Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a demandé la copie d'un test standardisé de l'intimé, accompagnée de la grille de correction. L’intimé s’est opposé à la divulgation du test puisqu’il se proposait d’en faire usage comme méthode d’évaluation pendant cinq à sept ans, y compris pour toute évaluation subséquente du plaignant. Ce serait accorder un avantage indu à ce dernier et invalider le test tout en faussant ses résultats. L’intimé a ajouté que l’information demandée n’était pas pertinente et relevait plutôt d’une recherche à l’aveuglette par le plaignant. La Commission de la fonction publique a fait observer que la responsabilité du test standardisé incombait à l’intimé vu qu’elle ne l’avait pas préparé. Décision : Pour rendre sa décision, le Tribunal a évalué la pertinence des documents, la question de savoir si l'accès aux éléments confidentiels pouvait nuire à l'utilisation continue du test, de même que la possibilité de permettre au représentant du plaignant d'avoir accès à ces renseignements. Bien que le Tribunal ait conclu à la pertinence des renseignements demandés par le plaignant en l’espèce, il a aussi déterminé que permettre au plaignant ou à son représentant d'avoir accès au test serait compromettre sa validité ou son utilisation future en conférant un avantage indu au plaignant. Demande rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2006-0147
Rendue à:
Ottawa, le 26 mars 2007

MATHIEU SAVOIE
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Demande d'ordonnance de communication de renseignements
Décision:
La demande est rejetée
Décision rendue par:
Sonia Gaal, vice-présidente
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Savoie c. Sous-ministre des Affaires étrangères et al.
Référence neutre:
2007 TDFP 0010

Motifs de la décision

Introduction

1 Le plaignant, M. Mathieu Savoie, a demandé la production de documents relatifs à un test standardisé développé pour le ministère des Affaires étrangères et Commerce international. Le 1er mars 2007, le Tribunal avisait les parties que la requête était rejetée avec motifs à suivre. Ce sont ces motifs.

Contexte

2 Le 30 septembre 2006, M. Savoie déposait une plainte en vertu de l’alinéa 77(1) a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP) concernant le fait qu’il ne s’est pas qualifié pour un poste d’agent/agente de la gestion et des affaires consulaires (AGC), de niveau AS–04, lors du processus annoncé numéro 06–EXT–IA–RB–MCO–AS–04. Le plaignant est titulaire d’un poste d’attache de niveau AS–02 mais occupe présentement un poste de niveau AS–04 à titre intérimaire.

3 Le sous-ministre des Affaires étrangères (l’intimé), par l’entremise du Conseil de gestion des AGC, a établi un plan de stratégie de dotation de postes d’AGC et a voulu remédier au manque d’uniformité dans la classification de ces postes. Il a été décidé que les postes d’AGC seraient dorénavant classifiés et recrutés au niveau AS-04.

4 À cet effet, l’intimé a affiché en avril 2006 un avis administratif indiquant un processus de nomination interne au niveau AS-04 pour des postes d’agent/agentes de la gestion et des affaires consulaires. L’avis indiquait entre autres l’énoncé des critères de mérite, les qualifications essentielles et les conditions d’emploi. Le but du processus de nomination était de créer un bassin de candidats et de s’assurer que les agent/agentes soient maintenant classifié(e)s au niveau AS-04. Le processus était ouvert à « tous les employés occupant, de façon substantive [sic], un poste au sein de la filière de la gestion des affaires consulaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international à l’Administration centrale et à l’étranger ».

5 La méthode d’évaluation à laquelle l’intimé a eu recours était un test standardisé (test EPSI) développé pour celui-ci par la firme Evaluation Personnel Selection International (EPSI), spécialisée dans le développement d’outils standardisés pour évaluer les compétences pour ce genre de poste. Le test a été administré à 57 candidats et 52 l’ont réussi. Le plaignant a échoué le test.

6 Le 15 novembre 2006, l’intimé écrivait au plaignant au sujet des plans de carrière pour les AGC. Il est utile de reproduire le courriel en entier car il contient de l’information concernant les prochaines démarches de l’intimé ainsi que le soutien offert au plaignant :

From: Templeton, Viviane -HSP
Sent: November 15, 2006 10:38 PM
To: Savoie, Mathieu -BUCST -AG
Subject: Plans de carrières

Mathieu,

Comme vous le savez, le groupe et le niveau AS-04 constitue désormais le nouveau niveau de recrutement pour la filière des AGC.

