Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont été tenus, à la demande de l’employeur, de suivre une formation reliée à leur travail dispensée à l’extérieur de la région de leur lieu d’affectation -- l’employeur a admis que la séance de formation était obligatoire -- les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait une demande d’indemnisation pour le temps supplémentaire dépassant leurs heures normales de travail pour le temps de formation, le temps de déplacement entre leur lieu de résidence et le lieu de formation et/ou le temps de déplacement entre le lieu de séjour et le lieu de formation -- l’employeur a accepté de rémunérer les heures de formation en dehors de l’horaire régulier des fonctionnaires s’estimant lésés mais a refusé de rémunérer le temps de déplacement entre leur lieu de résidence et le lieu de formation et/ou le temps de déplacement entre le lieu de séjour et le lieu de formation -- les fonctionnaires s’estimant lésés avaient reçu l’autorisation de voyager pour ces activités et leurs frais ont été remboursés comme s’ils étaient au travail -- la décision de l’employeur d’envoyer son personnel suivre une formation obligatoire avait deux conséquences : 1) de reconnaître que cette formation constituait du travail aux fins de la rémunération ; 2) de reconnaître que son personnel devait être rémunéré selon les règles applicables à tout autre déplacement relié au travail -- en acceptant de rémunérer les heures de formation en dehors de l’horaire régulier, l’employeur a expressément reconnu que la formation était assimilable au travail -- l’arbitre de grief a décidé que le principe de l’estoppel ne s’appliquait pas. Griefs accueilis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-06-07
  • Dossier:  166-32-35752 à 35761
  • Référence:  2007 CRTFP 60

Devant un arbitre de grief


ENTRE

YVES LAMOTHE ET AL.

fonctionnaires s'estimant lésés

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
Lamothe et al. c. Agence canadienne d'inspection des aliments

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Frédéric Durso, avocat

Pour l'employeur:
Karl G. Chemsi, avocat

Affaires entendues à Québec (Québec)
le 30 janvier 2007.

I. Griefs renvoyés à l'arbitrage

[1] Il s'agit de dix griefs individuels renvoyés à l'arbitrage par des employés de l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'Agence), membres de l'unité de négociation du groupe de la médecine vétérinaire. Ils occupent des postes de vétérinaire aux niveaux VM-01 ou VM-02 dans la région du Québec au Service de l'hygiène des viandes ou au Service de la santé des animaux.

[2] Les fonctionnaires s'estimant lésés (les fonctionnaires) ont été tenus, à la demande de l'employeur, de suivre une formation reliée à leurs fonctions de vétérinaire dispensée à l'extérieur de la région de leur lieu d'affectation. Ils ont fait une demande d'indemnisation pour le temps supplémentaire dépassant leurs heures normales de travail pour le temps de formation, le temps de déplacement entre le lieu de résidence et le lieu de la formation et/ou le temps de déplacement entre le lieu de séjour et le lieu de formation.

[3] L'employeur a rémunéré le temps de formation dépassant les heures normales de travail, mais a refusé de rémunérer le temps de déplacement entre le lieu de résidence et le lieu de formation et/ou le temps de déplacement entre le lieu de séjour et le lieu de formation. Certains de ces fonctionnaires ont eu à voyager à l'extérieur de leur horaire normal de travail, soit au début et en fin de la journée de formation, soit pendant leurs jours de repos. Les fonctionnaires ont présenté des griefs contestant les refus d'indemnisation, de là l'objet du présent renvoi à l'arbitrage.

[4] Il y a lieu d'ajouter que les fonctionnaires ont obtenu de l'employeur l'autorisation de se déplacer, conformément aux pratiques habituelles de voyage. Ils ont été remboursés pour les frais occasionnés par leurs déplacements, conformément à la Directive sur les voyages émise par le Secrétariat du Conseil du trésor du Canada.

[5] Les griefs individuels en question ont été déposés avant le 1er avril 2005.

[6] Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l' « ancienne Loi »).

