne peux me rappeler avec certitude qui l’a vue). » M. Hines a déclaré que c’était la raison pour laquelle il avait le sentiment que la fonctionnaire s'estimant lésée lui avait menti durant leur réunion.

41 M. Hines a  conclu en affirmant que la CFP est une organisation fondée sur des valeurs. De par ses gestes, la fonctionnaire s'estimant lésée a fait preuve d’un manque de respect et d’un manque d’honnêteté.

42 Le prochain témoin appelé par la défenderesse était Jacques Pelletier. M. Pelletier était vice-président à la CFP de mars 2003 à décembre 2005.

43 M. Pelletier a témoigné que le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée ne relevait pas de lui mais qu’il l’avait rencontré à plusieurs occasions. Il a déclaré que personne ne s’était jamais plaint à lui que le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée dormait durant les heures de travail. Il a précisé que si quelqu’un l’avait fait, il aurait conseillé à cette personne de parler au superviseur du gestionnaire (pour respecter la chaîne de commandement) ou à l’ombudsman de la CFP. Il a noté également qu’il aurait informé le superviseur du gestionnaire des allégations.

44 Lorsqu’on l’a interrogé à propos des observations que lui attribuait la fonctionnaire s'estimant lésée dans son exposé écrit à la suite de l’audience au dernier palier de la procédure de règlement des griefs (pièce E-11), selon lesquelles M. Pelletier marchait sur la pointe des pieds lorsqu’il passait devant le bureau de son gestionnaire pour éviter de le réveiller et qu’il avait suggéré qu’un panneau soit affiché pour demander aux gens de ne pas faire de bruit de sorte à ne pas troubler le sommeil de son gestionnaire, M. Pelletier a répondu que ces observations avaient été faites en plaisantant. Il a déclaré qu’il avait fait des observations similaires au sujet d’autres employés.

45 Durant le contre-interrogatoire, M. Pelletier a affirmé qu’il ne pouvait se rappeler que d’une seule occasion où il avait fait un commentaire au sujet du gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée.

46 La fonctionnaire s'estimant lésée était le dernier témoin. Elle a déclaré qu’en automne 2004, elle avait commencé à relever de son gestionnaire. Elle a expliqué qu’elle-même et ses collègues l’avaient vu en train de dormir durant des réunions, mais qu’elle n’en avait jamais parlé à M. Hines. Elle a reconnu que lorsqu’elle a rencontré celui-ci le 26 janvier 2005, elle ne lui a pas dit qu’elle avait pris une photographie de son gestionnaire endormi à son bureau et l’avait envoyée par courriel à quatre collègues.

47 La fonctionnaire s'estimant lésée a décrit les circonstances qui l’on amenée à prendre la photographie. Elle et son gestionnaire avaient été très occupés à réviser des lignes directrices concernant l’autorisation et l’octroi de congés sans solde à des employés souhaitant présenter des demandes de candidature dans le cadre d’élections fédérales, provinciales, territoriales ou municipales. Les lignes directrices devaient être incluses à un règlement demandé par la présidente de la CFP. Les délais étaient extrêmement serrés, et elle-même et son gestionnaire avaient travaillé tard le réveillon de Noël de 2004 pour finaliser les lignes directrices, parce que son gestionnaire prenait des vacances du 27 décembre 2004 au 3 janvier 2005.

48 La fonctionnaire s'estimant lésée a témoigné que vers 14 h 15 le 4 janvier 2005, quelqu’un est venu dans son bureau, lui a dit que son gestionnaire dormait à son bureau et a suggéré qu’une photographie soit prise. Étant donné que la fonctionnaire s'estimant lésée avait un CLIÉ de Sony, un organisateur personnel électronique(similaire à un Palm Pilot) muni d’un appareil photographique, elle a décidé de prendre une photographie de son gestionnaire.

