Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient au bureau de Scarborough de Développement des ressources humaines Canada (Division de l’assuranceemploi) et étaient responsables du traitement des dossiers des clients - l’employeur était préoccupé par la faible productivité du bureau de Scarborough - l’employeur a établi un système de << charge de travail unique >> pour le traitement des dossiers provenant de tous les bureaux de la grande région de Toronto - l’employeur a affirmé que des heures supplémentaires seraient approuvées pour les bureaux uniquement lorsque les exigences en matière de productivité seraient satisfaites - pendant six mois, seul un certain type de travail a été assigné en heures supplémentaires au bureau de Scarborough - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait contrevenu aux modalités de la convention collective - le fait que les employés étaient disponibles et qualifiés leur donnait droit à des heures supplémentaires attribuées de façon équitable - l’employeur ne pouvait pas évoquer la productivité d’un bureau comme facteur supplémentaire pour décider de l’attribution des heures supplémentaires - les parties n’ont demandé qu’une décision déclaratoire - l’arbitre de grief a demeuré saisi de l’affaire au cas où les parties n’arriveraient pas à convenir d’une réparation - l’arbitre de grief a ordonné une rémunération en argent plutôt qu’une réparation en nature pour les heures supplémentaires perdues. Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-08-14
  • Dossier:  166-02-35642 à 35650
  • Référence:  2007 CRTFP 85

Devant un arbitre de grief


Entre

ELIZABETH BUNYAN ET AL.

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

employeur

Répertorié
Bunyan et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Barry D. Done, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Douglas Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Amita R. Chandra, avocate

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 23 au 25 mai 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Griefs renvoyés à l'arbitrage

1  Le 5 février 2002, Elizabeth Bunyan et huit de ses collègues du bureau de Scarborough (Ontario) de Développement des ressources humaines Canada (DRHC), comme on l'appelait alors, ont présenté des griefs parce qu'on leur refusait la possibilité de faire des heures supplémentaires :

[…]

Je soussigné(e) conteste le manquement de la direction à la stipulation 28.05a) de la convention collective puisqu'elle a unilatéralement et délibérément refusé d'offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires au personnel du bureau local d'assurance, en faisant faire ce travail par des fonctionnaires d'autres bureaux.

[…]

2 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l'« ancienne Loi »).

3 Mme Bunyan et ses collègues travaillaient à la Division de l'assurance-emploi du bureau comme agents II, agents d'assurance et agents I, représentants à la prestation du service, classés respectivement PM-02 et CR-05.

4 Leur convention collective (pièce E-1), conclue entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique du Canada à l'égard du groupe Services des programmes et de l'administration, a expiré le 21 juin 2003. La stipulation 28.05a) de cette convention se lit comme suit :

[…]

Sous réserve des nécessités du service, l'Employeur s'efforce autant que possible de ne pas prescrire un nombre excessif d'heures supplémentaires et d'offrir le travail supplémentaire de façon équitable entre les employé-e-s qualifiés qui sont facilement disponibles.

[…]

II. Questions préliminaires

A. Retrait de certains renvois

5 Le représentant des fonctionnaires s'estimant lésés m'a informé que trois d'entre eux sur neuf avaient retiré leurs renvois à l'arbitrage : Elizabeth Bunyan (dossier de la CRTFP 166-02-35642), Kim Christoffersen (dossier de la CRTFP 166-02-35643) et Darlene Palenik (dossier de la CRTFP 166-02-35648).

B. Objections à la compétence de la Commission

6 L'avocate de l'employeur a soutenu que les griefs contestent la prérogative de l'employeur d'organiser la fonction publique prévue à l'article 7 de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) et de l'ancienne Loi. L'employeur a en effet la prérogative de déterminer comment le travail doit être fait dans le milieu de travail, sous réserve de la convention collective.

7 En outre, les griefs ont été déposés le 5 février 2002, alors que la raison invoquée par les fonctionnaires s'estimant lésés pour les présenter n'existait pas avant le 31 mars 2002, date à laquelle ils allèguent que la période de gel du temps supplémentaire a commencé. Ils ne dénoncent dans leurs griefs aucun manquement de l'employeur dans les 25 jours qui ont précédé leur dépôt. Par conséquent, ils ont présenté leurs griefs prématurément.

C. Réponse aux objections à la compétence par l'employeur

8 Les fonctionnaires s'estimant lésés n'ont été avisés que l'employeur considérait leurs griefs comme tardifs qu'à la fin de la soirée de la veille de l'audience. Ils estiment que l'employeur avait donc renoncé à son droit de les contester en fonction des délais.

