Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été congédié de son poste d’agent correctionnel pour des motifs disciplinaires - il a été accusé d’avoir eu recours à une force inappropriée contre un détenu dans la pièce de traitement du pénitencier - le détenu s’était infligé des taillades et avait été amené à la pièce de traitement, les mains menottées dans le dos - l’employeur a déclaré que, pendant que l’infirmière soignait le détenu, le fonctionnaire s’estimant lésé, qui était l’un des agents correctionnels présents, a frappé celui-ci au visage peu après avoir été traité d’<< imbécile >> - un agent a vu le coup et un autre l’a entendu - le superviseur n’a aperçu, dans sa vision périphérique, que le mouvement vers l’avant du bras du fonctionnaire s’estimant lésé, mais a vu la tête du détenu projetée vers l’arrière et ses yeux se remplir de larmes - le fonctionnaire s’estimant lésé a d’abord nié que l’agression avait eu lieu et qu’il avait fait quoi que ce soit de mal - toutes les personnes qui ont assisté à l’incident, à l’exception de l’infirmier, ont déclaré ne plus vouloir travailler avec le fonctionnaire s’estimant lésé - le fonctionnaire s’estimant lésé est atteint d’une déficience causée par une maladie entraînant des troubles de la vue, des yeux secs et une mobilité réduite - on l’a donc affecté au quart de nuit du centre hospitalier du pénitencier puisque son médecin a recommandé que ses tâches lui évitent tout contact avec les détenus - le fonctionnaire s’estimant lésé a nié que la question des risques à éviter a été soulevée au cours de discussions concernant son retour au travail - la preuve de l’employeur était qu’on avait rappelé au fonctionnaire s’estimant lésé, à deux occasions distinctes, de ne pas intervenir dans des situations impliquant des détenus - l’arbitre de grief a statué que la norme de preuve applicable exige plus que 50 % plus un, mais la détermination de la norme exacte demeure la question que doit trancher chaque arbitre de grief - l’arbitre de grief a statué que, étant donné son évaluation des témoignages des témoins oculaires et les commentaires du fonctionnaire s’estimant lésé immédiatement après l’incident, le fonctionnaire s’estimant lésé a eu recours à une force excessive lorsqu’il a frappé le détenu - le fait que l’incident n’ait causé aucune blessure, les longs états de service et le dossier d’emploi vierge du fonctionnaire s’estimant lésé constituent des facteurs atténuants - l’absence de provocation, l’absence de reconnaissance et de repentir du fonctionnaire s’estimant lésé et la rupture du lien de confiance avec son employeur constituent des facteurs aggravants - l’arbitre de grief n’a pu trouver un motif suffisant pour intervenir dans la décision de l’employeur selon laquelle le licenciement constituait une mesure appropriée et proportionnelle. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-03-05
  • Dossier:  566-02-189
  • Référence:  2007 CRTFP 28

Devant un arbitre de grief


ENTRE

KENNY ROBERTS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

autre partie au grief

Répertorié
Roberts c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Michel Bouchard, Union of Canadian Correctional Officers Syndicat des agents correctionnels du Canada CSN

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Kingston (Ontario),
du 25 au 28 septembre et les 12 et 13 décembre 2006.
(Observations écrites déposées les 14, 15 et 21 décembre 2006.)
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le 26 janvier 2006, le Service correctionnel du Canada (ci-après appelé le « SCC » ou « l'employeur ») a licencié pour motifs disciplinaires Kenny Roberts (le « fonctionnaire s'estimant lésé »), qui travaillait jusque-là comme agent de correction CX-2 au Pénitencier de Kingston. Le fonctionnaire s'estimant lésé a contesté la décision de le licencier dans un grief individuel déposé le 27 janvier 2006. Comme redressement, il a réclamé ce qui suit :

[Traduction]

Je demande ma réintégration immédiate, le retrait de toutes les mentions de cette sanction disciplinaire de mes dossiers, le remboursement de tout l'argent que j'ai perdu, y compris la chance de faire des heures supplémentaires, ma rémunération pour les jours fériés désignés et mes primes de quart, et je réclame aussi tous mes autres droits sous le régime de la convention collective et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi que tous les dommages et intérêts réels, moraux ou exemplaires payables rétroactivement, avec l'intérêt légal couru, sans préjudice aux autres droits acquis.

2 Le grief du fonctionnaire s'estimant lésé a été rejeté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, ce sur quoi il l'a renvoyé à l'arbitrage à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la Commission »), le 16 mars 2006, en vertu de l'alinéa 209(1)b) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« la Loi »). Il est représenté dans le présent renvoi à l'arbitrage par son agent négociateur, l'Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN.

3 En vertu de l'alinéa 223(2)d) de la Loi, le président de la Commission m'a chargé d'entendre et de trancher cette affaire à titre d'arbitre de grief.

4 Compte tenu de la mention de « […] tous mes autres droits sous le régime de […] la Loi canadienne sur les droits de la personne […] » dans les redressements réclamés par le fonctionnaire s'estimant lésé, je lui ai souligné au début de l'audience l'obligation que le paragraphe 210(1) de la Loi impose aux parties désireuses de soulever une question d'interprétation de la Loi canadienne sur les droits de la personne d'en informer la Commission canadienne des droits de la personne. Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas soulevé de question de cette nature au cours de l'audience.

II. Résumé de la preuve

5 L'employeur a fait comparaître six témoins et le fonctionnaire s'estimant lésé quatre, lui compris. Les parties ont produit en tout 24 pièces qui ont été versées au dossier à la Commission; on peut les y consulter. Dans les cinq jours de présentation de la preuve à l'audience, j'ai reçu beaucoup d'information contextuelle sur les opérations et sur l'aménagement du Pénitencier de Kingston ainsi que sur les relations hiérarchiques entre ses employés, les horaires de quarts, les responsabilités des agents de correction et des superviseurs, le traitement des détenus, les procédures de présentation des rapports d'observation et des rapports sur le recours à la force, de même que sur divers autres sujets. Dans ce résumé de la preuve, je ne cite que les témoignages que j'ai jugés les plus pertinents quant aux questions dont les parties ont parlé, mais je tiens à les assurer que j'ai pris connaissance de toute la preuve soumise et de tous les documents présentés à l'audience avant d'arriver à ma décision.

6 Le détenu en cause dans l'affaire a été identifié à l'audience comme étant le détenu A, et je vais l'appeler ainsi dans cette décision. Les parties se sont par ailleurs engagées à masquer son nom dans toutes les pièces qui m'ont été présentées.

7 Il serait arrivé quelque chose au détenu A dans la salle de traitement de l'infirmerie du Pénitencier de Kingston tard dans la soirée du 28 septembre 2005 ou aux petites heures du matin du lendemain 29 septembre 2005. Dans leurs témoignages, six des personnes présentes à ce moment-là ont relaté l'incident en question. Certains de ces témoignages concordent sous d'importants aspects alors que d'autres diffèrent, parfois nettement.

8 Carl Jalbert était le superviseur correctionnel responsable du Pénitencier durant le quart « de minuit », de 23 h à 7 h cette nuit. M. Jalbert a de longs états de service au SCC; depuis son embauche en 1987, les postes qu'il a occupés exigent de plus en plus de responsabilités.

9 La version de l'incident que M. Jalbert a donnée est la suivante. Vers la fin de l'après-midi du 28 septembre 2005, on lui a téléphoné chez lui pour lui demander de superviser le quart de minuit avant de travailler aussi son quart normal de jour le 29 septembre 2005. Arrivé à l'établissement vers 22 h 30, il a relevé le superviseur du quart de soir, fait l'appel des agents qui se présentaient pour le quart de minuit, puis commencé son quart dans son bureau à Keeper's Hall.

10 Presque au tout début du quart, M. Jalbert a reçu un appel de l'unité d'isolement l'informant que le détenu A faisait du grabuge. Il s'est immédiatement rendu à l'unité, où il a trouvé le détenu A agité qui jurait; le détenu s'était entaillé le bras gauche avec une lame de rasoir. Il y avait du sang sur la fenêtre, sur les murs et sur le plafond de sa cellule. Robert Cox, un agent de correction de l'unité, a déclaré à M. Jalbert que le détenu était en colère parce qu'il n'avait pas de cigarettes ni de quoi lire, qu'il s'était blessé lui-même et qu'il avait déclaré avoir avalé des lames de rasoir.

11 M. Jalbert a réussi à calmer le détenu A de façon à lui faire accepter de se rendre à l'infirmerie du Pénitencier pour être soigné. Comme son comportement avait été menaçant, il a exigé qu'on passe les menottes au détenu dans le dos avant de l'autoriser à quitter sa cellule. Ce genre de contrainte donne aux agents un plus grand contrôle; dans ce cas-là, cela réduisait aussi le risque que le sang ne coule sur eux. Avant de partir pour l'infirmerie, M. Jalbert a fait venir des préposés à l'unité d'isolement pour nettoyer la cellule du détenu A.

12 Durant le court trajet de l'unité d'isolement à l'infirmerie, le détenu A était escorté par M. Jalbert et par les agents Cox et Linda Charlton, une des deux agents de réserve auxquels M. Jalbert pouvait faire appel pendant le quart de minuit. Durant le trajet, comme le sang continuait à couler du bras du détenu, l'agent Cox a mis une serviette de papier sur sa blessure. D'après M. Jalbert, le comportement du détenu n'avait posé aucun problème pendant qu'on l'escortait.

13 À l'arrivée à l'infirmerie, les agents d'escorte et le détenu A ont rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé, l'agent Michael MacKay et l'infirmier Paul Williams, qui avaient tous les trois descendu du deuxième étage de l'infirmerie pour les attendre au premier. Au Pénitencier de Kingston, l'infirmerie est une installation à deux étages, le second abritant l'hôpital régional de l'Ontario du SCC, avec ses huit cellules de sécurité et sa cellule pour les soins palliatifs. Pendant le quart de minuit, les agents et le personnel des services de santé affectés à l'infirmerie restent normalement au deuxième étage. C'est au premier qu'on trouve la salle de traitement où l'on conduit les détenus du Pénitencier de Kingston ou d'autres établissements qui ont besoin de soins médicaux.

14 La salle de traitement du premier étage est en forme de U dont les côtés sont plus courts que la base. Il y a une porte à chaque extrémité du « U ». Le corridor auquel on accède à l'entrée fait environ 8 pieds de largeur sur 10 de longueur. La base du « U » fait environ 20 pieds, avec un comptoir tout le long d'un côté et un mur avec des fenêtres de l'autre. Ce corridor est étroit : il y a très peu d'espace entre le comptoir et le mur des fenêtres. Si quelqu'un est adossé au comptoir, il voit une civière, une machine à ECG et un fauteuil de traitement surélevé alignés le long du mur devant les fenêtres.

15 D'après M. Jalbert, le détenu A était sous contrôle lorsqu'on l'a escorté dans la salle de traitement. Les agents l'ont fait mettre debout adossé au fauteuil de traitement. M. Jalbert lui faisait face; le bras gauche du détenu était à sa droite. M. Williams était près du détenu A, à la droite de M. Jalbert, de façon à pouvoir donner les premiers soins au détenu A sur son bras gauche. L'agent MacKay était aussi à la droite de M. Jalbert, mais plus loin. Le fonctionnaire s'estimant lésé était à gauche dudétenu A et de M. Jalbert. Les agents Cox et Charlton étaient derrière M. Jalbert, à environ cinq pieds de lui sur sa droite.

16 Après avoir essuyé le sang du bras du détenu A, M. Williams s'est éloigné quelques instants pour aller prendre une petite serviette humide; le détenu A l'a vu prendre une bouteille brune et en verser du liquide sur la serviette. Il a immédiatement demandé si c'était de l'alcool à friction. Quand M. Williams est revenu en tentant de lui appliquer la serviette sur le bras, le détenu, très énervé, s'est tourné vers la gauche.

17 M. Jalbert, le fonctionnaire s'estimant lésé et M. Williams ont réagi en contenant le détenu A pour l'asseoir dans le fauteuil de traitement. Une fois le détenu A assis dans le fauteuil, le fonctionnaire s'estimant lésé lui a mis une main sur le nez et la bouche. À ce moment-là, M. Jalbert ne savait pas si le détenu risquait de cracher ou pas. Il a témoigné que ce que le fonctionnaire s'estimant lésé faisait alors ne le dérangeait pas.

18 Pendant que M. Williams assurait le détenu A que le liquide n'était pas de l'alcool à friction pour tenter de le calmer, M. Jalbert a fait signe au fonctionnaire s'estimant lésé de retirer sa main du nez et de la bouche du détenu, en lui prenant plutôt le menton. Il a témoigné qu'il craignait que le détenu ne puisse pas respirer; il le croyait sous contrôle. Le fonctionnaire s'estimant lésé a obtempéré, mais M. Jalbert l'a alors vu pousser de nouveau la tête du détenu vers le haut et l'arrière avec sa main. Ce geste a fait agiter le détenu qui a résisté parce qu'il ne pouvait plus bouger la tête. Craignant que le fonctionnaire s'estimant lésé ne cause de la douleur au détenu A, M. Jalbert lui a dit de le lâcher et comme le fonctionnaire s'estimant lésé ne lui obéissait pas, il a répété son ordre. Le fonctionnaire s'estimant lésé a obéi et s'est légèrement écarté vers la gauche. Quand on lui a demandé pourquoi il n'avait pas obéi la première fois, M. Jalbert a déclaré que le fonctionnaire s'estimant lésé ne l'avait peut-être pas entendu, parce qu'il était stressé.

19 Lorsque le fonctionnaire s'estimant lésé a retiré sa main, le détenu A s'est calmé, en disant toutefois quelque chose comme : « Est-ce que c'est comme ça que vous traitez le monde? » Il s'est tourné vers le fonctionnaire s'estimant lésé et lui a dit : « Tu es un imbécile. » Du coin de l'oil, M. Jalbert a alors détecté un mouvement vers l'avant du bras du fonctionnaire s'estimant lésé; il a entendu le bruit d'un impact et vu la tête du détenu A être rejetée en arrière. Quand sa tête est revenue vers l'avant, il a vu que les yeux du détenu A étaient pleins d'eau.

20 À ce moment-là, M. Jalbert estimait que le détenu A n'était pas menaçant. Il était contenu avec les mains menottées dans le dos; son bras saignait encore et il ne faisait rien d'autre que dire des injures. M. Jalbert a témoigné qu'il n'y avait aucune raison de frapper le détenu, à son avis.

21 M. Jalbert a fixé le fonctionnaire s'estimant lésé en lui disant de sortir de là. Il savait que « ça n'allait pas » et ne voulait pas que le problème escalade. Immédiatement après l'incident, le silence s'est fait dans la pièce. M. Jalbert a regardé par-dessus son épaule : les autres agents présents semblaient avoir eu un choc.

22 Après avoir consulté un médecin par téléphone, l'infirmier, M. Williams, a informé M. Jalbert que le détenu A allait devoir être transporté à l'Hôpital général de Kingston pour qu'on lui fasse des points de suture. Quand il a entendu le mot « hôpital », le détenu A a été perturbé : il a dit craindre que ça ne signifie le deuxième étage de l'infirmerie, parce qu'il savait que le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait là et ne voulait pas « s'en faire flanquer encore ». M. Jalbert a réussi à le calmer, en lui disant qu'il allait être conduit dans un hôpital de l'extérieur et qu'on le retournerait dans sa cellule d'isolement après l'avoir soigné. M. Jalbert a envoyé quelqu'un chercher les menottes voulues pour transporter le détenu et fait venir le véhicule d'escorte à l'infirmerie.

23 Lorsqu'il a quitté l'endroit de l'incident, M. Jalbert a rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé, dont le pantalon était taché de sang : il voulait rentrer chez lui pour changer d'uniforme. M. Jalbert a témoigné qu'il avait de très sérieuses réserves sur ce dont il venait d'être témoin, mais qu'il ne voulait pas en parler devant les autres agents. Il ne savait pas exactement ce qui s'était passé. Il a autorisé le fonctionnaire s'estimant lésé à rentrer chez lui. Ensuite, il est allé au poste des infirmiers, à côté, en laissant le détenu A sous la garde des agents qui étaient encore là. Le fonctionnaire s'estimant lésé l'a suivi dans le poste des infirmiers. M. Jalbert lui a dit qu'il « [les] avait mis dans une situation terrible », parce que le fonctionnaire s'estimant lésé avait agressé un détenu en sa présence. Le fonctionnaire s'estimant lésé a répliqué qu'il n'avait rien fait de mal. M. Jalbert lui a dit qu'il allait régler la situation quand le fonctionnaire s'estimant lésé reviendrait de chez lui. Il a témoigné qu'il s'attendait à pouvoir parler avec l'intéressé à son retour au travail pour lui demander sa version des événements. C'est à ce moment-là que le fonctionnaire s'estimant lésé est parti chez lui.

24 Après avoir rédigé les documents nécessaires, M. Jalbert est retourné à la salle de traitement; il a pris les agents Cox et Charlton ainsi que l'infirmier MacKay à part dans le corridor, en vue du détenu A. Il leur a dit qu'il avait besoin de rapports d'observation de tous les trois sur l'incident, en leur disant de les garder « au minimum ». Selon lui, cela voulait dire qu'ils ne devraient mentionner que les faits relatifs au comportement du détenu, sans faire état des actions du fonctionnaire s'estimant lésé. M. Jalbert a témoigné qu'il voulait d'abord savoir ce que celui-ci avait à dire, pour être en mesure de déterminer s'il s'était passé quelque chose qu'il n'avait pas vu. Il espérait que le fonctionnaire s'estimant lésé « admettrait » ce qui s'était passé et qu'ils pourraient ensuite régler la situation à son niveau.

25 Quand le détenu A est parti pour l'hôpital, dans un véhicule conduit par l'agent Charlton, avec l'agent MacKay et l'infirmier Williams comme escorte, M. Jalbert est retourné à Keeper's Hall pour faire d'autre travail de bureau.

26 Pendant que le détenu A était traité à l'Hôpital général de Kingston, sous la garde de son escorte, l'agent Charlton est retournée au Pénitencier et s'est rendue au bureau de M. Jalbert. Le fonctionnaire s'estimant lésé est lui aussi rentré au Pénitencier après avoir changé d'uniforme et s'est rendu au bureau de M. Jalbert, où celui-ci a demandé à l'agent Charlton de sortir; il a commencé à parler avec le fonctionnaire s'estimant lésé, en lui répétant qu'il les avait mis dans une « situation terrible », ce sur quoi le fonctionnaire s'estimant lésé a derechef répliqué qu'il n'avait rien fait de mal. Il a pointé son doigt dans la figure de M. Jalbert en lui disant à peu près : « J'ai fait ton travail » et « […] ta chemise bleue t'est montée à la tête. » Il a répété sans en démordre qu'il n'avait rien fait de mal et que « […] c'est comme ça que ça se faisait dans le temps ». M. Jalbert a témoigné que, selon lui, cette dernière remarque signifiait que le personnel traitait les délinquants plus violemment dans le passé. Aujourd'hui, on a plus de comptes à rendre, et plus de règles protègent les droits des délinquants.

27 M. Jalbert a demandé alors au fonctionnaire s'estimant lésé un rapport d'observation décrivant ses actions durant tout l'incident. Le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu qu'il n'allait rien mettre par écrit parce que « […] tu vas essayer de me pendre. » Le ton a monté; M. Jalbert a fini par dire au fonctionnaire s'estimant lésé de quitter le Pénitencier s'il refusait de soumettre un rapport d'observation. Le fonctionnaire s'estimant lésé a répliqué qu'il n'était pas obligé de partir, parce que M. Jalbert ne lui avait pas donné un ordre direct. M. Jalbert lui a alors dit qu'il devait partir puisqu'il avait refusé de remplir et de soumettre le rapport demandé.

28 Le fonctionnaire s'estimant lésé a dit à M. Jalbert qu'il voulait aller prendre des effets personnels au deuxième étage de l'infirmerie. M. Jalbert lui a répondu qu'il allait l'escorter jusque-là, puis jusqu'à la porte du Pénitencier. Pendant le trajet jusqu'à l'infirmerie, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait à M. Jalbert des remarques analogues à celles qu'il lui avait déjà faites dans son bureau, en lui disant par exemple que sa chemise lui était montée à la tête et « […] tu es un dur, tu penses que tu peux jouer dur maintenant ». M. Jalbert a témoigné qu'il n'avait pas répondu.

29 En arrivant à l'infirmerie, M. Jalbert et le fonctionnaire s'estimant lésé sont montés au deuxième étage, où ce dernier a pris ses effets personnels. Il a ensuite dit à M. Williams qu'il allait l'appeler le lendemain afin de prendre rendez-vous pour une partie de golf. M. Jalbert l'a escorté hors de l'infirmerie. Une fois dehors, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé : « Que va-t-il arriver maintenant? » M. Jalbert a déclaré au fonctionnaire s'estimant lésé qu'il devrait appeler au Pénitencier le lendemain matin, mais que sa recommandation serait qu'on ne l'autorise pas à retourner au travail tant qu'il n'aurait pas soumis son rapport d'observation. Le fonctionnaire s'estimant lésé est parti.

30 M. Jalbert est retourné à son bureau. À 0 h 35, il a ouvert un fichier informatique pour composer son premier rapport d'observation (Pièce E-2). Après l'avoir rédigé et classé, vers 1 h, il a commencé à écrire une version plus détaillée des événements dans un fichier MS Word distinct. Il a témoigné qu'il savait qu'on poserait d'autres questions au sujet de l'incident en raison de sa gravité, et que c'est pour cette raison qu'il avait renvoyé le fonctionnaire s'estimant lésé chez lui. Il s'est dit étonné que le fonctionnaire s'estimant lésé ait nié avoir frappé le détenu A. Il s'attendait à obtenir de lui une meilleure idée de ce qui s'était passé et de la raison pour laquelle c'était arrivé, mais ce n'a pas été le cas. Il avait espéré que le problème pourrait être résolu à son niveau, et que la situation pourrait être facilitée par une certaine explication du fonctionnaire s'estimant lésé, même s'il n'est jamais acceptable de frapper un détenu dans de telles circonstances. M. Jalbert a témoigné qu'il n'avait aucune intention de « pendre » le fonctionnaire s'estimant lésé, en disant savoir qu'il était tenu de signaler l'incident. Après avoir réfléchi encore à la situation, il avait envoyé un courriel aux agents présents à l'incident pour leur dire que « c'était plus gros que nous tous », en les avertissant qu'ils se feraient probablement enjoindre de soumettre d'autres rapports d'observation et qu'il était vraisemblable qu'on les interroge sur l'incident.

31 Plus tard lors de son quart de travail, M. Jalbert a décidé d'exporter le contenu de son fichier MS Word dans un second rapport d'observation qu'il a soumis alors. Il a aussi soumis la première moitié d'un Rapport sur le recours à la force (Pièce E-2).

32 M. Jalbert a admis qu'il n'avait pas respecté deux protocoles pendant son quart de minuit, d'abord en négligeant de faire un enregistrement magnétoscopique de la situation à partir de l'escorte du détenu A de l'unité d'isolement, puis en oubliant d'offrir aux agents présents lors de l'incident la possibilité de faire un rapport de stress à la suite d'un incident critique. L'employeur l'a plus tard réprimandé verbalement et par écrit pour ces deux erreurs.

33 Quand on lui a demandé s'il pourrait travailler avec le fonctionnaire s'estimant lésé dans l'avenir, M. Jalbert a dit qu'il ne serait vraiment pas à l'aise. En niant l'incident, le fonctionnaire s'estimant lésé avait démontré qu'il n'était pas honnête et qu'il refusait d'accepter sa responsabilité. M. Jalbert a dit qu'il ne pourrait pas lui faire confiance et qu'il se sentirait obligé de le surveiller tout le temps. Si le fonctionnaire s'estimant lésé était prêt à frapper un détenu en sa présence, de quoi serait-il capable en son absence?

34 En contre-interrogatoire, M. Jalbert a confirmé que la partie du rapport d'enquête résumant son entrevue était « pas mal » conforme aux faits (Pièce E-2). Il a aussi confirmé que les déclarations qu'il avait faites dans ses deux rapports d'observation et dans son Rapport sur le recours à la force (les trois figurent dans la Pièce E-2) reflétaient fidèlement les faits.

35 Quand il s'est fait redemander ce qui s'était passé après que la tête du détenu A fut retombée vers l'avant à la suite du coup qui lui aurait été porté, M. Jalbert a témoigné que le détenu A était momentanément resté tranquille, puis avait recommencé à parler. Durant ce « silence de mort », M. Jalbert avait regardé d'abord à gauche, puis à droite : il avait vu les agents Cox, Charlton et MacKay le regarder. Leur réaction de choc lui a fait comprendre qu'ils savaient que quelque chose s'était passé. Il ne se rappelle pas avoir vu l'infirmier Williams.

36 Le représentant du fonctionnaire s'estimant lésé (ci-après appelé « le fonctionnaire s'estimant lésé ») a demandé à M. Jalbert de dessiner un diagramme de la salle de traitement, en indiquant la position des témoins au moment de l'incident (Pièce G-2). Ensuite, il a passé en revue les moments cruciaux de l'incident avec M. Jalbert. Lorsque le détenu A a réagi à l'approche de l'infirmier Williams avec sa petite serviette, le témoin a confirmé que le fonctionnaire s'estimant lésé, l'agent MacKay et lui-même l'avaient contenu en le plaçant dans le fauteuil de traitement. M. Jalbert avait posé sa main sur la poitrine du détenu; le fonctionnaire s'estimant lésé était à cheval sur la jambe droite du détenu, avec la main sur sa figure lui poussant la tête en arrière; l'agent MacKay tenait le détenu par le bras gauche. M. Jalbert a aussi confirmé que le fonctionnaire s'estimant lésé avait retiré sa main de la figure du détenu A la deuxième fois qu'il le lui a demandé. Le détenu a baissé la tête et il est devenu plus calme. À ce moment-là, le témoin était assez près du détenu A pour pouvoir le toucher en allongeant le bras; il le regardait en plein visage. Les agents Cox et Charlton étaient de six à huit pieds derrière lui. Le détenu A a traité le fonctionnaire s'estimant lésé d'imbécile. Quelques secondes après, M. Jalbert a entendu l'impact d'un coup. Il a continué à regarder le visage du détenu A quand sa tête est retombée vers l'avant après le coup. Quand il s'est fait demander comment il avait pu ne pas voir la tape ou le coup, M. Jalbert a répondu qu'il avait vu le geste avec sa vision périphérique et que « ça s'était passé si vite ».

37 Le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à M. Jalbert pourquoi il n'avait pas mentionné certains points dans son Rapport sur le recours à la force, par exemple le fait qu'on avait déjà usé de la force pour mettre au détenu les menottes dans le dos. Le témoin a répondu qu'il aurait peut-être dû le faire. Il ne pouvait pas se rappeler s'il avait lu les rapports d'observation des autres agents quand il avait rédigé le rapport sur l'usage de la force, mais il a concédé qu'il avait dû le faire. Il a toutefois déclaré que c'est son propre rapport d'observation qui l'avait amené à rédiger son Rapport sur le recours à la force, et non ceux des autres témoins.

38 Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi demandé à M. Jalbert ce qu'il voulait dire quand il avait déclaré espérer régler la situation « par lui-même ». M. Jalbert a répondu qu'il croyait que le fonctionnaire s'estimant lésé lui aurait offert une explication qui lui aurait donné « quelque chose dont il pourrait se servir ». Il s'était retrouvé dans une « situation » difficile parce qu'une agression avait eu lieu devant lui. Il était tenu de faire quelque chose pour y remédier. Sur la question de ce qu'il avait dit aux employés - de garder leurs rapports d'observation au minimum -, M. Jalbert a admis qu'il avait probablement eu tort de leur donner cette instruction. Il n'avait pas dit aux autres agents de ne pas parler de l'agression, simplement de ne pas mentionner le fonctionnaire s'estimant lésé tant qu'il n'aurait pas eu la possibilité d'en apprendre davantage de lui. M. Jalbert a déclaré qu'il tentait d'aider le fonctionnaire s'estimant lésé, en s'efforçant de régler la situation entre eux. Il n'avait pas l'intention de « pendre » le fonctionnaire s'estimant lésé et ne voulait pas entraîner d'autres employés dans le problème.

39 M. Jalbert a confirmé qu'on a des échanges sur les rapports d'observation aux réunions de la direction du matin, à moins qu'il ne soit précisé que leur contenu est protégé. Il a admis que si l'agent MacKay, par exemple, avait rédigé qu'il avait vu le fonctionnaire s'estimant lésé gifler le détenu A, la communication de cette information aurait pu rendre le travail du fonctionnaire s'estimant lésé plus difficile. À la question de savoir s'il aurait pu s'assurer que les rapports seraient traités de façon à éviter la divulgation de leur contenu, M. Jalbert a répondu qu'il savait que la chose finirait probablement par se savoir.

40 M. Jalbert a déclaré avoir dit aux enquêteurs que le fonctionnaire s'estimant lésé et M. Williams étaient des amis sur la foi de la conversation qu'ils avaient eue après l'incident au sujet de la partie de golf qu'ils voulaient jouer ensemble.

41 L'agent Cox est CX-1; il travaille au Pénitencier de Kingston depuis six ans. Il est actuellement affecté à l'unité d'isolement et fait aussi partie de l'équipe d'intervention en cas d'urgence du Pénitencier.

42 Le 28 septembre 2005, l'agent Cox avait fait sa première ronde dans l'unité d'isolement à 23 h, en comptant les détenus; il n'avait constaté aucun problème. À peu près cinq minutes plus tard, il avait vu sur son écran de surveillance que le détenu A lançait du liquide foncé sur la caméra dans sa cellule. Il s'est immédiatement rendu là : le détenu s'était coupé au bras gauche avec une lame de rasoir. Il a appris que le détenu A était fâché parce que, selon lui, on lui avait menti en lui faisant croire qu'il pourrait avoir des cigarettes et des livres. L'agent Cox a immédiatement téléphoné à M. Jalbert.

43 L'agent Cox s'est joint à M. Jalbert et à l'agent Charlton pour escorter le détenu A jusqu'à l'infirmerie du pénitencier. Quand ils sont arrivés dans la salle de traitement, le détenu A s'était un peu calmé, même s'il n'était pas dans son état normal et saignait encore. L'agent Cox ne jugeait pas son comportement menaçant à ce moment-là. Le détenu était debout près du fauteuil de traitement, devant la fenêtre, légèrement de côté par rapport au fauteuil. L'infirmier Williams tentait de traiter la coupure quand le détenu A a commencé à devenir plus belliqueux, à tressauter et à bouger de façon erratique en se tournant vers lui. Comme le détenu A aurait pu devenir dangereux pour l'infirmier à ce moment-là, les agents qui étaient de chaque côté de lui l'ont contenu et poussé dans le fauteuil de traitement. Un des agents avait une main sur le bras du détenu tandis que l'autre avait un genou sur ses hanches et une main sur sa figure. L'agent Cox, qui était alors à plusieurs pieds de là, n'était pas intervenu pour contenir le détenu A parce qu'il estimait que deux agents suffisaient pour le faire.

44 L'agent Cox n'avait rien perçu de menaçant dans le comportement du détenu A. L'infirmier Williams se penchait sur la coupure du détenu avec l'aide de l'agent MacKay, qui l'aidait en tenant le bras du détenu. Celui-ci semblait fâché; il a dit à peu près « pourquoi avez-vous fait ça? » Il y a eu un échange de mots entre le détenu et le fonctionnaire s'estimant lésé; les deux ont employé le mot « imbécile ». Pendant cet échange, le fonctionnaire s'estimant lésé a donné un coup de poing sur le côté droit de la figure du détenu. À ce moment-là, l'agent Cox était à huit ou dix pieds d'eux, appuyé sur le comptoir. Il pouvait clairement voir le détenu et se concentrait sur lui parce qu'il s'agissait d'un « incident sérieux » avec usage de la force et que le fonctionnaire s'estimant lésé et le détenu criaient.

45 Après le coup de poing, M. Jalbert, qui se trouvait directement devant le détenu A, est intervenu en s'interposant entre lui et le fonctionnaire s'estimant lésé, qui poursuivaient leur échange verbal. Le détenu A avait l'air paniqué, les yeux fous. Le fonctionnaire s'estimant lésé marchait en demi-cercle, et M. Jalbert l'a fait sortir de la pièce.

46 L'agent Cox avait l'impression que le détenu A avait peur, parce qu'il a demandé : « Vous autres, allez-vous me frapper maintenant? » M. Jalbert a calmé le détenu, en lui expliquant qu'on allait le transporter dans un hôpital de l'extérieur. Le détenu A a dit qu'il ne voulait pas aller à l'étage du dessus de l'infirmerie du pénitencier à son retour, parce que le fonctionnaire s'estimant lésé travaillait là et qu'il avait peur de lui. L'infirmier Williams a donné les premiers soins au détenu A pour sa coupure au bras; on lui a remis les menottes devant lui, puis on l'a emmené à l'urgence de l'Hôpital général de Kingston.

47 Selon l'agent Cox, la présence du fonctionnaire s'estimant lésé dans la salle de traitement n'avait servi qu'à faire escalader le problème. Au moment où ce dernier avait frappé le détenu, il n'y avait aucune raison d'user de la force.

48 L'agent Cox a témoigné que M. Jalbert avait donné des instructions aux agents présents sur les documents à produire après l'incident, en disant avoir l'intention de composer lui-même avec ce que le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait et en demandant aux agents de se contenter de décrire le comportement du détenu.

49 L'agent Cox a déclaré qu'il ne voudrait plus travailler avec le fonctionnaire s'estimant lésé faute de pouvoir lui faire confiance pour désamorcer un incident. Il a dit que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait absolument pas pensé aux conséquences de ses actions pour qui que ce soit d'autre dans la pièce. Il est important que les agents se fassent confiance, étant donné qu'ils doivent savoir que leurs collègues sont capables de faire face à une situation délicate avec tact et professionnalisme. L'agent Cox a vécu plusieurs situations où l'on avait usé de la force et où il a dû faire confiance à ses collègues en sachant qu'ils interviendraient. Il n'avait pas l'impression qu'il pourrait se fier au fonctionnaire s'estimant lésé. Le geste du fonctionnaire s'estimant lésé était insouciant et impulsif. Pourtant, le problème aurait pu être réglé s'il avait accepté la responsabilité de sa conduite sans qu'on doive impliquer d'autres personnes dans la situation, mais il ne l'a pas fait.

50 Dans son témoignage, l'agent Cox a dit qu'il ne voulait pas comparaître à l'audience, et qu'en le faisant, il allait être mal placé, mais que c'était la bonne chose à faire. Il a déclaré que personne ne veut se retrouver à témoigner contre un autre agent, car ça incite les autres à douter de l'intégrité et de la fiabilité de cet agent.