[7] L'effet des dispositions transitoires de la Loi sur la modernisation de la fonction publique fait en sorte que les griefs présentés sous le régime de l'ancienne Loi sont traités par un arbitre de grief qui dispose des pouvoirs dont disposait un arbitre de grief sous le régime de l'ancienne Loi.

II. Résumé de la preuve

[8] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, dont voici un résumé succinct :

          a. Yves Lamothe travaille à Rivière-du-Loup. Il s'est rendu à Winnipeg pour une formation du 3 au 12 février 2004. Il réclame 7,5 heures pour s'être rendu à la formation et 5,75 heures pour le retour. Il réclame également 30 minutes de déplacement (15 minutes pour l'aller, 15 minutes pour le retour) entre son hôtel et le centre de formation pour chacune des journées de formation, puisqu'il était tenu de faire du covoiturage dans un véhicule loué par l'Agence (Dossier de la CRTFP 166-32-35752).

          b. Claude Favreau travaille à St-Henri. Il s'est rendu à la Gare maritime de Québec pour une formation qui a eu lieu du 22 au 24 mars 2004. Il réclame le temps de déplacement d'une heure le 22 mars 2004 pour se rendre à la formation et le temps de déplacement d'une heure pour le retour à domicile le 24 mars 2004. Ce déplacement dépassait son horaire normal de travail (Dossier de la CRTFP 166-32-35753).

          c. Katie Bernard travaille à St-Jean Baptiste. Elle s'est rendue à Montréal pour une formation qui a eu lieu du 5 au 8 avril 2004. Elle réclame le temps de déplacement pendant une journée normale de travail pour les heures qui ont dépassé son horaire normal de travail pour chacune des journées où elle s'est rendue à Montréal, aller-retour chaque jour (Dossier de la CRTFP 166-32-35754).

         d. Sonja Laurendeau travaille à Lévis. Elle s'est rendue à St-Hyacinthe le 26 février 2004 pour une formation. Elle réclame du temps de déplacement pour le retour à St-Hyacinthe pour la période d'une heure et demie qui a dépassé son horaire normal de travail (Dossier de la CRTFP 166-32-35755).

          e. Normand Bélair travaille à Vallée-Jonction. Il s'est rendu à St-Hyacinthe pour une formation qui a eu lieu le samedi 17 avril 2004 de 9 h à 16 h. Il réclame le temps de déplacement de 4 heures pour se rendre au lieu de formation (3,5 heures effectuées le vendredi 16 avril, après ses heures de travail pour se rendre à Beloeil - résidence temporaire et le lendemain 0,5 heure de Beloeil à St-Hyacinthe), ainsi que le temps de déplacement de 3 heures pour le retour à domicile. Le samedi est un jour de repos pour M. Bélair (Dossier de la CRTFP 166-32-35756).

          f. Pâquerette Dufour travaille à St-Hénédine. Elle s'est rendue à St-Hyacinthe pour une formation qui a eu lieu le samedi 17 avril 2004 de 9 h à 16 h. Elle réclame le temps de déplacement de 2 heures pour le 17 avril 2004, entre son domicile et le lieu de formation, ainsi que le temps de déplacement de 2 heures le même jour pour le retour à domicile. Le samedi est un jour de repos pour Mme Dufour (Dossier de la CRTFP 166-32-35757).

          g. Carl Gagnon travaille à St-Hyacinthe. Il s'est rendu à Winnipeg pour une formation du 3 au 12 février 2004. Il réclame 30 minutes de déplacement (15 minutes pour l'aller, 15 minutes pour le retour) entre son hôtel et le lieu de formation pour chacune des journées de formation, puisqu'il était tenu de faire du covoiturage dans un véhicule loué par l'Agence.(Dossier de la CRTFP 166-32-35758).

          h. Karine Nadeau travaille à Lévis. Elle s'est rendue à Winnipeg pour une formation du 3 au 12 février 2004. Elle réclame 4,25 heures pour se rendre à la formation le 2 février et 0,25 heure pour le retour à son domicile le 13 février 2004. Elle réclame également 30 minutes de déplacement (15 minutes pour l'aller, 15 minutes pour le retour) entre son hôtel et le centre de formation pour chacune des journées de formation, puisqu'elle était tenue de faire du covoiturage dans un véhicule loué par l'Agence (Dossier de la CRTFP 166-32-35759).