Le Conseil de gestion des AGC a décidé de donner environ un an aux AGC qui ne sont pas au niveau AS-04 pour leur permettre d’atteindre les niveaux de compétence des AS‑04. S’ils le désirent, ces employés peuvent recevoir un encadrement ou du mentorat ciblé de leur superviseur actuel ou d’un mentor dans les domaines où le dernier processus d’évaluation des AS-04 réalisé en 2006 a permis de constater des besoins en termes de perfectionnement.

En septembre 2007, les employés seront réévalués en fonction des exigences des AS‑04 au moyen d’un éventail d’outils, notamment l’examen d’EPSI et la vérification des références. Si des employés ne sont pas promus au niveau AS-04 à ce moment, des mesures seront prises pour leur trouver du travail à leur niveau de titularisation à l’extérieur de la filière des AGC. Les employés en question poursuivront leur affectation et continueront de recevoir la rémunération d’intérim jusqu’à ce qu’ils soient promus au niveau AS-04 ou jusqu’à ce qu’une nouvelle nomination soit faite.

Comme vous faites partie des AGC qui n’ont pas encore le niveau AS-04, je vous demande d’envisager de recevoir un encadrement cette année dans les domaines où des faiblesses ont été relevées par l’intermédiaire de l’examen d’EPSI que vous avez passé il y a plusieurs mois. Si cela vous intéresse, je serais ravie de collaborer avec vous et votre superviseur ou mentor pour définir des objectifs et des points de référence et vous aider à effectuer le suivi périodique tout au long de l’année pour que vous ayez une idée nette de vos progrès.

Je vous téléphonerai dans des prochaines jours pour donner suite à cette lettre et j’espère que je pourrai travailler avec vous afin d’assurer votre perfectionnement dans la filière des AGC.

Viviane Templeton

Chef de projet

Stratégie relative aux AGC

(…)

(nos italiques)

7 Suite à la communication des renseignements entre les parties, l’intimé envoyait un courriel au plaignant le 27 novembre 2006 lui indiquant les résultats de son test écrit selon les compétences évaluées, les notes obtenues et les notes de passage. Le 28 novembre, le plaignant réitérait sa demande à l’intimé d’obtenir de l’information au sujet du test standardisé. L’intimé a refusé de lui communiquer cette information.

8 Le 6 décembre, le plaignant présentait une demande au Tribunal dans laquelle il demandait, entre autres, une copie du test standardisé et la grille de correction du test standardisé.

9 Le 13 décembre, le Tribunal faisait parvenir aux parties une lettre décision dans laquelle il traitait de certaines demandes du plaignant et accordait jusqu’au 23 janvier 2007 pour recevoir les observations des parties sur la communication du test standardisé et la grille de correction de celui-ci.

Question en litige

10 Le Tribunal devrait-il ordonner la production des documents concernant le test EPSI ?

Observations

A) Position du plaignant

11 À l’appui de sa demande, le plaignant soutient qu’il veut déterminer dans quelle mesure les questions posées ont pu permettre à la firme EPSI de juger la pertinence de la candidature des individus ayant subi le test en reliant ces questions aux compétences évaluées.

12 Le plaignant prétend que ce test ne sera plus utilisé car les positions sont maintenant recrutées au niveau AS-04 et qu’aucun avantage ne serait octroyé à un individu si l’information lui était fournie. De plus, si l’intimé doit utiliser ce même test dans le futur, il peut en modifier le scénario.

13 Le plaignant affirme que les documents remis par l’intimé dans le cadre de la communication des renseignements ne suffisent pas à déterminer la pertinence du test en question dans son ensemble. On ne lui a pas expliqué les notes obtenues et la base sur laquelle elles ont été déterminées pour chacune des questions à développement. Il soutient que la grille de correction et le questionnaire du test sont nécessaires afin de faire le pont entre la stratégie, les compétences évaluées et les questions posées afin d’évaluer ces compétences.

B) Position de l’intimé

14 L’intimé soutient que c’est le manuel technique préparé par la firme EPSI et non le test lui-même qui permet de s’assurer de la pertinence des questions. Selon l’intimé, la preuve de la validité du test est le taux de réussite élevé des candidats : 52 des 57 candidats l’ont réussi. La communication du test EPSI ou du manuel technique nuirait à l’utilisation continue du test et fausserait les résultats de ce test en donnant un avantage indu au plaignant.

15 Quant à la grille de correction, l’intimé indique qu’elle correspond au guide de l’évaluateur. Le partage de cette grille invaliderait le test et fausserait les résultats de celui-ci, tout en conférant encore un avantage indu au plaignant. La grille contient les éléments de réponse attendus pour chacune des compétences qui s’appliquent aux niveaux de postes AS-01 à AS-07.

