Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté son licenciement - elle a présenté une demande visant à faire déclarer son licenciement nul dès le départ parce que l’enquêteur ne lui a pas dit qu’elle pouvait être représentée par son agent négociateur lorsqu’elle a été interrogée dans le cadre de l’enquête disciplinaire - la convention collective précisait que la fonctionnaire s’estimant lésée pouvait être représentée par son agent négociateur pendant toute réunion << [...] à laquelle doit être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire l[a] touchant [...] >> - l’arbitre de grief a conclu que, même si la fonctionnaire s’estimant lésée devait assister à une réunion tenue dans le cadre d’une enquête disciplinaire, elle n’a pas établi que la réunion constituait une << audience disciplinaire >> au sens de la convention collective - l’audience du grief a été fixée par ordonnance. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-07-16
  • Dossier:  166-02-37273
  • Référence:  2007 CRTFP 71

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SEBRENA THOMPSON

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Jennifer A. Lewis, avocate

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 16 au 18 avril 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Grief renvoyé à l'arbitrage

1 À la suite d'une enquête disciplinaire, l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a mis fin à l'emploi de Sebrena Thompson (la « fonctionnaire s'estimant lésée »), cette décision prenant effet le 27 août 2004. Avant son licenciement, la fonctionnaire s'estimant lésée occupait un emploi d'inspectrice des douanes (poste classifié aux groupe et niveau PM-02) au Centre de traitement du courrier international de l'ASFC, à Toronto.

2 L'ASFC a communiqué sa décision à la fonctionnaire s'estimant lésée par lettre de cessation d'emploi signée par John Gillan, directeur régional par intérim pour la région du Grand Toronto (pièce G-9) :

[Traduction]

[…]

La présente lettre fait suite aux résultats de l'enquête que la Division des affaires internes de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a menée au sujet des allégations d'infractions, de votre part, au code de déontologie et de conduite de l'Agence ainsi qu'à sa Politique sur la discipline. Il ressort des résultats de l'enquête que vous avez usé de vos fonctions d'inspectrice des douanes pour tenter de forcer des fonctionnaires de l'immigration à libérer une personne que vous connaissiez pour la confier à votre garde. Lorsque l'enquêteur vous a interrogée à ce sujet, on a jugé que vous ne disiez pas la vérité. Qui plus est, on a établi que vous aviez, à maintes reprises, accédé sans autorisation au Système intégré d'exécution des douanes (SIEC) de l'Agence, une base de données confidentielles. Plusieurs de ces accès non autorisés se rapportaient à la personne susmentionnée.

J'ai soigneusement examiné les preuves de cette affaire et j'ai déterminé que vos actes constituaient un abus d'autorité qui contrevient au code de déontologie et de conduite de l'Agence ainsi qu'à sa Politique sur la discipline. Votre implication dans ces activités constitue un tel affront au niveau élevé de confiance, d'honnêteté et d'intégrité que requiert votre poste d'inspectrice des douanes que vous avez irrémédiablement rompu le lien de confiance qui est fondamental dans la relation d'emploi. Vous vous êtes livrée à un comportement incompatible avec vos devoirs et responsabilités de fonctionnaire.

En conséquence, devant la gravité de votre inconduite et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par l'alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques, j'ai décidé de mettre fin à votre emploi [ … ]

[…]

3 Le 21 janvier 2005, la fonctionnaire s'estimant lésée a déposé un grief pour contester son licenciement, mais n'a pas obtenu gain de cause.

4 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique(LMFP), L.C. 2003, ch. 22, a été promulguée.

5 Le 26 mai 2006, la fonctionnaire s'estimant lésée a renvoyé son grief à l'arbitrage de grief en vertu du sous-alinéa 92(1)b)(ii) de l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l'« ancienne Loi»). Dans une lettre accompagnant ce renvoi à l'arbitrage de grief, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a présenté, au nom de cette dernière, une demande de prolongation du délai de présentation du grief, anticipant la possibilité que l'employeur allèguerait que le grief n'a pas été présenté dans les délais. L'employeur a effectivement soulevé une objection à cet égard et le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a examiné la question du respect des délais ainsi que la demande de prolongation du délai lors de téléconférences tenues les 12 et 26 mars 2007. À la première téléconférence, le président a jugé verbalement que le grief n'avait pas été présenté à temps. À la suite de la seconde téléconférence, le président a accédé à la demande de prolongation du délai accordé à la fonctionnaire s'estimant lésé pour présenter son grief. Les motifs écrits ont suivi dans Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59.

6 Le président m'a saisi de cette affaire, en application de l'alinéa 223(2)d) de la nouvelle Loi, afin que je me prononce sur le fond du grief. En vertu de l'article 61 de la LMFP, ce renvoi à l'arbitrage doit être décidé conformément aux dispositions de l'ancienne Loi.

II. Questions préliminaires

7 Au début de l'audience, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a soulevé deux questions préliminaires. Les parties ont résolu la première question préliminaire, qui concernait la divulgation de certains documents, sans qu'il soit besoin de rendre une décision à cet égard.

8 La seconde question concernait une demande que le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a présentée afin que je rende une décision prononçant la nullité d'emblée de la mesure disciplinaire prise à l'endroit de la fonctionnaire s'estimant lésée, et ce, au motif du non-respect, par l'employeur, des exigences de la stipulation 17.02 de la convention collective applicable portant sur la présence d'un représentant de l'agent négociateur de la fonctionnaire s'estimant lésée à une audience disciplinaire :

17.02 Lorsque l'employé-e est tenu d'assister à une audition disciplinaire le concernant ou à une réunion à laquelle doit être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire le touchant, il a le droit, sur demande, d'être accompagné d'un représentant de l'Alliance à cette réunion. Dans la mesure du possible, l'employé-e reçoit au minimum un (1) jour de préavis de cette réunion.

Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a argué que le non-respect de cette disposition par l'employeur constituait un manquement à l'équité procédurale et la violation d'un droit fondamental.

9 Les parties ont signifié leur préférence pour que j'entende tout d'abord les témoignages et arguments portant sur cette question préliminaire, procédure à laquelle j'ai souscrit. Après avoir terminé leurs plaidoiries sur la question préliminaire, les parties m'ont demandé de rendre une décision écrite sur cette question avant de me prononcer sur le fond de l'affaire, demande à laquelle j'ai également accédé. En conséquence, la présente décision se limite à la proposition de la fonctionnaire s'estimant lésée voulant que je déclare nulle ab initio la cessation de son emploi.

10 Les parties ont également demandé, après avoir terminé leurs plaidoiries sur la question préliminaire, que je tente d'assurer une médiation relativement au différend qui demeure sur le fond et que je reste saisi de l'affaire en cas d'absence d'entente. J'ai accédé à cette requête et conduit par la suite une médiation par téléconférence, les 19 et 20 avril 2007. Le processus de médiation n'a pas abouti à une entente entre les parties.

III. Résumé de la preuve

11 La fonctionnaire s'estimant lésée a témoigné en son nom. La représentante de l'employeur a fait intervenir deux témoins, James Wardhaugh et Susan Scuglia. Quinze pièces ont été admises au cours de l'audience.

12 La fonctionnaire s'estimant lésée a dit avoir reçu, le 2 juin 2004, un message vocal de Robert Burfield, directeur des opérations postales au Centre de traitement du courrier international, la sommant de se présenter à un rendez-vous avec un enquêteur des affaires internes. La fonctionnaire s'estimant lésée était alors en congé de maternité. Ce message, qu'elle a qualifié de « bizarre », l'a incitée à répondre par courriel le même jour afin de demander des clarifications sur le motif du rendez-vous ainsi que sur les allusions, dans le message vocal, à des « événements » l'impliquant qui sont survenus à l'aéroport de Toronto et sur certains documents obtenus d'« agents de l'immigration » (pièce G-5). Dans son courriel de réponse, la fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré qu'elle [traduction] « n'avait pas d'événement ».M. Burfield a donné suite à ce courriel le lendemain, soit le 3 juin 2004, en demandant à la fonctionnaire s'estimant lésée de fournir à l'enquêteur, M. Wardhaugh, des coordonnées et de donner confirmation à M. Burfield qu'elle avait parlé à l'enquêteur (pièce G-6). Dans la réponse qu'elle a envoyée par courriel plus tard ce jour-là, la fonctionnaire s'estimant lésée a confirmé avoir parlé à M. Wardhaugh au téléphone (pièce G-6). Elle a également réitéré sa demande en vue d'obtenir le document de l'« immigration » mentionné dans le premier message vocal.