51 En contre-interrogatoire, l'agent Cox a reconfirmé où il se trouvait au moment de l'incident, en affirmant qu'il pouvait voir clairement le détenu durant toute la période pertinente. Il a précisé que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était écarté du détenu une fois que celui-ci avait cessé de se débattre dans le fauteuil de traitement, mais qu'il l'a vu alors donner un coup de poing au visage du détenu A. À ce moment-là, l'agent Charlton était près de l'agent Cox, quoiqu'un peu plus loin du détenu; M. Jalbert l'empêchait probablement de le voir. L'agent Cox ne se rappelle pas avoir entendu M. Jalbert dire au fonctionnaire s'estimant lésé d'enlever sa main et son genou du détenu.

52 L'agent Cox se rappelait s'être fait dire par M. Jalbert de ne mentionner que les actions du détenu dans son rapport d'observation. Il admet de s'être jamais fait dire auparavant d'exclure ce que les autres employés faisaient d'un rapport. Il se rappelait aussi avoir reçu de M. Jalbert un courriel l'informant qu'il allait vraisemblablement devoir parler à un enquêteur.

53 En réinterrogatoire, l'agent Cox a déclaré qu'il avait interprété ce courriel de M. Jalbert comme un ordre de dire tout ce qu'il avait vu. Il a confirmé avoir dit à l'enquêteur tout ce qu'il pouvait se rappeler sur l'incident.

54 D'après l'agent Cox, on se fait injurier tous les jours par les détenus. Les agents de correction n'ont pas à accepter d'être injuriés, mais ils doivent tolérer qu'on leur dise des injures. Ils doivent composer avec cela soit en disant au détenu que son comportement est inacceptable, soit en portant une accusation institutionnelle contre lui.

55 L'agent Charlton travaille depuis près de quatre ans comme CX-1. Cette nuit-là, elle était « en réserve » pour le quart de minuit. M. Jalbert lui a demandé de l'aider à escorter un détenu qui s'était coupé au bras de sa cellule à l'unité d'isolement jusqu'à l'infirmerie. Durant le trajet sous escorte, le détenu était « correct ».

56 Au moment de l'incident, le détenu A était dans le fauteuil de traitement et l'infirmier lui donnait les premiers soins. Le fonctionnaire s'estimant lésé et l'agent MacKay étaient tous les deux près du détenu A de chaque côté de M. Jalbert, qui lui faisait face. L'agent Charlton était derrière M. Jalbert, parce qu'il n'y avait pas assez de place pour elle à côté du détenu A. Ce dernier s'est énervé quand il a cru que l'infirmier Williams allait lui appliquer une solution d'alcool sur le bras. L'infirmier l'a rassuré en lui disant que le liquide dont il se servait n'était pas de l'alcool à friction. À ce moment-là, le détenu n'était pas menaçant. Il a demandé « Pourquoi me faites-vous ça? » Le fonctionnaire s'estimant lésé a dit et répété au détenu de se tenir tranquille, en disant qu'il le fallait pour qu'on puisse l'emmener à l'étage du dessus de l'infirmerie. Le détenu A a dit qu'il voulait aller dans un hôpital de l'extérieur.

57 L'agent Charlton est convaincue que le détenu A a été perturbé par la présence du fonctionnaire s'estimant lésé. Personne n'avait besoin de dire au détenu de se tenir tranquille. Il n'était pas menaçant et ne faisait pas de grabuge. Il n'était pas nécessaire d'avoir recours à la force.

58 Au moment où le fonctionnaire s'estimant lésé aurait frappé le détenu A, l'agent Charlton ne pouvait pas voir ce dernier. Elle mesure un peu moins de cinq pieds six pouces, alors que les agents qui étaient devant elle sont des hommes gros et grands.

59 L'agent Charlton se rappelle avoir entendu M. Jalbert ordonner au fonctionnaire s'estimant lésé de sortir. L'ordre a dû être répété plusieurs fois; le fonctionnaire s'estimant lésé était agité et marchait de long en large. Après qu'il eut quitté la pièce, M. Jalbert a demandé à l'agent Charlton d'aller chercher les clés du véhicule d'escorte ainsi que de l'équipement de contention. Elle a conduit le véhicule d'escorte - une fourgonnette - jusqu'à l'entrée de l'infirmerie, puis transporté le détenu A et les agents qui l'escortaient à l'Hôpital général de Kingston. Ensuite, elle est revenue à la porte nord du Pénitencier, où elle a rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé qui était rentré de chez lui. Pendant qu'ils se rendaient à Keeper's Hall, le fonctionnaire s'estimant lésé lui a demandé si elle était fâchée contre lui.

60 Tout comme l'agent Cox, l'agent Charlton a déclaré qu'elle ne voulait pas témoigner à l'audience.

61 En contre-interrogatoire, l'agent Charlton a répété qu'elle était convaincue qu'il n'avait jamais été nécessaire d'avoir recours à la force pour contrôler le détenu A. Rien ne l'avait incitée à croire que le détenu A se comportait mal. Durant l'incident, elle ne pouvait pas voir sa figure puisque tout ce qu'elle voyait, c'était le dos de l'infirmier Williams et le bras du détenu auquel l'infirmier donnait les premiers soins, à sa propre droite et à celle de l'infirmier. L'agent Cox était juste à côté d'elle, mais ce n'est pas lui qu'elle regardait. Elle ne pouvait pas voir les mains du fonctionnaire s'estimant lésé.

62 L'agent Charlton se rappelait avoir entendu le détenu A dire : « Pourquoi me faites-vous ça? » juste avant de voir le fonctionnaire s'estimant lésé s'écarter de lui. Elle a quitté la salle de traitement à peu près au même moment que le fonctionnaire s'estimant lésé, pour aller chercher le véhicule d'escorte. Elle a confirmé que M. Jalbert avait demandé à plusieurs reprises au fonctionnaire s'estimant lésé de sortir de la pièce.

63 L'agent Charlton ne se souvenait pas d'avoir reçu d'instructions de M. Jalbert au sujet de son rapport d'observation. Elle se rappelait toutefois avoir reçu un courriel de lui à son retour au pénitencier, le lendemain soir, mais ne se souvient pas de son contenu.

64 L'agent MacKay en est à sa quatrième année de service comme CX-1 au Pénitencier de Kingston. Auparavant, il travaillait comme infirmier psychiatrique auxiliaire à l'Hôpital psychiatrique de Brockville. Il a confirmé qu'il comparaissait parce qu'il avait été assigné à témoigner.

65 L'agent MacKay a témoigné qu'il était descendu dans la salle de traitement du premier étage de l'infirmerie avec le fonctionnaire s'estimant lésé et l'infirmier Williams peu après réception d'un appel les informant de l'arrivée imminente du détenu A. Il avait enfilé des gants de protection pour se préparer à contrôler le détenu. À son arrivée, le détenu A était perturbé; il hurlait qu'il voulait un médecin, mais il était sous le contrôle des trois personnes qui l'escortaient, M. Jalbert et les agents Cox et Charlton. On l'a conduit jusqu'au fauteuil de traitement, où l'infirmier Williams a commencé à lui donner les premiers soins, puisqu'il s'était coupé au bras gauche. Le détenu A est devenu très énervé parce qu'il pensait qu'on allait appliquer de l'alcool à friction sur sa blessure; M. Williams a tenté de le calmer en lui expliquant qu'il allait se servir d'une autre solution pour nettoyer la plaie.

66 À ce moment-là, le fonctionnaire s'estimant lésé était d'un côté du détenu A et l'agent MacKay de l'autre, pour aider l'infirmier Williams à lui donner les premiers soins sur son bras gauche, puisque l'intéressé était menotté. M. Williams a parfois dû s'accroupir. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait une main sur la figure du détenu A. L'agent MacKay avait un bras sur l'épaule gauche du détenu A et le maintenait à distance. Le fonctionnaire s'estimant lésé et lui-même tentaient d'empêcher le détenu de cracher sur eux et sur l'infirmier. Quand on lui a demandé pourquoi le fonctionnaire s'estimant lésé et lui-même contenaient le détenu, étant donné que les trois agents qui l'avaient escorté étaient encore là, l'agent MacKay a répondu : « Je pense que nous avons simplement pris la relève. »

67 D'après l'agent MacKay, il y a eu un vif échange verbal entre le fonctionnaire s'estimant lésé et le détenu A, qui a dit être mécontent du personnel en déclarant qu'il voulait voir un médecin parce qu'il avait peur à cause des lames de rasoir qu'il avait avalées. Pendant cet échange, toujours d'après l'agent MacKay, le fonctionnaire s'estimant lésé avait « fait déraper davantage le détenu A ».

68 C'est à ce moment-là que l'agent MacKay a entendu un bruit rappelant le claquement d'un gant de latex. Le détenu A s'est momentanément calmé, puis a dérapé de plus belle. Il a dit quelque chose comme « Est-ce que c'est comme ça que ça se passe ici? » Au moment où l'agent MacKay a entendu le bruit en question, il avait les yeux fixés sur le bras du détenu A. C'est alors que M. Jalbert a demandé au fonctionnaire s'estimant lésé de sortir. À ce stade, le détenu A était vraiment hostile.

69 L'agent MacKay a entendu dire que l'infirmier Williams communiquait avec un médecin, puis qu'il avait été décidé de transporter le détenu A jusqu'à l'Hôpital général de Kingston pour y être traité et pour qu'on puisse le passer aux rayons x afin de déterminer s'il avait effectivement avalé des lames de rasoir. Le détenu A avait dit qu'il ne voulait pas aller au deuxième étage de l'infirmerie du Pénitencier.

70 Après que M. Jalbert eut demandé au fonctionnaire s'estimant lésé de sortir, celui-ci est parti. L'agent MacKay l'a ensuite revu pour la première fois lorsqu'il est revenu au deuxième étage de l'infirmerie en compagnie de M. Jalbert pour prendre des effets personnels. Le fonctionnaire s'estimant lésé était fâché que M. Jalbert le renvoie chez lui; il disait qu'il n'arrivait pas à croire ce qui se passait.

71 Quand il s'est fait demander pourquoi il n'avait pas parlé dans son rapport d'observation du fonctionnaire s'estimant lésé ni du bruit qu'il avait entendu (Pièce E-2), l'agent MacKay a répondu qu'il ne savait pas vraiment pourquoi et qu'il aurait probablement dû mentionner ces éléments. Il a admis qu'il essayait d'aider le fonctionnaire s'estimant lésé au cas où quelque chose se serait passé.

72 L'agent MacKay a dit qu'il aurait des réserves à l'idée de travailler encore avec le fonctionnaire s'estimant lésé parce que « […] quelque chose pourrait arriver dans l'avenir ». Le fonctionnaire s'estimant lésé pourrait avoir de la difficulté à composer encore avec une situation. Sa présence durant l'incident avait semblé exacerber le comportement erratique du détenu A et n'avait pas contribué à régler le problème.

73 En contre-interrogatoire, l'agent MacKay a déclaré que M. Jalbert lui avait dit de rédiger son rapport d'observation « comme je le pensais », en disant qu'il ne se rappelait pas qu'on lui ait demandé de le garder au minimum. Il a confirmé qu'il n'avait pas vu le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A.

74 L'infirmier Williams, qui a été appelé à témoigner par le fonctionnaire s'estimant lésé, travaille actuellement à l'unité des services de santé de l'Établissement Millhaven, après avoir servi à l'hôpital régional du Pénitencier de Kingston de mai 2004 à janvier 2006. Avant d'être affecté au Pénitencier de Kingston, M. Williams avait occupé d'autres postes dans les services d'infirmerie et de soins de santé au SCC, dans le secteur privé et dans les Forces armées canadiennes.

75 M. Williams a déclaré que son quart avait commencé normalement le 28 septembre 2005. Vers 23 h, il a reçu un appel téléphonique de M. Jalbert l'informant que le détenu A s'était entaillé le bras, avait avalé des lames de rasoir et allait arriver sous escorte à la salle de traitement. Le fonctionnaire s'estimant lésé et l'agent MacKay ont accompagné M. Williams au premier étage de l'infirmerie pour se préparer à l'arrivée du détenu A, en laissant un infirmier auxiliaire en service au deuxième étage de l'infirmerie. Le témoin a préparé des plateaux pour nettoyer les blessures du détenu A et pour en évaluer la gravité. Le détenu était extrêmement agité quand M. Williams l'a vu arriver dans le corridor en compagnie des trois agents qui l'escortaient. Il avait les mains menottées dans le dos; sa chemise de sécurité et ses chaussures de douche étaient ensanglantées. Selon le témoin, il criait des obscénités et ne venait pas à l'infirmerie de son plein gré, mais résistait à son escorte.

76 Une fois arrivé dans la salle de traitement, le détenu A a été adossé debout au fauteuil de traitement. M. Williams a déclaré avoir alors commencé à nettoyer son bras gauche blessé. Le sang coulait abondamment de la coupure. Quand M. Williams s'est approché de lui avec un tampon de gaze, le détenu s'est écrié : « Est-ce que c'est de l'alcool à friction? », en s'avançant vers lui. L'agent MacKay et le fonctionnaire s'estimant lésé ont contenu le détenu en le poussant dans le fauteuil de traitement, puis en le maintenant là. Le fonctionnaire s'estimant lésé a mis une main sur la bouche du détenu A pour l'empêcher de cracher. M. Williams a déclaré qu'il n'avait aucune raison de douter que le détenu A allait cracher à ce moment-là, et le fait est qu'il avait du sang dans la bouche. L'infirmier a témoigné qu'il avait continué à s'efforcer de déterminer la gravité de la blessure et de contrôler le saignement. Le détenu A criait des obscénités au personnel et continuait d'être verbalement agressif. Par exemple, il a dit : « Est-ce que c'est comme ça que ça se passe ici? »

77 M. Williams a conclu qu'il allait falloir des points de suture pour fermer la plaie. Il l'a pansée puis est parti appeler le médecin au poste des infirmiers. Pendant qu'il était là, il ne pouvait être ni vu, ni entendu de la salle de traitement. Il a plus tard témoigné avoir été sorti de 15 à 20 minutes, en déclarant aussi qu'il avait peut-être quitté la salle une ou plusieurs autres fois pendant que le détenu A s'y trouvait.

78 M. Williams s'est fait dire par le médecin que le détenu A devrait être conduit en ville pour qu'on puisse évaluer son état et le soigner. Quand il est revenu dans la salle de traitement, M. Jalbert et le fonctionnaire s'estimant lésé étaient partis; les autres agents restés là ôtaient les menottes au détenu A. Le témoin a dit qu'il avait nettoyé le détenu pour que celui-ci puisse revêtir une combinaison propre. Ensuite, on a remis les menottes au détenu A, mais devant lui cette fois.

79 M. Williams a décrit les problèmes potentiels qu'on associe aux crachats des détenus étant donné que près des deux tiers de la population carcérale est séropositive et porteuse du virus de l'hépatite C. Il a témoigné qu'aucun des agents présents dans la salle de traitement ne portait de protection pour les yeux sauf le fonctionnaire s'estimant lésé, qui portait peut-être des lunettes. Certains portaient des gants de protection « Frisk Master » sous des gants de latex.

80 M. Williams a déclaré n'avoir jamais vu le détenu A être maltraité par les agents présents, y compris par le fonctionnaire s'estimant lésé. Quand on lui a demandé s'il était possible que le fonctionnaire s'estimant lésé ait frappé le détenu A sans qu'il le sache, M. Williams a répliqué qu'il aurait ressenti l'impact de n'importe quel coup comme celui-là étant donné qu'il touchait le bras du détenu A à ce moment-là. Il a maintenu que le poing du fonctionnaire s'estimant lésé serait passé à côté de sa tête et qu'il aurait senti le mouvement. En outre, le détenu A aurait été poussé plus profondément dans le fauteuil de traitement par n'importe quel coup solide, mais rien de tout cela n'est arrivé.

81 Le témoin a déclaré qu'il ne craindrait pas de travailler encore avec le fonctionnaire s'estimant lésé. D'après lui, c'est un bon agent, qui calmait souvent les détenus de façon que les médecins puissent les soigner et qui avait fait la preuve de son souci d'assurer la sécurité du personnel infirmier dans ses interactions avec les délinquants.

82 En contre-interrogatoire, le témoin a confirmé qu'il avait été raisonnablement occupé durant toute la période qu'il avait passée dans la salle de traitement et qu'il ne portait pas attention aux conversations entre les agents ni à quoi que ce soit d'autre pendant ce temps-là. Il a aussi admis avoir dit aux enquêteurs qu'il se trouvait la plupart du temps plus bas que tous les autres et qu'il ne pouvait pas bien voir. Il ne pouvait pas se rappeler s'il avait demandé aux agents présents de lui « faire de la place ». Il a confirmé que, même s'il aurait pu être dangereux que le détenu A crache, il n'avait mis ni un protecteur facial, ni des lunettes de sécurité, qu'il aurait pu prendre dans la salle de traitement, et qu'il n'avait pas non plus proposé aux agents présents d'en mettre. Il a aussi témoigné avoir joué au golf avec le fonctionnaire s'estimant lésé et avoir eu plusieurs conversations avec lui depuis sa suspension. M. Williams a clairement déclaré ne pas souscrire à la décision de l'employeur de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé.

83 Le fonctionnaire s'estimant lésé a commencé son témoignage avec un historique détaillé de sa carrière d'agent de correction, commencée en mai 1987 à l'Établissement Joyceville, ainsi que de la grave maladie qu'il a contractée en février 1999 et qui l'a empêché de travailler pendant plus de deux ans et demi (il touchait des prestations d'assurance-invalidité). Le fonctionnaire s'estimant lésé s'est retrouvé avec une vision réduite puisqu'il ne peut voir qu'avec son oil droit, à l'aide d'une lentille spéciale. Il n'a pas de glandes lacrymales et doit continuellement humecter ses yeux. En outre, sa mobilité n'est pas plus ce qu'elle était.

84 Quand son employeur l'a informé qu'il devait retourner au travail, le fonctionnaire s'estimant lésé a consulté le Dr Jeffrey Chernin (le médecin du SCC) qui a approuvé son retour au travail avec des restrictions, en recommandant qu'il soit affecté au collège d'état-major ou dans un autre service ailleurs où il n'aurait pas de contacts avec des détenus. Le fonctionnaire s'estimant lésé a parlé de ses options avec Mike Ryan, qui était directeur du pénitencier par intérim à l'époque, avant d'arriver à une entente voulant que, pour commencer, il soit affecté pour le quart de nuit à l'hôpital régional. Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné qu'il ne s'était pas fait dire que ses fonctions seraient modifiées ou qu'il n'aurait pas à contrôler les détenus qu'on emmènerait à l'hôpital. Il a déclaré que l'employeur ne lui avait pas donné d'instructions sur ce qu'il devrait faire en cas d'incident et qu'il ne lui avait pas non plus offert de formation spéciale. Il pensait que sa description de poste restait la même qu'avant son absence. D'après lui, son problème d'adaptation était lié au nombre de détenus avec lesquels il aurait des contacts et aux endroits où ces contacts auraient lieu. Il croyait que l'hôpital serait « un endroit relativement sans danger ».

85 Le fonctionnaire s'estimant lésé a raconté sa version des événements. Vers 23 h, il avait appris par M. Williams que le détenu A allait venir à la salle de traitement parce qu'il s'était entaillé le bras. Le fonctionnaire s'estimant lésé était à la barrière principale quand le détenu A est entré dans la salle escorté par M. Jalbert et par les agents Cox et Charlton. D'après lui, le détenu A était bruyant, sa chemise de sécurité était couverte de sang et du sang coulait de son bras. Il répétait constamment qu'il avait avalé des lames de rasoir et qu'il lui fallait voir un médecin. Le fonctionnaire s'estimant lésé lui a dit qu'il devait se calmer et cesser de s'agiter avant qu'on puisse lui laisser voir l'infirmier.

86 Quand le détenu A s'est calmé, l'agent MacKay l'a laissé entrer; avec le fonctionnaire s'estimant lésé, il l'a escorté jusqu'à l'endroit où l'on allait lui donner les premiers soins. Le détenu a continué d'être verbalement agressif; en outre, ses mouvements n'étaient pas assurés. D'après le fonctionnaire s'estimant lésé, il n'était « peut-être » pas en contrôle de lui-même. Le fonctionnaire s'estimant lésé a continué à lui dire de se détendre et de se calmer. Quand l'infirmier Williams s'est approché du détenu, celui-ci était debout avec le fonctionnaire s'estimant lésé à sa droite et l'agent MacKay à sa gauche. L'agent Charlton était à l'arrière, près de la porte d'entrée. L'agent Cox était à droite, appuyé sur l'unité de coin, et M. Jalbert était environ deux pieds en avant de lui.

87 M. Williams est parti chercher quelque chose. Quand il est revenu, le détenu A lui a demandé ce qu'il avait, « […] a sauté du fauteuil et s'est élancé vers Williams ». Le fonctionnaire s'estimant lésé a allongé le bras pour rasseoir le détenu A dans le fauteuil de traitement, en l'agrippant par l'épaule gauche et en levant son genou droit de façon à le mettre sur les jambes du détenu pour mieux le contrôler. Il a mis sa main sur la figure du détenu A en appliquant de la pression pour qu'il ne puisse pas bouger la tête, cracher ni mordre. Le détenu A essayait encore de parler; le fonctionnaire s'estimant lésé lui a répété de se détendre et de ne pas s'agiter. Il a déclaré avoir entendu d'autres bruits, mais il ne sait pas ce que les autres personnes présentes disaient.

88 À ce moment-là, le fonctionnaire s'estimant lésé a bel et bien entendu quelqu'un - possiblement M. Jalbert - lui dire « Ken, tu lui serres la figure trop fort. » Le détenu A « résistait » encore au fonctionnaire s'estimant lésé, qui a donc laissé sa main où elle était. Quand le détenu est devenu plus docile, il a lentement baissé sa main vers le menton du détenu, mais celui-ci a bougé la tête. Le fonctionnaire s'estimant lésé a rapidement réagi en remontant sa main sur la figure du détenu pour le guider et l'a laissée là parce que ce dernier résistait. Une fois que le détenu s'est calmé, le fonctionnaire s'estimant lésé a retiré son genou et sa main et il a reculé. D'après lui, « c'était terminé ». Il a déclaré qu'il n'avait pas frappé le détenu.

89 Le fonctionnaire s'estimant lésé a fait une démonstration des mouvements de sa main avec l'aide d'un volontaire. Il a décrit ses actions de la façon suivante :

[Traduction]

Ce que j'ai fait, c'est lever la main en réagissant rapidement. Peut-être pourriez-vous penser que c'était une tape. Le détenu croirait probablement que c'était une tape[…]. Tout dépend de ce qu'on voit ou de ce qu'on entend. Certains pourraient penser que c'était une tape, moi pas.

90 Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné qu'il avait déplacé sa main parce qu'il croyait que le détenu A risquait de cracher, de mordre, voire de donner un coup de tête. À son avis, le détenu A ne coopérait pas et n'était pas sous contrôle; on savait qu'il pouvait se montrer violent. Le fonctionnaire s'estimant lésé ne voulait prendre aucune chance. Il a déclaré qu'il n'avait pas provoqué le détenu, mais plutôt tenté de lui dire qu'il devait se détendre et coopérer. Quand il s'est fait demander si M. Jalbert lui avait enjoint de laisser les agents qui escortaient le détenu ou d'autres personnes prendre la situation en main, il a répondu par la négative.

91 Le fonctionnaire s'estimant lésé a décrit comme il suit la conversation qu'il a eue lors de sa rencontre suivante avec M. Jalbert dans un bureau situé près de la salle de traitement :

[Traduction]

Je suis allé voir Jalbert et je lui ai demandé si je pourrais rentrer chez moi pour me changer. Il m'a dit : « Oui, Kenny, pas de problème, mais, Kenny, tu m'a mis dans une situation compromettante ». Je lui ai demandé ce qu'il voulait dire. Jalbert m'a répondu que j'avais usé d'une force excessive. Je lui ai demandé ce que ça signifiait. Il m'a dit : « Tu l'as frappé ». Je lui ai répondu que je ne l'avais pas frappé […] Ça s'est poursuivi pendant cinq ou dix minutes, au point où on s'engueulait. Ils pouvaient nous entendre […]

92 En réfléchissant à cet incident, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il n'avait rien fait de mal et qu'il n'aurait rien changé parce qu'il faisait son travail : « Je referais la même chose […] J'étais là pour les autres agents, pour les infirmiers et pour le détenu. » Il a maintenu mordicus qu'il n'avait pas agressé le détenu et qu'il n'avait pas usé d'une force excessive :

[Traduction]

Je n'avais aucune intention de faire du mal au détenu. C'était quelqu'un de très hostile, d'indiscipliné, qui faisait du grabuge. Le sang nous renversait. C'était quelque chose à voir.

93 Le contre-interrogatoire du fonctionnaire s'estimant lésé a commencé par un examen de ses discussions avec les représentants de l'employeur au sujet de son retour au travail et du genre d'adaptations dont il avait besoin pour une affectation. Le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu que la recommandation du Dr Chernin signifiait qu'il ne devait pas avoir de contacts avec des détenus ni être dans une situation où il risquait d'être blessé (Pièce E-13). Toutefois, il ne se rappelait pas si l'on avait parlé du principe d'éviter les risques dans les discussions qui avaient précédé son retour au travail, en déclarant que personne ne s'était assis avec lui pour lui parler des conditions qui s'appliqueraient dans son travail à l'hôpital régional ou ailleurs. Il a admis qu'on voulait lui trouver un poste qui respecterait les limites exprimées dans la note du médecin et qu'il ne pourrait pas retourner dans le poste qu'il occupait auparavant. Il ne se rappelait d'aucune rencontre de suivi pour parler de sa progression après avoir commencé à occuper un poste à l'hôpital régional et ne se rappelait pas non plus avoir vu le rapport d'étape suivant du Dr Chernin, en date du 3 mars 2003 (Pièce E-17). Il a déclaré croire que l'entrevue du 3 février 2003 mentionnée dans ce rapport n'avait jamais eu lieu.

94 Ensuite, le contre-interrogatoire a porté sur la consigne applicable au poste du fonctionnaire s'estimant lésé (Pièce E-15). L'intéressé ne souscrivait pas à l'idée que cette consigne ne l'obligeait pas à contenir ou à maîtriser un détenu qu'on amenait à l'infirmerie pour y être soigné, mais qui ne coopérait pas. Il a déclaré qu'il n'avait pas de description de poste particulière et que la consigne « ne changeait rien à [sa] tâche ». Si un détenu venait à l'infirmerie sous escorte, les agents qui travaillaient là faisaient le nécessaire. Selon le fonctionnaire s'estimant lésé, la consigne ne précisait pas qu'il ne devait avoir aucun contact avec les détenus qu'on soignait.

95 Au sujet du témoignage (résumé ci-dessous) de la directrice du Pénitencier de Kingston, Donna Morrin, qui a déclaré qu'il avait été averti deux fois de ne pas intervenir dans des situations impliquant des détenus et de laisser les agents qui escortaient les détenus se charger d'eux (Pièce E-18), le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que ces incidents ne s'étaient jamais produits. Il a dit n'avoir jamais vu la Pièce E-18 jusque-là, que personne ne lui avait parlé des incidents mentionnés dans la pièce et qu'aucun gardien ne lui avait dit qu'il ne pouvait pas faire ça.

96 Le fonctionnaire s'estimant lésé a reconnu qu'il avait lu et signé les notes sommaires que les enquêteurs avaient prises en l'interrogeant pour confirmer leur validité (Pièce E-3). Il a témoigné qu'il avait répondu aux questions de l'enquêteur franchement, au meilleur de sa connaissance. Quand il s'est fait demander s'il admettait qu'il n'y a que deux mentions dans ces notes que le détenu A ait été agressif, il a admis qu'il n'y avait vu aucune autre mention en ce sens. Rien dans les notes ne précise que le détenu aurait pu donner un coup de tête à quelqu'un, parce qu'il n'avait pas mentionné cela aux enquêteurs. D'après lui, le fait qu'on peut lire dans ces notes qu'il avait « frappé le menton » du détenu A signifiait qu'il s'était « probablement mal exprimé ». Il a répété qu'il avait « […] rapidement repoussé sa figure vers le haut avec sa main ouverte ».

97 Le représentant de l'employeur (ci-après appelé « l'employeur ») a demandé si M. Jalbert et lui criaient dans le poste des infirmiers. Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'ils « échangeaient de l'information ». Quand on lui a demandé si le ton avait monté dans sa conversation avec M. Jalbert, il a commencé par répondre : « Je n'en ai aucune idée », puis a dit : « Absolument pas ». Quand on lui a demandé si les agents Cox, Charlton et McKay étaient tous dans l'erreur lorsqu'ils avaient témoigné qu'il avait fait escalader le problème, le fonctionnaire s'estimant lésé a répondu qu'il ne pouvait pas parler pour eux, qu'il ne connaissait pas la réponse à la question et que les trois agents ne l'avaient pas dit à l'époque, mais qu'ils auraient dû le préciser dans leurs rapports d'observation. Il a aussi maintenu que l'agent Charlton n'avait pas dit ce qui s'était passé vraiment quand elle avait déclaré qu'il lui avait demandé si elle était fâchée contre lui lorsqu'ils s'étaient rencontrés après son retour au pénitencier.

98 Le fonctionnaire s'estimant lésé a confirmé qu'il avait communiqué par courriel avec le sous-directeur du Pénitencier de Kingston, Gerald Henderson, quand il a appris par la suite que le détenu A était illégalement en liberté. Il a admis qu'il craignait à l'époque que le détenu A ait une dent contre lui en particulier « […] parmi tous les 250 agents de correction du PK ».

99 À la fin de son contre-interrogatoire, l'employeur a dit au fonctionnaire s'estimant lésé que l'agent Cox avait catégoriquement déclaré dans son témoignage qu'il avait frappé le détenu A au visage; quand l'employeur lui a demandé si l'agent Cox avait menti, le fonctionnaire s'estimant lésé a dit : « Je ne peux pas répondre à cette question. »

100 En réinterrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné qu'il avait eu des contacts avec des détenus avant septembre 2005 et qu'il n'avait pas été averti d'éviter de tels contacts. Sur la question de sa réaction quand il avait appris que le détenu A était illégalement en liberté, il a déclaré avoir envoyé un courriel au sous-directeur parce qu'il n'y avait eu aucune communication du Pénitencier et que les agents devaient être informés de l'évasion d'un détenu s'ils avaient été mêlés à un incident ou un affrontement avec lui. Il a admis que réagir aux incidents fait partie intégrante des fonctions des agents de correction, que ce soit précisé ou non dans la consigne de poste.

101 Depuis mars 2006, Gary Goodberry est superviseur de la détention au Centre de surveillance de l'immigration de Kingston, à l'Établissement Millhaven. Au moment où les événements qui ont abouti au grief se sont déroulés, il était agent de projet à la Division de la sécurité de l'administration centrale régionale du SCC à Kingston. De concert avec la présidente du comité d'enquête, Michel Bridgen, il s'est fait confier la responsabilité d'analyser les circonstances entourant l'allégation qu'un détenu avait été agressé vers le 28 septembre 2005 et de faire rapport de ses constatations à la directrice du Pénitencier.

102 C'est par l'intermédiaire de M. Goodberry que l'employeur a déposé le rapport d'enquête (Pièce E-2) et les documents du SCC suivants, puisque le comité d'enquête avait notamment pour mandat de s'assurer que le fonctionnaire s'estimant lésé s'y était conformé : les Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada (Pièce E-4); le Code de discipline du SCC(Pièce E-5); la Directive du commissaire 001 - Mission du Service correctionnel du Canada (Pièce E-6); la Directive du commissaire 567 - Gestion des incidents de sécurité (Pièce E-7); la Directive du commissaire 567-1 - Recours à la force (Pièce E-8); et la Directive du commissaire 568 -1 - Consignation et signalement des incidents de sécurité (Pièce E-9). Bien qu'il ne se soit pas opposé au dépôt du rapport d'enquête comme pièce (Pièce E-2), le fonctionnaire s'estimant lésé a tenu à préciser, pour qu'on en prenne note, qu'une grande partie du contenu de ce rapport était du ouï-dire.

103 M. Goodberry a expliqué la procédure du comité d'enquête. Les 3 et 4 octobre 2005, avec Mme Bridgen, il a interrogé individuellement les six témoins énumérés à l'Annexe B de la Pièce E-2. Ensemble, sa collègue et lui-même ont posé aux intéressés une série de questions établies à l'avance, en ajoutant des questions spontanées pour certains d'entre eux. Elle et lui prenaient habituellement des notes au cours des entrevues. Les déclarations des personnes interrogées ont été intégrées dans leur rapport. Seul le fonctionnaire s'estimant lésé a signé les notes de son entrevue (Pièce E-3). Le comité d'enquête avait informé toutes les personnes avec lesquelles il avait communiqué de leur droit d'être accompagnées d'un représentant; le fonctionnaire s'estimant lésé s'est prévalu de ce droit.

104 L'employeur a demandé à M. Goodberry de résumer ses impressions du degré de coopération de chacune des personnes interrogées. Le témoin a déclaré que le fonctionnaire s'estimant lésé avait commencé par avoir de la réticence à répondre aux questions sur l'agression alléguée, étant donné qu'il craignait qu'on ne fasse une enquête policière susceptible de déboucher sur des accusations au criminel. Le comité d'enquête a donc dû lui dire que ses conditions d'emploi l'obligeaient à participer à l'enquête. Le fonctionnaire s'estimant lésé a continué à ne pas vouloir répondre aux questions, mais, après une pause au cours de laquelle il a consulté son représentant, il a fini par accepter de le faire. Il a admis avoir eu recours à la force à l'endroit du détenu A, d'abord pour le contenir, puis pour l'empêcher de cracher sur les agents de correction et sur l'infirmier. Il a nié avoir frappé le détenu. M. Goodberry a conclu qu'il avait menti.

105 Cela dit, M. Goodberry a aussi conclu que Carl Jalbert restait encore très perturbé par l'incident quand il a été interrogé. Il semblait secoué et nerveux. Linda Charlton semblait perturbée aussi. Elle se sentait impliquée dans quelque chose qui « était incompatible avec sa personnalité » et ne voulait pas participer à l'enquête, mais elle a quand même coopéré. L'agent Cox coopérait; il a répondu franchement aux questions. L'infirmier, M. Williams, a répondu aux questions du comité, quoiqu'avec réticence, peut-être (selon M. Goodberry) parce qu'il tentait d'aider le fonctionnaire s'estimant lésé, qui était un ami. M. Goodberry a conclu que le détenu A avait donné une version des événements compatible avec les déclarations de plusieurs des autres agents.

