Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Apprenant directement du procureur de la Couronne que des accusations au criminel avaient été déposées contre le fonctionnaire s’estimant lésé pour des événements survenus 18 mois plus tôt, la direction a suspendu ce dernier sans traitement pour une période indéfinie en attendant les résultats d’une enquête - cette décision a été maintenue à plusieurs reprises - le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté sa suspension au motif qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire - l’administrateur général a répliqué qu’aucune mesure disciplinaire n’avait encore été prise au sujet du fonctionnaire s’estimant lésé et que la suspension en attendant l’issue de l’enquête était une mesure administrative - au moment de l’audience d’arbitrage de grief, les accusations au criminel n’avaient pas encore été réglées et cela faisait près de sept mois que le fonctionnaire était suspendu sans traitement - l’arbitre de grief a jugé que la suspension sans traitement était une << mesure >> disciplinaire au sens de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et qu’elle constituait une sanction en l’espèce - il a estimé que l’enquête disciplinaire n’était pas suffisamment approfondie pour permettre l’obtention de renseignements suffisamment fiables sur lesquels fonder les décisions de maintenir la suspension sans traitement du fonctionnaire s’estimant lésé - la preuve produite par l’administrateur général comportait beaucoup de ouï-dire, que l’on ne peut utiliser pour prouver les faits pertinents déterminants sur lesquels s’appuyaient les décisions de prolonger la suspension - l’administrateur général n’a pas non plus produit de témoins clés mêlés à la décision initiale de suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé ou à l’enquête disciplinaire - la preuve contredisait certaines des hypothèses sur lesquelles étaient fondées les décisions de maintenir la suspension du fonctionnaire s’estimant lésé - la direction n’a pas procédé à une évaluation sérieuse du risque qu’il y avait à conserver le fonctionnaire s’estimant lésé au travail en attendant la résolution des accusations au criminel et n’a envisagé aucune autre option que la suspension - l’arbitre de grief a jugé que les décisions de maintenir la suspension du fonctionnaire s’estimant lésé sans traitement n’étaient pas justifiées - il a estimé que, dans les circonstances, un mois aurait été suffisant pour mener une enquête disciplinaire sérieuse et a ordonné la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé avec tous les avantages, plus le versement d’intérêts, rétroactivement à compter d’un mois après la suspension initiale. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-07-11
  • Dossier:  566-02-417
  • Référence:  2007 CRTFP 70

Devant un arbitre de grief


ENTRE

BALKAR SINGH BASRA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Paul Love, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur:
Ken Graham, Secrétariat du Conseil du Trésor Amita Chandra, avocate et Harvey A. Newman, avocat

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique),
les 25, 26 et 27 octobre 2006.

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Balkar Singh Basra est agent correctionnel (CX-01) à l'établissement de Matsqui du Service correctionnel du Canada (le « SCC »), à Abbotsford, en Colombie-Britannique. Il conteste la suspension indéfinie qui lui a été imposée par le SCC le 3 avril 2006 :

[Traduction]

[…]

Le 3 avril 2006, Randie Scott, directeur par intérim de l'établissement de Matsqui, m'a suspendu indéfiniment sans traitement en attendant les résultats d'une enquête. Je conteste cette sanction disciplinaire injustifiée, excessive et non fondée en fait et en droit.

[…]

2 M. Basra réclame sa réintégration immédiate, le retrait de toute mention de la sanction disciplinaire et des enquêtes de son dossier, le paiement de tout le traitement perdu depuis sa suspension, les crédits de tous les congés qui se seraient accumulés, un dédommagement pour les heures supplémentaires qu'il n'a pas pu faire, le rétablissement des crédits de pension qu'il aurait pu gagner, plus les intérêts.

3 L'affaire a été renvoyée à l'arbitrage en vertu de l'alinéa 209(1)b) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22.

Résumé de la preuve

4 M. Basra travaillait à l'établissement de Matsqui depuis qu'il a été nommé pour une période indéterminée, le 24 août 1999. Cet établissement de la Région du Pacifique, un pénitencier à sécurité moyenne d'une capacité de 350 détenus, a un effectif de 250 employés.

5 Le 24 août 1999, M. Basra a signé une déclaration attestant qu'il avait reçu les Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada (les « Règles de conduite professionnelle ») (pièce E-4) ainsi que le Code de discipline du Service correctionnel du Canada (le « Code de discipline ») (pièce G-17), en s'engageant à respecter les normes de professionnalisme et d'intégrité précisées dans ces documents (pièce E-5).

6 La définition d'un agent de la paix qui figure dans le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, comprend un gardien au sens de la Partie I de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Dans sa lettre de nomination, datée du 10 août 1999 (pièce E-3), M. Basra était informé qu'il était un agent de la paix.

7 L'« Introduction du Commissaire » des Règles de conduite professionnelle se lit en partie comme suit :

[…]

En tant que fonctionnaires, nous devons rendre compte de nos gestes au Ministre et au Parlement, et nous sommes par le fait même responsables devant tous les Canadiens. Par le comportement que nous affichons, nous devons toujours prouver que nous sommes dignes de confiance et en mesure d'assumer les responsabilités de l'organisme. À titre d'employés du secteur correctionnel, nous devons nous acquitter d'une obligation particulière, soit celle de nous assurer que tout ce que nous faisons dans le cadre de nos fonctions, qu'il s'agisse de tâches administratives ou de contacts directs avec les délinquants, contribue à la protection de la société. Le respect de cette obligation essentielle représente un défi très exigeant, mais aussi très stimulant. Il appartient à chacun d'entre nous de répondre à des normes élevées d'honnêteté et d'intégrité et d'aborder notre travail dans un esprit d'ouverture, de compassion et de coopération. Ce sont là les caractéristiques du professionnalisme.

[…]

8 Le SCC a publié le Code de discipline (pièce G-17), qui contient des règles particulières, dont la « Règle deux - Conduite et apparence » qui se lit en partie comme suit :

[…]

Infractions

Commet une infraction l'employé qui :

[…]
  • se conduit d'une manière susceptible de ternir l'image du Service, qu'il soit de service ou non;
  • est coupable d'un acte criminel ou d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire en vertu d'une loi du Canada ou d'une province ou territoire pouvant jeter le discrédit sur le Service ou saper son rendement ultérieur au Service;
  • omet d'avertir son supérieur, avant de reprendre ses fonctions, qu'il a été accusé d'une infraction criminelle ou d'une infraction à une loi;
[…]

9 Le défendeur a fait comparaître un seul témoin, Glen Brown, le directeur de l'établissement de Matsqui. Le contre-interrogatoire de M. Brown, incluant l'examen des documents produits en pièces dans ce contexte, a révélé que M. Basra avait atteint les objectifs de rendement qui lui avaient été fixés par le SCC pour diverses périodes d'évaluation du 1er novembre 1999 au 30 septembre 2005 (pièces G-6, G-7, G-8, G-9, G-10 et G-11). Il a reçu des lettres d'éloges de M. Brown (pièce G-12) et du sous-commissaire (pièce G-13) pour le rôle qu'il a joué en empêchant une tentative d'évasion en septembre 2001. Sa fiche de présence au travail est excellente (pièce G-2). Le défendeur ne conteste pas que M. Basra est un bon employé.

10 M. Brown a reçu de P.A. Insley, coordonnateur de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels/procureur à la Direction de la justice pénale du ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique, une lettre datée du 24 mars 2006 (pièce E-7). Cette lettre décrivait certaines circonstances et contenait une copie d'une déclaration sous serment enregistrée le 17 mars 2006 alléguant que M. Basra aurait sexuellement agressé une plaignante le 10 septembre 2004, à Surrey, en Colombie-Britannique, enfreignant ainsi l'article 271 du Code criminel. La lettre contenait la synopsis suivante des allégations :

[Traduction]

[…]

D'après le rapport de police, M. Basra serait entré en contact avec la plaignante en clavardant. Ils s'étaient ensuite rencontrés pour une soirée où ils avaient bu et visité diverses boîtes. À leur deuxième rencontre, ils étaient chez M. Basra, où ils ont bu quelques verres avant de sortir pour souper. Après avoir avalé quelques gorgées du troisième verre que M. Basra lui avait versé, la plaignante a commencé à se sentir mal, étourdie et désorientée. Quand elle s'est réveillée le lendemain matin, elle était nue dans le lit de M. Basra. Elle était incapable de se rappeler la plus grande partie de ce qui s'était passé dans la soirée précédente après avoir commencé à boire son troisième verre.

M. Basra se serait présenté sous un faux nom à la plaignante, mais la police a réussi à le localiser à partir du relevé de téléphone cellulaire de celle-ci. Quand il a été interrogé par la police, M. Basra a nié avoir eu des relations sexuelles avec la plaignante, voire la connaître, et il a refusé de donner un échantillon d'ADN. La police a obtenu un mandat pour obtenir cet échantillon; elle a pu prouver que l'ADN de M. Basra correspondait à celui d'un échantillon prélevé sur la plaignante.

Un mandat d'arrestation a été émis contre M. Basra. Vous voudrez peut-être communiquer avec le Greffe de la Cour provinciale de Surrey […] si vous avez besoin de précisions sur le traitement de l'affaire.

Ces renseignements vous sont communiqués conformément à notre politique; vous voudrez peut-être les acheminer à M. Basra, pour lui permettre d'y réagir devant l'instance appropriée.

[…]

11 L'accusation porte sur un comportement criminel que M. Basra aurait eu pendant ses heures de loisirs 18 mois avant la déposition sous serment. La plaignante n'est pas une employée de l'établissement de Matsqui. Rien n'indique que M. Basra ait été mêlé à quelque problème que ce soit à son lieu de travail ou ailleurs depuis le comportement criminel qu'on lui reproche.

12 La lettre du procureur de la Couronne est le seul document que le SCC ait obtenu durant son enquête. Le SCC n'a obtenu aucune information sur les conditions de libération de M. Basra, ni sur les conditions de sa libération judiciaire provisoire. Je ne sais pas, par exemple, si des restrictions quant à l'utilisation d'armes à feu lui ont été imposées.

13 Quand M. Brown a reçu la lettre du procureur de la Couronne, il n'était pas à l'établissement de Matsqui, dont Randie Scott était alors le directeur par intérim. À leur rencontre du 3 avril 2006, M. Scott a suspendu M. Basra sans traitement pour une période indéterminée, en lui remettant une lettre datée du même jour (pièce E-6). Il est important d'analyser cette lettre, puisqu'elle précise clairement que le SCC allait mener une enquête disciplinaire et que le gestionnaire chargé de l'enquête allait communiquer en temps et lieu avec M. Basra dans ce contexte :

[Traduction]

[…]

La présente lettre a pour but de vous informer que vous êtes désormais suspendu indéfiniment sans traitement en attendant l'issue de l'enquête disciplinaire qui a été organisée pour établir les faits relatifs à votre implication dans l'allégation que vous avez contrevenu aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada.

Nous avons été informés aujourd'hui par un procureur du ministère du Procureur général que vous avez été accusé d'agression sexuelle en vertu de l'article 271 du Code criminel du Canada.

Durant votre suspension, il vous est interdit d'entrer dans les locaux du SCC sans l'autorisation du directeur ou de son représentant.

Le gestionnaire chargé de l'enquête communiquera avec vous en temps et lieu.