16 Le test est valide pour une durée de cinq à sept ans et sera utilisé annuellement par l’intimé comme outil d’évaluation pour les processus de nomination des AGC qui occupent des postes de niveau AS-04 à AS-07. Ce même test sera utilisé lors de l’évaluation des candidats qui ont échoué le processus en 2006.

17 Enfin, l’intimé soutient que cette information n’aidera pas le Tribunal à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir, mauvaise foi ou favoritisme personnel. Par ailleurs, le fait de donner des explications sur la façon dont les points ont été accordés équivaut à présenter des arguments et non communiquer des renseignements. Cette information n’est pas pertinente et relève plutôt d’une recherche à l’aveuglette par le plaignant.

B) Position de la Commission de la fonction publique (CFP)

18 La CFP avise que le test standardisé n’est pas préparé par la CFP et ne relève pas de la CFP mais plutôt de l’intimé. La CFP s’en remet donc à l’intimé en ce qui a trait au test.

19 La CFP réfère toutefois à la décision Aucoin c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada et al., [2006] TDFP 0012 et soutient qu’elle devrait s’appliquer à tout test standardisé.

Analyse

20 L’alinéa 17(1)c) du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique DORS/2006-6 (Règlement du TDFP) traite du refus d’une partie de communiquer les renseignements concernant les tests standardisés :

17. (1) Malgré l'article 16, le plaignant, l'administrateur général ou la Commission peuvent refuser de communiquer les renseignements prévus à cet article dans le cas où cela risque, selon le cas :

(…)

c) d'avoir une incidence sur la validité ou l'utilisation d'un test standardisé ou de certaines de ses parties, ou d'en fausser les résultats en conférant un avantage indu à quiconque.

21 Le Tribunal a déjà traité de tests standardisés dans la décision Aucoin, supra. Dans cette affaire, M. Aucoin avait été évalué au moyen d’un test standardisé de la CFP qui a servi à la sélection des candidats pour quatre postes spécifiques de surintendant/surintendante, au groupe et niveau PM-04. Il avait été exclu du processus de nomination et demandait des documents se rapportant au test standardisé. Le Tribunal avait ordonné la production de certains documents, le tout sujet à des conditions spécifiques et détaillées en vertu des paragraphes 17(4) et (5) du Règlement du TDFP. Toutefois, la situation dans cette affaire est bien différente de celle énoncée dans la décision Aucoin.

22 Il est utile de référer à la décision Canada (Procureur Général) et Gill (2001) 107 A.C.W.S. (3d) 429 (version anglaise) ; [2001] A.C.F. no 1171 (QL) de la Cour fédérale qui a été examinée en détail dans la décision Aucoin. La cour avait établi des questions auxquelles la présidente du comité d’appel de la CFP devait répondre avant de refuser l’accès au test standardisé :

11 La première question se rapporte à la pertinence des éléments confidentiels auxquels l'accès est demandé. Le président doit être convaincu que les éléments concernent l'appelant ou le candidat reçu et qu'en raison de leur pertinence, ils sont susceptibles d'être communiqués au comité d'appel. Deuxièmement, le président doit déterminer si le fait d'assurer l'accès aux éléments confidentiels peut nuire à l'utilisation continue d'un test standardisé ou fausser les résultats d'un test standardisé en conférant un avantage indu à une personne. Si l'on répond à cette dernière question par l'affirmative, la troisième et dernière question consiste à savoir si, en imposant des conditions, il est possible d'éviter que l'utilisation future du test soit compromise. Si le président n'est pas convaincu que l'imposition de conditions permettra d'éviter que l'utilisation future du test soit compromise, il ne doit pas ordonner l'accès aux éléments en question.

(nos italiques)

23 Le Tribunal doit donc traiter ces questions afin de déterminer s’il y a lieu d’ordonner la production des documents demandés par le plaignant concernant le test standardisé.

24 En ce qui a trait à la première question dans la décision Gill, soit la pertinence des documents,le Tribunal est d’avis que l’information est pertinente car elle concerne l’évaluation du plaignant qui a échoué le test.

25 Quant à la deuxième question, à savoir si l’accès aux éléments confidentiels peut nuire à l’utilisation continue du test, le Tribunal répond par l’affirmative.

26 L’intimé a établi un plan de stratégie pour les postes d’agents/agentes de la gestion des affaires consulaires où il a déterminé que ces postes seraient maintenant classifiés et recrutés au niveau AS-04. L’intimé a décidé de reclassifier ces postes. Les candidats ont été évalués à l’aide du test EPSI et devaient réussir celui-ci afin d’être reclassifiés au niveau AS-04.