106 Le comité d'enquête a conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait frappé le détenu A. L'agent Cox l'avait clairement vu. M. Jalbert avait vu la tête du détenu être rejetée vers l'arrière et constaté qu'il avait les yeux pleins d'eau. Les agents Charlton et MacKay avaient déclaré comme les autres que le silence s'était alors fait dans la pièce, même si ni l'une, ni l'autre n'avaient vu le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A au visage. Dans ses conclusions (Pièce E-2, p. 54 à 57), le comité d'enquête a déclaré [traduction] « le CX-2 Roberts a frappé (le détenu A) sur la joue droite/le menton/la mâchoire, en lui assénant avec un mouvement court un coup de poing rapide pendant que (le détenu A) était maintenu ». À ce moment-là, le détenu A avait une blessure au bras qui saignait et les mains menottées dans le dos.

107 D'après M. Goodberry, le fonctionnaire s'estimant lésé avait usé d'une force excessive et injustifiée dans le contexte de la Directive du commissaire 567 (Pièce E-7), qui stipule que, lorsqu'un détenu est « physiquement non coopératif », la procédure appropriée consiste à parler avec lui, à se servir de matériel de contrainte ainsi qu'à lui donner des ordres de vive voix ou à le contenir physiquement, ce qui ne comprend habituellement pas qu'on le frappe, quoique cela dépende de la situation. L'agent de correction doit se servir de son jugement pour choisir la méthode appropriée. Compte tenu des faits qu'on lui avait expliqués, M. Goodberry était d'avis que contenir physiquement le détenu A était la bonne méthode à employer pour l'empêcher de blesser quelqu'un d'autre ou d'aller où il n'aurait pas dû, de façon à éviter que la situation s'aggrave. Le fonctionnaire s'estimant lésé est allé au-delà d'une contrainte physique normale. Dans ce contexte, frapper le détenu était user d'une force excessive. La règle veut que « la douleur dirige ». Si le détenu bouge dans la direction voulue ou ne peut plus bouger, il n'est pas nécessaire d'avoir recours à plus de force. Or, le détenu A était assis dans le fauteuil de traitement et ne pouvait pas reculer.

108 Les enquêteurs ont aussi conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé avait commis d'autres infractions (Pièce E-2). Il avait refusé d'obtempérer à l'ordre direct de produire un rapport d'observation et refusé aussi d'obéir à l'ordre direct de quitter la propriété du Pénitencier de Kingston. Il n'avait pas produit de rapport d'observation aussitôt que possible après l'incident et avant de quitter l'établissement, contrevenant ainsi au Code de discipline (Pièce E-5) et aux Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada (Pièce E-4). Il n'était pas en uniforme au cours de l'incident, mais il a délibérément tenté d'induire les enquêteurs en erreur en déclarant le contraire. Dans ses paroles ou dans ses actes, il avait insulté M. Jalbert.

109 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à M. Goodberry si le passage [traduction] « […] [le] délinquant déclare qu'il n'a pas été blessé par suite du recours à la force […] » du Rapport sur le recours à la force produit par un infirmier (Pièce E-2) avait suscité des questions. M. Goodberry a répondu que non, mais admis qu'il n'avait pas interrogé l'infirmier Healey, qu'il n'avait aucune idée si ce dernier avait prodigué des soins au détenu A et reconnu qu'il ne pouvait pas dire comment M. Healey était arrivé à cette déclaration.

110 Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi demandé à M. Goodberry d'expliquer les mentions dans le rapport d'enquête voulant que l'agent Cox et M. Jalbert aient été des [traduction] « agents exemplaires », tandis que le fonctionnaire s'estimant lésé était [traduction] « ordinaire ». Le témoin a répondu que les enquêteurs s'étaient fondés sur des renseignements tirés des dossiers du personnel qu'ils avaient reçus du sous-directeur Henderson pour employer ces termes. Le mot « exemplaire » laisse entendre qu'un agent a un rendement « A plus plutôt que B », tandis que le mot « ordinaire » veut dire qu'un agent s'acquitte simplement des fonctions qu'il est tenu d'accomplir. M. Goodberry a admis que c'était du ouï-dire et que les enquêteurs n'avaient pas pris connaissance des évaluations de rendement des intéressés. Il a reconnu que l'agent Cox avait une sanction disciplinaire à son dossier l'année précédente pour utilisation contre-indiquée du courrier électronique, en déclarant toutefois que la mesure corrective l'avait incité à se conduire de façon plus professionnelle par la suite.

111 Au sujet des diagrammes de l'incident qui s'était produit dans la salle de traitement fournis par l'infirmier Williams et par M. Jalbert, quand ils avaient été interrogés par les enquêteurs (c'est mentionné dans la Pièce E-2), M. Goodberry a déclaré qu'il ne pouvait pas se rappeler de différences quelconques entre les deux versions et qu'il aurait été incapable de recréer un de ces diagrammes à l'audience. Les diagrammes en question avaient été envoyés à la directrice du Pénitencier, mais ne figuraient pas dans le rapport final de l'enquête. D'après M. Goodberry, ils donnaient une idée des lieux et avaient contribué à préciser qui aurait pu avoir vu l'incident se produire. Aucun des diagrammes n'était « probablement exact à 100 % ».

112 M. Goodberry a répondu à des questions sur l'interrogatoire du fonctionnaire s'estimant lésé dans le cadre de l'enquête. Il a confirmé que sa collègue et lui-même avaient informé le fonctionnaire s'estimant lésé de l'ordre de convocation de la directrice dès le début, afin de préciser le mandat et l'objet de l'enquête, sans toutefois lui dire expressément qui l'avait accusé d'avoir frappé le détenu A. Comme il avait témoigné que le fonctionnaire s'estimant lésé avait semblé mal à l'aise au début de son interrogatoire, M. Goodberry s'est fait demander s'il était possible que c'était parce qu'il ne savait pas ce qu'on alléguait qu'il avait fait. Il a répondu : « Tout est possible. » Il a précisé que la déclaration initiale du fonctionnaire s'estimant lésé, à savoir qu'il ne donnerait aucun renseignement tant qu'il ne saurait pas ce que les autres témoins et le détenu A avaient dit, n'avait pas influé sur le degré de crédibilité qu'il avait donné à sa version des événements. Il a admis par ailleurs que le fonctionnaire s'estimant lésé avait ensuite répondu aux questions qui lui étaient posées pendant son interrogatoire. À la fin, les enquêteurs avaient douté de sa version des événements compte tenu des témoignages contradictoires de l'agent Cox, de M. Jalbert et du détenu A. En outre, certains aspects du témoignage de l'agent Charlton différaient des réponses du fonctionnaire s'estimant lésé.

113 Le fonctionnaire s'estimant lésé a posé des questions à M. Goodberry au sujet des différences entre le premier et le second rapport d'observation de M. Jalbert. M. Goodberry a avoué que le fonctionnaire s'estimant lésé n'était absolument pas mentionné dans le premier de ces rapports, ce qui était incompatible avec le second, ainsi qu'avec le Rapport sur le recours à la force de M. Jalbert. D'après M. Goodberry, rédiger deux rapports d'observation n'est pas normal, mais ce n'est pas non plus inhabituel si la première version contient des erreurs ou s'il y a des omissions. Il a toutefois admis avoir constaté des anomalies dans tous les rapports d'observation.

114 M. Goodberry a aussi qualifié d'inopportun l'ordre que M. Jalbert avait donné aux autres employés de garder au minimum leurs rapports d'observation sur l'incident. Il a reconnu que le rapport de l'enquête n'avait pas souligné les lacunes de M. Jalbert autant qu'il l'aurait dû.

115 Le témoin a confirmé que M. Jalbert avait dit aux enquêteurs qu'il n'avait vu le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A qu'avec sa vision périphérique et qu'il ne pouvait pas dire si le coup avait été porté avec la main ouverte ou le poing fermé. Le fonctionnaire s'estimant lésé lui a demandé si les enquêteurs avaient demandé à M. Jalbert comment il aurait pu voir du coin de l'oil la tête du détenu être rejetée en arrière et ses yeux pleins d'eau. M. Goodberry a répondu qu'ils ne lui avaient pas posé d'autres questions sur ce point. En outre, il ne pouvait pas se rappeler avoir même demandé à M. Jalbert pourquoi il avait vu cela avec sa vision périphérique.

116 Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi posé des questions à M. Goodberry sur la position respective exacte des agents Cox et Charlton dans la salle de traitement au moment de l'incident. Le témoin a déclaré qu'il ne savait pas lequel des deux agents était le plus près du détenu, en disant que l'agent Cox avait affirmé être à une dizaine de pieds et qu'il ne pouvait pas se rappeler si l'agent Charlton avait précisé à quelle distance elle était du détenu A. Il a plus tard dit que l'agent Cox semblait être plus loin qu'elle dans le diagramme de M. Jalbert, mais que sa vue du détenu A n'était pas bloquée, probablement contrairement à celle de l'agent Charlton. Il a témoigné aussi qu'il croyait la version des événements que l'agent Cox avait donnée parce qu'elle était corroborée à la fois par M. Jalbert et par le détenu A et que les agents MacKay et Charlton en avaient aussi corroboré des éléments. Il a reconnu que le fait que l'agent Cox n'avait pas dit dans son rapport d'observation que le fonctionnaire s'estimant lésé avait frappé le détenu A semblait bien être une omission flagrante.

117 En outre, M. Goodberry a précisé que les enquêteurs avaient conclu que le fonctionnaire s'estimant lésé était face au détenu A, mais légèrement de biais par rapport à lui au moment de l'incident. Il n'était pas courbé; il avait retiré sa main de la figure du détenu A; ensuite, celui-ci l'a injurié, et c'est après que le coup a été porté.

118 En réinterrogatoire, M. Goodberry a confirmé que l'ordre de convocation qui avait été communiqué au fonctionnaire s'estimant lésé au moment de l'enquête faisait état des accusations portées contre lui (Pièce E-2). Les enquêteurs lui avaient aussi remis un avis de la tenue de l'enquête disciplinaire où il était précisé que [traduction] « […] Des sanctions disciplinaires pourraient résulter de cette enquête disciplinaire. » Le fonctionnaire s'estimant lésé a signé cet avis. D'après M. Goodberry, il n'avait pas besoin de savoir les noms des autres personnes interrogées par les enquêteurs, ni ce qu'elles avaient dit, pour être en mesure de répondre aux questions qu'on lui posait.

119 Donna Morrin est la directrice du Pénitencier de Kingston; elle est actuellement en cours de langue à l'extérieur de l'établissement. Elle occupe son poste depuis mars 2002, après avoir été directrice de l'Établissement Joyceville pendant six ans.

120 Mme Morrin a confirmé avoir rédigé l'ordre de convocation de l'enquête (Pièce E-2). Elle avait été informée de l'incident dans la matinée du 29 septembre 2005, à la réunion quotidienne de la direction. Elle a alors rencontré M. Jalbert, le sous-directeur, le sous-directeur adjoint responsable de la sécurité et l'agent des services de renseignement de sécurité pour discuter de la situation. Elle a décidé qu'une enquête s'imposait parce qu'elle avait l'impression que l'incident était grave et qu'on semblait avoir usé d'une force excessive à l'endroit d'un détenu. Elle a décidé de confier l'enquête à une équipe de l'extérieur dirigée par une gestionnaire expérimentée du SCC, Mme Bridgen.

121 Quand Mme Morrin a reçu le rapport de l'enquête, elle l'a analysé dans tous ses détails avec le sous-directeur Henderson, en lisant les résumés des questions et des réponses de chacun des interrogatoires. Elle a aussi eu des discussions de suivi avec les enquêteurs pour obtenir des explications.

122 Quand on lui a demandé si elle avait des réserves quant à la mention dans le rapport du fait que M. Jalbert avait déclaré avoir vu le mouvement du bras du fonctionnaire s'estimant lésé [traduction] « par [sa] vision périphérique » (Pièce E-2, p. 33), Mme Morrin a répondu que non, en déclarant estimer que le résumé de M. Jalbert était une description claire de ce qu'il avait vu et des limites de ce qu'il avait vu. En ce qui concerne la déclaration attribuée à l'infirmier Williams qu'il n'avait pas vu le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A (Pièce E-2, p. 24), Mme Morrin a dit qu'elle avait interprété ce que l'infirmier avait dit comme si cela signifiait qu'il était occupé à ce moment-là à soigner la coupure au bras du détenu. Elle a mis sa déclaration en doute, en trouvant toutefois ce qu'il avait dit crédible lorsqu'il avait déclaré qu'il était la plupart du temps accroupi et donc plus bas que la tête du détenu A, sans porter attention à ce qui se passait d'autre.

123 Quand on lui a demandé ce qu'elle pensait de l'absence dans le rapport d'observation de l'agent Cox de toute mention d'un coup porté par le fonctionnaire s'estimant lésé au détenu A, la Mme Morrin a répondu qu'elle avait tiqué quand elle avait lu ce rapport d'observation pour la première fois. On lui avait alors expliqué que les rapports d'observation ne font habituellement pas état de la conduite du personnel. M. Jalbert lui avait dit ce matin-là qu'il avait enjoint aux agents présents d'être concis et de « [s'en] tenir aux faits ». Mme Morrin a pensé que les agents se seraient sentis obligés de se conformer à ces instructions, et M. Jalbert a bel et bien mentionné tous les détails dans son second rapport d'observation ainsi que dans son Rapport sur le recours à la force. La directrice a ordonné une enquête en sachant que les enquêteurs obtiendraient tous les faits.

124 Après avoir pris connaissance du rapport de l'enquête, Mme Morrin a convoqué une entrevue disciplinaire pour permettre au fonctionnaire s'estimant lésé d'apporter un complément d'information. À cette occasion-là, le fonctionnaire s'estimant lésé s'est fait remettre une copie approuvée du rapport de l'enquête. La nature de cette approbation est devenue une question d'importance à l'audience. Mme Morrin était d'avis que l'approbation du rapport posait problème; à la suite de cette première rencontre, elle a réussi à faire remettre une nouvelle version du rapport au fonctionnaire s'estimant lésé (Pièce E-2).

125 À la première rencontre disciplinaire, le fonctionnaire s'estimant lésé a commencé par dire qu'il était incapable de répondre aux questions sur l'incident et qu'il n'était pas disposé à le faire parce que, selon lui, l'idée de la direction était déjà faite. Quand il s'est levé pour partir, Mme Morrin lui a directement demandé s'il avait frappé le détenu. Le fonctionnaire s'estimant lésé a refusé de répondre. Ses représentants syndicaux ont alors demandé une pause pour pouvoir lui parler. Après être revenu à la rencontre avec eux, le fonctionnaire s'estimant lésé a fini par dire qu'il n'avait pas frappé le détenu A, mais refusé de donner des précisions. Il a dit qu'il ne pourrait pas répondre sans avoir le rapport complet de l'enquête. Il a répété « avoir une rencontre n'a aucun sens, parce que votre idée est faite ». Mme Morrin a conclu qu'il refusait de coopérer. Il regardait un peu partout dans la pièce, tournait dans son fauteuil avec une posture avachie et riait de bien des questions et des déclarations de la direction.

126 À la fin de la rencontre, un des représentants syndicaux a accepté de rédiger des commentaires écrits et de les présenter plus tard, mais aucun commentaire n'a été reçu.

127 Une fois que le fonctionnaire s'estimant lésé a eu le temps de prendre connaissance du rapport de l'enquête réapprouvé, Mme Morrin a convoqué une seconde rencontre disciplinaire où le fonctionnaire s'estimant lésé a nié mordicus avoir frappé le détenu. Il a déclaré qu'il y avait cinq autres personnes dans la salle à ce moment-là, mais que deux seulement d'entre elles disaient l'avoir vu frapper le détenu A. Comme les trois autres personnes présentes n'avaient pas vu le coup qu'il aurait porté, il pouvait ne pas l'avoir été. Mme Morrin a de nouveau jugé que le fonctionnaire s'estimant lésé ne coopérait pas. Il refusait de répondre aux questions directes, riait des problèmes soulevés par la direction et lui manquait de respect tant dans son langage corporel que dans ce qu'il disait. À un moment donné, il a dit à Mme Morrin : « Donna, tu es une sans génie. » Sur ce, les représentants syndicaux ont demandé une pause. À leur retour à la rencontre, ils ont présenté des excuses pour cette remarque au nom du fonctionnaire s'estimant lésé, qui a dit souscrire à ces excuses. Mme Morrin a dit ne pas avoir su si le fonctionnaire s'estimant lésé comprenait la gravité de la situation.

128 Un des représentants syndicaux a proposé une explication de ce qui s'était passé. En raison des difficultés oculaires du fonctionnaire s'estimant lésé qui auraient pu nuire à sa perception des distances (voir plus loin), il a déclaré que ce dernier aurait pu tendre la main vers le détenu et le frapper par inadvertance. Mme Morrin a directement demandé au fonctionnaire s'estimant lésé si c'était le cas, en laissant entendre que cette explication pourrait jeter un éclairage différent sur la situation. Le fonctionnaire s'estimant lésé a clairement répondu « non » en disant qu'il avait des troubles visuels, mais qu'il n'était certainement pas aveugle et que ce n'était certainement pas arrivé de cette façon-là.

129 Après la seconde rencontre, Mme Morrin a parlé à ses conseillers en relations de travail aux paliers régional et national. Elle était convaincue que l'incident avait bel et bien eu lieu. Elle s'est penchée sur les circonstances atténuantes et aggravantes en tenant compte de toutes les options qui s'offraient à elle, pour enfin conclure qu'il serait approprié de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé. Son premier objectif lorsqu'elle a pris cette décision consistait à assurer la garde des détenus sans danger, en toute sécurité et avec compassion. On s'attend à ce que les agents de correction aient une conduite modèle et se conforment aux règles et aux règlements. La preuve avait révélé que le fonctionnaire s'estimant lésé avait délibérément frappé un détenu blessé qui avait les mains menottées dans le dos, qui avait avalé des lames de rasoir et qui était maintenu dans un fauteuil de traitement. C'était un recours à la force excessif et inacceptable, avec l'intention de maltraiter le détenu. Si l'incident n'avait pas entraîné de réaction, elle aurait envoyé aux autres agents et aux détenus le message que l'établissement tolérait une telle conduite, ce qui aurait sapé la discipline et le contrôle. Dans un établissement à sécurité maximale, si une telle conduite est ignorée, on risque de se retrouver dans une situation où le personnel ou les détenus pourraient être blessés et où l'on ne ferait absolument pas confiance aux agents de correction.

130 Mme Morrin a considéré le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait jamais encore écopé d'une sanction disciplinaire comme une circonstance aggravante. Ses 18 années de service seraient normalement considérées comme un facteur atténuant, mais, en l'espèce, elle a jugé que c'était au contraire une circonstance aggravante, parce qu'un agent ayant de si longs états de service aurait dû se contrôler. Le refus du fonctionnaire s'estimant lésé d'assumer quelque responsabilité que ce soit pour l'incident de même que son manque de coopération aux deux rencontres disciplinaires étaient aussi des circonstances aggravantes, selon elle.

131 Mme Morrin n'avait pas confiance que quelque chose du genre ne se reproduirait pas. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait preuve de manque de jugement en s'immisçant dans une situation où la consigne du poste précisait clairement que la responsabilité du contrôle du détenu incombait aux agents qui l'escortaient plutôt qu'à lui. Il avait aussi fait preuve de manque de jugement en réagissant à une provocation verbale. Qui plus est, il s'était ingéré dans une situation en y restant impliqué volontairement, alors qu'il savait que les restrictions qui lui étaient imposées à cause de sa santé lui interdisaient ce genre de contact (voir plus loin).

132 Comme le fonctionnaire s'estimant lésé ne manifestait ni remords, ni regret et qu'il n'avait avancé aucune explication pour mitiger sa responsabilité, Mme Morrin a conclu qu'elle devait le licencier pour assurer la sécurité et la protection de l'établissement, de son personnel et des détenus. L'incident et la réaction du fonctionnaire s'estimant lésé avaient irréparablement rompu le lien de confiance dans la relation entre l'employeur et l'employé, de sorte qu'il n'y avait pas d'autre mesure disciplinaire envisageable.

133 Mme Morrin a informé le fonctionnaire s'estimant lésé de son licenciement dans une lettre datée du 26 janvier 2006 (Pièce E-19) :

[Traduction]

[…]

La présente lettre fait suite à l'enquête disciplinaire commandée à l'égard des allégations d'infractions des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline du Service correctionnel du Canada, à la suite d'un incident survenu entre 23 h le 28 septembre 2005 et les petites heures du matin du 29 septembre 2005 à l'Infirmerie du Pénitencier de Kingston.

J'ai soigneusement pesé l'information que j'ai obtenue quant aux conclusions que vous aviez fait preuve d'inconduite dans le contexte de cet incident. J'ai aussi soigneusement tenu compte de vos commentaires et de ceux de vos représentants au cours de nos rencontres du 22 novembre 2005 et du 18 janvier 2006 ainsi que dans le contexte de ces rencontres au sujet de cette information et de la conclusion que vous aviez fait preuve d'inconduite, et j'ai tenu dûment compte de votre dossier disciplinaire et de votre dossier d'emploi, de même que de vos nombreuses années de travail au Service correctionnel du Canada.

Après mûre réflexion, j'ai conclu que vous avez usé d'une force excessive en présence d'autres agents de correction quand vous avez délibérément frappé un détenu en détresse qui recevait des soins médicaux et qui était menotté dans le dos. Ce faisant, vous avez entièrement ignoré la loi, les directives du commissaire et les politiques du SCC.

Votre inconduite est un manquement grave aux Règles de conduite professionnelle et au Code de discipline du Service correctionnel du Canada. Compte tenu de la nature et de la gravité de votre inconduite, je ne puis que conclure que le lien de confiance fondamental dans la relation d'emploi a été irréparablement rompu. Qui plus est, la conduite dont vous avez fait preuve est entièrement incompatible avec celle qu'on attend d'un agent de correction du Service correctionnel du Canada. Je suis par conséquent incapable d'avoir encore confiance en votre aptitude à vous acquitter de vos fonctions d'agent de correction.

Je vous informe donc que j'ai décidé de vous licencier du Service correctionnel du Canada à compter d'aujourd'hui, le 26 janvier 2006, en vertu de l'alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Je vous ordonne de remettre au Service correctionnel du Canada tous les biens qu'il vous a confiés, y compris toutes vos cartes d'identité, tout l'équipement, tout l'uniforme qui vous a été confié, etc.

La convention collective vous donne le droit de présenter un grief pour contester ma décision. Si vous en présentez un, il sera entendu directement au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[…]

134  Dans son témoignage, Mme Morrin a décrit ce qu'elle savait des antécédents médicaux du fonctionnaire s'estimant lésé relativement aux restrictions du rôle qu'il pouvait jouer au travail. Quand elle est arrivée au Pénitencier de Kingston, en 2002, l'intéressé était en congé d'invalidité. Le 2 mai 2002, l'employeur lui avait envoyé une lettre l'informant de ses possibilités de retour au travail à la suite de sa longue absence (Pièce E-10). Le 11 juin 2002, un spécialiste en réadaptation de l'assureur du régime d'assurance-invalidité avait écrit au conseiller du SCC responsable du retour au travail du fonctionnaire s'estimant lésé pour l'informer que la restriction médicale applicable à son retour au travail était qu'il [traduction] « […] ne [pouvait] être affecté à aucun rôle où il courrait de grands risques de danger physique ou qui exigerait une vision stéréoscopique binoculaire » (Pièce E-11). Sur cette base, et compte tenu d'une évaluation des habiletés fonctionnelles qui la confirmait (Pièce E-12), les dirigeants du SCC avaient conclu que, pour tenir compte de l'incapacité du fonctionnaire s'estimant lésé, il fallait lui trouver un rôle où celui-ci n'aurait guère de possibilités d'interactions physiques avec des détenus. Après d'autres discussions dans lesquelles était aussi intervenu un médecin des services de santé au travail de Santé Canada (Pièce E-13), l'employeur avait proposé d'affecter le fonctionnaire s'estimant lésé à l'infirmerie pour le quart de minuit, dans une période de la journée où les mouvements des détenus et, partant, les possibilités d'interactions avec eux sont extrêmement limités. Compte tenu de l'état de l'oil du fonctionnaire s'estimant lésé, une altercation physique avec un détenu risquait d'aggraver sa situation. Toute lutte, tout coup ou même toute bousculade constituaient un risque. L'affectation du fonctionnaire s'estimant lésé au quart de minuit à l'infirmerie allait réduire au minimum les situations pouvant poser des problèmes.

135 Le fonctionnaire s'estimant lésé avait accepté cet arrangement; il était retourné au travail à l'essai pour une période commençant le 5 novembre 2002 (Pièce E-14). L'employeur lui avait fourni une consigne pour son poste (Pièce E-15). Mme Morrin a expliqué que le fonctionnaire s'estimant lésé était dispensé d'une grande partie des tâches énumérées dans sa consigne de poste en travaillant le quart de nuit. Il était resté dans son rôle à l'infirmerie au-delà de la période d'essai, avec des rapports d'étape réguliers (p. ex. pièces E-16 et E-17). On avait parlé de la possibilité qu'il puisse être affecté par roulement à d'autres postes, mais cela ne s'est jamais produit.

136 Mme Morrin avait été informée de deux cas où le fonctionnaire s'estimant lésé était volontairement intervenu dans des situations d'affrontement avec des détenus en dépit de ses limites d'adaptation (Pièce E-18). Dans les deux cas, il avait participé au contrôle ou encore à la contention d'un détenu, même si cela ne faisait pas partie des fonctions qui lui étaient assignées. La direction s'inquiétait dans des situations comme celle-là en raison du risque qu'elles présentaient pour la santé du fonctionnaire s'estimant lésé ainsi que pour la sécurité des autres membres du personnel. Elle lui en avait parlé, en insistant encore pour qu'il évite de telles situations dans l'avenir. Mme Morrin avait compris que le fonctionnaire s'estimant lésé avait accepté.

137 Dans son interrogatoire principal, Mme Morrin a décrit M. Jalbert comme un superviseur compétent et respecté qui n'avait jamais fabriqué d'incidents à sa connaissance. À son avis, c'était « […] une des personnes les plus honnêtes et les plus franches qu'elle connaisse ». En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé à Mme Morrin ce qu'elle pensait de plusieurs des autres personnes mêlées à l'incident. Elle a déclaré que l'agent Charlton était une membre relativement nouvelle du personnel sur laquelle elle avait reçu des rapports positifs des superviseurs. Elle n'avait aucune raison de douter de l'intégrité de l'agent Charlton. Elle a dit que M. Williams était un infirmier compétent qui faisait bien son travail. Elle ne connaissait pas très bien l'agent MacKay, mais n'avait aucune raison de douter de son rendement ni de son intégrité. Elle avait des interactions plus fréquentes avec l'agent Cox, surtout en raison de son rôle comme membre de l'équipe d'intervention en cas d'urgence et de ses fonctions à l'unité d'isolement. Elle le jugeait vraiment intègre.

138 En réponse à d'autres questions du fonctionnaire s'estimant lésé, Mme Morrin a précisé qu'elle n'avait personnellement interrogé aucun des autres témoins de l'incident, sauf M. Jalbert. Elle n'avait pas demandé au personnel de l'Hôpital général de Kingston si le détenu A avait parlé de l'agression. Elle a confirmé que les raisons pour lesquelles elle avait licencié le fonctionnaire s'estimant lésé étaient celles qui sont précisées dans sa lettre du 26 janvier 2006 (Pièce E-19). Quand elle s'est fait demander pourquoi elle avait décidé d'imposer une sanction disciplinaire à l'intéressé en se fondant seulement sur la conclusion qu'il avait frappé le détenu A, sans invoquer d'autres motifs, Mme Morrin a dit qu'elle avait décidé d'imposer une sanction en se basant sur l'infraction la plus grave (Pièce E-2).

139 Mme Morrin a parlé de la publicité qui avait suivi l'incident, quand la sour du détenu A était apparue à la télévision locale en demandant à quelqu'un de se porter volontaire pour être le représentant juridique de son frère. Le détenu A avait été interrogé par la police à la suite de cette émission, mais il avait refusé de porter plainte contre le fonctionnaire s'estimant lésé par crainte d'éventuelles répercussions. Au moment du licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé, en janvier , ce détenu était illégalement en liberté.

140 Agostino Lavorato a témoigné pour le fonctionnaire s'estimant lésé. Il a 17 années d'expérience comme CX-1 au Pénitencier de Kingston. Il a déclaré avoir travaillé plusieurs fois avec le fonctionnaire s'estimant lésé pendant le quart de nuit à l'hôpital régional du SCC et dit qu'il avait travaillé avec lui plus souvent dans le passé à l'unité d'isolement, où le fonctionnaire s'estimant lésé était parfois le CX-2 responsable par intérim, en 1995 et 1996. L'agent Lavorato a déclaré n'avoir jamais vu le fonctionnaire s'estimant lésé agresser ni maltraiter un détenu, mais souligné qu'il l'avait plutôt vu désamorcer des situations impliquant des détenus difficiles et les apaiser. Il ne se souvenait d'aucune situation où des agents avaient dû user de la force à l'endroit d'un détenu pendant qu'il travaillait avec le fonctionnaire s'estimant lésé. Selon lui, cela aurait été attribuable à l'influence positive du fonctionnaire s'estimant lésé en tant que superviseur. L'agent Lavorato a déclaré qu'il pourrait travailler encore avec le fonctionnaire s'estimant lésé avec confiance, en raison de son professionnalisme et de sa longue expérience.

141 En contre-interrogatoire, l'agent Lavorato a reconfirmé que les exemples qu'il donnait de la façon du fonctionnaire s'estimant lésé de composer avec des situations difficiles dataient de 1995 et 1996. Il a admis être un ami du fonctionnaire s'estimant lésé, en insistant toutefois pour dire qu'il ne se porterait pas garant de lui si celui-ci ne le méritait pas. Toutefois, il a souscrit aux déclarations de l'employeur voulant qu'il soit important qu'un agent ait la confiance de ses collègues et fasse invariablement preuve de jugement.

142 David Sly travaillait au Pénitencier de Kingston comme CX-1 depuis juin 2000; auparavant, il faisait partie de l'équipe de surveillance de l'hôpital régional du SCC. Il a été élu président de la section locale du Pénitencier de Kingston du syndicat en juin 2006, après avoir en été le trésorier pendant deux ans et demi.

143 L'agent Sly a témoigné qu'il était au courant de nombreuses situations où des délinquants avaient allégué qu'ils avaient été maltraités par des agents de correction, mais qu'aucune de ces allégations ne s'était révélée fondée, à sa connaissance.

144 Le témoin a décrit le diagramme de la salle de traitement qu'il avait dessiné le 27 novembre 2006, avec les dimensions de la pièce ainsi que la position et la grosseur des articles qui s'y trouvaient, le tout confirmé à l'aide d'un ruban à mesurer (Pièce G-3). L'employeur s'est opposé à l'admission de cette pièce en disant qu'un diagramme dessiné 14 ou 15 mois après l'incident n'était pas pertinent, qu'il risquait de lui être préjudiciable et qu'il pourrait fort bien y avoir eu des changements dans la salle de traitement entre-temps. J'ai décidé d'admettre cette pièce en preuve en déclarant à l'employeur que je tiendrais compte de ses observations pour en évaluer l'importance.

145 L'agent Sly a déclaré que la salle de traitement telle qu'elle existait en septembre 2005 lui était familière. Le diagramme de la Pièce G-3 n'a ceci de différent par rapport aux autres que le fauteuil de traitement a été remplacé depuis par un nouveau modèle légèrement plus large et plus court et que le chariot d'urgence n'y figure pas, apparemment parce qu'il n'était pas là le jour où le témoin avait dessiné son diagramme.

146 En réponse aux questions de l'employeur, l'agent Sly a reconnu que l'échelle de son diagramme n'était pas exacte et qu'on n'y voit pas la hauteur du fauteuil de traitement tel qu'il était en septembre 2005.

III. Résumé de l'argumentation

147 Les observations que les parties ont soumises de vive voix ont duré toute une journée d'audience, après quoi le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté des observations écrites sur la jurisprudence applicable et l'employeur a déposé sa réfutation par écrit.

A. Pour l'employeur

148 L'employeur a déclaré qu'il faut répondre aux deux questions suivantes : 1) Le fonctionnaire s'estimant lésé a-t-il fait preuve d'inconduite dans le quart de minuit les 28 et 29 septembre 2005? 2) Si oui, quelle est la sanction disciplinaire appropriée?

149 D'après l'employeur, les témoignages des témoins oculaires que sont M. Jalbert et l'agent Cox sont clairs, logiques et convaincants; ils prouvent que le fonctionnaire s'estimant lésé a agressé le détenu A. Le reste de la preuve produite par l'employeur corrobore ces témoignages.

150 M. Jalbert, le superviseur, a été tout à fait franc, ouvert et crédible comme témoin, en plus d'être conséquent et sans parti pris. Il n'avait aucun intérêt personnel dans le résultat de l'affaire et sa version n'a jamais changé de l'enquête à l'audience. Il a vu le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A au visage; il a vu la tête du détenu être projetée vers l'arrière et vu aussi ses yeux pleins d'eau. L'incident a été suivi par un échange au cours duquel M. Jalbert a confronté le fonctionnaire s'estimant lésé pour confirmer ce qu'il avait fait. À l'époque, il avait dit à l'intéressé l'avoir vu frapper le détenu, sans savoir ce que quiconque d'autre parmi les personnes présentes à ce moment-là allait dire ou faire. L'incident avait troublé M. Jalbert. Il a témoigné qu'il n'arrivait pas à croire ce qu'il avait vu. L'affaire a fait boule de neige pour lui lorsqu'il a compris que le fonctionnaire s'estimant lésé n'allait pas admettre ses actions. Cela changeait la dynamique de la situation et créait ce qui était pour lui un dilemme personnel difficile. C'est pour cette raison qu'il a préparé deux rapports d'observation et fait dans le second un compte rendu complet de l'incident qui n'a pas changé depuis. Il a admis franchement ses lacunes, qui lui ont d'ailleurs fait écoper d'une sanction disciplinaire.

151 M. Jalbert a témoigné qu'il serait mal à l'aise s'il devait travailler avec le fonctionnaire s'estimant lésé dans l'avenir. La façon du fonctionnaire s'estimant lésé de composer avec la situation, d'après lui, démontrait qu'il n'était pas honnête. Or, il est absolument essentiel que les collègues se fassent mutuellement confiance dans l'environnement du Pénitencier de Kingston. M. Jalbert tenait à ce que les autres membres du personnel ne soient pas mis en danger par le fonctionnaire s'estimant lésé. Il ne pouvait pas savoir ce que celui-ci allait faire lorsqu'aucun superviseur ne serait présent, étant donné qu'il était capable d'agresser un détenu sous les yeux d'un superviseur.