[…]

14 Dans un courriel (pièce G-3) qu'il a envoyé le 3 avril 2006 à Donna Mynott, agente des Ressources humaines à l'établissement de Matsqui, M. Scott expliquait qu'il avait passé la lettre en revue avec M. Basra lors de leur rencontre ce jour-là. Pendant la rencontre, M. Basra avait déclaré spontanément qu'il s'agissait d'une allégation datant de 2004, qu'il avait pleinement coopéré au départ, n'avait plus rien entendu dire depuis un an et demi et croyait que c'était une affaire classée. M. Scott l'a informé qu'on allait mener une enquête officielle sur sa conduite, en lui disant de l'appeler s'il avait des questions.

15 M. Scott n'a pas été appelé à témoigner par le défendeur. Si l'on en croit le texte de la lettre de suspension et son courriel du 3 avril 2006, M. Scott semble avoir suspendu M. Basra sans lui avoir d'abord parlé pour tirer au clair les faits relatifs à l'infraction alléguée, sans prendre connaissance du dossier de M. Basra au SCC et même sans parler à quiconque parmi ses superviseurs ou ses collègues pour l'aider à évaluer les risques que l'intéressé posait.

16 Le 24 avril 2006, M. Scott a ordonné à Jason Strijack, directeur associé par intérim de l'unité PI/RTC, ainsi qu'à Jim Farrell, agent des enquêtes de sécurité de l'établissement Mountain, d'entreprendre une enquête disciplinaire sur l'implication de M. Basra dans deux allégations (pièce E-8) :

[Traduction]

[…]
  1. Le 17 mars 2006, M. Basra a été accusé d'agression sexuelle en vertu de l'article 271 du Code criminel. Cette agression aurait eu lieu vers le 10 septembre 2004 dans la région de Surrey, en Colombie-Britannique.
  2. Avant de reprendre ses fonctions, M. Basra n'a pas informé son superviseur qu'il avait été accusé d'une infraction au criminel.
[…]

17 Le rapport de l'enquête était censé être déposé au plus tard le 31 mai 2006. Or, aucun des enquêteurs n'a encore rédigé un rapport à ce sujet. M. Brown était absent de l'établissement de Matsqui au moment où l'ordre d'entreprendre l'enquête disciplinaire a été donné.

18 M. Basra a été informé dans une lettre datée du 24 avril 2006 (pièce E-9) de la nomination des enquêteurs et des allégations relatives à l'enquête sous le régime du « Code de conduite professionnelle ». On lui a donné les noms des enquêteurs, mais pas leurs coordonnées. La lettre précisait aussi qu'on allait communiquer avec lui en temps et lieu pour le convoquer à un interrogatoire et lui confirmait son droit d'être accompagné d'un représentant à cette occasion.

19 Ni M. Strijack, ni M. Farrell n'ont jamais parlé directement à M. Basra des allégations; ils ne lui ont pas écrit non plus pour lui demander de se présenter afin d'être interrogé et ne lui ont pas fixé de date à cette fin. Ils n'ont jamais essayé de l'interroger. Le mieux qu'on puisse dire sur l'enquête, c'est que M. Strijack et M. Farrell sont allés de temps à autre à la Cour provinciale de Surrey pour suivre l'évolution de la procédure criminelle contre M. Basra et qu'ils ont téléphoné à la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

20 Le 24 avril 2006, M. Scott a examiné le dossier de suspension sans traitement (pièce E-11) et a conclu que la suspension devait se poursuivre.

21 L'avocat de M. Basra, David B. Clements, a écrit à M. Brown le 27 avril 2006 (pièce E-10). Il déclarait dans sa lettre que ni M. Basra, ni lui-même n'avaient été informés de l'accusation d'agression sexuelle qu'après réception de la lettre de suspension par M. Basra. M. Clements donnait des renseignements sur la nature de la procédure dans sa lettre :

[Traduction]

[…]

Nos services ont été retenus par M. Basra peu après qu'il eut été interrogé par la GRC de Surrey, le 18 novembre 2004, au sujet d'une allégation d'agression sexuelle.

Après sa déclaration à la GRC en novembre 2004, M. Basra a été libéré sur promesse de comparaître le 10 janvier 2005 devant la Cour provinciale de Surrey. Nous avons comparu pour lui ce jour-là et nous avons été informés par un employé du procureur provincial de Surrey qu'aucun rapport n'avait été reçu de la GRC, de sorte qu'aucune accusation n'avait été portée. Nous avons écrit à la Couronne le jour même pour lui demander qu'elle nous informe quand elle recevrait un rapport de la GRC, le cas échéant (voir la lettre ci-jointe).

Par la suite, nous avons communiqué tous les mois avec la Couronne en lui demandant si elle avait reçu un rapport et si elle envisageait de porter des accusations; notre dernière communication à cet égard date du début de mars 2006. Chaque fois, nous avons été informés qu'aucun rapport n'avait été reçu et que, par conséquent, aucune accusation n'avait été portée.

M. Basra a communiqué avec nous dans la troisième semaine de mars 2006 pour nous dire qu'il avait reçu de son employeur une lettre lui indiquant qu'il allait être immédiatement suspendu parce que la Couronne avait déclaré qu'on avait porté une accusation au criminel contre lui. Pourtant, la Couronne ne nous en a jamais informés, en dépit de nos demandes répétées. Nous avons communiqué avec elle pour apprendre que M. Basra avait été accusé le 17 mars 2006 d'une agression sexuelle commise le 10 septembre 2004. Ni nous, ni M. Basra n'étaient au courant de cette accusation avant qu'il ne reçoive sa lettre de suspension.

[…]

22 La preuve révèle clairement que, même si M. Basra savait que la GRC faisait enquête sur l'allégation d'agression sexuelle, M. Scott a été informé de la déposition sous serment avant lui. Le 4 mai 2006, M. Scott a envoyé aux enquêteurs un courriel pour leur dire qu'il avait reçu la lettre de M. Clements, en faisant particulièrement état de l'inaction manifeste du procureur de la Couronne depuis la date de l'infraction. Il écrivait aussi que ni M. Basra, ni M. Clements n'avaient été informés de l'accusation avant la réception de la lettre de suspension.

23 M. Brown a témoigné que le contenu de la lettre de M. Clements n'avait pas influé nettement sur sa décision de maintenir la suspension de M. Basra. Il a déclaré que la nature de l'allégation d'infraction au criminel et le degré de coopération de M. Basra avec la police au cours de l'enquête étaient des questions plus préoccupantes pour le SCC. Il a aussi dit qu'il était moins important pour le SCC que M. Basra l'ait informé ou pas de l'allégation.

24 L'examen de la série de courriels déposés avec celui du 4 mai 2006 (pièce E-14) montre clairement que les enquêteurs n'avaient pas recueilli de nouveaux renseignements, mais s'étaient simplement rendus au tribunal.

25 Un courriel (pièce E-15) a révélé que les enquêteurs n'avaient pas encore communiqué directement avec M. Basra le 7 juillet 2006 et qu'ils n'avaient obtenu jusque-là aucun nouveau renseignement de la GRC. Ils s'étaient présentés au tribunal le 6 juillet 2006, et ils ont déclaré que M. Basra allait être mis en accusation le 28 de ce mois.

26 Le 27 juillet 2006, le jour précédant la comparution pour mise en accusation, M. Brown a écrit à M. Basra pour l'informer de sa décision de maintenir sa suspension sans traitement. À ce moment-là, tout ce qu'on savait de nouveau, c'est qu'il y aurait une mise en accusation le lendemain.

27 Le SCC semble avoir eu des réserves au sujet de l'enquête, comme en témoignent certains courriels (pièce E-21). Ainsi, le 28 juillet 2006, Bobbi Sandhu, administratrice régionale de la Sécurité, écrivait à l'inspecteur J.M. McAllister de la GRC pour lui poser les questions suivantes :

[Traduction]

[…]
  1. Quand l'agent correctionnel BASRA a-t-il été informé qu'on faisait enquête sur lui?
  2. Quand l'agent correctionnel BASRA a-t-il été informé des accusations susceptibles d'être portées contre lui?
  3. Quand l'agent correctionnel BASRA a-t-il été formellement accusé de l'infraction?

Un rapport de police nous aiderait à poursuivre l'enquête sur cette question.

Veuillez envoyer les renseignements demandés à la soussignée, qui les fera parvenir à l'équipe disciplinaire responsable.

[…]

28 On n'a déposé aucune preuve que le SCC ait obtenu une réponse de la GRC dans cette affaire. Sur la foi de ce qui m'a été soumis, il est clair que le SCC n'a jamais eu en sa possession un rapport de police ni un document de divulgation par la Couronne au sujet de l'accusation au criminel. On ne m'a avancé aucune explication claire de la raison pour laquelle le SCC n'a pas obtenu d'autres renseignements. Si les enquêteurs avaient été appelés à témoigner, peut-être aurais-je eu de l'information plus claire à l'audience sur leurs tentatives pour tirer les choses au clair.

29 Le 6 septembre 2006, M. Brown a écrit une lettre à M. Basra pour l'informer que sa suspension était maintenue (pièce E-22). Le 11 septembre 2006, M. Farrell a déclaré qu'il s'est présenté au tribunal, que M. Basra n'y était pas, mais qu'il était représenté, et que le procureur de la Couronne n'avait pas fait une divulgation intégrale à la défense.

30 Le 27 septembre 2006, Vince Leblanc, directeur par intérim de l'établissement de Matsqui, a écrit à M. Basra que sa suspension était maintenue (pièce E-26). Tout ce qu'il y avait de nouveau à cette date-là, c'était que M. Farrell et M. Strijack s'étaient présentés au tribunal le 19 septembre 2006 et que le tribunal allait fixer une date pour l'enquête préliminaire. Une réponse de la GRC est mentionnée dans la pièce E-27, mais aucune réponse de la GRC n'a été déposée comme pièce devant moi.

31 Le 5 octobre 2006, M. Basra a été informé dans une note de service de M. Leblanc qu'on réévaluait sa fiabilité à cause de l'accusation d'agression sexuelle (pièce G-20). Le 16 octobre 2006, M. Brown a écrit une lettre à M. Basra pour lui confirmer que sa suspension était maintenue (pièce E-25).

32 En 2006, M. Basra a déposé une plainte protestant contre l'atteinte à sa vie privée par M. Brown. Le SCC a présenté des excuses à M. Basra à ce sujet.

33 Le Secrétariat du Conseil du Trésor a publié des « Lignes directrices concernant la discipline » (pièce G-26) applicables à l'administration publique centrale. Ces Lignes directrices prévoient que, dans le cadre d'une enquête, l'employé a le droit d'être confronté à ce qu'on lui reproche et d'avoir la possibilité de donner sa version. Elles prévoient aussi que les employés peuvent être suspendus indéfiniment :

[…]

• Pendant la durée d'une enquête sur l'inconduite dont on soupçonne le fonctionnaire en question, et lorsque sa présence à son poste ne peut être admise ou pourrait nuire à l'enquête (voir à l'annexe 2 les critères applicables à une suspension pour période indéfinie qui sont énoncés dans le dossier Larson de la CRTFP, 2002 CRTFP 9);

[…]

34 Le Guide disciplinaire sur la rétrogradation et le licenciement non disciplinaires pour raison valable (pièce G-25) exige que les décisions disciplinaires soient prises rapidement.

