Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés sont employés à titre de chercheurs scientifiques - ils ont réclamé le remboursement de cotisation à une association professionnelle - selon la convention collective applicable, l’adhésion à un organisme doit être indispensable à l’exercice continu des fonctions de l’emploi - l’arbitre de grief a déterminé qu’en l’espèce, le fait que l’employeur ne rembourse pas les frais d’adhésion n’empêche pas l’exercice continu des fonctions de l’emploi des fonctionnaires s’estimant lésés. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-01-10
  • Dossier:  166-02-35627 à 35637
  • Référence:  2007 CRTFP 5

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ROBERT BERTHIAUME, HÉLÈNE PETIT, LUIGI FAUCITANO, JOHANNE CHIQUETTE, NATHALIE BISSONNETTE, MARTIN LESSARD, DANIEL OUELLET, CHANTAL FARMER, PIERRE LACASSE, CANDIDO POMAR ET HÉLÈNE LAPIERRE

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire)

employeur

Répertorié
Berthiaume et al. c. Conseil du Trésor (ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Jean-Pierre Tessier, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Pierrette Gosselin, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Stéphane Hould, avocat

Affaire entendue à Sherbrooke (Québec),
les 25 et 26 mai 2006.

Griefs renvoyés à l'arbitrage

1 Le présent cas concerne onze professionnels du groupe des chercheurs scientifiques SE-RES (« les fonctionnaires s'estimant lésés ») travaillant dans le département de recherche au ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire (« l'employeur »).

2 En mai 2004, les fonctionnaires s'estimant lésés ont réclamé le remboursement de frais de cotisation à des associations professionnelles et l'employeur a refusé sous le motif qu'un tel remboursement ne s'appliquait que lorsque cette adhésion « est indispensable à l'exercice continu des fonctions de leur emploi. »

3 Les présents griefs ont été renvoyés à l'arbitrage en janvier 2005 et l'audience a eu lieu les 25 et 26 mai 2006.

4 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.  En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (« l' ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

5 Les onzes griefs déposés par les fonctionnaires s'estimant lésés ont fait l'objet d'une preuve commune. Ces derniers sont employés à titre de chercheurs scientifiques (groupe SE-RES). Quatre d'entre eux ont témoigné lors de l'audience. Ils détiennent un diplôme de maitrise en science ou en biologie de même qu'un doctorat en science animale.

6 Pierre Lacasse effectue des recherches sur la glande mammaire de la vache. Il est membre de la Société canadienne de science animale (SCSA) et de l'American Dairy Science Association. Il a publié de nombreux articles dans des revues scientifiques et a été invité comme conférencier lors de différents congrès scientifiques (pièce F-5).

7 M. Lacasse joint à son curriculum vitae (pièce F-5) une liste des montants de subventions de recherches qu'il a obtenus de 1996 à 2006. Les subventions généralement vont de 6 000 $ à 300 000 $ et constituent, selon lui, un apport au ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire.

8 M. Lacasse a souligné que l'employeur encourage la participation de ses chercheurs à des associations scientifiques et défraie le coût de leurs dépenses pour participer à des congrès ou colloques. Par ailleurs, l'employeur a refusé de payer le coût d'adhésion à ces mêmes associations.

9 Luigi Faucitano est chercheur sur la qualité de la viande. Il a témoigné de la nécessité pour les chercheurs d'être membre d'associations scientifiques. Ces associations remettent des prix aux chercheurs et le fait qu'un employé ai reçu un prix est considéré, selon lui, lors de demandes de promotion. En ce sens, le chercheur a déposé une formule de recommandation de promotion dans laquelle le comité d'examen a déclaré qu'il ne rencontrait pas certains critères (pièce F-18). M. Faucitano a souligné que ces critères ont trait à la participation à des organismes professionnels et à la réception des prix ou mentions pour la qualité de leurs recherches.

10 Daniel Ouellet effectue des recherches sur la nutrition des bovins laitiers. Il a souligné que sa participation à la SCSA lui a permis d'échanger avec des collègues et de faire connaître le fruit de ses propres recherches par la voie de publication d'articles.