152 M. Jalbert pensait - et c'est corroboré par les agents Cox et Charlton - que le détenu A était sous contrôle quand ils sont arrivés dans la salle de traitement. Le détenu A est devenu agité quand il a cru qu'on allait se servir d'alcool à friction pour le soigner. À ce moment-là, il fallait qu'on le contrôle, mais il n'était pas menaçant. Le détenu a insulté le fonctionnaire s'estimant lésé, mais se faire dire des injures n'est rien de nouveau pour les agents de correction; on s'attend à ce qu'ils se laissent injurier sans perte de contrôle.

153 L'agent Cox ne voulait pas témoigner contre un collègue; lorsqu'il l'a fait, il était très mal à l'aise, mais il a déclaré que c'était « la bonne chose à faire ». Son témoignage à l'audience était compatible avec ce qu'il avait déclaré aux enquêteurs, et il a été inébranlable en contre-interrogatoire. Il était impartial et n'avait aucun intérêt dans le résultat de l'affaire. Il n'avait pas d'histoires avec le fonctionnaire s'estimant lésé et n'avait aucune raison de dire autre chose que la vérité. La crédibilité de son témoignage ne saurait être mise en doute.

154 La vue de cet agent n'était pas obstruée; il a bel et bien vu le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A avec sa main droite. Son attention était focalisée sur le détenu à cause du vif échange de propos entre lui et le fonctionnaire s'estimant lésé. Ce témoin a déclaré que la présence du fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas contribué à calmer le détenu A, mais avait au contraire fait escalader la situation. Après ce qu'il avait vu, l'agent Cox ne voulait plus travailler avec le fonctionnaire s'estimant lésé; il n'avait pas confiance que celui-ci pourrait composer avec les situations délicates auxquelles on peut être confronté dans un établissement à sécurité maximale. Selon lui, le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait eu aucune considération pour ses collègues en faisant preuve d'un manque de tact et de professionnalisme; il avait été insouciant et impulsif.

155 Le témoignage de l'agent Charlton corrobore ceux des principaux témoins. Bien qu'elle ait été incapable de voir le détenu A la plupart du temps parce que ses collègues lui bloquaient la vue, elle avait entendu l'échange entre le détenu et le fonctionnaire s'estimant lésé, et elle a souscrit à la conclusion que le détenu n'avait jamais été menaçant. Elle se rappelle précisément d'avoir rencontré le fonctionnaire s'estimant lésé quand celui-ci lui a demandé : « Êtes-vous fâchée contre moi? » Cette question qu'il lui a posée étaye la conclusion qu'il a agi de façon inacceptable. Le fonctionnaire s'estimant lésé a un autre souvenir de cette rencontre, mais le témoignage de l'agent Charlton est préférable puisqu'elle n'a aucun parti pris. Pour sa part, le fonctionnaire s'estimant lésé manque de crédibilité sur ce point-là (et sur d'autres aussi) en raison des inconséquences de la version de cette nuit-là dont il se rappelle. Il n'a par exemple pas pu confirmer qu'il avait crié après M. Jalbert quand on le lui a demandé à l'audience, même s'il avait signé une déclaration aux enquêteurs confirmant que c'était le cas.

156 L'agent MacKay n'avait aucune raison de soupçonner que ses collègues qui escortaient le détenu A ne l'avaient pas sous contrôle. Il a admis que le fonctionnaire s'estimant lésé et lui-même avaient simplement « pris la relève ». Il a témoigné qu'il y avait eu de vifs échanges entre le fonctionnaire s'estimant lésé et le détenu A et que cela avait perturbé encore davantage le détenu A et fait escalader le problème. À l'instar des témoins de l'employeur qui l'avaient précédé, l'agent MacKay ne voulait plus travailler avec le fonctionnaire s'estimant lésé, parce qu'il estimait que celui-ci pourrait avoir de la difficulté à composer avec des situations analogues dans l'avenir. En outre, et même s'il n'avait pas été témoin oculaire du coup asséné au détenu, l'agent MacKay avait entendu un bruit compatible avec celui de l'impact d'un coup asséné par une personne portant un gant de latex par-dessus un gant réglementaire, comme le fonctionnaire s'estimant lésé. L'agent MacKay a admis les lacunes de son propre rapport d'observation, mais tout ce qu'il a déclaré à l'audience était compatible avec ce qu'il avait dit aux enquêteurs.

157 Le témoignage de Mme Morrin a insisté sur les autres réserves de l'employeur quant au jugement du fonctionnaire s'estimant lésé. Il a révélé que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas tenu compte de son état de santé ni des directives que l'employeur lui avait données en adaptant ses fonctions en conséquence. Conformément à ce que le Dr Chernin avait clairement prescrit, l'employeur avait affecté le fonctionnaire s'estimant lésé à l'hôpital régional du SCC pour qu'il travaille régulièrement le quart de minuit, dans le but de réduire au minimum ses contacts avec les détenus. Comme Mme Morrin l'a fait remarquer, une grande partie des fonctions décrites dans la consigne applicable au poste du fonctionnaire s'estimant lésé étaient sans objet quand il travaillait le quart de minuit (Pièce E-15). Étant donné que le risque d'aggraver ses problèmes oculaires était trop grand, il avait été interdit au fonctionnaire s'estimant lésé de se mêler à des situations où des détenus difficiles étaient impliqués. Conformément à l'alinéa 6(x) de la consigne de poste, les agents chargés d'escorter les détenus doivent rester avec eux quand ils sont emmenés à l'infirmerie. La tâche du fonctionnaire s'estimant lésé consistait à ouvrir des portes et non à contribuer à contrôler physiquement des détenus.

158 Mme Morrin a témoigné sur les deux autres cas antérieurs où le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas respecté ses limites en intervenant physiquement dans le contrôle des détenus (Pièce E-18). Elle a dit que le fonctionnaire s'estimant lésé « s'était fait reprendre » au sujet de ces incidents et qu'on l'avait averti de ne pas se mêler de situations du genre. Le fonctionnaire s'estimant lésé a nié que ce soit arrivé, mais la logique de la preuve indique le contraire. La Pièce E-18 exprime de grandes inquiétudes quant à la sécurité du fonctionnaire s'estimant lésé ainsi qu'à la responsabilité de l'employeur lui-même. Il n'est que logique que l'employeur ait agi en conséquence et qu'il ait fait un suivi avec l'intéressé.

159 Le témoignage de Mme Morrin a aussi montré que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était conduit d'une façon inacceptable lors des deux rencontres disciplinaires qu'elle avait organisées. Il s'est fait offrir deux fois la possibilité de s'expliquer, mais il ne l'a pas fait et n'a pas du tout admis avoir le moindrement mal agi. Mme Morrin est donc venue à la conclusion que c'est un menteur et que le lien de confiance indispensable entre lui et l'employeur est rompu.

160 L'infirmier, M. Williams, a témoigné qu'il l'aurait senti si l'on avait solidement frappé le détenu A. Toutefois, l'employeur n'a jamais prétendu qu'on l'avait frappé solidement, mais plutôt que le fonctionnaire s'estimant lésé avait usé de la force sans raison à l'endroit d'un détenu sans défense alors qu'il était responsable de son bien-être. M. Williams a admis que, pendant la plus grande partie de la période qu'il avait passée dans la salle de traitement lors de l'incident, il avait pris une position plus basse que toutes les autres personnes présentes; il ne pouvait pas bien voir et ne portait attention à rien d'autre de ce qui se passait. Il faut interpréter son témoignage en sachant qu'il était un ami du fonctionnaire s'estimant lésé. Sa crédibilité comme témoin était contestable lorsqu'il a parlé de la gravité du risque que le détenu A ne crache tout en admettant qu'il n'avait pas mis de protecteur facial ni de lunettes de sécurité alors qu'il y en avait dans la pièce et qu'il n'avait recommandé à personne d'autre d'en mettre.

161 L'employeur a déclaré que le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas crédible. Il n'a pas été franc même au sujet de sa propre description de poste. En outre, il a décrit le comportement du détenu A à l'audience autrement qu'aux enquêteurs. Plutôt que de déclarer que le détenu était simplement agressif verbalement et s'était levé agressivement à un moment donné lorsqu'il avait eu peur qu'on lui mette de l'alcool à friction, comme il l'avait dit aux enquêteurs, le fonctionnaire s'estimant lésé a prétendu à l'audience que le détenu était physiquement agressif et se débattait, qu'il n'était pas sous contrôle et qu'il se montrait hostile. Pourquoi le fonctionnaire s'estimant lésé a-t-il risqué d'aggraver encore ses problèmes oculaires en s'approchant d'un détenu dans cet état? La seule conclusion possible est qu'il a de sérieux problèmes de jugement, bref un si mauvais jugement qu'il est bien loin de celui qu'on exige d'un agent de correction.

162 L'agent Lavorato, qui est un ami du fonctionnaire s'estimant lésé, a parlé de sa conduite dans les unités d'isolement en 1995 et 1996. Ce n'est pas sa conduite là ni à cette époque qui nous intéresse, mais bien celle qu'il a eue durant l'incident des 28 et 29 septembre 2005, quand il s'est mêlé d'une situation où il n'avait rien à voir.

163 L'employeur est ensuite passé à la jurisprudence. Selon lui, Gale c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2001 CRTFP 85, donne une idée de l'approche à prendre pour trancher les questions de crédibilité quant à une affaire dans un cadre carcéral. Cette décision souligne qu'il faut tenir compte du motif pour décider de la véracité d'un témoignage. Dans les circonstances particulières d'un établissement correctionnel, où il peut exister un « code d'honneur », certains facteurs tentent à dissuader les agents de s'exprimer. Par conséquent, le fait qu'un témoin est disposé à faire une allégation contre un collègue est un indice de la véracité de ses dires. Gale reflète la décision antérieure Teeluck c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27956 (19980820). À partir du paragraphe 44 de la version citée, Teeluck renferme des indications générales sur l'existence et l'effet du « code d'honneur ». Ce contexte est important pour pouvoir comprendre à quel point les témoins à l'audience étaient mal à l'aise, comme l'agent Cox l'a clairement déclaré. Lorsqu'on doit évaluer la crédibilité des témoins, le fait qu'ils désobéissent à leur code pour parler accroît la crédibilité et le poids de leur contribution.

164 Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 40, fait écho à ce point (voir particulièrement le paragraphe 124). Chénier nous aide aussi à déterminer la sanction appropriée à l'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé. Dans Chénier, l'arbitre a réintégré l'intéressé en se fondant notamment sur le témoignage de ses collègues agents de correction qui avaient déclaré qu'ils seraient disposés à continuer à travailler avec lui (paragraphe 99). La situation dans Chénier était donc bien différente. En outre, il n'y avait dans Chénier aucune preuve réelle que le lien de confiance avait été rompu, et l'agent de correction Chénier avait manifesté du remords, contrairement au fonctionnaire s'estimant lésé.

165 La décision rendue dans Courchesne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-02-12299 (19820719), souligne l'importance de la confiance et de l'intégrité dans le contexte correctionnel en établissant le principe que, si l'employeur n'a pas agi de façon déraisonnable (autrement dit s'il a mené une enquête exhaustive), un arbitre de grief ne devrait pas remettre sa décision en question.

166 Renaud c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 42, souligne le principe que le licenciement est une sanction disciplinaire justifiée pour punir une inconduite grave lorsque le lien de confiance entre le fonctionnaire s'estimant lésé et l'employeur a été rompu (paragraphes 83 et 84). Renaud cite en outre la décision largement citée Faryna v. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354, sur la détermination de la crédibilité des témoins (paragraphe 73) :

[Traduction]

[…]

En bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c'est la compatibilité de sa version avec la prépondérance des probabilités que reconnaîtrait d'emblée une personne pratique et informée qui se trouverait dans ce lieu et dans ces conditions.

[…]

L'arbitre qui a tranché Renaud a dit (au paragraphe 75) qu'il faut juger de la crédibilité des témoins en se demandant qui a des raisons de mentir. En l'espèce, rien dans la preuve avancée par le fonctionnaire s'estimant lésé ne laisse entendre que les témoins de l'employeur avaient de véritables raisons de mentir.

167 La décision récente dans Rose c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 17, portait aussi sur un coup donné par un agent de correction à un détenu, mais les circonstances dans Rose sont faciles à distinguer de celles de la présente affaire. Dans Rose, l'action reprochée à l'intéressé - un coup de pied au derrière du détenu - était plus humiliante que l'utilisation d'une force excessive (paragraphe 107). En outre, le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas agi à partir d'une position dominante debout sur le détenu. Il avait reconnu que son geste était incorrect (paragraphe 110), s'était excusé (paragraphe 111) et avait du remords (paragraphe 112). Qui plus est, la preuve n'avait pas démontré qu'il avait perdu le respect de ses collègues (paragraphe 113), de sorte que l'arbitre a conclu qu'il avait eu une bonne leçon et qu'il n'était plus susceptible de commettre de nouveau une telle erreur (paragraphe 114). Compte tenu de ces circonstances atténuantes, l'arbitre avait décidé de substituer une longue suspension au licenciement.

168 Aucun des facteurs sur lesquels la décision dans Rose était fondée n'est présent ici. En outre, il n'était pas question dans Rose d'une conduite d'un agent de correction qui aurait fait escalader une crise, personne n'avait été mis en danger et la réputation de l'employeur n'avait pas été sapée. Dans cette affaire-ci, on ne peut pas conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé ait eu une bonne leçon, contrairement à son homologue dans Rose.

169 Dans Simoneau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2003 CRTFP 57, l'arbitre a maintenu le licenciement d'un agent de correction en se fondant notamment sur les tentatives du fonctionnaire s'estimant lésé pour cacher la vérité et sur le fait que l'image du SCC avait été ternie. Simoneau souligne plus particulièrement l'importance de la question de confiance (voir plus précisément les paragraphes 58 et 62).

170 Mme Morrin a témoigné qu'elle n'avait pas considéré les longs états de service du fonctionnaire s'estimant lésé comme une circonstance atténuante. Dans Swan c. Conseil du Trésor (Ministère des Pêches et de l'Environnement), dossier de la CRTFP 166-02-3579 (19780517), l'arbitre avait aussi conclu que les longs états de service de la fonctionnaire s'estimant lésée ne constituaient pas une circonstance atténuante.

171 Dans Turner c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2006 CRTFP 58, le fonctionnaire s'estimant lésé avait été licencié pour avoir usé de la force, mais il a été réintégré après une longue suspension. Dans ce cas-là, toutefois, l'arbitre avait eu la preuve que le fonctionnaire s'estimant lésé avait agi de bonne foi pour tenter de sauver une vie; ses superviseurs avaient toléré ses actions, il n'avait pas été malhonnête et il avait admis tout ce qu'il avait fait. Compte tenu de ces facteurs, Turner est facile à distinguer de la présente affaire.

172 La décision dans Government of Province of British Columbia v. British Columbia Government Employees Union (Correctional Services Component) (1987), 27 L.A.C. (3d) 311, est axée sur l'usage de la force [traduction] « requise » et sur ce qu'on attend des agents de correction (voir la page 327). L'arbitre a souligné que ces agents doivent user de la force le moins possible, et ce judicieusement. Or, la preuve a révélé que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas le contrôle de soi voulu. Il ne s'est conformé ni à sa description de poste, ni aux modalités de l'entente conclue avec l'employeur pour lui donner des fonctions adaptées à son handicap. Il a fait preuve de manque de contrôle lorsqu'il a à toutes fins utiles relevé les agents qui l'escortaient pour prendre le contrôle du détenu A et lorsqu'il l'a agressé. En fait, il était « […] si excité qu'il n'écoutait pas son superviseur ».

173 L'employeur m'a aussi renvoyé à Aitchison c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-02-16042 (19860819), à Natrel Inc. v. C.A.W. - Canada, Local 462 (2005), 143 L.A.C. (4th) 233, ainsi qu'à Bradley c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), 2000 CRTFP 82. Dans Aitchison, un fonctionnaire s'estimant lésé accusé de voies de fait avait été réintégré parce que l'employeur avait fait erreur en lui confiant la tâche d'escorter un détenu immédiatement après que l'intéressé eut participé à une intervention en cas d'urgence dans le contexte d'un grave incident de prise d'otages. Le détenu était impliqué dans cet incident-là, et le fonctionnaire s'estimant lésé s'était alors fait ordonner à un certain moment de l'abattre. Dans Natrel, l'arbitre avait conclu que le fait qu'un employé s'estimant lésé n'avait pas reconnu avoir mal agi laissait entendre qu'il récidiverait vraisemblablement et que [traduction] « […] même une longue ancienneté n'autorise pas le recours à la violence […] » Dans Bradley, enfin, l'arbitre avait jugé que, une fois le lien de confiance rompu, on ne saurait invoquer 27 années de service pour justifier une mitigation de la sanction disciplinaire.

174 L'employeur a résumé sa thèse de la façon suivante : le fonctionnaire s'estimant lésé ne s'était pas conformé aux recommandations des conseillers médicaux. Il n'a pas obéi aux instructions de l'employeur, qui avait conclu avec lui un arrangement pour tenir compte de son invalidité. Il a désobéi aux instructions de son superviseur, qui lui avait enjoint de quitter les lieux. Il a violé les règles que les agents de correction doivent respecter, comme M. Goodberry l'a déclaré dans son témoignage. Il a violé la confiance du public, qui s'attend à ce qu'on ne maltraite pas un détenu, et il l'a fait devant des agents d'un niveau moins élevé que le sien à qui il est censé donner l'exemple, et même devant son superviseur. Son manque de contrôle a persisté quand il a crié après M. Jalbert alors que les agents qui se trouvaient dans la pièce voisine pouvaient les entendre. Sa conduite a sapé la chaîne de commandement de même que la confiance, le soutien et le respect de ses collègues. Il a sali la réputation des agents de correction, du Pénitencier de Kingston et du SCC. Sa conduite équivalait à une rupture irréparable du lien de confiance. L'employeur n'avait d'autre choix que de le licencier.

175 Pour justifier sa décision de mettre fin à l'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé, l'employeur pouvait invoquer 12 circonstances aggravantes : l'agression elle-même; le fait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait menti et nié avoir mal agi; son absence de remords; le fait que les autres agents avaient de sérieuses réserves à l'idée de travailler de nouveau avec lui; le piètre jugement du fonctionnaire s'estimant lésé, compte tenu de ses restrictions médicales, quand il est intervenu dans la situation; le fait qu'il ne s'était pas conformé à sa description de poste; le fait que ses actions avaient aggravé une situation difficile; le fait qu'il s'en était pris à un détenu entièrement vulnérable; le manque d'intégrité qui lui a fait traîner d'autres agents de correction dans ce bourbier; la rupture du lien de confiance; le dommage causé à la réputation de l'employeur aux yeux du public, et enfin ses longs états de service.

176 L'employeur a terminé son argumentation en me pressant de conclure que le fonctionnaire s'estimant lésé avait bel et bien été coupable d'une grave inconduite et que la sanction appropriée était et demeure le licenciement.

B. Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

177 Avec le consentement de l'employeur, le fonctionnaire s'estimant lésé a demandé l'autorisation de limiter l'argumentation qu'il présenterait de vive voix à l'analyse de la preuve et des enjeux, en présentant par écrit son analyse de la jurisprudence invoquée par l'employeur et la présentation de sa propre jurisprudence. J'ai accepté cette proposition en ordonnant qu'il soumette ses observations écrites à l'employeur et à la Commission avant la fermeture des bureaux le 15 décembre 2006. J'ai aussi ordonné que l'employeur présente au fonctionnaire s'estimant lésé ainsi qu'à la Commission sa réfutation écrite des questions soulevées par lui avant la fermeture des bureaux le 21 décembre 2006.

178 Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que l'employeur l'a licencié pour une conduite quasi criminelle et qu'il en a informé la police. Or, il est handicapé et membre d'une minorité visible. Les chances qu'il puisse trouver un autre emploi sont très clairement en jeu, tout comme sa réputation. Il ne fait donc aucun doute que la preuve produite par l'employeur doit être claire, logique, convaincante, solide et digne de foi.

179 L'employeur a déclaré que la charge de la preuve se situe à peu près à mi-chemin entre 50 % plus une des probabilités et la charge de la preuve au pénal. Compte tenu des répercussions de la décision de l'employeur sur sa situation et de la gravité des allégations qu'on a faites contre lui, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir que la charge de la preuve devrait être au sommet de cette échelle, à près de 100 % des probabilités.

180 Les questions auxquelles l'arbitre de grief doit répondre sont les suivantes :

  1. Pourrait-on considérer la force dont le fonctionnaire s'estimant lésé a usé à l'endroit du détenu A comme se situant dans des limites acceptables?
  2. Si la force dont il a usé excédait ce qui est normalement acceptable, jusqu'à quel point excédait-elle une force acceptable?
  3. De toutes les personnes présentes, qui était le mieux placé pour évaluer la force appropriée à utiliser?
  4. Si la force dont le fonctionnaire s'estimant lésé a usé n'était pas justifiée dans les circonstances, quelle sanction cela justifie-t-il, à supposer qu'une sanction soit justifiée?

181 L'employeur a évoqué un « code d'honneur ». Pourtant, on n'a absolument rien déposé en preuve sur l'existence d'un tel code, ni prouvé que l'un ou l'autre des témoins ait eu quoi que ce soit à craindre des autres membres du personnel. Au contraire, plusieurs des témoins de l'employeur ont librement exprimé l'opinion qu'ils ne voudraient plus travailler avec le fonctionnaire s'estimant lésé. Sans l'ombre d'une preuve pour en établir l'existence, c'est bien mal servir l'employeur et les fonctionnaires qui travaillent au Pénitencier de Kingston que d'admettre l'existence d'un « code d'honneur ». Un employeur conscient de l'existence d'un tel code devrait dire qu'il fait quelque chose pour le contrer, mais rien dans la preuve avancée ne laisse entendre que l'employeur ait fait le moindre effort en ce sens.

182 Le fonctionnaire s'estimant lésé a passé en revue la preuve produite par chacun des témoins à tour de rôle, en commençant par M. Jalbert. Ce témoin a commencé par déclarer qu'il « […] avait entendu une gifle du coin de l'oil ». Ensuite, il a dit avoir vu un mouvement vers l'avant du bras du fonctionnaire s'estimant lésé avec sa vision périphérique. M. Jalbert a déclaré qu'il n'était pas sûr d'avoir entendu un bruit, mais a dit que quelque chose avait attiré son attention. Il a déclaré aux enquêteurs qu'il ne savait pas si la main du fonctionnaire s'estimant lésé était ouverte ou si son poing était fermé. Il a aussi témoigné qu'il regardait le détenu A en plein visage durant toute cette période.

183 Le témoignage de M. Jalbert ne suffit pas à établir une preuve claire, logique, convaincante, solide et digne de foi. Tout ce qu'on peut en déduire avec quelque certitude, c'est qu'il a décelé le mouvement vers l'avant du bras du fonctionnaire s'estimant lésé au moment critique. Ce témoignage n'est pas incompatible avec le rapport d'observation du fonctionnaire s'estimant lésé, ni avec sa démonstration à l'audience.

184 M. Jalbert a témoigné que le silence s'était fait dans la pièce après le coup allégué. Pourtant, dans son Rapport sur le recours à la force, il a déclaré que le détenu A criait après le fonctionnaire s'estimant lésé immédiatement après la gifle ou le coup de poing qu'il a prétendu lui avoir été donné. Après l'incident, la preuve a démontré que M. Jalbert avait demandé aux agents présents à ce moment-là de garder leurs rapports au minimum. Il a expliqué cette instruction en soulignant qu'il pensait au fonctionnaire s'estimant lésé et aux agents, mais n'a pourtant pas offert au fonctionnaire s'estimant lésé d'assurance que les rapports d'observation resteraient confidentiels. En outre, M. Jalbert a déclaré qu'il avait imposé une sanction disciplinaire au fonctionnaire s'estimant lésé cette nuit-là même, mais la seule sanction imposée à l'intéressé l'a été parce que celui-ci aurait refusé de produire un rapport d'observation.

185 En ce qui concerne l'agent Cox, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'on peut préciser où il était dans la salle de traitement au moment critique tout comme où les autres agents présents se trouvaient avec une précision surprenante, en recoupant les diagrammes dessinés pour les enquêteurs ainsi qu'à l'audience avec les déclarations de M. Jalbert et des agents Cox et Charlton. D'après le fonctionnaire s'estimant lésé, ce qui suit est clair : M. Jalbert était à gauche de l'infirmier Williams et de l'agent MacKay, à deux ou trois pieds devant le détenu qui était assis, face à lui dans une position dominante puisqu'il était debout. L'agent Cox était à une dizaine de pieds du détenu A, six à huit pieds derrière M. Jalbert; il était soit accoté, soit assis sur le bord d'une unité de rangement de la hauteur d'une table, dans le corridor d'accès. En examinant le diagramme dessiné par M. Jalbert (Pièce G-2), on pouvait constater qu'il aurait été difficile pour l'agent Cox de voir clairement le visage du détenu A, puisque celui-ci était presque directement occulté par M. Jalbert. Le diagramme de l'agent Sly (Pièce G-3) ne laisse aucun doute sur ce point. Pourtant, l'agent Cox a témoigné que sa vue n'avait jamais été obstruée, alors que M. Jalbert était juste devant le détenu A (selon son témoignage et ceux des agents Cox et Charlton), à la gauche de l'agent MacKay et de l'infirmier, M. Williams. L'agent Charlton a déclaré que M. Jalbert et M. Williams, qui sont tous les deux des hommes imposants, lui bloquaient la vue. La preuve que la vue de l'agent Cox aurait elle aussi été complètement obstruée, compte tenu de l'endroit où il était assis ou appuyé, est donc convaincante. Il n'aurait jamais eu un champ de vision dégagé dans ces circonstances. Bref, selon le fonctionnaire s'estimant lésé, le témoignage de l'agent Cox sur ce qu'il pouvait voir n'était pas logique et donc pas cohérent.

186 L'agent Cox a parlé d'un « coup de poing », apparemment un solide coup de poing, ce qui ne correspond pas au témoignage de M. Jalbert, qui a déclaré avoir entendu une « gifle ». Pour sa part, l'agent MacKay a déclaré avoir entendu le claquement d'un gant de latex. L'impact d'un coup de poing n'est pas un claquement. Ni l'infirmier Williams, ni l'agent MacKay n'ont témoigné que le bras du détenu A avait nettement bougé, alors qu'on s'y serait attendu s'il avait reçu un coup de poing. M. Williams a expressément déclaré qu'il n'y avait pas eu de coup de poing.

187 L'employeur s'est largement fondé sur leurs motifs pour établir la crédibilité de M. Jalbert et de l'agent Cox. Le fonctionnaire s'estimant lésé est d'avis que les deux avaient un motif pour témoigner comme ils l'ont fait. M. Jalbert avait eu une interaction très négative avec lui après l'incident, et le fonctionnaire s'estimant lésé lui avait probablement dit des choses qu'il n'aurait pas dû pour lui faire comprendre à quel point il était secoué. C'était une raison pour M. Jalbert de donner le témoignage qu'il a rendu. L'agent Cox a commencé à recevoir une formation pour faire partie de l'équipe de réaction en cas d'urgence dans la deuxième semaine d'octobre 2005, immédiatement après l'incident; or, c'est une affectation de choix, puisqu'il y a trois ou quatre candidats pour chaque poste vacant.

188 L'agent MacKay n'avait rien vu. Dans son témoignage, il n'a pas dit grand-chose et n'a à peu près pas contribué à la détermination du moment précis où le coup aurait été porté. Le peu qu'il a dit n'était pas compatible avec les déclarations des autres témoins. Il a entendu un claquement rappelant celui d'un gant de latex, mais un claquement n'est pas compatible avec l'impact de ce que les autres décrivaient comme un coup de poing ou une gifle. Ce qui est clair dans le témoignage de l'agent MacKay, c'est qu'il n'a aucune connaissance directe d'un coup quelconque porté au visage du détenu A.

189 Le fonctionnaire s'estimant lésé a soutenu que, de son point de vue, l'agent Charlton ne pouvait pas se faire d'opinion fiable des événements en cause ni de la réaction de l'intéressé. Elle était debout à l'arrière et placée de telle façon que son évaluation des événements ne pouvait qu'être la moins précise de toutes celles des personnes présentes. C'est dans ce contexte qu'il faut interpréter son avis que le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait pas facilité la situation.

190 Mme Morrin est partie du principe que le fonctionnaire s'estimant lésé s'était fait dire de ne pas avoir de contacts avec les détenus en se basant sur du ouï-dire. La preuve a démontré que cette présomption n'était pas fondée. Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné qu'il n'avait jamais été informé avant l'audience des deux situations qui avaient préoccupé l'employeur où il serait intervenu à mauvais escient dans le contrôle des détenus. Les documents déposés à l'audience au sujet de ces deux incidents ne lui avaient pas été adressés, et il n'existe aucune preuve directe qu'il les ait jamais reçus.

191 Le témoignage voulant que le fonctionnaire s'estimant lésé ait fait preuve d'un piètre jugement quand il est intervenu dans la salle de traitement était contestable. Il pourrait avoir une certaine validité si l'on avait une preuve que l'employeur avait déjà pris des mesures pour faire comprendre au fonctionnaire s'estimant lésé l'importance d'éviter les contacts avec les détenus, mais cette preuve n'existe pas. Le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé a été très crédible sur ce point. Il avait pris la décision de s'engager dans une situation difficile en présence de son superviseur; le superviseur n'a rien dit. Il est important de noter que l'employeur n'a pas imposé de sanction disciplinaire au fonctionnaire s'estimant lésé pour le piètre jugement dont il aurait fait preuve, ni pour son refus d'admettre ce qu'il aurait fait.

192 Compte tenu de la gravité de sa décision, l'attitude cavalière de Mme Morrin quant aux rapports d'observation est étonnante. Lorsqu'elle a demandé pourquoi la prétendue agression n'était pas mentionnée dans les rapports d'observation qu'elle avait lus le matin du 29 septembre 2005, elle s'est fait dire que ces documents ne sont pas censés servir de rapports sur le personnel. M. Goodberry n'était pas de cet avis; il a clairement déclaré que l'incident allégué aurait dû être mentionné, tout comme M. Jalbert, d'ailleurs. Tous les autres témoins qui ont exprimé une opinion sur ce point ont déclaré que l'incident aurait dû être rapporté, et pourtant, Mme Morrin a conclu que la situation n'avait rien d'étrange.

193 L'arbitre de grief n'a pas reçu de témoignage direct du détenu A, le seul témoin des événements qui n'ait pas été convoqué à l'audience. Ce détenu était à l'unité d'isolement, une partie du Pénitencier de Kingston réservée aux détenus à problèmes dans un établissement à sécurité maximale qui abrite une population de délinquants les plus notoires du pays. L'enquête a révélé que le détenu A se conduisait mal et qu'il était belliqueux. On a dit à différents moments qu'il posait un danger pour les agents. Rien dans la preuve n'indique que ce détenu se soit plaint du fonctionnaire s'estimant lésé avant que les enquêteurs ne le lui demandent, le 4 octobre 2005. Il n'y a aucune preuve qu'il ait eu des ecchymoses par suite du prétendu coup de poing. Nous savons que la police l'a interrogé, mais aucune accusation n'a été portée contre le fonctionnaire s'estimant lésé, qui est d'avis qu'on ne peut accorder aucun poids à ce que le détenu A a pu dire ou faire. Il n'y a aucune preuve qu'il ait été blessé par lui, mais seulement qu'il n'avait pas d'ecchymoses. Quand il est revenu de l'Hôpital général de Kingston, il a été interrogé devant une caméra mais n'a rien dit à ce moment-là. Rien dans la preuve n'indique non plus qu'il ait dit quoi que ce soit au sujet d'une blessure de ce genre aux préposés aux soins de santé de l'Hôpital général de Kingston.

194 Selon Mme Morrin, la force requise dans une situation quelconque est évaluée subjectivement en fonction des circonstances. Il est clair que le fonctionnaire s'estimant lésé l'a évaluée autrement que M. Jalbert, par exemple, au moment critique de l'incident. Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné qu'il avait commencé à retirer sa main de la figure du détenu A, mais décidé subitement d'y réappliquer une certaine force. C'est lui qui était de toute évidence le mieux placé pour évaluer la force requise à ce moment-là. Il était en contact physique, visuel et verbal direct avec le détenu A. Toutes les évaluations des autres témoins dans la salle de traitement risquent d'être moins exactes que la sienne. Tous les autres étaient soit occupés à faire quelque chose, soit un peu à l'écart, pas tout près du détenu A. M. Jalbert était presque aussi bien placé que le fonctionnaire s'estimant lésé par rapport au détenu, mais il a témoigné qu'il n'était pas sûr, immédiatement après l'incident, s'il y avait une raison qu'il aurait pu ne pas constater justifiant l'usage de la force par le fonctionnaire s'estimant lésé. Il a déclaré qu'il voulait savoir toute l'histoire. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait-il usé d'une force excessive pour se protéger et pour protéger ses collègues? Le fonctionnaire s'estimant lésé croit honnêtement avoir usé juste de la force nécessaire. M. Jalbert l'a jugée excessive, mais il n'avait perçu le mouvement que du coin de l'oil et il aurait pu se tromper. L'agent Cox n'était pas placé de façon à voir l'incident du début à la fin, et tous les autres témoins ont déclaré que leur attention était concentrée ailleurs. Il est donc exagéré de conclure que l'usage de la force qu'a fait le fonctionnaire s'estimant lésé était au-delà de ce qu'il croyait nécessaire. Il est important aussi de se rappeler la nature du milieu de travail quand on juge de la marge de manouvre qu'il faudrait accorder à un agent lorsqu'il réagit à des incidents violents; c'est un milieu extrêmement stressant où les détenus avalent des lames de rasoir, où des criminels condamnés à une peine d'emprisonnement menacent de cracher sur les agents, où les agents se font injurier, un milieu est caractérisé par un très gros pourcentage de maladies infectieuses où le risque est élevé que des détenus portent des accusations mensongères contre le personnel.

195 L'employeur a dit se demander ce que le fonctionnaire s'estimant lésé pourrait faire dans l'avenir si aucun superviseur n'était présent. C'est une question entièrement hypothétique. Le fonctionnaire s'estimant lésé a agi en sachant pertinemment qu'il y avait un superviseur juste derrière lui. Même s'il était possible de soutenir qu'il aurait dû agir autrement, on ne saurait affirmer qu'il ait tenté de cacher ce qu'il faisait.

196 L'agent Lavorato, et M. Williams étaient bien placés pour évaluer la compétence du fonctionnaire s'estimant lésé. Les deux ont dit que c'est un bon agent d'expérience. Rien dans la preuve n'a laissé entendre que le fonctionnaire s'estimant lésé ait maltraité d'autres détenus. Les personnes qui ont témoigné qu'elles ne travailleraient plus avec lui n'ont de lui qu'une connaissance limitée.