          i. Jocelyne Gauthier travaille à St-Henri. Elle s'est rendue à St-Hyacinthe pour une formation qui a eu lieu le samedi 17 avril 2004 de 9 h à 16 h. Elle réclame le temps de déplacement de 2 heures pour le 17 avril 2004, entre son domicile et le lieu de formation, ainsi que le temps de déplacement de 2 heures le même jour pour le retour à domicile. Le samedi est un jour de repos pour Mme Gauthier (Dossier de la CRTFP 166-32-35760).

          j. Hélène Gagnon travaille à Rimouski. Elle s'est rendue à Montréal pour une formation du 9 au 13 février 2004. Elle réclame le temps de déplacement de 3,5 heures pour le dimanche 8 février 2004 entre son domicile et le lieu de formation, et le temps de déplacement de 5,25 heures pour le samedi 14 février 2004, pour le retour à domicile. Le dimanche et le samedi sont des jours de repos pour Mme Gagnon (Dossier de la CRTFP 166-32-35761).

[9] Un seul témoin a été entendu, Michel Gingras, négociateur pour l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l'Institut).

[10] M. Gingras a participé, à titre de porte-parole, aux négociations collectives pour l'Institut depuis la création de l'Agence comme employeur distinct en 1999. Il a négocié la convention collective qui fait l'objet des présents griefs (dont la date d'expiration est le 30 septembre 2003, ci-après « la convention collective de 2003 ») et qui était encore en vigueur au moment où les griefs ont été présentés en mars 2004. Au moment de la négociation de la convention collective de 2003, la stipulation B7.08 n'a pas été modifiée parce qu'aucun problème particulier n'avait été soulevé par l'une ou l'autre des parties concernant son interprétation. Apparemment, le texte de la stipulation B7.08 a été modifié dans la plus récente convention collective pour tenir compte du différend qui fait l'objet de ces griefs (maintenant la stipulation B8.08).

[11] Le différend concernant l'interprétation de la stipulation B7.08 résulte  d'un courriel provenant de la Direction des ressources humaines en date du 23 décembre 2003 (Pièce P-4), qui dit interpréter correctement la convention collective de 2003 en ce qui a trait au paiement des heures supplémentaires et du temps de déplacement pour assister à des cours :

Paiement des heures supplémentaires et/ou du temps de déplacement pour assister à des cours

Le but de cette note de service est d'assurer l'uniformité dans l'interprétation des conventions collectives.

Récemment, plusieurs employés ont participé à des cours de formation SCOMP/MCOMP, manuel de référence pour les gestionnaires. Il semble y avoir confusion sur le paiement d'heures supplémentaires et/ou le paiement du temps de déplacement pour assister à de la formation.

On entend par formation obligatoire toute formation que l'employé est tenu de suivre à la demande de l'employeur pour exercer les fonctions actuelles de son poste ou pour lui permettre de répondre à des besoins futurs constatés par l'employeur.

Pour les employés de l'AFPC les clauses de la convention collective stipulent que les employés n'ont pas droit à la rémunération des heures supplémentaires les jours où les employés sont uniquement en formation. Toutefois, si l'employé exerce ses fonctions habituelles pendant ses heures de travail normales, il a droit au tarif des heures supplémentaires pour les heures de formation qui suivent la période de huit (8) heures de travail. En conséquence, l'employé n'a pas le droit à la rémunération des heures supplémentaires les jours où il est uniquement en formation.

Également, l'article 33.06  stipule que la rémunération n'est pas accordée à  l'employé pour se rendre à des cours ou à de la formation sauf lorsqu'il est tenu par l'employeur d'y assister.

Les conventions collectives de l'IPFPC (VM/S&A) (IN) stipulent que l'employé ne peut pas réclamer d'heures supplémentaires ni de temps de déplacement lorsqu'il participe ou qu'il se rend à des cours ou séances de formation.

Cette application des clauses de conventions collectives prend effet immédiatement.