49 La fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré que plus tard le même après-midi, à 16 h 29, elle a envoyé un courriel à son gestionnaire (pièce G-3) lui demandant de lui transmettre ses commentaires au plus tard le lendemain au sujet de modifications qu’elle avait apportées aux lignes directrices qu’ils avaient révisées. Le courriel a été marqué comme hautement prioritaire. Peu après qu’elle l’avait envoyé, la fonctionnaire s'estimant lésée est passée devant le bureau de son gestionnaire et a remarqué qu’il jouait un jeu de cartes à son ordinateur. Vers 17 h, elle est retournée à son bureau, mais il avait quitté pour la journée. Elle a déclaré que puisqu’il était arrivé à 9 h 30, elle s’attendait à ce qu’il quitte à 17 h 30.

50 Ce soir-là, la fonctionnaire s'estimant lésée a vérifié ses courriels de chez elle pour voir si son gestionnaire lui avait répondu. Il ne l’avait pas fait. À 22 h 33, elle a décidé d’envoyer la pièce E-1 à quatre collègues.

51 La fonctionnaire s'estimant lésée a expliqué que son gestionnaire a finalement lu son courriel à 13 h 56 le lendemain. Elle a indiqué qu’elle-même et ses collègues sont des [traduction] « spécialistes des RH et la règle est de tout documenter, absolument tout ».

52 La fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré, durant son témoignage, qu’avant de prendre la photographie, elle-même et ses collègues avaient rencontré à plusieurs occasions l’ombudsman de la CFP pour lui parler de leurs préoccupations. Ils avaient l’impression que s’ils en parlaient directement à la haute direction, son gestionnaire nierait les allégations et risquait d’exercer des représailles contre eux.

53 La fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré que le 30 mars 2005, elle avait rencontré la consultante et l’avait informée qu’en janvier elle avait pris une photographique de son gestionnaire pendant qu’il dormait à son bureau. La consultante lui a dit qu’elle garderait l’information confidentielle. La fonctionnaire s'estimant lésée a témoigné qu’elle n'aurait soulevé aucune objection si la consultante lui avait dit qu’elle (la consultante) devait porter le problème à l’attention de M. Hines.

54 La fonctionnaire s'estimant lésée a affirmé qu’elle pensait ne rien faire de mal en prenant la photographie de son gestionnaire endormi à son bureau. Elle voulait avoir une preuve et a déclaré : [traduction] « Il est absolument nécessaire d’avoir des éléments de preuve lorsqu’on fait des allégations. » Son seul regret est qu’elle l’a envoyée à ses collègues par courriel.

55 La fonctionnaire s'estimant lésée a précisé que son excuse fournie à M. Hines dans sa déclaration écrite faisant suite à leur réunion du 28 juin 2005 (pièce E-4), n’avait pas trait à son commentaire : [traduction] « Eh bien, au moins il a compensé pour sa sieste en jouant aux cartes à 16 h 30! Pas de farce! » (pièce E-1). Elle n’avait pas l’intention d’être sarcastique, mais faisait simplement une remarque pince-sans-rire. Elle a déclaré que sa remarque était la vérité, puisque son gestionnaire jouait à un jeu de cartes à son ordinateur, et ses collègues l’avaient observé en train de le faire auparavant.

56 La fonctionnaire s'estimant lésée a ensuite indiqué qu’elle regrettait d’avoir utilisé [traduction] « ce genre de langage » dans son courriel (pièce E-1). Même si elle avait envoyé le courriel tard le soir et avait pris des médicaments, elle reconnaît qu’elle [traduction] « aurait dû être plus prudente ». Elle a noté que si la CFP avait une règle selon laquelle les employés ne pouvaient envoyer des courriels qui critiquaient les gestionnaires ou avait une politique sur la prise de photographies au travail, elle n’aurait pas agi ainsi.

57 La fonctionnaire s'estimant lésée a fait observer qu’elle travaillait depuis 27 ans et n’avait jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

58 Puis, la fonctionnaire s'estimant lésée a résumé la réunion qu’elle avait eue le 28 juin 2005 avec M. Hines. Elle a déclaré que M. Hines était hostile et à certains moments agressif. Elle était émotive et avait pleuré durant la réunion.

59 Après la réunion, la fonctionnaire s'estimant lésée trouvait que le lieu de travail était un environnement négatif, puisque son gestionnaire l’évitait et gardait sa porte fermée à tout moment.