197 Il y a beaucoup d'incompatibilités dans l'enquête de l'incident, le témoignage de M. Goodberry l'a révélé. Par exemple, l'enquête n'a pas été exhaustive puisqu'elle ne contient aucune évaluation du degré de force excessive dont le fonctionnaire s'estimant lésé aurait usé. L'employeur ne s'est jamais demandé si le fonctionnaire s'estimant lésé aurait pu avoir de bonnes raisons de croire que la force utilisée était nécessaire.

198 L'employeur a considéré les longs états de service du fonctionnaire s'estimant lésé comme une circonstance aggravante, mais à tort; de plus, il n'a pas tenu compte de la possibilité que le fonctionnaire s'estimant lésé ait pu agir de bonne foi. Le lien de confiance n'a pas été irréparablement rompu, le témoignage de l'agent Lavorato et celui de M. Williams l'ont démontré. Rien ne prouve que le fonctionnaire s'estimant lésé ait été animé par quoi que ce soit d'autre que la conviction honnête de faire ce qu'il fallait. Son geste n'était pas un acte prémédité, mais plutôt une réaction immédiate à une situation immédiate.

199 Le fonctionnaire s'estimant lésé n'avait jusque-là aucune sanction disciplinaire dans son dossier, qui ne contenait pas non plus d'indication que l'employeur ait tenté de corriger sa façon de contrôler les détenus. Compte tenu de ses longs états de service, il devrait exister une présomption basée sur sa fiche jusque-là qu'il ne voulait pas faire de mal au détenu et qu'il agissait pour le mieux dans son esprit. Qui plus est, il y avait un élément de provocation dans les injures que le détenu A lui avait lancées.

200 Bref, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que je devrais annuler son licenciement à compter du 26 janvier 2006 et le réintégrer dans son poste. Subsidiairement, si je devais conclure que son usage de la force était excessif, je devrais réduire la sanction disciplinaire qui lui a été imposée en tenant compte de tous les facteurs pertinents. Enfin, le fonctionnaire s'estimant lésé m'a demandé de rester saisi de l'affaire pour aplanir toutes les difficultés que les parties pourraient avoir à exécuter ma décision.

201 Par la suite, le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé des observations écrites sur la jurisprudence :

[Traduction]

[…]

Onglet 1 : Canadian Labour Arbitration, 7:2500 - Standard of Proof

Les points suivants devraient vous guider dans votre évaluation de la charge de la preuve que l'employeur devrait être tenu de produire :

1. L'employeur a montré qu'il considérait le comportement de M. Roberts comme quasi criminel quand il a informé la police de ses allégations à l'endroit de M. Roberts; il a confirmé cette évaluation dans sa description du comportement de M. Roberts pendant l'audience.

2. Comme le fonctionnaire s'estimant lésé est aussi affligé d'un handicap important et qu'il est membre d'une minorité visible, il n'aurait virtuellement aucune chance de trouver un emploi convenable si son licenciement pour inconduite devait être maintenu.

Puisque les allégations de comportement quasi criminel pesant contre lui et ses chances extrêmement minimes de trouver un autre emploi sont des facteurs de la plus grande gravité imaginable, la charge de la preuve à laquelle l'employeur doit satisfaire pour avoir gain de cause doit tomber juste en deçà de celle qu'on exigerait dans un procès au pénal. Il vaut la peine de souligner qu'on n'a pas porté d'accusation au criminel contre M. Roberts, en dépit des discussions que l'employeur et le détenu ont eues avec la police. L'employeur de M. Roberts, le Service correctionnel du Canada, est une institution du système canadien de justice pénale. Il n'a pris aucune autre mesure que la présentation d'un rapport à la police pour poursuivre la question de l'agression qu'il allègue que M. Roberts aurait commise, en dépit de sa conviction déclarée que le détenu ne porterait pas lui-même d'accusations au criminel par crainte de représailles. Il est raisonnable d'en déduire que la police et l'employeur avaient conclu très tôt que la preuve n'était pas suffisante pour satisfaire à la charge de la preuve au pénal. Bien que ce ne soit pas nécessairement un facteur déterminant, c'est une première indication que l'employeur était incapable de s'acquitter de la charge de la preuve d'une conduite criminelle ou que la preuve menait à la conclusion que le comportement du fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas criminel.

Onglet 2 : Dagenais c. Conseil du Trésor

Une grande partie des faits dans Dagenais ressemble beaucoup à ceux qui sont allégués en l'espèce. Les événements se sont déroulés dans un pénitencier à sécurité maximale et le détenu était une personne difficile connue pour agir étrangement et pour injurier les agents. On a allégué que M. Dagenais avait usé d'une force excessive, en fait de bien de plus de force que M. Roberts. L'arbitre qui a rendu la décision déclarait (au dernier paragraphe de la page 9) :

La question de savoir si une force excessive a été utilisée est très difficile à trancher. Je n'ai pas été témoin de l'incident et la conclusion pourrait différer d'une personne à l'autre. Par contre, j'estime qu'en l'occurrence les deux coups portés au détenu n'étaient pas nécessaires. C'était user de force excessive au sens où on l'entend dans le Code de conduite. En effet, l'employé s'estimant lésé a frappé le détenu pendant qu'il se tortillait et essayait de relever la tête et de bouger. Mais ses mains étaient menottées et se trouvaient sous son corps, pendant que l'employé s'estimant lésé exerçait de la pression dans le creux des reins. Tout ce que l'employé s'estimant lésé avait à faire, c'était d'exercer plus de pression sur le détenu de manière à l'immobiliser; il aurait pu, s'il n'en venait pas à bout, demander l'aide des autres agents. Ils étaient autour de lui.

En l'espèce, il est très difficile de déterminer si le fonctionnaire s'estimant lésé a usé d'une force excessive.

Dans Dagenais, le détenu ne constituait clairement plus un danger pour le fonctionnaire s'estimant lésé lorsque celui-ci a usé de la force qu'on lui a reprochée. Dans sa décision, la commissaire Korngold Wexler a tenu compte des facteurs suivants, qui gardent leur pertinence dans le cas de M. Roberts :

  • les dix années de service du fonctionnaire s'estimant lésé;
  • son rendement satisfaisant jusque-là;
  • le fait qu'il n'avait aucune sanction disciplinaire dans son dossier;
  • le fait que le geste du fonctionnaire s'estimant lésé n'était pas prémédité;
  • le fait que le détenu n'avait pas été blessé et que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait pu le frapper plus fort;
  • le fait que le geste du fonctionnaire s'estimant lésé avait été commis sous l'impulsion du moment;
  • le fait que sa réaction avait été exagérée et que c'était un incident isolé.

À notre avis, la décision Dagenais devrait largement influer sur l'analyse qui s'impose dans le cas de M. Roberts, en raison des ressemblances entre les deux affaires.

Dans Dagenais, l'arbitre a ramené la suspension de cinq jours à une suspension d'une journée seulement. L'employeur était le même que dans le cas de M. Roberts.

Onglet 3 : Penny c. Conseil du Trésor

Dans Penny, le fonctionnaire s'estimant lésé avait été accusé d'avoir giflé deux fois un détenu menotté et enchaîné qui refusait de se taire. Les gifles avaient calmé le détenu. Dans cette affaire-là, le fonctionnaire s'estimant lésé avait été jugé coupable de voies de fait au pénal.

L'arbitre avait tenu compte des vingt et une années de service de l'intéressé pour réduire de sept jours à trois jours la durée de la suspension.

[…]

202 Le fonctionnaire s'estimant lésé a présenté les observations suivantes sur la jurisprudence invoquée par l'employeur :

[…]

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Gale :

Nous sommes d'accord avec l'employeur sur ce point puisqu'un examen exhaustif de la preuve serait compatible avec la charge de la preuve exigée en l'espèce, comme c'était le cas dans Gale. Ce qui différencie Gale de la présente affaire, c'est qu'un examen exhaustif de la preuve ne confirme pas l'existence d'un code d'honneur au Pénitencier de Kingston. Cet examen révèle aussi que les deux versions des faits données par MM. Jalbert et Cox diffèrent sur des détails importants, comme la question de savoir si le détenu s'était calmé ou pas ou s'il avait commencé à crier après M. Roberts immédiatement après l'usage de la force.

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Teeluck :

L'employeur a invoqué cette décision pour étayer sa prétention que les témoins sur lesquels il s'est fondé avaient rendu leur témoignage en dérogeant à un hypothétique code d'honneur, alors que cette expression n'a jamais été mentionnée dans les témoignages des personnes qui ont comparu. Selon nous, un témoin peut être typiquement mal à l'aise pour toutes sortes de raisons qui n'ont rien à voir avec les pressions de ses pairs ou de la direction, que ces pressions soient exprimées ou pas. Les témoins qui ont comparu à l'audience semblaient n'avoir jamais témoigné devant un tribunal, à l'exception peut-être de M. Jalbert. Ils avaient tous été appelés à se rappeler une série d'événements désagréables qui s'étaient déroulés plus d'un an auparavant, ce qui ne pouvait pas être une expérience réconfortante.

L'interprétation du comportement d'un témoin fait intervenir divers facteurs qui doivent tous être pris en compte. L'arbitre de grief occupe une position privilégiée pour cela. Il m'a semblé révélateur que M. Cox ait paru particulièrement vacillant en contre-interrogatoire quand on lui a demandé de dire s'il se rappelait où les autres témoins et lui-même se trouvaient pendant l'incident.

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Chénier :

Un agent d'expérience (M. Lavarato) et un infirmier d'expérience lui aussi (M. Williams) qui avaient tous deux travaillé longtemps avec M. Roberts ont témoigné sans en démordre qu'ils seraient disposés à travailler encore avec lui. À cet égard, les éléments soulevés par Mme Clifford à l'égard des circonstances atténuantes dans Chénier s'appliquent aussi dans le cas de M. Roberts. Il n'y a aucune preuve réelle que la relation de confiance ait été rompue.

L'employeur a fait valoir aussi que M. Jalbert avait témoigné dans Chénier pour le fonctionnaire s'estimant lésé. Si j'ai bien compris l'argument de l'employeur sur ce point, il estimait que cela empêcherait le syndicat de contester la crédibilité de M. Jalbert en l'espèce. Cet argument devrait être rejeté, puisque les deux affaires n'ont rien en commun. En outre, l'arbitre dans Chénier n'a rien dit sur la crédibilité de M. Jalbert dans sa décision.

Il faut toutefois prendre bonne note d'un fait dans la décision Chénier : l'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé a eu lieu au Pénitencier de Kingston. Il a été réintégré par l'arbitre dans un poste à l'Établissement Bath. Si vous décidiez de modifier la sanction disciplinaire dont M. Roberts a écopé, il est vraisemblable que les intérêts de toutes les parties puissent être servis si vous optiez pour une solution comme celle-là dans son cas.

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Courchesne :

Les faits en l'espèce diffèrent nettement de ceux dans l'affaire Courchesne.

M. Roberts a bel et bien soumis un rapport d'observation expliquant le rôle qu'il avait joué dans l'usage de la force de son point de vue lors de sa première rencontre avec les enquêteurs. Ses actions ne reflètent pas un manque d'intégrité. Comme il avait réagi de bonne foi en se fondant sur ses 19 années d'expérience, il n'a pas agi de façon à rompre la relation de confiance avec son employeur. L'enquête effectuée n'était absolument pas exhaustive, et le témoignage de M. Goodberry l'a prouvé. L'employeur a accepté des éléments de preuve contradictoires à leur face même. En outre, l'enquête a laissé de nombreuses questions d'importance sans réponse. Les enquêteurs n'ont pas essayé de savoir si le détenu avait été blessé ou non par M. Roberts. L'enquête n'a pas non plus tiré au clair les raisons pour lesquelles personne n'avait fait état des allégations dans son rapport.

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Rose :

Tout comme dans Rose, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas blessé le détenu (Rose, paragraphe) [sic]. Rien dans la preuve ne laisse entendre que les longues années de service de M. Roberts aient été caractérisées par une tendance à maltraiter les détenus (comme on peut le lire par contre au paragraphe 91 de Rose). L'importance accordée à cet élément ici devrait être celle que l'arbitre a admise au paragraphe 115 de Rose :

[…] Parmi les facteurs atténuants, mentionnons […] un accès de colère isolé et non caractéristique d'une personne ou un autre ensemble factuel qui explique l'écart de conduite de manière à permettre de conclure que le comportement ne se reproduira pas et que c'était une aberration plutôt qu'un manquement délibéré au devoir.

Ce qui était différent dans Rose, c'est que l'usage de la force n'était pas provoqué dans cette affaire-là (paragraphe 103), alors qu'il y a des éléments de provocation en l'espèce. Dans Rose, il ne faisait aucun doute qu'en donnant un coup de pied au derrière du détenu, M. Rose ne cherchait pas à prévenir un danger pour lui-même ou pour d'autres.

Vous ne devriez pas tenir compte des observations de l'employeur quant aux autres incidents où M. Roberts se serait mêlé à une situation, puisqu'il n'y a aucune preuve directe permettant de confirmer que le fonctionnaire s'estimant lésé savait qu'une de ses actions dans son travail avait inquiété l'employeur. Cela ne saurait servir à justifier la décision de l'employeur de congédier un employé comptant 19 années de service.

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Simoneau :

Il est certain que la confiance est importante dans la relation d'emploi, mais il ne suffit pas que l'employeur affirme qu'il ne peut plus faire confiance à un employé. Si c'était le cas, il serait impossible pour les arbitres de réintégrer un employé congédié chaque fois que l'employeur prétendrait qu'il ne peut plus lui faire confiance. Les faits dans Simoneau diffèrent nettement de la preuve en l'espèce. Il est illogique que l'employeur prétende qu'un incident isolé d'usage prétendument excessif de la force puisse réduire à néant 19 années de service digne de confiance.

Nous admettons, comme l'avocat de l'employeur l'a dit, que l'employeur ne gère pas une garderie. C'est précisément pour cette raison qu'on accorde aux agents de correction une marge de manouvre pour l'usage de la force dans leur travail.

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Swan :

L'affaire Swan diffère de celle-ci en ce que l'inconduite de Mme Swan était préméditée et que c'était un incident déterminant dans une série d'actes d'inconduite (voir à la page 17). Dans cette vieille décision datant de 1978, l'arbitre avait conclu qu'une inconduite répétée, préméditée et malhonnête d'une fonctionnaire d'expérience ne justifiait pas la décision d'accueillir le grief.

Dans la doctrine actuelle, les longs états de service sont considérés comme une circonstance atténuante. Mme Morrin a erré en les considérant comme une circonstance aggravante dans sa décision de licencier M. Roberts.

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Turner :

M. Roberts a agi de bonne foi pour assurer sa sécurité et celle de ses collègues, en se basant sur son évaluation de ce qui lui semblait un moment difficile avec un criminel rétif.

M. Roberts a été honnête dans le rapport qu'il a écrit. Il a relaté tous les événements de son point de vue. Contrairement à d'autres personnes en cause dans l'incident, il n'a omis aucun détail important. Il n'a pas rédigé deux versions de l'incident.

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Government of BC :

On peut lire ce qui suit dans la deuxième phrase du deuxième paragraphe complet de la page 327 :

[Traduction]

Premièrement, la nature même de la fonction de garde des détenus permet à un agent de correction d'user de la force à l'endroit des détenus si les circonstances l'exigent notamment pour se défendre et pour obliger les détenus à se conformer aux instructions nécessaires s'ils résistent, de façon routinière.

À cela s'ajoute la dernière ligne de la même page 327 :

[Traduction]

Cela ne veut pas dire que la simple application d'une force excessive justifie le congédiement.

Enfin, ce passage du paragraphe suivant, à la page 328, est révélateur :

[Traduction]

Mais il est clair, dans ces décisions, que lorsqu'on juge qu'un agent de correction a usé d'une force excessive à l'endroit d'un détenu, que cette conduite ne justifie pas nécessairement le congédiement, bien qu'elle soit considérée comme appelant une sanction. Lorsque le syndicat peut invoquer des circonstances atténuantes permettant de concilier le manquement au devoir de l'employé avec le rétablissement de la relation employeur-employé et surtout de l'élément d'importance vitale qu'est la confiance, les arbitres ont substitué des sanctions moins dures aux congédiements. Les circonstances atténuantes peuvent comprendre une provocation extrême, l'usage d'une force excessive pour se défendre, une colère isolée qui ne ressemble pas à l'employé s'estimant lésé ou toute autre combinaison de faits pouvant expliquer l'écart, de façon à rendre possible la conclusion que la conduite répréhensible ne se répétera pas et que c'était une aberration plutôt qu'un manquement délibéré à son devoir.

En l'espèce, la preuve a révélé une provocation (le détenu avait injurié M. Roberts), l'autodéfense (M. Roberts était convaincu d'un danger pour lui-même et pour d'autres), un incident isolé ne ressemblant pas au fonctionnaire s'estimant lésé et de longs états de service. L'employé s'estimant lésé dans Government of BC était perçu comme un employé soit n'ayant pas de longs états de service, soit comptant environ six ans de service.

Réponse à l'argumentation de l'employeur concernant Natrel et Bradley :

Nous estimons, en toute déférence, que l'importance qu'on a accordée aux états de service comme circonstance atténuante dans Natrel et Bradley est conforme à la doctrine actuelle.

Natrel (dernier paragraphe) : [traduction]« Vingt années de service relativement bon sont un facteur important. »

Bradley (paragraphe 134) : [traduction]« L'employeur a tenu compte de certains facteurs atténuants, dont les 27 ans de service du fonctionnaire s'estimant lésé […] »

C'est ce que vous devriez retenir de ces deux décisions. Comme les faits différaient dans chacune, l'évaluation des arbitres les a menés à la conclusion qu'en dépit de cette circonstance atténuante, la réintégration ne serait pas justifiée. Puisque les faits là ne ressemblent en rien à ceux de la présente affaire, il est impossible de se fonder sur les décisions rendues pour déterminer si les longs états de service de M. Roberts devraient justifier sa réintégration. Dans cette affaire-ci, l'employeur a erré en jugeant que les états de service de M. Roberts jouaient contre lui.

[…]

C. Réplique

203 Dans sa réplique présentée de vive voix, l'employeur a maintenu que le seul choix possible en l'espèce consiste à conclure que M. Jalbert et l'agent Cox disaient la vérité quand ils ont déclaré avoir vu le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A ou qu'ils mentaient. L'employeur avait le même choix à faire dans son enquête : il devait croire M. Jalbert et l'agent Cox ou bien le fonctionnaire s'estimant lésé. Il vaut la peine de souligner que même le fonctionnaire s'estimant lésé n'est pas allé jusqu'à dire que M. Jalbert et l'agent Cox mentaient dans son contre-interrogatoire.

204 M. Jalbert a témoigné qu'il a vu plus qu'un simple mouvement vers l'avant du bras du fonctionnaire s'estimant lésé. Il l'a vu frapper le détenu A, que ce soit du coin de l'oil ou pas, et il le lui a dit juste après l'incident. Par contre, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a avancé aucune preuve que l'agent Cox n'était pas crédible. Qu'il ait dit que cet agent briguait une place dans l'équipe de réaction en cas d'urgence ne revient pas à prétendre qu'il avait une bonne raison de mentir. Les places dans cette équipe vont à de bons agents en bonne condition physique. Or, et Mme Morrin, et M. Goodberry ont témoigné que M. Cox était considéré comme un bon agent.

205 L'agent Sly a admis que son diagramme n'était pas exactement à l'échelle. En ce qui concerne la position qu'occupaient les gens qui se trouvaient devant le détenu A, on n'a jamais dit que quiconque était resté sans bouger durant tout l'incident, et rien ne permet de douter que l'agent Cox avait un champ de vision dégagé au moment crucial. D'autres témoins ont entendu le détenu A dire des choses du genre : « Est-ce que c'est comme ça que vous traitez le monde? » et « Quelqu'un d'autre veut-il me frapper? » La seule conclusion logique est que M. Jalbert et l'agent Cox disaient la vérité, que le fonctionnaire s'estimant lésé mentait et qu'il a bel et bien frappé le détenu.

206 Pour ce qui est de la raison invoquée afin de justifier la sanction dans la lettre de licenciement, il est important de tenir compte du témoignage de Mme Morrin, à savoir qu'elle s'était demandé si elle devait opter pour le licenciement plutôt que pour une sanction moins dure. C'est là que les autres éléments que la direction reprochait au fonctionnaire s'estimant lésé sont intervenus; il faudrait leur accorder le poids nécessaire.

207 Le fonctionnaire s'estimant lésé a nié s'être fait reprendre pour être intervenu dans des situations qui le mettaient en contact direct avec des détenus, en déclarant n'avoir jamais reçu les documents déposés en preuve. La Pièce E-18 est un courriel interne; normalement, on n'en remettrait pas une copie au fonctionnaire s'estimant lésé, mais il n'en est pas moins logique que celui-ci aurait dû être conscient de l'état de santé précaire qui l'avait obligé à prendre trois ans et demi de congé d'invalidité. Il se devait de tenir compte de ses propres limitations quand il est retourné au travail. Par souci de protéger son intimité, la direction n'a pas donné de détails médicaux sur lui aux autres fonctionnaires, sauf à son superviseur direct. M. Jalbert se serait fait dire que le fonctionnaire s'estimant lésé était en affectation spéciale sans qu'on lui précise pourquoi.

208 La présence ou l'absence de détails sur l'incident dans les rapports d'observation n'a pas vraiment d'importance puisque tous les agents intéressés ont rencontré les enquêteurs dans la semaine qui a suivi l'incident, en leur donnant des déclarations complètes. L'agent Cox a même déclaré qu'il n'avait pas produit de rapport de suivi parce qu'il savait qu'il allait rencontrer les enquêteurs et tout leur dire.

209 Dans son argumentation, le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir qu'on devrait tenir compte dans la marge de manouvre accordée aux agents de correction du caractère très stressant de leur milieu de travail. Le Pénitencier de Kingston est effectivement un lieu de travail extrêmement stressant, mais on s'attend à ce que les agents de correction sachent bien composer avec le stress. En l'occurrence, rien dans la preuve ne laisse entendre que l'incident était violent. Le détenu A était menotté dans le dos, maintenu à chaque épaule et contenu dans un fauteuil. Il n'a menacé personne durant l'incident.

210 Le fonctionnaire s'estimant lésé était-il le plus à même de déterminer quelle force utiliser? L'employeur lui a offert la possibilité d'expliquer son recours à la force à chacune des deux rencontres disciplinaires, mais il ne l'a pas fait. Ses représentants syndicaux ont été invités à présenter par écrit des observations dont on allait tenir compte, mais ils ne l'ont pas fait non plus. Chose certaine, le fonctionnaire s'estimant lésé a eu amplement l'occasion d'expliquer ce qu'il avait fait. L'employeur n'a pas pris sa décision disciplinaire cavalièrement. Il a passé quatre mois à peser la preuve, en donnant à l'intéressé des possibilités d'y répondre.

211 L'employeur a présenté par écrit ses observations en réplique à la jurisprudence invoquée par le fonctionnaire s'estimant lésé :

[Traduction]

[…]

En réponse aux observations écrites du syndicat, l'employeur répète et confirme les arguments qu'il a présentés de vive voix le 13 décembre 2006, avec la jurisprudence qu'il a soumise à l'arbitre à cette date.

Pour répondre aux observations écrites du syndicat sur la jurisprudence ainsi qu'aux arguments qu'il a avancés dans ce contexte, l'employeur présente les observations suivantes :

I-        Charge de la preuve et crédibilité

En réponse à la prétention du syndicat que la charge de la preuve dont l'employeur doit s'acquitter doit être juste en deçà de celle qu'on exige dans un procès au pénal, l'employeur soutient ce qui suit :

Dans une décision rendue en 2004 (Mackie c. Solliciteur général Canada - (Service correctionnel) 2004 CRTFP 3), [sic] l'arbitre Guindon a déclaré que :

Ce fardeau de preuve plus rigoureux est décrit dans l'affaire Samra (dossier de la Commission 166-2-26543), citée dans l'affaire Gale, supra :

[…] La jurisprudence actuelle abonde en affaires qui appuient la notion que dans les cas de prétendue inconduite grave, particulièrement lorsque l'emploi et la réputation d'une personne sont en jeu, l'employeur doit prouver par des preuves claires, convaincantes et solides que les faits allégués se sont produits. Même si la norme n'est pas celle des affaires criminelles où l'on exige des preuves hors de tout doute raisonnable, il faut davantage qu'une simple prépondérance de la preuve.

(Nous soulignons)

Cela concorde avec les observations que l'employeur a déjà présentées sur ce point.

M. Guindon a poursuivi ce raisonnement au paragraphe 65 :

De graves allégations sont formulées relativement à des incidents dont personne n'a été témoin, et de telles allégations nécessitent l'application du critère de la crédibilité défini par le juge O'Halloran dans l'affaire Faryna v. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354, dans les termes suivants :

[Traduction]

En bref, pour pouvoir réellement conclure que l'histoire d'un témoin est vraie en pareil cas, celle-ci doit être en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu'une personne pratique et informée reconnaîtrait d'emblée comme étant raisonnables en ce lieu et dans ces circonstances.

(Nous soulignons)

L'arbitre a conclu au paragraphe 66 en déclarant : L'employeur devrait dès lors être tenu de démontrer par des preuves claires, convaincantes et solides que les faits allégués se sont produits.

En toute déférence, l'employeur estime que cette charge de la preuve est celle que les commissions et conseils des relations du travail exigent dans les affaires de licenciement. En outre, comme nous l'avons déjà vu, on substitue parfois l'adjectif « cohérent » au mot « convaincant » dans un tel contexte. Ainsi, au paragraphe 93 de la décision qu'il a rendue en 2003 dans l'affaire Oliver (Oliver c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 43), l'arbitre Mackenzie a jugé certains témoignages « convaincants » parce que les contribuables qui les avaient rendus n'avaient aucun intérêt direct dans le résultat de la procédure. Ce principe est applicable en l'espèce, en raison du caractère convaincant du témoignage des personnes que l'employeur a fait comparaître et dont aucune n'avait un intérêt direct dans la procédure.

II-      Décision Dagenais

D'emblée, l'employeur maintient que ni Dagenais, ni Penny ne sont pertinentes en l'espèce. M. Roberts a constamment nié avoir frappé le détenu; par conséquent, l'analyse des circonstances atténuantes retenues dans ces décisions-là est inapplicable. Il faut évaluer la conduite de M. Roberts dans son ensemble, compte tenu de son refus d'accepter la responsabilité de ses actes. M. Roberts n'a jamais admis avoir frappé le détenu, ce qui situe les événements en l'espèce dans un contexte entièrement différent de celui des deux décisions susmentionnées. Mme Morrin et M. Jalbert ont été très clairs dans leur témoignage : si M. Roberts avait admis avoir frappé le détenu, ils auraient été ouverts et prêts à entendre sa version de l'affaire, puis à évaluer les renseignements qu'il leur donnerait. Toutefois, comme il a refusé d'admettre avoir fait quoi que ce soit de mal, il s'ensuit qu'il n'y a pas eu de discussion sur les facteurs susceptibles de mitiger la gravité de son acte ou d'expliquer le fait qu'il avait frappé le détenu.

Dans Dagenais, [dossier de la CRTFP 166-2-15767 (19870818)], les faits n'étaient pas contestés et le fonctionnaire s'estimant lésé avait admis avoir frappé le détenu. En outre, il était incontesté que le détenu S était spécial, violent, dangereux, insultant et imprévisible. C'était un fait établi qu'il provoquait constamment les agents de correction. On avait déclaré qu'il était peut-être le pire criminel au Canada. De plus, au moment des événements, l'arbitre l'a bien dit : « il a proféré des injures toute la soirée, à partir du moment où les agents sont arrivés pour le transférer à la cellule A-1-6 jusqu'au moment où il a été ramené à la cellule A-1-4 et même pendant que les agents quittaient la rangée » (page 9). Enfin, le détenu S avait provoqué le fonctionnaire s'estimant lésé; il l'injuriait et le menaçait, lui et sa famille. L'arbitre avait donc conclu que c'était un détenu qui injuriait les gens, un détenu violent, menaçant et dangereux.

On est bien loin là de la preuve présentée à l'audience devant vous. L'employeur affirme que les témoignages des agents de correction Jalbert, Cox, MacKay et Charlton décrivaient un détenu qui n'était pas menaçant, qui n'était pas violent et qui était sous contrôle. Qui plus est, ce détenu n'avait jamais menacé le fonctionnaire s'estimant lésé ni sa famille; il n'avait pas non plus frappé le fonctionnaire s'estimant lésé, contrairement à ce que le détenu avait fait dans Dagenais. L'employeur maintient donc qu'on ne saurait comparer l'affaire Dagenais à celle dont vous êtes saisi et estime qu'aucune des circonstances atténuantes dans Dagenais n'existe en l'espèce.

III-     Décision Penny

Dans Penny [dossier de la CRTFP 166-2-15652 (19860819)], les faits n'étaient pas contestés. Le fonctionnaire s'estimant lésé avait franchement admis avoir giflé le détenu. Il s'agissait de décider si la force utilisée était nécessaire et, dans l'affirmative, si elle était raisonnable. On ne peut pas comparer cette affaire-là à la présente affaire. M. Roberts nie catégoriquement avoir donné un coup de poing, une gifle ou un coup quelconque au détenu, de sorte que les questions qu'il faut poser en droit sont les suivantes : M. Roberts a-t-il agressé le détenu? Si oui, le licenciement était-il une sanction raisonnable? Par conséquent, l'employeur affirme qu'on ne saurait établir un parallèle entre la situation dans Penny et les faits en l'espèce, puisque les faits et les enjeux sont entièrement différents dans les deux cas.

Réplique à la réponse du syndicat sur l'argument de l'employeur invoquant Gale et Teeluck (le « code d'honneur » et la crédibilité des témoins) :

  • Le syndicat a tort de dire que la preuve n'a pas établi l'existence d'un code d'honneur au Pénitencier de Kingston. En fait, sur ce point, la preuve était très claire :

    Jalbert a reconnu que ce code du silence est toujours bien réel au Pénitencier de Kingston en déclarant craindre ce que le reste du personnel dirait sur les agents qui étaient dans la salle. Il a témoigné qu'on allait se demander : « Vont-ils le dénoncer? » Il a dit que les agents sont incités à ne pas déclarer certaines choses, et que c'est précisément pour cette raison qu'il voulait tenter de régler l'incident au niveau le plus bas possible, plus précisément entre le fonctionnaire s'estimant lésé et lui-même, sans y mêler d'autres membres du personnel.

    M. Cox a lui aussi fait allusion à la contestation de son intégrité par des collègues s'il devait témoigner contre un autre agent. Il a clairement déclaré qu'il ne voulait pas témoigner à l'audience, et c'était évident dans sa gestuelle et dans son comportement. On pourrait en dire autant pour les agents MacKay et Charlton, qui ont clairement fait savoir qu'ils ne voulaient pas témoigner à l'audience. Ces trois agents (MacKay, Cox et Charlton) ont dit qu'ils avaient été assignés à comparaître.
  • La jurisprudence confirme la conclusion qu'il existe bel et bien un « code d'honneur » dans les établissements carcéraux. Nous l'avons déjà dit, elle a été corroborée par les témoignages à l'audience et elle est largement reconnue dans la jurisprudence (Teeluck, RenaudetMackie) : il existe un code d'honneur au Service correctionnel du Canada. C'est très clairement exprimé au paragraphe 24 de la décision Mackie : « Le qualificatif de « rat » au Service correctionnel est lié à l'existence d'une « loi du silence » à l'intérieur de l'établissement. Un agent est considéré comme un « rat » si, au lieu de garder le silence sur ce qui se passe dans l'établissement ou de camoufler la vérité, il enfreint la loi du silence et parle. »
  • Le syndicat a tort de prétendre que M. Cox était extrêmement mal à l'aise quand il s'est fait demander s'il se rappelait où les agents étaient exactement durant l'incident dans la salle de traitement. M. Cox avait lui-même admis se sentir malade à la seule idée de devoir témoigner contre un autre agent de correction. Son témoignage en contre-interrogatoire a été clair, cohérent et compatible avec ce qu'il avait dit aux enquêteurs.
  • Les témoignages de MM. Jalbert et Cox concordaient sur la question du coup asséné au détenu par M. Roberts. Ils se rappelaient aussi tous les deux ce que le détenu avait dit aussi bien avant qu'après avoir été frappé. Ils l'avaient tous les deux entendu qualifier M. Roberts d'« imbécile » avant que le coup ne soit porté.
  • Enfin, au paragraphe 75 de la décision qu'il a rendue en 2002 dans Renaud, l'arbitre Potter a écrit ce qui suit sur l'existence d'un code d'honneur au Pénitencier de Kingston : « Je suis absolument convaincu qu'il existait une loi du silence parmi les agents de correction au moment où cet incident s'est produit. »

Réplique à la réponse du syndicat à l'argumentation de l'employeur concernant Chénier :

  • Contrairement à la prétention du syndicat que l'infirmier, M. Williams, avait « beaucoup » d'expérience professionnelle aux côtés de M. Roberts, rien n'a été déposé en preuve quant au nombre de quarts que les deux avaient travaillés ensemble. M. Williams ne travaille pas comme agent de correction; en outre, M. Roberts et lui sont des amis à l'extérieur du travail. Quand on tient compte de ces facteurs dans le contexte des exagérations et des inconséquences du témoignage de M. Williams que le contre-interrogatoire a révélées, l'employeur est d'avis qu'on ne devrait guère accorder de poids à sa prestation.
  • D'après le témoignage de M. Lavarato, il est clair que celui-ci a travaillé avec M. Roberts il y a une dizaine d'années. C'est donc en se basant sur une expérience qui date de dix ans que ce témoin a déclaré qu'il travaillerait encore avec lui. L'employeur est d'avis qu'on ne devrait guère accorder de poids à ce témoignage puisqu'il ne reflète pas la conduite la plus récente de M. Roberts en tant qu'agent de correction.

Réplique à la réponse du syndicat à l'argumentation de l'employeur concernant Courchesne :

  • Tous les problèmes ou toutes les lacunes de l'enquête, s'il en est, sont corrigés par l'audience devant vous. Dans Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818, la Cour d'appel fédérale a reconnu le principe que toute injustice procédurale du processus disciplinaire est corrigée par une audience de novo devant la Commission.

Réplique à la réponse du syndicat à l'argumentation de l'employeur concernant Rose :

Comment le syndicat peut-il parler de provocation des actions de M. Roberts? M. Roberts a nié avoir fait quoi que ce soit de mal. Par conséquent, on ne saurait logiquement tenir compte d'une prétendue provocation. Si M. Roberts admet effectivement avoir frappé le détenu, cela reviendrait pour lui à dire le contraire de ce qu'il a déclaré aux enquêteurs et de ce qu'il a affirmé à son employeur aux deux rencontres disciplinaires auxquelles il avait été convoqué, ainsi que de ce qu'il a témoigné à l'audience. De plus, cela ne répond pas à la question de savoir quelle sorte d'agent M. Roberts est vraiment, étant donné qu'il a soumis ses collègues agents de correction au stress de devoir témoigner parce qu'il a nié avoir mal agi.