9 J'ai décidé de réserver ma décision sur la question de la compétence et d'y revenir une fois que les parties auraient fini de me présenter leurs arguments.

III. Résumé de la preuve

A. Pour les fonctionnaires s'estimant lésés

10 Le poste d'attache de Judy Phillips est un poste de PM-02, agent II arbitre, à Service Canada (auparavant appelé DRHC) à Scarborough, en Ontario. Mme Phillips est actuellement vice-présidente de la section locale 3574 du Syndicat de l'emploi et de l'immigration du Canada. Elle a été superviseure PM-03 à plusieurs reprises, notamment pendant cinq ans de 1997 à 2002, donc durant la période au cours de laquelle les griefs ont été déposés.

11 Ses fonctions de superviseure par intérim consistaient à planifier et à répartir le travail, à participer à des conférences téléphoniques hebdomadaires ainsi qu'à assister aux réunions tant du personnel que de la direction. Elle s'était fait dire plus d'une fois au cours de ces conférences téléphoniques hebdomadaires qu'on n'offrirait pas au personnel du bureau de Scarborough la possibilité de faire des heures supplémentaires tant que sa productivité ne s'améliorerait pas. Généralement, les conférences téléphoniques réunissaient les superviseurs des huit bureaux de la Région grande région de Toronto (GRT), les gestionnaires de ces bureaux, le coordonnateur central des heures supplémentaires, un président ou une présidente (par rotation) et potentiellement le directeur. Une des personnes qui assumaient la présidence par rotation avait plusieurs fois parlé de la piètre productivité pendant les heures normales de travail au bureau de Scarborough. Mme Phillips jugeait ces commentaires injustes puisqu'ils ne reconnaissaient pas la diversité culturelle de Scarborough, qui faisait qu'il est beaucoup plus difficile d'obtenir des clients l'information requise dans ce bureau-là que dans la plupart des autres.

12 Vers la fin de janvier 2002, Mme Phillips a assisté à une réunion d'information sur son rôle de superviseure. Pendant la réunion, Peter Pantaleo, un gestionnaire de la prestation du service, a annoncé qu'on cesserait de faire des heures supplémentaires au bureau de Scarborough, à cause du manque de productivité durant les heures normales de travail qu'on y avait constaté.

13 Mme Phillips a identifié deux pièces : la pièce G-2, un ensemble de documents montrant les heures supplémentaires travaillées par Joanne Santino, du bureau du Centre de Toronto, entre le 8 février et le 28 novembre 2002, et la pièce G-3, un ensemble de documents similaire montrant les heures supplémentaires travaillées par Seymour Martin, un des fonctionnaires s'estimant lésés du bureau de Scarborough, entre le 20 juin 2001 et le 22 août 2003. Ces documents révèlent que M. Martin n'avait pas fait d'heures supplémentaires entre le 30 mars et le 14 octobre 2002, pendant ce que les fonctionnaires s'estimant lésés appellent la [traduction] « période de gel du temps supplémentaire ». La pièce G-3 montre la période de six mois et demi précédant la période de gel, et celle de six mois et demi suivant la période de gel. M. Martin avait travaillé en moyenne 143 heures de temps supplémentaire pendant chacune de ces deux périodes.

14 En contre-interrogatoire, Mme Phillips a confirmé l'exactitude d'un organigramme (pièce E-1) du bureau de Scarborough. Pendant les conférences téléphoniques hebdomadaires, on parlait de la charge de travail, des présences et de la productivité de même que de la présence, de la disponibilité pour les heures supplémentaires et du nombre de dossiers traités dans la semaine écoulée. Charles Salonia, l'ancien gestionnaire du bureau de York, avait fait des commentaires au cours de ces conférences téléphoniques hebdomadaires sur le peu de productivité du bureau de Scarborough durant les heures normales de travail; il avait demandé à Mme Phillips : [traduction] « Que faites-vous? »

15 Mme Phillips a expliqué certains des codes figurant dans la pièce G-2 (les relevés des heures supplémentaires travaillées par Mme Santino). Le Code de projet 03597 désigne les dossiers liés à l'épidémie de SRAS et le Code de projet 03594, les dossiers « d'appariement avec ceux des douanes ». L'absence de code de projet indiquait des dossiers d'assurance ordinaires d'un autre bureau. Les initiales « RC » correspondent à Centre de responsabilité, RC 3516 étant le bureau de Scarborough.

