Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était, au moment du dépôt de son grief, agent de libération conditionnelle à l’établissement Drummond aux groupe et niveau WP-04 - à la suite d’une enquête disciplinaire, l’employeur lui a imposé une pénalité financière de 800,00 $ et lui a donné le choix entre le licenciement ou une mutation au poste de linger (GS-STS-04) - le fonctionnaire s’estimant lésé a accepté le nouveau poste, tout en présentant son grief, par lequel il conteste cette << mesure administrative >> - il demande d’être affecté dans un poste de niveau salarial équivalant à sa classification et que sa rémunération au niveau WP-04 soit maintenue - l’employeur a soulevé une objection à la compétence de l’arbitre de grief pour entendre le grief, au motif que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu contester sa mutation dans le cadre d’un autre recours de réparation prévu par une loi fédérale, notamment la LEFP - l’arbitre de grief a fait droit à l’objection et a constaté que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu se prévaloir du recours prévu aux articles 34.3 à 34.5 de la LEFP, ce qui fait obstacle à la présentation d’un grief en raison du libellé du paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi - en appliquant les principes se dégageant de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Boutilier (C.A.), [2000] 3 C.F. 27, l’arbitre de grief a conclu qu’il était sans compétence pour traiter du grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-02-27
  • Dossier:  166-02-35129
  • Référence:  2007 CRTFP 23

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MARTIN OUELLET

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Ouellet c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Jean-Pierre Tessier, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
James Cameron, avocat

Pour l'employeur:
Stéphane Hould, avocat

Décision rendue sans audience.
Observations écrites déposées en mai 2006.

Grief renvoyé à l'arbitrage

1 Martin Ouellet (« le fonctionnaire s’estimant lésé ») travaille pour le Service correctionnel du Canada (« l’employeur ») depuis 1991. En 2003-2004, il était agent de libération conditionnelle.

2 À la suite d’une enquête disciplinaire, le fonctionnaire s’estimant lésé a été muté au poste de préposé à la lingerie.

3 Le 16 janvier 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief contestant la mesure administrative que lui a été imposée par l’employeur. Son grief se lit comme suit :

[…]

Je conteste la mesure administrative (réaffectation comme préposé à la lingerie) qui m’a été imposée par l’Employeur le 11 décembre 2003.

Il demande la mesure corrective suivante :

Que cette décision soit annulée / Que je demeure affecté dans un poste de niveau salarial équivalant à ma classification actuelle (WP-04) Que ma rémunération au niveau WP-04 soit maintenue. Que toute information relative à cette décision soit retirée de mon dossier.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

4 Le grief a été renvoyé à l’arbitrage de grief en novembre 2004. L’audience devait avoir lieu en mars 2006, cependant, les parties ont choisi de soumettre des observations écrites, à la suite d’une objection de l’employeur relativement à la compétence de l’arbitre de grief pour entendre le grief.

5 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

L’exposé des faits et prétentions des parties

6 Dans ses observations écrites, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé expose les faits comme suit :

[…]

M. Ouellet travaille pour la fonction publique fédérale depuis 1991. Au moment du dépôt de son grief, il était un Agent de libération conditionnelle à l’Établissement Drummond aux groupe et niveau WP-04. Suite à une enquête disciplinaire concernant un événement survenu le 23 octobre 2003, M. Ouellet fut convoqué à une rencontre le 11 décembre 2003 avec la directrice de l’établissement, Madame France Poisson, afin de donner suite au rapport de l’enquête disciplinaire. Lors de cette rencontre, l’Employeur lui impose une pénalité financière de 800,00 $ et lui donne le choix entre le licenciement ou une mutation au poste de linger (GS-STS-04). M. Ouellet a accepté le nouveau poste, qui était, en effet, une rétrogradation.

Le 16 janvier 2004, M. Ouellet dépose le grief suivant :

Je conteste la mesure administrative (réaffectation comme préposé à la lingerie) qui m’a été imposée par l’Employeur le 11 décembre 2003.

Il demande la mesure corrective suivante :

Que cette décision soit annulée / Que je demeure affecté dans un poste de niveau salarial équivalant à ma classification actuelle (WP-04) Que ma rémunération au niveau WP-04 soit maintenue. Que toute information relative à cette décision soit retirée de mon dossier.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

7 C’est justement sur cette question que l’employeur soulevé une objection préliminaire. Selon l’employeur, il s’agit ici d’une mutation à un autre poste.

