Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En 2004, le plaignant, un membre de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), a déposé une plainte en vertu des articles 133 et 147 du CCT, alléguant avoir été victime d’une mesure disciplinaire déguisée, contrairement à l’article 147, parce qu’il avait déposé une plainte en matière de santé et de sécurité en 2001 - la plainte avait été accueillie - peu de temps après, le plaignant a été informé que la section au sein de laquelle il travaillait serait visée par une évaluation par les services de médiation - son superviseur n’a jamais mentionné aux services de médiation l’existence de la plainte en matière de santé et de sécurité - le plaignant a allégué que le refus de l’employeur, en 2005, d’autoriser des traitements dentaires dont il avait besoin était un autre exemple de mesures de représailles - l’employeur s’est opposé à la plainte, faisant valoir que celle-ci avait été déposée tardivement, c’est-à-dire en dehors du délai de 90 jours prescrit au paragraphe 133(2) du CCT, et que les faits allégués ne constituaient pas des manquements à l’article 147 du CCT, puisque aucune mesure disciplinaire n’avait été prise - en outre, l’employeur a fait valoir que le plaignant avait omis de démontrer l’existence d’un lien entre la plainte en matière de santé et de sécurité et les mesures prises par l’employeur qui, d’après le plaignant, étaient de nature disciplinaire - le plaignant a tenté d’établir, en faisant témoigner plusieurs personnes, qu’il existait chez l’employeur une culture de représailles contre les membres qui agissaient à titre de représentants aux fins des relations du travail ou qui s’opposaient à la direction - l’employeur s’est opposé à la pertinence des témoignages, et la Commission a conclu qu’ils n’étaient pas pertinents - la Commission a conclu qu’elle avait compétence pour examiner les plaintes déposées en vertu des articles 133 et 147 du CCT par des membres de la GRC - elle a statué que la plainte était tardive au motif qu’elle avait été déposée en octobre 2004, alors que les événements dont on se plaignait s’étaient produits en 2002 et en 2003, et, dans le cas des traitements dentaires, après le dépôt de la plainte - le plaignant n’a fourni aucune explication concernant le retard - il n’a pas non plus prouvé qu’il existait un lien entre les mesures prises par l’employeur et l’exercice des droits que lui confère le CCT - le simple fait que le superviseur a appelé les services de médiation peu de temps après que la plainte en matière de santé et de sécurité eut été accueillie n’a pas permis à lui seul d’établir l’existence d’un manquement au CCT - en outre, les mesures prises par l’employeur, soit le fait qu’il a refusé un traitement dentaire et qu’il a demandé l’intervention des services de médiation, et les mesures prises par ces services, ne constituaient pas des mesures de représailles au sens de l’article 147 du CCT. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-05-16
  • Dossier:  560-02-10
  • Référence:  2007 CRTFP 52

Devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique


ENTRE

NORMAND J.R. VALLÉE

plaignant

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Gendarmerie royale du Canada)

défendeur

Répertorié
Vallée c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l'article 133 du Code canadien du travail

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Sylvie Matteau, vice-présidente

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour le défendeur:
Neil McGraw, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 1er au 3 mars et les 2 et 3 octobre 2006.

I. Plainte devant la Commission

1 Le plaignant, le sergent-d'état major Normand J.R. Vallée, est gestionnaire de risques au centre informatique de la Région du Centre de la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC ») à Montréal. Le 9 octobre 2004, il a porté plainte en vertu des paragraphes 133(1) et (2) et de l'article 147 de la partie II du Code canadien du travail (le « CCT »). Cette plainte fut adressée au Conseil canadien des relations industrielles, qui l'a acheminée à l'ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique le 21 octobre 2004.

2 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 39 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, la nouvelle Commission, créée en vertu de cette loi, est saisie de cette plainte et doit en décider conformément à la nouvelle Loi.

3 Il s'agit d'une plainte pour représailles sous forme de mesures disciplinaires déguisées à la suite du dépôt d'une plainte voulant que la sécurité du plaignant et du personnel dont il avait la charge aurait été mise en danger par la fourniture d'outils de travail inappropriés, en l'occurrence un système de communication radio, alors que le plaignant était coordonnateur d'un convoi motorisé lors du Sommet des Amériques à Québec en avril 2001. Le plaignant allègue que son employeur, et plus particulièrement le surintendant Gérard Héroux, lui a imposé « des mesures disciplinaires déguisées », a exercé « des actions discriminatoires en organisant une " concertation " basée sur des perceptions » et lui a fait « subir une forme de congédiement déguisée en représailles » pour s'être prévalu de ses droits protégés par la partie II du CCT.

4 Les parties maintiennent toutes deux que la Commission a la compétence nécessaire pour disposer de cette affaire. Le Conseil du Trésor est reconnu comme étant l'employeur et l'application de la partie II du CCT aux membres réguliers de la GRC n'est pas contestée. Je me pencherai tout de même brièvement sur cette question de la compétence de la Commission dans mes motifs, car elle ne peut être conférée du simple consentement des parties.

5 Le défendeur s'est objecté sur la base du fondement énoncé de la plainte puisque les gestes reprochés ne constitueraient pas des agissements interdits en vertu de l'article 147 du CCT et du fait que la plainte a été déposée en dehors du délai de 90 jours prévu au paragraphe 133(2) du CCT. Le défendeur s'est donc limité à contester la plainte sur ces bases, bien qu'il se soit réservé le droit à une contre-preuve au mérite, ce qu'il a finalement jugé non nécessaire.

6 Le plaignant a assigné à comparaître un représentant de la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») et a demandé le dépôt d'un rapport d'enquête. Un représentant de la CCDP s'est objecté à cette assignation et a fait une requête en cassation de l'assignation à comparaître devant la Commission. Un plaidoyer écrit a été déposé et peut être consulté au présent dossier. À la suite des représentations verbales du représentant de la CCDP, les parties ont convenu du dépôt des plaintes originales à la CCDP, du rapport d'enquête par la CCDP et de notes d'entrevues partielles. Le représentant a été libéré sans avoir à témoigner.