16 Mme Phillips a reconnu que faire des heures supplémentaires n'est pas un droit et que l'employeur est libre de choisir de ne pas faire faire du travail en temps supplémentaire.

17 Il existe des normes de service pour les bureaux d'assurance; quand on ne les atteint pas, il peut en résulter un arriéré de demandes.

18 Avant de prendre sa retraite, Seymour Martin, un des six fonctionnaires s'estimant lésés qui n'ont pas retiré leurs griefs, était PM-02 agent II au bureau de Scarborough. Vers la fin de janvier 2002, il a assisté à une réunion où M. Pantaleo a clairement déclaré qu'il avait été décidé de cesser de faire faire des heures supplémentaires au bureau de Scarborough. Les heures supplémentaires nécessaires allaient être faites dans d'autres bureaux de la GRT à cause de la piètre productivité persistante à Scarborough. Une fois que la productivité du bureau se serait améliorée, on recommencerait à offrir aux employés la possibilité de faire des heures supplémentaires.

19 Quand M. Martin a protesté en disant qu'il considérait cette décision comme punitive et arbitraire, il s'est fait dire qu'elle n'était pas à discuter. Il a répondu qu'il serait difficile d'améliorer la productivité puisque le tiers de la charge de travail du bureau est composé de dossiers difficiles et qu'il estimait qu'on envoyait les dossiers faciles à d'autres bureaux.

20 Durant la période de gel de six mois et demi, il ne s'est pas fait offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires et n'en a donc pas fait. C'était un changement radical : en plus de 36 ans au service de l'employeur, il ne lui était jamais arrivé pendant six mois et demi d'affilée de ne pas se faire offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires. En moyenne, il travaillait normalement à peu près 143 heures supplémentaires par période de six mois, comme le montre la pièce G-3.

21 En contre-interrogatoire, M. Martin a reconnu que la possibilité de faire des heures supplémentaires n'est pas un droit, mais il a maintenu que la répartition des heures supplémentaires était prescrite par la convention collective une fois que la décision d'en offrir était prise.

22 Le bureau de Scarborough est situé dans un secteur essentiellement ouvrier où l'emploi n'est pas stable, de sorte que sa charge de travail est lourde.

23 M. Martin a déclaré qu'il prenait rarement des congés annuels; la somme correspondant à 12 semaines de ces congés qui lui a été versée lorsqu'il a pris sa retraite le confirme.

B. Pour l'employeur

24 Peter Pantaleo est un gestionnaire de la prestation du service actuellement classé PM-05, à Oshawa. Au moment où les griefs ont été déposés, il occupait un poste analogue (classé PM-04) au bureau de Scarborough. Il a identifié une compilation de statistiques pour chaque bureau de la GRT (pièce E-4) indiquant le nombre de dossiers reçus au cours des exercices 2001-2002 et 2002-2003. Il a reconnu que la charge de travail du bureau de Scarborough est la deuxième en importance de tous les bureaux de la GRT.

25 Il fallait organiser les charges de travail dans la GRT pour maximiser les ressources et assurer un service de qualité uniforme. On a fait une analyse pour déterminer la capacité du bureau et créé un Comité des opérations d'assurance-emploi chargé de gérer les heures supplémentaires et d'élaborer une politique en vue d'évaluer la validité du concept d'une seule charge de travail pour toute la GRT. Avec ce concept, on allait gérer centralement et la charge de travail, et les heures supplémentaires.

26 M. Pantaleo a reconnu qu'on [traduction] « était préoccupé par le rendement du bureau de Scarborough, qui n'était pas ce qu'il aurait dû être. » À la fin de janvier 2002, on a organisé à ce bureau une réunion où l'on a discuté des problèmes de productivité et fait connaître les attentes. On a aussi parlé de l'approche d'une seule charge de travail, ce qui impliquait le contrôle central des bureaux. Pour faciliter la discussion, on a distribué un document daté du 29 novembre 2001 expliquant la nouvelle approche d'une seule charge de travail (pièce E-6). Une feuille de questions et réponses datée du 4 décembre 2001 était jointe à ce document.

27 Quand on a analysé le rendement individuel, on a constaté qu'il [traduction] « y avait des agents exceptionnellement performants »; le directeur général en a été informé.