[12] Le 26 janvier 2004, en réponse à ce courriel, M. Gingras a écrit à la gestionnaire des relations de travail de l'Agence, lui soulignant que l'interprétation actuelle de l'employeur de la stipulation sur le temps de déplacement et les heures supplémentaires relativement à des cours qu'il impose diffère sensiblement d'une interprétation antérieure concernant les mêmes cours ou des cours semblables. À son courriel, M. Gingras joint un autre document en date du 16 janvier 2003 dans lequel l'employeur, par l'entremise de M. Hillier, vice-président aux Opérations de l'Agence, accepte de payer le temps supplémentaire et le temps de déplacement concernant un cours obligatoire donné à Winnipeg du 4 au 11 février 2003 :

[Traduction]

Il y a quelques semaines, vous avez envoyé un message à Larry au sujet du cours MAE et des montants payables pour les heures supplémentaires. Je sais qu'on a donné suite à ce message puisque Larry en a discuté avec les DE (y compris moi-même).

La Section nationale de la formation émettra des consignes qui seront, pratiquement, les mêmes que celles de l'an dernier - c'est du moins ce que je comprends de la situation c'est-à-dire que les deux présentations qui ont eu lieu le soir seront payées comme des heures supplémentaires (à l'exception du temps du banquet); il en va de même pour la partie du trajet supérieure à celle d'une journée normale de travail (jusqu'au et depuis le laboratoire).

Mon opinion est que la Section nationale de formation fera bientôt connaître sa position là-dessus et ajoutera cette information à celle qu'elle remet aux participants avant le début du cours.

[13] M. Gingras a ajouté que contrairement à la pratique passée, l'employeur n'a pas consulté l'agent négociateur avant de mettre de l'avant sa plus récente interprétation de la convention collective. M. Gingras a précisé que la pratique passée de l'employeur était de considérer la participation à des cours de formation imposés comme du service commandé; le temps supplémentaire et le temps de déplacement étaient payés comme s'il s'agissait d'un jour de travail. Par conséquent, la rémunération du temps supplémentaire et du temps de déplacement n'a jamais fait l'objet de griefs auparavant.

[14] Le témoignage de M. Gingras n'a pas été contredit. L'employeur n'a présenté aucun témoin.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour les fonctionnaires s'estimant lésés

[15] Les fonctionnaires plaident que l'employeur a changé unilatéralement l'interprétation donnée par le passé à la stipulation B7.08 de la convention collective de 2003.

[16] La participation à des cours de formation à la demande de l'employeur se distingue de la promotion professionnelle qui permet à un employé de prendre un congé payé afin de parfaire ses connaissances professionnelles. Ils estiment qu'ils doivent être considérés au travail pendant une période de formation obligatoire, puisqu'ils sont susceptibles de recevoir une sanction s'ils n'y assistent pas.

[17] L'annonce au préalable par l'employeur qu'il ne paierait pas le temps de déplacement, n'a pas l'effet de suspendre l'application de la convention collective de 2003 par rapport aux employés qui n'ont pas le choix d'assister à la formation demandée.

[18] En l'absence d'une preuve contraire de l'employeur, les fonctionnaires plaident que les points suivants du témoignage de M. Gingras doivent être retenus :

  1. Le temps de déplacement pour assister à une formation à la demande de l'employeur a été rémunéré par le passé, tel qu'en fait foi la note de service de M. Bill Teeter concernant la formation donnée en 2003 et à la même pratique pour l'année antérieure;
  2. La stipulation B7.08 avait été renouvelée à plusieurs reprises sans modification en raison de la pratique passée de l'employeur de payer le temps de déplacement pour les formations obligatoires;
  3. La stipulation B7.08 (devenue la stipulation B8.08) a été clarifiée lors des dernières négociations pour tenir compte de la position de l'employeur dans les présents griefs.

[19] Les principes de la doctrine d'estoppel s'appliquent aux faits de la présente affaire. Par le passé, l'employeur a associé la période de formation à du travail et a rémunéré le temps supplémentaire et le temps de déplacement, de sorte que la question ne s'est jamais posée avant la présentation des présents griefs. Compte tenu de cette interprétation, l'agent négociateur, à son détriment, n'a jamais cherché à modifier les dispositions de la convention collective pour répondre à cette situation.