35 M. Brown compte 28 années d'expérience dans des établissements correctionnels fédéraux. De 1996 à 2005, il a été directeur associé de l'établissement de Matsqui, dont il est devenu directeur en juin 2005. Il a travaillé à l'établissement de Kent comme agent d'unité résidentielle et agent de développement d'unité résidentielle; il a aussi été agent de libération conditionnelle dans la collectivité et gestionnaire de projet à l'administration centrale régionale et nationale du SCC, en plus d'avoir été sous-directeur par intérim de l'établissement de Matsqui.

36 Il a déclaré que la population carcérale de cet établissement est composée de détenus ayant des valeurs criminelles bien enracinées et qu'il s'y trouve très peu de délinquants sexuels. Les délinquants sexuels ne sont pas bien perçus par les détenus de l'établissement de Matsqui.

37 M. Brown a déclaré que l'établissement de Matsqui compte quelque 150 agents correctionnels, dont 80 CX-01 généralement chargés d'assurer la sécurité statique, d'occuper le périmètre et les postes de contrôle ainsi que de contrôler les mouvements dans l'établissement. En contre-interrogatoire, M. Brown a admis que la plupart des postes et des fonctions des CX-01 sont essentiellement axés sur le maintien de la sécurité statique. Le défendeur a déposé des descriptions de poste de CX-01 (pièces E-1 et E-2). M. Brown a dit que les CX-01 doivent faire preuve du comportement modèle auquel les détenus s'attendent. Tous les agents correctionnels sont là pour [traduction] « prêter l'oreille » si un détenu vient leur signaler des problèmes, mais M. Brown a déclaré que la [traduction] « part du lion » de cette tâche est assumée par les CX-02. Les CX-01 travaillent dans les cabines des postes de contrôle de l'établissement de Matsqui; les seuls postes de cet établissement à sécurité moyenne où les gardiens sont armés sont ceux du périmètre.

38 À peu près le tiers du personnel de l'établissement de Matsqui est féminin. Beaucoup de ces employées occupent des postes où la journée de travail se termine à 17 h, quoique certaines agentes correctionnelles travaillent le soir.

39 M. Brown a admis ne pas bien connaître M. Basra ni ses états de service au SCC. Il a lu des documents et parlé avec Donna Reynen, la directrice adjointe de l'établissement de Matsqui, pour se préparer à l'audience. Il a décrit M. Basra comme un bon employé.

40 Selon M. Brown, en sa qualité d'agent correctionnel, un CX-01 est un agent de la paix dans l'exercice de ses fonctions à l'établissement de Matsqui; il a le pouvoir d'arrêter un détenu et d'user de la force. La politique exige que ce pouvoir soit limité et l'agent correctionnel doit demander d'abord à un supérieur de l'autoriser à l'exercer.

41 M. Brown n'a participé à aucune des décisions antérieures à l'endroit de M. Basra, puisqu'il n'était pas à l'établissement de Matsqui à l'époque. C'est M. Scott qui en était le directeur par intérim en son absence. M. Scott est en congé de maladie depuis septembre 2006; il n'a pas témoigné à l'audience. Quand M. Brown est retourné à l'établissement de Matsqui, M. Scott l'a informé de ce qui s'était passé d'important, dont la suspension indéfinie de M. Basra. M. Brown pense que M. Scott a consulté à cet égard Mme Mynott, laquelle avait elle-même consulté Beth Tyler, une agente régionale des ressources humaines.

42 M. Brown a déclaré que M. Scott lui avait dit avoir eu des discussions avec les Relations de travail et avec le sous-directeur au sujet des « enjeux », avant de suspendre M. Basra. Il a déclaré avoir cru que M. Scott s'inquiétait essentiellement de la nature de l'infraction, des interactions de M. Basra avec la police et des gros risques que l'affaire posait, en plus d'être conscient qu'il allait devoir retirer M. Basra du lieu de travail. M. Brown a dit que M. Scott était bien décidé sur ce point.

43 Le témoin a déclaré que M. Scott s'était basé sur des critères tels que les risques pour le lieu de travail et pour la réputation du SCC et plus particulièrement sur les critères dits de Larson dans sa discussion avec les Relations de travail.

44 Je souligne que M. Brown peut témoigner seulement sur ce que M. Scott lui a dit et sur la correspondance qu'il a lue. Si le défendeur voulait produire une preuve sur ce que M. Scott a dit et sur ce dont il a tenu compte, il aurait dû le faire témoigner. Il est clair que M. Brown a rencontré M. Scott et Mme Reynen et qu'il souscrivait à la décision de M. Scott.

45 Par l'intermédiaire de M. Brown, le défendeur a déposé une série de courriels commençant par celui de M. Scott en date du 4 mai 2006 et se terminant par un courriel de Meena Chima envoyé le 7 juin 2004 (pièce E-14). M. Brown n'a pas reçu copie de chacun des courriels de la série, qui contenait les courriels de M. Scott aux enquêteurs, de Mme Mynott à M. Scott et à M. Brown, avec copie à Mme Tyler, de M. Brown aux enquêteurs, de M. Strijack à Mme Mynott, de Mme Mynott à M. Strijack, de Mme Mynott à Mme Chima et de Mme Chima à Mme Mynott. Aucune de ces personnes (sauf M. Brown) n'a été appelée à témoigner. La série de courriels n'apporte rien à la preuve quoiqu'elle révèle clairement que, en date du 7 juin 2006, le SCC n'avait encore que très peu de renseignements sur lesquels baser son évaluation des risques.

46 Dans la pièce E-14 et dans un courriel daté du 7 juin 2006 avec copie à M. Brown, M. Strijack a écrit notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En ce qui concerne l'évaluation des risques dans l'éventualité d'une réaffectation à un autre lieu de travail, d'actions de paye et autres mesures, je recommanderais une rencontre pour parler de tous les facteurs. J'aimerais toutefois avoir un peu plus de rétroaction de la GRC avant cette rencontre.

[…]

47 M. Brown ne se rappelle pas exactement quand il a été informé de la décision Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, qui a établi les critères applicables pour déterminer s'il faut maintenir une suspension. Il semble qu'il soit au courant de ces critères depuis au moins le 16 juin 2006.

48 En juin 2006, M. Brown a déclaré avoir analysé de façon plus structurée le statut de M. Basra en tant qu'employé suspendu. Cette démarche s'est conclue par le versement d'une note de service au dossier disciplinaire de l'intéressé (pièce E-13). M. Brown avait conclu que la présence de M. Basra à l'établissement de Matsqui ou dans n'importe quel autre établissement du SCC constituait un risque raisonnablement grave pour le SCC, dont il salissait sa réputation, et que la situation rendait M. Basra incapable de s'acquitter de ses fonctions.

49 M. Brown a notamment déclaré que la police avait déjà fait enquête sur la question et obtenu assez de preuves pour porter l'accusation. Le procureur de la Couronne avait approuvé l'accusation. Les premiers renseignements obtenus laissaient entendre que M. Basra n'avait pas pleinement coopéré au cours de l'enquête policière et qu'il avait induit les policiers en erreur, en leur donnant un faux nom. M. Basra avait été directement lié aux faits qu'on lui reprochait par son ADN. Qui plus est, il n'avait pas informé le SCC de l'accusation, alors qu'il était tenu de le faire. Un comité d'enquête avait été formé par le SCC et, même si l'enquête n'était pas encore terminée, les renseignements reçus jusque-là incitaient M. Brown à craindre pour la réputation du SCC et tendaient à lui faire croire que M. Basra était inapte pour s'occuper d'autres personnes, surtout s'il pouvait avoir un certain pouvoir sur elles.

50 M. Brown a dit s'être demandé si M. Basra aurait pu continuer d'être employé avec une supervision accrue ou une mutation dans un autre lieu de travail. À son avis, il n'aurait été ni raisonnable, ni possible de continuer de l'employer à ce moment-là.

51 On ne m'a saisi d'aucune preuve directe que M. Basra aurait été tenu de coopérer avec la police ou qu'il ne l'aurait pas fait. Il semble que M. Brown est confus quant aux renseignements fournis par le procureur de la Couronne. Dans la lettre du procureur de la Couronne, il est bien écrit que M. Basra n'avait pas donné son vrai nom à la plaignante, mais rien n'indique qu'il ait induit la police en erreur. En outre, il est évident que M. Brown n'a pas tenu compte des renseignements fournis par M. Basra quand la suspension lui a été imposée, ni dans la lettre que M. Clements a envoyée au SCC par la suite, à savoir que M. Basra ignorait qu'on ait porté une accusation contre lui. En outre, son opinion que M. Basra est inapte pour s'occuper d'autres personnes n'est basée sur aucun fait. Si l'infraction alléguée est prouvée, alors les circonstances impliquent une femme et il n'y a aucune détenue à l'établissement de Matsqui.

52 Dans un courriel daté du 7 juillet 2006, Mme Mynott informait M. Brown (pièce E-15) que [traduction] « [ … ] ce serait un moment bien choisi pour réévaluer la suspension sans traitement de M. Basra, compte tenu des renseignements récemment fournis par les enquêteurs [ … ] » Or, les seuls nouveaux renseignements fournis par les enquêteurs jusque-là, c'était qu'ils s'étaient rendus au tribunal, qu'ils avaient demandé des renseignements à la GRC, mais sans succès, et que M. Basra n'avait pas communiqué avec eux. Les enquêteurs avaient recommandé que la suspension soit maintenue.

53 À l'audience, M. Brown a déclaré qu'il réévaluait toutes les deux ou trois semaines les risques que la présence de M. Basra à l'établissement de Matsqui pouvaient présenter, en se basant sur les nouveaux renseignements reçus. Il a aussi confirmé qu'il n'a pas pris de décision disciplinaire.

54 M. Brown a décrit sa façon de tenir compte des critères de Larson. Il a déclaré que le SCC s'était penché sur la substance de l'allégation; il s'agissait d'une agression sexuelle commise en novembre 2004 qui avait donné lieu à une longue enquête à la suite de laquelle le procureur de la Couronne avait approuvé et porté une accusation 18 mois plus tard. M. Brown a déclaré qu'un autre facteur important était le manque de coopération de M. Basra avec la police. Il semble que M. Basra ait donné un faux nom pendant une partie de l'enquête et que certains faits aient été réfutés ou niés par lui en dépit des preuves contre lui. M. Brown craignait que la police ne reproche à M. Basra son manque de coopération et de franchise. Même si M. Basra avait été détenu dans le contexte de l'enquête menée en 2004 et qu'il avait retenu les services d'un avocat, il n'avait informé aucun supérieur du SCC de son implication. M. Brown a déclaré qu'à strictement parler, les employés ne sont peut-être tenus d'informer le SCC que lorsqu'on porte des accusations contre eux, parce que les agents ouvrant dans le système de justice pénale doivent respecter des normes de responsabilisation plus élevées que d'autres et qu'ils doivent être particulièrement francs lorsqu'il s'agit de déclarer des situations de ce genre. Dans d'autres cas, des agents ont carrément donné d'eux-mêmes des renseignements qui ont permis au SCC de faire une évaluation exhaustive pondérée des risques.

55 M. Brown a déclaré que mettre fin à la suspension de M. Basra posait plusieurs risques notamment pour le SCC, pour ses opérations et pour son intégrité. Il a dit que l'accusation portée contre M. Basra risquait d'avoir des répercussions sur les relations au SCC et qu'il pourrait en résulter un problème de sécurité pour lui. Selon M. Brown, il aurait pu être difficile pour M. Basra de travailler de façon constructive avec les détenus, de s'acquitter de ses fonctions en communiquant ouvertement et honnêtement et d'être considéré comme un modèle. M. Brown a soutenu que l'accusation portée contre M. Basra pouvait avoir des répercussions sur les autres membres du personnel, puisque les allégations ont une connotation prédatrice et trompeuse et que 30 % du personnel de l'établissement de Matsqui sont des femmes. Des hommes et des femmes travaillent seuls à leurs postes; les agents correctionnels doivent coopérer étroitement et pouvoir se fier les uns aux autres.

