Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Procédure de règlement des griefs - Prorogation de délai - Alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique L’employeur a rejeté les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés aux premier et deuxième paliers de la procédure applicable aux griefs individuels parce qu’ils ont été présentés hors délai - aucune décision n’a été rendue sur les griefs au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels - en réponse au renvoi des griefs à l’arbitrage, l’employeur a objecté que les griefs avaient été présentés tardivement au premier palier de la procédure applicable aux griefs individuels - la vice-présidente a conclu qu’il existe un argument défendable voulant que les griefs aient été présentés au premier palier de la procédure applicable aux griefs individuels à l’intérieur du délai applicable. Objection rejetée. Procédure de règlement des griefs - Validité du renvoi à l’arbitrage - paragraphe 209(1) et articles 225 et 241 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la << Loi >>) Les fonctionnaires s’estimant lésés ont renvoyé leurs deux griefs à l’arbitrage avant de les avoir présentés au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels - l’employeur a reconnu que l’un des griefs a été présenté simultanément aux deuxième et dernier paliers de la procédure applicable aux griefs individuels - la vice-présidente a conclu que ce vice de procédure n’invalidait pas le renvoi de ce grief à l’arbitrage - elle a cependant conclu que le fait d’avoir renvoyé l’autre grief à l’arbitrage avant de l’avoir présenté au dernier palier de la procédure applicable aux griefs individuels contrevenait aux exigences du paragraphe 209(1) et de l’article 225 de la Loi - l’article 241 de la Loi indique clairement qu’une telle contravention ne constitue pas qu’un simple vice de procédure. Un grief renvoyé à un arbitre de grief. Un grief non renvoyé à un arbitre de grief.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-04-05
  • Dossier:  568-02-70 et 568-02-85 et 566-02-276 et 566-02-385
  • Référence:  2007 CRTFP 35

Devant le président


ENTRE

DENIS MARTEL ET DANIEL CARROLL

demandeurs

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Martel et Carroll c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des demandes visant la prorogation d'un délai visées à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour les demandeurs:
Céline Lalande et Robert Deschambault, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour l'employeur:
Mark Sullivan, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base de représentations
écrites déposées le 20 novembre 2006.

Demandes devant le président

1 La présente décision porte sur le pouvoir du président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique de renvoyer un grief à un arbitre de grief ou à un conseil d’arbitrage, selon le cas, lorsque le grief n’a pas été présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs avant son renvoi à l’arbitrage, contrairement à ce que prévoit l’article 225 de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ( la « Loi »).

Contexte des demandes

2 Denis Martel et Daniel Carroll ( les « demandeurs »), agents correctionnels à Sainte‑Anne‑des‑Plaines, ont chacun présenté un grief individuel le 21 novembre 2005 et le 27 février 2006 respectivement parce qu’ils s’estiment lésés par la fumée secondaire du tabac dans leur lieu de travail. Selon les demandeurs, l’employeur n’a pris aucune mesure pour éliminer cette exposition à la fumée secondaire, qui continue encore aujourd’hui. Les demandeurs prétendent que l’inaction de l’employeur constitue une contravention à la clause 18.1 de la convention collective entre le Syndicat des agents correctionnels du Canada et le Service Correctionel du Canada, à la Loi sur la santé des non-fumeurs, aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

3 La clause 20.03 de la convention collective prévoit une procédure de règlement des griefs à trois paliers. Les griefs des demandeurs ont été rejetés par l’employeur aux premier et deuxième paliers, entre autres, parce que les demandeurs n’auraient pas respecté le délai de présentation de 25 jours qui suit la date à laquelle ils auraient pris connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu aux griefs (clause 20.10 de la convention collective). Dans le cas de M. Martel, il est allégué que l’exposition à la fumée secondaire remonte à 2000, tandis que dans le cas de M. Carroll, il est allégué que cette exposition remonte à 1989.

