Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Suspension (7 jours) - Intimidation - Bris d’équipement L’employeur a imposé au fonctionnaire s’estimant lésé une suspension de 7 jours pour avoir intimidé un surveillant et endommagé de l’équipement - à l’audience, l’employeur a renoncé à l’allégation de bris d’équipement - l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait tenu des propos intimidants à l’égard d’un surveillant dans le cadre de moyens de pression liés à la négociation de la convention collective applicable au fonctionnaire s’estimant lésé - ces moyens de pression avaient détérioré le climat de travail de façon significative - l’arbitre de grief a conclu que les propos du fonctionnaire s’estimant lésé étaient graves et inacceptables - compte tenu du fait que l’employeur a renoncé à une allégation à l’audience, l’arbitre de grief a réduit la durée de la suspension sans solde à 4 jours, ce qui était raisonnable et justifié dans les circonstances. Griefs accueillis en partie. Enquête disciplinaire - Partialité Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté l’impartialité de l’enquête disciplinaire et du rapport préparé par le comité d’enquête - l’arbitre de grief a conclu que la preuve ne démontrait pas que l’enquête ait été menée de mauvaise foi - de plus, l’arbitre de grief a ajouté que l’audience avait corrigé toute erreur qui aurait pu avoir été commise par le comité d’enquête. Griefs rejetés. Suspension sans solde pendant enquête - Compétence - Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’<< ancienne Loi >>) Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision de l’employeur de le suspendre sans solde pendant la tenue d’une enquête disciplinaire - l’arbitre de grief a conclu que la suspension était de nature administrative - il a également conclu qu’il ne pouvait pas entendre un tel grief en vertu de l’ancienne Loi, puisque celui-ci ne porte pas sur une mesure disciplinaire. Grief rejeté. Interdiction d’accès aux lieux de travail - Compétence - Ancienne Loi Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision de l’employeur de lui interdire l’accès aux lieux de travail pendant sa suspension sans solde - l’arbitre de grief a conclu que l’interdiction était de nature administrative - il a également conclu qu’il ne pouvait pas entendre un tel grief en vertu de l’ancienne Loi, puisque celui-ci ne porte pas sur une mesure disciplinaire. Grief rejeté. Caméra de surveillance - Compétence - Ancienne Loi - Unité de négociation du groupe Services correctionnels Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la décision de l’employeur d’installer une caméra de surveillance à l’intérieur des lieux de travail - l’arbitre de grief a conclu qu’il ne pouvait pas entendre un tel grief en vertu de l’ancienne Loi, puisque celui-ci ne porte pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-02-14
  • Dossier:  166-02-35888 à 35894 et 166-02-36007
  • Référence:  2007 CRTFP 21

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MICHEL EAST

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
East c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Léo-Paul Guindon, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
John Mancini, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour l'employeur:
Neil McGraw, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 8 au 12 mai 2006 .

I. Griefs renvoyés à l'arbitrage

1Michel East, le fonctionnaire s’estimant lésé, occupait un poste d’agent correctionnel (CX-2) à l’établissement Leclerc du Service correctionnel du Canada (SCC) au moment des incidents à l’origine des griefs. À cette époque, il était l’un des représentants locaux de l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN). Les griefs renvoyés à l’arbitrage portent sur les sujets suivants :

  • dossier de la CRTFP 166-02-35888

    Grief présenté le 10 novembre 2004 à l’encontre de l’installation d’une caméra de surveillance à l’intérieur d’un appareil d’éclairage d’urgence. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande qu’une agence privée et indépendante procède à la vérification de l’établissement Leclerc par balayage d’ondes; que les agents correctionnels soient dédommagés pour avoir été filmés à leur insu; qu’une enquête privée et indépendante soit faite et que l’administration fasse des excuses publiques.

  • dossier de la CRTFP 166-02-35889

    Grief présenté le 2 novembre 2004 à l’encontre du rapport du comité d’enquête disciplinaire concernant les incidents du 21 septembre 2004. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande de mettre fin à cette situation discriminatoire et de détruire le rapport d’enquête.

  • dossier de la CRTFP 166-02-35890

    Grief présenté le 23 novembre 2004 demandant le versement d’une heure supplémentaire de l’indemnité de rentrée au travail pour le 1er octobre 2004. L’employeur aurait versé une partie de l’indemnité minimale de quatre heures à laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé aurait droit.

  • dossier de la CRTFP 166-02-35891

    Grief présenté le 29 octobre 2004 contestant la décision de l’employeur d’interdire au fonctionnaire s’estimant lésé l’accès à l’établissement Leclerc. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande d’être rétabli dans ses droits et que l’employeur lui présente des excuses publiques.

  • dossier de la CRTFP 166-02-35892

    Grief présenté le 23 novembre 2004 à l’encontre de la décision du gérant d’unité de suspendre sans solde le fonctionnaire s’estimant lésé pour des raisons administratives. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande que soient corrigés les préjudices qu’il a subis et que des excuses écrites et publiques lui soient présentées.

  • dossier de la CRTFP 166-02-35893

    Grief présenté le 29 octobre 2004 à l’encontre de la suspension disciplinaire de sept jours sans solde imposée au fonctionnaire s’estimant lésé. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande l’annulation de cette suspension, le retrait de son dossier des documents qui y sont reliés et le rétablissement de ses droits.

  • dossier de la CRTFP 166-02-35894

    Grief présenté le 2 novembre 2004 contestant la procédure de l’enquête menée relativement aux incidents du 21 septembre 2004. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande la destruction du rapport d’enquête et le rétablissement de ses droits.

  • dossier de la CRTFP 166-02-36007

    Grief présenté le 14 février 2005 à l’encontre de la suspension disciplinaire de sept jours sans solde imposée au fonctionnaire s’estimant lésé. Le fonctionnaire s’estimant lésé demande le versement de son salaire pour la période en question et le paiement de dommages exemplaires pour un montant de 100 000 $ pour inconvénients et atteinte à sa réputation, ainsi que le remboursement de ses frais d’avocat.

2La convention collective applicable en l’espèce est celle signée par le Conseil du Trésor et l’UCCO-SACC-CSN le 2 avril 2001 pour l’unité de négociation du groupe Services correctionnels.

3Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

II. Objection et questions préliminaires

4Au début de l’audience, l’employeur soumet que l’arbitre de grief a compétence seulement sur les griefs contestant la suspension disciplinaire de sept jours (dossiers de la CRTFP 166-02-35893 et 36007) ainsi que sur celui réclamant l’indemnité de rentrée au travail (dossier de la CRTFP 166-02-35890). L’arbitre de grief n’aurait pas compétence sur les autres dossiers, qui n’ont aucun fondement dans la convention collective.

5Le fonctionnaire s’estimant lésé demande de prendre l’objection sous réserve et de la trancher lors de la décision sur le fond. Selon lui, la suspension de sept jours est abusive et a été imposée à la suite des gestes posés par l’employeur à l’encontre de lois d’ordre public et des politiques de l’employeur. La compétence de l’arbitre de grief couvre tous les éléments pour lesquels le fonctionnaire s’estime lésé. Dans ce cadre, l’arbitre de grief peut considérer les lois d’ordre public et d’application générale qui sont réputées incorporées à la convention collective selon le principe établi dans la décision Parry Sound (district), Conseil d’Administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42. Selon cette décision, l’arbitre de grief a compétence pour évaluer si l’employeur a respecté la loi et s’il n’y a pas de contradiction avec le cadre général des relations de travail, qui prévoit la procédure de grief comme guichet unique pour redresser les torts. Tous les griefs, sauf celui sur l’indemnité de rentrée au travail, sont reliés à la décision de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire et le fonctionnaire s’estimant lésé doit recevoir une pleine compensation pour les dommages subis.

6Le fonctionnaire s’estimant lésé précise que les griefs contestant la suspension et réclamant des dommages sont prioritaires et que les autres sont secondaires et pourraient être retirés à la fin de l’audience.

7En réponse, l’employeur soumet que le fonctionnaire s’estimant lésé doit préciser, à cette étape de l’audience, quels dossiers sont maintenus à l’arbitrage. Si l’arbitre de grief n’a pas compétence relativement à certains dossiers, il faut les fermer maintenant.

8Les parties conviennent de procéder sur les dossiers contestant la suspension disciplinaire de sept jours. Le fonctionnaire s’estimant lésé présentera de la preuve sur le grief relatif à l’indemnité de rentrée au travail seulement s’il lui est possible de le faire à l’intérieur de la période prévue pour la présente audience. En ces circonstances, l’objection soumise par l’employeur relativement à la compétence est prise sous réserve et sera tranchée dans la décision sur le fond.

9L’employeur ne soumettra pas de preuve sur le deuxième incident précisé dans la mesure disciplinaire relatif aux dommages causés aux installations. Il admet qu’en ces circonstances, une diminution de la sanction disciplinaire devrait s’ensuivre et il laisse à l’arbitre de grief le soin d’en déterminer la sévérité. Le fonctionnaire s’estimant lésé soumettra une preuve sur cet incident pour démontrer que l’employeur a fait preuve d’acharnement à son endroit par la suite, lui causant préjudice.