13 Selon la fonctionnaire s'estimant lésée, M. Wardhaugh ne l'a pas avisée de ses droits lors de l'entretien téléphonique qu'ils ont eu le 3 juin 2004. Plus précisément, il n'a pas mentionné à la fonctionnaire s'estimant lésée qu'elle avait le droit d'être représentée par son agent négociateur pendant leur « réunion » ou qu'elle avait droit à la présence d'un observateur. Elle a indiqué dans son témoignage que M. Wardhaugh ne lui a pas dit qu'il prendrait des notes durant leur conversation et qu'il ne lui a pas offert d'obtenir copie du rapport d'enquête subséquent qu'il allait rédiger. La fonctionnaire s'estimant lésée a indiqué qu'on ne lui avait jamais donné la possibilité de répondre à ce rapport ou d'examiner les notes de l'enquêteur. Elle a demandé, sans succès, à obtenir le rapport auprès de l'enquêteur et de Mme Scuglia, une conseillère en relations de travail. En outre, elle n'a jamais reçu les documents d'« immigration » auxquels M. Burfield avait fait allusion au début.

14 La fonctionnaire s'estimant lésée a estimé que l'enquêteur n'avait pas agi de façon juste ni conformément à la [traduction] Politique sur la discipline(pièce G-4).

15 La fonctionnaire s'estimant lésée a reçu sa lettre de cessation d'emploi en date du 26 août 2004. Elle a déclaré que l'employeur ne lui avait pas accordé une dernière possibilité de répliquer, lors d'une réunion avec son gestionnaire, à toute allégation faite à son endroit, une exigence procédurale que prévoit la [traduction] Politique sur la discipline(pièce G-4).

16 À la suite de son congédiement, la fonctionnaire s'estimant lésée a déposé son grief, accompagné d'un document justificatif dans lequel elle relatait les événements qui s'étaient produits, mettant entre autres l'accent sur sa rencontre avec M. Wardhaugh (pièce G-3). Elle a déclaré, dans le document, que M. Wardhaugh [traduction] « [ … ] est devenu très agressif et a commencé à me déprécier [ … ] » et « [traduction] [ … ] a fait plusieurs commentaires racistes à mon endroit [ … ] » Dans le document, elle a écrit qu'elle lui avait dit qu'elle avait un syndicat et qu'il ne pouvait la menacer ainsi, ce à quoi M. Wardhaugh a répondu : [traduction] « [ … ] cela n'a rien à avoir avec le syndicat [ … ] » Le document justificatif se termine sur l'affirmation suivante :[traduction]« Je n'ai pas eu la possibilité de me défendre contre Jim Wardhaugh [ … ] et [traduction] « Jim Wardhaugh m'a mal citée et je n'ai pas eu la possibilité de me faire représenter par mon syndicat [ … ] ».

17 Travaillant avec un représentant local de son agent négociateur (pièce G-7), la fonctionnaire s'estimant lésée a ensuite pris des mesures pour obtenir des renseignements relatifs à son grief, présentant notamment une demande d'accès à l'information pour obtenir copie des documents sur lesquels l'employeur avait fondé sa décision de mettre fin à son emploi (pièce G-8). En réponse à cette demande, elle a reçu une copie expurgée du rapport d'enquête de M. Wardhaugh en mai 2005, avec d'importantes parties du texte oblitérées. Elle a déclaré n'avoir vu une copie intégrale de ce rapport que le samedi ayant précédé la présente audience, cette copie lui ayant été fournie par son représentant.

18 En contre-interrogatoire, la représentante de l'employeur a remis en cause la crédibilité des commentaires que la fonctionnaire s'estimant lésée a faits dans son courriel du 2 juin 2004 (pièce G-5), selon lesquels elle n'était pas au courant des [traduction] « [ … ] événements survenus à l'aéroport [ … ] » auxquels M. Burfield avait fait allusion dans son message vocal. La fonctionnaire s'estimant lésée a répliqué qu'elle savait qu'il y avait un événement, mais qu'elle n'était [traduction] « [ … ]  pas impliquée dans un événement. »

19 Interrogée au sujet de ses contacts avec Mme Scuglia, la fonctionnaire s'estimant lésée a souligné qu'on lui avait demandé de rester en contact ave Mme Scuglia à partir de 2003 et qu'elle communiquait encore avec elle périodiquement, en 2004, avant l'enquête. Elle a reconnu qu'un courriel ultérieur daté du 20 août 2004, dans lequel Mme Scuglia lui demandait si elle était disponible pour assister à une réunion pour discuter des résultats de l'enquête [traduction] « [ … ] ressemblait à un courriel que j'ai reçu. »Elle a déclaré avoir ouvert ce courriel alors qu'elle vérifiait son compte après qu'un représentant de son agent négociateur lui eût dit qu'elle avait été congédiée. Elle a dit ne pas avoir reçu de message vocal de Mme Scuglia au sujet de la réunion, car elle ne prenait pas ses messages vocaux [traduction] « alors ». Aux dires de la fonctionnaire s'estimant lésée, Mme Scuglia n'a pas communiqué avec elle pendant des mois, mais elle a toujours retourné ses appels rapidement. Lorsque la fonctionnaire s'estimant lésée a envoyé son courriel à M. Burfield, le 2 juin 2004 (pièce G-5), elle était à l'étranger. Elle est revenue au Canada [traduction] « [ … ] aux alentours du 20 au 25 juillet », mais ne vérifiait pas constamment ses messages. À cette époque, [traduction] « [ … ] d'autres choses m'occupaient dans la vie [ … ] » et, de dire la fonctionnaire s'estimant lésée, elle ne s'attendait pas à ce que Mme Scuglia communique avec elle. Lorsqu'on lui a demandé si Mme Scuglia aurait eu des raisons de croire qu'elle n'avait pas reçu le courriel du 20 août 2004, la fonctionnaire s'estimant lésée a répondu qu'elle n'avait reparlé à Mme Scuglia qu'en octobre et qu'elle ignorait les procédures à suivre dans une situation de licenciement. Elle a répété qu'à son retour au Canada elle ne vérifiait pas constamment ses messages, bien qu'elle fût au courant de la conduite d'une enquête.

20 En réinterrogatoire, la fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré qu'elle ignorait à quelle date le rapport d'enquête avait été terminé. Elle a jouté qu'il n'était pas clairement établi, alors, que l'employeur lui transmettrait ce rapport ou qu'on lui donnerait une dernière occasion d'y répondre.

21 La fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré que, alors que l'enquête était en cours, on lui avait diagnostiqué une dépression postpartum. Elle souffrait de troubles du sommeil et avait eu un accouchement difficile en avril 2004, au terme d'une grossesse à risque élevé. Après la naissance, il y a eu d'autres complications médicales; elle allaitait son enfant et [traduction] « [son] esprit n'était pas complètement là ».

22 Avant de prendre sa retraite, le 29 juin 2006, James Wardhaugh était gestionnaire de l'unité des affaires internes à l'ASFC. Il occupait un poste d'enquêteur depuis novembre 1989 et avait été nommé gestionnaire d'unité en mai 2004.

23 Dans son témoignage, M. Wardhaugh a déclaré avoir mené une entrevue téléphonique avec la fonctionnaire s'estimant lésée après que cette dernière eut mentionné qu'elle se trouvait en dehors de la ville et qu'elle ne pouvait assister à une réunion « en personne ». Dans le cas des deux autres personnes questionnées pour les besoins de son enquête, M. Wardhaugh a pu leur faire signer des déclarations de [traduction] « droits, privilèges et mises en garde » (pièces E-2 et E-3). Il a dit n'avoir jamais reçu de telle déclaration signée de la fonctionnaire s'estimant lésée, du fait qu'il n'a pas été en mesure de l'interroger en personne. Au lieu de cela, il l'a informée du contenu de la déclaration lors de leur entretien téléphonique. Il a dit à la fonctionnaire s'estimant lésée qu'on l'avait chargé d'enquêter sur les allégations faites contre elle. M. Wardhaugh a indiqué, dans son témoignage, qu'il a informé la fonctionnaire s'estimant lésée de son droit à la présence d'un observateur avec elle à la rencontre et du fait qu'il prendrait des notes de l'entrevue. Il a confirmé qu'elle avait un droit d'accès à tout renseignement la concernant et lui a donné l'adresse du coordonnateur de l'accès à l'information pour l'ASFC.