11 Chantale Farmer effectue des recherches sur la truie. Elle a soutenu que la participation à une société scientifique est nécessaire pour l'obtention de promotions. Ce sont les membres des sociétés scientifiques qui recommandent qu'un autre membre reçoive un prix. Mme Farmer a, pour sa part, été membre de sociétés scientifiques et a occupé des postes au niveau de la direction et elle est actuellement éditrice d'une revue scientifique patronnée au niveau de la direction par la SCSA.

12 De fait, la SCSA commandite la publication d'une revue scientifique et le comité aviseur recommande la publication de tel ou tel article scientifique. Les chercheurs obtiennent un rabais sur les coûts de publication d'un article scientifique. Il s'agit d'un avantage financier qui profite à l'employeur puisque c'est l'employeur qui défraie le coût de la publication d'un article, a souligné Mme Farmer.

13 Au niveau des plans de carrière, la participation à des sociétés scientifiques, la publication d'articles et l'obtention de prix jouent un rôle très important selon Mme Farmer. Elle a été membre de comités de promotion et, selon elle, ces aspects sont examinés par le comité. De fait, le document guide de l'employeur pour ce qui est des examens de promotion (pièce F-15) fait référence à divers facteurs. Ces facteurs sont détaillés et mentionnent entre autres l'obtention de prix, la publication d'articles et la reconnaissance par une société scientifique.

14 De son côté, l'employeur a fait témoigner Gilles Saindon, directeur général du Bureau des sciences. Il a été antérieurement directeur des Recherches. M. Saindon a témoigné d'Ottawa, par voie de conférence téléphonique. Un représentant syndical sur place l'a identifié et a déclaré que M. Saindon n'était entouré d'aucun autre représentant de l'employeur au moment de son témoignage.

15 Globalement, M. Saindon a confirmé l'intérêt pour un chercheur à être membre d'une association. Lui-même a adhéré à des associations pendant ses études de doctorat et pendant plusieurs années où il a occupé des fonctions de chercheur et de directeur d'un centre de recherche pour le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire. Ce n'est que dernièrement qu'il a décidé de cesser ces adhésions.

16 M. Saindon a tenu à préciser qu'il n'a jamais réclamé à son employeur le remboursement de ses frais d'adhésion à une association. De même, lorsqu'il était directeur d'un centre de recherche, il n'a jamais eu à rembourser aux chercheurs qui travaillaient pour lui des frais d'adhésion à une association. Toutefois, il savait que certains centres ont remboursé des frais d'adhésion à des chercheurs.

17 Selon M. Saindon, la participation à des associations s'inscrit dans le développement de carrière d'un chercheur. La participation à des colloques permet de côtoyer d'autres chercheurs et de se faire connaître. C'est souvent par la voie de ces associations que des travaux de recherches sont présentés et publiés.

18 Relativement aux critères de promotion et plus particulièrement au guide sur les Examens de promotions de 2004-2005 (pièce F-15), M. Saindon a fait remarquer que les chercheurs doivent se conformer à trois des cinq critères. Notamment, dans le cas du critère « renom » (réputation dans le milieu scientifique), les sous-facteurs ne sont pas évalués séparément, ils forment un tout.

19 Relativement à la demande de remboursement de frais d'adhésion, M. Saindon considère que bien qu'utile, l'adhésion à un organisme n'est pas indispensable à l'exercice continu des fonctions de l'emploi de chercheur. Pour certaines professions, l'existence d'un ordre professionnel oblige l'adhésion à une association pour exercer les fonctions (par exemple, la médecine, la pratique du droit, l'ingénierie, etc.) mais ce n'est pas le cas dans le présent dossier.

Résumé de l'argumentation

20 La représentante des fonctionnaires s'estimant lésés a reconnu que dans le présent cas, il n'y a pas d'ordre professionnel régissant les actes posés par ceux-ci.

21 La représentante des fonctionnaires s'estimant lésés a soutenu que pour exercer efficacement leurs fonctions, ils se doivent d'adhérer à une association. Elle convient que dans les présents dossiers, les fonctionnaires s'estimant lésés limitent la demande au remboursement de l'adhésion à une seule association.