10Le fonctionnaire s’estimant lésé demande l’autorisation d’enregistrer l’audience, soumettant qu’une telle pratique est courante devant les tribunaux administratifs et qu’aucune raison ne lui a été soumise motivant la pratique de ne pas le permettre pour les audiences d’arbitrage de grief. L’enregistrement est permis lors des enquêtes administratives effectuées par l’employeur et la nature publique de l’audience d’arbitrage de grief supporte cette demande. L’employeur répond que la pratique sous l’ancienne Loi ne permet l’enregistrement qu’en des situations exceptionnelles en des dossiers d’une grande complexité et qu’il n’en est pas ainsi en l’espèce. Cette demande d’enregistrement a été refusée par souci de ne pas donner à l’audience un caractère trop formel. La Cour d’appel fédérale a reconnu dans Rhéaume c. Canada, [1992] A.C.F. n o 1131 (QL), qu’un arbitre de grief a complète discrétion quant à l’enregistrement de l’audience. La Cour s’exprime comme suit :

[…]

En effet, cette Cour, dans l'arrêt Puvanendran Kandiah c. Ministre de l'emploi et de l'immigration, jugement du 13 avril 1992, non rapporté, dossier A-113-90, a affirmé, de façon non équivoque, qu'elle ne croyait pas que l'obligation d'un tribunal d'assurer un enregistrement intégral de ses procédés et auditions puisse découler de sa simple soumission aux règles de justice naturelle ou de son devoir de donner plein effet aux droits fondamentaux des plaideurs protégés par la Charte. Il résulte de là qu'en l'absence de prescription législative, un tribunal, qu'il soit dit d'archives ou non, mais qu'on a fait maître de sa procédure, a complète discrétion quant à l'enregistrement par moyen mécanique ou autre de ses procédés, ce qui fait que l'adoption par lui d'une politique générale de refus de permettre tel enregistrement, pourvu qu'aucune discrimination ne se glisse dans l'application de cette politique, est juridiquement inattaquable …

[…]

11L’exclusion des témoins est ordonnée à la suite de la demande de l’employeur et en l’absence de contestation du fonctionnaire s’estimant lésé.

III. Résumé de la preuve

12Un nouveau directeur, Claude Lemieux, est nommé à l’établissement Leclerc le 21 juin 2004. L’ancien directeur avait quitté ses fonctions le 12 juin 2004, exaspéré par les diverses mesures de pression liées à la négociation de la convention collective pour l’unité de négociation du groupe Services correctionnels. Les mesures de pression qui ont débutées en 2003 ont pris plusieurs formes, allant de la distribution de tracts syndicaux sur les lieux de travail jusqu’à des tracts anonymes énonçant des commentaires négatifs envers des membres de la gestion. Des graffitis au sigle du Front de Libération de l’Établissement Leclerc (FLEL) ont été dessinés sur des panneaux de signalisation. Des autocollants ont été apposés à divers endroits à l’intérieur de l’établissement Leclerc et certains symbolisent le départ de l’ancien directeur (couronne marquée d’une croix) et indiquent comme prochaines cibles le sous-directeur (un homard) et un gérant d’unité (ballon Wilson) (pièce E-12).

13La stratégie de pression mise de l’avant par l’unité locale de l’UCCO-SACC-CSN (l’« unité locale ») vise les personnes en affectation intérimaire dans des postes de gestion. Les agents correctionnels imposent la « loi du silence » aux personnes occupant de façon intérimaire des postes de gestion, en ne leur adressant la parole que pour le strict nécessaire. Lors de la période pertinente aux griefs, six postes de surveillant correctionnel sur un total d’une douzaine étaient comblés par affectation intérimaire. Deux postes de surveillant correctionnel ont été comblés de cette façon en août 2004 par Pierre Blouin (à partir d’un poste d’agent correctionnel) et Yves Whittom (à partir d’un poste d’agent de libérations conditionnelles).

14Peu après son entrée en fonctions, le directeur a constaté que le climat de travail est gravement perturbé par les moyens de pression et que cette situation perdure malgré le départ de l’ancien directeur. Avec son équipe de gestion, le directeur a mis en œuvre diverses interventions visant à améliorer le climat de travail et assurer un milieu de travail sécuritaire et exempt de harcèlement (rondes plus fréquentes des gestionnaires, enquêtes sur les incidents et rencontres avec les représentants de l’unité locale). La réponse transmise au directeur par André Chênevert, le président de l’unité locale, est qu’il ne contrôle pas la situation ni les actions des membres du syndicat.

15Les moyens mis de l’avant par le directeur se sont avérés inefficaces et ce dernier a constaté une accentuation des moyens de pression (autocollants sur les portes de bureau, tracts haineux et intimidants, liquide dans les pigeonniers et remarques désobligeantes). La loi du silence continue d’être imposée aux surveillants correctionnels intérimaires par les agents correctionnels. Un surveillant correctionnel (Robert Massey) a été ciblé personnellement par les moyens de pression en juin 2004, et à la suite de son retour d’absence en septembre 2004. Des pancartes ont aussi été affichées au domicile d’un gestionnaire.

16De manière à tenter d’identifier ceux qui perpétraient des actes d’intimidation et de harcèlement, le sous-commissaire correctionnel autorise l’installation de deux caméras de surveillance. Une de ces caméras est placée à l’intérieur d’un appareil d’éclairage d’urgence de la salle du courrier dans la journée du 21 septembre 2004, par la compagnie Spy-Tech Engineering avec l’aide de Michel Laporte (agent de renseignements) (pièce F-9).

17Deux incidents sont à l’origine de la suspension de sept jours imposée au fonctionnaire s’estimant lésé, contestée aux présents dossiers. Le rapport de mesures disciplinaires émis en date du 14 janvier 2005 par Brigitte Rhéaume, alors gérante d’unité, les énonce comme suit (pièce E-11) :

[…]

RÉSUMÉ DES FAITS

Le 21 septembre 2004, vous avez tenus des propos intimidants dirigé vers un SOC [surveillant correctionnel] intérimaire et vous avez également endommagé des installations de l’employeur pour un montant de plus de 200.00$. Ces propos et gestes sont graves et inacceptables.

[…]

MESURE PRISE

- Sept (7) jours de suspension sans solde déjà servis lors de la suspension administrative (sans solde)

- En cas de récidive, une mesure disciplinaire plus importante pourrait être envisagée.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

A. Propos intimidants

18M. Whittom a témoigné des incidents dont il a été victime et qu’il relie à sa décision de postuler et d’accepter une affectation intérimaire de surveillant correctionnel. M. Whittom occupait un poste d’agent de libérations conditionnelles en juillet 2004, lorsqu’un avis d’intérêt pour cette affectation a été publié par l’employeur. Les agents de libérations conditionnelles sont représentés par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Cette affectation intéressait M. Whittom, qui y voyait l’occasion d’acquérir une expérience en gestion qui pourrait lui être profitable.

19M. Whittom était informé d’un mot d’ordre relatif au boycottage des affectations intérimaires dans des postes de gestion et vérifie auprès d’un représentant de l’unité locale si ce mot d’ordre l’empêchait de postuler l’affectation convoitée. Ce représentant lui répond que ce mot d’ordre ne visait que les agents correctionnels et qu’il ne s’appliquait pas aux fonctionnaires représentés par l’AFPC. M. Whittom a aussi consulté le président local de l’AFPC sur le même sujet et a reçu confirmation qu’en tant que fonctionnaire représenté par l’AFPC, il n’était pas visé par le mot d’ordre de boycottage des affectations intérimaires dans des postes de gestion. M. Whittom a donc soumis sa candidature et a accepté une offre d’affectation intérimaire dans un poste de surveillant correctionnel débutant le 30 août 2004.