27 Le Tribunal constate que le test EPSI est utilisé par l’intimé en l’espèce comme méthode pour évaluer les candidats pour la reclassification des postes AS-04 et non pour doter un poste vacant, comme c’était le cas dans la décision Aucoin. Ce même test sera utilisé lors de l’évaluation des candidats qui ont échoué le processus en 2006.

28 Dans ce cas, toute information que le plaignant obtiendrait concernant le test EPSI aurait donc une incidence sur la validité ou l'utilisation du test standardisé ou de certaines de ses parties, ou pourrait en fausser les résultats en conférant un avantage indu au plaignant. En effet, celui-ci aurait accès à la grille de correction, aux réponses, aux explications et à toute autre information qui pourrait influencer son résultat.

29 De plus, le test est valide pour une durée de cinq à sept ans et sera utilisé annuellement par l’intimé comme méthode d’évaluation pour les processus de nomination des AGC qui occupent des postes de niveau AS-04 à AS-07.

30 Selon le Tribunal, la divulgation de ce test, du manuel technique et de la grille de correction aurait certainement pour effet de nuire à l'utilisation continue du test standardisé ou d’en fausser les résultats en conférant un avantage indu au plaignant.

31 La dernière question dans la décision Gill concerne la possibilité de donner accès à l’information à une personne, qui ne fait pas partie de la fonction publique, en tant que représentant ou représentante du plaignant. Il est à noter que le plaignant n’a pas fait cette demande au Tribunal qui se penche néanmoins sur cette question.

32 Le Tribunal avait établi dans la décision Aucoin que certains documents pouvaient être révisés par le représentant du plaignant, représentant qui n’était pas employé de la fonction publique, le tout sujet à des conditions détaillées.

33 Dans la décision Aucoin, le test standardisé pouvait être utilisé à nouveau dans le futur pour évaluer des candidats pour d’autres postes. Il s’agissait toutefois d’une situation incertaine dont on ne connaissait pas de date ou de période précise. De plus, il était possible que M. Aucoin décide de ne pas participer au processus et qu’il ne subisse plus ce test. Dans ce cas, l’information qu’il aurait obtenue lors de la communication ne lui aurait peut-être pas servie dans le futur et ne lui aurait pas donné un avantage indu.

34 Par contre, tel qu’indiqué ci-haut pour l’analyse de la deuxième question de la décision Gill, dans notre dossier, le plaignant a échoué l’exercice de reclassification, soit le test EPSI choisi par l’intimé. L’intimé a avisé le plaignant dans le courriel du 15 novembre 2006 énoncé plus haut, que les candidats qui n’ont pas réussi en 2006 seront évalués à nouveau en septembre 2007 à l’aide du test EPSI et d’autres méthodes.

35 Il s’agit donc d’une certitude que le même test sera administré à nouveau et que le plaignant le subira à l’automne 2007 s’il désire être reclassifié au niveau AS-04.

36 Le Tribunal considère que cette option, soit de permettre l’accès sous conditions à la représentante syndicale du plaignant, risque également de donner un avantage indu au plaignant quand il reprendra le test en septembre 2007. En effet, la représentante devra obligatoirement discuter de l’information communiquée dans le cadre de cette plainte avec le plaignant. Celui-ci pourra utiliser cette information quand il l’écrira à nouveau car il saura ce qui est recherché dans les questions et réponses.

37 Par conséquent, le Tribunal ne peut ordonner la communication du test EPSI et de la grille de correction demandés par le plaignant, ni permettre l’accès à sa représentante syndicale. En effet, la communication de ces documents pourrait avoir une incidence sur la validité ou l'utilisation du test ou de certaines de ses parties, ou d'en fausser les résultats en conférant un avantage indu au plaignant qui subira le même test à l’automne 2007.

38 Finalement, l’intimé offre au plaignant de l’encadrement et du mentorat dans les domaines où il n’a pas réussi et qui lui ont été communiqués. Le plaignant a accès à plusieurs personnes qui peuvent l’aider afin de réussir à nouveau le test EPSI pour obtenir le niveau AS-04. Il peut donc profiter de cette aide afin de se préparer en conséquence sans avoir accès aux réponses et à l’information demandée.

Décision

39 Pour tous ces motifs, le Tribunal rejette la demande de communication de renseignements.

Sonia Gaal

Vice-présidente

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2006-0147
Intitulé de la cause:
Mathieu Savoie et le Sous-ministre des Affaires étrangères et al.
Audience:
Demande écrite; décision rendue sans comparution des parties
Date des motifs:
Le 26 mars 2007
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