Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Avant de travailler à l’Agence du revenu du Canada (ARC), le fonctionnaire s’estimant lésé était membre des Forces canadiennes - il a démissionné des Forces canadiennes en 1992 et a touché une pleine pension et une indemnité de départ - en 1993, il est entré à l’emploi de l’ARC - lorsqu’il a commencé son nouvel emploi, ses crédits de congés annuels étaient les mêmes que ceux d’un nouvel employé - pendant qu’il était au service de l’ARC, le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu des certificats de reconnaissance pour ses années de service, dans le calcul desquelles était inclus son service militaire - on lui a d’abord refusé un congé de préretraite en 2002, et son grief a été rejeté à tous les niveaux de la procédure de règlement des griefs au motif que son service au sein des Forces canadiennes s’inscrivait dans le cadre de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes et non de la LPFP, sur laquelle était fondé le droit à un congé de préretraite - l’agent négociateur du fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief à l’arbitrage - afin d’assurer le respect des délais pour toutes nouvelles demandes de congé, il a déposé un deuxième grief identique, qui a été rejeté à tous les niveaux pour les mêmes motifs - le premier grief devait être tranché en vertu des dispositions de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, alors que le deuxième devait être tranché en vertu de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - la preuve et la stipulation pertinente de la convention collective sont identiques pour les deux griefs - l’arbitre de grief a exercé son pouvoir discrétionnaire d’instruire d’abord le deuxième grief puisqu’il avait été présenté dans les délais, puis de se prononcer ensuite sur l’objection de l’employeur à l’égard du dépôt tardif du premier grief - elle a statué que la portée de la stipulation était extrêmement large, qu’elle ne contenait apparemment aucune restriction particulière concernant l’âge et les exigences de service et qu’elle ne prévoyait pas de définition de << service >> - néanmoins, la Cour d’appel fédérale avait statué que le service au sein des Forces canadiennes ne pouvait pas être considéré comme du service dans la fonction publique, et les arbitres de griefs ont systématiquement appliqué cette décision - les Forces canadiennes sont exclues de l’application de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et de la nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique aux fins des relations de travail et aux fins de l’emploi respectivement - aucun texte faisant autorité n’a été invoqué à l’appui de la position du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle les considérations utilisées pour l’attribution de certificats de reconnaissance de longs états de service influaient sur le droit aux prestations de préretraite - l’argument de l’employeur reliant la prestation de préretraite à la LPFP est demeuré une hypothèse non prouvée - le service au sein des Forces canadiennes n’est pas du service au sens de la stipulation de la convention collective - aucun motif impérieux n’a été présenté qui pourrait justifier le prolongation des délais pour la présentation du premier grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Demande de prolongation rejetée. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique
et
Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-06-20
  • Dossier:  568-34-2, 566-34-608, 166-34-35981
  • Référence:  2007 CRTFP 65

Devant la vice-présidente
et arbitre de grief


ENTRE

BARRY STUART LAWRENCE

demandeur et fonctionnaire s'estimant lésé;

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défendeur et employeur

Répertorié
Lawrence c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente et arbitre de grief

Pour le demandeur et fonctionnaire s'estimant lésé:
Daniel Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur et employeur:
Stéphane Hould, avocat

Affaire entendue à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard),
le 13 février 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)
I. Demande devant le président et griefs renvoyés à l'arbitrage

1 Le renvoi à l'arbitrage porte sur deux griefs déposés par le fonctionnaire s'estimant lésé Barry Stuart Lawrence (le « fonctionnaire ») relativement au rejet d'une demande de congé de pré-retraite prévu à la stipulation 53.01 de la convention collective entre l'Agence du revenu du Canada (ARC ou l'« employeur ») et l'Alliance de la Fonction publique du Canada (groupe Exécution des programmes et des services administratifs).

2 Le premier grief a été déposé le 7 novembre 2002 (dossier de la CRTFP 166-34-35981). Dans la réponse au dernier palier, l'employeur a formulé une objection quant au retard de ce grief parce que celui-ci avait été présenté au troisième palier de la procédure de règlement des griefs environ huit mois après la réponse de l'employeur au deuxième palier, plutôt que dans un délai de 10 jours comme le spécifiait la convention collective. L'employeur a néanmoins produit une réponse sur le fond du grief. En réponse à l'objection de l'employeur, le fonctionnaire a demandé une prorogation du délai pour déposer le grief au dernier palier (dossier de la CRTFP 568-34-2).