4 Le grief de M. Martel a suivi la démarche suivante :

  • Présentation du grief au premier palier : le 21 novembre 2005.
  • Réponse de l’employeur au premier palier : le 22 décembre 2005.
  • Présentation du grief au deuxième palier : le 27 janvier 2006.
  • Réponse de l’employeur au deuxième palier : le 9 février 2006.
  • Renvoi à l’arbitrage : le 13 avril 2006.
  • Réception par l’employeur de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage : le 3 mai 2006.
  • Présentation du grief au troisième palier : le 18 mai 2006.
  • Réponse de l’employeur au troisième palier : aucune.

5 Le 1 er juin 2006, l’employeur a soulevé son objection concernant la compétence d’un arbitre de grief pour entendre cette affaire en raison du non-respect des délais soulevé pendant la procédure de règlement des griefs.

6 Le grief de M. Carroll a suivi la démarche suivante :

  • Présentation du grief au premier palier : le 27 février 2006.
  • Réponse de l’employeur au premier palier : le 13 mars 2006.
  • Présentation du grief aux deuxième et troisième paliers : le 6 avril 2006.
  • Réponse de l’employeur au deuxième palier : le 12 avril 2006.
  • Présentation du grief au troisième palier : le 6 avril 2006.
  • Réponse de l’employeur au troisième palier : aucune.
  • Renvoi à l’arbitrage : le 19 mai 2006.
  • Réception par l’employeur de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage : le 16 juin 2006.

7 Le 27 juin 2006, l’employeur a invoqué son objection concernant le grief de M. Carroll.

8 Le 10 juillet 2006, l’agent négociateur, au nom des demandeurs, a répondu aux objections de l’employeur concernant le non-respect des délais dans ces deux affaires en alléguant qu’il s’agissait de griefs de nature répétitive et continue et qu’un arbitre de grief avait compétence pour entendre ces affaires.

9 Puisque les griefs des demandeurs n’avaient pas été présentés à tous les paliers requis par la procédure de règlement des griefs, le président a communiqué avec les parties le 6 septembre 2006 et leur a demandé de soumettre leurs représentations écrites sur les questions suivantes :

  1. Compte tenu du paragraphe 209(1) et des articles 225 et 241 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le président intérimaire peut-il renvoyer les griefs à un arbitre de grief alors qu’ils n’ont pas été présentés au dernier palier de la procédure de règlement des griefs préalablement à leur renvoi à l’arbitrage?
  2. Le cas échéant, en quoi la présentation des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, subséquemment à leur renvoi à l’arbitrage, affecte-t-elle leur renvoi?

Résumé de l’argumentation

10 Les fonctionnaires n’ont soumis aucune représentation concernant ces questions.

11 L’employeur soumet que le grief de M. Martel a été renvoyé à l’arbitrage le 13 avril 2006, préalablement à la présentation du grief au troisième et dernier palier de la procédure de règlement de griefs, qui n’a eu lieu que le 18 mai 2006. Ce grief ne pourrait donc pas être validement renvoyé à un arbitre de grief.

12 Par contre, dans le cas de M. Carroll, l’employeur soulève une irrégularité, tenant au fait que la transmission du grief aux deuxième et troisième paliers a eu lieu la même journée, soit le 6 avril, mais que la réponse au deuxième palier a été transmise le 12 avril 2006. Toutefois, comme le renvoi à l’arbitrage le 19 mai 2006 s’est produit après la présentation du grief au dernier palier, l’employeur ne s’oppose pas à ce que le grief soit renvoyé à un arbitre de grief.

13 À la suite des représentations de l’employeur, le président a sollicité à nouveau la position des fonctionnaires, mais cette demande est demeurée sans réponse.

14 En vertu de l’article 45 de la Loi , le président m’a délégué en ma qualité de vice-présidente, les attributions qui lui sont conférées afin que j’instruise la présente affaire sur la base des représentations écrites aux termes de l’article 225 de la Loi.

Motifs

15 L’alinéa 223(2)d) de la Loi prévoit le pouvoir du président de la Commission, en l’occurrence la vice-présidente soussignée, de renvoyer un grief à un arbitre de grief :

223. (2) Sur réception de l’avis par la Commission, le président :

[…]

d) […] renvoie le grief à un arbitre de grief qu’il choisit parmi les membres de la Commission.