20Environ une semaine avant le 30 août 2004, M. Chênevert conseille à M. Whittom de ne pas assumer les fonctions de surveillant correctionnel intérimaire. Informé par M. Whittom des vérifications effectuées relativement au mot d’ordre de boycottage, M. Chênevert réplique qu’il est le président de l’unité locale. Vers 7 h 30 le matin du 30 août 2004, M. Chênevert interpelle M. Whittom en lui disant : « […] tu n’as pas changé d’idée? […] on n’a pas besoin de gars comme toi, tu vivras avec ce qui viendra » (pièce E-1). Vers 15 h 30 la même journée, le fonctionnaire s’estimant lésé (agent correctionnel et délégué de l’unité locale) signe l’appel nominal au bureau du gérant d’unité et déclare, en présence de M. Whittom, ce qui suit à deux reprises : « Ça sent pas mal le caca ici. »

21À la fin de la journée du 30 août 2004, M. Whittom participe, vers 16 h 30, à une ligue de hockey amateur dans un groupe d’une vingtaine de joueurs, dont une dizaine sont des employés de l’établissement Leclerc et dont un certain nombre sont agents correctionnels. M. Chênevert et Alain Ouellet (agent correctionnel) font alors part à M. Whittom de leur mécontentement qu’il ait accepté l’affectation intérimaire de surveillant correctionnel. Ils lui disent qu’il n’est pas trop tard pour revenir à son ancien poste et que « […] s’il demeure en poste, il est fait […] que peu importe où il ira, ça le suivra toute sa carrière […] que c’est un bon moyen d’être transféré en Atlantique. » Ils lui ont précisé qu’ils ne participeraient pas à la partie de hockey avec lui et ont demandé aux agents correctionnels présents de voter s’ils acceptaient de jouer avec lui. Ayant perdu ce vote, MM. Chênevert et Ouellet ont quitté les lieux sans participer à la partie de hockey (pièce E-1). Le lendemain, les agents correctionnels ayant participé à la partie de hockey ont subi des pressions et le président de la ligue de hockey en avise M. Whittom. Ce dernier décide alors de se retirer de cette activité. Au travail, M. Whittom a continué de subir la loi du silence de la part des agents correctionnels.

22M. Blouin avait accepté une affectation intérimaire dans un poste de gestion environ deux semaines avant M. Whittom. Ce dernier a été informé, au début de son quart de travail du 21 septembre 2004, que M. Blouin avait renoncé à son affectation temporaire à la suite des pressions sur lui et sa famille. Le directeur a témoigné que M. Blouin l’avait rencontré, en présence d’Yves Laneville, sous-directeur de l’établissement Leclerc, le 21 septembre 2004, vers 15 h. À cette rencontre, M. Blouin était, selon le directeur, « blanc comme un cadavre et tremblait ». M. Blouin a précisé au directeur et au sous-directeur Laneville qu’une personne inconnue s’était présentée à son domicile en lui soulignant qu’il avait des problèmes au travail et qu’il en aurait d’autres. Cet inconnu lui a demandé s’il reconnaissait le numéro de plaque d’immatriculation et le numéro de téléphone cellulaire de la fille de M. Blouin, qui étaient notés sur une feuille de papier. Antérieurement, M. Blouin avait été traité de « scab » et des tracts dénonçant en termes durs sa décision d’accepter l’affectation intérimaire dans un poste de gestion.

23La découverte d’un colis suspect sur le terrain de l’établissement Leclerc vers 17 h le 21 septembre 2004 a entraîné l’intervention de la police de Laval ainsi que de la Sûreté du Québec. Bien que le colis se soit avéré inoffensif, l’incident a suscité l’augmentation de la tension à l’établissement. Gérard Vigneault (surveillant correctionnel), responsable du quart du soir, a noté cet incident dans son rapport de quart (pièce E-6).

24Une rencontre d’information est tenue par M. Vigneault à la fin de son quart de travail le soir du 21 septembre 2004. Cette rencontre permet d’informer les employés du quart du matin (agents correctionnels et surveillants correctionnels) des événements ayant eu lieu en soirée. M. Whittom, surveillant correctionnel intérimaire pour le quart du matin, assiste à la rencontre en se tenant debout dans l’embrasure de la porte de la salle de rencontre. Une douzaine de fonctionnaires sont présents, dont le fonctionnaire s’estimant lésé qui occupe le poste de fonctions multiples. Le fonctionnaire s’estimant lésé est assis dans la salle de rencontre, de dos et en biais avec la porte d’entrée, et il a témoigné qu’il ne voyait pas M. Whittom de cet endroit.

25Lors de cette rencontre, le fonctionnaire s’estimant lésé à déclaré fièrement, selon les versions de MM. Whittom et Vigneault : « En passant les gars, un des deux scabs a démissionné. » Le fonctionnaire s’estimant lésé précise qu’il a plutôt dit : « Il y a un scab qui a démissionné. » M. Vigneault a interpellé le fonctionnaire s’estimant lésé par son prénom, en le pointant du doigt, ce qui a mis fin à la déclaration de ce dernier. M. Vigneault est intervenu de cette façon, car ce n’était pas le moment de parler du conflit de travail. M. Vigneault n’a pas indiqué cet incident dans son rapport de quart du 21 septembre 2004, car il le considérait clos (pièce E-6).

26M. Whittom se sent personnellement visé par la déclaration du fonctionnaire s’estimant lésé, dont il comprend qu’il est le prochain à faire tomber. Suite à ces propos, M. Whittom se rend au bureau de M. Laporte et lui fait part, ainsi qu’au sous-directeur Laneville, des propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé. M. Whittom confirme par écrit les détails de l’incident au sous-directeur Laneville (pièce E-2) et inscrit l’incident dans son rapport de quart du 22 septembre 2004 (pièce E-3).

27Selon la version du fonctionnaire s’estimant lésé, ses propos ne sont pas dirigés contre M. Whittom, car il ne s’avait pas que ce dernier assiste à la rencontre. De plus, le fonctionnaire s’estimant lésé ne considère pas M. Whittom comme un « scab ». Il affirme avoir vérifié, auprès du président local de l’AFPC, quelle directive a été donnée à M. Whittom sur le boycottage des affectations intérimaires de gestion. Aucun mot d’ordre en ce sens n’a été donné aux membres de l’AFPC. Le fonctionnaire s’estimant lésé déclare qu’il aurait tiré une conclusion différente s’il n’en avait pas été ainsi. Par ailleurs, le fonctionnaire s’estimant lésé admet que des pressions concertées des agents correctionnels visaient personnellement MM. Blouin et Whittom, « car les agents correctionnels n’aimaient pas que ces personnes occupent des postes de surveillant correctionnel par intérim alors que leur président leur dit de ne pas le faire ».

28Un autre agent correctionnel (Mario Lavoie) dit à M. Whittom, à la fin du quart du soir le 21 septembre 2004 au bureau du surveillant correctionnel : « T’achève le gros » dans le but de l’intimider. Le fonctionnaire s’estimant lésé prévient M. Lavoie de faire attention, en lui disant « Y vient juste de me rapporter » (pièces E-2 et E-3).

29Une lettre en date du 4 octobre 2004 d’André Leclerc (agent correctionnel) reproche au fonctionnaire s’estimant lésé de lui avoir demandé au début du quart de soir le 21 septembre 2004 s’il avait postulé un poste de « keeper » (pièce F-12). Cette lettre est à l’origine d’une enquête de harcèlement. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’est informé de cette lettre qu’en date du 4 décembre 2004. Ce dernier a vérifié l’origine de ce document, en juin 2005, auprès de la Division de l’accès à l’information et protection des renseignements personnels. Une enquête sur la plainte de harcèlement a été effectuée le 7 avril 2005 et une enquête disciplinaire a été menée le 22 juillet 2005. Louise Maillette (gérante d’unité) refuse de réévaluer les conclusions de l’enquête de harcèlement. L’audience disciplinaire tenue devant M. Poirier (directeur-adjoint de l’établissement Leclerc) le 8 septembre 2005 résulte en l’émission d’une mesure disciplinaire (suspension de 10 jours) envers le fonctionnaire s’estimant lésé.

30À deux occasions, soit le 19 octobre et le 22 novembre 2004, M. Lapointe (gérant d’unité) a nargué le fonctionnaire s’estimant lésé en lui demandant s’il cherche des caméras cachées.

B. Dommages aux installations

31Le visionnement de l’enregistrement vidéo provenant de la caméra de surveillance installée à l’intérieur de l’appareil d’éclairage d’urgence de la salle de courrier est effectué lors de l’audience. L’enregistrement vidéo produit par l’employeur (pièce E-13) est similaire à celui produit par le Sergent Rock Kingsbury, policier enquêteur de la Sûreté du Québec (pièce F-1). Ces deux enregistrements vidéo sont des copies de l’enregistrement vidéo original effectué le 21 septembre 2004 qui était au dossier de la Sûreté du Québec.

32L’enregistrement vidéo débute à 22 h 29 et montre les agents correctionnels Yves Montigny et Serge Senneville observant l’appareil d’éclairage d’urgence de la salle du courrier. M. Senneville revient avec le fonctionnaire s’estimant lésé et ceux-ci observent l’appareil d’éclairage d’urgence. Le fonctionnaire s’estimant lésé témoigne qu’il vérifie l’appareil d’éclairage d’urgence à la demande de M. Senneville. Il constate que le boîtier de l’appareil semble avoir été déplacé (marque de peinture montrant l’ancien emplacement) et que le fil d’alimentation a été allongé (un ruban électrique blanc raccorde le fil entrant dans l’appareil à la fiche électrique). Il vérifie si l’appareil fonctionne en activant le bouton « test », ce qui s’avère négatif. Lors du visionnement de l’enregistrement vidéo, on constate l’arrêt de l’enregistrement lorsque la fiche électrique est débranchée par le fonctionnaire s’estimant lésé. Ce dernier constate que l’appareil d’éclairage d’urgence n’était pas alimenté par la pile de secours lorsqu’il débranche la fiche électrique. En retirant l’appareil d’éclairage d’urgence de son support mural, le fonctionnaire s’estimant lésé voit que des fils sortant du mur y sont reliés. L’enregistrement vidéo reprend lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé rebranche la fiche électrique après avoir replacé l’appareil dans son support. L’image enregistrée de deux agents correctionnels passant à la salle de courrier est décentrée. L’enregistrement vidéo se termine à 23 h 28.