3 Un deuxième grief identique a été déposé le 14 avril 2005 (dossier de la CRTFP 566-34-608), concernant le refus, deux ans plus tard, du même type de congé, afin d'avoir une protection contre la perte de tous droits découlant du retard du premier grief. Le fonctionnaire soutient que, dans la mesure où il réussit à faire reconnaître le bien-fondé de ses griefs, il s'agit d'un grief continu, et lui-même devrait être entièrement indemnisé, selon ce que permet la convention collective.

4 L'employeur a rejeté les griefs à chaque palier de la procédure applicable aux griefs, pour les raisons exposées ci-après. La position de l'employeur est qu'il s'agit de griefs individuels et que, dans la mesure où le fonctionnaire a gain de cause, l'indemnisation devrait se limiter au nombre précis de semaines de congé qui a été refusé.

II. Résumé de la preuve

5 Le fonctionnaire est un CR-03, employé au Centre fiscal de Summerside - Services spécialisés de l'impôt de l'ARC. Il occupe ce poste depuis le 23 octobre 1993. Avant de travailler à l'ARC, il a été membre des Forces canadiennes, de février 1966, soit à partir de l'âge de 19 ans, jusqu'en avril 1991, c'est-à-dire jusqu'à ce que la base aérienne de Summerside soit fermée. Les nombreux postes qu'il a occupés et ses nombreuses affectations tandis qu'il travaillait dans les Forces canadiennes ont été pris en note, mais, par souci de brièveté, sont omis de la présente décision.

6 La retraite du fonctionnaire des Forces canadiennes a pris effet le 2 août 1992. Vu son âge et ses états de service, il a quitté les Forces canadiennes avec une pension intégrale et sans pénalité. Il a en outre reçu une indemnité de fin d'emploi à son départ.

7 Le fonctionnaire aurait pu accepter une promotion à un poste à Halifax lorsque la base aérienne de Summerside a fermé, mais il a décidé de rester à Summerside, parce que le déménagement aurait trop perturbé sa famille, qui était alors bien établie à l'Île-du-Prince-Édouard. Entre le 2 août 1992 et le 23 octobre 1993, il a passé environ deux mois à la maison et a ensuite commencé à travailler pour Irving Oil, à Charlottetown, avant d'accepter un poste à l'ARC en 1993.

8 En 2001, le fonctionnaire s'est vu remettre un certificat de reconnaissance pour 35 années de service dans la fonction publique; en 2006, il a obtenu un certificat semblable pour 40 ans de service.

9 Le fonctionnaire reçoit actuellement une pension intégrale de service militaire en plus de son revenu provenant de l'ARC. Il a par ailleurs droit à quatre semaines de congé annuel. Il ne reçoit pas de prestations d'emploi de l'ARC liées à son service militaire antérieur. Quand il a commencé à travailler à l'ARC, ses crédits de congé annuel étaient les mêmes que pour tout nouvel employé. Il a, depuis, acquis des crédits supplémentaires de congé annuel conformément à son service aux termes de la convention collective.

10 Le fonctionnaire a reconnu que le congé de pré-retraite était un moyen d'ajouter une semaine à ses actuels crédits de congé annuel de quatre semaines pour avoir le même nombre de semaines de congé qu'il avait lorsqu'il travaillait pour les Forces canadiennes. Le fonctionnaire a également reconnu qu'il avait perdu toute possibilité de convertir sa pension militaire en pension de la fonction publique et qu'il accumule maintenant des droits à une pension distincte en vertu des modalités de son nouvel emploi.

11 Le fonctionnaire a d'abord demandé un congé de pré-retraite à l'ARC en novembre 2002. Lorsque ce congé a été refusé, il a déposé un grief. Son grief a été rejeté jusqu'au dernier palier, sur le fondement que son service dans les Forces canadiennes entrait dans le cadre de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes (LPRFC) et non dans le cadre de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP) sur laquelle est basé le droit à un congé de pré-retraite. Autrement dit, son service dans les Forces canadiennes ne pouvait être pris en compte à titre de « service » pour l'obtention d'un avantage en matière de pré-retraite dans la fonction publique.