56 M. Brown a soutenu que la clientèle du système de justice pénale a de sérieux antécédents de victimisation. Les visiteuses ont souvent un vécu analogue à celui des détenus et été victimes d'agressions sexuelles dans le passé; elles devraient pouvoir passer la grille d'entrée en sachant qu'elles seront en sécurité.

57 M. Brown a dit que le SCC craignait pour son intégrité. Le SCC a pour objectif de protéger le public et il le fait essentiellement en gérant les risques. Les évaluations des risques ne sont pas scientifiques : elles consistent à analyser les faits et à prendre des décisions en connaissance de cause. M. Brown a affirmé que la loi autorise l'échange d'information entre les organismes qui sont chargés de l'appliquer, et que la relation entre eux est délicate. L'information échangée peut dépendre de la confiance qu'un organisme fait à l'autre. Un organisme comme la GRC peut considérer des agents correctionnels tels que M. Basra comme des gens qui répondent de façon évasive et trompeuse, ce qui peut influer sur sa perception de la capacité du SCC de transiger avec lui.

58 Selon M. Brown, la réputation du SCC est sapée lorsque des agents correctionnels agissent en exploitant des situations sans être disposés à expliquer pleinement leur conduite ni à assumer leur responsabilité. Les conséquences d'un tel comportement sont vraiment néfastes pour le SCC.

59 M. Brown a déclaré s'être demandé si M. Basra pourrait travailler ailleurs au SCC, qui compte au moins 1 600 employés dans ses bureaux centraux, ses bureaux dans la collectivité et ses bureaux administratifs de la Région du Pacifique. Les risques seraient restés inacceptables si M. Basra avait été muté ailleurs dans la région. L'établissement de Matsqui partage son emplacement avec un établissement carcéral pour femmes ainsi qu'avec un centre régional de traitement. Les détenues dans cet établissement à sécurité minimale se font confier des tâches à l'extérieur de la clôture et peuvent s'y déplacer. Il ne semblait pas acceptable d'affecter M. Basra à des tâches à l'extérieur de la clôture. Même s'il avait travaillé dans un bureau administratif, il aurait encore dû avoir des rapports avec des détenus et d'autres personnes (des victimes ou des gens en récupération après avoir été des victimes); l'établissement de Matsqui devait être un endroit sûr pour ces gens.

60 M. Brown a dit qu'on a accès à l'information dans virtuellement toutes les opérations ou les tâches au SCC. Selon lui, c'est une partie cruciale des activités de l'organisation, et il est important d'avoir confiance en l'intégrité des agents correctionnels. Il est important de protéger l'accès électronique à l'information.

61 M. Brown a soutenu que, lorsqu'il avait étudié l'évolution de l'affaire, même si M. Basra avait été un bon employé jusque-là, il s'est inquiété parce que le SCC n'avait pas été informé plus tôt de l'incident de novembre 2004, que les communications avec la police posaient problème et qu'une question de confiance très sérieuse était en jeu.

62 M. Brown a mentionné que lorsqu'il a examiné le contexte général dans lequel le SCC fonctionne, il n'était pas acceptable que M. Basra continue d'être employé.

63 En contre-interrogatoire, M. Brown a admis qu'il ne savait pas qui était le superviseur de M. Basra et qu'il ne connaissait pas non plus les noms des membres de l'équipe dans laquelle M. Basra travaillait. Il savait toutefois que M. Basra avait été membre du conseil exécutif de son agent négociateur. Après avoir pris connaissance des documents qui lui ont été présentés en contre-interrogatoire, il a admis que M. Basra est un bon employé et que sa fiche de présence au travail était supérieure à la moyenne. Le défendeur a aussi admis que M. Basra n'avait pas de dossier disciplinaire.

64 M. Brown a avoué que les seuls documents qu'il avait reçus du procureur de la Couronne et de la GRC étaient ceux qu'on lui a fait parvenir initialement. Il a déclaré qu'il est souvent difficile de décider s'il faut divulguer des renseignements en raison des lois sur la protection des renseignements personnels et des protocoles correspondants entre les organismes, mais il n'a toutefois donné aucune explication sur les problèmes des enquêteurs. Il semble qu'un policier ait eu des contacts informels avec les enquêteurs. M. Brown a aussi concédé qu'on peut légalement refuser de donner un échantillon d'ADN.

65 M. Brown ne se rappelle pas avoir signé un document prorogeant le délai prévu pour l'enquête disciplinaire. Il a dit que la procédure normale durant l'enquête consiste à convoquer l'employé à un interrogatoire en fixant l'heure, la date et le lieu de la rencontre. Cela dit, il est clair que M. Brown n'a jamais tenu compte du rendement de M. Basra pour prendre sa décision de maintenir la suspension.

66 Comme M. Scott n'a pas été appelé à témoigner et qu'il n'y a pas de documents confirmant qu'il avait pris connaissance du dossier de M. Basra, je conclus qu'il n'en a pas tenu compte en décidant d'imposer la suspension. M. Brown a admis que, même si les CX-01 sont des agents de la paix, la politique du SCC limite l'exercice de leurs pouvoirs d'arrestation et d'usage de la force. En général, il faut qu'un CX-01 obtienne l'autorisation d'un superviseur pour exercer son pouvoir d'arrestation.

67 M. Brown a reconnu qu'un CX-01 n'aurait pas nécessairement eu accès aux renseignements sur les détenus échangés entre la GRC et le [traduction] Bureau interne de prévention et de sécurité (BIPS). Les dossiers personnels des détenus sont conservés dans une pièce fermée à clé à laquelle un CX-01 n'aurait pas accès. En sa qualité de CX-01, M. Basra n'aurait pas non plus eu accès au Système de gestion des délinquants (SGD) électronique, car très peu de CX-01 de l'établissement de Matsqui y ont accès, et cet accès peut leur être retiré par M. Brown. La protection des renseignements sur les détenus est prise très au sérieux.

68 En général, ce qu'un CX-01 observe en matière de sécurité est rapporté à un surveillant correctionnel (CX-02) qui relaye ensuite l'information au BIPS.

69 D'après ce que M. Brown a déclaré en contre-interrogatoire, il n'y aurait eu aucune possibilité pour M. Basra, quand il faisait une patrouille motorisée, d'avoir accès sans supervision à des détenues de l'établissement de la vallée du Fraser, qui est situé tout près de celui de Matsqui. Les chauffeurs d'autres véhicules et les CX-01 en patrouille motorisée n'y ont pas accès fréquemment. Si M. Basra avait été affecté au quart de nuit, il n'aurait eu aucune possibilité de contacts avec des visiteures ou des collègues du sexe féminin. Il a fréquemment été affecté à un poste armé sans jamais avoir été impliqué dans un incident où l'on a utilisé une arme à feu à mauvais escient. M. Brown a admis qu'il n'y avait aucun risque que M. Basra agresse un membre du personnel avec une arme à feu.

70 Tous les agents correctionnels sont munis d'un émetteur-récepteur ou d'un dispositif d'alarme personnel et tous peuvent déclencher le système d'alarme fixe. Les détenus sont confinés dans leurs cellules entre 23 h et 7 h. Durant ces heures, on en autorise au maximum deux à la fois à aller aux toilettes dans les unités résidentielles. Entre 6 h et 7 h, on laisse aussi quelques détenus sortir pour aller travailler à la cuisine.

71 Au cours de l'interrogatoire de M. Brown, on a déposé la chronologie des événements (pièce G-6). Ce n'est pas M. Brown qui a préparé ce document; il ne l'avait vu qu'une semaine avant l'audience. Le défendeur n'a pas fait comparaître la personne qui avait préparé le document et, comme la chronologie ne paraît pas complète, je n'y accorde aucun poids.

72 À l'heure actuelle, un agent correctionnel travaillant à l'établissement de Matsqui dans un poste armé du périmètre fait l'objet d'une enquête pour agression sexuelle, mais n'a pas encore été mis en accusation. D'après M. Brown, le procureur de la Couronne n'a pas appliqué les critères de preuve afin d'approuver une éventuelle accusation. Je prends note que le critère sur lequel le procureur de la Couronne se fonde pour approuver des accusations ne m'a pas été soumis en preuve.

73 M. Brown craint que M. Basra a utilisé une drogue du viol. Pourtant, il admet ne se baser sur aucune preuve de laboratoire à cet égard et n'avoir été informé d'aucune allégation d'utilisation d'une telle drogue dans la lettre que le procureur de la Couronne lui a envoyée.

74 En contre-interrogatoire, M. Brown a admis n'être au courant d'aucune possibilité ni d'aucun reportage sur l'affaire.

75 M. Basra n'a pas témoigné, mais a fait comparaître Bill Virk, Sherry Enns et Gaelen Joe. M. Virk, un CX-01, a rempli les fonctions d'un CX-02 à l'établissement de Matsqui, où il travaille depuis 1999. Il a témoigné que les CX-01 de l'établissement peuvent être affectés à plusieurs postes où les interactions avec le public ou la GRC sont limitées. Il a travaillé dans chacun de ces postes et il a une expérience acquise sur place.

76 Un de ces postes est chargé de la patrouille motorisée. Les fonctions sont décrites dans l'[traduction] « Instruction pour les postes de sécurité I.P.S. 831.17 » (pièce G-24). Il y a deux patrouilles motorisées, et le poste est de service 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Le CX-01 affecté là est armé. Ses principales fonctions consistent à observer la situation ainsi qu'à assurer la sécurité du périmètre de l'établissement de Matsqui, en conduisant son véhicule autour de celui-ci, essentiellement pour empêcher les détenus de s'évader. Il n'y a aucun contact avec les détenus sauf s'ils tentent de s'évader. À ce poste, le CX-01 ne travaille pas à la réadaptation des détenus. La patrouille motorisée n'a aucun contact avec les détenues de l'établissement voisin (celui de la vallée du Fraser). Il est possible pour le poste de contrôle central de contrôler les activités de la patrouille motorisée. Les parties m'ont demandé de ne pas divulguer de détails sur les arrangements de sécurité à l'établissement de Matsqui, et je m'en suis abstenu dans ma décision.

77 M. Virk a travaillé au poste de contrôle central, dont les tâches sont décrites dans l'[traduction] « Instruction pour les postes de sécurité I.P.S. 831.06 » (pièce G-22). Le poste de contrôle central est aussi appelé comptoir de dénombrement. Le CX-01 affecté là est sous la direction d'un CX-02. Ses principales tâches consistent à ouvrir et fermer les barrières entre les unités, à ouvrir les portes des cellules ainsi qu'à obtenir et recevoir les cartes d'identité qui permettent aux détenus de se rendre au centre des visites et de la correspondance. Il a très peu de contacts avec les détenus et n'en a aucun avec le public ou les visiteurs des détenus. La principale préoccupation d'un CX-01 à ce poste consiste à savoir où sont les détenus. Il y a très peu de possibilités d'avoir de l'influence sur les détenus ou des interactions avec eux.