24 En contre-interrogatoire, M. Wardhaugh a déclaré avoir questionné en tout six personnes durant son enquête et a expliqué pourquoi il n'a pas demandé ou reçu de déclarations signées de [traduction] « droits, privilèges et mises en garde » de plusieurs des personnes interrogées, outre la fonctionnaire s'estimant lésée. 

25 M. Wardhaugh a confirmé qu'il n'a pas indiqué à la fonctionnaire s'estimant lésée, lors de leur entretien, qu'un représentant de son agent négociateur pourrait être présent. Il a dit connaître la stipulation 17.02 de la convention collective concernant les réunions disciplinaires et a mentionné que la Division des affaires internes ne tenait pas de réunions disciplinaires. Elle procède plutôt à la conduite d'une enquête pour établir les faits. Les renseignements recueillis durant l'enquête peuvent ensuite être utilisés par la direction si elle détermine qu'il y a eu acte fautif. L'employeur peut alors envisager de prendre une mesure disciplinaire. Aux dires de M. Wardhaugh [traduction] « [ … ] je remets simplement le rapport au gestionnaire ».

26 M. Wardhaugh a déclaré qu'il n'était pas au courant de [traduction] Politique sur la discipline(pièce G-4).

27 À la question de savoir s'il avait donné à la fonctionnaire s'estimant lésée la possibilité d'examiner les déclarations qu'elle avait faites au cours de l'entrevue, M. Wardhaugh a répondu par la négative. Il a admis que, à aucun moment, il n'avait tenté d'envoyer ses notes à la fonctionnaire s'estimant lésée. Il a déclaré lui avoir toutefois fourni une copie de son rapport [traduction] « [ … ] d'une façon détournée » en lui donnant de l'information sur la façon de communiquer avec le coordonnateur de l'accès à l'information. D'après M. Wardhaugh, les renseignements ne sont normalement pas transmis de cette façon aux personnes visées par une enquête.

28 M. Wardhaugh pensait avoir parlé à la fonctionnaire s'estimant lésée à trois reprises (les 7, 14 et 29 juin 2004) après leur conversation initiale du 3 juin 2004, quoiqu'il ne fût pas sûr de ces dates, du fait qu'il n'avait pas ses notes devant lui. Il a reconnu que, dans ses notes ou son rapport d'enquête, il n'y avait aucune allusion paraphrasant le contenu de la déclaration de [traduction] « droits, privilèges et mises en garde ». Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée lui a demandé s'il se souvenait si la fonctionnaire s'estimant lésée avait demandé à être représentée par son agent négociateur. M. Wardhaugh a répondu qu'elle ne l'a pas fait et que, si elle l'avait demandé, il aurait essayé de satisfaire à sa demande. En fait, M. Wardhaugh a bel et bien proposé la présence d'un observateur, lequel aurait pu être un représentant de l'agent négociateur.

29 M. Wardhaugh a déclaré ne pas savoir si la fonctionnaire s'estimant lésée avait déposé une plainte contre lui, mais il a confirmé avoir effectivement déposé un rapport d'incident, car la fonctionnaire s'estimant lésée l'avait accusé de bien des choses, et notamment de racisme et de traitement injuste, lors de leur entretien du 29 juin 2004. 

30 Mme Scuglia exerce les fonctions de conseillère en relations de travail à l'ASFC depuis avril 2001. Sa première rencontre avec la fonctionnaire s'estimant lésée date de janvier 2004, lorsque le directeur général régional lui a demandé d'être une personne-ressource pour la fonctionnaire s'estimant lésée relativement à d'autres questions. À partir de cette date, Mme Scuglia a communiqué habituellement avec la fonctionnaire s'estimant lésée par téléphone ou par courriel.

31 Les parties ont convenu que les notes suivantes ont été prises et que les courriels suivants ont été échangés entre Mme Scuglia et la fonctionnaire s'estimant lésée :

  • Courriel de Mme Scuglia à la fonctionnaire s'estimant lésée en date du 14 juin 2004, à 12 h 20;
  • Note au dossier de Mme Scuglia datée du 14 juin 2004, à 13h 25 indiquant la réception d'un message vocal de la fonctionnaire s'estimant lésée;
  • Note au dossier de Mme Scuglia datée du 14 juin 2004 (aucun tampon d'heure) concernant un message vocal laissé par la fonctionnaire s'estimant lésée;
  • Note au dossier de Mme Scuglia datée du 15 juin 2004 (pas de tampon d'heure) concernant la réception d'un message vocal de la fonctionnaire s'estimant lésée;
  • Courriel de Mme Scuglia à la fonctionnaire s'estimant lésée daté du 16 juin 2004, à 13 h 33, concernant la réception d'un message vocal de la fonctionnaire s'estimant lésée;
  • Courriel de la fonctionnaire s'estimant lésée à Mme Scuglia daté du 18 juin 2004, à 11 h 27 concernant un courriel que Mme Scuglia a envoyé à la fonctionnaire s'estimant lésée le 16 juin 2004, à 13 h 33.

32 Mme Scuglia a déclaré, dans son témoignage, que son courriel du 24 août 2004 adressé à la fonctionnaire s'estimant lésée (pièce E-1) avait pour objet de demander à cette dernière de communiquer avec elle afin de prendre les arrangements nécessaires à une rencontre avec M. Gillan, directeur général régional, au sujet du rapport d'enquête. Mme Scuglia a déclaré avoir aussi essayé de téléphoner à la fonctionnaire s'estimant lésée à plusieurs reprises au sujet de la réunion, communications dont il est fait état dans les extraits de son carnet de notes (pièce E-4). Mme Scuglia a mentionné qu'elle n'avait aucune raison de croire que la fonctionnaire s'estimant lésée ne recevrait pas les courriels ou messages vocaux, puisqu'elle y avait toujours répondu avant. L'impression que Mme Scuglia avait à cette époque était que la fonctionnaire s'estimant lésée avait décidé de ne pas y répondre.

33 Mme Scuglia a confirmé qu'elle connaissait la [traduction] Politique sur la discipline(pièce G-4) et l'exigence standard qui y est précisée, selon laquelle un employé doit avoir la possibilité de commenter un rapport d'enquête lors d'une rencontre avec la direction. Mme Scuglia a émis l'opinion que l'employeur avait donné à la fonctionnaire s'estimant lésée suffisamment d'avis et d'occasions de se présenter à une telle réunion.

34 Mme Scuglia a identifié un extrait de la convention collective de l'unité de négociation du groupe Services correctionnels (pièce E-5). La stipulation 17.03 de cette convention stipule qu'un agent correctionnel peut être accompagné d'un représentant lors d'une réunion d'enquête.

35 Au sujet de la réunion proposée avec le directeur général régional, le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a demandé à Mme Scuglia si l'employeur avait l'intention de fournir à la fonctionnaire s'estimant lésée une copie intégrale du rapport d'enquête à des fins de discussion lors de cette réunion. Elle a répondu par la négative et a déclaré que, à son avis, le fait de ne pas procurer une version intégrale était juste pour la fonctionnaire s'estimant lésée du fait que celle-ci aurait pu faire des commentaires basés sur la copie expurgée. Mme Scuglia a confirmé que la lettre de cessation d'emploi de l'employeur résultait de certaines des constatations du rapport d'enquête. Quant à savoir si des mesures disciplinaires allaient être prises lors de la réunion en question, Mme Scuglia a répondu [traduction] « [ … ] pas à ma connaissance ».

36 Mme Scuglia a reconnu que les extraits de son carnet de notes (pièces E-4) ne comportaient pas d'allusion à son courriel du 24 août 2004 adressé à la fonctionnaire s'estimant lésée (pièce E-1). Mme Scuglia a également déclaré qu'elle avait communiqué avec le représentant local de l'agent négociateur de la fonctionnaire s'estimant lésée, Ron Warren, le 27 août 2004, le lendemain de la date de la lettre de cessation d'emploi.

37 En réinterrogatoire, Mme Scuglia a expliqué qu'elle avait l'intention d'informer la fonctionnaire s'estimant lésée de son droit à la présence d'un représentant de son agent négociateur à la réunion avec le directeur général régional si elle avait pu lui parler.