7 Le plaignant a fait entendre 11 témoins et a déposé 42 documents. Ces documents ont tous été déposés sur consentement de l'autre partie, sous réserve de leur pertinence et de leur valeur probante. Le plaignant a choisi de ne pas témoigner. Tel que déjà indiqué, le défendeur n'a présenté aucune preuve.

II. Résumé de la preuve

8 Le premier témoin, Line Forgues, sous-officier responsable de la Section des plaintes et enquêtes internes de la Région du centre (bureau de Montréal), a déposé un très volumineux rapport d'enquête interne datant du mois d'avril 2003 et un rapport complémentaire du mois de septembre 2003 (pièce P‑1) visant le plaignant. Une mesure disciplinaire a été imposée le 23 août 2003 contre le plaignant à la suite de cette enquête. Mme Forgues n'a pas été questionnée sur ces documents. Le défendeur ne s'est pas objecté au dépôt de ces rapports puisqu'il est entendu que ceux-ci font preuve d'un processus, mais pas des faits qui y sont relatés; il n'a pas non plus questionné le témoin.

9 Ruth Rancy est spécialiste en santé et sécurité au travail. Elle a préparé la formation et l'examen en cette matière pour la GRC. Elle a déposé une copie d'une question de l'examen avec ses réponses à choix multiples (pièce P-2). Une objection quant à la pertinence de ce document a été soulevée par le défendeur. À ce point du dossier, j'ai réservé ma décision sur les représentations du plaignant voulant qu'il avait l'intention d'établir plus tard un lien de causalité à l'aide de ce document, et j'ai permis le dépôt du document, sous réserve de sa pertinence. Le plaignant n'est toutefois pas revenu sur cette question lors de son plaidoyer.

10 Charles Earle Savard est surintendant à la retraite depuis 1995. Il a témoigné du travail exemplaire du plaignant. Il a dit lui avoir confié des responsabilités importantes malgré que certains croyaient que le plaignant avait des problèmes de santé. Il dit avoir fait une demande pour que le médecin confirme que le plaignant n'avait pas de problèmes et a par la suite fait en sorte que ce dernier soit assigné à des responsabilités auprès du Gouverneur général et des diplomates. Il n'a reçu que des éloges du service du plaignant auprès du Gouverneur général du Canada de l'époque. Le plaignant a travaillé avec M. Savard entre 1983 et 1986, puis de 1988 à 1990. Il a témoigné du sort qui est, semble-t-il, souvent réservé aux officiers qui se portent volontaires à titre de représentants ou sous-représentants divisionnaires aux  relations fonctionnelles des membres dans le cadre des relations de travail à la GRC. Ces représailles se traduiraient sous forme de mutations, de traitement du silence, de renvois à la maison et d'assignations à des tâches et responsabilités qui feraient en sorte d'arrêter la progression de carrière de la personne touchée. Le défendeur a soulevé une objection quant à la pertinence du témoignage à ce sujet et au fait qu'il s'agit de ouï-dire. L'objection a été retenue en partie sur les représentations du plaignant voulant qu'il tentait de faire la preuve d'une culture généralisée de représailles pour toutes sortes de raisons et non une preuve des pratiques de l'employeur dans le domaine précis des relations de travail. La force probante est toutefois demeurée en question, vu la nature du témoignage.

11 Paul Dupuis est sous-représentant divisionnaire aux relations fonctionnelles. Il a témoigné uniquement de sa propre expérience à titre de représentant divisionnaire et des représailles qu'il allègue avoir subies en conséquence de ces activités. Encore une fois, le défendeur a fait objection quant à la pertinence de ce témoignage relativement à la plainte de représailles en l'espèce. Le témoignage a été permis sous les mêmes réserves que le témoignage précédent. M. Dupuis a fait état de suspensions sans explications,  suspensions sans solde, suspensions avec solde hors du lieu de travail, assignations à des tâches et responsabilités qui ne correspondent pas au niveau et qualifications de l'employé (« des mises sur la tablette »), et promotions déniées. En contre-interrogatoire, il a été établi que ce témoin et le plaignant n'ont jamais eu le même superviseur pendant leur carrière.

12 Gaétan Delisle, membre de la GRC depuis 37 ans, a expliqué la mise en place par le commissaire, il y a quelque trente ans, du système de représentants divisionnaires pour les membres de la GRC. Il a expliqué par la suite l'évolution de ce système, incluant la mise en place d'un fond légal pour la défense des droits des membres. Il a également expliqué les tentatives de syndicalisation initiées par certains membres de la GRC. Il a témoigné de ses activités personnelles à titre de représentant divisionnaire et des mesures dont il allègue avoir été victime au cours de ces nombreuses années de militantisme.

13 Le défendeur a encore une fois fait objection à cet aspect du témoignage de M. Delisle concernant les mesures alléguées subies sur la base de la pertinence. Le plaignant a répondu qu'il devrait pouvoir faire la preuve d'une culture généralisée de représailles ou d'un « pattern » de représailles contre les employés qui s'opposent à la gestion ou qui dénoncent toute situation au travail. Ce témoignage a donc été entendu sous réserve que le lien causal puisse être établi entre ces différentes situations et la situation en l'espèce.

14 M. Delisle a donc fait état de mesures de représailles qu'il allègue avoir subit à raison de ses activités au bénéfice des membres de la GRC, telles des suspensions sans explications,  suspensions sans solde, suspensions avec solde hors du lieu de travail, assignations à des tâches et responsabilités qui ne correspondent pas à ses niveau et qualifications (« une mise sur la tablette ») et promotions déniées. Selon le témoin ces mêmes mesures auraient aussi été prises contre le plaignant et contre M. Dupuis en raison de ces mêmes activités à titre de représentant divisionnaire.