12 Le fonctionnaire s'est apparemment fié à son agent négociateur pour l'instruction de son premier grief à chaque palier de la procédure de règlement des griefs. Il a découvert que son premier grief n'avait pas été transmis au dernier palier de la procédure seulement lorsqu'il a décidé, après plusieurs mois, de demander à son agent négociateur ce qu'il était advenu de son grief. Comme il avait cru comprendre que les griefs pouvaient prendre un certain temps pour franchir les divers paliers de la procédure, il ne s'était pas trop inquiété de la question du respect des délais, jusqu'à ce qu'il s'informe auprès de son agent négociateur de l'état de la situation concernant son grief. Afin d'assurer le respect des délais pour toute nouvelle demande de congé de pré-retraite et de manière à suivre l'avis de son agent négociateur, le fonctionnaire a déposé un deuxième grief identique le 14 avril 2005, lequel a été rejeté à tous les paliers pour les mêmes motifs que dans le cas du premier grief.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour le demandeur et fonctionnaire s'estimant lésé

13 Le fonctionnaire allègue qu'il répondait à tous les critères selon la stipulation 53.01 de la convention collective à l'époque où il a demandé un congé de pré-retraite.

14 Le fonctionnaire argue que la stipulation 53.01 de la convention collective doit être interprétée d'une façon conforme au caractère général de son libellé, permettant à un employé qui est âgé de 55 ans et qui a au moins 30 ans de service de se prévaloir d'un congé de pré-retraite. Contrairement à la stipulation 34.03, qui définit d'une manière précise ce que désigne le mot « service » par rapport à l'accumulation de congés annuels, la stipulation 53.01 est muette sur la signification de ce mot. Par conséquent, il ne devrait pas y avoir de distinction quant à l'origine du « service » au sein du gouvernement du Canada, que ce soit dans la fonction publique ou dans les Forces canadiennes, car ces deux types de service sont pris en compte et s'additionnent aux fins des certificats de reconnaissance de longs états de service.

15 Le fonctionnaire argue aussi que l'interprétation que l'employeur donne de la stipulation 53.01 de la convention collective va au-delà de ce que l'on avait à l'esprit à l'époque de la négociation. Si les limites fixées dans la stipulation 34.03 doivent également s'appliquer à la stipulation 53.01, ce devrait être clairement énoncé afin d'éviter toute interprétation erronée. Comme la stipulation est énoncée en termes généraux, elle devrait être interprétée en faveur du fonctionnaire.

16 Le fonctionnaire est d'avis que la stipulation 53.01 de la convention collective a été établie pour inciter les employés ayant atteint le chiffre « 85 » - soit leur âge plus le nombre d'années de service pour arriver à un total de 85 - à continuer de travailler pendant quelques années, en ajoutant une semaine de vacances chaque année pendant une période de cinq ans. Dans ce cas-ci, le refus par l'employeur d'octroyer le congé demandé par le fonctionnaire va à l'encontre de l'intention du congé de pré-retraite.

17 Au sujet du respect des délais quant au premier grief, le fonctionnaire soutient que l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») permet au président d'exercer le pouvoir qu'il a de proroger le délai pour déposer un grief ou pour le présenter au palier suivant de la procédure applicable aux griefs. Le fonctionnaire argue que son intention a toujours été de soumettre son premier grief jusqu'au dernier palier et qu'il ne devrait pas être pénalisé à cause de l'omission, par l'agent négociateur, de transmettre ce grief jusqu'au dernier palier. Son intention est évidente, puisqu'il a déposé le deuxième grief immédiatement après avoir appris l'omission commise par l'agent négociateur. Le fonctionnaire soutient que, si je faisais droit à sa demande de prorogation de délai dans le cas de son premier grief, l'employeur ne subirait pas un préjudice indu.

18 Le fonctionnaire conclut sa thèse en arguant que c'est du point de vue de l'intention ou du but visé qu'il convient d'aborder l'interprétation de la convention collective afin d'assurer un maximum d'avantages pour toute période antérieure de service au gouvernement. En ce qui a trait au cas qui nous occupe, les parties à la convention collective ont choisi d'omettre d'incorporer une formulation technique limitant les avantages offerts en vertu de la stipulation 53.01. Comme le libellé de la convention collective est clairement dépourvu de toute restriction quant à son application et à ses effets, il est assez vaste pour étayer l'interprétation proposée par le fonctionnaire. Ce dernier demande donc que les griefs soient accueillis et qu'il soit fait droit à la demande de prorogation de délai.