IV. Résumé de l'argumentation

A. Pour la fonctionnaire s'estimant lésée

38 Le licenciement de la fonctionnaire s'estimant lésée était nul d'emblée du fait que l'employeur n'a pas respecté la stipulation 17.02 de la convention collective. La violation de cette disposition constitue un manquement au principe de l'équité procédurale ou une atteinte à un droit fondamental.

39 La preuve de la fonctionnaire s'estimant lésée a établi les faits suivants en l'espèce. Lors des entrevues avec M. Wardhaugh, la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas été informée de son droit d'avoir un représentant de son agent négociateur présent à la réunion. On ne l'a pas informée de son droit d'être accompagnée d'un observateur. M. Wardhaugh n'a pas offert de fournir à la fonctionnaire s'estimant lésée une copie du rapport d'enquête. De son côté, la fonctionnaire s'estimant lésée a bel et bien demandé à se faire représenter par son agent négociateur, un fait souligné dans le document justificatif qu'elle a ultérieurement présenté avec son grief (pièce G-3). De l'avis de la fonctionnaire s'estimant lésée, l'enquêteur n'a pas agi de façon juste ou conformément à la [traduction] Politique sur la discipline(pièce G-4). À l'issue de l'enquête, la direction n'a jamais rencontré la fonctionnaire s'estimant lésée avant d'envoyer la lettre de cessation d'emploi.

40 Le témoignage de M. Wardhaugh a confirmé qu'il n'avait pas informé la fonctionnaire s'estimant lésée de son droit d'être représentée par son agent négociateur. Il a déclaré qu'il était au courant de la stipulation 17.02 de la convention collective, mais a indiqué que, à son sens, cette stipulation ne s'appliquait pas à une rencontre de recherche de faits tenue pendant le déroulement d'une enquête. M. Wardhaugh a admis qu'il n'était pas au courant de la [traduction] Politique sur la discipline.Il aindiqué dans son témoignage qu'il avait effectivement dit à la fonctionnaire s'estimant lésée qu'elle pouvait avoir un observateur présent, mais a concédé que ce fait n'était consigné ni dans ses notes d'entrevue ni dans son rapport final. Il a admis ne pas avoir tenté de présenter ses notes d'entrevue à la fonctionnaire s'estimant lésée pour qu'elle les examine. M. Wardhaugh a bel et bien proposé à la fonctionnaire s'estimant lésé d'avoir accès à son rapport final, mais seulement « de façon détournée », par une demande d'accès à l'information.

41 La stipulation 17.02 de la convention collective prévoit deux genres de réunions. Le premier type de rencontre est une « audition disciplinaire le [l'employé] concernant [ … ] ». Or, l'employeur rend une décision concernant une mesure disciplinaire à une réunion du deuxième type. 

42 La réunion qui s'est déroulée par téléphone le 3 juin 2004 entre la fonctionnaire s'estimant lésée et M. Wardhaugh était du premier type, eu égard à ce que prévoit la stipulation 17.02 de la convention collective. La fonctionnaire s'estimant lésée était tenue par l'employeur d'assister à cette réunion. Il s'agissait d'une « audience disciplinaire [la] concernant ». Le document justificatif qui accompagnait le grief déposé par la fonctionnaire s'estimant lésée confirme clairement les dires de cette dernière selon lesquels elle a demandé à être représentée par son agent négociateur lors de cette réunion (pièce G-3). En n'accédant pas à cette demande, l'employeur a porté atteinte à un droit fondamental.

43 Le document produit à l'appui du grief (pièce G-3) élargit la portée du grief, permettant ainsi à l'arbitre de grief d'avoir compétence sur des questions liées à la violation d'un droit fondamental et au non-respect de l'équité procédurale.

44 Tout comme la convention collective, la [traduction] Politique sur la discipline(pièce G-4) prévoit le même droit de se faire représenter par l'agent négociateur lors d'une réunion disciplinaire. Elle oblige un enquêteur à conserver des notes de toutes les entrevues et à fournir aux personnes auprès desquelles on a mené une entrevue la possibilité de lire et de modifier ces notes. Dans son témoignage, M. Wardhaugh a déclaré qu'il n'avait pas fait l'effort de donner cette possibilité à la fonctionnaire s'estimant lésée. Ce manquement constituait une injustice sur le plan procédural.

45 Une fois le rapport d'enquête rédigé, son contenu, aux termes de la [traduction] Politique sur la discipline, [traduction] « [ … ] doit être communiqué à l'employé, auquel on doit accorder une dernière possibilité de répondre aux conclusions lors d'une réunion avec le gestionnaire [ … ] »Mme Scuglia connaissait la [traduction] Politique sur la discipline. Elle a indiqué que l'employeur pensait avoir donné à la fonctionnaire s'estimant lésée suffisamment d'avis et d'occasions de se présenter à une réunion, au lieu de travail, pour discuter du rapport d'enquête. Mme Scuglia a concédé que l'employeur s'attendait à ce que la fonctionnaire s'estimant lésée ne réagisse qu'à la lumière de la version expurgée du rapport. M. Wardhaugh a suggéré que la fonctionnaire s'estimant lésée obtienne la version expurgée par la voie « détournée » de l'accès à l'information. Cela aussi est inéquitable du point de vue procédural.

46 Les pièces G-5 et G-6 prouvent que la fonctionnaire s'estimant lésée a demandé à voir le document provenant des « agents de l'immigration » sur lequel l'employeur s'est fondé de manière à ce qu'elle comprenne la nature des accusations portées contre elle. L'employeur ne lui a pas fourni le document avant les conversations qu'elle a eues avec M. Wardhaugh, ni après ces entretiens, lorsqu'elle en a de nouveau fait la demande. En n'accédant pas à cette demande, l'employeur a fait preuve d'injustice procédurale.

47 Les courriels que Mme Scuglia a adressés à la fonctionnaire s'estimant lésée les 20 et 24 août 2004 (pièce E-1) ne font aucune allusion au droit de la fonctionnaire s'estimant lésée d'avoir un représentant de l'agent négociateur présent à la réunion disciplinaire proposée avec l'employeur. En outre, il n'est fait aucune mention du droit de la fonctionnaire s'estimant lésée de se voir accorder [traduction] « [ … ] une dernière possibilité de répondre aux conclusions [ … ] » lors de cette réunion. Mme Scuglia a déclaré que M. Gillan assisterait à cette réunion. Manifestement, il s'agissait d'une réunion disciplinaire lors de laquelle une décision serait rendue.

48 La décision Evans c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25641 (19941021) a établi que le droit d'être représenté lors d'une audience disciplinaire était un droit fondamental et qu'une « [ … ] atteinte à ce droit ne peut être réparée plus tard grâce à une audience de novo ». Dans cette décision est citée de la jurisprudence du secteur privé dans laquelle on discute de la notion de procédure équitable en matière contractuelle et de son application en droit administratif. Dans la décision Evans, on cite en particulier l'article de Chertkow, intitulé « Mandatory Union Representation at Discipline: An Arbitrator's Perspective » (Labour Arbitration Yearbook, 1993, p. 139), qui s'exprime en ces termes sur ce principe :

[Traduction]

[…]

La procédure équitable en matière de contrats inclut (lorsque l'énoncé du droit le prévoit) le droit de connaître à l'avance la nature des accusations, la possibilité de consulter un représentant syndical avant « l'entrevue » ou « l'audience » et le droit de confier à ce représentant syndical la tâche de prendre la parole pour l'employé accusé ou en son nom. On a dit, de l'introduction du concept de la procédure équitable dans le milieu de travail, qu'elle allait « jusqu'au cour de la relation entre employeur et employé ».

[…]

49 Dans Evans, la première réunion qui se tient entre un fonctionnaire s'estimant lésé et un enquêteur est qualifiée d'audience disciplinaire. Toujours dans cette décision, on insiste aussi sur la vulnérabilité du fonctionnaire s'estimant lésé comme un important facteur de l'exigence d'avoir un représentant de l'agent négociateur présent à l'audience. En l'espèce, il ressort de la preuve que la fonctionnaire s'estimant lésée souffrait de dépression et d'autres problèmes médicaux.

50 Dans Shneidman c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 133, on se demandait si une réunion tenue entre la fonctionnaire s'estimant lésée et un enquêteur constituait une audience disciplinaire. On a répondu à cette question par l'affirmative, comme suit :

[…]

[285] Ces faits me convainquent que l'enquête de M. Rodrigue était de nature disciplinaire et que l'entrevue avec Mme Shneidman avait pour but de lui permettre de répondre aux allégations de mauvaise conduite qui pesaient contre elle. Je conclus dès lors qu'une enquête disciplinaire, qui englobe des réunions avec un employé pour lui permettre de répondre à une allégation de mauvaise conduite, doit être considérée comme une « audition disciplinaire le concernant ».