15 Lise Tremblay est infirmière retraitée de l'hôpital Notre-Dame à Montréal. Elle n'a relaté que son expérience personnelle quant aux impressions et perceptions des gens en général. L'employeur a fait objection à ce témoignage et j'ai retenu l'objection. Ce témoignage n'est pas lié à la présente affaire et n'est pas pertinent.

16 Lyne Fillion est caporale et membre de la GRC depuis 22 ans. Basée à Montréal depuis sept ans, elle a travaillé régulièrement à Ottawa à la section des protections des hauts dignitaires, tant pour des assignations de routine journalières que des visites officielles. Elle est qualifiée comme chauffeur de convois motorisés, bien qu'elle n'en soit pas une spécialiste. Elle a expliqué que ce travail de convoi présente un danger constant. Peu importe l'évaluation du risque, la vigilance doit demeurer la même. Mme Fillion a également expliqué la nature de ce travail, les outils requis, dont les systèmes essentiels de communication et leur importance, ainsi que les procédures de communication. Elle a travaillé avec le plaignant en 2000 à Moncton et a témoigné qu'à cette occasion, le travail s'était très bien déroulé.

17 Le défendeur a fait objection à la pertinence du témoignage de Mme Fillion en ce qui a trait au danger inhérent au travail de convoi et l'importance des communications. En effet, il n'est pas question de décider à ce point-ci des procédures de la validité de la plainte originale en vertu de l'article 133 du CCT. Le Comité de santé et sécurité au travail a fait sa détermination et a jugé la plainte valide. L'objection a été retenue.

18 En 2000, à la suite d'une formation en médiation, Mme Fillion a été médiatrice occasionnelle pour le service des MARC (Modes alternatifs de résolution des conflits). Elle y a travaillé avec le coordonnateur de la division, Benoît St-Pierre. De septembre 2001 jusqu'en avril 2002, elle y fut temporairement assignée. Elle a témoigné qu'en janvier 2002 il y a eu une demande de M. Héroux pour procéder à une concertation en milieu de travail visant la section de l'informatique. Elle a déclaré avoir participé avec M. St-Pierre à la conception du processus, aux discussions préalables avec M. Héroux, à la présentation du processus aux employés de la section de l'informatique et aux entrevues. Elle a indiqué que deux autres médiateurs, Luc Beaucage et Benoît Roy, ont aussi participé au processus des entrevues. Un rapport a été rédigé et a été remis en avril 2002.

19 Mme Fillion a témoigné que dans le cadre de ce processus, des allégations ont fait surface en ce qui concernait des agissements du plaignant qui travaillait dans cette division et des craintes de certains employés. Étant donné la nature de ces allégations et du fait qu'elles venaient de plus d'une personne, l'équipe des quatre médiateurs en a discuté et a pris la décision de communiquer ces craintes au commandant par intérim, Jean-Pierre Witty. Mme Fillion a affirmé qu'elle n'a jamais reçu instruction de M. Héroux, ou de qui que ce soit, pour espionner ou surveiller le plaignant. En contre-interrogatoire, elle a affirmé que lors des discussions préalables avec M. Héroux qui ont menées au processus de concertation, il n'a jamais été question de la sécurité au Sommet des Amériques en avril 2001. Elle a également affirmé qu'il n'a jamais été question de la plainte au Comité de santé et sécurité au travail du plaignant dans le déroulement du processus.

20 Mme Fillion a de plus expliqué le processus de rédaction du rapport et l'aspect confidentiel des données recueillies lors des entrevues. Elle a insisté sur le fait que ce processus n'en est pas un d'enquête. Il s'agit de faire une collecte d'information pour faire une analyse et une évaluation d'un milieu de travail et de demander aux participants des suggestions pour son amélioration. Le groupe des médiateurs n'a aucun pouvoir d'imposer des solutions ni de mettre en ouvre les solutions proposées par les participants. Les médiateurs peuvent jouer un rôle par la suite s'il est jugé par les participants que des services de médiation sont appropriés. Ces médiations sont alors offertes à certains individus qui veulent y participer.

21 Dans le cas du plaignant, celui-ci a communiqué avec Mme Fillion à la suite du dépôt du rapport pour obtenir des précisions sur les allégations visant son comportement. Il y a eu une rencontre au bureau du plaignant. Celui-ci cherchait de l'information sur le processus de concertation et sur la formation et l'expérience de Mme Fillion en la matière. Cette rencontre a mal tourné selon le témoin. Elle s'est rendu compte que le plaignant voulait noter toutes les questions et ses réponses. Elle a alors refusé de procéder ainsi, insistant pour que la rencontre demeure informelle tout comme le processus de concertation. Le plaignant se serait alors choqué et lui aurait révélé qu'il avait enregistré l'entrevue à son insu. Elle a alors quitté le bureau du plaignant. Elle a déclaré ne pas avoir eu connaissance d'autres suivis qui auraient été faits après son départ.

22 Benoît St-Pierre est membre civil à la GRC depuis 29 ans. Il travaille au service des MARC depuis sept ans et en est le coordonnateur. À ce titre, il se rapporte directement au commandant. Le témoin a brièvement expliqué le service, ses ressources et son fonctionnement.

23 M. St-Pierre travaillait au service de l'informatique avant de prendre ce poste au service des MARC. Il a témoigné que, durant son séjour au service de l'informatique, il a été témoin de plusieurs incidents, dont une plainte de harcèlement, et de plusieurs conflits interpersonnels. Plusieurs des gens impliqués ne sont plus dans ce service. Le défendeur a fait objection à ce témoignage sur la base de la pertinence et du fait que le témoin n'est pas la personne appropriée pour témoigner des détails de ces affaires puisqu'il ne s'agit que de ouï-dire. L'objection a été maintenue.