[20] La doctrine d'enrichissement injustifié s'applique aussi aux circonstances de la présente affaire. L'employeur qui demande le sacrifice du temps personnel à son profit sans rémunération s'enrichit au détriment des employés qui se trouvent corrélativement appauvris, alors que ce déséquilibre ne repose sur aucun fondement juridique.

[21] Les fonctionnaires plaident qu'ils devraient avoir droit au temps de déplacement entre le lieu de séjour et le lieu de formation parce que durant cette période, l'employeur contrôlait l'usage de leur temps à compter de l'heure du départ, le temps de transport et l'heure du retour, contrairement à la liberté qu'ils auraient autrement eu pour se rendre au lieu de formation par leurs propres moyens. Ce facteur a été retenue par la jurisprudence comme motif pour rémunérer ce temps.

[22] Contrairement à ce que prétend la Direction des ressources humaines, il n'y a eu aucune confusion par le passé concernant le paiement d'heures supplémentaires et/ou le paiement du temps de déplacement pour assister à une formation. Au contraire, le courriel de M. Teeter concernant le cours de Winnipeg en 2003 fait référence à une pratique passée de rémunérer les fonctionnaires pour les déplacements associés à une formation obligatoire.

[23] L'agent négociateur a cité les arrêts suivants au soutien de sa position : Leroux c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et Accise), dossier de la CRTFP No. 166-2-23192 (19940516); Ménard c. Canada (C.A.F.), [1992] A.C.F. 624; Lapierre c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), dossier de la CRTFP No. 166-2-22301 (19930415); Lévesque c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans : Garde côtière canadienne) dossier de la CRTFP No. 166-2-27426 (19970718); Chicorelli c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP No. 166-2-23844 (19940114); Landry c. la Bibliothèque du Parlement, dossiers de la CRTFP Nos. 466-LP-213 et 466-LP-214 (19930518).

B. Pour l'employeur

[24] L'employeur soutient que la stipulation B7.08 de la convention collective de 2003 est sans équivoque. Le temps de déplacement à l'occasion de séances de formation n'est pas rémunéré. La convention collective de 2003 ne fait aucune distinction entre les types de cours. Le temps passé à suivre une formation n'est pas assimilable à du temps de travail, et par conséquent, selon la convention collective de 2003, le temps de déplacement n'est pas rémunéré.

[25] Le temps de déplacement rémunéré pour le cours à Winnipeg en 2003 était particulier à cette séance de formation. Cette exception ne justifie pas la rémunération pour le temps de déplacement pour toutes les formations futures. Une exception ne constitue pas une norme. Dans le cas de la formation donnée en 2004, l'employeur a clairement énoncé son interprétation de la convention collective de 2003 avant que les fonctionnaires y assistent. Les fonctionnaires n'ont pas été induits en erreur.

[26] Le temps de déplacement entre le lieu de séjour et la formation n'est pas couvert par la convention collective. Il n'est jamais rémunéré car il équivaut au temps de déplacement pour se rendre au travail. Je dois tenir compte uniquement du déplacement tel que prévu à la convention collective de 2003.

[27] Aucun témoignage d'un fonctionnaire n'est venu appuyer la thèse que se déplacer hors de sa zone d'affectation constitue un préjudice ou que les fonctionnaires ont été autrement appauvris en raison de leur temps de déplacement. Il n'y a eu aucun enrichissement de l'employeur. Au contraire, les fonctionnaires ont obtenu un avantage personnel en assistant à la formation.

[28]  L'employeur soutient que l'interprétation que donnent les fonctionnaires à la convention collective de 2003 dans le cadre du présent arbitrage reflète les dispositions de la nouvelle convention collective négociée après les événements en question. L'employeur est en désaccord que la modification du texte de la stipulation B7.08 (maintenant la stipulation B8.08), qui distingue maintenant la formation à la demande de l'employeur de la promotion professionnelle, ne fait que confirmer une pratique passée. Il s'agit d'un changement majeur obtenu par voie de négociations lors du renouvellement de la toute dernière convention collective.  