Cependant, ce pouvoir est assujetti à l’article 225 de la Loi, qui prévoit ce qui suit :

225. Le renvoi d’un grief à l’arbitrage de même que son audition et la décision de l’arbitre de grief à son sujet ne peuvent avoir lieu qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable.

[Je souligne]

Par conséquent, l’article 225 de la Loi limite le pouvoir du président de renvoyer un grief à un arbitre de grief, si le grief en question n’a pas été validement présenté à chaque palier de la procédure de règlement des griefs.

16 En outre, le paragraphe 95 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») permet à l’employeur de soulever une objection fondée sur le non-respect d’un délai prévu à la procédure de règlement des griefs après le renvoi du grief à l’arbitrage. L’article 95 du Règlement énonce ce qui suit :

95. (1) Toute partie peut, au plus tard trente jours après avoir reçu copie de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage :

a) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable au grief n’a pas été respecté;

b) soulever une objection au motif que le délai prévu par la présente partie ou par une convention collective pour le renvoi du grief à l’arbitrage n’a pas été respecté.

(2) L’objection visée à l’alinéa (1)a) ne peut être soulevée que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief en raison de ce non-respect.

[…]

17 Comme l’employeur a soulevé pour les deux griefs en question le non-respect du délai initial de présentation dans sa réponse au premier palier et au deuxième palier de la procédure de règlement de griefs, il lui est permis de soulever à nouveau cette objection par rapport au renvoi à l’arbitrage. L’objection de l’employeur a été soulevée dans les 30 jours suivant sa réception des avis de renvoi à l’arbitrage. L’objection soulevée dans le délai prévu semble, à première vue, constituer un motif d’empêchement pour renvoyer les griefs à un arbitre de grief.

18 Après examen des griefs en question, y compris les réponses de l’employeur aux premier et deuxième paliers, je suis d’avis que, à la face même des dossiers devant moi, il existe un argument défendable à l’effet que les griefs ont été présentés à l’intérieur du délai applicable. Par conséquent, hormis l’analyse qui suit concernant les effets de l’article 225, l’objection de l’employeur portant sur le non-respect du délai de présentation des deux griefs au premier palier de la procédure de règlement des griefs est une question qui devra faire l’objet d’une décision par l’arbitre de grief, le cas échéant. Ces deux griefs sont donc susceptibles d’être renvoyés à un arbitre de grief.

19 Demeure alors la question de savoir si pour chacun des griefs à l’étude, le renvoi à l’arbitrage est conforme à l’article 225 de la Loi.

20 Prenons d’abord le cas de M. Carroll. Dans son objection présentée le 27 juin 2006, l’employeur a soulevé un vice de procédure, selon lequel le grief a été présenté simultanément aux deuxième et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs. Notons que l’employeur n’a pas soulevé cette irrégularité dans sa réponse au deuxième palier et ne l’a pas soulevée au troisième palier puisqu’il n’y a pas eu de réponse. Comme l’employeur concède, dans ses représentations écrites du 17 novembre 2006, que le renvoi à l’arbitrage signifié le 19 mai 2006 a eu lieu après le renvoi du grief au dernier palier, je suis d’avis que ce vice de procédure n’invalide pas la procédure de renvoi à l’arbitrage prévu à l’article 241 et qu’il s’ensuit que le grief de M. Carroll peut être validement renvoyé à l’arbitrage.

21 Le cas de M. Martel est quelque peu différent. M. Martel a présenté son grief à l’arbitrage avant de le présenter au dernier palier de la procédure de grief. Or, l’article 225 est sans équivoque : le renvoi d’un grief à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) ne peut avoir lieu qu’après la présentation du grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable. M. Martel n’a présenté aucun motif justifiant le défaut de s’y conformer.