28  M. Pantaleo a dit que seulement trois des employés du bureau de Scarborough étaient qualifiés pour travailler en temps supplémentaire en faisant des appariements avec les dossiers de douanes et en rédigeant les appels voulus, et qu'on leur avait offert la possibilité de faire des heures supplémentaires. Il a aussi dit qu'il n'avait [traduction] « aucune crainte quant au rendement ainsi qu'à la productivité de M. Martin, qui répondait, voire dépassait légèrement [ses] attentes à cet égard ». Néanmoins, il a admis que M. Martin ne s'était pas fait offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires entre le 30 mars et le 14 octobre 2002, soit pendant six mois et demi (pièce E-3).

29 Il était normal que le nombre des nouveaux dossiers soit peu élevé dans la période d'avril à juin, et ce facteur a contribué - tout comme le budget - à la décision de ne pas offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires. Il est possible aussi que les employés n'aient pas été disponibles pour en faire durant les vacances d'été, mais les mois de juin à août étaient traditionnellement une période d'activité intense où l'on recevait beaucoup de nouveaux dossiers, en faisant normalement des heures supplémentaires pour absorber le surplus de travail. Quand on lui a présenté le relevé de toutes les heures supplémentaires travaillées (pièce E-8) entre septembre 2001 et le 31 décembre 2002, M. Pantaleo a été incapable d'expliquer pourquoi on n'avait pas offert la possibilité de travailler des heures supplémentaires de juin à août 2002, en disant : [traduction] « je me serais normalement attendu à ce que le groupe de prestation du service ait fait des heures supplémentaires pendant cette période ».

30 En contre-interrogatoire, M. Pantaleo a reconnu que la charge de travail du bureau de Scarborough avait baissé de plus de 1 000 dossiers en septembre 2002, tandis que l'augmentation de la charge de travail du bureau du Centre de Toronto avait été minime. Néanmoins, la pièce G-2 (le relevé des heures supplémentaires de Mme Santino) montre qu'elle avait travaillé 36 heures supplémentaires en septembre 2002, sur des dossiers du bureau de Scarborough, tandis que M. Martin, qui travaillait à ce bureau, n'avait pas fait d'heures supplémentaires ce mois-là.

31 M. Pantaleo a dit que [traduction] « la productivité était probablement un facteur » de la période de gel du temps supplémentaire au bureau de Scarborough, ce qui est compatible avec l'information communiquée au personnel de ce bureau (pièce E-6, aux pages 3 et 5) :

[Traduction]

[…]

On autorisera des heures supplémentaires dans les bureaux seulement quand ils auront satisfait aux exigences de productivité.

[…]

On autorisera des heures supplémentaires quand les objectifs de productivité à taux simple auront été atteints.

[…]

32 M. Pantaleo a admis que [traduction] « le gel des heures supplémentaires était en partie dû à l'approche d'une seule charge de travail ». À ce moment-là, pour plus de clarté, j'ai demandé à M. Pantaleo si un employé très performant assez malchanceux pour être affecté dans un bureau où ses collègues avaient un piètre rendement se serait fait refuser la possibilité de faire des heures supplémentaires si la productivité globale du bureau était inférieure aux attentes; M. Pantaleo m'a répondu affirmativement.

33 En réinterrogatoire, M. Pantaleo a déclaré que le bureau de Scarborough avait un piètre rendement depuis longtemps, tant qualitativement que quantitativement.

34 Tony Taccogna est actuellement le gestionnaire du Centre d'appels de Scarborough; il est PM-06. De septembre 2002 à février 2005, il a supervisé l'Unité de l'assurance du bureau de Scarborough, durant la période où l'on appliquait la politique d'une seule charge de travail, quand les heures supplémentaires étaient réparties centralement dans toute la GRT. Auparavant, le budget des heures supplémentaires et la charge de travail des bureaux étaient contrôlés localement, et l'on mettait localement une certaine somme de côté pour les heures supplémentaires.

35 Au début de 2002, un arriéré s'était accumulé au bureau de Scarborough; les pressions pour le réduire étaient énormes. On avait chargé un comité d'élaborer une approche sectorielle pour la répartition du travail et des heures supplémentaires et produit un rapport sur la capacité de chaque bureau, pour détecter les lacunes et y remédier dans les cas où le rendement n'était pas satisfaisant. On avait aussi organisé des réunions mensuelles et des conférences téléphoniques hebdomadaires pour déterminer quels bureaux avaient la capacité d'assumer une plus grosse charge de travail.