78 M. Virk a travaillé au poste de contrôle de l'unité résidentielle. Pour ce poste, les tâches sont décrites dans l'[traduction] « Instruction pour les postes de sécurité I.P.S. 831.08 » (pièce G-23). Il s'agit généralement de travail dans la « cabine » et le nombre d'interactions avec les détenus est limité. Typiquement, un détenu demande [traduction] « Hé, patron, ouvrez la porte, la porte 27. » Le CX-01 ouvre les portes et les barrières de chacune des rangées. Ses interactions avec les détenus se limitent à répondre à leurs demandes d'ouvrir des portes. Le CX-01 assure aussi la sécurité visuelle à partir de la cabine pour les CX-02 qui font une ronde dans les rangées. Il a très peu d'interactions avec les détenus, parce que leur code leur interdit de donner librement de l'information aux agents correctionnels ou d'avoir des interactions avec eux. De 23 h à 7 h, le rôle du CX-01 se limite à laisser deux détenus à la fois sortir des cellules qui n'ont pas de toilette. Il fait aussi sa ronde cinq fois par jour quand les détenus sont enfermés dans leurs cellules. Bref, son contact avec les détenus est limité.

79 Aucun CX-01 n'a un accès illimité aux dossiers des détenus conservés dans le BIPS. Un agent correctionnel CX-01 n'est pas chargé d'un certain nombre de détenus. Il n'a pas accès au système RADAR pour lequel il faut un code de compte, un code d'accès et un code de sécurité. En général, seuls les agents du BIPS ont accès à ce système.

80 M. Virk a aussi été coordonnateur d'unité résidentielle. Les tâches de ce poste sont décrites dans l'[traduction] « Instruction pour les postes de sécurité I.P.S. 831.09 » (pièce G-24). Il s'agit d'un poste de nuit. Les principales tâches consistent à travailler dans la cabine et à contrôler l'accès pour les CX-01 qui vont dans les rangées compter les détenus deux fois, ce qui les oblige à parcourir les rangées pour compter les détenus dans leurs cellules. Le coordonnateur n'a aucun contact avec les détenus.

81 M. Virk a témoigné que les CX-01 qui travaillent le quart de nuit dans l'Unité spéciale de détention n'ont aucun contact avec les détenus. Ils travaillent dans la cabine et assurent la sécurité visuelle pour le CX-02, qui a des interactions avec les détenus puisqu'il doit s'assurer qu'ils prennent leur douche et vont faire de l'exercice dans la cour. Il n'y a aucun contact avec les détenus et avec leurs visiteurs.

82 M. Virk connaît M. Basra depuis qu'ils ont commencé à travailler au SCC, à peu près en même temps. Il a fait partie de la même équipe que M. Basra pendant trois ou quatre ans. Selon lui, M. Basra s'acquitte de toutes les tâches qui lui sont confiées; il lui fait entièrement confiance. Il a décrit M. Basra comme un gars ordinaire qui fait son travail sans que personne ne s'en plaigne. Il traite le personnel féminin avec respect. À sa connaissance, M. Basra n'a eu aucun rapport contestable avec qui que ce soit parmi le personnel ou les visiteurs. M. Virk a témoigné que de nombreux CX-01 mangent à leur poste et ne vont pas passer leur pause-repas dans la salle à manger du personnel, de sorte qu'ils sont souvent très peu exposés à d'autres personnes qu'à des agents correctionnels pendant leur quart. Il a confirmé que les CX-01 peuvent être transférés à d'autres fonctions au cours d'un même quart. En somme, un CX-01 n'a guère de possibilités de rencontrer des femmes - sauf des agentes correctionnelles - pendant son quart.

83 Mme Enns, qui est CX-02, a témoigné pour M. Basra. Elle travaille à l'établissement de Matsqui et est aussi présidente de la section locale de l'Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, l'agent négociateur de M. Basra. D'après son expérience, lorsque le SCC veut parler à un employé d'une question disciplinaire, il lui envoie une lettre avec copie à l'agent négociateur. Le SCC donne habituellement un préavis de 48 heures lorsqu'il convoque un employé dans ces circonstances, en fixant l'heure, la date et le lieu de la rencontre. À part les réunions relatives à son grief, Mme Enns n'est au courant d'aucune rencontre disciplinaire ou d'enquête organisée par le SCC au sujet de M. Basra à laquelle l'agent négociateur a été invité à participer; elle n'est au courant que de réunions concernant le grief.

84 Mme Enns a travaillé avec M. Basra et connaît bien son travail. Elle le décrit comme un excellent agent. Elle est au courant de l'allégation contre lui, mais ne s'est jamais sentie menacée par lui.

85 M. Basra a aussi fait comparaître M. Joe, un CX-02. M. Joe est l'agent des griefs qui s'est chargé de son grief. Il était présent à la réunion où le représentant de l'agent négociateur de M. Basra a proposé plusieurs possibilités de placement pour M. Basra, notamment de l'affecter au quart de nuit, de l'envoyer travailler au dépôt régional ou de le muter dans un autre établissement.

86 Il semble qu'on devra attendre encore des mois avant que les tribunaux finissent par trancher l'accusation au criminel. Quand l'audience d'arbitrage du grief a eu lieu, sept mois s'étaient écoulés, mais rien n'indiquait qu'on ait fixé une date pour l'enquête préliminaire.

Résumé de l'argumentation

87 Le défendeur a déclaré que suspendre M. Basra indéfiniment était une décision administrative appropriée. Le défendeur a également déclaré que puisqu'après avoir examiné les faits assez particuliers dans ce contexte, une suspension pour une période indéfinie était justifiée. Le défendeur s'est fondé sur les critères établis dans Larson, une décision dans laquelle l'arbitre de grief s'est fondée sur l'approche décrite dans Ontario Jockey Club v. Mutuel Employees' Association, Service Employees' International Union, Local 528 (1977), 17 L.A.C (2d) 176, et dans Hamilton Regional Cancer Centre v. Canadian Union of Public Employees, Local 3566 (2000), 91 L.A.C. (4th) 333. Dans Larson, l'arbitre de grief a cité le critère énoncé dans Ontario Jockey Club, en disant qu'elle se basait sur lui.

88 Le SCC a évalué les faits et conclu que la présence de M. Basra posait des risques raisonnablement graves et immédiats pour ses intérêts légitimes. Le SCC fait partie du système de justice pénale. Une accusation d'agression sexuelle est grave, et les allégations à l'endroit de M. Basra lui reprochaient notamment un comportement prédateur et coercitif. Cela pourrait avoir une incidence raisonnable sur l'intégrité du SCC. M. Basra est un agent de la paix; il doit donc se conformer à des normes plus rigoureuses. La charge de la preuve est moins lourde pour le défendeur parce qu'il y a eu une enquête policière. On a fait de nombreuses tentatives pour communiquer avec M. Basra, mais sans succès. Le SCC a continué d'évaluer les risques.

89 M. Basra a déclaré avoir été suspendu en avril 2006, en ajoutant que le défendeur ne le réintégrera pas dans ses fonctions sans qu'un arbitre de grief rende une décision en ce sens. Le SCC n'a pas respecté le critère de Larson. M. Basra a notamment affirmé que sa suspension est de toute évidence disciplinaire puisque le SCC n'a pas respecté le troisième volet du critère de Larson, en ne faisant pas tout son possible pour enquêter sur l'accusation au criminel, autrement dit en ne s'efforçant pas vraiment de déterminer quels risques il présentait s'il continuait à travailler. Il faut trouver l'équilibre entre le droit de l'employé de gagner sa vie et celui du défendeur de faire en sorte que le lieu de travail soit sûr et sans danger. L'évaluation des risques doit être basée sur une « véritable contrainte pour l'employeur ». C'est un critère de « qualité » et non de « quantité ». Il ne suffit pas que le SCC ait écrit quelques lettres.

90 Le SCC a rapidement conclu que M. Basra posait des risques, sans toutefois parler à ses collègues ou ses superviseurs. L'incident ne datait pas d'hier, et rien n'indiquait qu'il y avait des risques. Ni les détenus, ni le personnel ne s'étaient plaints. En outre, la GRC n'avait soulevé aucune objection au fait que M. Basra restait au lieu de travail. Le SCC a eu une réaction exagérée à cause de la nature de l'accusation. Il n'y a eu aucun reportage dans les médias ayant des conséquences sur la réputation de l'établissement de Matsqui. Le simple fait d'être accusé d'une infraction au criminel commise dans ses heures de loisirs ne suffit pas pour justifier qu'un employé soit suspendu indéfiniment. M. Basra a travaillé avec des collègues du sexe féminin et s'est servi d'armes à feu pendant des années sans aucun problème. Le défendeur n'a avancé aucun fait pour laisser entendre que M. Basra puisse constituer un risque pour qui que ce soit dans son lieu de travail, ni que sa présence interromprait ou gênerait les opérations à l'établissement de Matsqui. Il n'existe pas de risques immédiats et certains fondés sur une preuve réelle et concrète.

91 M. Basra a proposé plusieurs possibilités de placement; il est clair que le SCC ne les a pas étudiées sérieusement. M. Basra n'a jamais été convoqué pour un interrogatoire, et le SCC n'a jamais obtenu sa version de l'histoire. Pourtant, la politique même du SCC stipule que les enquêtes devraient être menées rapidement et que l'enquêteur devrait obtenir la version de l'employé. M. Basra a déclaré que 30 jours auraient dû suffire au SCC pour mener son enquête, conformément à sa propre politique.

92 Le SCC avait les renseignements concernant M. Basra depuis un certain temps quand l'accusation a été soulevée, mais il n'a pas tenu compte de la preuve. Il s'agit clairement d'une affaire disciplinaire. Le SCC n'a pas traité M. Basra équitablement; surtout, il n'a pas enquêté rapidement et n'a pas obtenu sa version des faits.

93 M. Basra a invoqué Blackburn c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2003 CRTFP 49, pour étayer l'argument qu'une suspension indéfinie en attendant une enquête implique que l'enquête doit être menée à bien assez rapidement. Le SCC est tenu d'enquêter et d'obtenir la version des faits de l'employé, comme l'ont établi les décisions Clarendon Foundation (Cheshire Homes) Inc. v. Ontario Public Service Employees Union, Local 593 (1995), 50 L.A.C. (4th) 17, et Alberta v. Alberta Union of Provincial Employees (1995), 51 L.A.C. (4th) 248. M. Basra réclame des intérêts, en vertu de l'alinéa 226(1)i) de la Loi, et me demande de rester saisi de l'affaire en ce qui concerne les modalités de sa réintégration au travail ainsi que l'exécution de ma décision.

94 En réplique, le défendeur a fait valoir que M. Basra avait été accusé d'un acte criminel grave. Le SCC a conclu à l'existence de risques sérieux en raison de la nature de l'accusation; il n'a obtenu aucun nouveau renseignement qui lui permette de conclure qu'il n'y a plus de risques. La capacité de M. Brown d'enquêter sur l'infraction était limitée, puisque l'affaire est maintenant devant les tribunaux. Les enquêteurs ont vraiment tenté de faire un suivi de la procédure. M. Basra doit savoir que le SCC serait heureux de le rencontrer, mais il a refusé de le faire.

95 Le SCC va continuer à évaluer les risques, et le défendeur n'a toujours pas imposé une sanction disciplinaire. La suspension indéfinie devrait être maintenue.