24 M. St-Pierre a expliqué à son tour le processus de concertation en milieu de travail et l'élaboration du rapport. Il a affirmé que les gens n'y participent que volontairement. Il a ajouté que l'entente avec les participants est que ce qui est dit par chacun demeure anonyme. La confidentialité des données de base du rapport doit être assurée pour que le processus réussisse. Cette règle de confidentialité peut être enfreinte si des participants font des menaces durant le processus qui pourraient porter atteinte à des individus, ou si les médiateurs sont informés que certains craignent pour leur sécurité. Cette information est alors communiquée à la personne appropriée. Cette personne fait alors les démarches qu'elle juge appropriées. Les médiateurs n'ont pas à faire la preuve des allégations qui leur sont communiquées; ce n'est pas leur rôle. L'engagement qu'ils ont envers la gestion est seulement de lui communiquer de tels renseignements. En réponse à une question précise du plaignant, M. St-Pierre a indiqué que d'être qualifié de service de renseignements pour le commandant est une interprétation du plaignant.

25 Bien que le plaignant ait assigné ce témoin et lui avait demandé d'apporter avec lui le dossier de concertation, les notes transitoires et les autres notes prises relativement à cette concertation, celui-ci n'a pas produit ces documents. Étant donné la nature confidentielle de ce processus et la nature confidentielle de ces notes le témoin s'opposait à leur dépôt. J'ai constaté le manquement et, vu l'argument du témoin, et surtout vu le manque de pertinence de ces documents en ce qu'ils pourraient éclairer l'affaire qui nous préoccupe, je n'en ai pas ordonné le dépôt. Le plaignant allègue que c'est la tenue de cet événement qui constitue  représailles contre sa dénonciation des conditions de travail au Sommet des Amériques et qui lui a causé préjudice. Le contenu des entrevues tenues lors de cet exercice et le rapport et les notes des médiateurs ne sont pas pertinents au présent dossier.

26 En contre-interrogatoire M. St-Pierre a expliqué qu'en janvier 2002, M. Héroux a demandé à le rencontrer pour discuter de conflits dont il avait connaissance dans le service de l'informatique. C'est alors que M. St-Pierre lui a présenté le processus de concertation en milieu de travail. M. Héroux s'est dit d'accord pour procéder ainsi. M. St-Pierre a affirmé que lors de cette rencontre, il a spécifiquement demandé à M. Héroux de ne pas lui donner de détails de sa propre perception des conflits dans le milieu de travail. Il a affirmé qu'il s'agit là d'une technique typique et normale à l'initiation d'un tel processus. Selon lui, c'est lors des entrevues que ces détails doivent être révélés. Après le dépôt du rapport, il y eu cinq ou six médiations à la demande de certains participants. Il n'y a pas eu de médiation avec le plaignant, bien qu'il ait déclaré qu'il était disposé à le faire si quelqu'un demandait de rencontrer un médiateur avec lui.

27 M. St-Pierre a affirmé également qu'il n'a jamais été question de la plainte concernant les communications et la sécurité des convois au Sommet des Amériques en avril 2001. Enfin, il a confirmé que le plaignant avait déposé plusieurs griefs contre lui et les membres de l'équipe de concertation à la suite du processus et que toutes les demandes d'information par la voie de la Loi sur l'accès à l'information par le plaignant étaient dûment traitées par le service approprié.

28 Luc Beaucage est membre de la GRC depuis 29 ans. M. Beaucage a été membre de l'équipe de concertation. Il a participé à la présentation du processus au milieu de travail. Il y a souligné l'importante distinction qui doit être faite entre ce processus et le processus d'enquête criminel. Il a également fait des rencontres avec les participants et il a fait des médiations. Il a confirmé avoir pris des notes et les avoir remises à M. St‑Pierre. Toutefois, il a expliqué qu'il avait pris l'engagement auprès des participants de détruire ses notes une fois l'information y figurant allait être colligée pour les fins du rapport avec celle des autres participants. Il s'agissait là de sa compréhension du processus et de la pratique en cette matière. Ceci est conforme à la formation qu'il a reçue à ce sujet. Il a indiqué qu'il s'agissait d'un premier processus de ce genre dans ce milieu de travail.

29 M. Beaucage a précisé que, si au cours d'un tel processus qui est confidentiel, de l'information fait surface voulant que la vie ou la sécurité de qui que ce soit puisse être en danger, il a le devoir et l'obligation d'agir et de communiquer cette information à la personne appropriée, en l'occurrence M. St-Pierre et l'équipe de concertation. C'est ce qu'il a fait. L'équipe a alors pris la décision de communiquer les allégations au commandant par intérim, M. Witty. À partir de ce moment, la responsabilité relevait entièrement de ce dernier et l'équipe a continué son travail.

30 André Girard est sergent d'état-major et membre de la GRC depuis 1976. Il est représentant divisionnaire. M. Girard a témoigné à son tour de situations dont il a eu connaissance impliquant des membres qui sont envoyés à la maison tout en étant payés, mais qui n'ont rien à faire. Le défendeur a fait objection au motif que ceci n'est pas pertinent au présent dossier. Le plaignant a répondu qu'il tente encore une fois d'établir le « pattern » du sort qui est réservé aux gens qui déposent des plaintes de quelque nature. Selon lui, il s'agit d'un subterfuge à un mécanisme disciplinaire, et il doit lui être permis de faire la preuve de son existence. La question a donc été permise sous réserve de la pertinence et de la valeur probante à accorder à cet aspect du témoignage de M. Girard. Le plaignant a été avisé qu'il devrait tout de même établir un lien avec les faits du présent dossier. Par ailleurs, j'ai mis le plaignant en garde de s'en tenir à une preuve de « pattern » en relation avec le subterfuge de mesures disciplinaires et de se tenir à l'écart de toute question de relations de travail pour lesquelles la Commission n'a nullement compétence en regard de la GRC.