B. Pour le défendeur et employeur

19 L'employeur soutient que la stipulation 53.01 de la convention collective doit être interprétée selon le contexte, car elle est liée aux dispositions en matière de retraite de la LPFP. D'après la LPFP, un membre de la fonction publique qui a atteint l'âge de 55 ans et qui a 30 années de service peut prendre sa retraite avec une rente non réduite. Néanmoins, les parties ont négocié l'inclusion d'une mesure d'encouragement dans la convention collective selon laquelle les fonctionnaires pouvant se retirer de la fonction publique reçoivent des crédits de vacances supplémentaires d'une semaine par année pendant une période de cinq ans s'ils remettent à plus tard la décision de prendre leur retraite.

20 L'employeur argue que le fonctionnaire avait effectivement plus de 55 ans lorsqu'il a demandé un congé de pré-retraite, mais qu'il n'avait pas 30 années de service dans la fonction publique au sens de la LPFP; par conséquent, il n'était pas admissible à l'avantage relatif à la pré-retraite. Le service dans les Forces canadiennes ne peut être pris en compte aux fins de la pension en vertu de la LPFP. À l'appui de cet argument, l'employeur invoque la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Bolling et al. c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique),[1978] 1 C.F. 85 (C.A.F.).

21 L'employeur soutient également que, tout comme la stipulation 33.05 de la convention collective empêche tout cumul pyramidal ou [traduction] « cumul de la pension et de traitement » aux fins des vacances, le même principe s'applique aux avantages liés à la pension. Le fonctionnaire ne peut recevoir deux types de rémunération pour le même service, car il a déjà reçu une indemnité de départ pour son service dans les Forces canadiennes.

22 À propos du respect des délais concernant le premier grief, l'employeur affirme que le fonctionnaire n'a fourni aucun motif impérieux permettant d'expliquer pourquoi son grief n'avait pas été porté jusqu'au troisième palier, si ce n'est que l'agent négociateur a omis de transmettre ce grief. L'employeur demande donc que les deux griefs ainsi que la demande de prorogation de délai soient rejetés.

IV. Motifs

A. Contexte

23 Mon pouvoir de trancher les affaires en litige relève de plusieurs dispositions législatives. En ce qui a trait à la demande que le fonctionnaire a déposée afin d'avoir une prorogation du délai pour présenter son premier grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs (dossier de la CRTFP 568-34-2), le président m'a délégué en ma qualité de vice-présidente, selon l'article 45 de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), les attributions que lui confère l'alinéa 61b) du Règlement pour entendre et trancher toute question se rapportant à la prorogation du délai.

24 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, le renvoi à l'arbitrage du premier grief (dossier de la CRTFP 166-34-35981) doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l'« ancienne Loi »).

25 Étant donné que le second grief (dossier de la CRTFP 566-34-608) a été déposé après que la nouvelle Loi eut reçu la sanction royale, il doit être tranché en vertu de cette législation.

26 Cela dit, l'objet du deuxième grief est identique à celui du premier. La preuve touchant les deux griefs et les stipulations applicables de la convention collective sont également les mêmes. Puisque le second grief a été présenté dans les délais, j'ai décidé d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de trancher d'abord le deuxième grief. Je statuerai sur l'objection de l'employeur à la question des délais ayant trait au premier grief après que j'aurai entendu les observations sur le fond du second grief et sur le contexte du retard du fonctionnaire dans la présentation de son premier grief au dernier palier.

B. Analyse

27 Voici ce que dit la stipulation 53.01, qui est identique dans la convention collective qui a expiré le 31 octobre 2003 (en vigueur lorsque le premier grief a été déposé) et dans celle qui doit expirer le 31 octobre 2007 (en vigueur lorsque le second grief a été déposé) :

53.01 À compter de la date de signature de la présente convention collective, l'Employeur accordera un congé payé de cinq (5) jours par année, jusqu'à un maximum de vingt-cinq (25) jours, à l'employé-e âgé de cinquante-cinq (55) ans ou plus qui compte un minimum de trente (30) ans de service.