Motifs

96 M. Basra a fondé son grief sur l'alinéa 209(1)b) de la Loi en alléguant que sa suspension indéfinie sans traitement est une sanction disciplinaire. Cette disposition de la Loi se lit comme suit :

209. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief individuel portant sur

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

[…]

97 Dans le présent cas, une longue période s'est écoulée tandis que l'affaire pénale dont M. Basra fait l'objet est devant les tribunaux. Le défendeur a déclaré avoir pris les mesures administratives appropriées, en disant que sa décision de suspendre le fonctionnaire est justifiée compte tenu des faits uniques en l'espèce.

98 Le défendeur a soutenu que la suspension est une mesure administrative appropriée. Bien qu'il n'ait pas directement discuté de ce point, pour avoir compétence sur le grief, je dois conclure qu'il y a un élément disciplinaire dans cette décision. Pourtant, le défendeur prétend qu'il n'a pas encore pris de décision disciplinaire à l'endroit de M. Basra.

99 Je souligne qu'on peut lire à l'alinéa 209(1)b) de la Loi l'expression « mesure disciplinaire » et non « décision disciplinaire ». Le mot « mesure » a un sens plus large que le mot « décision », puisqu'il peut englober la décision du SCC de nommer des enquêteurs et de suspendre indéfiniment le fonctionnaire dans le contexte de son enquête. Le SCC a suspendu indéfiniment M. Basra en se basant sur l'allégation qu'il avait très mal agi, ce sur quoi il a décidé qu'il devait faire enquête. De toute évidence, la décision de le suspendre s'inscrivait dans un processus disciplinaire, même si le SCC n'a pas encore convoqué M. Basra à une entrevue disciplinaire ni abouti à une conclusion définitive sur une mesure disciplinaire. Les documents du défendeur prouvent qu'un enquêteur a été nommé pour mener une enquête disciplinaire (pièce E-8).

100 Qui plus est, une suspension indéfinie empêche l'employé de travailler; c'est une interruption de son droit au travail. En l'espèce, l'arrêt de travail et le traitement qu'il a perdu sont des pénalités; ce sont des mesures disciplinaires qui découlent directement de la décision du SCC d'ordonner la tenue d'une enquête et de suspendre M. Basra sans traitement : Massip c. Canada (1985), 61 N.R. 114 (C.A.F.); Lavigne c. Conseil du Trésor (Travaux publics), dossiers de la CRTFP 166-02-16452 à 16454, 16623, 16624 et 16650 (19881014); et Côté c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-9811 à 9813 et 10178 (19831017).

101 Pour les motifs qui précèdent, j'estime avoir compétence pour examiner cette suspension indéfinie en vertu de l'alinéa 209(1)b) de la Loi. Je vais maintenant chercher à déterminer si la décision du SCC de suspendre M. Basra indéfiniment sans traitement était justifiée dans les circonstances.

102 Les employés ont le droit de travailler. C'est un droit auquel on ne devrait pas porter atteinte à la légère, et c'est au défendeur de démontrer que le maintien d'une suspension sans traitement est justifié. Le SCC n'a pas licencié M. Basra, mais il l'empêche de gagner sa vie. Si ce n'est pas pour le pénaliser, il m'est difficile de comprendre quel intérêt découlerait d'une suspension jusqu'à ce qu'un tribunal tranche la question en le déclarant coupable ou innocent. À la date de l'audience d'arbitrage de grief, plus de sept mois ont passé depuis que M. Basra a été accusé d'une infraction. Il s'est maintenant écoulé plus de deux ans depuis l'allégation d'agression sexuelle. Il n'y a aucune indication précise à savoir quand les tribunaux finiront par trancher le cas de M. Basra. Les rouages judiciaires semblent avoir tourné bien lentement.

103 La principale question que je dois trancher consiste à savoir si une suspension indéfinie est justifiée, en me fondant sur les critères établis dans Larson et dans Ontario Jockey Club :

  • La présence de M. Basra au travail présente-t-elle des risques raisonnablement graves et immédiats pour les intérêts légitimes du SCC?
  • Le défendeur est tenu de convaincre l'arbitre de grief de l'existence de ces risques. Le simple fait qu'on a porté une accusation au criminel ne suffit pas. La nature de l'accusation doit être telle qu'elle risque de saper ou de ternir la réputation ou le travail du SCC ou de leur nuire, qu'elle va rendre M. Basra incapable de s'acquitter de ses fonctions, qu'elle aura des conséquences néfastes pour les autres employés ou qu'elle va saper la réputation générale du SCC.
  • Le défendeur doit prouver que le SCC a fait enquête sur l'accusation au criminel de son mieux, en tentant réellement de déterminer les risques que garder M. Basra à son service aurait posés. La charge est beaucoup moins lourde quand la police a fait enquête et obtenu suffisamment de preuves pour porter une accusation que lorsque c'est le SCC qui entame la procédure.
  • Le défendeur doit aussi prouver que le SCC a pris des mesures raisonnables pour déterminer si les risques qu'aurait posé le maintien de M. Basra en fonctions auraient pu être mitigés par une supervision plus serrée ou par une mutation dans un autre poste.
  • Durant la période de suspension, le SCC est encore tenu d'envisager objectivement la possibilité de réintégration dans un délai raisonnable suivant la suspension, en tenant compte des faits nouveaux ou des nouvelles circonstances dont il est informé. Ces facteurs doivent être évalués compte tenu de l'existence des risques raisonnables pour les intérêts légitimes du SCC.

104 Pour commencer, je souligne que c'est au défendeur et non à M. Basra qu'incombe la charge de la preuve pour justifier les actions du SCC. La norme est la norme civile ordinaire de la prépondérance des probabilités.

105 En ma qualité d'arbitre de grief, ce n'est pas à moi qu'il appartient d'évaluer la solidité de la preuve de la Couronne, ou si l'on préfère la probabilité d'une condamnation dans une procédure pénale. D'ailleurs, il m'est impossible d'évaluer cette solidité, même si j'avais le mandat de le faire, parce que le SCC semble avoir obtenu vraiment très peu d'information. Je ne sais pas exactement comment il aurait pu arriver à une décision raisonnable sur les risques en se fondant sur les renseignements extrêmement limités dont il disposait.

106 Si j'en crois la preuve qui m'a été soumise, M. Basra ne savait pas qu'on avait porté une accusation au criminel contre lui avant d'être suspendu par le SCC. Dans son témoignage, M. Brown a parlé d'une [traduction] « interprétation stricte » du Code de discipline, en comparant l'attitude de M. Basra à celle d'agents correctionnels qui avaient opté pour une divulgation complète quand on avait porté des accusations au criminel contre eux. À mon avis, il ne peut exister qu'une interprétation du Code de discipline : les intéressés sont tenus de déclarer les accusations portées contre eux, mais n'ont aucune obligation d'informer de la possibilité qu'on puisse en porter. L'obligation de l'agent correctionnel commence quand il est accusé et qu'il le sait. Si le SCC voulait que sa politique impose l'obligation de divulguer les allégations faites avant que les accusations soient portées, il aurait pu le préciser dans le Code de discipline. Le fait que d'autres agents correctionnels - qui n'ont pas été appelés à témoigner et dont on ne m'a pas expliqué la situation de façon exhaustive en témoignant - ont peut-être pris une autre approche avec le SCC n'est pas pertinent pour moi.

107 En ma qualité d'arbitre, je prends acte que l'agression sexuelle est une infraction « hybride » dans le Code criminel, puisqu'elle peut être un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire (paragraphe 271(1)). Il s'est écoulé un long délai qu'on ne m'a pas expliqué entre la date à laquelle on a allégué que l'infraction aurait été commise et celle à laquelle le procureur de la Couronne a approuvé l'accusation au criminel. Bien que M. Basra ait été accusé d'une infraction punissable par mise en accusation, je ne sais pas si cette décision a été prise par le procureur de la Couronne simplement pour éviter de devoir respecter la limite de six mois applicable aux infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire (paragraphe 786(2) du Code criminel). On ne m'a présenté aucune preuve pour m'expliquer le processus de mise en accusation par le procureur de la Couronne, ni sa décision de procéder par mise en accusation. Je ne suis pas disposé à en déduire, vu que je n'ai pas l'information nécessaire et qu'il s'est écoulé 18 mois avant que l'accusation soit portée, que la raison pour laquelle il a décidé de procéder de cette manière était que la gravité de l'infraction justifie cette approche procédurale.

108 L'accusation est grave quelle que soit la procédure que le procureur de la Couronne a choisie pour porter l'accusation contre M. Basra. En définitive, ce choix pourra influer nettement sur les décisions disciplinaires que le SCC pourrait prendre à son endroit. Être condamné pour une infraction punissable par mise en accusation est un motif disciplinaire selon le Code de discipline, mais on ne m'a pas saisi de cette question, puisque M. Basra n'a été jugé coupable d'aucune accusation et que le SCC n'a pas terminé son processus décisionnel disciplinaire.

109 Le procureur de la Couronne semble avoir choisi d'informer le SCC et d'émettre un mandat plutôt que d'en informer M. Clements, qui suivait l'affaire pour le compte de M. Basra afin de s'assurer que celui-ci puisse comparaître de son plein gré. La raison pour laquelle le procureur de la Couronne a opté pour cette approche n'a pas été expliquée dans la preuve qu'on m'a présentée. Avec l'information dont je dispose, le défendeur n'a rien à reprocher à M. Basra parce qu'il est retourné au travail sans informer le SCC de l'accusation qui pesait contre lui. La preuve a démontré que le SCC a été informé de cette accusation avant M. Basra. M. Brown a considéré le manque de franchise et d'honnêteté et le comportement trompeur de M. Basra quand il était tenu d'informer le SCC de l'infraction comme des facteurs clés pour le maintien de la suspension. Il n'y a absolument rien dans la preuve qui puisse justifier pareilles conclusions, surtout quand on pense qu'il n'y a aucune obligation de divulguer quoi que ce soit avant qu'une accusation ne soit portée. Je prends note aussi que le SCC n'a pas convoqué M. Basra à une rencontre après avoir été informé de l'accusation.

110 Quand j'ai analysé la jurisprudence que les deux parties m'ont soumise, il m'est clairement apparu que l'arbitre de grief ou de différends qui a instruit chacune de ces affaires avait nettement plus d'information qu'on ne m'en a présentée et que le SCC avait effectué une enquête beaucoup plus approfondie qu'en l'espèce; dans la plupart de ces cas, l'arbitre de grief avait obtenu l'information directement de l'enquêteur du SCC.

111 Je ne suis pas convaincu que le défendeur ait démontré, conformément aux troisième et cinquième critères de Larson, que le SCC a fait de son mieux pour tirer les choses au clair avant d'évaluer les risques relatifs à M. Basra. M. Scott a rapidement chargé les enquêteurs d'y voir, mais je crains que l'enquête n'ait pas généré suffisamment d'information fiable pour qu'on ait pu prendre une décision sur ces risques à partir de là. Le problème semble attribuable à la qualité de l'enquête menée par le SCC. Il me semble que les enquêteurs n'ont fait guère plus pour enquêter sur cette question disciplinaire que de se présenter au tribunal, de demander à la GRC de l'information qui n'a jamais été reçue et peut-être de demander à M. Clements, à la Cour, de dire à M. Basra qu'ils souhaitaient lui parler. Je dis « peut-être », parce que les enquêteurs n'ont pas été appelés à témoigner sur ce qu'ils ont fait ou négligé de faire.