60 La fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré que la direction sait qu’elle souffre de sclérose en plaque (SEP). La réunion disciplinaire avec M. Hines, l’attitude qu’avait ensuite son gestionnaire à son égard et la mesure disciplinaire qui lui avait été imposée lui ont occasionné pas mal de stress, ce qui a aggravé sa SEP. Elle ne pouvait se concentrer sur son travail et souffrait d’une sensation de brûlure et de douleur constante dans ses membres inférieurs. Elle a pris un congé de maladie à partir du 15 juillet 2005. Après avoir épuisé ses crédits de congé de maladie, elle a présenté une demande d’invalidité de longue durée. Sa demande a été approuvée le 3 octobre 2005 et elle n’est pas retournée au travail depuis.

61 Durant le contre-interrogatoire, la fonctionnaire s'estimant lésée a confirmé qu’elle-même et ses collègues avaient rencontré l’ombudsman de la CFP à plusieurs occasions et que c’était en suivant les conseils de l’ombudsman qu’elle avait abordé M. Hines pour lui faire part de ses préoccupations concernant le comportement au travail de son gestionnaire.

62 La fonctionnaire s'estimant lésée a également confirmé qu’il était plus que probable que son gestionnaire serait bouleversé en prenant connaissance du courriel et de la photographie (pièce E-1). Elle a fait la déclaration suivante : [traduction] « Sans doute, je me demande si le problème aurait pu être résolu différemment. Le résultat final n’était pas bon. Peut-être que j’aurais dû simplement fermer les yeux, ne pas m’en occuper ou me taire. »

63 Lorsque l’avocate de la défenderesse lui a demandé si la prise d’une photographie d’un employé à l’insu de celui-ci ou sans son consentement est acceptable, la fonctionnaire s'estimant lésée a répondu : [traduction] « Oui, je pense que c’est acceptable. »

64 L’avocate de la défenderesse a ensuite référé la fonctionnaire s'estimant lésée à la pièce E-1. Lorsqu’elle lui a demandé si elle avait montré la photographie à quelqu’un d’autre, la fonctionnaire s'estimant lésée a répondu que deux autres employés l’avaient peut-être vue mais qu’elle ne se souvenait pas si elle la leur avait montrée ou si quelqu’un d’autre l’avait fait. La fonctionnaire s'estimant lésée a dit qu’elle n’avait pas pris la photographie pour ridiculiser ou embarrasser son gestionnaire.

65 La fonctionnaire s'estimant lésée a convenu que le commentaire fait dans son courriel (pièce E-1) [traduction] « n’était pas neutre ». Elle a déclaré : [traduction] « Ce n’était pas positif. Ce n’était pas pour dire ‘regardez un peu ce bonhomme', mais plutôt une remarque pince-sans-rire. » Elle a admis que sa remarque pouvait être perçue comme étant négative et qu’au bout du compte, elle l’avait été.

66 Lorsqu’on a demandé à la fonctionnaire s'estimant lésée si elle aurait pu rédiger un commentaire qui n’aurait pas été perçu comme sarcastique, elle a admis qu’elle aurait pu le faire. Elle a admis également qu’elle n’avait pas envoyé la pièce E-1 à son gestionnaire et n’en avait jamais discuté avec lui. Elle a déclaré que même si elle ne s’est jamais excusée personnellement à son gestionnaire, elle s'était excusée dans sa réponse écrite à M. Hines après leur réunion du 28 juin 2005 (pièce E-4).

67 La fonctionnaire s'estimant lésée a admis que même si ses collègues l’avaient informée que son gestionnaire avait menacé de la poursuivre pour diffamation si sa suspension sans solde de trois jours était réduite, il ne l’a jamais dit à elle personnellement et n’a intenté aucune poursuite contre elle.

68 Lorsque l’avocate de la défenderesse lui a demandé si ses collègues avaient demandé à recevoir une copie de la photographie (pièce E-1), initialement, la fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré qu’elle ne pouvait s’en souvenir, mais par la suite a admis qu’ils ne le lui avaient pas demandé.