8 L’employeur a soumis ce qui suit relativement à son objection préliminaire :

[…]

Le grief dont est saisi l’arbitre conteste « la mesure administrative (réaffectation comme préposé à la lingerie) imposée le 11 décembre 2003 ». À titre de mesure corrective, M. Ouellet demande, entre autres, que soit annulée ladite mesure administrative (voir libellé du grief, annexe « A »).

Bien que M. Ouellet emploie le terme « réaffectation » et que cette mesure lui a été communiquée le 11 décembre 2003, celle-ci n’a en fait été prise officiellement que le 29 janvier 2004 et constituait une mutation à durée indéterminée prenant effet le 2 février 2004, tel qu’il appert de la lettre ci-annexée (voir annexe « B »).

[…]

Le grief en l’espèce à été déposé le 16 janvier 2004, soit plus d’un an avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (voir annexe « A »). C’est donc le régime de l’ ancienne loi qui s’applique à la présente affaire.

L’article 91 de l’ancienne LRTFP confère au fonctionnaire un droit de présenter un grief contre tout acte touchant ses conditions d’emploi. Cependant, ce droit du fonctionnaire ne peut être exercé qu’à condition qu’« aucun autre recours administratif de réparation ne lui [soit] ouvert sous le régime d’une loi fédérale » (voir 91(1)).

S’il n’obtient pas satisfaction après avoir porté son grief jusqu’au dernier palier de la procédure applicable, le fonctionnaire pourra le renvoyer à l’arbitrage s’il tombe dans le giron des types de griefs prévus à l’article 92 de la même loi.

Il s’ensuit que l’arbitre ne peut se saisir d’un grief irrecevable aux termes de l’article 91, puisque le fonctionnaire doit épuiser l’autre recours administratif de réparation qui lui est ouvert.

L’employeur soumet qu’en l’espèce un autre recours administratif de réparation est ouvert à M. Ouellet en vertu de l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique, S.R. ch. P-32 (LEFP), lequel prévaut sur son droit de présenter un grief. Par conséquent, l’arbitre ne peut instruire le grief de M. Ouellet puisque celui-ci est irrecevable, et ce, sans égard à la question de savoir si le fond du grief est arbitrable en vertu de l’article 92 LRTFP. L’arbitre doit rejeter le grief pour défaut de compétence.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

9 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu qu’il s’agit d’une contestation d’une mesure disciplinaire. Il a soumis ce qui suit :

[…]

Nous soumettons que l’arbitre saisi du grief de M. Ouellet a compétence pour entendre le grief de M. Ouellet puisqu’il est clair et net qu’il conteste une mesure disciplinaire accordée le 11 décembre 2003.

Lors de la rencontre disciplinaire du 11 décembre 2003, la directrice de l’établissement lui a donné le choix entre un licenciement ou une rétrogradation. Étant un homme d’un certain âge qui approchait la retraite, M. Ouellet ne croyait pas avoir autre choix que d’accepter la rétrogradation.

La rétrogradation représente une sanction pécuniaire très importante puisque la différence de salaire entre le poste d’Agent de libération conditionnel et le poste de linger est de plusieurs mille dollars. De plus, les conditions de travail ne sont pas comparables. Finalement, et encore plus importante, la rétrogradation aura un impact majeur sur la pension de M. Ouellet qui prévoyait prendre sa retraite en 2006. Tous ces facteurs doivent être considérés afin de déterminer que M. Ouellet a choisi la bonne voie pour contester la mesure disciplinaire imposée par l’employeur et afin de conclure que l’arbitre saisi du grief a compétence pour le trancher.

M. Ouellet a déposé son grief de bonne foi, croyant suivre la procédure appropriée afin de se faire entendre et avoir la possibilité d’obtenir la mesure corrective demandée. Maintenant, l’employeur tente, par un argument légal soulevé quelques semaines avant l’audition du grief, d’empêcher M. Ouellet d’intenter n’importe quel recours. Si M. Ouellet tente de suivre la procédure prévue aux articles 34.3 à 34.5 de l’ancienne Loi sur l’emploi dans la fonction publique, telle que soulevée par l’employeur dans ses représentations écrites, l’administrateur général va certainement rejeter sa plainte puisqu’elle est hors délai. Ainsi, si l’objection préliminaire de l’employeur est accordée et le grief rejeté, M. Ouellet se retrouvera sans recours et sans réponse quant au fond de son grief.

[…]

10 L’employeur a soutenu ce qui suit relativement à la jurisprudence :

[…]

La jurisprudence est sans équivoque quant au devoir de l’arbitre de se déclarer incompétent lorsque la question soulevée par le grief dont il est saisi en vertu de la LRTFP est ouverte à un autre recours administratif de réparation sous le régime d’une loi fédérale.