33Le fonctionnaire s’estimant lésé précise qu’il était assigné au poste de fonctions multiples pour le quart de travail du 21 septembre 2004. La vérification des appareils de sécurité fait partie des responsabilités de ce poste de travail. Il doit donc donner suite au signalement de défectuosité apparente de l’appareil d’éclairage d’urgence de la salle de courrier transmis par M. Montigny. Il nie avoir endommagé de quelque façon que ce soit les installations de l’employeur en les manipulant.

34Le sous-directeur Laneville et M. Laporte observent, à l’écran placé dans le bureau de ce dernier, les images transmises en direct par la caméra de surveillance placée à la salle de courrier et montrant les interventions du fonctionnaire s’estimant lésé. Le sous-directeur et M. Laporte viennent à la rencontre du fonctionnaire s’estimant lésé. Sur leur chemin, ils rencontrent M. Vigneault, qui les avise des propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé lors de la rencontre d’information. Le sous-directeur invite le fonctionnaire s’estimant lésé à le suivre au bureau adjacent au local du surveillant correctionnel, avec M. Laporte. Le fonctionnaire s’estimant lésé se sent menacé par l’attitude du sous-directeur et de M. Laporte, qui l’interrogent à porte clause. Le sous-directeur lui demande d’expliquer les propos qu’il a tenus lors de la rencontre d’information. Le fonctionnaire s’estimant lésé refuse de préciser la teneur de ses propos. Le sous-directeur croit que le fonctionnaire s’estimant lésé détient des pièces d’équipement provenant de l’appareil d’éclairage d’urgence et lui demande de les remettre. Le fonctionnaire s’estimant lésé nie avoir de telles pièces. Le sous-directeur et M. Laporte retournent à la salle de courrier à la demande du fonctionnaire s’estimant lésé, qui leur montre les manipulations qu’il a effectuées sur l’appareil d’éclairage d’urgence pour démontrer qu’aucune pièce d’équipement n’y manque.

35Le fonctionnaire s’estimant lésé mentionne qu’il désire être assisté d’un représentant syndical. Le sous-directeur Laneville met fin à la rencontre et demande au fonctionnaire s’estimant lésé de se présenter au bureau du directeur de l’établissement le 27 septembre 2004, soit la première journée ouvrable suivant la période de congé du fonctionnaire s’estimant lésé. Cet événement est décrit dans la note de service de M. Laporte en date du 23 septembre 2004 (pièce F-9). Le fonctionnaire s’estimant lésé a informé M. Vigneault de cet incident et lui demande de noter dans son rapport de quart qu’il a été menacé par le sous-directeur et M. Laporte. M. Vigneault n’a pas noté l’incident dans son rapport de quart du 21 septembre 2004 (pièce E-6), précisant que c’est probablement parce qu’il n’en avait pas été témoin. Il considérait l’incident clos, tout comme celui relatif aux propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé lors de la rencontre d’information.

36Le directeur rencontre les sous-directeurs, les gérants d’unités et les responsables de la sécurité le matin du 22 septembre 2004. Le sous-directeur Laneville informe les participants des incidents survenus le 21 septembre 2004. Le directeur décide qu’une enquête disciplinaire doit être effectuée par un comité de personnes ne travaillant pas à l’établissement Leclerc pour que cessent les mesures d’intimidation et de harcèlement envers les personnes occupant des affectations intérimaires dans des postes de gestion. L’enquête disciplinaire doit déterminer les faits et recommander si une mesure disciplinaire devrait être imposée.

37M. Lapointe décide qu’une suspension administrative sans solde doit être imposée au fonctionnaire s’estimant lésé pour la durée de l’enquête disciplinaire. Les personnes présentes à la rencontre du 22 septembre 2004 étaient en accord avec cette décision. Une lettre avisant le fonctionnaire s’estimant lésé de sa suspension est rédigée le même jour. Le fonctionnaire s’estimant lésé est informé du contenu de cette lettre par téléphone le 22 septembre 2004. Il est ainsi avisé de sa suspension sans solde à compter du 25 septembre 2004, pour la durée d’une enquête sur des allégations de propos intimidants et de bris d’équipement survenus le 21 septembre 2004 (pièce E-8). Le fonctionnaire s’estimant lésé est aussi interdit d’accès à l’établissement Leclerc à compter du 22 septembre 2004, ce qui est la procédure normale lorsqu’un agent correctionnel est suspendu. La lettre de suspension est remise au fonctionnaire s’estimant lésé par M. Lapointe lors d’une rencontre tenue le 24 septembre 2004, en présence d’un représentant de l’UCCO-SACC-CSN.

38Une rencontre est tenue avec deux cadres supérieurs de la Sûreté du Québec et le directeur, accompagné du sous-directeur Laneville, du sous-commissaire adjoint aux opérations, d’un conseiller en relations de travail et d’un conseiller juridique, le 23 septembre 2004. Une protection policière est demandée pour la quinzaine de gestionnaires de l’établissement Leclerc, dont six intérimaires, lorsqu’ils sont à l’extérieur du pénitencier. La participation de la Sûreté du Québec est demandée pour ce qui est du dossier de M. Blouin. Un dossier sera préparé pour les actes de vandalisme. Le sous-directeur Laneville décrit l’incident de la caméra de surveillance aux représentants de la Sûreté du Québec. Ces derniers précisent qu’une dénonciation peut être faite et qu’ils transmettront le dossier à des enquêteurs qui présenteront leur rapport au procureur de la Couronne. Le procureur de la Couronne décidera si une accusation pour méfait peut être déposée.

39Le sous-directeur Laneville fait une dénonciation auprès de la Sûreté du Québec le 30 septembre 2004, énonçant qu’une caméra de surveillance a été endommagée (pièce F-2). Il dépose une plainte le 5 octobre 2004, précisant que le boîtier de l’appareil d’éclairage d’urgence est endommagé (pièce F-10). Une facture de la compagnie Spy-Tech Engineering est jointe à la plainte et évalue les dommages à 265,84 $ (pièce F-10). Le directeur a précisé que le sous-directeur Laneville a quitté l’établissement Leclerc pour un autre poste au début du mois d’octobre 2004 et qu’en aucun moment ce dernier ne l’aurait avisé qu’il avait modifié sa dénonciation. Le directeur ne s’est pas ingéré dans le dossier de la Sûreté du Québec.

40Lors de son entrée au travail au début du quart du matin du 23 septembre 2004, M. Whittom est avisé de la suspension du fonctionnaire s’estimant lésé. Les agents correctionnels du quart du soir se sont présentés en bloc au bureau du surveillant correctionnel et applaudissent M. Whittom pendant une bonne minute, sans lui adresser la parole. M. Whittom s’est senti intimidé par cette démonstration, qu’il note dans son rapport de quart (pièce E-5). Il informe par écrit le directeur et le sous-directeur Laneville des détails de cet incident (pièce E-4). M. Whittom renonce à son affectation au poste intérimaire de surveillant correctionnel après ces incidents, expliquant, lors de son témoignage, qu’il trouvait trop difficile de fonctionner dans un tel climat de travail, la tension affectant sa vie privée.

41Le comité d’enquête disciplinaire, formé de Claude Duguay (gestionnaire régional, ressources humaines) et Gilles Côté (sous-directeur, établissement Montée St-François), est mandaté par le directeur le 27 septembre 2004. Une rencontre est convoquée par le directeur pour le 29 septembre 2004 avec les représentants de l’UCCO-SACC-CSN (Pierre Dumont, président régional pour le Québec; Michel Gauthier, permanent syndical; André Chênevert, et Luc Charron, représentant local) et le sous-commissaire correctionnel, la sous-commissaire adjointe aux opérations et un conseiller juridique pour le SCC. Cette réunion permet de trouver un terrain d’entente entre l’UCCO-SACC-CSN et le SCC pour établir une accalmie dans les moyens de pression. Les représentants de l’UCCO-SACC-CSN acceptent de cesser la distribution de tracts. Le SCC accepte de libérer l’ensemble des représentants de l’unité locale pour une rencontre avec la direction de l’établissement Leclerc et de réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésé dans ses fonctions à compter du 1er octobre 2004.