28 Le fonctionnaire m'a renvoyée à quatre décisions arbitrales qui, soutient-il, étayent une vaste interprétation de ce qui constitue du service, pour aider à interpréter la stipulation en litige. Dans Canada Post Corporation v. C.U.P.W. (Stutt), [2000] C.L.A.D. No. 749 (QL), l'arbitre a fait droit à un grief contestant l'interdiction générale de l'employeur à l'égard de la prise d'un congé de pré-retraite durant certaines périodes de l'année pour des considérations opérationnelles. Dans St. Andrew's Centennial Manor v. OPSEU, Loc. 328 (1991), 23 L.A.C. (4th) 129, qui concernait l'interprétation de ce qui constituait du service continu aux fins du droit à des vacances payées, l'arbitre a statué que le libellé de la convention collective permettait une combinaison d'emploi à temps plein et d'emploi à temps partiel dans l'unité de négociation pour mesurer les années de service continu et excluait une répartition des heures de travail sur ces années-là. Dans CUPW v. Canada Post Corporation (Tingley), [2001] C.L.A.D. No. 217 (QL), l'arbitre a accueilli un grief contestant la négation, par l'employeur, du droit d'un employé à un congé d'ancienneté sur le fondement que la convention collective exigeait une conclusion selon laquelle l'employé s'estimant lésé avait le droit de prendre le congé sans réduction de son droit habituel à des vacances. Dans SPAR Aerospace Ltd. v. International Association of Machinists and Aerospace Workers, Northgate Lodge 1579 (Switzer), [2000] C.L.A.D. No. 166 (QL) (Tettensor), l'arbitre a conclu que, pour purger le dossier disciplinaire d'un employé, il fallait interpréter [traduction] « service continu » conjointement avec la convention collective dans son ensemble. Ainsi, pour que soient significatives les dispositions de la convention collective permettant de repartir sur une base adéquate, « service continu » désignait une période continue pendant laquelle un employé était au travail, soit une période commençant à la fin d'une suspension et englobant le retour subséquent au travail. Pour les motifs exposés ci-après, je ne considère toutefois pas que ces décisions soient particulièrement utiles pour trancher la question litigieuse.

29 À la première lecture de la stipulation 53.01 de la convention collective, je ne peux disconvenir avec le fonctionnaire que cette stipulation soit extrêmement vaste et ne contienne apparemment aucune restriction particulière quant à l'octroi d'un congé de pré-retraite, dans la mesure où les fonctionnaires répondent aux exigences en matière d'âge et de service. Le fonctionnaire a également raison de dire que la convention collective ne renferme pas de définition du mot « service ». Je ne trouve aucune faille dans l'affirmation selon laquelle, si une expression ou un terme n'est pas défini, il faut lui attribuer son sens ordinaire. Le terme en cause dans ce cas-ci pourrait être interprété comme comprenant le service cumulatif du fonctionnaire au gouvernement du Canada en tant qu'employeur pour les Forces canadiennes et la fonction publique.

30 Néanmoins, la Cour d'appel fédérale a dans Bolling statué que ni l'ancienne Loi ni la Loi sur l'emploi dans la fonction publique en vigueur à cette époque ne s'appliquent aux membres des Forces canadiennes et que le service dans les Forces canadiennes ne peut être considéré comme du « service » dans la fonction publique (paragr. 3-5) :

[…]

[3] À notre avis, ni les dispositions générales de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique [l'ancienne Loi], qui accordent à certains employés de la Fonction publique du Canada le droit de négocier collectivement, ni celles de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, qui établit le principe de la sélection fondée sur le mérite, le droit aux promotions et une procédure d'appel, ne s'appliquent aux membres des Forces armées canadiennes. Les modalités du service armé sont prévues à la Loi sur la défense nationale et sont en grande partie, sinon entièrement, incompatibles avec l'application des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique ou de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Le fait qu'ils soient spécifiquement mentionnés à l'alinéa 2(2)b) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique dans le but de leur accorder des droits spéciaux confirme qu'ils ne sont pas inclus dans l'ensemble des personnes auxquelles cette loi et la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique s'appliquent.

[4] Il serait erroné, à notre avis, de penser que la définition de cette partie de la Fonction publique du Canada désignée comme « Fonction publique » dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, et également dans la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique où ladite définition coïncide avec celle de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et y fait référence, englobe les membres des Forces armées canadiennes.