69 On a interrogé la fonctionnaire s'estimant lésée sur son expérience dans le domaine des RH et des relations de travail. Elle a déclaré que de 1978 à 1983, elle avait travaillé comme généraliste dans le domaine des RH à la Gendarmerie royale du Canada, et que de 1983 à 1985, elle était agente des relations de travail à Montréal, à Citoyenneté et Immigration Canada. Certains des dossiers dont elle s’occupait avaient trait à l’inconduite, la discipline et la cessation d’emploi d’employés.

70 Lorsque l’avocate de la défenderesse lui a demandé si elle pensait que c’était à-propos d’envoyer un courriel incluant une remarque pince-sans-rire à des employés qui travaillaient à l’extérieur de son unité, la fonctionnaire s'estimant lésée a répondu ceci : [traduction] « S’il s’agissait d’employés qui n’avaient jamais vu [son gestionnaire] en train de dormir, un tel geste aurait été tout à fait inapproprié. [Son gestionnaire], cependant, est responsable de ses actes et je suis responsable de ce que j’ai écrit, même si je ne l’ai pas écrit pour l’humilier. »

III. Résumé de l’argumentation

A.  Pour la défenderesse

71 L’avocate de la défenderesse a fait valoir que la mesure disciplinaire avait été imposée non seulement à cause de la photographie que la fonctionnaire s'estimant lésée avait prise de son gestionnaire pendant qu’il était endormi à son bureau, mais également en raison du commentaire désobligeant qu’elle avait fait dans son courriel (pièce E-1). Par ailleurs, la fonctionnaire s'estimant lésée n’a pas signalé à M. Hines, lorsqu’elle l’a rencontré le 26 janvier 2005, qu’elle avait pris une photographie de son gestionnaire endormi à son bureau et l’avait jointe à un courriel qu’elle avait ensuite envoyé à quatre collègues.

72 Même si la fonctionnaire s'estimant lésée a affirmé, durant son témoignage, qu’elle n’avait pas l’intention d’humilier ou d’embarrasser son gestionnaire, c’est en fait ce qui s’est produit. La photographie n’a pas été prise comme élément de preuve, comme l’affirme la fonctionnaire s'estimant lésée, mais constituait plutôt une tentative délibérée d’humilier ou d’embarrasser son gestionnaire.

73 En ce qui a trait à la demande de la fonctionnaire s'estimant lésée que ses crédits de congé de maladie lui soient réattribués, l’avocate de la défenderesse a déclaré que celle-ci sait que la fonctionnaire s'estimant lésée souffre de SEP et qu'elle n’a pas hésité à approuver sa demande de congé de maladie. Toutefois, à part le témoignage de la fonctionnaire s'estimant lésée, aucune information ni preuve médicale n’a été fournie pour montrer que la décision de la défenderesse de discipliner la fonctionnaire s'estimant lésée a aggravé sa SEP.

74 L’avocate de la défenderesse m’a référé aux cas suivants : Re Highland Valley Copper v. United Steelworkers of America, Local 7619 (1999), 82 L.A.C. (4th) 310; Sauvageau c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration),dossier de la CRTFP166-02-13504 (19830810); Bousquet c. Conseil du Trésor (Travaux publics Canada), dossier de la CRTFP 166-02-16316 (19870421); Canada (Procureur général) c. Hester, [1997] 2 C.F. 706; Bédirian c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2006 CRTFP 4; et Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

75 L’avocat de la fonctionnaire s'estimant lésée a fait valoir que celle-ci et certains de ses collègues trouvaient qu’il y avait lieu de faire quelque chose en réponse au comportement au travail de son gestionnaire. D’après l’avocat, il s’agit d’un cas de dénonciation.

76 La fonctionnaire s'estimant lésée et ses collègues craignaient que s’ils exposaient son gestionnaire, ils feraient l’objet de représailles. Après plusieurs réunions avec l’ombudsman de la CFP, la fonctionnaire s'estimant lésée a décidé de parler à M. Hines en tant que porte-parole de ses collègues au niveau PE-05. Ce faisant, elle a couru un risque. La fonctionnaire s'estimant lésée craignait qu’il pût y avoir une réaction défavorable, et c’est exactement ce qui s’est produit. Après que son supérieur a pris connaissance du courriel et de la photographie (pièce E-1), il a gardé sa porte fermée et l’a évitée. Elle a commencé à sentir les représailles.