36 M. Taccogna estime que le bureau de Scarborough était très mal compris, [traduction] « qu'on en parlait toujours en mal » et qu'il était fréquemment critiqué. Pour sa part, il était et est encore d'avis que le personnel du bureau de Scarborough est excellent et qu'il a fait [traduction] « des merveilles ». Selon lui, la diversité culturelle des clients de Scarborough a une incidence sur la productivité du bureau, puisqu'il faut plus de temps pour servir des clients qui ne parlent pas l'anglais.

37 Charles Salonia, désormais retraité, était le coordonnateur de la charge de travail; sa tâche consistait à éponger les arriérés en envoyant la charge de travail dans les bureaux qui avaient la capacité de travailler davantage. La capacité des bureaux était déterminée grâce à leurs échanges d'information au cours des conférences téléphoniques hebdomadaires sur les plans de travail, les nouveaux dossiers et la disponibilité du personnel. M. Salonia conservait des comptes rendus de ces conférences téléphoniques (pièce E-7) et les distribuait à divers gestionnaires.

38 Quand on autorisait des heures supplémentaires, elles étaient données à un bureau. M. Salonia savait que la productivité au bureau de Scarborough était inférieure à celle des autres bureaux de la GRT, mais cela n'influait pas selon lui sur sa répartition des heures supplémentaires. S'il n'avait pas offert à ce bureau la possibilité de faire des heures supplémentaires, c'est que celui-ci n'avait pas la capacité d'accepter plus de travail, [traduction] « en fonction des dossiers qu'ils avaient fermés sur une base hebdomadaire ».

39 M. Salonia a reconnu la pièce E-6, le plan de gestion avec une seule charge de travail, en maintenant néanmoins que [traduction] « le facteur déterminant était la capacité et non la productivité ». Selon lui, la capacité d'un bureau était [traduction] « ce qui avait été produit cette semaine-là comparativement à la moyenne dans la GRT ». Il a déclaré qu'il n'offrait pas la possibilité de faire des heures supplémentaires à des employés, mais plutôt à des bureaux, puisque [traduction] « il [lui] est absolument impossible d'éplucher les dossiers de 400 employés pour déterminer qu'un tel aurait ceci et une telle cela. Ce n'est pas possible. »

40 Au sujet des heures supplémentaires offertes au bureau de Scarborough pendant la période de gel du temps supplémentaire, M. Salonia a déclaré qu'il donnait à un bureau la possibilité d'en faire en fonction du type d'heures supplémentaires, selon qu'il s'agissait du budget de l'assurance-emploi ou de celui de la préparation des demandes. Pendant la période de gel du temps supplémentaire, il a offert au bureau de Scarborough la possibilité d'en faire seulement lorsque l'argent pour les payer provenait du budget d'appariement des dossiers d'assurance avec ceux des douanes.

IV. Résumé de l'argumentation

A.  Pour les fonctionnaires s'estimant lésés

41 La productivité était de toute évidence le facteur déterminant de la répartition des heures supplémentaires, comme l'ont démontré le témoignage de Mme Phillips lorsqu'elle a dit que la piètre productivité du bureau de Scarborough était souvent mentionnée dans les conférences téléphoniques hebdomadaires; l'annonce, à la réunion de janvier 2002, qu'on allait retirer à ce bureau la possibilité de faire des heures supplémentaires en raison de son peu de productivité; le témoignage de M. Martin, qui a dit n'avoir jamais passé six mois et demi d'affilée en 36 ans sans faire des heures supplémentaires, à cette exception près; la déclaration de M. Pantaleo qu'on allait retirer au bureau de Scarborough la possibilité de faire des heures supplémentaires tant que sa productivité ne se serait pas améliorée; la pièce E-6, le plan de gestion avec une seule charge de travail liant la possibilité de faire des heures supplémentaires au respect des exigences de productivité.

42 Or, remplir les attentes en matière de productivité n'est pas un critère mentionné à la stipulation 28.05a) (pièce E-1) de la convention collective. Il n'est guère donc étonnant que la direction ait dit dans la pièce E-6 (p. 2) qu'elle comptait recevoir [traduction] « des critiques du personnel et des représentants syndicaux ».

43 En septembre 2002, d'après la pièce G-2, Mme Santino, du bureau du Centre de Toronto, a travaillé des heures supplémentaires sur des dossiers du bureau de Scarborough pas moins de 11 fois en 16 jours entre le 9 et le 24 septembre 2002.