Nous avons déjà fait état des différences entre cette affaire et l'affaire Rose dans l'argumentation que nous avons présentée de vive voix. L'employeur n'accepte pas la prétention du syndicat quant à ce qui distinguerait ces deux affaires. Le syndicat a négligé de mentionner une des principales différences, à savoir que le détenu agressé par M. Roberts était menotté dans le dos, assis dans un fauteuil, en train de faire soigner une blessure et en détresse psychologique, comme en témoigne le fait qu'il s'était blessé lui-même, ainsi qu'en détresse physique, parce qu'il avait avalé des lames de rasoir.

Réplique à la réponse du syndicat à l'argumentation de l'employeur concernant Rose, Courchesne, Simoneau et Turner :

  • Le syndicat a déclaré que M. Roberts était « digne de confiance », « honnête » et « intègre », et a soutenu qu'il « agissait de bonne foi »; il a aussi prétendu qu'aucune « preuve directe » ne confirme que M. Roberts était conscient que ses actions au risque de perdre la vue inquiétaient son employeur. La preuve démontre le contraire. Plus précisément :
  • M. Roberts nie avoir frappé le détenu, ce qui signifierait donc que MM. Cox et Jalbert mentent;
  • M. Roberts nie avoir demandé à Mme Charlton si elle était fâchée contre lui lorsqu'il l'a rencontrée au Pénitencier de Kingston après l'incident avec le détenu, ce qui voudrait donc dire que Mme Charlton ment;
  • M. Roberts nie avoir eu des rencontres avec Lynne Van Dalen au sujet de l'avancement des dispositions d'adaptation prises à son endroit en 2003, ce qui signifierait donc que Mme Van Dalen a déposé un rapport mensonger [pièces E-16 et E-17];
  • M. Roberts nie avoir su que son état de santé lui interdisait d'éviter de courir un danger physique, même s'il s'était fait envoyer copie conforme d'une lettre à cet effet [Pièce E-11], et ce en dépit de son propre témoignage sur la gravité de son état de santé;
  • M. Roberts nie avoir été averti de ne pas se mêler à des situations où des détenus étaient sous escorte, en dépit des graves réserves que l'employeur avait soulevées dans la Pièce E-18 et du témoignage sous serment de Donna Morrin, qui a affirmé qu'on l'avait averti à cause de ces réserves.

L'employeur estime donc qu'il est incroyable que tant d'autres personnes aient menti et que M. Roberts ait dit la vérité. Son témoignage doit être évalué en fonction de sa crédibilité pour le moins douteuse.

En outre, et comme il l'a déjà dit de vive voix, l'employeur est convaincu que les actions de M. Roberts témoignent d'un manque flagrant d'intégrité et de bonne foi. Il l'a déjà fait valoir et fait fond sur ces observations dans le reste de sa réplique.

Réplique à la réponse du syndicat à l'argumentation de l'employeur concernant Government of BC :

  • Comment le syndicat peut-il maintenant crier à la légitime défense et à la provocation? M. Roberts a nié de façon répétée avoir frappé le détenu. Par conséquent, ces prétentions ne pourraient être évaluées dans aucun contexte.

Réplique à la réponse du syndicat à l'argumentation de l'employeur concernant Swan, Natrel et Bradley :

  • M. Roberts a lui-même admis avoir été conscient qu'il y avait dans la salle de traitement des agents ne comptant que quelques années de service. Il avait la responsabilité de donner l'exemple, et il ne l'a pas fait.
  • En sa qualité d'agent d'expérience, M. Roberts n'a « aucune excuse » pour sa conduite, comme l'a déclaré Donna Morrin, la directrice du Pénitencier de Kingston.

Par conséquent, l'employeur estime en toute déférence que le règlement optimal de cette affaire consiste à rejeter le grief de M. Roberts.

[…]

IV. Motifs

212 En dépit de la longueur de la preuve et des arguments présentés dans cette affaire, les questions à trancher ne sont pas complexes. Ma tâche consiste essentiellement à déterminer ce qui s'est produit dans la salle de traitement de l'infirmerie du Pénitencier de Kingston dans la soirée du 28 septembre 2005 ou aux petites heures du matin le 29 septembre 2005, et si ce qui s'est passé constituait une action passible d'une mesure disciplinaire pour laquelle le licenciement était une sanction juste, toutes proportions gardées. Les deux éléments suivants sont déterminants des motifs de la décision qui suit : 1) Le fonctionnaire s'estimant lésé a-t-il usé d'une force excessive à l'endroit du détenu A, comme l'employeur l'allègue? 2) Si le fonctionnaire s'estimant lésé a effectivement usé d'une force excessive à l'endroit du détenu A, cet acte était-il une raison valable pour que l'employeur décide de le licencier?

213 La réponse à cette première question figure dans la lettre disciplinaire datée du 26 janvier 2006 que Mme Morrin a signée en sa qualité de directrice du Pénitencier de Kingston (Pièce E-19) : [traduction] « […] Après mûre réflexion, j'ai conclu que vous avez usé d'une force excessive en présence d'autres agents de correction quand vous avez délibérément frappé un détenu en détresse qui recevait des soins médicaux et qui était menotté dans le dos […] » Pour ce qui est de la seconde question, voici ce que Mme Morrin a déclaré dans cette lettre :

[Traduction]

[…] vous avez entièrement ignoré la loi, les directives du Commissaire et les politiques du SCC […] Votre inconduite est un manquement grave aux Règles de conduite professionnelle et au Code de discipline du Service correctionnel du Canada […] Compte tenu de la nature et de la gravité de votre inconduite, je ne puis que conclure que le lien de confiance fondamental à la relation d'emploi a été irréparablement rompu. Qui plus est, la conduite dont vous avez fait preuve est entièrement incompatible avec celle qu'on attend d'un agent de correction du Service correctionnel du Canada. Je suis par conséquent incapable d'avoir encore confiance en votre aptitude à vous acquitter de vos fonctions d'agent de correction.

214 L'enquête disciplinaire que l'employeur a menée a révélé plusieurs autres actes d'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé dans la soirée en question. À l'audience, j'ai aussi entendu des témoignages et des arguments sur le jugement - ou sur le manque de jugement - du fonctionnaire s'estimant lésé quand il s'est immiscé dans le contrôle du détenu A cette nuit-là. Ces éléments font nécessairement partie du contexte de l'affaire, mais la décision disciplinaire sur laquelle je dois me prononcer doit tenir compte du motif officiellement invoqué par l'employeur en accusant le fonctionnaire s'estimant lésé d'avoir usé d'une force excessive.

A. Le fonctionnaire s'estimant lésé a-t-il usé d'une force excessive à l'endroit du détenu A, comme l'employeur l'allègue?

215 Les témoins de l'employeur ont employé différents verbes à différents points de leurs témoignages pour décrire ce que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait fait au détenu A au moment critique de l'incident dans la salle de traitement : il l'aurait « frappé », lui aurait « donné un coup de poing », l'aurait « giflé » dans la figure ou encore « agressé ». Les termes employés pour décrire son geste sont de toute évidence importants et m'aident à comprendre la nature et la gravité de ce qui s'est passé. Toutefois, à mon avis, il est moins important que j'arrive à la conclusion qu'il s'agissait par exemple d'une « gifle » plutôt que d'un « coup de poing » que de décider si l'action alléguée a bel et bien eu lieu (quelle que soit la façon de la décrire le mieux) et si cette action, à supposer qu'elle ait eu lieu, constituait un recours excessif à la force dans le contexte.

216 La preuve et les pièces que j'ai devant moi suffisent à me convaincre que la notion de « force excessive » n'est pas absolue. Que le recours à la force par un agent de correction soit excessif ou pas est fonction des circonstances dynamiques de la situation, étant entendu que chaque agent de correction doit juger de ce qui est approprié dans n'importe quelle situation. Je prends note particulièrement des principes exprimés aux paragraphes 7 à 9 de la Directive du commissaire 567 (Pièce E-7) :

7. Toutes les procédures ayant trait à la présente politique doivent être suivies de façon à favoriser un environnement sûr et sécuritaire, dans le respect de la règle de droit.

8. Toutes les interventions visant à gérer ou à maîtriser les situations qui compromettent la sécurité en établissement doivent :

a.       favoriser le règlement pacifique de ces situations au moyen d'interventions verbales et de négociations;

b.       se faire conformément au Modèle de gestion de situations;

c.       faire appel aux mesures les plus raisonnables et sécuritaires possible pour prévenir ou résoudre les situations;

d.       s'adapter aux différentes tournures que peuvent prendre les événements.

9. Il est interdit de faire subir un traitement cruel, inhumain ou dégradant à un détenu, ou d'y consentir.

217 Le Modèle de gestion de situations du SCC (Pièce E-7a) décrit différents types de situations auxquelles les agents de correction sont confrontés (p. ex. « résiste verbalement », « physiquement non coopératif », « violent ») et la gamme des réactions appropriées dans chaque cas pour un agent selon son évaluation de la situation. Le modèle reconnaît donc que les agents ont le choix dans de nombreuses situations, quoique certains choix dépassent de toute évidence ce qu'une situation donnée permet. Fondamentalement, l'impératif sous-jacent est toujours le même, comme le précise la Directive du commissaire 567 : il faut choisir les « […] mesures les plus raisonnables et sécuritaires possible pour prévenir ou résoudre les situations ».

218 Pour pouvoir déterminer si le fonctionnaire s'estimant lésé a usé d'une force excessive, je dois comprendre la nature de la situation, comment il a réagi et si sa réaction était appropriée dans cette situation. L'incident n'a pas été enregistré, contrairement à celui dans Rose, une décision invoquée par les deux parties, de sorte que je n'ai pas de bande vidéo pour m'aider. Certains des témoins sont clairement en désaccord sur des points critiques; les deux parties ont reconnu que cela souligne l'importance de leur crédibilité.

219 Les parties ont présenté des arguments sur l'existence d'un « code d'honneur » et sur ce qu'il signifierait pour déterminer la crédibilité de plusieurs des témoins. Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que je n'ai aucune preuve directe de l'existence d'un tel code au Pénitencier de Kingston, ni de l'effet qu'il aurait pu avoir sur le témoignage des agents à l'audience. L'employeur a répliqué qu'un « code d'honneur » avait rendu plusieurs témoins réticents à témoigner et influé sur leur comportement à l'audience. L'employeur m'a aussi renvoyé à plusieurs décisions d'arbitrage dans lesquelles on a conclu à l'existence d'un tel code et à son importance pour évaluer la crédibilité des témoignages.

220 Je pense qu'il n'est pas nécessaire que je conclue à l'existence qu'un « code d'honneur » au Pénitencier de Kingston au moment de l'incident. De toute évidence, il existe dans cette affaire des facteurs reflétant le contexte humain aussi particulier que complexe d'un pénitencier à sécurité maximale. Cela dit, il m'est impossible de déterminer avec précision comment ces facteurs ont influé sur les témoignages que j'ai entendus. À mon avis, lorsqu'il s'agit d'évaluer la crédibilité d'un témoin, il faut procéder comme le juge l'a établi dans Faryna v. Chorney. Pour déterminer si la version d'un témoin est vraie, elle doit [traduction] « […] être en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu'une personne pratique et informée reconnaîtrait d'emblée comme étant raisonnables en ce lieu et dans ces circonstances ». Bien sûr, le dilemme manifeste d'un témoin comme l'agent Cox - et son comportement à l'audience - ne me laissent pas indifférent. Néanmoins, je préfère évaluer sa crédibilité et celle des autres témoins en me fondant sur le critère établi dans Faryna plutôt que m'en faire ma propre idée en me basant sur la prétendue influence d'un « code d'honneur ». Sans rejeter ce que les arbitres de griefs qui m'ont précédé ont conclu sur ce point (voir Gale, Teeluck et Chénier), j'estime que la preuve produite en l'espèce ne me donne pas de base solide pour déduire ou pour imaginer comment un « code d'honneur » a pu jouer exactement.

221 La charge de la preuve à produire est de toute évidence extrêmement importante ici. L'employeur doit normalement justifier sa décision d'imposer une sanction disciplinaire lorsque le fonctionnaire s'estimant lésé l'attaque. Les arbitres de griefs  chargés d'entendre des affaires sous le régime de la Loi ainsi que de l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ont normalement retenu la norme de la preuve exigible au civil, celle de la prépondérance des probabilités, dans la plupart des cas. Toutefois, ils ont normalement exigé davantage de l'employeur dans les cas où l'inconduite invoquée pour justifier la discipline était très grave et plus particulièrement dans les affaires où l'employeur avait opté pour la sanction ultime qu'est le licenciement. Cette charge de la preuve accrue tourne autour de la notion d'une preuve « claire et logique », à laquelle les arbitres de griefs ont parfois ajouté des qualificatifs comme « solide » ou « convaincante ».

222 L'obligation de produire une preuve « claire et logique » a été reconnue le plus clairement dans les cas où l'inconduite reprochée à l'intéressé correspond à un acte qui pourrait être « considéré dans un contexte criminel ». Cette approche est bien décrite dans Séguin c. Chambre des communes, 2001 CRTFP 37 :

[80] La jurisprudence prépondérante en matière d'arbitrage [voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, troisième édition, 7.2500] a établi que le fardeau de la preuve au civil est de mise dans tous les cas de sanction disciplinaire. L'employeur doit prouver ce qu'il avance selon la prépondérance des probabilités, quoiqu'à un degré variable selon la gravité de la sanction disciplinaire et de l'inconduite. En l'espèce, l'employeur a jugé que les incidents en question équivalaient à une inconduite assez grave pour justifier la sanction ultime du congédiement. Les trois allégations d'inconduite étaient suffisamment graves pour que Me Hofley reconnaisse qu'elles auraient pu faire l'objet d'une procédure pénale. Le fardeau de prouver chacune des allégations d'inconduite de façon claire et concaincante incombe donc à l'employeur.

223 Le point focal de la présente affaire est l'allégation que le fonctionnaire s'estimant lésé a frappé un détenu au visage dans une situation où celui-ci était sous contrôle, les mains menottées dans le dos, en train de recevoir des soins médicaux dans un contexte hospitalier pour des blessures qu'il s'était lui-même infligées. Dans son témoignage, Mme Morrin a déclaré que l'enquête policière qui a commencé après que le public eut été informé de l'incident aurait pu aboutir au dépôt d'une plainte au criminel contre le fonctionnaire s'estimant lésé. La preuve a aussi démontré que le fonctionnaire s'estimant lésé lui-même craignait d'être poursuivi au pénal à l'époque. En fin de compte, aucune accusation n'a été portée contre lui. Dans une affaire où des éléments comme ceux-là sont présents, l'obligation de l'employeur de produire une preuve claire et convaincante est à mon avis entièrement appropriée.

224 Dans ses observations, l'employeur a parlé d'une preuve « claire », « logique » et « convaincante ». Pour sa part, le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que la preuve de l'employeur doit aussi être « solide » et « fiable ». Je ne crois pas utile de choisir parmi ces autres qualificatifs. Il n'est pas déraisonnable, selon moi, de penser qu'une preuve « claire et logique » est probablement aussi « convaincante », « substantielle » et « fiable ». Globalement, il s'agit d'une charge de la preuve intellectuellement distincte et nettement plus lourde que celle de la simple « prépondérance des probabilités ».

225 Dans leur argumentation, les parties ont poussé plus loin la discussion sur la charge de la preuve. L'employeur a déclaré que la charge exigible se situe à peu près à mi-chemin entre la « prépondérance des probabilités » et la charge de la preuve au pénal, « au-delà de tout doute raisonnable ». Le fonctionnaire s'estimant lésé a répliqué qu'elle devrait être interprétée dans les circonstances comme étant bien plus près du critère « au-delà de tout doute raisonnable » - autrement dit « à près de 100 % » sur une échelle allant de 0 % pour la charge de la preuve au civil et 100 % pour la charge de la preuve au pénal.

226 Je refuse d'entrer dans un débat sur le point auquel une preuve « claire et logique » devrait se situer sur une échelle numérique quelconque. Par contre, j'estime qu'un seuil en deçà du critère « au-delà de tout doute raisonnable » suppose logiquement la possibilité d'un certain doute dans l'interprétation de la preuve. En se fondant sur le critère d'une preuve « claire et logique », un arbitre de grief peut conclure par exemple que le fonctionnaire s'estimant lésé a posé des questions qui soulèvent des doutes sur la preuve produite par l'employeur, mais que ces doutes sont dissipés par de solides éléments de preuve avancés par l'employeur qui lui permettent de tirer ses conclusions avec confiance. La charge de la preuve exigible est donc clairement plus lourde que « 50 % plus une » des probabilités, mais déterminer jusqu'à quel point elle est plus lourde est une question que chaque arbitre de grief doit trancher dans l'affaire dont il est saisi.

227 On a présenté à l'audience plusieurs diagrammes censés représenter la disposition de la salle de traitement (pièces G-1, G-2 et G-3); tous sauf un indiquent aussi où le détenu A et les témoins se trouvaient au moment de l'incident. Cette preuve visuelle aurait, semble-t-il, une influence sur la fiabilité des témoignages relatifs à ce que chaque témoin a vu et ce, à partir de quel point. Les diagrammes ne m'ont guère semblé utiles; de toute façon, ils ne sont certainement pas concluants sur un point quelconque. Celui de l'agent Sly (Pièce G-3) semble le plus précis, mais il a l'inconvénient d'avoir été dessiné plus d'un an après l'incident. M. Sly a témoigné, en se fondant sur ce qu'il savait auparavant de la salle de traitement, que plusieurs éléments avaient changé entre-temps, surtout le fauteuil de traitement lui-même, mais que ces changements n'étaient pas significatifs. Bien que je n'aie aucune raison de douter du témoignage de M. Sly sur ce point, je dois bien préciser qu'il n'a pas été lui-même témoin de l'incident et qu'il ne peut donc pas jurer où étaient précisément les personnes ou les objets qui se trouvaient dans la salle cette nuit-là. Les autres diagrammes déposés en preuve ont été dessinés par des personnes qui étaient dans la salle au moment de l'incident, mais leur mémoire peut elle aussi faire défaut, et ce sont certainement des dessins dont l'échelle et les détails sont moins précis.

228 J'ai conclu que les diagrammes sont d'une utilité limitée par exemple en ce qui concerne l'agent Cox. Leurs différences ne sont peut-être pas énormes, mais elles existent, de sorte qu'il est bien difficile de situer exactement cet agent au moment de l'incident allégué. Par conséquent, ils ne peuvent pas corroborer hors de tout doute ce qu'il a déclaré, à savoir qu'il avait un champ de vision absolument dégagé vers le détenu A. D'un autre côté, les diagrammes ne contribuent guère aux arguments que le fonctionnaire s'estimant lésé a avancés pour contredire ceux de l'employeur sur ce point. Le fonctionnaire s'estimant lésé affirme que l'agent Cox était le témoin le plus loin du détenu A au moment de l'incident et que c'est donc le moins fiable sur ce qui s'est passé. Il prétend aussi, en se fondant essentiellement sur le diagramme de l'agent Sly, que M. Cox n'aurait pas pu avoir un champ de vision dégagé vers le détenu A étant donné qu'il y avait des personnes de forte taille devant lui, compte tenu de l'angle auquel il se situait par rapport au détenu (appuyé contre le comptoir dans le corridor ou assis dessus).

229 Je pense qu'il serait vraiment dangereux de conclure que la distance entre le témoin et la scène est toujours directement et positivement liée à sa fiabilité, dans le cas d'une relation complexe entre des personnes ou des objets. Il se pourrait bien, dans ce cas-ci, que l'agent Cox ait été aussi bien ou mieux placé comme témoin que les autres qui étaient plus près du détenu A. Je pense aussi, faute de pouvoir arriver à une reconstruction plus dynamique de ce qui s'est produit, qu'il y a des risques à conclure en se basant sur l'un ou l'autre des diagrammes statiques déposés en preuve que les personnes de forte taille qui étaient devant l'agent Cox lui avaient nécessairement bloqué la vue au moment même où le coup allégué aurait été porté. De petits mouvements de M. Jalbert, de l'agent MacKay ou d'autres témoins vers l'avant ou sur les côtés auraient pu faire une différence d'une seconde à l'autre. Compte tenu de ces complications possibles, je crois qu'il est plus sûr de peser l'idée que l'agent Cox ou d'autres témoins auraient vu le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A en me fondant sur les descriptions que cet agent et d'autres témoins ont données tant à l'époque de l'incident qu'à l'audience plutôt que sur les diagrammes.

230 L'employeur a déclaré que les témoignages de M. Jalbert et de l'agent Cox sont la preuve claire, logique et convaincante de l'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé qu'il se devait de produire pour justifier sa décision de le licencier. Je vais maintenant me pencher sur ce que MM. Jalbert et Cox ont déclaré au sujet des moments cruciaux de l'incident dans la documentation dont je dispose et dans leurs témoignages devant moi.

231 La première version des événements de cette nuit-là que M. Jalbert a donnée figure dans son rapport d'observation rédigé à 0 h 35 le 29 septembre 2005 (Pièce E-2). Ce rapport ne fait état d'aucune interaction entre les agents et le détenu A dans la salle de traitement. On peut y lire simplement que : [traduction] « […] À son arrivée à l'infirmerie, le sujet a été vu par les Soins de santé. On a appelé le médecin, qui a décidé qu'il voulait qu'on emmène le délinquant dans un hôpital de l'extérieur […] Le sujet a été conduit à l'hôpital de l'extérieur par des employés du PK. »

232 Le second rapport d'observation de M. Jalbert, rédigé à 7 h le même jour, est plus détaillé (Pièce E-2) :

[Traduction]

[…]

J'ai demandé au COI Roberts de retirer sa main de la figure [du détenu], et il l'a fait. Le délinquant était en colère; il jurait après les employés à ce moment-là. [Le détenu A] a dit à l'agent qu'il était un imbécile, ou quelque chose du genre. Le COI Roberts a alors allongé le bras et frappé [le détenu A] dans la figure avec sa main. J'ai dit au COI Roberts de sortir de la pièce.

[…]

[…] Le COI Roberts a demandé à l'auteur s'il pouvait rentrer chez lui pour changer son pantalon taché de sang. Je lui ai dit que ses actions m'avaient placé et avaient placé les autres dans une situation difficile […]

[…]

Vers 0 h 10, le COI Roberts est revenu au travail et s'est présenté à Keeper's Hall. Nous avons reparlé de la situation dans laquelle il m'avait placé […] Le COI Roberts n'a pas voulu en démordre : il avait fait son travail et n'avait pas frappé le délinquant. Je lui ai dit qu'il s'était écarté, mais que, lorsque le détenu l'avait injurié, il s'était rapproché et l'avait frappé […]

[…]

233 M. Jalbert a aussi soumis un « Rapport sur le recours à la force » (Pièce E-2) :

[Traduction]

[…]

[…] J'ai demandé au COI Roberts de retirer sa main de la figure [du détenu], et il l'a fait. Le détenu était en colère et jurait après les employés à ce moment-là. [Le détenu A] a dit à l'agent qu'il était un imbécile ou quelque chose du genre. Le COI Roberts a alors allongé le bras et frappé [le détenu] au visage avec sa main. La tête [du détenu A] a été rejetée vers l'arrière; quand elle est revenue vers l'avant, [le détenu A] criait après le COI Roberts. Quand on regardait [le détenu A], on pouvait voir ses yeux pleins d'eau, puisqu'il essayait de retenir ses larmes. J'ai dit au COI Roberts de sortir de la salle […]

234 Les enquêteurs ont interrogé M. Jalbert le 4 octobre 2005, moins d'une semaine après l'incident. Les notes en style télégraphique prises à cette occasion sont notamment les suivantes (Pièce G-1) :

[Traduction]

[…]

L'infirmier continue à lui dire de se calmer.

je dis à Kenny de le lâcher

le détenu dit est-ce que c'est comme ça que vous allez me traiter, en le traitant d'imbécile

je lui dis de le lâcher avant que le détenu fasse tous ses commentaires

il finit par le lâcher - le détenu le traite d'imbécile

du coin de l'oil, j'ai vu sa main bouger et entrer en contact avec la figure - sa tête a été rejetée en arrière

je dis à Kenny de sortir de la pièce

[…]

Te rends-tu compte de la situation dans laquelle tu m'as mis

Je n'ai rien fait

Tu l'as frappé

Je ne l'ai pas frappé

[…]

235 Les enquêteurs ont résumé la déclaration de M. Jalbert dans leur rapport (Pièce E-, pages 32 et 33); M. Jalbert a confirmé la validité de ce résumé dans son contre-interrogatoire :

[Traduction]

[…]

ROBERTS et MACKAY assoient le détenu dans le fauteuil. KENNY lui met la main sur la bouche et dans la figure pour le pousser dans le fauteuil. Il lui met un genou entre les jambes. J'ai regardé KENNY et je lui ai dit de déplacer sa main, de prendre le menton entre le pouce et l'index. KENNY a poussé fort pour rejeter la tête du détenu en arrière. Qu'on empêche un détenu de cracher ne me dérange pas, mais c'était pousser trop fort. La douleur indique la direction à prendre, et le détenu n'avait pas de place pour bouger. L'infirmier a tenté de dire au détenu de se calmer. Je dis à KENNY de lâcher le détenu.

Le détenu dit : « Est-ce que c'est comme ça que vous allez faire? » Ensuite, il traite KENNY d'« imbécile ». Du coin de l'oil, je vois la main de KENNY passer devant moi et entrer en contact avec la figure du détenu. La tête du détenu est rejetée vers l'arrière et ses yeux s'emplissent d'eau. Je ne sais pas avec quelle main KENNY l'a frappé, ou s'il avait la main ouverte ou le poing fermé. J'ai dit à KENNY de sortir.

[…]

KENNY est venu au bureau de l'infirmerie. Je lui ai demandé : « Te rends-tu compte de la situation dans laquelle tu m'as mis? » KENNY a répondu : « Je n'ai rien fait. » Je lui ai dit : « Tu l'as frappé ». KENNY a répondu : « Je ne l'ai pas frappé. Je ne l'ai jamais lâché. »

[…]

KENNY est retourné à l'établissement vers 0 h 45.

J'ai demandé à KENNY s'il savait ce qu'il avait fait. Il a dit : « J'ai fait ce que vous autres, les « moumounes » ne faisiez pas. Il a encore nié l'avoir frappé […]

[…]

236 Dans son interrogatoire principal, M. Jalbert a témoigné avoir vu du coin de l'oil un mouvement vers l'avant du bras du fonctionnaire s'estimant lésé, avoir entendu le bruit d'un impact et vu la tête du détenu A être rejetée en arrière. Quand sa tête est revenue vers l'avant, M. Jalbert a déclaré que les yeux du détenu étaient pleins d'eau. Lorsqu'on l'a interrogé au sujet des deux rencontres qu'il avait eues par la suite avec le fonctionnaire s'estimant lésé, M. Jalbert a déclaré lui avoir dit qu'il avait cogné ou frappé le détenu A, en déclarant que l'objet des deux discussions était « [.].. l'agression d'un détenu en [s]a présence ».

237 Prises dans leur ensemble, les déclarations de M. Jalbert sont globalement compatibles avec sa description des actions du fonctionnaire s'estimant lésé alléguant qu'il avait cogné ou frappé le détenu A. Son témoignage est aussi compatible avec les rapports des deux rencontres qu'il avait eues après l'incident avec le fonctionnaire s'estimant lésé, quand il l'avait confronté au sujet de ce qui s'était passé. Cela dit, son témoignage manque de précision. Il n'a pu dire ni pendant l'enquête, ni à l'audience si le fonctionnaire s'estimant lésé avait la main ouverte ou le poing fermé quand il a porté le coup allégué. Il a aussi déclaré tant aux enquêteurs qu'à moi, à l'audience, qu'il avait vu ce qui s'était passé avec sa vision périphérique, « du coin de l'oil ». Autrement dit, il n'a peut-être pas vu entièrement ni directement ce que le fonctionnaire s'estimant lésé aurait fait. En contre-interrogatoire, M. Jalbert a expliqué qu'il avait les yeux fixés sur la figure du détenu A immédiatement avant le moment ainsi qu'au moment où il a entendu le bruit d'une « tape » qui a attiré son attention; il ne regardait pas le fonctionnaire s'estimant lésé. Quand celui-ci lui a demandé comment il se faisait qu'il n'avait pas vu la gifle ou le coup de poing directement alors qu'il regardait le détenu A en plein visage, M. Jalbert a répété qu'il avait perçu le mouvement du bras du fonctionnaire s'estimant lésé avec sa vision périphérique, et que « ça c'était passé si vite ». Même si cette dernière partie de son témoignage ne réduit pas la cohérence globale de ce qu'il a déclaré, il reste possible que M. Jalbert ait pu mal interpréter ce qu'il a vu du coin de l'oeil.

238 Qu'est-ce que l'agent Cox a dit au sujet des mêmes moments cruciaux? Dans son rapport d'observation, il n'a rien déclaré sur l'incident (Pièce E-2) : [traduction] « Le détenu a été escorté jusqu'à l'infirmerie, où il a été soigné. Pendant que l'infirmier le soignait, il est devenu hostile et non coopératif; à ce moment-là, on lui a ordonné de s'asseoir dans le fauteuil de traitement […] Le détenu a été conduit à l'HGK […] »

239 Les notes sur l'interrogatoire de l'agent Cox par les enquêteurs (Pièce G-1) sont plus détaillées; on peut y lire notamment que :

[Traduction]

[…]

Kenny Roberts a maintenu le détenu dans le fauteuil en le poussant avec son genou et en lui mettant la main sur la figure, sur sa bouche et son nez, en poussant la tête du détenu sur le côté - il pensait que le détenu allait cracher

Le détenu était en colère parce qu'on l'avait maintenu dans le fauteuil - il a traité Kenny Roberts d'imbécile

Le détenu et K.R. ont échangé quelques paroles

K.R. a frappé le détenu du côté droit de la figure, sur la mâchoire/la joue, avec son poing fermé

Un coup de poing très rapide - je ne l'aurais pas vu si je n'avais pas regardé là

Linda ne pouvait pas le voir

Je pouvais voir clairement, d'à peu près 10 pieds.

240 Le résumé de la déclaration de l'agent Cox dans le rapport de l'enquête (Pièce E-2) se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Deux agents, MACKAY et ROBERTS, lui ont pris les bras et l'ont assis dans le fauteuil. CARL JALBERT était là; il me tournait le dos et je ne sais pas s'il a fait quelque chose. Je ne pouvais pas bien voir MACKAY. MIKE tenait le détenu du côté de son bras blessé. KENNY ROBERTS maintenait le détenu dans le fauteuil en le poussant avec son genou et en plaçant sa main sur sa figure, sur sa bouche et son nez. Il a poussé sa tête sur le côté. Je pensais qu'il allait cracher. On n'avait pas besoin de mon aide.

Le détenu était en colère parce qu'il avait été maintenu dans le fauteuil. Il a traité KENNY ROBERTS d'imbécile. Le détenu et KENNY ROBERTS ont échangé quelques paroles. KENNY ROBERTS a frappé le détenu avec son poing fermé du côté droit de la figure, sur la mâchoire/la joue. C'était un coup de poing très rapide. Je ne l'aurais pas vu si je n'avais pas regardé là. D'où elle était, LINDA ne pouvait pas le voir. Je pouvais voir clairement, d'à peu près 10 pieds.

Le superviseur JALBERT est intervenu. Il a dit à KENNY ROBERTS que ça suffisait et lui a ordonné au moins une fois de sortir. ROBERTS était visiblement fâché […]

Le détenu avait peur. Il a demandé si d'autres allaient le frapper aussi […]

[…]

241 Dans son interrogatoire principal, l'agent Cox a répété sous une forme virtuellement identique les principales observations résumées dans le rapport de l'enquête.

242 J'ai conclu que les témoignages de MM. Jalbert et Cox, pris conjointement, mais sans égard au reste de la preuve, étayent puissamment la thèse de l'employeur voulant que le fonctionnaire s'estimant lésé ait frappé le détenu A au visage. Il est possible que la version de M. Jalbert manque de précision, étant donné qu'il n'a vu l'acte du fonctionnaire s'estimant lésé que du coin de l'oil, mais, globalement, ce que les deux principaux témoins de l'employeur ont tous deux déclaré me paraît convaincant. Le risque que M. Jalbert ait mal interprété ce qu'il a vu avec sa vision périphérique me semble minime, compte tenu de l'observation directe et sans réserve du coup porté donnée par l'agent Cox. Je souligne aussi que le témoignage de M. Jalbert sur les deux rencontres qu'il a eues avec le fonctionnaire s'estimant lésé immédiatement après l'incident laisse très peu de doute sur sa conviction dans ces deux conversations qu'il avait été témoin d'une agression et qu'il l'avait dit au fonctionnaire s'estimant lésé.

243 J'admets que l'absence de toute allusion au coup porté par le fonctionnaire s'estimant lésé au détenu dans le premier rapport d'observation de M. Jalbert ou dans le seul et unique rapport d'observation de l'agent Cox peut être troublante, prise hors contexte. La preuve produite sur ce point est toutefois raisonnable et montre que les agents présents comprenaient les instructions de M. Jalbert, qui leur demandait de produire des rapports d'observation simples focalisés sur le détenu, et qu'ils ont suivi ces instructions. Le fait que les instructions étaient peut-être mauvaises est largement sans importance. Je ne vois aucune raison, dans la preuve qui m'a été présentée, de douter des raisons que M. Jalbert avait pour les donner. Il semble avoir été motivé de bonne foi par son désir d'entendre le point de vue du fonctionnaire s'estimant lésé avant de prendre une mesure quelconque pour tenter de régler le problème « à son niveau » et non pour « pendre » le fonctionnaire s'estimant lésé. Je n'ai pas non plus trouvé dans la preuve de raison quelconque de douter de l'intégrité des descriptions plus étoffées que M. Jalbert et l'agent Cox ont données par la suite, le premier dans son second rapport d'observation et dans son Rapport sur le recours à la force, et les deux dans leurs déclarations aux enquêteurs. À l'audience, M. Jalbert et l'agent Cox ont répété des versions de l'incident largement compatibles avec leurs comptes rendus antérieurs dans la preuve. En outre, ni l'un, ni l'autre n'ont été nettement ébranlés en contre-interrogatoire.

244 Mon analyse doit bien sûr être plus poussée qu'une simple évaluation de ce que M. Jalbert et l'agent Cox ont dit. Le reste de la preuve produite à l'audience confirme-t-il ou sape-t-il leurs versions de l'incident? En appliquant le critère de crédibilité établi dans Faryna, doit-on conclure que les témoignages de M. Jalbert et de l'agent Cox sont en harmonie avec les autres éléments de preuve pertinents produits à l'audience, autrement dit avec [traduction] « […] la prépondérance des probabilités qu'une personne pratique et informée reconnaîtrait d'emblée comme étant raisonnables en ce lieu et dans ces circonstances ».