112 Je crains que les enquêteurs n'aient jamais tenté de communiquer directement avec M. Basra pour obtenir sa version. Je ne suis pas enclin à avancer des hypothèses sur ce qui aurait pu être dit si le SCC avait tenté de communiquer avec lui. Je n'accorde aucun poids à la pièce E-14, un courriel de Mme Mynott à Mme Chima, précisément parce qu'elle contient une hypothèse :

[Traduction]

[…]

Parfois, dans des cas comme ceux-là, les avocats disent à leurs clients de ne rien dire dans le contexte des enquêtes disciplinaires, tant que la procédure judiciaire n'est pas terminée.

[…]

113 Les enquêteurs avaient le pouvoir de convoquer M. Basra à un interrogatoire, de le prévenir de l'heure et du lieu de cette rencontre et de l'informer qu'il pouvait se faire accompagner d'un représentant de l'agent négociateur. Ils ne l'ont jamais fait, et l'on ne m'a rien dit pour l'expliquer. Ils n'ont pas été appelés à témoigner pour expliquer ce qu'ils ont fait. J'en tire une conclusion défavorable au défendeur, faute de les avoir fait comparaître afin d'expliquer leur enquête.

114 M. Basra a bel et bien donné des renseignements à M. Scott à la rencontre lors de laquelle il a été suspendu. Il a aussi fait fournir de l'information par M. Clements sur la date à laquelle il a été informé de l'accusation. Pour sa part, M. Scott a informé M. Basra tant verbalement que par écrit qu'une enquête avait commencé et que les enquêteurs allaient lui parler. Il appert que ces derniers ne se sont pas donné la peine de communiquer directement avec M. Basra; ils n'ont même pas présenté un rapport.

115 En l'occurrence, M. Basra n'avait pas dit au SCC de ne pas communiquer avec lui directement, mais de s'adresser plutôt à son avocat. À mon avis, comme il ne l'avait pas fait, le SCC n'avait aucune obligation de communiquer seulement avec l'avocat de l'employé.

116 Le défendeur fait valoir que le SCC a tenté d'obtenir la version de M. Basra en communiquant avec M. Clements. C'est un aspect important, voire fondamental de sa thèse, mais sur ce point, la preuve repose entièrement sur du ouï-dire. On trouve dans les courriels des indications que les enquêteurs auraient dit à M. Brown qu'ils avaient communiqué avec M. Clements à la Cour. M. Brown le croyait, mais les enquêteurs n'ont pas été appelés à témoigner sur leur enquête. Même si M. Brown peut avoir cru qu'ils avaient communiqué avec M. Clements, sa conviction n'est pas une preuve que les enquêteurs l'aient fait.

117 Le défendeur a déclaré qu'il suffisait que ses enquêteurs aient parlé à M. Clements à la Cour pour lui dire qu'ils voulaient parler à M. Basra et que M. Brown ait envoyé des lettres déclarant qu'il serait disposé à l'entendre. Il me semble étrange que M. Brown ait su qu'il devait écrire directement à M. Basra pour l'informer que la suspension était maintenue plutôt que d'écrire à M. Clements, alors que le défendeur a prétendu qu'il lui suffisait de tenter de parler à M. Clements pour se décharger de sa responsabilité d'enquêter sur M. Basra.

118 Avec la preuve qui m'a été présentée, je ne suis pas disposé à conclure que M. Clements était qui que ce soit d'autre qu'un criminaliste dont M. Basra avait retenu les services pour se défendre contre l'accusation au criminel susceptible d'être portée contre lui. Je ne suis pas disposé non plus à croire que M. Clements était un avocat dont M. Basra avait retenu les services en général. En effet, il n'a pas représenté M. Basra à l'audience. Rien dans la preuve dont je suis saisi ne me permet de conclure que M. Clements ait participé d'une façon quelconque à cette affaire d'emploi, sauf en écrivant une lettre datée du 27 avril 2006 pour informer qu'on avait retenu ses services dans le contexte d'une affaire criminelle.

119 Le ouï-dire est admissible dans une audience sur une affaire de droit administratif. On peut s'en servir pour déterminer de quoi M. Brown a tenu compte lorsqu'il a décidé de maintenir la suspension. Cela dit, même si la preuve de ouï-dire qu'il a avancée est admissible pour déterminer son état d'esprit, je ne l'accepte pas s'il s'agit de démontrer que M. Basra aurait refusé de produire une preuve ou de donner de l'information au SCC. Ce ouï-dire contredit d'ailleurs une autre partie de la preuve, à savoir que M. Basra a bel et bien donné de l'information sans se faire prier quand il a rencontré M. Scott, qu'il s'est fait dire et qu'il a été informé par écrit qu'on allait communiquer avec lui et que le SCC n'a pourtant pris aucune mesure pour communiquer avec lui.

120 Bien que les règles de la preuve soient assouplies dans une audience d'arbitrage de grief sous le régime de la Loi, j'errerais en ma qualité d'arbitre de grief, je pense, si je me fondais sur du ouï-dire pour prouver un fait fondamental. Or, une partie de la preuve dont je suis saisi est du double, voire du triple ouï-dire. Le courriel de Mme Tyler à Louise Costello, une conseillère en relations de travail à l'administration centrale nationale du SCC, en est un bon exemple (pièce 19), car son auteure mentionne des faits qui ne figuraient pas dans la lettre du procureur de la Couronne et qui ne sont étayés par aucun rapport écrit des enquêteurs; en outre, rien n'indique où Mme Tyler aurait obtenu ses renseignements : elle n'était pas l'enquêteuse. Néanmoins, il est clair que ce qu'elle écrit ne peut pas être une preuve directe. Cette information n'est pas fiable, de sorte que je ne peux pas en tenir compte pour décider si le maintien de la suspension est justifié. Le poids qu'on peut accorder à une preuve de ouï-dire est minimal lorsqu'il s'agit de faits importants contestés, et je n'accorde donc aucun poids à la preuve de ouï-dire pour établir les faits.

121 Les enquêteurs ne semblent avoir parlé à personne parmi les collègues ou les superviseurs de M. Basra. Or, cela aurait pu faciliter énormément la détermination des risques pour M. Basra, pour les autres membres du personnel, pour les visiteurs, pour les détenus et pour le système d'information du SCC. Dans son témoignage, M. Brown a évoqué le risque pour le système d'information, en disant que c'était une de ses raisons de maintenir la suspension indéfinie de M. Basra. Il m'est difficile de comprendre comment M. Basra pouvait constituer un tel risque : dans son poste, il n'avait qu'un accès limité au système d'information du SCC et rien ne laisse entendre qu'il ait compromis l'intégrité de ce système dans le passé. En outre, rien dans la nature de l'infraction alléguée ne m'incite à penser qu'il pose un risque quelconque pour le système d'information du SCC.

122 Qui plus est, j'ai des réserves sur la qualité de la preuve produite par le défendeur à l'audience. En effet, il a fait comparaître M. Brown, qui est en définitive la personne responsable de la gestion de l'établissement de Matsqui, alors qu'il était absent de l'établissement pendant des périodes critiques, tandis que M. Scott, le directeur par intérim en son absence, n'a pas été appelé à témoigner. C'est M. Brown qui a pris les décisions de maintenir la suspension, mais ce n'est pas lui qui a pris la décision originale de suspendre M. Basra, ni d'enquêter sur les faits.

123 Le critère de Larson exige davantage qu'établir la bonne foi du décideur et ce dont il a tenu compte. Il faut aussi prouver les faits sous-jacents à sa décision. J'aurais cru que le défendeur aurait au moins fait comparaître les enquêteurs, déposé un rapport d'enquête et fait témoigner le policier qui avait enquêté sur l'allégation ou déposé le rapport de police.

124 Or, la totalité de la preuve sur l'allégation est un précis ou un résumé d'un rapport de police émanant d'un procureur de la Couronne, avec copie de l'accusation contenue dans la déposition sous serment. J'ai la description que ce procureur a faite de l'information dont il a tenu compte pour prendre la décision de porter l'accusation, mais je n'ai pas la preuve sur laquelle il s'est basé. J'ai tout au plus la description succincte qu'il a rédigée, et c'est du ouï-dire ou du double ouï-dire, parce que c'est son interprétation d'un rapport de police. À cela s'ajoutent divers courriels envoyés par les enquêteurs à M. Brown sur ce qu'ils avaient entendu dire par un policier.

125 Sur la foi de la preuve dont je suis saisi, je ne peux conclure que le policier auquel les enquêteurs avaient parlé à la Cour ou ailleurs était celui qui avait enquêté sur l'accusation au criminel. M. Brown a dit penser qu'il s'agissait du policier enquêteur plutôt que d'un policier chargé de la liaison avec la Cour, mais je ne peux pas considérer ce qu'il pense comme une preuve. Il n'avait pas le rapport de police original dans lequel le policier enquêteur était nommé, et ce policier n'est pas non plus nommé dans la lettre du procureur de la Couronne.

126 Il appert que M. Brown a fait des erreurs sur les faits qui sous-tendent sa décision. Il semble particulièrement avoir eu tort de partir du principe que M. Basra était au courant de l'accusation et ne l'avait pas déclarée. Selon lui, il est important que M. Basra ait abusé de la confiance du SCC en ne déclarant pas l'accusation, alors que le Code de discipline lui imposait de toute évidence l'obligation de déclarer une accusation portée plutôt qu'une accusation susceptible de l'être. Dans ce cas, le procureur de la Couronne a informé M. Brown de l'accusation avant que M. Basra ne sache qu'elle avait été portée. M. Brown semble avoir l'impression qu'un accusé est tenu de coopérer avec la police et de plaider coupable. Il semble avoir eu l'impression - à tort - que M. Basra avait induit la police en erreur. Pourtant, M. Basra fait face à une accusation d'agression sexuelle et non d'obstruction à la justice ou de méfait public.

127 Il me paraît étonnant que le SCC n'ait pas parlé à M. Basra ni à ses collègues ou superviseurs pour recueillir des renseignements qui auraient pu l'aider dans son évaluation des risques. Bien qu'une suspension immédiate puisse être temporairement justifiée sans qu'une enquête en bonne et due forme ait été faite, parce qu'on juge urgent de l'imposer, le SCC a eu plus de six mois pour évaluer les risques et n'a pas encore jugé bon d'obtenir ces renseignements et d'en tenir compte. Selon moi, cela signifie qu'il accordait plus d'importance au fait qu'une accusation avait été portée ainsi qu'à la nature des allégations et des répercussions qu'elles auraient pu avoir sur sa réputation qu'à déterminer si M. Basra présentait des risques pour ses intérêts légitimes, qui comprennent la sécurité de M. Basra lui-même, de ses collègues, des visiteurs ou des détenus et l'intégrité du système d'information du SCC, ou encore ses relations avec les organismes de l'extérieur chargés de l'application de la loi. M. Brown allègue qu'il faisait face à ces problèmes-là, mais il est difficile de comprendre comment il a pu arriver à ces conclusions en se fondant sur l'information limitée dont il disposait.