[5] En conséquence, c'est à bon droit, à notre avis, que l'arbitre a jugé que le service dans les Forces armées canadiennes n'est pas un service au sens de la clause 18 de la convention collective.

La demande est donc rejetée.

31 Les arbitres de griefs de la Commission ont systématiquement appliqué les principes de cette décision (voir dans McCormick c. Conseil du Trésor (Affaires extérieures Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14340 (19940801), Knapman c. Conseil du Trésor (Approvisionnements et Services Canada), dossier de la CRTFP 166-02-16247 (19871104), Deniger c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-21583 et 166-02-21584 (19920131), et Aubin c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-27489 et 27490 (19970429)).

32 De plus, en ce qui a trait au second grief, la Loi sur la modernisation de la fonction publique est entrée en vigueur le 1er avril 2005. Par conséquent, la définition de « fonction publique » qui figure dans la nouvelle Loi et celle qui figure dans la nouvelle Loi sur l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle LEFP ») sont bien harmonisées. La nouvelle Loi définit comme suit « fonction publique », à l'article 2 :

« fonction publique » […] l'ensemble des postes qui sont compris dans les entités ci-après ou qui en relèvent :

a)  les ministères figurant à l'annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques;
b)  les autres secteurs de l'administration publique fédérale figurant à l'annexe IV de cette loi;
c)  les organismes distincts figurant à l'annexe V de la même loi.

33 La fonction publique est définie d'une manière semblable dans la nouvelle LEFP, sauf que l'alinéa b) de la définition traite des « administrations » figurant à l'annexe IV de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), plutôt que d'« autres secteurs de l'administration publique fédérale ». Les Forces canadiennes ne sont pas énumérées dans l'une quelconque des annexes de la LGFP. Donc, à moins qu'il existe quelque autre soutien législatif ou réglementaire à l'appui d'une exception, les Forces canadiennes sont exclues de l'application de la nouvelle Loi aux fins des relations de travail et sont exclues de la nouvelle LEFP aux fins de l'emploi.

34 Le deuxième grief considéré en l'espèce présente une série de faits qui est unique en son genre. Le fonctionnaire a fait une carrière militaire et a pris sa retraite avec une rente intégrale en vertu de la LPRFC. Il a en outre reçu une indemnité de départ en mettant fin à sa relation d'emploi avec les Forces canadiennes. Autrement dit, il a établi puis terminé une relation d'emploi à l'égard de laquelle il a été pleinement rémunéré. Il a maintenant une deuxième carrière, à l'ARC. Il s'agit d'un nouveau contrat de travail comportant ses propres modalités. Le fonctionnaire l'a admis quand il a déclaré qu'aucun des avantages dont il bénéficie grâce à son actuel emploi, y compris l'accumulation de crédits de congés annuels, n'est lié à son service militaire.

35 Dans son témoignage, le fonctionnaire a admis qu'il aurait pu avoir l'occasion de transférer sa pension militaire de manière à l'assujettir aux dispositions de la LPFP mais qu'il n'a pu le faire parce que plus d'un an s'était écoulé entre son départ des Forces canadiennes et le début de son nouvel emploi, à l'ARC. Cela s'avère conforme au document Politique sur les conditions d'emploi dans la fonction publique, qui s'appliquait à l'époque où le fonctionnaire a été embauché et qui se lisait comme suit :

[…]

  1. Aux fins du présent règlement, les périodes suivantes comptent comme emploi continu :
  1. Dans le cas d'une personne nommée pour une période indéterminée dans un organisme visé à la partie I (service de la partie I) :

[…]

iii. la période de service effectué immédiatement avant dans les Forces canadiennes […] à condition que la personne ait été libérée avec certificat de bonne conduite et qu'elle se soit prévalue ou se prévale d'une option de rachat en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique (la date du début de la période correspondra à la date où l'option est remplie).

[…]

[Je souligne]

36 Donc, il ne peut y avoir de différend quant au fait que, lorsque le fonctionnaire a sciemment commencé à travailler pour l'ARC comme nouvel employé, il ne répondait pas aux conditions relatives à une période d'« emploi continu » entre les Forces canadiennes et l'ARC à l'époque du recrutement.