[…]

51 En résumé, l'entretien téléphonique que la fonctionnaire s'estimant lésée a eu le 3 juin 2004 avec l'enquêteur, M. Wardhaugh, était une « [ … ] audition disciplinaire [la] concernant [ … ] », au sens de la stipulation 17.02 de la convention collective. Il s'agissait d'une réunion disciplinaire à laquelle l'employeur enjoignait la fonctionnaire s'estimant lésée d'être présente. La stipulation 17.02 confère à la fonctionnaire s'estimant lésée le droit fondamental à la présence d'un représentant de son agent négociateur à une telle réunion « sur demande ». Aux termes de cette stipulation, l'exercice de ce droit fondamental est déclenché par une demande que l'employé fait de se faire représenter par son agent négociateur et, en l'espèce, il ressort de la preuve que la fonctionnaire s'estimant lésée a bel et bien fait cette demande. En n'accédant pas à cette demande, l'employeur a porté atteinte à ce droit fondamental conféré à la fonctionnaire s'estimant lésée.

52 Il n'y a pas eu de réunion du second type prévu par la stipulation 17.02 de la convention collective, à savoir une réunion à laquelle l'employeur rend une décision concernant une mesure disciplinaire. Il ressort de la preuve qu'il y a également eu manquement à d'importantes exigences d'équité procédurale qui sont essentielles pour une réunion du second type, réunion qui n'a pas eu lieu.

53 Étant donné qu'il y a eu atteinte à un droit fondamental et manquement à l'équité procédurale, l'arbitre de grief doit déclarer nul ab initiole congédiement de la fonctionnaire s'estimant lésée, réintégrer cette dernière dans les fonctions de son poste d'attache, rétablir tous les congés auxquels elle avait droit et ordonner le versement de toutes les sommes qui lui sont dues.

B. Pour l'employeur

54 Dans la question préliminaire qu'elle a soulevée, la fonctionnaire s'estimant lésée affirme qu'on ne lui a pas donné la possibilité d'avoir un représentant de son agent négociateur présent à son entrevue avec l'enquêteur, au cours de la première semaine de juin 2004. L'objet de la question préliminaire à trancher se limite donc à l'atteinte alléguée à un droit fondamental prévu par la stipulation 17.02 de la convention collective; le grief n'englobe pas les principes plus larges de l'équité procédurale que la fonctionnaire s'estimant lésée a abordés dans son argumentation, comme le droit à la possibilité de répondre aux conclusions d'un rapport final d'enquête. Dans Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), il a été établi qu'un arbitre de grief n'avait pas compétence pour examiner ces allégations plus générales liées à l'équité procédurale et qu'il devait limiter son examen au droit fondamental prévu dans la stipulation 17.02. 

55 Des aspects du témoignage de la fonctionnaire s'estimant lésée ne sont pas crédibles. Dans le courriel daté du 2 juin 2004 (pièce G-5) qu'elle a envoyé à M. Burfield, la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas dit qu'elle avait connaissance des événements ayant déclenché l'enquête disciplinaire. En contre-interrogatoire, toutefois, elle a déclaré qu'elle était bel et bien au courant des événements dont M. Burfield parlait. Sa réponse par courrier à M. Burfield était trompeuse.

56 Lors de son interrogatoire principal, la fonctionnaire s'estimant lésée a dit retourner rapidement les appels de Mme Scuglia. En contre-interrogatoire, elle a affirmé que, lorsque Mme Scuglia a essayé de communiquer avec elle pour qu'elle se présente à une réunion en vue de discuter du rapport d'enquête, elle ne vérifiait pas ses courriels ou messages vocaux. En contre-preuve, la fonctionnaire s'estimant lésée a déclaré que son [traduction] « esprit n'était pas complètement là » à cette époque. Pendant la période qui a suivi la naissance de son enfant, alors que, selon ses dires, elle souffrait de dépression et de problèmes de santé, cela ne l'a pas empêché de retourner ses appels et courriels, comme l'indique la preuve. Presque chaque fois qu'on a communiqué avec elle, la fonctionnaire s'estimant lésée a répondu le jour même. Il est donc difficile de croire que, fin août 2004, la fonctionnaire s'estimant lésée n'ait jamais vérifié ses courriels ou écouté ses messages vocaux de l'employeur, alors qu'elle savait qu'une enquête disciplinaire était menée. On doit donc considérer que son témoignage était intéressé.

57 Le témoignage de M. Wardhaugh était crédible. Il a dit avoir dû procéder à une entrevue avec la fonctionnaire s'estimant lésée au téléphone plutôt qu'en personne, car elle ne pouvait le rencontrer. L'entrevue ne s'étant pas déroulée en personne, M. Wardhaugh n'a pas fourni à la fonctionnaire s'estimant lésée le document de déclaration de [traduction] « droits, privilèges et mises en garde » (pièces E-2 et E-3). Il a dit avoir résumé ce document au téléphone à la fonctionnaire s'estimant lésée. Il a également signalé à cette dernière qu'elle avait le droit d'avoir un observateur présent à la réunion avec elle. En contre-interrogatoire, il a ajouté que, même s'il n'a pas offert à la fonctionnaire s'estimant lésée la possibilité d'avoir un représentant de son agent négociateur présent à la réunion, l'observateur qu'il lui a suggéré aurait pu être un représentant de l'agent négociateur. M. Wardhaugh a maintenu que la fonctionnaire s'estimant lésée ne lui avait jamais demandé d'être accompagnée, que ce soit par un observateur ou par un représentant de l'agent négociateur. Si elle avait demandé la présence de l'un ou l'autre, il aurait interrompu l'entrevue.

58 Dans son témoignage, M. Wardhaugh a déclaré que les enquêteurs des Affaires internes ne tiennent pas de réunions disciplinaires. Les entrevues d'enquête sont axées sur la recherche de faits. L'enquêteur ne fait pas de recommandations à la direction au sujet des mesures disciplinaires. Ce que la direction fait du rapport de l'enquêteur ne concerne que cette dernière.

59 C'est à la fonctionnaire s'estimant lésée qu'il incombe de prouver que l'entrevue menée par M. Wardhaugh était une audition disciplinaire au sens de la stipulation 17.02 de la convention collective. La preuve fournie par M. Wardhaugh établit clairement que ce n'en était pas une. S'agissant d'une entrevue d'enquête axée sur la recherche de faits, la fonctionnaire s'estimant lésée était en droit d'être accompagnée d'un observateur, lequel aurait pu être un représentant de son agent négociateur. Le fait qu'un tel représentant n'ait pas participé à l'entrevue ne constitue pas une atteinte au droit fondamental conféré par la stipulation 17.02. Qui plus est, même si la réunion en question avait été considérée comme une audition disciplinaire aux fins de la convention collective, la fonctionnaire s'estimant lésée, ainsi que M. Wardhaugh l'a signalé dans son témoignage, n'a jamais sollicité la présente d'un représentant de son agent négociateur, condition préalable à l'exercice du droit fondamental que la stipulation 17.02 accorde à un employé.

60 L'arrêt Canada (Procureur du Canada) c. Shneidman(2006 C.F. 381) annule la décision que l'arbitre de grief a rendue dans Shneidman, 2004 CRTPF 133. En attendant un jugement à l'effet du contraire de la Cour d'appel fédérale, la décision 2004 CRTFP 133 n'est pas valide en droit et l'on ne peut s'y appuyer ici. Aucune autre décision arbitrale n'a appliqué les principes énoncés dans Shneidman,2004 CRTFP 133.

61 La jurisprudence s'appuyant sur l'ancienne Loiaussi bien que sur la nouvelle Loiva à l'encontre de Shneidman, 2004 CRTFP 133. L'employeur m'a renvoyé aux décisions Naidu c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 124, Arena c. Conseil du Trésor (ministère des Finances), 2006 CRTFP 105, et Ayangma c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64, dans lesquelles les arbitres de griefs ont refusé de considérer les entrevues d'enquête comme des réunions disciplinaires où le droit fondamental d'être représenté par un agent négociateur pouvait être exercé.