[…]

11 Il a fait référence aux décisions suivantes pour étayer ses prétentions : Cooper (Re), [1974] A.C.F. n o 1016; Canada (Procureur général) c. Boutilier (C.A.), [2000] 3 C.F. 27; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445; et Ryan c. Canada (Procureur général), 2005 CF 65.

12 L’employeur, en réplique aux observations soumises par le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé, a souligné que le présent dossier se limite à la question de la mutation. Il a ajouté que la question d’une pénalité de 800 $ avait été réglée entre les parties, tel que mentionné dans une lettre du syndicat datée du 16 mars 2005.

Motifs

13 Les deux parties ont convenu que la question en litige est de savoir si l’arbitre de grief saisi du grief en vertu de l’ancienne Loi a compétence pour entendre le grief du fonctionnaire s’estimant lésé.

14 Avant d’aborder cette question, il faut se demander quelle est la nature du grief. Le grief porte-t-il sur une question de mutation pour lequel il existait un autre recours possible, selon la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la “LEFP”) applicable au moment où a eu lieu la mutation?

15 Pour déterminer la nature du grief, je dois fonder mes conclusions sur les observations soumises par les parties et les documents qui y sont annexés.

16 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a fait référence à un incident survenu le 23 octobre 2003 sans l’identifier. On peut supposer qu’il s’agit d’un incident assez important puisqu’une enquête disciplinaire a été menée. Le 11 décembre 2003, à la suite de l’enquête, l’employeur a proposé au fonctionnaire s’estimant lésé deux actions possibles : soit un licenciement, soit une mutation à un nouveau poste.

17 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué que le fonctionnaire s’estimant lésé avait accepté une mutation. Par la suite, l’employeur a préparé une lettre de mutation en date du 29 janvier 2004 qui a été remise au fonctionnaire s’estimant lésé et signée le 2 février 2004. Le 2 février 2004 était la date d’entrée en vigueur de la mutation.

18 Dans son argumentation, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu que ce dernier n’avait pas compris la portée de son geste lors de la rencontre du 11 décembre 2003. Le représentant énonce ce qui suit :

[…]

Lors de la rencontre du 11 décembre 2003, la directrice de l’établissement lui a donné le choix entre un licenciement ou une rétrogradation. Étant un homme d’un certain âge qui approchait la retraite, M. Ouellet ne croyait pas avoir autre choix que d’accepter la rétrogradation.

[…]

19 Le fonctionnaire s’estimant lésé, bien qu’étant un homme d’un certain âge et approchant de la retraite, pouvait faire la différence entre un licenciement et une mutation. C’est justement parce qu’il allait bientôt prendre sa retraite qu’il ne voulait pas être congédié.

20 Même si on retenait l’hypothèse que le fonctionnaire s’estimant lésé ait pu être intimidé ou perturbé lors de la rencontre du 11 décembre 2003, il s’est écoulé plus de six semaines avant l’entrée en vigueur de la mutation.

21 Le fonctionnaire s’estimant lésé a signé l’offre de mutation le 2 février 2004, tout en notant qu’un processus de grief était en cours (lettre du 29 janvier 2004).

22 En examinant le libellé du grief, je ne peux que conclure qu’il porte sur la contestation d’une mesure administrative, soit une réaffectation (mutation). Le grief se lit comme suit :

[…]

Je conteste la mesure administrative (réaffectation comme préposé à la lingerie) qui m’a été imposée par l’Employeur le 11 décembre 2003.

Il demande la mesure corrective suivante :

Que cette décision soit annulée / Que je demeure affecté dans un poste de niveau salarial équivalant à ma classification actuelle (WP-04) Que ma rémunération au niveau WP-04 soit maintenue. Que toute information relative à cette décision soit retirée de mon dossier.

[…]

23 Le deuxième paragraphe est révélateur des intentions du fonctionnaire s’estimant lésé. Ce dernier ne réclame pas de revenir à son poste; il veut plutôt être affecté à un poste de niveau de salaire équivalant à sa classification de WP-04 et que sa rémunération soit maintenue.

24 Ce qu’il faut comprendre de l’ensemble des circonstances et du libellé du grief du fonctionnaire s’estimant lésé c’est que ce dernier ne voulait pas être congédié et qu’il a convenu d’une mutation. Cependant, en janvier 2004, il a sans doute réalisé que la mutation qu’on lui proposait le faisait passer d’un poste d’agent de libération (WP-04) à un poste de lingerie qui serait moins bien rémunéré.

25 Le 2 février 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé accepte la mutation sous réserve de son grief. Un grief qui, selon toute évidence, conteste la façon dont la mutation s’est déroulée.