42Le comité d’enquête disciplinaire dépose son rapport le 27 octobre 2004. Il conclut comme suit relativement aux incidents impliquant le fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-9) :

[…]

E)Conclusion (incident impliquant Michel East)

À la lumière des faits recueillis au cours de l’enquête, il apparaît que M. East a tenu des propos de nature offensante auprès de M. Whittom alors surveillant correctionnel intérimaire et ce, en présence d’autres employés. Cette situation contrevient au code de discipline ainsi qu’aux règles de conduite professionnelle et constitue un geste ayant un impact potentiel important sur l’employé visé ainsi que sur l’organisation.

Le comité est également d’avis que M. East a commis un geste grave en endommageant un équipement du Service correctionnel du Canada et ce, en voulant découvrir la présence d’une caméra préalablement installée par l’employeur.

Pour les deux raisons évoquées ci-haut, le comité est d’avis qu’une mesure disciplinaire importante est requise dans les circonstances. Par ailleurs, compte tenu que le présent comité n’avait pas le mandat d’étudier de façon exhaustive le contexte global dans lequel les événements se sont déroulés et qu’il apparaît que ceux-ci peuvent constituer un facteur important, le comité laisse le soin au directeur de déterminer la mesure disciplinaire appropriée en tenant compte de l’absence d’un dossier disciplinaire pour cet employé.

[…]

43Le rapport d’enquête a été remis au fonctionnaire s’estimant lésé par le directeur. Mme Rhéaume remplace M. Lapointe au poste de gérant de l’unité en janvier 2005, pour une période d’environ trois semaines. Elle procède à une rencontre disciplinaire avec le fonctionnaire s’estimant lésé le 2 janvier 2005, afin d’obtenir sa version relativement aux incidents du 21 septembre 2004. Le fonctionnaire s’estimant lésé lui mentionne qu’il n’a jamais été démontré que la caméra de surveillance ait été endommagée. L’enregistrement vidéo montre que la caméra de surveillance fonctionne après avoir été manipulée par le fonctionnaire s’estimant lésé. Ce dernier précise que les propos qu’il a tenus ne visaient pas M. Whittom, car il ignorait que M. Whittom assistait à la rencontre. De plus, il ajoute que M. Whittom n’est pas un « scab » (pièce E-10). Mme Rhéaume préfère la version des événements retenue par le comité d’enquête disciplinaire à celle du fonctionnaire s’estimant lésé. Elle n’a pas consulté le dossier de ce dernier pour vérifier ses rapports d’évaluation ou si des mesures disciplinaires y apparaissaient. Les rapports d’évaluations déposés par le fonctionnaire s’estimant lésé indiquent qu’il a atteint ou dépassé les objectifs de rendement qui lui avaient été fixés (pièce F-4). Mme Rhéaume impose au fonctionnaire s’estimant lésé une suspension disciplinaire sans solde de sept jours, déjà purgée lors de la suspension administrative (pièce E-11).

44Le Sergent Kingsbury rédige un rapport d’événement à la suite de la rencontre avec le sous-directeur Laneville le 30 septembre 2004 (pièce F-2). Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté sa version aux policiers enquêteurs selon laquelle il a vérifié le fonctionnement de l’appareil d’éclairage d’urgence dans le cadre de ses fonctions.

45Ce dossier est transmis au procureur de la Couronne vers le 20 janvier 2005. Ce dernier décide, le 18 février 2005, qu’il a suffisamment de preuve pour déposer une accusation de méfait et veut appliquer au fonctionnaire s’estimant lésé le programme de traitement non judiciaire de certaines infractions. Le fonctionnaire s’estimant lésé refuse cette proposition. En date du 6 mars 2005, après un complément d’enquête et le visionnement de l’enregistrement vidéo, le procureur de la Couronne révise sa décision, concluant qu’il y a insuffisance de preuve.

46Le fonctionnaire s’estimant lésé a rencontré le directeur relativement à la dénonciation de méfait. Le directeur lui a précisé qu’il n’était pas impliqué dans cette dénonciation et qu’il ne pouvait pas intervenir dans l’enquête de la Sûreté du Québec. Le directeur a précisé qu’il n’a pas vu le rapport d’événement (pièce F-2) avant son témoignage à l’audience devant moi. Il n’a vu qu’après-coup la plainte que le sous-directeur Laneville a déposée auprès de la Sûreté du Québec le 5 octobre 2004 (pièce F-10). Le directeur a visionné l’enregistrement vidéo dans les bureaux de la Sûreté du Québec vers le 15 février 2005 et il a constaté que l’image enregistrée par la caméra de surveillance est décentrée après les manipulations effectuées par le fonctionnaire s’estimant lésé.

47Après que la Sûreté du Québec eut remis l’enregistrement vidéo aux autorités de l’établissement Leclerc, le directeur le visionne avec le fonctionnaire s’estimant lésé le 15 mars 2005. À cette occasion, le fonctionnaire s’estimant lésé soumet que la caméra de surveillance n’a pas été brisée, car l’enregistrement vidéo reprend après qu’il ait manipulé la camera de surveillance. Le directeur a maintenu la suspension disciplinaire.

48Le fonctionnaire s’estimant lésé allègue que les incidents du 21 septembre 2004 sont la source de harcèlement de la part de l’employeur à son endroit. Selon sa compréhension des événements, certains membres de la gestion de l’établissement Leclerc font preuve de harcèlement à son endroit en décidant, de concert avec le directeur, de procéder par enquête disciplinaire sur les incidents du 21 septembre 2004. Sa suspension sans solde pour la durée de cette enquête, bien qu’appliquée par M. Lapointe, était une décision de la direction prise lors de la rencontre du 22 septembre 2004. Le fonctionnaire s’estimant lésé considère l’employeur de mauvaise foi lorsqu’il l’avise, le 27 septembre 2004, que ses assurances (médicaments, vie et invalidité) sont annulées et qu’il doit présenter une demande de prestations d’assurance-emploi. La dénonciation que le sous-directeur Laneville a faite à la Sûreté du Québec s’ajoute à l’enquête disciplinaire et est initiée de concert avec la direction de l’établissement Leclerc. Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, l’attitude du comité d’enquête disciplinaire à son endroit démontre de la partialité. Il considère qu’une plainte de harcèlement déposée contre lui par M. Leclerc le 4 octobre 2004 s’inscrit dans le cadre d’une campagne orchestrée par l’employeur. Il considère que le refus de l’employeur de démontrer en quoi les installations ont été endommagées et de prendre en considération les images enregistrées par la caméra de surveillance sont des indications que la procédure disciplinaire est biaisée.

49Le fonctionnaire s’estimant lésé précise que ses médecins ont conclu, en avril 2005, qu’il souffrait d’une incapacité pour troubles d’adaptation et d’humeur, reliée à du harcèlement psychologique au travail. Le refus de sa demande d’indemnisation par la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec serait causé par des déclarations mensongères d’un gestionnaire de l’établissement Leclerc (pièce F-3). Le fonctionnaire s’estimant lésé considère comme du harcèlement la plainte déposée contre lui par un agent correctionnel le 6 décembre 2005, ainsi que l’interdiction d’accès à l’établissement Leclerc qui lui a été imposée à compter du 14 décembre 2005. Bien que cette plainte ait été rejetée le 30 mars 2006, l’accès à l’établissement Leclerc lui demeure interdit, la direction refusant de lever cette interdiction. Il a accepté un poste au Centre fédéral de formation du SCC pour la Région du Québec, de manière à mettre un terme à ses problèmes avec la direction de l’établissement Leclerc.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

50MM. Whittom et Vigneault ont précisé les propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé lors de la rencontre du 21 septembre 2004. Ces propos s’inscrivent dans un continuum de pressions de l’unité locale à un moment où la tension est élevée dans le milieu de travail, selon le témoignage non contredit du directeur. Le message exprimé par le fonctionnaire s’estimant lésé est clair et de nature intimidante ou harcelante envers M. Whittom. M. Vigneault a réagi face à ces propos, qu’il considérait déplacés.

51Aucune preuve ne supporte l’allégation que l’employeur a un parti pris contre le fonctionnaire s’estimant lésé. Le comité d’enquête disciplinaire n’a pas retenu la version du fonctionnaire s’estimant lésé, mais sa conclusion n’a pas été formulée de mauvaise foi. Le procureur de la Couronne est revenu sur sa position que la preuve était suffisante pour déposer des accusations de méfait à la suite d’une réévaluation du dossier. La conclusion qu’il y a eu bris d’installation semble ainsi aussi plausible que la conclusion inverse.

52Le directeur a décidé qu’une enquête disciplinaire devait être effectuée concernant les incidents du 21 septembre 2004. Il a mandaté un comité d’enquête disciplinaire composé de personnes provenant de l’extérieur de l’établissement Leclerc et l’a laissé procéder sans s’immiscer dans l’enquête. De la même façon, il a refusé de s’ingérer dans l’enquête policière de la Sûreté du Québec. Le directeur est responsable d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement et il a assumé cette obligation de bonne foi. La décision de suspendre administrativement le fonctionnaire s’estimant lésé pour la durée de l’enquête disciplinaire a été prise par M. Lapointe et cette décision relève de sa responsabilité. Mme Rhéaume a, lors de la rencontre disciplinaire avec le fonctionnaire s’estimant lésé, préféré la version retenue par le comité d’enquête disciplinaire à celle du fonctionnaire s’estimant lésé et elle a agi de bonne foi.