[29] L'employeur a cité les décisions suivantes à l'appui de sa position : Mayoh et autres c. Conseil du Trésor (Expansion économique régionale) dossier de la CRTFR No. 166-02-8896-8914 (19801205); Hunt c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans Canada), dossier de la CRTFP No. 166-2-15797 (19860904); Widdifield c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP No. 166-2-21423 (19911024); Lichter c. Conseil du Trésor (Santé et Bien-être Canada), dossier de la CRTFP No. 166-2-17086 (19871026).

IV. Motifs

[30] Compte tenu des dispositions de la convention collective de 2003 des représentations des parties et de la preuve, je suis d'avis que les griefs doivent être accueillis pour les motifs suivants.

[31] La stipulation B7.08 de la convention collective prévoit ce qui suit :

Aux termes du présent article, la rémunération n'est pas versée pour le temps que met l'employé à se rendre à des cours, à des séances de formation, à des conférences et à des colloques, sauf indications contraires à l'article « Promotion professionnelle ».

[32] À prime abord, cette clause est sans équivoque. Les fonctionnaires qui se déplacent pour des cours ou des séances de formation n'ont pas droit au temps de déplacement.  Toutefois, je suis d'avis que dans le contexte des griefs sous étude l'employeur a créé une exception dans le cas où il oblige ses employés à suivre une formation.

[33] Dans sa réponse à tous les griefs au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, l'employeur admet que la séance de formation était obligatoire : « […] à la demande de votre surveillant, vous avez dû vous déplacer afin de suivre une session de formation reliée à vos fonctions de vétérinaire. Bien que j'admette que vous étiez tenu d'assister à cette session de formation […] »

[34] Qui plus est, les fonctionnaires avaient reçu l'autorisation de voyager pour ces activités et leurs frais ont été remboursés comme s'ils étaient au travail. La formation reçue servait à parfaire leurs connaissances professionnelles dans leur domaine d'activités comme vétérinaires et c'est la raison pour laquelle la formation était obligatoire.

[35] Même si la participation à des cours de formation n'est pas une tâche quotidienne de la fonction de vétérinaire, la participation à une telle activité n'est pas étrangère au travail d'un fonctionnaire dont la tâche nécessite une constante mise à jour de ses connaissances. Ceci ressort du témoignage de M. Gingras et des pièces déposées qui font état de formations annuelles pour ce groupe professionnel.

[36] J'estime que la décision de l'employeur d'envoyer son personnel suivre une formation obligatoire avait deux conséquences. La première était de reconnaître que cette formation constituait du travail aux fins de la rémunération; la deuxième était de reconnaître que son personnel devait être rémunéré selon les règles applicables à tout autre déplacement relié au travail. Dans ce cas-ci, en acceptant de rémunérer les heures de formation en dehors de l'horaire régulier, l'employeur a expressément reconnu que la formation était assimilable au travail. Il est inconséquent pour l'employeur de maintenant dissocier le temps de déplacement de ce constat en invoquant d'autres dispositions de la convention collective qui interdisent la rémunération pour le déplacement pour assister à des cours de formation. Comme la formation constituait du travail, le voyage effectué en vue d'y assister et d'en revenir est une des conséquences de la décision de l'employeur d'envoyer son personnel suivre de la formation. Les fonctionnaires ont donc le droit d'être rémunéré pour leur déplacements aux mêmes conditions que s'ils étaient en service commandé.

[37] Il y a aussi lieu de souligner qu'au moment où l'employeur a déclaré qu'il n'allait pas rémunérer le temps de déplacement, il n'offrait pas l'option aux fonctionnaires de suivre ou non la formation, compte tenu des nouvelles conditions qu'il appliquait à leur déplacement. En conséquence, les fonctionnaires n'ont eu de choix que de se conformer à la demande de l'employeur d'assister à la formation et de déposer des griefs par la suite, selon la maxime « obéir d'abord, se plaindre ensuite ».