77 La fonctionnaire s'estimant lésée a témoigné que lorsqu’elle a rencontré la consultante, elle lui a dit qu’elle avait pris une photographie de son gestionnaire en train de dormir à son bureau. Toutefois, la consultante ne lui a pas dit de détruire la photographie ni qu’elle avait agi de façon inappropriée.

78 La fonctionnaire s'estimant lésée a témoigné que son gestionnaire avait dit à ses collègues que si sa suspension était réduite, il allait intenter des poursuites contre elle pour diffamation. L’avocat a déclaré que [traduction] « il est inconcevable que la fonctionnaire s'estimant lésée fût menacée de poursuites par [son gestionnaire] puisque ni le courriel ni la photographie étaient de nature diffamatoire ou criminelle, étant donné que la remarque faite par la fonctionnaire s'estimant lésée correspondait à la vérité ».

79 Même si, par la suite, la suspension sans solde de trois jours a été réduite à un jour, il s’agit tout de même d’une mesure disciplinaire excessive pour une employée qui a 27 ans de service et qui n’a jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Si une mesure s’imposait, une lettre de réprimande aurait été suffisante.

80 Dans sa réponse écrite adressée à M. Hines après leur réunion du 28 juin 2005 (pièce E-4), la fonctionnaire s'estimant lésée a écrit ce qui suit : [traduction] « […] je m’excuse sincèrement pour tout comportement de ma part qui est ou qui était inapproprié […] ». La fonctionnaire s'estimant lésée a souligné et mis en gras le mot « tout », mais M. Hines ne pensait pas qu’elle était sincère.

81 La fonctionnaire s'estimant lésée travaillait dans le domaine des RH et s’était occupée de questions liées aux relations de travail par le passé. Par conséquent, elle savait qu’il était important de réunir des faits avant de faire des allégations, et c’est la raison pour laquelle elle a pris la photographie de son gestionnaire assoupi à son bureau.

82 M. Pelletier a admis qu’il avait plaisanté au sujet du gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée qui dormait au travail. Est-il surprenant alors que la fonctionnaire s'estimant lésée ait rédigé le courriel de la manière dont elle l’a fait?

83 La fonctionnaire s'estimant lésée ne s’est pas excusée personnellement auprès de son gestionnaire, puisqu’elle a pris un congé de maladie après avoir été disciplinée et est maintenant en invalidité de longue durée. De plus, ses collègues avaient mentionné qu’il avait l’intention de la poursuivre pour diffamation.

84 Comme la défenderesse le sait, la fonctionnaire s'estimant lésée souffre de SEP. La réunion du 28 juin 2005 avec M. Hines, l’attitude de son gestionnaire envers elle par la suite et la discipline imposée ont occasionné énormément de stress à la fonctionnaire s'estimant lésée, aggravant ainsi sa SEP.

85 L’avocat a noté que la défenderesse n’a présenté aucune jurisprudence selon laquelle le témoignage d’un médecin est requis afin de prouver une telle conséquence. La défenderesse sait que le stress a un effet sur la santé de la fonctionnaire s'estimant lésée et par le passé a accédé à ses requêtes. Durant son témoignage, la fonctionnaire s'estimant lésée a prouvé que la conduite de M. Hines durant la réunion du 28 juin 2005, les représailles de son gestionnaire et la discipline imposée constituaient le lien causal qui a aggravé sa SEP.

86 Étant donné que l’avocate de la défenderesse n’a pas procédé à un contre-interrogatoire de la fonctionnaire s'estimant lésée en réponse à son allégation selon laquelle c’était les actes de la défenderesse qui ont aggravé sa SEP, la fonctionnaire s'estimant lésée n’était pas tenue de décrire le lien ou de fournir une quelconque preuve médicale appuyant son assertion.

87 L’avocate de la défenderesse m’a renvoyé à ce qui suit : Grover c. Conseil national de recherches du Canada, 2006 CRTFP 117; Haydon c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2002 CRTFP 10; Ferreira c. Richmond (Ville) (2007), 161 L.A.C. (4e) 20; et extraits de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition.