53L’arbitre de grief a compétence pour décider de la validité de la suspension disciplinaire imposée au fonctionnaire s’estimant lésé et non pas de celle de la suspension administrative. La durée de la suspension disciplinaire coïncide avec celle de la suspension administrative et l’arbitre de grief décidera si elle est justifiée. Les décisions Cyr c. Agence Parcs Canada, 2005 CRTFP 16, et Tanciu c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27712 (19970805), reconnaissent la compétence d’un arbitre de grief en matière disciplinaire lorsque des menaces, insultes ou propos arrogants ont été proférés. L’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique, dans Bélanger c. Viau et al., dossier de la CRTFP 161-02-609 (19920406), a précisé que des propos malicieux proférés par un représentant de l’agent négociateur n’étaient pas protégés par l’ancienne Loi et pouvaient donner ouverture à une enquête administrative et à une enquête disciplinaire.

54Relativement aux dommages réclamés par le fonctionnaire s’estimant lésé, Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 27, précise, en reprenant la conclusion de la Section de première instance de la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Hester, [1997] 2 C.F. 706, qu’un arbitre de grief n’a pas le pouvoir d’accorder des dommages punitifs. Hester a cependant décidé qu’un arbitre de grief peut ordonner un dédommagement pour les pertes subies par un fonctionnaire. En l’espèce, aucune preuve ne démontre que des dommages ont été causés au fonctionnaire s’estimant lésé par la faute de l’employeur.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

55En l’occurrence, l’employeur a fait preuve de mauvaise foi, car il savait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait causé aucun dommage aux installations. Le directeur a voulu restreindre son témoignage au continuum en refusant de répondre aux questions lors de son contre-interrogatoire. Selon sa version, il fallait intervenir, car les gestionnaires étaient harcelés et il est parti en croisade contre le fonctionnaire s’estimant lésé. Pourtant, rien ne démontre que le fonctionnaire s’estimant lésé ou le syndicat ont été impliqués dans les mesures de pression. Le directeur savait que sa décision de nommer des surveillants correctionnels intérimaires provoquerait une escalade et il avait planifié de découvrir les coupables en ayant recours à des caméras de surveillance cachées.

56Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a rien fait de répréhensible en découvrant la caméra de surveillance. Il est séquestré et intimidé par le sous-directeur Laneville et M. Laporte lors de la rencontre disciplinaire. Lors de la réunion spéciale du 22 septembre 2004, le directeur décrète une enquête alors qu’il sait que la caméra fonctionne et que rien n’a été brisé. La décision de suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé sans solde pour la durée de l’enquête disciplinaire est prise collectivement lors de cette rencontre. Cette décision est de nature disciplinaire, et non pas administrative, car son objectif est de pénaliser en vue de changer des comportements. La mauvaise foi du SCC réside dans son attitude qui est de punir, d’humilier le fonctionnaire s’estimant lésé relativement à un comportement légitime et de refuser de réévaluer cette décision pendant les deux ans qu’a duré la procédure de grief. Le directeur démontre sa mauvaise foi en laissant le sous-directeur Laneville déposer auprès de la Sûreté du Québec une dénonciation qu’il savait fausse relativement au bris d’installation.

57Quels que soient les propos exacts tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé, le résultat demeure le même : M. Whittom savait, avant d’accepter l’affectation intérimaire dans un poste de gestion, que la situation ne serait pas facile et sa dénonciation ne vise que le fonctionnaire s’estimant lésé alors que les autres actions d’intimidation n’ont pas été dénoncées. M. Vigneault n’a pas relaté les incidents impliquant le fonctionnaire s’estimant lésé dans son rapport de quart et le fait qu’ils deviennent des motifs disciplinaires démontre la mauvaise foi de l’employeur.

58M. Whittom a admis qu’il a contrevenu au mot d’ordre de l’unité locale en acceptant une affectation intérimaire dans un poste de gestion. En ces circonstances, qu’a fait le fonctionnaire s’estimant lésé de répréhensible? Le fonctionnaire s’estimant lésé a précisé que, selon lui, M. Whittom n’était pas un « scab », car il n’était pas visé par le mot d’ordre émis par un agent négociateur qui n’est pas le sien. M. Whittom s’est senti visé sans fondement, reliant les propos du fonctionnaire s’estimant lésé aux pressions qu’il a subies par des personnes autres que le fonctionnaire s’estimant lésé.

59Mme Rhéaume a déduit, tout comme le directeur lors de la rencontre du 22 septembre 2004, que le fonctionnaire s’estimant lésé avait, dans ses propos, insinué que M. Whittom serait le prochain « à tomber ». Le message qu’il envoyait aux employés est : « On vient d’en frapper un. Les autres tenez-vous tranquilles. » La décision de sévir a été prise par Mme Rhéaume alors que le rapport d’enquête ne conclut pas au bris d’équipement. Elle n’a pas consulté le dossier du fonctionnaire s’estimant lésé pour vérifier si des mesures disciplinaires y avaient été consignées, ni vérifié ses rapports d’évaluation avant de déterminer la sévérité de la mesure disciplinaire. En agissant ainsi, elle n’a fait qu’appliquer une sanction disciplinaire décidée d’avance lors de la rencontre du 22 septembre 2004.

60L’employeur a fait preuve d’acharnement contre le fonctionnaire s’estimant lésé en le dénonçant à la Sûreté du Québec et en l’humiliant devant ses collègues de travail en lui interdisant l’accès à l’établissement Leclerc. M. Laporte a fait de même en émettant, à deux reprises, des commentaires selon lesquels le fonctionnaire s’estimant lésé recherche des caméras de surveillance.

C. Réplique de l’employeur

61Le rapport d’enquête disciplinaire conclu à un bris d’équipement et aucune preuve ne démontre que le directeur ait fait preuve d’aveuglement volontaire sur ce point. Les arguments soumis par le fonctionnaire s’estimant lésé sur le manque de crédibilité du directeur, de MM. Vigneault et Laporte et de Mme Rhéaume ne doivent pas être considérés par l’arbitre de grief, ces témoins n’ayant pas été confrontés, lors de leur contre-interrogatoire, aux éléments sur lesquels le fonctionnaire s’estimant lésé appuie cette prétention. Relativement à la définition du terme « scab », il ressort de la preuve que M. Whittom a été personnellement visé par les mesures de pression des agents correctionnels, car il n’a pas respecté le mot d’ordre de l’unité locale en acceptant une affectation intérimaire dans une poste de gestion. Les propos du fonctionnaire s’estimant lésé concernaient directement les personnes en affectation intérimaire dans un poste de gestion et M. Whittom en était clairement la cible.

V. Motifs

62Aucune preuve n’a été présentée par le fonctionnaire s’estimant lésé relativement à l’indemnité de rentrée au travail qu’il réclame pour le 1er octobre 2004 (dossier de la CRTFP 166-02-35890). Le fonctionnaire s’estimant lésé avait le fardeau de démontrer, pour ce grief d’interprétation et d’application de la convention collective, que l’employeur n’a pas appliqué correctement, à son égard, les stipulations pertinentes à l’occasion de son retour au travail le 1er octobre 2004. Considérant l’absence de preuve sur ce grief, je dois le rejeter.

63Le grief renvoyé à l’arbitrage au dossier de la CRTFP 166-02-35888 conteste la décision de l’employeur d’installer une caméra de surveillance, ce qui brimerait les droits des agents correctionnels en les filmant à leur insu. Une interprétation large des alinéas 91(1)a) et b) de l’ancienne Loi permet à un fonctionnaire qui s’estime lésé de déposer un grief sur une décision qui puisse porter atteinte à ses conditions d’emploi. Sur cette base, l’ancienne Loi donne accès aux fonctionnaires à un guichet unique de contestation des agissements de l’employeur par la procédure interne de règlement des griefs lorsqu’aucune autre loi fédérale n’offre de recours administratif de réparation. Ce grief ne peut cependant pas être renvoyé à l’arbitrage en vertu des alinéas 92(1)a) et b) de l’ancienne Loi, car son objet ne porte pas sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé, ni sur un licenciement ou une rétrogradation ou une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire. L’objection de l’employeur est accueillie, l’installation de la caméra de surveillance vidéo à leur insu ne constituant pas une affaire qui peut être renvoyée à l’arbitrage en vertu du paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi.