[38] Je tiens compte aussi que la notion de rémunérer le temps de déplacement pour des activités d'apprentissage n'est pas une pratique complètement étrangère aux activités usuelles de l'employeur lorsqu'il envoie ses employés à des activités qui servent à assurer la mise à jour ponctuelle de leurs connaissances ou lorsqu'elles contribuent à l'avancement du savoir dans la matière reliée à leurs fonctions.

[39] Par exemple, la stipulation C19 de la convention collective de 2003 (« Promotion professionnelle ») prévoit au sous-paragraphe C19.02d) qu'un fonctionnaire qui participe à une conférence pour représenter les intérêts de l'employeur est réputé être en fonction, et, au besoin, en situation de déplacement, tandis que le sous-paragraphe C19.02f) prévoit exceptionnellement qu'il a droit à une rémunération pour des heures supplémentaires pour le temps en voyage à destination ou en provenance, le cas échéant, lorsqu'il participe à cette activité. Les dispositions se lisent comme suit : …

d) L'employé qui assiste à une conférence ou à un congrès à la demande de l'Employeur pour représenter les intérêts de l'Employeur est réputé être en fonctions et, au besoin, en situation de déplacement. L'Employeur défraie les droits d'inscription à la conférence ou au congrès lorsque l'employé est obligé d'y assister.

[…]

f) L'employé n'a pas droit à une rémunération en vertu des articles B3 (Heures supplémentaires) et B7 (Temps de déplacement) pour les heures passées à la conférence ou au congrès et pour celles passées en voyage à destination ou en provenance d'une conférence ou au congrès et pour celles passées en voyage à destination ou en provenance d'une conférence ou d'un congrès, conformément aux dispositions de la présente clause, sauf dans les circonstances prévues en d) ci-dessus.

[mes soulignés]

[40] Bien que le mot « conférence »  n'est pas définit dans la convention collective de 2003, ni l'expression « pour représenter les intérêts de l'employeur », il n'est pas déraisonnable d'associer les conditions selon lesquelles un fonctionnaire assiste à une conférence où il représente les intérêts de l'employeur à une formation où il assiste à la demande de l'employeur.  Dans un cas comme dans l'autre, le fait que l'employeur accepte de rémunérer le temps supplémentaire et le temps de déplacement suppose que la présence du fonctionnaire a comme objectif de bonifier la qualité de son travail afin qu'il puisse mieux s'acquitter de ses obligations, ce qui en retour, assurera une meilleure qualité des services fournis par l'employeur à sa clientèle.

[41] Sans décider que les dispositions des sous-paragraphes C19.02d) et f) de la convention collective de 2003 s'appliquent à la situation actuelle, je suis d'avis que cette analogie permet de justifier dans le cas des grièfs sous étude des conditions parallèles à celles où l'employeur accepte habituellement de rémunérer le temps de déplacement pour les activités d'apprentissage lorsque les activités servent ses intérêts.

[42] Quant au déplacement des fonctionnaires entre leur lieu de séjour et le centre de formation, lorsque l'employeur impose le mode de transport, les heures de départ et de retour, je suis également d'avis que ce temps doit être rémunéré. Le temps d'un employé qui se déplace de son domicile à son travail n'est pas la même chose que le temps que met un employé à se déplacer pour se rendre à une activité de formation selon un horaire dicté par l'employeur. Dans le premier cas, l'employé est libre de son temps et peut choisir de se déplacer à sa guise, selon ses propres contraintes. Dans le deuxième, il est contraint par l'employeur quant au moment et à la durée du transport et ne peut choisir de faire autre chose. Il est à la complète disposition de l'employeur pendant cette période.