22 Par ailleurs, l’article 241 prévoit qu’un vice de forme ou de procédure ne peut servir à invalider les procédures décrétées par la Loi :

241. (1) Les procédures prévues par la présente partie ne sont pas susceptibles d’invalidation pour vice de forme ou de procédure.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), l’omission de présenter le grief à tous les paliers requis conformément à la procédure applicable ne constitue pas un vice de forme ou de procédure.

23 Cette exception est de droit nouveau. Avant d’en disposer, il y a lieu de souligner que les versions française et anglaise du paragraphe 241(1) ne sont pas identiques et que cette différence mérite une explication. La version française réfère aux procédures « […] prévues par la présente partie […] », la « présente partie » étant la partie 4 de la Loi. La version anglaise réfère plutôt aux procédures « … under this Act», une application nettement plus large que la version française.

24 Il faut donc rechercher le sens de cette disposition dans son contexte, à savoir la version qui semble la plus conforme aux objectifs de la Loi. Or, je constate que la partie 4 de la Loi, à laquelle se limite l’application de la version française de l’article 241, ne vise que des dispositions d’application générale qui ne comportent aucune procédure. Par conséquent, appliquer l’exception prévue à l’article 241 uniquement à la partie 4 rendrait cette disposition sans objet. Or, une des règles d’interprétation des lois veut que le législateur ne parle pas pour ne rien dire.

25 Dans son préambule, la Loi énonce qu’un des buts recherchés par le législateur est la résolution de façon juste, crédible et efficace des problèmes liés aux conditions d’emploi. À ce titre, le législateur a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’invalider une procédure autrement valide pour un simple vice de procédure. Comment alors justifier la limite imposée par la version française de l’article 241 à l’unique partie 4? Une interprétation contextuelle de la Loi nous porte plutôt à préférer la version anglaise de cet article, soit que toutes les procédures en vertu de la Loi sont soumises à l’exception en raison d’un vice de forme ou de procédure. J’estime donc que la version anglaise de l’article 241 représente la véritable intention du législateur et qu’il ne faut pas retenir la formulation plus restrictive de la version française, car cette dernière va à l’encontre du but recherché par l’exception prévue à l’article 241.

26 Cette précision étant faite, le paragraphe 241(2) de la Loi indique clairement que l’omission de présenter un grief à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs ne constitue pas un vice de procédure permettant de contourner les exigences de l’article 225. La formulation de l’article 241 ne donne donc au président aucune discrétion lui permettant de renvoyer à un arbitre de grief un grief qui n’a pas été présenté à tous les paliers requis. Par conséquent, le fait que M. Martel ait renvoyé son grief à l’arbitrage avant d’avoir complété la procédure de règlement des griefs rend ce renvoi invalide.

27 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui apparait aux paragraphes [30] et [31]

Observations

28 Le grief de M. Martel présente une situation particulière. Ce grief fait partie d’un groupe de 50 griefs qui ont été rejetés par l’employeur aux premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs, parce qu’ils ne respecteraient pas les délais de la procédure de règlement des griefs de la convention collective. Par contre, l’employeur a omis de rendre une décision sur ces griefs au troisième palier dans le délai prévu ce qui laisse entendre que l’employeur ne fait aucune distinction entre tous ces griefs.

29 Étant donné que le grief de M. Martel est identique (sauf en ce qui concerne la date alléguée d’exposition à la fumée secondaire), que le lieu de travail des fonctionnaires en question est le même, il me semble que l’employeur ne subirait aucun préjudice à appliquer au grief de M. Martel la même approche que celle qui sera appliquée aux autres griefs, même si, aux fins de la présente décision, M. Martel n’a pas accès à la procédure d’arbitrage prévue par la Loi.

Ordonnance

30 Je déclare que M. Carroll a validement renvoyé son grief à l’arbitrage et je renvoie son grief à un arbitre de grief.

31 Je déclare que M. Martel n’a pas validement renvoyé son grief à l’arbitrage et j’ordonne que le dossier de la CRTFP 566-02-276 soit fermé.

Le 5 avril 2007

Michele A. Pineau,
Vice-présidente

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