64Les griefs contestant le rapport du comité d’enquête disciplinaire (dossier de la CRTFP 166-02-35889), l’interdiction d’accès à l’établissement Leclerc (dossier de la CRTFP 166-02-35891), la suspension administrative durant l’enquête disciplinaire (dossier de la CRTFP 166-02-35892) et la procédure d’enquête disciplinaire (dossier de la CRTFP 166-02-35894) seront évalués sur la base de la preuve et des arguments soumis relativement à la suspension disciplinaire (dossiers de la CRTFP 166-02-35893 et 36007), de manière à établir si ces décisions de l’employeur sont de nature disciplinaire ou de nature administrative. Si ces décisions sont de nature administrative, les griefs les contestants ne peuvent être renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 92(1)b) de l’ancienne Loi.

65La suspension disciplinaire de sept jours sans solde qui a été imposée au fonctionnaire s’estimant lésé le 14 janvier 2005 repose sur deux incidents. L’employeur reproche au fonctionnaire s’estimant lésé d’avoir tenu des propos intimidants envers un surveillant correctionnel intérimaire et d’avoir causé des dommages aux installations de l’employeur pour un montant de plus de 200 $ (pièce E-11). Bien que l’employeur n’ait pas produit de preuve relativement au bris d’installations, cet incident relié à une manipulation d’un appareil d’éclairage d’urgence par le fonctionnaire s’estimant lésé demeure pertinent aux griefs contestant la mesure disciplinaire, le fonctionnaire s’estimant lésé alléguant que l’employeur s’est servi de ce prétexte pour le harceler.

66Les deux incidents reprochés au fonctionnaire s’estimant lésé se sont produits à la fin du quart de soir le 21 septembre 2004 et sont reliés à la négociation collective alors en cours entre l’employeur et l’UCCO-SACC-CSN. Divers moyens de pression sont utilisés par des agents correctionnels, certains étant initiés par l’UCCO-SACC-CSN ou l’unité locale et d’autres par des individus œuvrant dans l’anonymat. Sauf pour les événements à l’origine des mesures administratives et disciplinaires contestées par les griefs en cause, la preuve ne permet pas d’identifier les personnes ou groupe de personnes ayant exécuté les moyens de pression.

67Les membres de la gestion de l’établissement Leclerc sont particulièrement visés par les divers moyens de pression. La détérioration du climat de travail découlant des moyens de pression a motivé la démission de l’ancien directeur de l’établissement, en juin 2004, selon la preuve non contredite produite par l’employeur. Malgré divers moyens mis de l’avant par le nouveau directeur, les moyens de pression perdurent et s’intensifient, aggravant la détérioration du climat de travail. Un mot d’ordre appelant les membres de l’unité locale à ne pas postuler ni accepter d’affectation intérimaire dans un poste de gestion circule à l’établissement Leclerc. Il a été admis par le fonctionnaire s’estimant lésé que des pressions concertées étaient exercées par les agents correctionnels contre MM. Blouin et Whittom, qui occupaient des postes de surveillants correctionnels pour une période intérimaire.

68Plusieurs incidents survenus le 21 septembre 2004 ont augmenté le niveau de tension à l’établissement Leclerc : l’installation d’une caméra de surveillance, une alerte au colis suspect et la renonciation de M. Blouin à son affectation intérimaire dans un poste de gestion.

69La renonciation de M. Blouin à son affectation intérimaire dans un poste de gestion le 21 septembre 2004 a été motivée par des gestes d’intimidation dont il a été victime. Le dernier a été perpétré à son domicile et visait un membre de sa famille. C’est de cette renonciation que le fonctionnaire s’estimant lésé informe les personnes présentes à la rencontre de fin de quart de soir le 21 septembre 2004, lorsqu’il mentionne qu’un « scab » a démissionné. Il n’est pas important qu’il ait mentionné ou non un deuxième « scab » dans ses propos, toutes les personnes présentes savaient très bien qu’ils concernaient la renonciation à son affectation d’un surveillant correctionnel par intérim. Le fonctionnaire s’estimant lésé admet que les agents correctionnels étaient mécontents que des personnes occupent de telles affectations intérimaires dans des postes de gestion, alors que le président de l’unité locale disait de ne pas le faire. Pour l’ensemble des agents correctionnels, agir de la sorte allait à l’encontre de la directive syndicale. Qu’on identifie les surveillants correctionnels par intérim de « scab » ou non ne change rien à la teneur des propos du fonctionnaire s’estimant lésé. D’ailleurs, M. Vigneault a parfaitement compris la teneur de ces propos, qu’il a reliés aux problèmes de relations de travail, lorsqu’il est intervenu pendant la rencontre de fin de quart de soir le 21 septembre 2004.

70Les agents correctionnels considéraient que M. Whittom contrevenait au mot d’ordre de boycottage des postes intérimaires de gestion. Que le poste d’origine de M. Whittom, agent de libérations conditionnelles, fasse partie d’une unité de négociation représentée par l’AFPC n’y changeait rien. Les interventions de M. Chênevert auprès de M. Whittom et des agents correctionnels participant à la partie de hockey le démontrent bien. À la suite des avertissements que lui avait émis M. Chênevert à trois occasions (avant d’accepter l’affectation intérimaire dans un poste de gestion, lors de son entrée en fonction et à la partie de hockey), M. Whittom savait qu’il était personnellement visé par les pressions visant à assurer un boycottage des affectations intérimaires dans des postes de gestion. C’est avec raison qu’en ces circonstances M. Whittom s’est senti personnellement visé par les propos du fonctionnaire s’estimant lésé.

71Le fonctionnaire s’estimant lésé, à titre de représentant de l’unité locale, était bien au fait des moyens de pression et de l’objectif de décourager les personnes d’occuper les postes intérimaires de gestion. En ce sens, les propos du fonctionnaire s’estimant lésé visaient aussi M. Whittom, qui avait accepté une telle affectation. L’explication fournie par le fonctionnaire s’estimant lésé à l’audience, à l’effet que ses propos ne visaient pas M. Whittom, car il ne le considérait pas comme un « scab », n’est pas crédible.

72Il m’est difficile d’accorder de la crédibilité au fonctionnaire s’estimant lésé lorsqu’il précise qu’il ignorait que M. Whittom assistait à la rencontre de fin de quart de soir, car ce dernier devait prendre la relève de M. Vigneault et assumer les fonctions de surveillant correctionnel pour le quart du matin du 22 septembre 2004. Même si j’acceptais que le fonctionnaire s’estimant lésé ignore la présence de M. Whittom à cette rencontre, ceci ne modifierait pas ma conclusion que la nature des propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé est intimidante envers tous les surveillants correctionnels par intérim, y compris M. Whittom.

73La remarque que M. Lavoie a faite à M. Whittom un peu plus tard à la fin du quart de soir le 21 septembre 2004 me confirme que ce dernier était visé personnellement par les mesures de pression. Les applaudissements auxquels a été soumis M. Whittom le lendemain confirment également que le mouvement était concerté et visait personnellement M. Whittom. Les propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé sont un des incidents dont le cumul a poussé M. Whittom à renoncer à son affectation intérimaire dans un poste de gestion.

74Les propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé lors de la rencontre de fin de quart le 21 septembre 2004 ne sont pas isolés. En deux autres occasions, le fonctionnaire s’estimant lésé a tenu des propos déplacés en présence de M. Whittom, soit le 30 août 2004 (lors de l’appel nominal) et le 21 septembre 2004 (en réponse aux propos de M. Lavoie). Ces événements démontrent que les propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé lors de la rencontre de fin de quart le 21 septembre 2004 s’inscrivaient dans une démarche d’intimidation visant personnellement M. Whittom. L’employeur a conclu avec raison que le fonctionnaire s’estimant lésé a tenu des propos intimidants qui étaient dirigés vers un surveillant correctionnel intérimaire, lors de la rencontre de fin de quart du 21 septembre 2004. Je conclus que ces propos mentionnés dans le rapport de mesures disciplinaires émis par Mme Rhéaume (pièce E-11) constituent dans les circonstances un acte grave et inacceptable.

75Relativement aux dommages aux installations, la dénonciation que le sous-directeur Laneville a faite le 30 septembre 2004 à la Sûreté du Québec contre le fonctionnaire s’estimant lésé énonce qu’une caméra de surveillance a été endommagée (pièce F-2). La plainte déposée le 5 octobre 2004 par le sous-directeur Laneville (pièce F-10) précise qu’il a remarqué que le boîtier de l’appareil d’éclairage d’urgence avait été déplacé et endommagé et qu’il a demandé une évaluation des dommages. Une facture de Spy-Tech Engineering, datée du l er octobre 2004, indiquant des dommages évalués à plus de 200 $, a été annexée à sa plainte.

76Le sous-directeur Laneville a informé le directeur de l’incident de la caméra de surveillance lors de la rencontre de la gestion tenue le 22 septembre 2004. À ce moment, le sous-directeur n’était pas en mesure de préciser la nature exacte des dommages aux installations, car il n’avait pas en main l’évaluation de Spy-Tech Engineering. Ainsi, lorsque le directeur a conclu à la nécessité d’une enquête disciplinaire sur les incidents du 21 septembre 2004, il ne connaissait pas la nature ni le montant des dommages aux installations.