22 Cette participation à une association permet aux chercheurs de côtoyer d'autres scientifiques, de parfaire leur renommé et de publier des articles dans des revues scientifiques. La compétence des chercheurs contribue à la réputation du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire par rapport au service que l'organisme rend aux contribuables et à l'industrie.

23 Il faut retenir le fait que dans ses critères de promotion, l'employeur énonce des exigences de participation à des associations, de publication dans des revues scientifiques et l'obtention de prix.

24 De son coté, l'employeur a fondé son argumentation sur le libellé de la clause 22.01 de la convention collective applicable entre le Conseil du Trésor et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (Groupe : Recherche). Il soutient que l'adhésion à un organisme doit être indispensable à l'exercice des fonctions de l'emploi.

22.01
L'Employeur rembourse à l'employé les cotisations ou les droits d'inscription que celui-ci a versés à un organisme ou à un conseil d'administration lorsqu'un tel versement est indispensable à l'exercice continu des fonctions de son emploi.

Motifs

25 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont réclamé le remboursement de leur frais de cotisation à une association professionnelle parce que cette adhésion à de telles associations est, selon eux, indispensable à l'exercice continu des fonctions de leur emploi.

26 La preuve présentée par ces derniers démontre que l'adhésion à une association constitue un apport important dans la qualité d'exercice de leur travail. Le fait d'être membre d'une association leur permet de côtoyer des scientifiques, de discuter de l'évolution des recherches, de faire connaître leur travail, de jouir d'une meilleure renommée, de voir leurs articles scientifiques choisis pour des fins de publication et d'obtenir des prix et mentions honorifiques.

27 Pour rencontrer les exigences de la clause 22.01 de la convention collective, les fonctionnaires s'estimant lésés doivent démontrer qu'une telle adhésion à une association est indispensable à l'exercice continu des fonctions de leur travail.

28 Le fait d'adhérer à une association peut aider les chercheurs à faire publier un article scientifique. Cependant, rien dans la preuve ne démontre que le chercheur doit, pour effectuer l'exercice continu des fonctions de son emploi, publier un article chaque année ou obtenir un prix ou une mention honorifique chaque année.

29 Il se dégage de la preuve présentée que sur un plan de carrière, de 10 ans par exemple, un chercheur doit s'efforcer de publier, d'obtenir des prix et d'acquérir une renommée, ce qui bénéficie tant à lui-même qu'à son employeur.

30 Il a aussi été démontré que le fait d'être membre d'une association permet de réduire les coûts de publication d'un article scientifique. Cette réduction bénéficie à l'employeur puisque c'est lui qui paie le coût de publication. Cela constitue possiblement une incitation pour que l'employeur finance davantage les coûts de participation à des conférences, de publication et possiblement d'adhésion à l'association. Cependant, le fait que l'employeur ne rembourse pas les frais d'adhésion n'empêche pas l'exercice continu des fonctions de l'emploi des fonctionnaires s'estimant lésés.

31 Les décisions suivantes confirment le fait que l'adhésion à une association doit être indispensable à l'exercice des fonctions de l'emploi : Katchin c. Agence canadienne d'inspection des aliments, 2004 CRTFP 26; La Reine du chef du Canada c. Lefebvre et al., [1980] 2 C.F. 199 (C.A.); Jolie c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), dossiers de la CRTFP 166-2-21409, 166-2-21410 et 166-2-21432 (19910920) (QL) et Rosendaal et al. c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Impôt), dossiers de la CRTFP 166-2-22291, 166-2-23143 et 166-2-23144 (19930506) (QL). Dans Rosendaal et al., l'arbitre de grief a souligné l'exigence pour les fonctionnaires s'estimant lésés de s'acquitter du fardeau de preuve qui leur est imposé par la convention collective. Cette exigence se lit comme suit :

[…]

Le règlement de ces motifs, toutefois, doit reposer sur les exigences de la convention collective. À cet égard, les fonctionnaires n'ont pas prouvé que le maintien de leur titre professionnel était une condition de l'exercice continu des fonctions de leur poste et, pour ce motif, je dois rejeter les griefs.

[…]

32 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

33 Les griefs sont rejetés.

Le 10 janvier 2007.

Jean-Pierre Tessier,
arbitre de grief

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