245 L'employeur a déclaré que les témoignages des agents Charlton et MacKay corroboraient ceux de ses deux principaux témoins. Sur la question clé de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé avait frappé le détenu A, toutefois, ni l'un ni l'autre de ces témoins-là n'a directement confirmé les témoignages des deux principaux témoins. De son propre aveu, l'agent Charlton ne pouvait pas voir le détenu A au moment crucial, et son champ de vision ne lui permettait pas non plus de voir les mains du fonctionnaire s'estimant lésé. Pour sa part, l'agent MacKay a déclaré seulement qu'il avait entendu « […] un bruit comme celui du claquement d'un gant de latex ». Il n'avait pas vu ce qui s'était passé. Or, et le fonctionnaire s'estimant lésé l'a fait valoir, le claquement d'un gant de latex n'est pas un bruit nécessairement compatible avec l'impact d'un coup de poing ou d'une gifle. Ce que l'agent MacKay a déclaré n'est donc pas en soi une corroboration convaincante des témoignages que le fonctionnaire s'estimant lésé avait frappé le détenu A.

246 Le fait que l'agent Charlton a déclaré ne pas avoir vu le coup allégué a été expliqué de façon très plausible dans son témoignage. Elle a déclaré qu'elle était debout derrière M. Jalbert, un homme assez imposant qui lui bloquait probablement la vue à certains moments. Chose certaine, l'agent Cox a confirmé dans son témoignage que le champ de vision de l'agent Charlton vers le détenu A était bloqué par M. Jalbert, contrairement à son propre champ de vision. Le fait que l'agent MacKay n'a pas vu le coup allégué lui non plus a été tout aussi bien expliqué dans son témoignage. Il a déclaré qu'il avait les yeux fixés sur le bras du détenu A à ce moment-là; cela l'aurait vraisemblablement obligé à regarder vers le bas et légèrement à gauche du détenu, pas sa figure ni à sa droite, où le fonctionnaire s'estimant lésé se tenait.

247 À tous les autres égards, les agents Charlton et MacKay ont étayé la description des événements que l'employeur a donnée. L'agent Charlton était clairement d'avis que le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait rager le détenu A en lui faisant des commentaires répétés inutilement. Elle a témoigné que le fonctionnaire s'estimant lésé était lui-même excité et qu'il marchait de long en large dans la salle de traitement, ce qui laisse entendre que son état d'esprit n'était ni calme, ni professionnel. Elle a confirmé que le détenu A ne posait pas de danger au moment de l'incident : d'après elle, « […] il n'était pas nécessaire d'avoir recours à la force pour intervenir ». M. MacKay, pour sa part, a décrit un vif échange verbal entre le fonctionnaire s'estimant lésé et le détenu A, en souscrivant à l'idée que les remarques du fonctionnaire s'estimant lésé avaient eu pour effet d'irriter le détenu A et de faire escalader le problème. L'agent MacKay a d'ailleurs déclaré clairement qu'il aurait des réserves à l'idée de travailler encore avec le fonctionnaire s'estimant lésé, ce qui tend à révéler sa conclusion que le fonctionnaire s'estimant lésé avait eu une interaction inacceptable avec le détenu A dans la salle de traitement.

248 L'agent MacKay a avoué avoir négligé de préciser certains détails de l'incident dans son rapport d'observation original parce qu'il tentait d'aider le fonctionnaire s'estimant lésé au cas où quelque chose arriverait, ce qui m'a amené à me demander si des trous analogues dans son témoignage de vive voix étaient attribuables à ce même sentiment à l'endroit du fonctionnaire s'estimant lésé. Toutefois, je ne puis baser aucune conclusion sur cette hypothèse.

249 Les enquêteurs ont interrogé le détenu A lui-même. Dans le résumé de sa déclaration, celui-ci a déclaré sans équivoque que le fonctionnaire s'estimant lésé lui avait donné un coup de poing sur le menton (Pièce E-2). Dans d'autres circonstances, cela corroborerait puissamment les témoignages de M. Jalbert et de l'agent Cox. Pourtant, l'employeur n'a pas fait témoigner le détenu A à l'audience, de sorte qu'il a été impossible de vérifier devant moi ce qu'il avait déclaré aux enquêteurs. Il existe des raisons manifestes, dans une procédure comme celle-ci, pour qu'on confirme soigneusement la crédibilité d'un délinquant incarcéré comme le détenu A dans un établissement à sécurité maximale. Faute d'avoir eu la possibilité de le faire, je n'accorde aucun poids dans ma décision à sa déclaration aux enquêteurs.

250 L'infirmier Williams est le seul témoin des événements des 28 et 29 septembre 2005, hormis le fonctionnaire s'estimant lésé lui-même, qui ait donné une version diamétralement opposée des événements. M. Williams a dit que le détenu A était vraiment agressif quand il est arrivé dans la salle de traitement; il criait et résistait, aussi bien à son arrivée qu'en recevant des soins. M. Williams a déclaré n'avoir été témoin d'aucun mauvais traitement à l'endroit du détenu A à quelque moment que ce soit; il a dit qu'il aurait senti l'impact de tout coup porté au détenu, étant donné qu'il était juste à côté de lui.

251 La déclaration de M. Williams aux enquêteurs contredit aussi celle qu'ils avaient reçue des autres témoins au sujet de l'échange verbal entre le fonctionnaire s'estimant lésé et le détenu A avant le coup allégué. M. Williams a dit aux enquêteurs que le détenu A était verbalement agressif, mais pas seulement envers le fonctionnaire s'estimant lésé : « Il nous traitait tous de maudits imbéciles. Ses insultes ne visaient personne en particulier; il nous insultait tous. »

252 Quel poids faudrait-il accorder à ces témoignages contradictoires? Si M. Williams était en contact physique avec le fonctionnaire s'estimant lésé au moment où le coup allégué aurait été porté, il semble effectivement raisonnable de conclure qu'il aurait remarqué l'effet de l'application d'une force excessive sur la personne du détenu A. Comme il ne l'a pas fait, cela pourrait soulever un doute raisonnable sur l'incident. Pourtant, sa déclaration aux enquêteurs n'établit pas clairement qu'il tenait le bras du détenu A dans ses mains au moment crucial du coup allégué. Je prends note qu'il a déclaré aux enquêteurs « […] Je devais constamment demander aux agents de me faire de la place. » Cela laisse entendre que son accès au détenu A aurait pu avoir été gêné à une ou plusieurs reprises durant l'incident. À l'audience, le témoignage de M. Williams a changé. Il a déclaré qu'il ne pouvait pas se rappeler d'avoir demandé aux agents de lui faire de la place. Sur ce point, j'estime plus convaincant le témoignage qu'il avait donné moins d'une semaine après l'incident. En outre, et c'est plus important, la déclaration de M. Williams aux enquêteurs et son témoignage de vive voix à l'audience ne permettent pas d'établir de façon concluante combien de temps il lui a fallu pour arriver à avoir accès au bras du détenu A après que les agents eurent jugé nécessaire de le maintenir dans le fauteuil de traitement. M. Williams a déclaré aux enquêteurs que le détenu « […] s'était élancé vers [lui] quand [il] avait tenté de soigner ses blessures ». Au moment où le détenu A s'était élancé vers lui, il est très peu probable que M. Williams lui ait tenu le bras gauche, voire n'importe quelle autre partie de son corps. Puisqu'il a dit qu'il tentait de soigner les blessures du détenu à ce moment-là, il semblerait bien qu'il y ait eu des obstacles à ce qu'il le fasse à un moment donné, voire à certains moments. Les agents ont réagi au mouvement subit du détenu A en s'efforçant de le maintenir. Combien de temps a-t-il fallu alors avant que M. Williams n'arrive, comme il l'a décrit lui-même, à « […] se baisser du côté gauche du détenu en appliquant de la pression sur la coupure »? La preuve laisse entendre que les choses se sont passées assez rapidement entre le moment où les agents ont maintenu le détenu A dans le fauteuil de traitement et celui du coup allégué. Si M. Williams n'est pas resté en contact physique avec le détenu agité au cours de cette période, ou si ce contact a encore été momentanément perdu, il n'était peut-être pas placé pour ressentir l'impact du coup allégué. Le déroulement des événements et la position exacte de M. Williams sont d'importance critique, mais la preuve ne permet de déterminer ni l'un, ni l'autre avec précision.

253 Pour ce qui est de la déclaration de M. Williams qu'il n'avait été témoin d'aucun mauvais traitement cette nuit-là, je dois préciser qu'il a admis, en contre-interrogatoire, qu'il était la plupart du temps placé plus bas que tous les autres témoins et qu'il ne pouvait pas bien voir. Il a aussi témoigné qu'il était resté hors de la salle de traitement pendant 15 à 20 minutes et qu'il l'avait peut-être même quittée plus d'une autre fois. En outre, la fiabilité de ce qu'il dit avoir entendu durant l'incident - par exemple, qui était visé par l'agression verbale du détenu A - doit être évaluée avec beaucoup de prudence, étant donné qu'il a déclaré aux enquêteurs « […] je ne portais pas beaucoup d'attention aux conversations entre les agents » et son admission en contre-interrogatoire qu'il ne portait guère attention non plus à ce qui se passait d'autre.

254 La prépondérance des probabilités fait qu'il m'est difficile d'accorder beaucoup de poids à la version des événements de M. Williams. Si j'ajoute à cela ses relations amicales évidentes avec le fonctionnaire s'estimant lésé dans leur vie privée, ce qui sape sa crédibilité comme témoin, j'en viens à conclure que son témoignage ne mine pas nettement ceux des deux principaux témoins de l'employeur, ni la corroboration partielle de ces témoignages par les agents Charlton et MacKay.

255 Ni l'agent Lavorato, ni l'agent Sly n'avaient été témoins de l'incident des 28 et 29 septembre 2005. Par conséquent, leurs témoignages ne m'aident pas à déterminer si le fonctionnaire s'estimant lésé avait usé d'une force excessive cette nuit-là.

256 Cela m'amène au témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé lui-même. Dans son rapport d'observation (Pièce E-2), on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Quand l'infirmier Williams s'est approché du détenu [A] avec un tampon de gaze saturé, le détenu [A] est devenu agité; il criait « est-ce que c'est de l'alcool » et il a eu un mouvement agressif en direction de l'infirmier Williams. L'auteur et l'agent MacKay ont maîtrisé la situation en contenant le détenu [A] et en le rassoyant dans le fauteuil. L'auteur a mis sa main sur la figure du détenu [A], en lui renversant la tête en arrière pour empêcher le détenu [A] de cracher sur les employés présents. L'auteur a aussi posé son genou droit sur le détenu [A] pour le maintenir dans le fauteuil. L'intervention physique était la mesure appropriée pour assurer la sécurité du détenu et des employés présents dans cette situation.

Le gardien Jalbert a ordonné à l'auteur de retirer sa main; comme l'auteur la retirait, le détenu [A] a bougé la tête d'une façon qui a incité l'auteur à penser que le détenu [A] se préparait à cracher. L'auteur a de nouveau relevé le menton du détenu [A] pour l'empêcher de cracher sur les employés. Le détenu [A] avait auparavant déclaré avoir avalé des lames de rasoir, de sorte que l'auteur avait des craintes pour la sécurité de toutes les personnes présentes.

Quand le détenu [A] a cessé de se comporter agressivement, l'auteur a retiré sa main du détenu [A]. Le détenu [A] a reçu les soins médicaux qu'il lui fallait, et l'on a pris des dispositions afin de le transporter à l'hôpital de l'extérieur pour qu'il puisse y recevoir d'autres soins médicaux.

[…]

257 Les notes que les enquêteurs ont prises lorsqu'ils ont interrogé le fonctionnaire s'estimant lésé par la suite se lisent notamment comme suit (Pièce E-3) :

[Traduction]

[…]

Paul a pris un gros tampon de gaze et versé quelque chose dessus.

Le détenu s'est levé agressivement - Y a-t-il de l'alcool là-dessus - J'ai senti que son mouvement était menaçant pour Paul

J'ai agrippé un bras et MacKay l'autre - une force minimale a été utilisée

J'ai mis ma main sur sa figure, en lui frappant le menton parce que je pensais qu'il allait cracher - je lui ai poussé la tête en arrière et je l'ai rassis dans le fauteuil - j'ai mis mon genou dans son ventre pour le maintenir

Le détenu est devenu docile

L'infirmier Paul a continué à nettoyer ses blessures

[…]

Est-il arrivé à un moment quelconque que le superviseur Jalbert vous demande de sortir

Non

Quand le détenu est devenu docile, Carl est sorti et s'est rendu dans l'autre partie de l'infirmerie

[…]

258 Les enquêteurs ont résumé cela virtuellement mot à mot dans leur rapport (Pièce E-2) :

[Traduction]

[…]

[…] PAUL a pris un gros tampon de gaze et versé quelque chose dessus.

Le détenu s'est levé agressivement en déclarant « Y a-t-il de l'alcool là-dessus »? J'ai pensé que son mouvement était menaçant pour PAUL. J'ai agrippé un bras et MACKAY l'autre. Une force minimale a été utilisée. J'ai mis ma main sur sa figure, en frappant son menton parce que je pensais qu'il allait cracher. J'ai rejeté sa tête en arrière et je l'ai rassis dans le fauteuil. J'ai mis mon genou dans son ventre pour le maintenir. Le détenu est devenu docile.

[…]

Le Comité d'enquête a demandé : « Le superviseur JALBERT vous a-t-il demandé à un moment quelconque de sortir? »

Le CX-2 ROBERTS a répondu : « Non ».

Quand le détenu est devenu docile, CARL est sorti et s'est rendu à l'autre poste des infirmiers […]

[…]

En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a confirmé la validité et la véracité de ce résumé.

259 L'interrogatoire principal du fonctionnaire s'estimant lésé sur les moments cruciaux de l'incident est résumé plus haut aux paragraphes 85 à 92.

260 Les témoignages de M. Jalbert et de l'agent Cox demeurent-ils solides lorsqu'on les compare avec la version du fonctionnaire s'estimant lésé? Dans sa réplique, l'employeur a soutenu que je n'avais d'autre choix en l'espèce que de décider soit que M. Jalbert et l'agent Cox disaient la vérité quand ils ont déclaré avoir vu le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A, soit qu'ils mentaient. Bien que je préfère ne pas l'exprimer de façon aussi crue, il est clair que la version du fonctionnaire s'estimant lésé et les témoignages des deux principaux témoins de l'employeur sont incompatibles. Sa version est crédible ou leurs témoignages le sont. Pour être convaincu que l'employeur s'est acquitté de sa lourde charge d'établir une preuve claire et logique, je crois que je dois pouvoir conclure que sa preuve est assez convaincante pour résister à tous les doutes importants que soulève la version du fonctionnaire s'estimant lésé. L'employeur n'a pas présenté une preuve « claire et logique » si je dois conclure qu'il existe dans la version du fonctionnaire s'estimant lésé des éléments crédibles qui peuvent raisonnablement saper l'harmonie de la thèse de l'employeur.

261 Mon analyse du témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé révèle des anomalies dans sa relation des moments cruciaux de l'incident. Dans son rapport d'observation, il a déclaré avoir poussé le menton du détenu A vers le haut quand il a senti celui-ci bouger la tête après que l'agent MacKay et lui-même l'eurent poussé et maintenu dans le fauteuil de traitement. Par contre, il a déclaré aux enquêteurs qu'il avait « frappé » le menton du détenu A, même s'il a expliqué qu'il s'était probablement mal exprimé quand on lui a posé une question à ce sujet à l'audience. Dans son interrogatoire principal, il a dit avoir rapidement remis sa main sur la figure du détenu A quand celui-ci avait bougé la tête. Il a aussi déclaré que certains pourraient interpréter cela comme une gifle, quoique ce n'était pas ainsi qu'il l'interprétait lui-même.

262 À ce stade, il faut focaliser clairement l'analyse. L'action décrite par le fonctionnaire s'estimant lésé - le rapide mouvement de sa main, la tape ou le coup - était-elle l'inconduite alléguée par l'employeur pour laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé a écopé d'une sanction disciplinaire? Non, à mon avis. La preuve m'amène à conclure que le mouvement de sa main décrit par le fonctionnaire s'estimant lésé était en fait une action distincte qui a précédé le coup observé par M. Jalbert et par l'agent Cox.

263 J'accepte le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé quand il a dit comment il a remis sa main sur la figure du détenu en poussant avec force vers le haut (sans me prononcer sur la question de savoir si cette action était justifiée ou excessive). M. Jalbert a témoigné avoir vu ce mouvement, qui s'est produit après qu'il eut fait signe au fonctionnaire s'estimant lésé d'enlever sa main de sur le nez et la bouche du détenu A (paragraphe 18). Pour reprendre les termes mêmes de M. Jalbert, quand le fonctionnaire s'estimant lésé a alors « poussé la tête du détenu A vers le haut et l'arrière avec sa main […] », il lui a demandé de la retirer parce qu'il pensait que ce nouvel usage de la force était douloureux pour le détenu A. Le fonctionnaire s'estimant lésé a commencé par ne pas obtempérer, mais il a fini par retirer sa main et « […] s'est légèrement écarté vers la gauche. ». À ce moment-là, d'après M. Jalbert, le détenu A s'est calmé, mais a injurié le fonctionnaire s'estimant lésé. Il a dit quelque chose comme « Est-ce que c'est comme ça que vous traitez le monde? » C'est seulement à ce moment-là que M. Jalbert a vu du coin de l'oil le fonctionnaire s'estimant lésé frapper le détenu A.

264 Dans son témoignage, l'agent Cox a aussi déclaré que le coup porté à la figure du détenu A par le fonctionnaire s'estimant lésé l'avait été après que le détenu eut dit quelque chose comme « Pourquoi me faites-vous ça? », après l'échange verbal entre les deux hommes et après que le fonctionnaire s'estimant lésé eut employé le mot « imbécile ». Dans le sommaire de sa déclaration qui figure dans le rapport de l'enquête, il est également précisé que le coup aurait été porté après que les agents eurent contenu le détenu, après l'échange verbal et après qu'on eut entendu le mot « imbécile » (Pièce E-2). L'agent Charlton a témoigné avoir entendu le détenu A dire « Pourquoi me faites-vous ça? », puis avoir vu le fonctionnaire s'estimant lésé s'éloigner. Par contre, l'agent MacKay a dit avoir entendu le bruit du claquement d'un gant de latex, puis avoir entendu le détenu A dire : « Est-ce que c'est comme ça que ça marche ici? » Dans son témoignage, M. Williams a déclaré que le détenu A avait dit cela après que le fonctionnaire s'estimant lésé l'eut contrôlé en lui mettant la main sur la bouche. Pour sa part, le fonctionnaire s'estimant lésé dit qu'il ne s'est écarté du détenu A qu'après avoir eu recours à la force à son endroit. Quand il s'est éloigné, « c'était terminé ».

265 De toute évidence, démêler ces versions n'est pas facile, mais je crois néanmoins que la reconstruction la plus raisonnable et logique de l'incident est la suivante. Après que le détenu A a eu un sursaut agité quand l'infirmier Williams s'est approché de lui, le fonctionnaire s'estimant lésé a contribué à le maintenir dans le fauteuil de traitement. Il avait la main sur la figure du détenu. À un moment donné, il a glissé sa main vers le bas, peut-être parce qu'il croyait avoir besoin d'exercer moins de force sur le détenu, qui devenait plus docile. Il peut aussi avoir vu le mouvement de M. Jalbert, ou l'avoir entendu lui dire de déplacer sa main vers le bas pour prendre le menton du détenu. Il a alors senti le détenu A bouger la tête; il a réagi en appliquant de nouveau une forte pression vers le haut sur sa figure, le mouvement qu'il a décrit aux enquêteurs en disant qu'il l'avait frappé sur le menton. Il a témoigné que d'autres auraient pu interpréter cela comme une gifle. (Et cela aurait pu être le claquement d'un gant de latex que l'agent MacKay avait entendu.) M. Jalbert a alors enjoint par deux fois au fonctionnaire s'estimant lésé de lâcher le détenu. Il est tout aussi possible que le fonctionnaire s'estimant lésé l'ait entendu ou qu'il ne l'ait pas entendu. Toutefois, quelques instants après, il a retiré sa main et s'est écarté, au point semble-t-il de ne plus être en contact physique avec le détenu A. Celui-ci semblait être devenu un peu plus calme, mais il était verbalement agressif; il a traité le fonctionnaire s'estimant lésé d'imbécile et dit quelque chose comme : « Est-ce que c'est comme ça que ça marche ici? » À ce moment-là, le fonctionnaire s'estimant lésé a réagi et frappé le détenu A dans la figure.

266 Dans cette séquence d'événements probables, il ne s'agit pas de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé a usé d'une force excessive pendant qu'il maintenait physiquement le détenu A dans le fauteuil de traitement avec la main sur sa figure. Ce que le fonctionnaire s'estimant lésé a décrit comme le mouvement rapide de sa main vers le haut dans la figure du détenu (ou la tape, ou le coup au menton) n'était pas l'agression que M. Jalbert et l'agent Cox ont vue. L'allégation d'usage d'une force excessive vise plutôt ce que le fonctionnaire s'estimant lésé a fait ensuite, après avoir cessé de maintenir le détenu A et s'être écarté de lui, ainsi qu'après ses échanges verbaux avec le détenu. Quand le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné s'être écarté et dit que « c'était terminé », il niait en réalité qu'il soit arrivé quoi que ce soit au moment crucial, quand les principaux témoins de l'employeur affirment qu'ils l'ont vu frapper le détenu A dans la figure.

267 Le fonctionnaire s'estimant lésé est-il crédible en niant cela? Il avait clairement et a encore une excellente raison de nier avoir agi de la sorte. Toute admission d'avoir frappé le détenu pourrait l'exposer à se faire imposer une très grave sanction disciplinaire. Il pourrait aussi être poursuivi au pénal, et la preuve a d'ailleurs établi qu'il craignait de l'être dans la période qui a suivi l'incident. Par contre, je n'ai trouvé dans la preuve aucune raison de conclure que M. Jalbert ou l'agent Cox avaient une raison de mentir. Le fonctionnaire s'estimant lésé a fait valoir que M. Jalbert voulait peut-être se venger de lui après qu'il eut « probablement » employé un langage inacceptable dans les rencontres qu'il avait eues avec le superviseur à la suite de l'incident. Il a aussi déduit que le désir de l'agent Cox de se tailler une place dans l'équipe triée sur le volet de réaction en cas d'urgence de l'employeur aurait pu lui donner une raison de « colorer » son témoignage. Je conclus toutefois que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a prouvé aucune de ces allégations. Qui plus est, rien dans le comportement de ces deux témoins à l'audience ne m'a donné l'impression qu'ils tendaient à être évasifs ou à manquer de franchise.

268 Le fonctionnaire s'estimant lésé a aussi fait valoir qu'il n'y avait aucune preuve que le détenu A ait été blessé au cours de l'incident, qu'il s'était plaint de ce qui s'était produit avant que les enquêteurs ne l'interrogent, que les préposés aux soins de santé de l'Hôpital général de Kingston n'avaient pas témoigné sur la nature des blessures du détenu et qu'on n'avait aucune raison de croire que les démarches que celui-ci avait faites par la suite pour communiquer avec les médias au sujet de l'incident étaient quoi que ce soit d'autre que les agissements d'un opportuniste. En toute déférence, j'estime qu'aucun de ces points ne soulève de doute sérieux que l'incident se soit produit. Qu'il y ait eu une ecchymose plutôt qu'une preuve d'une blessure plus grave est peut-être lié à la question de savoir exactement combien de force le fonctionnaire s'estimant lésé a utilisée, mais cela ne contredit pas en soi la preuve qu'il a frappé le détenu A. Je ne déduis rien de l'absence de témoignage des préposés aux soins de santé qui, de toute manière, peuvent avoir été empêchés de témoigner par souci de protéger des renseignements confidentiels. De même, en ce qui concerne le fait que le détenu A ne s'est pas plaint avant d'être approché par les enquêteurs, j'ai déjà dit que je n'ai accordé aucun poids à ce qu'il leur a déclaré, ce qui signifie par extension que je ne peux pas me laisser influencer maintenant par une supposition non confirmée sur ce que le détenu a fait ou n'a pas fait après l'incident. Enfin, quant aux contacts du détenu avec les médias par la suite, j'ai conclu que la preuve sur ce point n'est ni suffisamment détaillée, ni assez claire pour étayer quelques conclusions que ce soit en faveur tant de l'employeur que du fonctionnaire s'estimant lésé.

269 Toujours sur la question de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé est crédible en niant ce qu'on lui reproche, il m'est difficile de concilier plusieurs des commentaires qu'il aurait faits immédiatement après l'incident avec sa prétention que rien de répréhensible n'était arrivé. Par exemple, il nie avoir demandé à l'agent Charlton si elle était fâchée contre lui, alors qu'on pourrait interpréter cette question comme révélatrice d'un sentiment de culpabilité. Pourtant, il n'a pas avancé d'explication pour m'inciter à conclure que cette partie du témoignage de l'agent Charlton était mensongère.

270 Au cours de sa rencontre avec le fonctionnaire s'estimant lésé à Keeper's Hall, M. Jalbert a témoigné que celui-ci lui avait dit « […] ta chemise bleue t'est monté à la tête […] », puis « […] c'est comme ça que ça se faisait dans le temps » et enfin « […] tu vas essayer de me pendre ». Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas expressément nié l'une ou l'autre de ces déclarations lorsqu'il a témoigné. Il a plutôt dit que M. Jalbert et lui-même s'étaient « jappé l'un après l'autre » pendant cinq ou dix minutes. À un autre moment, toutefois, il a déclaré que M. Jalbert et lui ne faisaient qu'échanger de l'information, et il a répondu « absolument pas » quand on lui a demandé si sa conversation avec M. Jalbert était devenue plus vive. Les deux versions de la teneur de la conversation ne sont de toute évidence pas compatibles.

271 Il serait possible de donner différentes interprétations aux déclarations du fonctionnaire s'estimant lésé que M. Jalbert a rapportées, mais elles sont à mon avis plus révélatrices de quelqu'un qui est sur la défensive que d'une personne qui a la conscience tranquille. C'est particulièrement vrai de la remarque « […] c'est comme ça que ça se faisait dans le temps ». Combinée avec les autres témoignages qui décrivent un vif échange verbal entre le détenu A et le fonctionnaire s'estimant lésé, qui marchait lui-même de long en large d'un air agité dans la salle de traitement, l'image que le fonctionnaire s'estimant lésé a voulu présenter dans son témoignage, celle d'un agent qui aurait été « là pour » le détenu A, qui avait tenté de le calmer et qui n'avait rien fait de répréhensible, me paraît bien peu convaincante. En outre, j'ai trouvé pour le moins étrange que le fonctionnaire s'estimant lésé ait dit qu'il ne connaissait pas la réponse à la question de l'employeur quand celui-ci lui a demandé si les agents Cox, Charlton et MacKay mentaient tous quand ils avaient déclaré qu'il avait fait escalader le problème. Il est étrange aussi qu'il ait seulement répondu : « Je ne peux pas répondre à cette question » quand on lui a demandé si l'agent Cox avait menti en disant l'avoir vu frapper le détenu A. J'ai aussi pris bonne note de la déclaration du fonctionnaire s'estimant lésé quand il a dit « […] le sang nous renversait. C'était quelque chose à voir. » Personne d'autre, pas même l'infirmier Williams, n'a déclaré avoir eu une réaction pareille dans son témoignage, ce qui me donne à penser que le fonctionnaire s'estimant lésé ne contrôlait probablement pas complètement ses émotions au moment de l'incident et qu'il aurait pu réagir de façon non professionnelle sous le stress du moment.

272 D'autres éléments du témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé soulèvent aussi d'autres doutes sur sa crédibilité globale. Dans son interrogatoire en chef, il a par exemple déclaré qu'on ne lui avait pas dit que ses fonctions seraient modifiées pour tenir compte de son état de santé quand il reviendrait au travail. En contre-interrogatoire, il a dit ne pas se rappeler que la question d'éviter les risques avait été soulevée dans l'une ou l'autre des discussions qu'il avait eues préalablement à son retour au travail et que personne n'avait parlé avec lui des conditions qui s'appliqueraient quand il commencerait à travailler à l'hôpital régional du SCC. Je juge ces déclarations implausibles. Il s'était fait envoyer copie de la lettre du 11 juin 2002 que le spécialiste en réadaptation de l'assureur du régime d'assurance-invalidité avait envoyée au SCC (Pièce E-11), où il était précisé que : [traduction] « […] ce monsieur ne peut être affecté à aucun rôle où il courrait de grands risques de danger physique ou qui exigerait une vision stéréoscopique binoculaire. ». En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s'estimant lésé a admis que la lettre du Dr Chernin datée du 5 septembre 2002 était logique, puisqu'elle précisait qu'il lui fallait un poste [traduction] « où il n'aurait pas à traiter avec des détenus ou dans lequel il risquerait une blessure à l'oil » (Pièce E-13). Il a lui-même témoigné qu'il avait rencontré le médecin du SCC dans le cadre du processus de retour au travail et qu'il avait eu des discussions avec le directeur par intérim Mike Ryan en vue de trouver un poste qui lui conviendrait. En contre-interrogatoire, il a admis que l'objectif consistait à lui trouver un poste correspondant aux limites exprimées dans la note du Dr Chernin et avoué qu'il n'était pas possible pour lui de retourner dans son ancien poste.

273 Rien dans tout cela n'est compatible avec l'image d'une personne inconsciente de son obligation d'éviter les risques. Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné franchement sur son état de santé. L'incapacité visuelle qu'il a décrite est de toute évidence très grave. Il est insensé de croire qu'il n'aurait pas lui-même tenu à trouver un poste dans lequel les risques pour sa santé seraient réduits au minimum. Pourtant, dans tout son témoignage, il a semblé s'efforcer vraiment d'éviter d'accepter toute idée qu'il savait ou aurait dû savoir qu'intervenir physiquement dans une confrontation avec un détenu constituait un danger pour sa santé. Il a nié avoir eu connaissance de rencontres de suivi organisées pour discuter de ses progrès au travail, nié avoir été informé des réserves de l'employeur au sujet de deux incidents où il serait intervenu dans le contrôle des détenus et nié aussi que la consigne de son poste avait des implications quelconques sur les interactions qu'il aurait dû avoir avec les détenus emmenés à l'infirmerie pour y être traités. Bref, il semble dire qu'il allait vraiment continuer à travailler comme d'habitude à son retour au travail ou qu'on ne devrait pas lui reprocher un incident dans lequel il serait intervenu physiquement pour contrôler des détenus, parce que le SCC ne lui avait vraiment jamais enjoint de ne pas le faire. Même s'il est possible que le fonctionnaire s'estimant lésé n'ait pas reçu autant de counseling régulier sur les risques et les limitations de son travail qu'il l'aurait dû - les dossiers ne sont pas très clairs à cet égard - sa version de ce que son retour au travail supposait semble incompatible avec la réalité d'un handicap qu'il vivait intimement, avec les adaptations requises dont il devait être conscient, voire avec le bon sens, qui implique qu'il aurait lui-même su qu'il devait prendre des précautions.

274 Ces sortes d'observations sur le témoignage du fonctionnaire s'estimant lésé contribuent énormément à donner l'impression qu'on ne peut avoir confiance qu'il dise la vérité. En examinant son témoignage en fonction du critère établi dans Faryna, j'ai conclu qu'il n'était pas un témoin entièrement crédible sur des points contestés clés. Par conséquent, je juge que l'allégation de l'employeur que le fonctionnaire s'estimant lésé a frappé le détenu A au visage résiste au témoignage de l'intéressé et aux arguments qu'il a avancés pour prouver le contraire. Cette allégation est étayée par le témoignage direct de M. Jalbert et de l'agent Cox, ainsi, par exemple, que par les témoignages des autres personnes présentes qui ont déclaré que le détenu était agité ou effrayé par ce qui s'était passé et qu'il leur avait demandé si elles allaient aussi le frapper. Selon moi, c'est une preuve claire et logique que l'inconduite alléguée a bel et bien eu lieu.

275 La force à laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé a eu recours était-elle excessive dans le contexte de la nuit du 28 au 29 septembre 2005? M. Jalbert a déclaré que le détenu A ne posait aucun danger au moment où le fonctionnaire s'estimant lésé l'a frappé. D'après M. Jalbert, le détenu était sous contrôle pendant une grande partie de l'incident, de son arrivée sous escorte dans la salle de traitement jusqu'à son départ pour l'Hôpital général de Kingston. Le seul moment où il n'a peut-être pas été suffisamment bien contrôlé est quand il s'est dérobé, très agité, en voyant l'infirmier Williams s'approcher de lui avec ce qu'il craignait être de l'alcool à friction. L'agent MacKay et le fonctionnaire s'estimant lésé l'ont immédiatement contenu. Le fonctionnaire s'estimant lésé lui a mis sa main sur la figure. M. Jalbert a témoigné que cet usage initial de la force ne le dérangeait pas. Ensuite, le détenu A était de nouveau sous contrôle.

276 L'agent Cox a témoigné qu'il n'avait pas trouvé le comportement du détenu A menaçant quand l'escorte est arrivée à la salle de traitement avec lui. Une fois que le détenu A a été assis dans le fauteuil de traitement, puis par la suite, il n'a rien vu non plus de menaçant dans son comportement. L'agent Cox a déclaré qu'il n'avait senti aucune obligation d'intervenir, puisque ses collègues avaient la situation sous contrôle.

277 L'agent Charlton a déclaré que le détenu A ne constituait pas un danger et qu'il ne faisait pas de grabuge. Elle a témoigné qu'il n'était pas nécessaire d'user de la force pour intervenir.

278 L'agent MacKay a témoigné que le détenu A était en colère et qu'il criait quand il est arrivé dans la salle de traitement, mais que les agents qui l'escortaient l'avaient sous contrôle. Il a parlé de l'hostilité et de l'agressivité verbale que le détenu avait manifestées par la suite, mais sans toutefois dire avoir constaté un autre comportement manifestement menaçant, ni avoir eu l'impression que le détenu n'était pas bien contrôlé.

279 L'infirmier, M. Williams, a dit que le détenu A se conduisait plus agressivement et qu'il résistait, mais la seule forme d'agressivité qu'il ait décrite concrètement dans son témoignage au moment de l'incident était verbale.