62 L'employeur m'a aussi demandé d'examiner la stipulation 17.03 de la convention collective de l'unité de négociation du Groupe Services correctionnels (pièce E-5) :

17.03  Lors de toute enquête administrative, audition ou enquête menée par l'Employeur où les actions de l'employé-e peuvent influer sur les événements ou les circonstances afférents, et où l'employé-e est tenu-e de comparaître, il peut se faire accompagner par un représentant [ … ]

Selon l'employeur, l'existence d'une stipulation de ce type indique qu'employeurs et agents négociateurs peuvent et ont par ailleurs inclus dans leurs conventions collectives un libellé qui étend aux enquêtes l'exercice du droit à une représentation par l'agent négociateur. Ce langage contractuel, conjugué au type de disposition que l'on trouve en l'espèce dans la stipulation 17.02 de la convention collective applicable, ne fonctionne pas ici.

63 Au cas où je n'accepterais pas que Burchillm'empêche d'examiner les allégations plus générales d'iniquité procédurale faites par la fonctionnaire s'estimant lésée, Ottawa (City) v. Amalgamated Transit Union, Local 279 (2004), 132 L.A.C. (4th) 198, a établi que le droit d'un employé à une dernière possibilité de remettre en question les résultats d'une enquête doit s'appuyer sur une disposition de la convention collective qui oblige l'employeur à rencontrer le fonctionnaire s'estimant lésé à cette fin. En l'espèce, la convention collective ne comporte pas de telle disposition.

64 La [traduction] Politique sur la discipline(pièce G-4) ne prévoit pas de droits fondamentaux ou procéduraux que l'on peut exercer. La jurisprudence qui prévaut a clairement établi qu'un arbitre de grief ne peut faire appliquer la politique d'un employeur, à moins que les lois en vigueur n'exigent de l'employeur qu'il applique les dispositions prévues dans ladite politique. La législation applicable à l'ASFC et, avant elle, à l'ADRC, est plus permissive qu'obligatoire eu égard aux politiques disciplinaires d'un employeur : Loi sur l'Agence des services frontaliers du Canada, L.C. 2005, ch. 38; Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17; Endicott c. Canada(Conseil du Trésor), 2005 CF 253; Girard c. Canada (ministère de l'Agriculture),[1994] A.C.F. no 420 (première instance) (QL); Glowinski c. Canada (Conseil du Trésor), 2006 CF 78.

65 En résumé, il n'y a pas eu violation d'un droit fondamental en l'espèce. L'employeur n'a jamais refusé à la fonctionnaire s'estimant lésée de se faire représenter par l'agent négociateur à quelque étape que ce soit. Si la fonctionnaire s'estimant lésée avait mentionné qu'elle souhaitait la présence d'un observateur à l'entrevue d'enquête avec M. Wardhaugh - observateur qui aurait pu être un représentant de l'agent négociateur -, M. Wardhaugh aurait mis fin à l'entrevue. Or, la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas présenté pareille requête. L'entrevue était une procédure de recherche de faits. M. Wardhaugh n'avait aucun rôle à jouer pour ce qui est de recommander ou d'imposer des mesures disciplinaires. L'entrevue n'était donc pas une audition disciplinaire au sens de la stipulation 17.02 de la convention collective, un fait que confirme la jurisprudence. Tout vice de procédure pendant ou après la procédure d'enquête est corrigé par la nouvelle occasion, à la présente audience, d'examiner le bien-fondé des arguments de la fonctionnaire s'estimant lésée : Tipple c. Canada(Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL); Turner c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2006 CRTFP 58.

C. Réfutation de la fonctionnaire s'estimant lésée

66 Au sujet de l'objection de l'employeur concernant l'[traduction] « élargissement » de la question préliminaire, la fonctionnaire s'estimant lésée a fait observer que, dès le début, elle avait fait connaître son opinion selon laquelle le licenciement était nul d'emblée par suite du non-respect de la stipulation 17.02 de la convention collective. Dans Evans, il est établi que le droit à une procédure équitable en matière contractuelle comprend le droit de l'employé à connaître à l'avance la nature des accusations qui sont portées contre lui. En l'espèce, la fonctionnaire s'estimant lésée a demandé, mais sans jamais l'obtenir, le document provenant des « agents de l'immigration » (pièces G-3, G-5 et G-6). Aux termes de la [traduction] Politique sur la discipline, la fonctionnaire s'estimant lésée avait le [traduction] « [ … ] droit de connaître les détails de l'affaire [ … ] »Dans le document justificatif qui accompagnait le grief initial (pièce G-3), la fonctionnaire s'estimant lésée faisait allusion à d'autres droits procéduraux qui vont au-delà la stipulation 17.02, et donc, qui accroissent la portée du grief et donnent compétence en la matière à un arbitre de grief.

67 Dans la première phrase de la lettre de cessation d'emploi (piège G-9), l'employeur lie sa décision à la [traduction] Politique sur la discipline. Ce faisant, l'employeur a lui-même placé le poids de la preuve sur cette politique. Soutenir à présent que la politique est inapplicable revient à se servir d'une arme à double tranchant. À tout le moins, cette politique devrait se voir accorder le même poids dans ces procédures que celui que lui a donné l'employeur dans la lettre de cessation d'emploi.

68 Si les principes énoncés dans Shneidman,2004 CRTFP 133, ne sont pas valides en droit, ils n'en sont pas pour autant dénués de « bon sens ».

69 En ce qui concerne la crédibilité de la fonctionnaire s'estimant lésée, il faut mentionner que cette dernière a déclaré sous serment qu'elle avait demandé à être représentée par son agent négociateur lors de ses entretiens avec M. Wardhaugh, et le document d'appui à son grief (pièce G-3) confirme ce point. D'autres éléments similaires de preuve factuelle confirment aussi le fait que la fonctionnaire s'estimant lésée aurait demandé à l'enquêteur la possibilité de faire participer un représentant de son agent négociateur à la procédure. Il se dégage de la preuve une tendance selon laquelle la fonctionnaire s'estimant lésée présente des demandes à l'employeur, et ce dernier refuse d'y accéder. La fonctionnaire s'estimant lésée ne remet pas en cause la crédibilité de M. Wardhaugh sur ce point, mais elle remet par contre en question le souvenir qu'il en a. Il vaut de mentionner que M. Wardhaugh n'a jamais consigné dans ses notes ou dans son rapport le fait qu'il ait présenté à la fonctionnaire s'estimant lésée une offre concernant sa représentation par l'agent négociateur.

70 En réponse à une question que j'ai posée au représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée, il a déclaré que la fonctionnaire s'estimant lésée convient qu'il lui incombe de prouver qu'elle a demandé à être représentée par l'agent négociateur lors de sa réunion avec M. Wardhaugh. Elle a accepté le fait que faire une telle demande est une condition préalable à l'exercice du droit fondamental que lui confère la stipulation 17.02 de la convention collective.

V. Motifs

71 La tâche dont je dois m'acquitter dans la présente décision consiste à déterminer si je devrais retenir la proposition du représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée qui demande à ce que je déclare nul ab initiole congédiement de cette dernière, au motif que l'employeur n'a pas respecté le droit fondamental de la fonctionnaire s'estimant lésée à une représentation par l'agent négociateur lors d'une réunion disciplinaire, droit que prévoit la stipulation 17.02 de la convention collective applicable.

72 Une recherche dans les décisions arbitrales rendues en vertu de l'ancienne Loi ainsi que de la nouvelle Loi révèle qu'il y a eu relativement peu de demandes examinées par le passé en vue de faire déclarer nulle ab initioune sanction disciplinaire. Parmi la poignée de cas dans lesquels un fonctionnaire s'estimant lésé à présenté pareille requête, une minorité seulement ont été tranchés uniquement par l'acceptation ou le rejet de la demande de « nullité d'emblée ». Il semblerait que cette question demeure relativement nouvelle dans le domaine de compétence d'un arbitre de grief.