C. Réfutation de la défenderesse

88 L’avocate de la défenderesse convenait que l’on pouvait qualifier de dénonciation le fait que la fonctionnaire s'estimant lésée avait approché M. Hines le 26 janvier 2005. Cependant, la transmission d’un courriel à ses collègues contenant une remarque désobligeante et accompagnée d’une photographie de son gestionnaire endormi à son bureau est loin d’être une dénonciation.

89 La préoccupation selon laquelle le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée intenterait des poursuites contre elle si sa suspension sans solde de trois jours était réduite est un faux-fuyant puisqu’il n’a jamais intenté aucune poursuite contre elle.

IV. Motifs

90 Comme je l’ai indiqué plus haut, je vais décrire les motifs qui m’ont incité à ne pas identifier le gestionnaire dont relevait la fonctionnaire s'estimant lésée dans la présente décision.

91 Le pouvoir d’interdire la publication ou d’ordonner la confidentialité est un pouvoir discrétionnaire. L’exercice du pouvoir discrétionnaire d’interdire la publication ou d’ordonner la confidentialité consiste essentiellement à établir un équilibre entre les valeurs découlant du droit à l’information et l’intérêt à protéger cette information.

92 Dans Re Vancouver Sun, 2004 CSC 43, la Cour suprême du Canada a formulé les principes, connus aujourd’hui sous le nom du critère Dagenais/Mentuck, qui s’appliquent à toutes les mesures discrétionnaires qui limitent le droit à l’information durant les procédures judiciaires.

93 Il incombe à la partie qui demande une interdiction de publication ou une ordonnance de confidentialité de justifier la restriction du droit à l’information. Il doit y avoir une preuve suffisante permettant au tribunal d’évaluer la demande et sur laquelle il peut se fonder pour exercer son pouvoir discrétionnaire, en conformité avec les principes judiciaires.

94 L’avocate de la défenderesse a fait valoir que le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée ne devrait pas être identifié puisqu’il n’était pas une partie à la procédure et que si la fonctionnaire s'estimant lésée demandait qu’il soit identifié, il s’agirait d’un geste malveillant de sa part.

95 L’avocat de la fonctionnaire s'estimant lésée a affirmé que si je décidais de ne pas identifier le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée, les collègues de celle-ci ne devraient pas être identifiés non plus puisqu’ils se considéraient comme des dénonciateurs.

96 J’estime qu’il est suffisant de dire que le tort qui serait causé au gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée l’emporte grandement sur tout avantage que procurerait la publication de son nom. Il n’était pas une partie à la procédure et même si les allégations portées contre lui – qui n’ont été ni niées ni réfutées par l’avocate de la défenderesse – n’ont pas été prouvées, ils sont dommageables. En n’identifiant pas le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée, le principe de l’« audience publique » n’est pas enfreint puisqu’il s’agissait ici d’une séance publique et non pas d’une séance à huis clos.

97 Je pense que la fonctionnaire s'estimant lésée avait l’intention d’embarrasser ou d’humilier son gestionnaire en envoyant la pièce E-1 à ses collègues, et la publication de son nom aggraverait uniquement l’humiliation.

98 J’ai également décidé de ne pas identifier les collègues de la fonctionnaire s'estimant lésée parce qu'eux non plus n'étaient pas des parties à la procédure et je ne vois pas quelle en serait l’utilité aux fins d’analyse du cas.

99 Je me pencherai maintenant sur la mesure disciplinaire imposée à la fonctionnaire s'estimant lésée. Il incombait à la défenderesse d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la discipline imposée était justifiée et appropriée dans les circonstances. Dans sa lettre du 7 juillet 2005 (pièce E-6), M. Hines donne la raison suivante pour justifier la mesure disciplinaire imposée :

[Traduction]

[…]

J’estime que la distribution de ces documents était un geste délibéré que vous avez posé pour jeter le discrédit sur votre gestionnaire auprès de ses employés. Ce genre de comportement est tout à fait inacceptable, particulièrement parce qu’il mine la relation employeur-employé qui doit exister et ainsi ne peut être toléré.