31 M. Girard a affirmé qu'à sa connaissance, des superviseurs ont dit à des employés de rester à la maison et de ne pas se présenter au travail. D'autres se sont vus confier des mandats « bidon ». Ils sont en quelque sorte mis sur la tablette avec des tâches banales eu égard à leurs tâches régulières ou pour lesquels ils ont été formés ou pour lesquels ils ont des aspirations d'avancement. Selon lui, aucune loi ou politique ne donne une telle autorité aux gestionnaires. Il a maintenu qu'il existe cette culture de représailles au sein de la GRC contre ceux qui font valoir leurs droits ou qui se plaignent de quoi que ce soit contre la gestion.

32 Le plaignant a ensuite voulu déposer son dossier médical, chose à laquelle le défendeur s'est objecté. Selon le plaignant, puisqu'il était perçu comme dangereux, la meilleur façon de se décharger de son fardeau était de déposer son dossier médical, démontrant que selon des tests et évaluations psychologiques tel n'était pas le cas. Ces éléments sont apparus dans le cadre du processus de concertation en 2002 et ne sont pas présents dans le cadre des événements entourant le Sommet des Amériques et la plainte découlant qui est la source de la présente plainte pour représailles. J'ai conclu que cette preuve ne serait pas pertinente au dossier qui nous préoccupe, d'autant plus que le médecin du plaignant n'était pas présent lors de l'audience en mars 2006 pour témoigner et se soumettre au contre-interrogatoire du défendeur. L'objection a été maintenue.

33 Lors de la reprise de l'audience en octobre 2006, le plaignant a fait témoigner le Dr Mitchell Pantel, médecin chef à la division C depuis deux ans et demi. Le plaignant cherchait ainsi à faire la preuve qu'il est toujours victime de représailles de la part de l'employeur en ce qu'on lui refuse des traitements médicaux, dont des traitements dentaires. En mars 2005, le plaignant a fait une demande au Dr Pantel concernant un problème dentaire qui remonte selon lui à son initiation dans la GRC en 1980 et des dommages causés à ses dents. Selon son dentiste et lui, il nécessitait de nouveau traitements car le stress généré par la situation depuis le Sommet des Amériques provoquait une usure indue de ses dents. Le Dr Pantel a affirmé avoir pris cette demande de traitements au sérieux. Il a fait les démarches nécessaires pour acheminer la demande de manière appropriée puisqu'une demande de cette nature ne concerne pas ses responsabilités de médecin. Comme il n'est pas dentiste, il ne peut évaluer la situation ni faire de recommandations de traitements. Pour ce qui est des services d'un psychologue, il a référé le plaignant comme il se doit.

34 Le Dr Pantel a été avisé le 19 décembre 2005 que le plaignant ferait une plainte contre lui. Le Dr Pantel a alors avisé son supérieur, qui lui a confirmé que la réponse qu'il avait fournie au plaignant était correcte et qu'il ne devait pas intervenir dans le dossier. Selon ses notes au dossier, le dossier du plaignant était en « isolation ». Il n'a pas été en mesure d'expliquer cette note.

35 Ce témoignage vise toutefois des faits qui ont eu lieu après le dépôt de la présente plainte en octobre 2004.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour le plaignant

36 Le plaignant a commencé son argumentation en relatant la chronologie des faits dans ce dossier. Je lui ai alors rappelé que je l'avais invité, plus d'une fois, à témoigner de sa propre version des faits et de ses sentiments par rapport aux représailles qu'il allègue avoir subies. Il a été avisé que tout ce qu'il dirait à compter du moment où il présentait ses arguments ne pourrait servir en preuve. Le plaignant a décliné cette nouvelle invitation à témoigner. Je lui ai alors indiqué qu'il pouvait procéder à sa chronologie des événements dans le seul but de présenter ses arguments, le mettant en garde qu'à ce point-ci de l'audience seuls les arguments seraient retenus. Je lui ai rappelé que sa preuve avait été présentée uniquement par la voie de ses témoins et par une preuve documentaire sur laquelle j'ai émis plusieurs réserves. Je ne tiens donc pas pour prouvés les faits relatés par le plaignant dans le seul cadre de son argumentation.

37  Le plaignant a déclaré que les événements qui ont eu lieu lors du Sommet des Amériques à Québec en avril 2001 sont à l'origine de son recours devant la Commission. Les représailles dont il dit avoir été victime remontent au dépôt de sa plainte en vertu du CCT le 8 novembre 2001.

38 En bref, il était essentiel pour lui d'avoir les outils appropriés pour accomplir sa mission de coordonnateur de convoi motorisé. Les outils qui ont été mis à sa disposition étaient défectueux, mettant ainsi en danger les membres de son équipe, les personnes à sa charge, dont de hauts dignitaires étrangers, et lui-même. Il s'est retrouvé en situation de risque et a déclaré avoir eu peur. Il a dénoncé cette situation. En conséquence, il a subi, et continue de subir, des représailles.

39 Le plaignant a décrit en détails le déroulement des journées du 15 au 22 avril 2001 et les procédures prescrites pour ces opérations de transport de hauts dignitaires. Les communications se sont avérées un élément essentiel de ces procédures et un système de radio à fréquences inappropriées a, pour le moins, compliqué les choses pour le coordonnateur de convoi. Il a décrit des événements pour appuyer ses allégations voulant que son convoi s'est retrouvé à risque, qu'il était très stressé et qu'en bout de ligne, il s'est retrouvé en état de choc. Ces éléments n'ont toutefois pas été mis en preuve et ne sont pas pertinents à la présente plainte de représailles, puisque la décision du Comité de santé et sécurité au travail n'est pas en jeu ici.

40 Selon le plaignant, ce n'est qu'en octobre 2001, vu son état de choc, qu'il a réalisé l'ampleur de la situation. En novembre 2001, il a alors fait une plainte au Comité de santé et sécurité au travail. Le 17 décembre 2001, le Comité a jugé la plainte fondée. Le 20 décembre 2001, M. Héroux a été avisé de la décision du Comité et le 7 janvier 2002, M. Héroux a initié un processus de concertation en milieu de travail avec l'assistance des services de médiation de la GRC, les MARC. Le plaignant a fait remarquer le délai très court qui s'est écoulé entre la notification par le Comité de santé et sécurité au travail du bien fondé de sa plainte et la décision de M. Héroux de procéder à cette concertation en milieu de travail. Il s'agit quant à lui d'une indication claire, d'une preuve de concertation pour représailles contre lui, liées au dépôt de sa plainte.