26 En examinant les recours prévus à la LEFP, peut-on trouver des recours qui correspondent aux attentes du fonctionnaire s’estimant lésé et à la mesure corrective qu’il demande?

27 Les recours et les mesures correctives de la LEFP se trouvent principalement dans les dispositions suivantes :

[…]

34.3 (1) Le fonctionnaire qui est muté, ainsi que tout autre fonctionnaire du service où il l’a été peut, dans le délai et selon les modalités fixés par le Conseil du Trésor, déposer une plainte auprès de l’administrateur général compétent au motif que la mutation n’est pas autorisée par la loi ou n’a pas été effectuée conformément à celle-ci, ou qu’elle constitue un abus de pouvoir.

[…]

34.4 (1) Le fonctionnaire qui n’est pas satisfait des résultats obtenus à la suite d’une plainte déposée en application du paragraphe 34.3(1) peut, dans le délai prévu par règlement de la Commission, renvoyer la plainte à la Commission.

(2) Dès le renvoi de la plainte, celle-ci désigne un enquêteur.

(3) L’enquête procède de la manière déterminée par la Commission et donne à l’auteur du renvoi, au fonctionnaire muté et à l’administrateur général l’occasion d’être entendus.

(4) Au terme de l’enquête, l’enquêteur établit un rapport assorti de ses conclusions et recommandations touchant la mutation et le fait parvenir à l’auteur du renvoi, au fonctionnaire muté et à l’administrateur général.

34.5 (1) L’enquêteur qui n’est pas satisfait des mesures prises par l’administrateur général à la suite du rapport en rend compte à la Commission.

(2) Sur réception du compte rendu la Commission peut ordonner à l’administrateur général de prendre les mesures de redressement qu’elle juge indiquées, y compris l’annulation de la mutation.

(3) La Commission ne peut s’autoriser du paragraphe (2) pour imposer une mutation à l’administrateur général.

[…]

28 Tel que je l’ai énoncé précédemment, le fonctionnaire s’estimant lésé a convenu qu’il ne pouvait conserver son poste d’agent de libération conditionnelle puisqu’à la suite des événements du 23 octobre 2003, il était, selon l’employeur, sujet à un licenciement. Il a donc accepté la mutation sous réserve qu’il puisse contester la façon dont elle a été effectuée, soit en contestant le niveau du poste auquel il avait été transféré, etc. Il s’agit là de questions qui doivent être décidées par un recours en vertu de la LEFP qui régit les mutations, que cette loi définit comme « un transfert d’un fonctionnaire à un autre poste ». Le procureur du fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué dans ses notes écrites le fait que la mesure contestée par M. Ouellet était en fait une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire. Ce n’est pas sur cette base que le fonctionnaire s’estimant lésé a engagé la contestation de cette mesure et je suis d’avis que ni le grief ni son renvoi subséquent à l’arbitrage n’évoquent un tel motif de contestation. Les principes se dégageant de l’arrêt Burchill c. Procureur général du Canada [1981] 1 C.F. 109 ne semblent trouver application en l’espèce :

[…]

4 Ainsi la seule question à trancher dans la procédure de grief était de savoir si le requérant pouvait encore prétendre au statut d’employé nommé pour une période indéterminée après qu’il eut accepté un poste à durée déterminée. […]

5 À notre avis, après le rejet de son seul grief présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le requérant ne pouvait présenter à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, ni transformer son grief en un grief contre une mesure disciplinaire entraînant le congédiement au sens du paragraphe 91(1). En vertu de cette disposition, seul un grief présenté et réglé conformément à l’article 90 ou visé à l’alinéa 91(1)a) ou b) peut être renvoyé à l’arbitrage. À notre avis, puisque le requérant n’a pas énoncé dans son grief la plainte dont il aurait voulu saisir l’arbitre, à savoir que sa mise en disponibilité n’était, en vérité, qu’une mesure disciplinaire camouflée, rien ne vient donner à l’arbitre compétence pour connaître du grief en vertu du paragraphe 91(1). Par conséquent, l’arbitre n’a pas compétence.

[…]

29 Comme argument subsidiaire, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué qu’advenant un rejet de son grief, il serait privé du recours puisqu’en présentant le grief en 2006, il serait hors délai.

30 Bien qu’intéressant, cet argument ne peut, selon moi, être considéré comme une certitude. Il ne faut pas oublier que lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a signé la lettre de mutation, il l’a fait sous réserve du grief qu’il voulait présenter. L’employeur a accepté cet état de fait. Il savait alors que le fonctionnaire s’estimant lésé voulait contester la mutation. Il serait difficile pour l’employeur de s’opposer à une contestation éventuelle en vertu de la LEFP en invoquant qu’il est pris par surprise et que la plainte est tardive.