280 La description que le fonctionnaire s'estimant lésé lui-même a donnée des instants cruciaux de cette nuit-là ne révèle aucun comportement manifestement menaçant de la part du détenu A, si ce n'est qu'il avait bougé sa tête sous la contrainte exercée par lui. Dans son esprit, cela signifiait que le détenu A pourrait cracher. Le fonctionnaire s'estimant lésé a témoigné que le détenu A s'était calmé après qu'il eut de nouveau appliqué de la pression sur sa figure. Il a ensuite déclaré avoir eu l'impression que le détenu se montrait non coopératif la plupart du temps ou qu'il n'était pas sous contrôle, en disant qu'on savait qu'il avait déjà été violent. Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il ne voulait pas considérer que quoi que ce soit était gagné d'avance. Pourtant, il n'a pas donné d'indications claires que le détenu A se comportait d'une façon qui permettait raisonnablement de croire à un danger justifiant un usage de la force autre que celui qu'il avait fait en posant sa main sur la figure du détenu A pour le maintenir.

281 Il ne fait aucun doute pour tous les témoins que le détenu A avait les mains menottées dans le dos pendant l'incident et qu'il était blessé; il saignait et était traité comme un patient.

282 Je conclus qu'une grande prépondérance des probabilités indique que, une fois maintenu dans le fauteuil de traitement, le détenu A était bel et bien sous contrôle. S'il posait un danger à ce moment-là - ou par la suite -, c'était la possibilité qu'il crache sur les agents présents ou sur l'infirmier, M. Williams, les exposant ainsi au risque d'un contact avec son sang ou ses liquides organiques. Le témoignage de M. Williams sur l'incidence des maladies infectieuses communiquées par le sang dans la population carcérale est clair : une menace comme celle-là doit être considérée comme très réelle. Cela dit, je n'ai vu nulle part dans les témoignages ni dans la documentation policière qu'on m'a soumise que frapper un détenu peut être une réaction appropriée s'il menace de cracher. Il me semble clair que les mesures les plus judicieuses pour contrer cette menace consistent à porter des vêtements et de l'équipement de protection ou à prendre des mesures de contrainte physique raisonnables, autrement dit à contrôler physiquement le détenu.

283 Tous les témoins ont déclaré que le détenu A était verbalement agressif. La preuve et le bon sens me convainquent qu'il est fréquent, dans la vie quotidienne des agents de correction, qu'ils soient exposés à des injures. Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que les propos du détenu A étaient provocants. Si provocants qu'ils aient pu être, rien dans l'audience ne m'a convaincu que les injures justifient une réaction consistant à frapper un détenu; le Modèle de gestion de situations du SCC (Pièce E-7A) est explicite à cet égard. L'utilisation d'équipement de contrainte peut être une réaction appropriée lorsqu'un détenu « résiste verbalement », mais les autres possibilités consistant à contrôler le détenu physiquement ou à avoir recours à des tactiques plus extrêmes débordent la gamme des réactions acceptées.

284 Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il était le mieux placé de toutes les personnes présentes au moment de l'incident pour juger de la force requise pour contenir le détenu. Néanmoins, et je l'ai déjà dit, ce n'est pas la force à laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé a eu recours pendant qu'il maintenait physiquement le détenu dans le fauteuil de traitement qui est le problème crucial ici. Il se peut fort bien qu'il ait été à ce moment-là le mieux placé pour déterminer quoi faire. Une fois qu'il s'est écarté du détenu, la situation a changé. Pourtant, le fonctionnaire s'estimant lésé n'a avancé aucune preuve pour me persuader qu'il était d'une façon ou d'une autre mieux placé que quiconque pour conclure qu'il était raisonnable pour lui, en réaction à une agression verbale, de faire un ou deux pas pour asséner un coup dans la figure du détenu A.

285 Enfin, je suis convaincu que frapper quelqu'un qui est blessé, qui a les mains menottées dans le dos et qui est assis en tant que patient dans un fauteuil de traitement dans un établissement médical est incompatible avec un sentiment raisonnable de ce qui est approprié, même dans la situation extrême d'un établissement correctionnel.

286 Je conclus donc qu'on a clairement et logiquement prouvé que le fonctionnaire s'estimant lésé a usé d'une force excessive lorsqu'il a frappé le détenu A dans la nuit en question.

B. L'action du fonctionnaire s'estimant lésé justifiait-elle la décision de lui imposer une sanction comme le licenciement? 

287 Le Code de discipline du SCC(Pièce E-5) stipule qu'a commis une infraction l'employé qui « […] emploie une force excessive (c'est-à-dire plus de force qu'il n'est raisonnable et nécessaire) dans l'exercice de ses fonctions légitimes ». Plus généralement, un vaste consensus arbitral veut que les voies de fait commises par un employé dans son travail appellent des sanctions à moins que les circonstances ne mitigent, rendent tolérable ou justifient sa conduite.

288 En l'occurrence, les circonstances permettent-elles de conclure que l'usage d'une force excessive par le fonctionnaire s'estimant lésé n'aurait pas dû lui faire imposer une sanction disciplinaire en dépit du Code de discipline de l'employeur ou de la réaction habituelle d'un arbitre à des voies de fait? Je ne le pense pas. Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré qu'il existe des circonstances atténuantes dont il faudrait tenir compte. À mon avis, ses arguments s'appliqueraient au choix de la sanction disciplinaire appropriée plutôt qu'à des raisons de lui pardonner son inconduite. Il a bien fait valoir qu'il est important que je comprenne le climat stressant unique d'un établissement correctionnel et que je me rappelle particulièrement que le Pénitencier de Kingston abrite certains des plus grands délinquants du Canada, des criminels dont le comportement menace régulièrement le personnel correctionnel. C'est à n'en pas douter un facteur important dans le contexte, mais c'est aussi un facteur auquel tous les agents de correction sont confrontés là. Faute d'une preuve convaincante que ce facteur ait eu un effet particulièrement caustique sur le fonctionnaire s'estimant lésé - ou dans les circonstances de cette nuit-là dans la salle de traitement - ce n'est pas une raison pour qu'on ne lui ait pas imposé une sanction disciplinaire.

289 Il s'agit donc de déterminer si l'employeur a prouvé que le licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé était la sanction appropriée, toutes proportions gardées. L'employeur m'a renvoyé à plusieurs décisions pour étayer sa thèse que le licenciement était parfaitement justifié dans les circonstances. Je vais maintenant me tourner brièvement vers ces décisions-là.

290 Dans Chénier, l'arbitre de grief a ordonné la réintégration d'un agent de correction notamment parce que la preuve n'avait pas révélé de rupture du lien de confiance entre le fonctionnaire s'estimant lésé et l'employeur ou entre l'intéressé et ses collègues. L'employeur affirme que les circonstances sont bien différentes dans la présente affaire, où il n'existe pas de justification comparable d'une réintégration. J'accepte volontiers le fait qu'une preuve d'abus de confiance (ou de manque de confiance) est un facteur important. Sur ce point, l'arbitre dans Courchesne a déclaré ce qui suit : « La seule existence d'un doute sérieux quant à l'intégrité d'un employé dans le milieu carcéral est suffisant pour prévenir sa réinstallation tant la confiance est un facteur important lorsque la vie et la sécurité des individus est en danger. » J'estime Chénier et Courchesne par ailleurs inutiles en l'espèce, parce que les circonstances qui ont mené à la décision de licencier le fonctionnaire s'estimant lésé sont bien différentes. Dans ces deux décisions-là, l'élément critique de l'usage d'une force excessive n'existait absolument pas.

291 Il n'est pas non plus question d'usage d'une force excessive dans Renaud, une décision très concise qui se situe aussi dans un contexte correctionnel et qui est essentiellement fondée sur une analyse de la crédibilité des témoins. L'arbitre de grief avait adopté l'approche établie dans Faryna pour évaluer leur crédibilité, et c'est la même approche que j'emploie dans cette décision-ci, quoique ma démarche diffère quelque peu de celle de l'arbitre de grief dans Renaud, qui était sûr de comprendre le jeu de ce qu'on appelle le « code d'honneur » dans les circonstances. Pour ma part, je l'ai déjà dit, je ne partage pas cette confiance en ce qui concerne la preuve en l'espèce.

292 La décision récente dans Rose occupe une grande place dans l'argumentation de l'employeur. À mon avis, Rose est utile parce qu'elle contient une indication des sortes de facteurs dont il faut tenir compte pour décider s'il faut modifier une décision de licencier un employé ayant usé d'une force excessive. Dans les observations qu'il a présentées ici, l'employeur a maintenu qu'une grande partie des circonstances atténuantes retenues dans Rose qui avaient mené l'arbitre de grief à substituer une longue suspension au licenciement n'existent pas en l'espèce. Je reviendrai plus loin à certaines de ces circonstances atténuantes, ainsi qu'aux arguments que le fonctionnaire s'estimant lésé a présentés pour contrer ceux de l'employeur à leur égard.

293 Simoneau fait écho à Courchesne, en soulignant l'importance critique de la confiance qu'un agent de correction doit continuer à inspirer. Ce que l'arbitre de grief a écrit au paragraphe 58 de cette décision me semble particulièrement pertinent : « […] la perte de confiance de l'employeur en M. Simoneau est fortement motivée et explique bien que rien ne peut la rétablir. Il est bien compréhensible que cette perte de confiance fasse en sorte que M. Simoneau ne puisse plus assumer convenablement ses fonctions d'agent correctionnel dans le milieu carcéral où la notion de confiance est à la base même du système de sécurité de l'établissement […] » Je souligne une fois de plus qu'il n'est pas question dans Simoneau de l'usage d'une force excessive.

294 Je souscris largement aux commentaires du fonctionnaire s'estimant lésé alléguant que Swan est sans importance. En effet, cette décision a été rendue à la suite d'un procès au pénal dans lequel la fonctionnaire s'estimant lésée avait été jugée coupable de la même infraction de comptabilité frauduleuse de fonds. Le seul aspect de cette décision-là qui pourrait vraiment nous intéresser ici, et l'employeur l'a souligné, c'est que l'arbitre de grief a conclu que de longs états de service ne pouvaient être invoqués comme circonstance atténuante; c'est un point sur lequel je reviendrai plus loin.

295 Natrel et Turner sont les plus récentes des cinq autres décisions invoquées par l'employeur. Dans Natrel, il est question d'une agression contre un superviseur, mais cette agression était nettement plus grave que celle qui est reprochée au fonctionnaire s'estimant lésé en raison de la nature des blessures causées à la victime, ce qui distingue dans une certaine mesure Natrel de la présente affaire. Turner est une décision intéressante aussi, parce que l'arbitre de grief a parlé du comportement des superviseurs en tant que circonstance atténuante, ce qui est également un élément permettant de distinguer cette affaire-là de celle que je dois trancher. Turner établit toutefois un cadre important de circonstances aggravantes et atténuantes dont il faut tenir compte dans une affaire de voies de fait que l'arbitre a dérivé de quatre autres décisions, dont Natrel et Rose :

[…]

[106] Plusieurs décisions sur des cas d'agression ont établi les facteurs suivants dont les arbitres de griefs devraient tenir compte (voir Re Dominion Glass Co. v. United Glass & Ceramic Workers, Local 203 (1975), 11 L.A.C. (2d) 84, Re Natrel Inc. v. C.A.W.-Canada, Local 462 (2005), 143 L.A.C. (4th) 233 et Re SRI Homes Inc.) :

  • la nature et la gravité de l'agression;
  • la personne agressée;
  • si l'agression résultait d'une aberration temporaire ou si elle était préméditée;
  • si le fonctionnaire s'estimant lésé était de bonne foi;
  • la présence ou l'absence de provocation;
  • les excuses et/ou l'expression de remords et l'acceptation de la responsabilité de ses actions par le fonctionnaire s'estimant lésé;
  • le fait qu'un ou des superviseurs auraient toléré les actions;
  • le caractère proportionnel de la sanction imposée;
  • la vraisemblance d'une récidive/le potentiel de réhabilitation;
  • la durée du service et le dossier d'emploi.

[107] Dans Rose, l'arbitre de grief a tenu compte de plusieurs facteurs aggravants et atténuants comme la nature de l'agression, l'intention du fonctionnaire s'estimant lésé, le fait de savoir s'il y avait eu ou pas usage d'une force excessive et celui de savoir si le fonctionnaire s'estimant lésé avait fait des excuses ou manifesté du remords. Dans cette affaire-là, l'arbitre de grief avait conclu qu'un suspension d'un an était justifiée. Cela dit, chaque affaire doit bien entendu être tranchée en fonction des faits pertinents.

[…]

296 J'estime qu'il faudrait considérer Aitchison comme une affaire d'un type entièrement différent, où il existait des circonstances atténuantes extrêmes - une prise d'otages ainsi que l'ordre intimé au fonctionnaire s'estimant lésé par l'employeur, à un moment donné, d'abattre un détenu.

297 Enfin, j'ai aussi tenu compte des décisions rendues dans Bradley et dans Government of Province of British Columbia, deux autres décisions invoquées par l'employeur. La première l'était pour son traitement de la durée du service du fonctionnaire s'estimant lésé et l'autre parce qu'elle contient des observations additionnelles à caractère général sur la confiance à maintenir et sur l'importance de l'intégrité et du contrôle de soi dans un contexte correctionnel.

298 Pour sa part, le fonctionnaire s'estimant lésé a invoqué deux décisions, les deux datant de près de 20 ans, où les arbitres de grief avaient réduit la sanction disciplinaire imposée à des agents de correction qui avaient usé d'une force excessive à l'endroit d'un détenu. J'ai étudié très attentivement ces deux décisions et conclu que la situation dans les deux se distinguait nettement de celle en l'espèce.

299 Dans Dagenais c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-02-15767 (19870818), la preuve non contestée démontrait que le fonctionnaire s'estimant lésé avait frappé le détenu plusieurs fois, la première fois après que celui-ci « […] [se fut] soudainement tourné vers l'employé s'estimant lésé en balançant les bras et en proférant des menaces verbales contre lui. Il [avait levé] ses mains menottées, les poings serrés de façon menaçante. » L'arbitre de grief avait conclu que le détenu était à ce moment-là « très mobile et dangereux » et qu'il « allait vraisemblablement […] frapper » le fonctionnaire s'estimant lésé. D'après l'arbitre de grief, la réaction du fonctionnaire s'estimant lésé, un coup de poing à la mâchoire du détenu, était une réaction normale d'autodéfense. Les coups qu'il avait ensuite portés au détenu l'avaient été quelques secondes plus tard, mais dans un contexte différent, le détenu ayant été poussé par le fonctionnaire s'estimant lésé sur la couchette dans sa cellule, à plat ventre, les mains menottées sous son corps. L'arbitre de grief a conclu alors que les deux coups de poing assénés par le fonctionnaire s'estimant lésé à ce moment-là revenaient à user d'une force excessive. Néanmoins, elle a réduit la durée de la suspension imposée au fonctionnaire s'estimant lésé compte tenu de plusieurs facteurs atténuants, dont le fait que le détenu avait été constamment insultant et menaçant durant tout l'incident et compte tenu aussi des antécédents et de la réputation du détenu, qui était « […] probablement le pire criminel du Canada. Il est dangereux, violent, imprévisible et très manipulateur […] Il profère constamment des menaces de mort contre les agents de correction et les membres de leur famille […] Il est décrit comme un malade mental qui peut " décrocher " soudainement, sans provocation. » L'arbitre de grief avait jugé que le fonctionnaire s'estimant lésé « […] avait été poussé au point de réagir et de commettre une erreur de jugement […] Il avait réagi avec exagération, et il s'agissait d'un incident isolé. » L'arbitre s'était dite convaincue que l'employé s'estimant lésé avait appris sa leçon et qu'il tâcherait de ne plus se faire prendre aux pièges dressés par les détenus.

300 Dans Penny c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-15652 (19860819), l'employeur avait imposé une suspension de sept jours que l'arbitre de grief a ramenée à trois jours seulement à un agent de correction qui avait poussé, puis giflé un détenu menotté et enchaîné. Le détenu avait refusé d'obéir à un ordre de s'asseoir; au moment de l'incident, il encourageait à désobéir eux aussi trois autres détenus qui attendaient d'être transférés dans le Secteur de l'admission et de l'élargissement de l'établissement. L'arbitre de grief avait reconnu que la situation exigeait du jugement et jugé bon de réduire la sanction, étant donné que le fonctionnaire s'estimant lésé avait agi de bonne foi pour maîtriser la situation, même s'il était d'avis que la gifle elle-même constituait un usage excessif de la force.

301 La situation en l'espèce est bien différente de celles qui sont décrites dans Dagenais et Penny. Ici, le détenu était verbalement agressif, mais il n'y a aucune indication claire que son comportement ait été menaçant par ailleurs, si ce n'est qu'il aurait pu cracher. Dans Dagenais, la menace physique que le détenu posait semble avoir été beaucoup plus grande et immédiate, dans un contexte où il s'agissait d'un détenu notoire pour son comportement constamment menaçant. Dans Penny, le détenu avait désobéi à un ordre, n'était pas sous contrôle et incitait d'autres détenus à désobéir au personnel correctionnel. En outre, dans Dagenais comme dans Penny, contrairement à ce qui s'est passé dans la présente affaire, le fonctionnaire s'estimant lésé avait admis avoir commis les actes qui lui avaient valu une sanction disciplinaire. Dans Dagenais, l'arbitre de grief avait clairement jugé qu'il était très peu probable que le fonctionnaire s'estimant lésé récidive. Il m'est bien difficile d'arriver à une telle conclusion en l'espèce puisque le fonctionnaire s'estimant lésé soutient qu'il n'a rien fait de mal et affirme qu'il referait la même chose. Je conclus donc que ni l'une ni l'autre de ces deux décisions ne m'est très utile pour trancher.

302 J'ai reçu du fonctionnaire s'estimant lésé un témoignage et des arguments relatifs au processus d'enquête et au processus décisionnel de Mme Morrin; les deux accusent des lacunes, selon lui. En ce qui concerne le processus d'enquête, je précise que je ne me suis pas fondé dans ma décision sur les conclusions des enquêteurs comme preuve de l'inconduite de l'intéressé, et je n'ai pas non plus fondé mes conclusions factuelles uniquement sur les déclarations obtenues des témoins dans le cadre de l'enquête. Autrement dit, dans cette mesure, le processus d'enquête n'était pas d'importance critique pour mon analyse. Bref, à moins que l'enquête de l'employeur n'ait été manifestement déraisonnable ou n'ait abouti à un résultat de toute évidence non fondé à sa face, ce que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas établi assez clairement pour m'en convaincre, tous les vices de procédure qui auraient pu l'entacher sont effacés par la possibilité qu'a eue le fonctionnaire s'estimant lésé de faire réévaluer la preuve dans le contexte de l'arbitrage de son grief. Je me fonde à cet égard sur le principe établi depuis longtemps dans Tipple c. Canada, [1985] A.C.F. no 818 (C.A.). De même, l'audience était une occasion de confirmer ou d'infirmer complètement ce que Mme Morrin avait dit et fait, ainsi que d'évaluer le raisonnement qui l'avait menée à sa décision.

303 Compte tenu des observations des parties, il me reste à décider comment les circonstances aggravantes et atténuantes s'appliquent. À cette fin, j'adopte le cadre exposé dans Turner, avec des modifications reflétant les éléments nouveaux établis dans Rose.

1. Nature et gravité de l'agression

304 Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que rien ne prouve que le détenu ait été blessé dans l'incident. En outre, il a souligné que je n'avais pas entendu de témoignage des préposés aux soins de santé à l'Hôpital général de Kingston sur la nature de ses blessures.

305 J'admets que je devrais tenir compte du fait que le coup porté à la tête du détenu A n'était pas suffisamment solide pour le blesser. Je prends note aussi du fait qu'il n'y a pas eu de deuxième ni de troisième coup. Néanmoins, l'usage excessif de la force du fonctionnaire s'estimant lésé constituait une grave inconduite qui aurait pu aboutir à ce qu'on porte une accusation au pénal contre lui. À mon avis, il n'y a là rien de plus qu'une circonstance atténuante très mineure.

2. Victime et présence ou absence de provocation

306 J'ai conclu plus tôt que l'agression verbale à laquelle le détenu A se livrait n'était pas une provocation justifiant que le fonctionnaire s'estimant lésé le frappe. Le détenu A était sans aucun doute provocant, mais sa provocation prenait une forme que subissent presque quotidiennement les agents de correction du Pénitencier de Kingston, d'après les autres témoins. Il n'a pas été prouvé que cette provocation était particulièrement personnelle ni grave. Si ce n'est du fait que le détenu aurait pu cracher, il ne semble y avoir eu là rien d'évident pour inciter le fonctionnaire s'estimant lésé à craindre pour sa propre sécurité ni pour celle des membres de sa famille, par exemple. Le détenu aurait pu cracher, mais ce danger ne s'est jamais concrétisé.

307 Je n'ai aucun doute que la victime dans cette affaire n'était pas un citoyen modèle. Comme c'était un délinquant incarcéré dans une unité d'isolement d'une des prisons les plus dures du Canada, j'ai de fortes raisons de soupçonner qu'il était capable d'un comportement erratique, difficile, menaçant, voire violent. Il n'en demeure pas moins qu'il était un patient dans un service dispensant des soins au moment de l'incident. Menotté dans le dos, contenu et blessé, il était vulnérable. Son état et cette situation sont à mon avis un facteur nettement aggravant.

3. Agression fruit d'une aberration temporaire ou acte prémédité

308 L'employeur n'a pas prétendu que les actions du fonctionnaire s'estimant lésé étaient préméditées. Toutefois, il a déclaré que celui-ci tendait à s'immiscer dans des situations où il fallait contrôler des détenus, d'une façon injustifiée par sa description de poste et incompatible avec les limites établies par les mesures d'adaptation à son handicap. D'un autre côté, l'employeur n'a produit aucune preuve que le fonctionnaire s'estimant lésé ait été violent dans ces autres situations.

309 Je considérerais normalement l'absence de preuve de préméditation comme un facteur atténuant. On pourrait faire valoir que le fonctionnaire s'estimant lésé a réagi sous l'impulsion du moment à ce qu'il percevait comme un comportement provocant du détenu A. Pourtant, compte tenu de l'attitude du fonctionnaire s'estimant au sujet de l'incident (et j'y reviendrai) je ne peux pas être sûr que sa conduite était une aberration totale, ni que son attitude sur la façon de contrôler les détenus - « […] c'est comme ça que ça se faisait dans le temps » - ne pourrait pas le prédisposer à se conduire de façon inacceptable dans d'autres circonstances stressantes. Comment réagirait-il dans une autre situation difficile avec un détenu?

310 Ce facteur est tout au mieux neutre dans mon analyse.

4. Bonne foi et intention du fonctionnaire s'estimant lésé

311 Le fonctionnaire s'estimant lésé a dit qu'il avait décidé de bonne foi quelle était la meilleure façon de composer avec le détenu A cette nuit-là. Il a aussi maintenu qu'il n'avait pas eu l'intention de faire du mal au détenu, mais au contraire qu'il était « là pour lui ».

312 Il est toujours difficile de déterminer l'état d'esprit de quelqu'un dans une situation dynamique difficile. En l'occurrence, je ne puis me prononcer sur la bonne foi et sur l'intention du fonctionnaire s'estimant lésé qu'en me basant sur ce qu'il a fait et dit. J'estime que la preuve ne révèle pas de signes de bonne foi et d'intention non coupables de sa part. Tous les autres témoins ont déclaré d'une façon ou d'une autre qu'il avait eu un vif échange verbal avec le détenu A, qu'il était agité et qu'il marchait de long en large dans la salle. La preuve a aussi établi qu'il s'est engueulé avec M. Jalbert après l'incident en lui faisant des remarques désobligeantes, comme il en a d'ailleurs faites plus tard à l'endroit de Mme Morrin. Ces éléments de preuve, combinés avec les autres, m'ont donné fortement l'impression que le fonctionnaire s'estimant lésé est un individu susceptible de manquer de respect pour l'autorité qui peut probablement manquer de respect aussi pour la population carcérale avec laquelle il a des interactions, ce qui constitue un élément aggravant. Les témoignages de l'agent Lavorato et de M. Williams, qui ont dit le contraire, n'atténuent pas cette impression, pour les raisons que j'ai déjà précisées. Je n'arrive pas à trouver dans l'ensemble de la preuve des indications de bonne foi et d'intention bienveillante qui pourraient mitiger l'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé.

5. Durée du service et dossier d'emploi

313 Mme Morrin a témoigné qu'elle considérait les longs états de service du fonctionnaire s'estimant lésé comme un facteur aggravant plutôt qu'atténuant. Fondamentalement, elle estimait qu'il « aurait dû savoir que c'était inacceptable ». Pour étayer cette conclusion, l'employeur a invoqué les décisions Swan et Bradley, où les arbitres de grief n'ont pas retenu la durée du service comme circonstance atténuante pour déterminer quelle était la sanction appropriée.

314 Je ne souscris pas à ce raisonnement, en toute déférence. Il est presque toujours possible de prétendre que quelqu'un qui fait son travail depuis de nombreuses années devrait savoir que quelque chose n'est pas acceptable. Bien entendu, on attend davantage d'un professionnel d'expérience que d'un nouvel employé, mais cela dit, il est fermement établi dans les décisions arbitrales canadiennes que de longs états de service et un bon dossier d'emploi jouent normalement en faveur d'un employé, lorsqu'on doit juger si une sanction disciplinaire était justifiée, à moins qu'il n'y ait de bonnes raisons de ne pas en tenir compte.

315 Le fonctionnaire s'estimant lésé avait travaillé 12 ans au SCC avant de prendre un congé d'invalidité de deux ans et demi qui a commencé en février 1999. En tout, son service actif au moment de son licenciement approchait 15 ans. Il n'a aucune autre sanction disciplinaire dans son dossier. Dans son témoignage tout comme dans le rapport de l'enquête (Pièce E-2), M. Goodberry a dit que le rendement du fonctionnaire s'estimant lésé était ordinaire. Je ne tire aucune conclusion négative de ce jugement, puisque les évaluations du rendement du fonctionnaire s'estimant lésé n'ont pas été versées au dossier.

316 Globalement, j'estime que les états de service et le dossier d'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé sont une circonstance atténuante.

6. Excuses, remords et acceptation de sa responsabilité

317 Le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas cessé de maintenir sans en démordre qu'il n'avait rien fait de mal dans la salle de traitement. En outre, et c'est plus pertinent, il a témoigné qu'il « referai[t] la même chose ». Des déclarations de ce genre, renforcées par la preuve du comportement irrespectueux du fonctionnaire s'estimant lésé lors des deux rencontres disciplinaires convoquées par Mme Morrin, laissent clairement entendre qu'il n'était et n'est toujours pas disposé à accepter la moindre responsabilité pour ses actions dans la nuit du 28 au 29 septembre 2005. Je m'attends à ce qu'il reste convaincu que toutes ses actions étaient appropriées et de bonne foi, en dépit de ma conclusion qu'il a usé d'une force excessive à l'endroit du détenu A. Il n'y a donc manifestement aucun remords et certainement aucune excuse qui pourraient servir de facteurs atténuants.

7. Tolérance

318 Je n'ai trouvé aucune preuve convaincante que l'employeur avait toléré la conduite du fonctionnaire s'estimant lésé. Celui-ci a déclaré que l'employeur n'avait pas prouvé qu'il avait pris des mesures pour lui faire comprendre l'importance d'éviter les contacts avec des détenus. Je reconnais que la preuve sur ce point est peut-être imparfaite, mais la question critique ne consiste pas à savoir si l'employeur a toléré d'une certaine façon, par son inattention ou sa négligence, la propension du fonctionnaire s'estimant lésé à avoir des interactions avec les détenus au-delà des limites qu'impose son handicap. L'employeur n'a pas licencié le fonctionnaire s'estimant lésé pour des incidents où il serait intervenu physiquement dans des situations où il fallait contrôler des détenus. Il s'agit plutôt de savoir si l'employeur a toléré d'une façon quelconque le recours au genre de force dont le fonctionnaire s'estimant lésé a usé cette nuit-là à l'endroit du détenu A. Or, les directives émises par le SCC - et connues de tous les agents de correction -, particulièrement le Code de discipline (Pièce E-5) et le Modèle de gestion de situations (Pièce E-7A), soulignent qu'il est impératif d'éviter le recours à une force excessive. Rien dans la preuve qui m'a été soumise ne montre qu'il est arrivé que l'employeur n'applique pas ces directives ou qu'il ait pu sembler ignorer la sorte de conduite dont le fonctionnaire s'estimant lésé a fait preuve.

319 Le fonctionnaire s'estimant lésé a déclaré que M. Jalbert ne lui avait rien dit cette nuit-là pour l'empêcher de participer au contrôle du détenu A. Il a raison sur ce point très précis, mais la preuve a aussi révélé que M. Jalbert lui a donné plusieurs fois des instructions au cours de l'incident, en lui enjoignant de changer ou de cesser ce qu'il faisait au détenu A, afin d'éviter un usage excessif de la force. Qui plus est, l'interaction de M. Jalbert avec le fonctionnaire s'estimant lésé à la suite de l'incident, comme d'ailleurs toutes ses actions par la suite, sont tout le contraire d'avoir toléré ce qu'il faisait, en sa qualité de représentant de l'employeur. Je conclus par conséquent que le fonctionnaire s'estimant lésé n'a pas établi l'existence d'une tolérance quelconque par l'employeur qui pourrait constituer un facteur atténuant.

8. Vraisemblance d'une récidive/potentiel de réhabilitation

320 Le fonctionnaire s'estimant lésé a dit qu'il aimait beaucoup son travail et s'est déclaré convaincu d'être un bon agent de correction qui peut encore apporter une contribution valable dans son travail. Je n'ai aucun doute de sa conviction et du fait qu'il souhaite ardemment reprendre sa carrière au SCC, mais cela ne suffit pas. Pour se réhabiliter, il faut à tout le moins qu'il accepte la possibilité d'avoir pu agir de façon inacceptable. Quelle que soit l'importance que je puisse accorder aux autres facteurs aggravants et atténuants, il n'en reste pas moins vrai que le fonctionnaire s'estimant lésé semble ne pas regretter du tout ce qu'il a fait, ce qui est vraiment loin d'être prometteur pour son potentiel de réhabilitation.

9. Confiance

321 De nombreuses décisions antérieures dont Chénier, Courchesne, Simoneau et Government of Province of British Columbia, toutes invoquées par l'employeur, soulignent l'importance cruciale du fait que l'employeur et ses collègues doivent pouvoir faire confiance au jugement et au comportement d'un agent de correction. Le témoignage de Mme Morrin a fait écho à ce thème puisqu'elle a déclaré qu'être incapable de réagir honnêtement à la suite d'un incident d'usage d'une force excessive envoie un très mauvais message aux autres agents et à la population carcérale, en risquant de saper la discipline, le contrôle et, en bout de ligne, la sécurité personnelle des intéressés. Ce point de vue organisationnel est manifestement important. Toutefois, je dois dire que je trouve plus convaincants dans cette affaire-ci les témoignages très personnels de plusieurs agents qui, sans aucune raison manifeste de nuire au fonctionnaire s'estimant lésé, sont arrivés à une conclusion catégorique basée sur leur expérience au sujet de l'incident du 28 et 29 septembre 2005, à savoir que l'intéressé avait agi de façon insouciante et impulsive ou qu'ils ne lui feraient pas confiance pour composer avec une situation difficile dans l'avenir. Ce sentiment a même été exprimé, dans le cas de l'agent MacKay, par un collègue qui avait aussi témoigné qu'il « […] tentait d'aider le fonctionnaire s'estimant lésé » lorsqu'il avait rédigé son rapport d'observation sur l'incident. Des témoignages comme ceux-là révèlent toute la gravité de l'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé pour le maintien de la confiance mutuelle essentielle dans le travail des intéressés.

322 Comme je l'ai déjà dit, le témoignage contradictoire de l'agent Lavorato sur ce point-là est basé sur des faits datant de plusieurs années, de sorte qu'il n'est pas convaincant. J'ai d'ailleurs jugé significatif que le fonctionnaire s'estimant lésé n'ait pas produit d'hommages plus solides et plus récents à son professionnalisme et à sa conduite au travail sauf le témoignage de l'infirmier, M. Williams, qui ne mérite pas que je lui accorde grand poids, à mon avis. Si le fonctionnaire s'estimant lésé était un agent qui commande le respect dans son milieu de travail dont la conduite au cours de l'incident était vraiment une aberration, je me serais attendu à une contestation plus dynamique de sa part du point de vue des témoins de l'employeur. Pour résumer, je dois dire qu'on ne m'a pas présenté une base solide pour que je puisse réfuter l'argument de Mme Morrin que le lien de confiance a été rompu. C'est à l'employeur qu'il appartient de démontrer qu'il l'a été, et je crois qu'il s'est acquitté de cette charge grâce à ses témoins, en dépit des arguments que le fonctionnaire s'estimant lésé a avancés pour les contrer. Qui plus est, je n'ai trouvé aucune bonne raison de contester l'évaluation que Mme Morrin a faite des facteurs aggravants et atténuants, bien que ce soit ma propre évaluation de ces facteurs qui m'ait mené à mes conclusions dans cette décision.

323 J'ai évité d'introduire dans mon analyse la question de la couverture médiatique dont l'affaire aurait fait l'objet et celle des retombées qu'elle aurait pu avoir sur la réputation de l'employeur. Dans sa lettre de discipline, Mme Morrin ne mentionne d'ailleurs pas ce facteur. Les témoignages que j'ai entendus à l'audience sur la couverture médiatique étaient tout au plus indirects et parcellaires. Faute d'indication plus probante de la nature des reportages à l'époque ainsi que d'une preuve des retombées de cette couverture sur l'opinion qu'a le public du SCC en général et du Pénitencier de Kingston en particulier, il m'est impossible de déterminer si cet élément devrait influer sur ma compréhension et sur mon évaluation de la décision de l'employeur.

324 Après très mûre réflexion, je suis arrivé à la conclusion que l'employeur avait raison d'opter pour le licenciement comme sanction disciplinaire dans les circonstances. Même si j'ai retenu certains éléments atténuants - la durée du service du fonctionnaire s'estimant lésé, son dossier d'emploi et peut-être le fait que le détenu n'a pas été gravement blessé - ces éléments pèsent bien peu dans la balance à mon avis, comparativement aux autres facteurs plus importants. Les principaux facteurs aggravants sont la vulnérabilité de la victime, un patient en train de recevoir des soins, le manque évident de remords du fonctionnaire s'estimant lésé et son refus d'accepter la responsabilité de ses actions, mes réserves quant à son potentiel de réhabilitation et les sérieuses conséquences de sa conduite pour la confiance qu'il inspirait à ses collègues ainsi que pour son lien de confiance avec son employeur. Compte tenu de ces facteurs, en me basant sur toute la preuve, je suis incapable de conclure que j'ai une raison suffisante pour modifier la décision de l'employeur. Je conclus que l'employeur s'est acquitté de sa charge de prouver l'inconduite du fonctionnaire s'estimant lésé en présentant une preuve claire et logique ainsi que celle de prouver que le licenciement était une sanction appropriée et proportionnelle à l'inconduite en question.

325 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

326 Le grief est rejeté.

Le 5 mars 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Dan Butler,
arbitre de grief

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