41 Au soutien de son argument, le plaignant a soulevé également plusieurs éléments du processus de concertation en milieu de travail qu'il qualifie de lacunes. Entre autres, le fait que M. Beaucage a confirmé que tous les questionnaires de l'enquête en milieu de travail avaient été détruits, que plusieurs commentaires des participants n'avaient pas été vérifiés et qu'un tel processus n'avait jamais été utilisé auparavant. Selon le plaignant, c'est la preuve d'une concertation contre lui.

42 Le plaignant a également décrit des événements relatifs à des plaintes de harcèlement en milieu de travail et au port de son arme à feu sur les lieux de travail. Toutefois, encore là, aucune preuve n'a été présentée devant moi en ce sens. Il a également été question d'un processus de mutation qui aurait été initié par M. Héroux en mai 2002, puis en octobre 2002, alors que le plaignant aurait commencé du télétravail. J'ai dû mettre de côté tout cet aspect de l'argumentation du plaignant qui n'avait pas été prouvé.

43 Selon lui, la preuve a révélé que lors de l'enquête en milieu de travail, plusieurs participants ont déclaré avoir eu peur du plaignant à un certain moment. Selon le plaignant, ces allégations ont été mal gérées par M. Héroux et les responsables des MARC. Ceux-ci auraient réagi de manière exagérée, sans avoir vérifié les faits et sans avoir donné la chance au plaignant d'être confronté à ces allégations et de fournir une réponse et explication. Il s'agirait d'une autre preuve d'une concertation aux fins de représailles à son égard.

44 C'est à la lumière de toute cette série d'événements qui se sont produits à la suite du dépôt de sa plainte au Comité de santé et sécurité au travail en novembre 2001 que le plaignant a conclu aux représailles. Selon lui, il n'y a pas d'autres raisons; il y a corrélation entre ces actes et il est convaincu qu'une personne raisonnable pourrait également conclure qu'il a été sujet de représailles en raison de sa plainte.

45 Selon le plaignant, il fait l'objet d'isolement et est étiqueté de « phobique social ». Cette situation d'isolement systématique a été confirmée, selon lui, par le témoignage du Dr Pantel. C'est la raison pour laquelle il a fait une plainte à la CCDP. Malgré tout ce qui s'est passé et les représailles qu'il a dû subir, il est demeuré dans la GRC car, selon lui, il ne peut trouver d'emploi ailleurs étant donné qu'il ne peut compter sur les références de la GRC pour appuyer sa candidature.

46 Il a déclaré avoir subi un préjudice et des dommages moraux. Le défendeur a selon lui eu recours à des tactiques déloyales et humiliantes et a agi de mauvaise foi. Il a demandé que ce tribunal lui accorde une somme de 20 000 $ pour dommages.

B. Pour le défendeur

47 Le défendeur a jugé bon de commencer son argumentation en clarifiant le rôle de la Commission à l'égard du présent dossier. Selon lui, il ne s'agit pas de déterminer s'il y a eu harcèlement, ni de déterminer s'il y a des problèmes de relations au travail, problèmes avec la culture de l'organisation ou problèmes de relations de travail dans cette organisation. Il ne s'agit pas non plus de déterminer si les griefs d'autres individus sont valables ou si les pratiques de l'organisation en matière de relations de travail sont légitimes, ni même de déterminer si la plainte initiale au Comité de santé et sécurité au travail était bien fondée ou non. Il s'agit seulement de déterminer si, conformément à la définition de représailles édictée par l'article 147 du CCT, le plaignant a été ou non victime de représailles.

48 Le défendeur a présenté deux objections préliminaires. Selon lui, la présente plainte pour représailles est hors délai. Le paragraphe 133(2) du CCT prévoit que la plainte doit être déposée dans les 90 jours de la date où le plaignant a pris connaissance de l'acte de représailles. Dans le présent cas, la plainte a été déposée en octobre 2004, alors que les événements relatés par le plaignant remontent en janvier 2002 avec l'initiation de la concertation en milieu de travail et son rapport en octobre 2002, soit deux ans avant le dépôt de la plainte pour représailles. La plainte est assurément hors délai.

49 De plus, la plainte serait à sa face même sans fondement. Les agissements relatés ne rencontrent pas la définition de l'article 147 du CCT. Aucune mesure disciplinaire à l'égard du plaignant n'a été mise en preuve. Le processus de concertation en milieu de travail n'est pas un acte disciplinaire.

50 Enfin, il a soutenu que le plaignant n'a pas démontré le lien entre les événements relatés et qualifiés de représailles et la plainte faite en 2001. Le défendeur m'a demandé de rejeter la plainte puisque le plaignant ne s'est pas déchargé de son fardeau de la preuve. Le plaignant devait me convaincre que la mesure découlait de la plainte. Or, il n'y a pas de preuve que le processus de concertation, même s'il était considéré de nature disciplinaire, a été fait à cause de la plainte du plaignant. Le motif plus raisonnable de cette intervention serait plutôt l'existence de conflits dans le bureau. Bien que le plaignant ait tenté de faire la preuve d'une culture de représailles systémique à l'égard de différentes personnes au travail par les supérieurs, il n'y a aucune preuve qui établisse le lien qui devait être fait dans le présent dossier.

51 Le défendeur a souligné qu'en grande partie, la preuve présentée par le plaignant constitue de l'ouï-dire de faible valeur probante et, plus souvent qu'autrement, elle n'était pas pertinente au dossier. Il a rappelé qu'il a soulevé de nombreuses objections et que bien qu'il n'ait pas présenté de contre-preuve, je ne devrais pas en tirer de conclusion au détriment du défendeur.