128 Il m'est difficile aussi d'accepter le raisonnement de M. Brown sur l'évaluation des risques étant donné qu'il n'a pas obtenu les faits nécessaires et qu'il n'a donc pas pu en tenir compte puisqu'on ne peut pas évaluer des risques abstraitement. La jurisprudence est claire : le SCC est tenu d'obtenir et d'évaluer l'information nécessaire, comme l'ont établi Larson, Ontario Jockey Club et Alberta. Étant donné que l'information limitée émanant du procureur de la Couronne prouve que M. Basra a été arrêté après que l'accusation eut été portée, je dois conclure qu'il bénéficie d'une forme ou d'une autre de libération provisoire ou d'une libération par l'agent responsable. Le SCC n'a pas obtenu les modalités de cette libération qui auraient pu lui être utiles, en appliquant le critère de Larson, pour évaluer les risques que la situation présente pour ses intérêts légitimes. Tout ce qu'on peut déduire, à mon avis, c'est que M. Basra ne présente pas un grand danger pour le public; autrement, il aurait été détenu plutôt que laissé en liberté jusqu'à son procès criminel.

129 M. Basra a travaillé 18 mois à l'établissement de Matsqui après les faits allégués et avant que l'accusation ne soit portée, avec un dossier sans tache. En sa qualité de CX-01, il n'a pas un accès illimité aux renseignements confidentiels, il n'est pas agent de liaison avec la GRC et n'a pas d'accès non supervisé aux visiteurs; de plus, une grande partie des postes auxquels il a été affecté ne nécessitent que très peu d'interactions avec les détenus. C'est un gardien qui n'est pas chargé de tâches de réhabilitation des détenus, sauf au sens très général de sa présence en qualité d'agent correctionnel à l'établissement de Matsqui. Je préfère le témoignage de M. Virk à celui de M. Brown, voulant que les détenus ne s'adressent pas volontiers aux gardiens ou aux CX-01 pour leur parler de leurs problèmes. M. Virk est un CX-01 d'expérience. Mon analyse du témoignage de M. Brown me fait clairement comprendre qu'il n'a pas travaillé comme CX-01 à l'établissement de Matsqui. Par ailleurs, rien dans la preuve ne laisse entendre que M. Basra ait trompé la police dans son enquête. Il n'est nullement tenu d'assumer sa responsabilité s'il est innocent de l'accusation portée contre lui, et il est présumé innocent tant qu'il n'aura pas été jugé coupable. Tout au mieux, la thèse du défendeur revient à dire que l'accusation est grave et que le SCC ferait mauvaise figure s'il laissait un agent correctionnel continuer à travailler quand on a porté une grave accusation contre lui. En outre, il ne me paraît pas crédible que la police refuserait de communiquer des renseignements à l'établissement de Matsqui ou d'aider les agents correctionnels de cet établissement, y compris M. Basra, s'il lui était demandé de le faire. On ne m'a pas expliqué dans la preuve comment M. Basra présenterait un risque pour lui-même ou pour d'autres s'il continuait de travailler comme CX-01.

130 M. Basra a produit une preuve claire et convaincante qu'il existe un certain nombre de postes de CX-01 dont les occupants ont un minimum de contacts avec les visiteurs, le personnel féminin de l'établissement et les détenus. Je me serais attendu à ce que certaines de ces possibilités soient acceptables pour le SCC et qu'elles auraient mitigé au maximum tous les risques raisonnablement perçus. Je ne suis pas convaincu que le SCC ait entièrement ou dûment exploré toutes les possibilités. Plus particulièrement, je sais qu'il existait au moins trois postes auxquels on aurait pu affecter un CX-01 comme M. Basra de façon qu'il n'ait aucun contact avec les visiteurs, le personnel féminin ou les détenus. Tous les postes du quart de la soirée ne nécessitent que très peu de contacts avec le personnel féminin, si ce n'est avec des agentes correctionnelles. Le défendeur n'a rien produit en preuve pour démontrer que ces agentes auraient de la réticence à travailler avec M. Basra ou craindraient pour leur sécurité en travaillant avec lui. J'accepte le témoignage de Mme Enns, une CX-02 d'expérience, qui a déclaré qu'elle n'aurait aucun problème à travailler avec M. Basra.

131 L'application du critère de Larson suppose qu'on pèse les risques. À mon avis, compte tenu du temps écoulé avant que l'accusation ne soit portée pendant que M. Basra travaillait à l'établissement de Matsqui, le fait qu'il semble bénéficier d'une forme quelconque de libération laisserait entendre qu'il sait avoir intérêt à se conduire de manière exemplaire s'il retourne au travail. Bref, le risque qu'il agresse sexuellement des collègues du sexe féminin ou des visiteuses à son lieu de travail semble minime, sinon inexistant.

132 De quels intérêts légitimes du SCC faut-il tenir compte pour évaluer les risques? Il est important de bien comprendre la nature des activités du SCC. Une des grandes craintes dans Ontario Jockey Club était due au fait que l'employé avait été accusé d'une infraction aux dispositions sur les paris du Code criminel en laissant utiliser des locaux comme maison de pari. Dans ce cas, l'employeur avait un volet de contrôle des paris dans ses activités; il était donc important pour qu'il les poursuive que personne ne soit dans ses locaux s'il était impliqué dans des paris illégaux. Par contre, en l'espèce, les activités du SCC sont limitées au côté correctionnel du système de justice pénale. L'établissement de Matsqui est chargé de garder des détenus et de protéger la société contre eux pendant qu'ils se réhabilitent. Il offre aux détenus un environnement comprenant des programmes pour leur faciliter la tâche en ce sens. Les détenus de l'établissement sont des criminels plus endurcis que ceux qu'on trouverait dans un établissement à sécurité minimale. La tâche de M. Basra consiste à les garder plutôt qu'à les aider à se réhabiliter. Son rôle est d'assurer la sécurité et surtout la sécurité statique, de sorte qu'il est difficile de comprendre comment son aptitude à s'acquitter de cette fonction aurait pu être sapée par l'accusation au criminel portée contre lui. Contrairement à ce qui se passait dans Ontario Jockey Club, l'aptitude d'un pénitencier fédéral à mener ses activités n'est pas sapée par la présence d'un employé accusé d'une infraction au criminel.

133 Il est clair que M. Basra fait face à une grave accusation au criminel; en outre, les aspects de manipulation de l'infraction qu'on allègue qu'il a commise sont inquiétants. Il est légitime de vouloir assurer la sécurité des détenus et du personnel. À mon avis, puisque M. Basra a continué à travailler pendant 18 mois après l'infraction alléguée, il ne pose guère de risques pour le personnel ni pour les visiteurs. D'ailleurs, les risques s'estompent souvent avec le temps : Clarendon Foundation. Si M. Basra continuait à travailler à l'établissement de Matsqui, il ne constituerait pas un risque pour les détenus. La réhabilitation des détenus est d'un grand intérêt pour le SCC, mais un CX-01 n'a guère de contact avec eux et n'intervient pas dans leur réhabilitation. Rien ne prouve non plus l'existence d'un risque pour la sécurité des CX-01, puisqu'un CX-01 travaille normalement dans un poste protégé, est équipé d'un émetteur-récepteur radio et a facilement accès aux sonnettes d'alarme. La réputation du SCC est importante pour lui, mais il reste qu'un des principes fondamentaux du système de justice dont le SCC constitue une importante part est la présomption d'innocence. La décision du SCC présume non seulement que M. Basra est coupable de l'infraction alléguée, mais aussi qu'il a trompé le SCC et les enquêteurs. Rien dans la preuve ne justifie la conclusion que M. Basra les ait trompés, et il a le droit d'être présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit jugé coupable par un tribunal.

134 Cela dit, et bien que les avocats de l'employeur n'aient pas présenté d'argument directement sur ce point, M. Brown a insisté dans son témoignage pour dire qu'une suspension s'imposait afin d'assurer l'intégrité du système d'information du SCC et que c'était un facteur de risque qui justifiait le maintien de la suspension. Oui, l'intégrité du système d'information du SCC est importante. Toutefois, la preuve ne permet pas de conclure à l'existence d'un « véritable risque » à cet égard; en effet, elle a démontré qu'un CX-01 n'a pas un accès illimité au système d'information. Le défendeur n'a pas prouvé l'existence d'un risque pour le système d'information du SCC. La coopération interorganismes est aussi un intérêt important et légitime pour lui, mais il est difficile d'imaginer comment employer M. Basra pendant qu'il fait face à une accusation dissuaderait la police de fournir de l'information au BIPS ou de venir en aide à l'établissement de Matsqui au besoin. C'est plus une crainte hypothétique qu'un risque probable.

135 La preuve dont je suis saisi m'amène à conclure que le SCC n'avait aucune justification pour prolonger la suspension sans traitement de M. Basra. Parce qu'il n'a pas suffisamment enquêté sur les faits pendant la longue période dont il disposait, sa décision administrative originale est devenue une mesure disciplinaire contre M. Basra (voir Larson).

136 Je souscris à l'approche de l'arbitre de grief dans Larson. Cette arbitre a dû composer avec la longueur de la période consacrée à l'enquête, en invoquant l'alinéa E.1a) du Guide disciplinaire sur la rétrogradation et le licenciement non disciplinaires pour raison valable (pièce G-25), qui stipule que les mesures disciplinaires devraient être prises dans un délai d'un mois après l'infraction. C'est le délai que M. Scott avait fixé dans ses instructions aux enquêteurs, et il semble que le SCC l'ait considéré comme raisonnable pour enquêter sur le cas de M. Basra. Ce délai d'un mois se serait terminé le 3 mai 2006, ce qui aurait donné amplement le temps aux enquêteurs d'obtenir les renseignements nécessaires et rédiger un rapport. Le SCC aurait aussi eu amplement le temps de convoquer M. Basra pour l'interroger ou d'interroger aussi d'autres employés à son lieu de travail afin d'obtenir les renseignements relatifs à ses craintes.

137 Quand le SCC prend la décision de suspendre un employé en attendant les résultats d'une enquête disciplinaire dans une situation où l'on a porté une accusation au criminel contre lui pour sa conduite en dehors de ses heures de travail, il se doit de s'empresser de mener son enquête à bien dans les meilleurs délais. Le SCC n'a pas automatiquement le droit de suspendre un employé simplement parce qu'on a porté une accusation au criminel contre lui. Pour suspendre un employé sans traitement jusqu'à ce que cette accusation soit tranchée, il doit faire une analyse des risques en se basant sur les faits recueillis grâce à une enquête. Une longue suspension peut être une véritable injustice pour l'employé, particulièrement si l'on ne mène pas une enquête qui génère des faits suffisants pour que le SCC puisse prendre une décision rapidement. L'employé ne devrait pas subir une aussi grosse perte de traitement parce qu'une enquête n'est pas menée en temps opportun. M. Basra a le droit de toucher son traitement rétroactivement au 3 mai 2006.

138 Les parties ne m'ont présenté aucune observation sur le taux d'intérêt ou sur la période applicable en vertu de l'alinéa 226(1)i) de la Loi. La période que je considère comme appropriée pour le calcul des intérêts est du 3 mai 2006 jusqu'à la date du retour au travail de M. Basra. Je vais rester saisi de l'affaire pendant 90 jours pour l'exécution de ma décision, particulièrement en ce qui concerne le calcul des intérêts sur les sommes dues à M. Basra par suite d'elle, si les parties étaient incapables de s'entendre sur le taux d'intérêt approprié et sur le calcul des intérêts.

139 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

Ordonnance

140 Le grief est accueilli. J'ordonne que M. Basra soit réintégré dans son poste de CX-01 à compter du 3 mai 2006, avec remboursement rétroactif de son traitement et de ses avantages sociaux, plus les intérêts. Je demeure saisi de l'affaire pendant 90 jours pour l'exécution de ma décision.

Le 11 juillet 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Paul Love,
arbitre de grief

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