[…]

100 Les faits dans ce cas-ci sont assez simples. Le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée avait été observé en train de dormir à son bureau le 4 janvier 2005 et vers 14 h 15, la fonctionnaire s'estimant lésée a pris une photographie de lui, qu’elle a ensuite jointe à un courriel, avant de l'envoyer à quatre collègues. Dans son courriel, la fonctionnaire s'estimant lésée écrivait ce qui suit : [traduction] « Avertissement : Voici ce qui se produit lorsqu’on travaille trop fort! Eh bien, au moins il a compensé pour sa sieste en jouant aux cartes à 16 h 30! Pas de farce! » (pièce E-1). À 16 h 29, elle lui a envoyé un courriel pour lui demander de lui transmettre ses commentaires au plus tard le lendemain au sujet de modifications qu’elle avait apportées aux lignes directrices auxquelles ils avaient travaillé. Peu après, elle est passée par son bureau et a remarqué qu’il jouait un jeu de cartes à son ordinateur. À 17 h, il avait quitté pour la journée. Ce même soir, elle a vérifié à partir de son domicile s’il avait répondu au courriel qu’elle lui avait transmis plus tôt durant l’après-midi. Elle a découvert qu’il ne l’avait pas fait et, à 22 h 33, a envoyé la pièce E-1 à quatre collègues.

101 Durant le contre-interrogatoire, la fonctionnaire s'estimant lésée a admis que ses collègues n’avaient pas demandé une copie de la photographie et a déclaré que celle-ci devait servir uniquement comme preuve si la haute direction ou son gestionnaire niait qu’il dormait à son bureau.

102 La fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré, durant son témoignage, qu’elle même et ses collègues avaient rencontré à plusieurs occasions l’ombudsman de la CFP pour discuter de leurs préoccupations concernant le comportement au travail de son gestionnaire et que l’ombudsman leur avait conseillé de parler à M. Hines.

103 Le 26 janvier 2005, la fonctionnaire s'estimant lésée est allée voir M. Hines pour parler du comportement au travail de son gestionnaire – et du fait qu’on avait constaté qu’il dormait durant des réunions, qu’il jouait au jeu solitaire à son ordinateur et qu’il arrivait tard et partait tôt. Elle a également remis en question son style de leadership, son manque de vision et de planification stratégique et ses retards dans l’exécution des tâches qui lui étaient confiées. Cependant, la fonctionnaire s'estimant lésée n’a pas mentionné à M. Hines qu’elle avait pris une photographie de son gestionnaire en train de dormir à son bureau le 4 janvier 2005, qu’elle l’avait jointe à un courriel et qu’elle avait ensuite envoyé celui-ci à quatre de ses collègues. M. Hines l’a seulement appris beaucoup plus tard, soit le 6 juin 2005, lorsque le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée a porté le courriel à son attention.

104 Je pense que M. Hines était un témoin crédible. Il a témoigné qu’il a pris au sérieux les allégations de la fonctionnaire s'estimant lésée et qu’il allait agir, puisque d’après lui il s’agissait d’un problème de gestion du rendement. Il a rencontré le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée et des représentants des RH et a retenu les services d’une consultante dont le mandat était de rencontrer le gestionnaire de la fonctionnaire s'estimant lésée, la fonctionnaire s'estimant lésée et d’autres employés pour leur offrir des séances personnalisées d’encadrement et d’initiative.

105 D’un autre côté, après avoir examiné la preuve, le témoignage de la fonctionnaire s'estimant lésée et la réponse écrite qu’elle a envoyé à M. Hines après leur réunion du 28 juin 2005, je remets en question la crédibilité de la fonctionnaire s'estimant lésée. Elle a affirmé qu’elle avait pris la photographie pour [traduction] « documenter, documenter, et documenter ». Si cela est vrai, pourquoi a-t-elle transmis la photographie à ses collègues? Pourquoi n’a-t-elle pas informé M. Hines qu’elle avait pris une photographie de son gestionnaire en train de dormir à son bureau? Pourquoi a-t-elle montré la photographie ou en a-t-elle parlé à des employés en dehors de son unité de travail? Et pourquoi a-t-elle inclus, dans son courriel, un commentaire qu’elle allègue était simplement une remarque pince-sans-rire?