52 Enfin, le défendeur a souligné que le processus n'en est pas un de révision du système des relations de travail à la GRC. Les pratiques du défendeur à l'égard des employés qui participent à différents comités ne font pas l'objet de la présente audience et le fait que certains aient ou non subi des représailles en conséquence de ces activités ne démontre pas que le plaignant a subi des représailles en conséquence du dépôt de sa plainte.

53 En conclusion, bien que la preuve de représailles soit souvent difficile à établir, le choix du plaignant de ne pas témoigner milite en faveur d'une conclusion voulant qu'il ne pouvait faire cette preuve même à sa face même et que le défendeur n'a donc pas eu à présenter de preuve.

54 Quant à l'indemnisation pour dommages demandée par le plaignant, il n'y a aucune preuve au dossier de ce préjudice. Selon le défendeur, le plaignant a confondu les pouvoirs du commissaire de déterminer s'il y a eu représailles en vertu du CCT, de ceux des pouvoirs qui lui sont attribués en lien avec une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le commissaire n'a pas ici les pouvoirs d'accorder des dommages.

IV. Motifs

55 La question de la compétence de la Commission en matière de plaintes en vertu de la partie II du CCT et son application aux membres réguliers de la GRC demeure et se doit d'être clarifiée.

56 Cette compétence  a été confirmée, sous les législations antérieures, par le juge Kennedy dans R. v. Canada (Solicitor General) [2000] N.S.J. No. 293, alors qu'il concluait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] J'en arrive à cette conclusion tout en sachant que cela signifie que la C.R.T.F.P., dont la compétence ne s'étend pas à la G.R.C. pour ce qui est de déterminer les droits à la négociation collective, devra se saisir de plaintes en matière de santé et de sécurité au travail qui concernent cet employeur.

[…]

57 La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a rejeté l'appel de cette décision ([2001] N.S.J. No. 623) et la Cour suprême a refusé une demande d'appel ([2001] S.C.C.A No. 173).

58 Le CCT de même que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP)  ont été modifiés depuis cette décision. Le paragraphe 123(2) du CCT prévoit maintenant que sa partie II visant les questions de santé et sécurité au travail s'applique à l'administration publique fédérale et aux personnes qui y sont employées, dans la mesure prévue à la partie 3 de la nouvelle LRTFP.

59 L'article 239 de la nouvelle LRTFP (partie 3) prévoit ce qui suit :

   239. Pour l'application de la présente partie, « fonction publique » s'entend au sens du paragraphe 11(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

60 Et enfin, le paragraphe 11(1) dela Loi sur la Gestion des finances publiques prévoit ce qui suit :

« fonction publique » L'ensemble des postes qui sont compris dans les entités ci-après ou qui en relèvent :

[…]

b) les autres secteurs de l'administration publique fédérale figurant à l'annexe IV;

[…]

[La Gendarmerie royale du Canada étant l'un des organismes énumérés à l'annexe IV.]

61 Il faut donc conclure que pour les fins de l'application de la partie II du CCT, la Commission a compétence en matière de plaintes des employés et des membres réguliers de la GRC visant la santé et la sécurité au travail en vertu de la partie 3 de la LRTFP et en vertu de la Loi sur la Gestion des finances publiques et son annexe IV qui fait du Conseil du Trésor l'employeur à ces fins. Les conclusions du juge Kennedy ont donc été confirmées par les récents changements législatifs.

62 La question à résoudre en l'instance est de déterminer si le plaignant a été victime de représailles en conséquence de sa dénonciation des conditions dangereuses de travail dans lesquelles il s'est retrouvé lors du Sommet des Amériques à Québec en avril 2001, circonstances qui, selon lui, mettaient en péril la santé et la sécurité de sa personne, de son équipe de travail et des personnes à sa charge.

63 L'article 147 du CCT prévoit :

147. Il est interdit à l'employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s'il ne s'était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre - ou menacer de prendre - des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné - ou est sur le point de le faire - dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l'exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

64 Le plaignant devait donc démontrer :

  1. qu'il a exercé ses droits en vertu de la partie II du CCT (l'article 147);
  2. qu'il a subi des représailles (articles 133 et 147 du CCT);
  3. ">que ces représailles sont de nature disciplinaire telles que définies dans le CCT (l'article 147);
  4. qu'il existe un lien direct entre l'exercice de ses droits et les mesures subies.

65 Il est à noter que le plaignant n'a pas exercé un droit de refus en vertu du paragraphe 128(1) du CCT et il ne bénéficie donc pas de la présomption en sa faveur prévue au paragraphe 133(6) du CCT. Le fardeau de la preuve lui appartenait entièrement.

66 Le défendeur a fait objection sur la base des délais pour le dépôt de la plainte. Le paragraphe 133(2) du CCT prévoit que la plainte doit être déposée dans les 90 jours de la date où le plaignant a pris connaissance de l'acte de représailles, soit 90 jours à compter du dépôt du rapport sur l'évaluation du milieu de travail en octobre 2002, selon le défendeur. De plus, celui-ci a soutenu que les agissements relatés ne pourraient être qualifiés de représailles selon la définition de l'article 147 du CCT. Enfin, le défendeur a soutenu que le plaignant n'a pu démontrer le lien entre les événements relatés, qu'il qualifie de représailles, et la dénonciation faite en 2001.

67 J'ai retenu ces objections du défendeur et j'ai conclu que la plainte est hors délai et que les agissements allégués ne peuvent être qualifiés de représailles selon l'article 147 du CCT. De plus, le plaignant n'a pas fait la preuve du lien entre ses allégations de représailles et sa plainte de novembre 2001.