[43] Que ce soit le temps de déplacement pour se rendre à la formation ou le déplacement entre le lieu de séjour et le lieu de formation, je suis tout particulièrement persuadée par la décision de la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans Landry c. Bibliothèque du Parlement, dossiers de la CRTFP Nos. 466-LP-213 et 466-LP-214 (19930518), dont les faits s'apparentent à ceux de la présente affaire. Dans cette affaire, l'arbitre de grief a retenu que le temps de déplacement pour se rendre à un cours suivi à la demande de l'employeur devait être rémunéré pour les motifs suivants :

En examinant la question de savoir si un employé exécute un travail, il y a lieu de se demander qui contrôle l'usage du temps personnel de l'employé?  Si dans une situation donnée c'est l'employeur, il ne peut le faire qu'aux prix d'une rémunération. En effet il m'apparaît que toute autre conclusion équivaudrait à dire qu'en dépit du temps convenu à la convention collective, un employeur pourrait dicter à un employé l'usage qu'il fera de son temps personnel (en l'occurrence le samedi et le dimanche) sans pour autant devoir le rémunérer en conséquence. À ce compte là un employeur pourrait exiger d'un employé qu'il voyage tous les dimanches pendant six mois pour suivre un cours de formation le lundi sans avoir à le rémunérer en retour et ce, dans l'ignorance la plus complète d'une disposition de la convention collective qui reconnait le droit de l'employé à deux jours de repos.

On ne peut assimiler le temps de déplacement pour se rendre à un cours suivi à la demande d'un employeur au temps de déplacement d'un employé pour se rendre au travail. Dans le premier cas, l'employé n'est pas maître de son temps et se déplace pour exécuter une exigence de l'employeur tandis que dans le deuxième cas, il est maître de son temps et peut en user comme bon lui semble, c'est-à-dire qu'il peut choisir de se déplacer et retourner chez lui ou il peut faire tout autre chose.

En acceptant de travailler pour un quelconque employeur, un individu accepte de mettre son temps personnel sous le contrôle de l'employeur et ce, en retour d'un salaire convenu à la convention collective et rémunéré sur la base des heures de temps personnel auxquelles renonce cet individu afin d'exécuter, selon les directives de l'employeur, la prestation de travail qui sera exigée de lui. […]

[44] Je considère que les décisions suivantes citées par les parties ne sont pas aussi persuasives que la décision Landry. Dans Leroux, où l'employeur a changé d'avis après deux semaines et a refusé de rembourser les frais de déplacement à une fonctionnaire qui suivait des cours de formation linguistique; dans Lévesque, où l'employeur a changé sa politique d'entretenir les cabines des officiers à bord des navires; ou dans Chicorelli, où le fonctionnaire a eu droit au paiement de ses heures supplémentaires pour avoir suivi une formation obligatoire. Les décisions suivantes n'ont pas servie à me convaincre de la position de l'employeur : Mayoh et autres, où la politique de l'employeur était plus généreuse que la convention collective et par conséquent le fonctionnaire n'avait aucun droit à une rémunération pour son temps de déplacement; Hunt, où le fonctionnaire n'a pas eu droit au taux des heures supplémentaires parce que le travail qu'il réclamait ne faisait pas partie de ses tâches; Widdifield, où le fonctionnaire n'a pas eu droit au taux des heures supplémentaires pour la planification de ses voyages pendant qu'il était en statut de voyage; Lichter,  où la fonctionnaire n'a pas eu droit au taux des heures supplémentaires pour son retour à sa zone d'affectation puisqu'elle ne faisait que voyager et ne travaillait pas pendant cette période.

[45] Quant à l'argument d'estoppel mis de l'avant par l'agent négociateur, je suis d'avis que ce principe ne s'applique pas à cette affaire puisqu'il n'y a aucune preuve que les fonctionnaires ont accepté de se rendre à la formation en raison des représentations de l'employeur qu'il allait rembourser leur temps de déplacement. Par ailleurs, les dispositions de la convention collective ont maintenant résolu toute ambiguïté concernant le paiement des frais de déplacement pour les cours obligatoires. Compte tenu de mes conclusions concernant les griefs sous étude, la question de l'ambiguïté latente et l'application de la doctrine d'enrichissement sans cause sont maintenant sans objet.

[46] Je renvoie la question du montant du redressement à l'entente des parties. Toutefois, je demeure saisie de cette affaire pour une période de 60 jours, au cas où ils ne réussissaient pas à s'entendre.

[47] Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

[48] Les griefs sont accueillis.

Le 7 juin 2007.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.