37 La nouvelle Loi et la nouvelle LEFP indiquent sans équivoque que les termes « fonction publique » se rapportent à un emploi dans les ministères, administrations et organismes spéciaux figurant aux annexes de la LGFP. La Cour fédérale a, dans la décision Bolling, rendue en vertu de l'ancienne Loi, également établi de façon claire que la législation en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale exclut les membres des Forces canadiennes. Il n'y a pas eu de changement de fond dans la législation sur l'emploi dans la fonction publique ou de changement d'avis de la part des tribunaux qui pourrait m'amener à une conclusion différente. Aucun texte faisant autorité n'a été avancé au soutien de la position du fonctionnaire que les considérations utilisées pour attribuer des certificats de reconnaissance de longs états de service ont une influence sur le droit à des avantages en matière de pré-retraite.

38 De prime abord, l'affirmation de l'employeur que les termes employés dans la stipulation 53.01 de la convention collective découlent des règles établies à l'égard des avantages en matière de retraite en vertu de la LPFP semble correspondre davantage à l'intention qui sous-tend l'avantage lié à la pré-retraite. Sinon, la vaste interprétation du mot « service » avancée par le fonctionnaire a pour effet de créer un avantage relatif à la reconnaissance de longs états de service pour l'ensemble de l'emploi au gouvernement du Canada, par opposition à une incitation à différer la retraite.

39 Il est à noter que la négociation collective dans la fonction publique fédérale, contrairement à ce qu'il en est dans le secteur privé, est régie par une législation particulière et détaillée. Ainsi, ce qui peut sembler être un libellé de convention collective sans encombre est en fait conditionné par les règles qui s'appliquent à la négociation collective dans l'ensemble de la fonction publique.

40 Les régimes de pension et les droits de pension dans la fonction publique sont régis par une mesure législative distincte (la LPFP) qui s'applique dans le cas de la plupart des catégories d'employés, titularisés ou non, et qui couvre une multitude d'organismes désignés. Les droits de pension sont donc un avantage non négociable.

41 Ce qui ne signifie pas qu'il n'y a aucune consultation entre l'employeur et les agents négociateurs concernant le régime de pension et d'autres avantages non négociables. Toutefois, ces discussions se tiennent non pas aux tables de négociation, mais à un autre niveau, celui du Conseil national mixte, qui est le forum pour la révision, l'amélioration et l'interprétation des avantages accordés à l'échelle de la fonction publique. Par conséquent, lorsqu'il s'agit d'interpréter la formulation d'une convention collective, je dois tenir compte non seulement du contexte de la convention collective litigieuse, mais aussi du cadre général de la fonction publique fédérale.

42 L'employeur argue que l'avantage relatif aux vacances qui est prévu à la stipulation 53.01 de la convention collective est lié aux dispositions en matière de retraite de la LPFP. Bien que les modalités de la convention collective puissent coïncider avec certaines dispositions en matière de retraite figurant dans la LPFP, cet argument demeure une hypothèse non prouvée, car l'employeur n'a avancé aucun élément de preuve à l'appui de cette interprétation.

43 Je conclus donc que le « service » dans les Forces canadiennes n'est pas du « service » au sens de la stipulation 53.01 de la convention collective. Par conséquent, je n'accepte pas l'affirmation du fonctionnaire selon laquelle le terme « service » utilisé dans la convention collective permet sans équivoque un avantage en matière de pré-retraite pour une carrière combinée dans les services militaires et dans la fonction publique.

44 En outre, étant donné la preuve avancée à l'audience, je conclus qu'il n'y a pas de raison convaincante de proroger le délai pour présenter le premier grief du fonctionnaire jusqu'au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Puisqu'il s'agit d'un grief individuel, le fonctionnaire doit faire preuve de diligence dans le renvoi de son grief à chaque palier de la procédure applicable aux griefs. Sans une raison venant justifier le fait que le fonctionnaire a été incapable de présenter son grief en respectant les délais prévus dans la convention collective, je ne vois aucune raison d'exercer mon pouvoir discrétionnaire selon l'alinéa 61b) du Règlement.

45 Pour ces motifs, je rends les ordonnances qui suivent :

V. Ordonnance

46 La demande de prorogation de délai est rejetée.

47 J'ordonne la fermeture du dossier 166-34-35981.

48 Le grief figurant dans le dossier de la CRTFP 566-34-608 est rejeté.

Le 20 juin 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Michele A. Pineau,
vice-présidente et arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.