73 L'expérience observée hors du présent domaine de compétence eu égard à ce type de demande est plus abondante. Dans la quatrième édition de l'ouvrage Canadian Labour Arbitration (2007), Brown et Beatty ont résumé ainsi les grandes lignes de la jurisprudence arbitrale, au paragraphe 7:2140 :

[Traduction]

Lorsqu'un employeur n'exerce pas ses pouvoirs disciplinaires conformément aux procédures requises, l'arbitre de différend doit décider des conséquences que ce manquement aura. Si le manquement se rapporte à une disposition de la convention collective que l'on considère comme essentielle à l'intégrité de la procédure, de nombreux arbitres sont enclins à présumer que l'employé a été victime d'un dommage irréparable et déclarent toute mesure disciplinaire imposée nulle « ab initio » (à partir du début de son imposition). La plupart des arbitres de différend se sont penchés sur les clauses garantissant une représentation syndicale de cette façon. Même si ces clauses ne le disent pas explicitement, elles sont interprétées comme exigeant l'invalidation de toute sanction disciplinaire imposée sans que leurs instructions aient été suivies. Dans certaines affaires, les arbitres en sont venus à la même conclusion lorsque les employeurs n'ont pas donné à leurs employés ou au syndicat un avis adéquat et suffisant de leur intention d'exercer leurs pouvoirs disciplinaires. Le droit d'imposer une mesure disciplinaire a également été perdu au motif d'un délai inhabituellement long ou injustifié dans la décision d'imposer une sanction, de même pour celui de ne pas avoir respecté une procédure d'entrevue prévue dans la convention. Qui plus est, les droits que l'on peut qualifier de « fondamentaux » sont considérés par certains arbitres de différend comme à ce point importants qu'ils ne peuvent jamais, à moins d'une preuve des plus limpides, être retirés. Dans certains cas, on peut remédier à des vices de procédure en exigeant des employeurs qu'ils versent un dédommagement ou en statuant que toute preuve teintée d'un vice procédural n'est pas recevable lors de toute autre audience subséquente d'arbitrage.

Cela ne signifie pas pour autant que toute irrégularité procédurale entraînera l'exonération de l'employé. Par exemple, si l'erreur de procédure se rapporte à une disposition jugée permissive et purement procédurale, d'autres correctifs sont susceptibles d'être trouvés [ … ] En outre, si le manquement ressortit uniquement à une question de forme et qu'aucun dommage n'a été causé, il est peu probable que la sanction disciplinaire soit annulée [ … ] Dans un même ordre d'idée, des arbitres de différend ont refusé d'annuler des sanctions disciplinaires dans des affaires où l'on ne pouvait prouver qu'un réel préjudice avait été causé [ … ]

[…]

[Notes en bas de page omises]

74 Dans le cas qui nous occupe, le droit fondamental auquel l'employeur aurait porté atteinte tire son origine de la stipulation 17.02 de la convention collective :

17.02 Lorsque l'employé-e est tenu d'assister à une audition disciplinaire le concernant ou à une réunion à laquelle doit être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire le touchant, il a le droit, sur demande, d'être accompagné d'un représentant de l'Alliance à cette réunion. Dans la mesure du possible, l'employé-e reçoit un (1) jour de préavis de cette réunion.

75 Aucune observation ne m'a été faite selon laquelle le libellé de la stipulation 17.02 de la convention collective est ambigu - quoique certains termes clés ne soient pas définis - ou que cette stipulation doit être interprétée à la lumière d'autres dispositions de la convention collective. Il est donc de mise de donner aux mots employés dans cette stipulation leur sens ordinaire et de poursuivre en déterminant si chaque condition exprimée dans la stipulation 17.02 a été remplie.

76 À mon sens, la fonctionnaire s'estimant lésée doit établir en premier lieu qu'elle était [traduction] « [ … ] tenue d'assister à une réunion [ … ] », en l'occurrence la conversation qu'elle a eue avec l'enquêteur, M. Wardhaugh, le 3 juin 2004. La question qui se pose ensuite est de savoir si cette réunion peut être rangée dans la catégorie des réunions prévues par la stipulation 17.02 de la convention collective. Si je répondais par l'affirmative à ces deux points, l'analyse se tournerait alors vers la question de savoir si la fonctionnaire s'estimant lésée a demandé à être représentée par l'agent négociateur à la réunion. Je note que le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a accepté que la condition que la fonctionnaire s'estimant lésée ait sollicité une représentation par l'agent négociateur doit être remplie pour que puisse s'exercer le droit fondamental de représentation par l'agent négociateur que prévoit la stipulation 17.02. Si j'en arrive à la conclusion que toutes les conditions prévues par la stipulation 17.02 ont été satisfaites et que l'employeur a en fait refusé à la fonctionnaire s'estimant lésée d'exercer son droit fondamental de se faire représenter par l'agent de négociation à la réunion en question, je dois alors me demander si une déclaration de nullité ab initioconstitue le redressement approprié ou requis dans les circonstances.

77 Dans le courriel que M. Burfield a adressé à la fonctionnaire s'estimant lésée en date du 3 juin 2004 (pièce G-6), il est établi qu'un représentant autorisé de l'employeur a bel et bien enjoint la fonctionnaire s'estimant lésée de communiquer avec l'enquêteur et de fournir des renseignements à ce dernier. Les parties ne sont pas en désaccord sur ce point. Cela satisfait donc la condition initiale de la stipulation 17.02 de la convention collective.

78 La deuxième condition est déterminante. La rencontre téléphonique entre la fonctionnaire s'estimant lésée et M. Wardhaugh, le 3 juin 2004, était-elle [traduction] « [ … ] une audition disciplinaire [la] concernant ou [ … ] une réunion à laquelle [devait] être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire [ … ] touchant [la fonctionnaire s'estimant lésée] [ … ] »? Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée me demande de répondre à cette question par l'affirmative, soutenant que la réunion en question avait effectivement pour objet la tenue d'une [traduction] « audition disciplinaire [ … ] concernant [ … ] » la fonctionnaire s'estimant lésée.L'employeur rétorque qu'une réunion tenue dans le cadre d'une enquête administrative ne peut être qualifiée d'audition disciplinaire.

79 Je crois qu'il y a de bonnes raisons de privilégier la thèse de l'employeur. Hormis dans Shneidman,2004 CRTFP 133, ultérieurement annulée par la Cour fédérale (2006 CF 381), la plupart des arbitres de griefs qui se sont déjà penchés sur cette question ont estimé qu'un libellé de convention collective du genre de celui de la stipulation 17.02 de la convention collective applicable en l'espèce n'avait pas une portée suffisamment générale pour englober les rencontres d'un enquêteur et d'un employé pendant une procédure d'enquête. Récemment, Ayangmaa réaffirmé ce point en examinant précisément le même libellé de convention collective :

[…]

[53] [ … ] Il est bien établi que le droit d'être représenté ne s'étend pas au processus d'enquête, et ce principe est compatible avec le libellé de l'article 17.02. En juger autrement reviendrait à conclure qu'un fonctionnaire a le droit d'être représenté avant qu'on ait jugé qu'il s'est rendu coupable d'inconduite. Le fonctionnaire a l'obligation de coopérer avec l'employeur dans le cadre d'une enquête de bonne foi, et la loi ne lui accorde aucune protection s'il décide de garder le silence pendant l'enquête, contrairement à ce qui se passe en droit pénal Naidu c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 124, aux paragraphes 71 à  79).

[…]

80 On peut établir une distinction avec Naidu(précitée dans Ayangma) en ce sens que la stipulation examinée par l'arbitre de grief dans ce cas traitait de la représentation par l'agent négociateur uniquement lors de réunions auxquelles « [ … ] doit être rendue une décision disciplinaire [ … ] ». Néanmoins, les commentaires suivants me semblent tout à fait pertinents : 

[…]

[79]  Les réunions d'enquête et les réunions au cours desquelles on demande à des employés de motiver leur conduite sont monnaie courante dans les lieux de travail. Si les parties avaient eu l'intention de faire en sorte que les dispositions de la convention collective comprennent le droit de représentation à ces réunions ou à toute réunion entre l'employeur et ses employés, collectivement ou individuellement, elles n'auraient eu qu'à inclure ce droit dans la convention [ … ]

[…]

La stipulation 17.03 de la convention collective du groupe Services correctionnels (pièce E-5) semble être un exemple de stipulation explicitement façonnée pour comprendre les réunions d'enquête, comme on l'a suggéré.

81 Dans Arena, également citée par l'employeur, on a interprété le langage contractuel en lui conférant une portée probablement plus large que celle de la stipulation 17.02 de la convention collective du cas en instance, mais sans pour autant élargir cette portée au point d'inclure une « audition disciplinaire » dans la catégorie des entrevues d'enquête :

[…]

[93] [ … ] une rencontre pendant laquelle l'employeur recherche les faits entourant des événements, normalement considérée comme une « enquête administrative » ne concerne pas une mesure disciplinaire. Lors de cette démarche d'enquête, l'objectif visé par l'employeur est de cumuler l'ensemble des faits et d'en vérifier l'exactitude. Par la suite, cette démarche administrative peut être suivie d'une procédure disciplinaire lorsque les faits démontrent, selon l'évaluation de l'employeur, qu'un fonctionnaire a posé un acte fautif et que cet acte mérite une sanction.