77L’allégation à l’effet que le directeur aurait fait montre de mauvaise foi en laissant le sous-directeur M. Laneville déposer une fausse dénonciation ne peut être retenue. La possibilité d’une dénonciation a été soulevée par les cadres supérieurs de la Sûreté du Québec lors de la rencontre du 23 septembre 2004. Rien dans le témoignage du directeur et dans la preuve déposée à l’audience ne m’indique que ce dernier ait encouragé le sous-directeur Laneville à faire une dénonciation contre le fonctionnaire s’estimant lésé ou l’ait incité à la modifier de quelque façon. La déclaration du directeur, selon laquelle il ne s’est pas ingéré dans le dossier de la Sûreté du Québec, est crédible et n’a pas été contredite. De plus, son refus de s’ingérer dans le processus disciplinaire à la suite des demandes répétées du fonctionnaire s’estimant lésé ne peut être assimilé à un parti pris contre ce dernier, mais démontre plutôt un respect des divers mandats et délégations d’autorité en matière disciplinaire.

78Aucun élément ne me permet de conclure que la direction de l’établissement Leclerc se soit acharnée contre le fonctionnaire s’estimant lésé pour donner un exemple frappant visant à faire cesser les moyens de pression des agents correctionnels. Au contraire, la direction de l’établissement Leclerc a convenu d’une accalmie des moyens de pression avec la partie syndicale lors de la rencontre du 29 septembre 2004. Entre autres, la direction de l’établissement Leclerc a accepté de réintégrer le fonctionnaire s’estimant lésé dans ses fonctions le 1er octobre 2004, ce qui va à l’encontre de la théorie d’une vendetta personnelle contre ce dernier. Il appert que le processus disciplinaire entrepris contre le fonctionnaire s’estimant lésé, relativement aux incidents du 21 septembre 2004, s’est poursuivi après la rencontre du 29 septembre 2004 et rien ne me permet de déduire que ce soit à l’encontre de l’entente du 29 septembre 2004.

79Comme l’employeur n’a pas produit de preuve relativement aux dommages aux installations et qu’il a admis qu’une réduction de la mesure disciplinaire devrait en résulter, je conclus que l’employeur a renoncé à ce motif de discipline. En conclusion, un seul des deux motifs précisés à la mesure disciplinaire demeure.

80Relativement à la sévérité de la mesure disciplinaire, je considère que les propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé sont sérieux et s’inscrivent à l’intérieur d’une démarche concertée de harcèlement dirigée contre les surveillants correctionnels par intérim de façon générale, et contre M. Whittom en particulier. Le fait que les propos intimidants visaient des personnes en autorité constitue un élément aggravant. Bien qu’aucune preuve ne me démontre que le fonctionnaire s’estimant lésé soit impliqué dans certains autres incidents (partie de hockey, applaudissements, intimidation envers M. Leclerc) son témoignage m’a convaincu qu’il était partie active à la concertation de harcèlement des agents correctionnels envers les personnes occupant par intérim les postes de gestion. Les propos tenus par le fonctionnaire s’estimant lésé, en trois différentes occasions, démontrent qu’il avait l’intention d’intimider M. Whittom et dénotent à tout le moins une erreur de jugement importante et font preuve d’imprudence et de témérité. Bien qu’il soit légitime pour les membres d’un agent négociateur d’exercer des moyens de pression pour tenter d’accélérer les négociations et d’en bonifier le règlement, ils ne peuvent pas, en ces circonstances, poser des actes d’intimidation ou de harcèlement envers certains personnes. En tout temps l’employeur est tenu d’assurer un climat de travail exempt de harcèlement. Tout acte d’intimidation ou de harcèlement peut donner ouverture à la procédure disciplinaire.

81Mme Rhéaume aurait dû prendre en considération que le dossier du fonctionnaire s’estimant lésé ne contenait aucune mesure disciplinaire et que les évaluations de rendement de ce dernier démontrent qu’il est un fonctionnaire qui rencontre les objectifs qui lui sont fixés et les dépasse dans certains cas. Comme ces éléments atténuants n’ont pas été pris en considération par Mme Rhéaume, la pénalité qu’elle a imposée m’apparaît excessive.

82Je considère cependant qu’en raison de l’importance de la faute du fonctionnaire s’estimant lésé, celui-ci mérite une sanction qui va au-delà de la simple réprimande. Une suspension sans solde de quatre jours est raisonnable et justifiée compte tenu des circonstances de cette affaire. Les griefs aux dossiers de la CRTFP 166-02-35893 et 36007 sont accueillis en partie.

83Relativement aux griefs relatifs à l’enquête et au rapport du comité d’enquête disciplinaire, je considère que la décision de l’employeur de confier l’enquête à des personnes provenant de l’extérieur de l’établissement Leclerc était judicieuse dans les circonstances. Le fonctionnaire s’estimant lésé ne m’a pas démontré que cette enquête a été menée de mauvaise foi. Même si je retenais ses allégations à l’effet que le comité d’enquête disciplinaire manquait d’impartialité, l’audience devant moi a eu pour effet de corriger les erreurs qui auraient pu en découler. Les griefs aux dossiers de la CRTFP 166-02-35889 et 35894 sont rejetés.

84Relativement à la suspension sans solde imposée au fonctionnaire s’estimant lésé par M. Lapointe en date du 22 septembre 2004, je conclus qu’elle est de nature administrative et non pas disciplinaire. La décision du directeur de procéder à une enquête disciplinaire concernait les incidents du 21 septembre 2004 mettait en cause le fonctionnaire s’estimant lésé et un autre agent correctionnel. Cette décision a été prise sur la base d’un rapport verbal effectué par le sous-directeur Laneville. L’enquête disciplinaire avait pour but de faire la lumière sur les incidents et de recommander des mesures disciplinaires, le cas échéant. Rien ne m’indique qu’une décision d’imposer une mesure disciplinaire ait été prise lors de la rencontre du 22 septembre 2004. M. Lapointe a décidé de suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé pour éviter d’aggraver la situation et les personnes présentes à la rencontre du 22 septembre 2004 étaient en accord avec cette décision. Lors de son témoignage, M. Lapointe a précisé que cette suspension administrative n’était que pour la durée de l’enquête disciplinaire qui devait déterminer les faits et préciser si une mesure disciplinaire devrait en découler.

85Je ne peux pas retenir l’argumentation du fonctionnaire s’estimant lésé voulant que l’interdiction d’accès à l’établissement Leclerc lui ait été imposée pour l’humilier. Dans le milieu carcéral, pour des raisons évidentes de sécurité, les personnes contrôlant l’accès au pénitencier sont avisées lorsqu’un fonctionnaire est sous le coup d’une suspension administrative ou disciplinaire et qu’il est interdit d’accès. Cette décision est de nature administrative, car elle est motivée par des raisons de sécurité et selon une procédure utilisée couramment. Rien aux présents dossiers ne m’indique que l’interdiction d’accès ait été décidée pour des motifs qui seraient de nature disciplinaire.

86Les griefs aux dossiers de la CRTFP 166-02-35891 (interdiction d’accès) et 35892 (suspension pour la durée de l’enquête) portent sur des décisions de nature administrative et ne peuvent être renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 92(1)b) de l’ancienne Loi. En conséquence, je n’ai pas compétence pour les trancher.

87Considérant que le fonctionnaire s’estimant lésé a été impliqué en des enquêtes et des mesures administratives ou disciplinaires après le 21 septembre 2004, qui ne sont pas reliées aux griefs, je considère ces éléments comme non pertinents aux présents dossiers.

88Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

89Les griefs inscrits aux dossiers de la CRTFP 166-02-35893 et 36007 à l’encontre de la suspension disciplinaire sont accueillis en partie. La suspension sans solde est réduite de sept jours à quatre jours. J’ordonne à l’employeur de modifier en conséquence le dossier du fonctionnaire s’estimant lésé et de lui rembourser l’équivalent de trois journées de salaire au taux applicable à l’époque, déduction faite des retenues applicables, ainsi que de rétablir les bénéfices marginaux qui y sont rattachés.

90Le grief inscrit au dossier de la CRTFP 166-02-35888 contestant l’installation d’une caméra de surveillance est rejeté.

91Les griefs inscrits aux dossiers de la CRTFP 166-02-35889 et 35894 à l’encontre du rapport de l’enquête disciplinaire et de la procédure d’enquête disciplinaire sont rejetés.

92Le grief inscrit au dossier de la CRTFP 166-02-35890 réclamant une indemnité de retour au travail est rejeté.

93Le grief inscrit au dossier de la CRTFP 166-02-35891 contestant l’interdiction d’accès au pénitencier est rejeté.

94Le grief inscrit au dossier de la CRTFP 166-02-35892 à l’encontre de la suspension sans solde pour la durée de l’enquête disciplinaire est rejeté.

Le 14 février 2007.

Léo-Paul Guindon,
arbitre de grief

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