68 La plainte est datée du 9 octobre 2004, elle est constituée d'une description des événements ayant eu lieu lors du Sommet des Amériques à Québec en avril 2001 et relate une série d'événements constituant, selon le plaignant, des mesures de représailles. Il s'agit d'un document de 16 pages auquel sont joints huit documents. Les événements qui y sont décrits, que le plaignant cherchait à démontrer lors de l'audience, relèvent presque tous de circonstances entourant l'évaluation du milieu de travail, comment on y a procédé et ce qu'elle a révélé. Ce processus a été initié le 7 janvier 2002 par M. Héroux, soit moins d'un mois après la décision du Comité de santé et sécurité au travail le 17 décembre 2001 qui donnait raison à la plainte du 8 novembre 2001. Cette initiative en milieu de travail s'est terminée par le dépôt d'un rapport en avril 2002. Elle a été suivie d'un allégué processus de mutation du plaignant en octobre 2002, qui n'a pas été prouvé.

69 La présente plainte, datée du 9 octobre 2004, soit deux ans après la fin du processus de conciliation et de mutation du plaignant, est clairement hors délai et le plaignant n'a démontré aucune circonstance pouvant expliquer ce retard dans le dépôt de la plainte. Le plaignant n'a pas non plus fait le lien avec la mesure disciplinaire imposée contre lui en août 2003, mesure qui, de toute façon, date de plus d'un an avant le dépôt de sa plainte en octobre 2004.

70 Au contraire, il semble avoir été très actif en déposant d'autres griefs ou plaintes dont une plainte à la CCDP et, selon l'annexe « F » de la plainte du 9 octobre 2004, une plainte en déontologie contre M. Héroux le 10 juillet 2003. Pour ces raisons, je dois accueillir l'objection du défendeur. La plainte peut être rejetée pour ce seul motif. Toutefois, je me pencherai également sur la deuxième objection du défendeur et son argument relatif au lien manquant.

71 Le plaignant a soutenu que le processus d'évaluation du milieu de travail était directement lié au dépôt de sa plainte au Comité de santé et sécurité au travail et à la décision de ce comité, et qu'il servait de représailles contre lui. La preuve, selon lui, demeure le court délai entre la décision du Comité de santé et sécurité au travail et l'initiation de ce processus. Il s'agit d'un lien bien ténu. Cette coïncidence dans le temps n'établit pas à elle seule le lien de causalité nécessaire. Le plaignant avait le fardeau de prouver ses allégations de représailles et le fardeau de démontrer qu'elles étaient liées à sa dénonciation. Le seul court délai ne peut établir ce lien et la violation du CCT. Le plaignant a d'ailleurs reconnu dans sa plaidoirie que des employés avaient eu peur de lui dans la période suivant le Sommet des Amériques et qu'il souffrait d'un choc post-traumatique à la suite de ces événements. Selon la balance des probabilités, ces éléments pourraient expliquer l'intervention de l'employeur par une évaluation du milieu de travail alors que le plaignant n'a pas su démonter qu'il s'agissait plutôt de représailles.

72 De plus, ce processus d'évaluation du milieu de travail en tant que tel et la décision de l'initier ne constitue pas une mesure de représailles telle que définie à l'article 147 du CCT :

147. Il est interdit à l'employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s'il ne s'était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre - ou menacer de prendre - des mesures disciplinaires contre lui […]

[…]

73 La preuve n'a pas démontré qu'il s'agissait de mesures déguisées. Il en va de même de la question du refus de lui rembourser certains traitements dentaires et autres (sans compter que ces derniers faits auraient eu lieu en 2005). Sur la base de ces deux éléments, la plainte est sans fondement.

74 Quant à la question de la mutation en octobre 2002, la preuve fait défaut et je ne peux conclure, dans les circonstances, à l'existence d'un « pattern » de mesures disciplinaires déguisées sur la base de ouï-dire et de situations variées qui ne prouvent pas qu'il s'agisse ici d'un cas du genre.

75 Le plaignant a décrit dans sa plainte différents événements qui, selon lui, constituaient des représailles. Dans sa plaidoirie il a fait état de ses activités à titre de représentant des membres et il a soutenu que tous ceux qui jouent ce rôle auprès de leurs collègues subissent des représailles ou un traitement différentiel relativement à ces activités. Puisque la Commission n'a pas compétence sur les activités liées aux relations de travail à la GRC, je ne peux me prononcer sur les activités du plaignant à titre de représentant de ses collègues de travail et les allégations de représailles que les activités auraient pu avoir engendrées contre le plaignant. La plainte qui est devant moi a été déposée en vertu du CCT et c'est à ce seul titre que je me prononce.

76 Le plaignant a toutefois choisi de présenter cette preuve qui visait à établir un « pattern », une façon de faire par certains gestionnaires, alléguant qu'il avait été victime de ces mêmes procédés de représailles pour avoir eu recours aux dispositions du CCT en matière de santé et sécurité au travail, ce qui aurait déplu à son gestionnaire. Je ne peux arriver à cette conclusion sur la base de la preuve présentée devant moi. Le lien causal n'a pas été prouvé et je ne peux conclure à une violation du CCT. Si représailles il y a eu, elles pourraient avoir eu d'autres causes toutes aussi plausibles. J'ai d'ailleurs noté que le plaignant avait reconnu, dans le cours de sa plaidoirie, que des mesures avaient été prises par son supérieur de l'époque pour s'assurer que la situation qui s'est produite lors du Sommet des Amériques ne se reproduirait pas. La plainte a donc été prise au sérieux et des gestes concrets auraient été posés à la suite des difficultés soulevées par le plaignant.

77 En conclusion, le plaignant n'a pas démontré que, selon toute probabilité, il a été victime de représailles illégales telles que définies à l'article 147 du CCT en lien avec le dépôt de sa plainte concernant l'opération défectueuse des radios utilisées dans les convois lors du Sommet des Amériques à Québec en avril 2001.

78 Pour ces motifs, la Commission rend l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

79 La plainte est rejetée.

Le 16 mai 2007.

Sylvie Matteau,
vice-présidente

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