[94]  Je peux concevoir que dans certaines circonstances il puisse être difficile de déterminer à quel moment la démarche administrative se termine et celui où débute la procédure disciplinaire. Cette question doit être évaluée à la lumière des faits particuliers de chaque dossier. On ne doit pas conclure a priori que l'imposition d'une pénalité à un employé confère rétroactivement une nature disciplinaire à chacune des étapes suivies par l'employeur pour lui permettre de finaliser sa décision.

[…]

82 Les « faits particuliers » du cas qui nous occupe ne nous permettent pas de qualifier l'entrevue que la fonctionnaire s'estimant lésée a eue avec M. Wardhaugh d'« audition disciplinaire », même en donnant à cette expression son sens le plus large. Dans un témoignage non contesté, M. Wardhaugh a déclaré qu'il n'avait pas le pouvoir d'imposer ou de recommander une mesure disciplinaire. Il était chargé d'effectuer une recherche de faits. Bien que la direction se soit subséquemment servie de son rapport pour fonder sa décision de prendre une mesure disciplinaire, M. Wardhaugh a déclaré que la prise en compte des implications disciplinaires des faits qu'il a mis au jour relevait de la direction. Je remarque également que la fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas mentionné, dans son témoignage, que la question disciplinaire avait été abordée lors de sa conversation avec M. Wardhaugh. Dans le document justificatif qu'elle a joint à son grief (pièce G-3), de sérieuses allégations sont faites à l'endroit de M. Wardhaugh quant à leur entretien, mais on n'y dit pas que ce dernier a fait mention de mesures disciplinaires ou a menacé d'en prendre; dans ce document, la fonctionnaire s'estimant lésée ne conteste pas non plus le fait que l'entrevue avait pour objet la recherche de faits. Il est certes soutenu dans ce document que « [s]es accusations sont fausses [ … ] », mais je ne dispose d'aucun élément concret démontrant que les « accusations » alléguées - qui ont été portées à un moment non précisé - ont évoqué la possibilité de mesures disciplinaires ou faisaient l'effet de franchir une frontière entre le domaine de l'enquête et celui de la discipline.

83 Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée a abondamment cité Evansà l'appui de sa thèse selon laquelle l'entretien du 3 juillet 2004 était une réunion disciplinaire. La décision Evans, il me semble, comporte d'importantes observations sur la procédure équitable et le droit à une représentation par l'agent négociateur. Toutefois, comme on ne contestait pas, dans cette décision, que la réunion examinée était d'ordre disciplinaire, on ne peut facilement s'en servir comme d'un précédent pour qualifier une entrevue d'enquête de rencontre disciplinaire déclenchant l'exercice du droit à une représentation par l'agent négociateur.

84 Tout cela me porte à croire que l'entrevue d'enquête que M. Wardhaugh a menée le 3 juin 2004 auprès de la fonctionnaire s'estimant lésée ne constituait pas une réunion à laquelle devait [traduction] « [ … ] être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire [ … ] touchant [la fonctionnaire s'estimant lésée] [ … ] » En conséquence, la stipulation 17.02 de la convention collective ne s'appliquait pas en l'espèce et l'exercice du droit fondamental à une représentation par l'agent négociateur n'était pas engagé.

85 Il n'est pas nécessaire de pousser plus loin cette analyse de l'application de la stipulation 17.02 de la convention collective aux circonstances de l'espèce. Je souhaiterais toutefois mentionner que, si j'en étais arrivé à la conclusion opposée, j'aurais conclu que le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée ne m'a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire s'estimant lésée a demandé à se faire représenter par l'agent négociateur lors de la réunion du 3 juin 2004, ce qui constitue l'autre condition à remplir en vertu de la stipulation 17.02. À l'audience, les témoignages étaient contradictoires, sur ce point. Au mieux, je considère que les deux versions que la fonctionnaire s'estimant lésée et M. Wardhaugh ont fournies sur la question de savoir si une demande avait été faite sont également plausibles et crédibles. Comme c'est à la fonctionnaire s'estimant lésée qu'il incombe de prouver ce fait selon la prépondérance des probabilités, ses arguments ne sont pas convaincants.

86 L'argumentation de la fonctionnaire s'estimant lésée portait essentiellement sur d'autres vices de procédure et sur l'iniquité de la procédure ayant mené à son licenciement. Cela comprenait le refus de l'enquêteur de fournir à la fonctionnaire s'estimant lésée une copie de ses notes afin qu'elle les commente, le défaut de l'employeur de lui procurer une copie du rapport d'enquête autrement que par les voies de l'accès à l'information (et alors, uniquement pour une version expurgée) et le défaut de l'employeur d'accorder à la fonctionnaire s'estimant lésée une dernière possibilité de commenter les résultats de l'enquête avant qu'il ne lui prenne des mesures disciplinaires à son endroit.

87 L'employeur a soutenu que je n'avais pas compétence pour examiner ces allégations du fait qu'elles ne faisaient pas explicitement partie du grief initial, citant Burchillà cet égard. À titre subsidiaire, l'employeur a déclaré que toute erreur de procédure ayant pu être commise serait réparée par la nouvelle occasion que représente cette audience, pour la fonctionnaire s'estimant lésée, de voir le fondement de son grief examiné, comme dans Tipple. L'employeur a soutenu en outre que les exigences de la [traduction] Politique sur la disciplinequi n'étaient pas satisfaites, d'après le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée, ne sont pas applicables à cette procédure, comme on le démontre dans Endicottet dans d'autres décisions.

88 Je ne crois pas qu'il me faille statuer sur ces arguments. Le représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée était précis lorsqu'il a déclaré que la demande qu'on m'a présentée de déclarer le licenciement nul ab initioétait fondée sur son allégation que l'employeur avait privé la fonctionnaire s'estimant lésée de son droit fondamental à une représentation par l'agent négociateur que prévoyait la stipulation 17.02 de la convention collective. Il a manifestement fait d'autres allégations suggérant l'existence d'irrégularités procédurales et d'iniquité, mais il n'a pas soutenu que ces allégations formaient un motif supplémentaire ou de rechange à une déclaration de nullité d'emblée. S'il l'avait fait, je crois que le principe que la Cour d'appel fédérale a établi dans Tippleaurait pu s'appliquer, en présumant (de façon hypothétique) qu'une conclusion défavorable à l'employeur aurait été rendue eu égard à la contestation de compétence dans Burchill.

89 Je désire mentionner que rien dans la présente décision ne devrait être pris comme remettant en question la valeur possible d'une représentation par un agent négociateur lors d'entrevues d'enquête. Ma décision repose sur ce que je crois être l'interprétation correcte de la stipulation que l'employeur et l'agent négociateur ont choisi d'inclure dans leur convention collective. Il leur sera toujours loisible, lors de négociations futures, de déterminer s'il y a lieu de modifier ou d'ajouter des dispositions en vue d'en arriver à des procédures d'enquête et de discipline encore plus efficaces et justes.

90 Incidemment, je signalerais que, depuis l'audience que j'ai tenue sur la question préliminaire, la Cour d'appel fédérale a confirmé l'annulation, par la Cour fédérale, de la décision Shneidman, 2004 CRTFP 133 : Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192. Je ne me suis pas appuyé sur ce nouvel arrêt pour en arriver à ma décision.

91 Pour les motifs que je viens d'exposer, je ne retiens pas la proposition du représentant de la fonctionnaire s'estimant lésée voulant que je doive déclarer nulle ab initio la cessation d'emploi de la fonctionnaire s'estimant lésée.

92 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

93 La demande d'une décision déclarant nulle ab initiola cessation d'emploi de la fonctionnaire s'estimant lésée est rejetée.

94 J'ordonne à la directrice, Opérations du greffe et politiques, de la Commission des relations de travail dans la fonction publique de consulter les parties afin de fixer les dates de la reprise de l'audience en vue de recevoir éléments de preuve et arguments sur le fond du grief.

Le 16 juillet 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Dan Butler,

arbitre de grief

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