106 Ayant travaillé dans le domaine des RH et des relations de travail, la fonctionnaire s'estimant lésée sait que la preuve ou l’établissement de documents fait partie intégrante de l’établissement d’un dossier. Elle sait aussi qu’un employé doit respecter la chaîne de commandement, ce qu’elle a fait initialement lorsqu’elle a abordé M. Hines le 26 janvier 2005. Toutefois, elle n’a pas été franche avec lui puisqu’elle lui a caché de l’information. À mon avis, elle n’a pas agi de bonne foi.

107 Je pense que la fonctionnaire s'estimant lésée ne pensait jamais qu’un de ses collègues fournirait à son gestionnaire une copie de la pièce E-1. Seule cette personne peut expliquer les raisons derrière son geste.

108 L’avocat de la fonctionnaire s'estimant lésée a fait valoir qu’il s’agit d’un cas de dénonciation. Je ne partage pas cet avis. Lorsque la fonctionnaire s'estimant lésée est allée parler à M. Hines au sujet du comportement au travail de son gestionnaire, il a pris au sérieux ses allégations et a décidé d'agir. La fonctionnaire s'estimant lésée n’a jamais présenté une plainte officielle. On ne peut considérer qu’il s’agissait d’un cas de dénonciation puisque la fonctionnaire s'estimant lésée n’a pas agi de bonne foi et n’a pas entièrement divulgué la situation à M. Hines ni lui a-t-elle donné la possibilité de rectifier la situation.

109 La fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré que sa SEP a été aggravé par la conduite de M. Hines durant leur réunion du 28 juin 2005, par le fait que son gestionnaire l’évitait et par la mesure disciplinaire prise à son égard. Elle a témoigné que M. Hines était hostile et agressif durant la réunion. M. Hines a témoigné qu’en dépit du fait que Mme Patterson et Mme Chabot-Plante étaient présentes, personne n’a soulevé de préoccupation au sujet du ton de la réunion. Donc, aucune preuve n’a été présentée que l’enquête aurait été menée de façon inappropriée ou que la fonctionnaire s'estimant lésée aurait porté plainte après la réunion. Je trouve que M. Hines était plus clair et plus franc que la fonctionnaire s'estimant lésée, et je dois accorder la préférence à son témoignage. Ne disposant d’aucune preuve à part le témoignage de la fonctionnaire s'estimant lésée que son gestionnaire l’évitait, je ne vois aucun lien entre les actes de M. Hines et de son gestionnaire qui ne résultait pas des gestes irréfléchis posés par la fonctionnaire s'estimant lésée.

110 Aucune preuve n’a été présentée selon laquelle la décision de M. Hines d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire s'estimant lésée aurait été influencée par le gestionnaire de cette dernière. Le commentaire qu’il aurait fait voulant qu’il intenterait des poursuites contre la fonctionnaire s'estimant lésée pour diffamation si sa suspension sans solde de trois jours était réduite ne s’est pas concrétisé. La suspension a été ramenée de trois jours à un jour et la fonctionnaire s'estimant lésée n’a fait l’objet d’aucune poursuite de la part de son gestionnaire.

111 Le témoignage de la fonctionnaire s'estimant lésée selon lequel, si la CFP avait eu une règle interdisant aux employés d’envoyer des courriels critiquant un gestionnaire ou de prendre des photographies au lieu de travail, elle ne l’aurait pas fait est tellement absurde que je préfère ne pas prononcer à ce sujet.

112 Pour tous les motifs qui précèdent, je décide que la suspension sans solde de trois jours, qui plus tard a été ramenée à un jour, convenait dans les circonstances. Je suis d’avis que la fonctionnaire s'estimant lésée avait l’intention d’embarrasser ou d’humilier son gestionnaire en prenant et en envoyant à ses collègues une photographie de lui pendant qu’il dormait à son bureau. Par conséquent, le présent grief est rejeté.

113 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

114 Le grief est rejeté.

Le 19 décembre 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

D.R. Quigley,
arbitre de grief

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