31 Quoi qu’il en soit, même si le recours du fonctionnaire s’estimant lésé en vertu de la LEFP devait être rejeté, il n’en reste pas moins qu’un tel recours existait au moment de la mutation.

32 Compte tenu de ce qui précède, il reste à examiner si j’ai compétence pour entendre le grief du fonctionnaire s’estimant lésé.

33 Tel que mentionné au paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi, le droit de présenter un grief ne peut s’exercer que lorsqu’aucun autre recours administratif de réparation n’est prévu à une loi fédérale. Je suis d’accord avec les représentations de l’employeur quant à l’énoncé des règles applicables en la matière :

[…]

Après un survol de la jurisprudence sur la question et en se penchant particulièrement sur le recours ouvert sous le régime de la Loi canadienne des droits de la personne , la Cour d’appel fédérale réitérait ce principe dans Boutilier :

« … Le mode de règlement des litiges en matière de relations de travail sous le régime fédéral n’est donc pas aussi simple qu’on pourrait être porté à le croire. Si le plaignant peut se prévaloir d’un autre recours administratif de réparation, ce recours doit être épuisé dans la mesure où il fournit une réparation « véritable ». Ce recours n’a pas à fournir une réparation égale ou supérieure, à condition qu’il traite de la plainte « de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief de l’employé ».

[…]

Que le recours administratif soit différent, même s’il s’agit d’une réparation moindre, il n’en demeure pas moins un recours.

[…]

Il en ressort que le règlement des litiges relève principalement du régime des droits de la personne, ainsi que des autres régimes administratifs spécialisés, dont la spécificité et la cohérence sont clairement privilégiés par le législateur aux décisions des arbitres spéciaux. La LRTFP diffère de la plupart des codes du travail, qui prescrivent que l’arbitrage constitue la mesure exclusive de réparation… .

De plus, dans l’affaire Chopra, le juge Simpson, étant saisi de la même question que dans Boutilier, faisant remarquer l’objet à l’origine de l’article 91 :

Le paragraphe 91(1) a été incorporé à la LRTFP comme article 90 en 1966 [S.C. 1966-67, ch. 72]. Il n’a pas été contesté qu’il avait pour objet à l’époque de prévenir le chevauchement des procédures prévues par la LRTFP et la Loi sur l’emploi dans la fonction publique [maintenant L.R.C. (1985), ch. P-33]… .

Enfin, dans l’affaire Lawson, l’arbitre a conclu qu’un autre recours administratif de réparation existait sous le régime des articles 6 et 7 de la LEFP, celui-ci empiétant sur le droit de déposer un grief en vertu de l’article 91 de la LRTFP. Il a ainsi rejeté le grief pour défaut de compétence.

Par conséquent, en conformité avec la jurisprudence, si un recours administratif de réparation était ouvert à M. Ouellet sous le régime de la LEFP, l’arbitre devra rejeter le grief pour défaut de compétence.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original des notes écrites]

34 La Cour d’appel fédérale, appelée à se pencher sur l’interprétation du paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi dans l’affaire Boutilier, a souligné l’importance de trancher cette question avant de procéder à l’audition du grief sur le fond.

35 L’examen des observations des représentants des parties, des annexes jointes, du libellé du grief et des circonstances entourant son dépôt m’amènent à conclure que le fonctionnaire s’estimant lésé ne voulait pas recevoir de mesure disciplinaire et a plutôt choisi d’accepter une mutation.

36 Bien qu’il ait accepté la mutation, le fonctionnaire s’estimant lésé a voulu indiquer qu’il contesterait la façon dont elle était appliquée. Il voulait un poste aux groupe et niveau WP-04 et/ou garder le même salaire.

37 La LEFP lui offrait une possibilité de contester cette mutation. Cette loi prévoit que l’administrateur général peut prendre des mesures de redressement, y compris l’annulation de la mutation (article 34.3). À la suite d’une plainte déposée à la Commission (article 34.4), un enquêteur est nommé et il peut faire des recommandations (article 35.5). La Commission peut ordonner à l’administrateur général de prendre des mesures de redressement.

38 Lorsqu’il existe un autre recours possible au fonctionnaire, l’arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre le grief en vertu du paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi. Tel que mentionné ci-haut, “un autre recours administratif de réparation” était ouvert au fonctionnaire s’estimant lésé en vertu de la LEFP.

39 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

40 Le grief est rejeté faute de compétence.

Le 27 février 2007.

Jean-Pierre Tessier,
arbitre de grief

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