44 La pièce G-3 (les relevés des heures supplémentaires de M. Martin) et la pièce E-3 (produite par l'employeur) confirment l'existence d'un trou de six mois et demi dans les statistiques des heures supplémentaires de M. Martin. D'après Douglas Hill, le représentant des fonctionnaires s'estimant lésés, c'est illogique puisque le nombre de nouveaux dossiers avait baissé à Scarborough, mais augmenté au bureau du Centre de Toronto.

45 Le témoignage de M. Salonia sur l'importance de la productivité dans la répartition des heures supplémentaires entre les bureaux manque de crédibilité. Il a reconnu la pièce E-6, le plan de gestion avec une seule charge de travail, en maintenant pourtant que la productivité n'était pas un facteur dans sa décision de ne pas autoriser d'heures supplémentaires pour le bureau de Scarborough, ce qui va à l'encontre de tous les autres témoignages.

46 On m'a renvoyé à trois extraits de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, troisième édition, à 5:3200, 5:3220 et 5:2100, sur la pratique établie et sur les personnes qui font normalement le travail. On m'a également renvoyé à Zelisko et Audia c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), 2003 CRTFP 67, Buskop c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-23520 (19931001), et Jutras c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada, Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-02-20534 (19970912).

B. Pour l'employeur

1. Objections préliminaires à la compétence

47 Le libellé des griefs est remarquable. En effet, ils contestent la décision « d'affecter le travail », ce qui constitue une contestation déguisée du droit de l'employeur d'organiser le lieu de travail. Le simple fait que ces griefs allèguent que l'employeur a contrevenu à la convention collective ne suffit pas à établir la compétence de la Commission, car ce serait nier la prérogative de l'employeur d'organiser le lieu de travail. En outre, cette affaire aurait dû faire l'objet d'un grief de principe, puisqu'il s'agit d'une initiative de l'employeur pour gérer la charge de travail. Les articles 7 et 11 de la LGFP et de l'ancienne Loi, de même que l'article de la convention collective sur les responsabilités de la direction, reconnaissent le droit de l'employeur de gérer.

48 On m'a renvoyé aux décisions suivantes : Cargill Foods v. United Food and Commercial Workers International Union, Local 633, [2006] C.L.A.S.J. 7 (QL), Paynter et al. c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agro-alimentaire Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-27186, 27378 et 27379 (19970912).

49 L'employeur ne prétend pas que les griefs sont tardifs, mais dit simplement qu'aucun des fonctionnaires s'estimant lésés ne s'était fait refuser la possibilité de faire des heures supplémentaires au moment où ils les ont déposés, alors que la stipulation 18.02 de la convention collective accorde le droit de présenter un grief à « l'employé-e qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action ou l'inaction de l'employeur […] ».

50 Si ces griefs dénoncent l'initiative de l'employeur, le raisonnement tenu dans Burchill c. Canada (Procureur général), [1980] A.C.F. no 97 (QL), s'applique. Le fait est que trois fonctionnaires s'estimant lésés du bureau de Scarborough ont eu la possibilité de faire des heures supplémentaires pendant la période de gel.

51 La convention collective (pièce E-1, article 2) contient la définition suivante des heures supplémentaires : « dans le cas d'un employé-e à temps plein, le travail autorisé qu'il ou elle exécute en plus des heures de travail prévues à son horaire ».

52 Pour décider sur quelle période me fonder afin de déterminer si la répartition des heures supplémentaires était équitable, je devrais opter pour un an, comme dans Sumanik c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), dossier de la CRTFP 166-02-395 (19710927) et Anstruther et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2004 CRTFP 132.

53 Le principe de la pratique établie n'est pas pertinent en l'espèce. L'information sur la répartition future des heures supplémentaires figurant dans la pièce E-6 était un préavis raisonnable et ne viole pas la convention collective.

C. Réplique pour les fonctionnaires s'estimant lésés

54 Dans Zelisko et Audia, l'arbitre de grief a écrit au paragraphe 161 que la direction ne peut pas exercer son pouvoir de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi.

55 Comme la direction n'a pas fait état en l'espèce de ses réserves quant à la compétence ou la recevabilité des griefs durant la procédure applicable pour leur règlement, elle a renoncé à son droit de les contester à l'arbitrage de grief.

56 La stipulation 18.10 de la convention collective stipule que le ou la fonctionnaire peut présenter un grief « […] au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief ». Dans ce cas, l'action et les circonstances en question étaient l'annonce de M. Pantaleo qu'il allait retirer aux employés du bureau de Scarborough la possibilité de faire des heures supplémentaires. Rien n'obligeait les fonctionnaires s'estimant lésés à continuer à déposer des griefs tous les 25 jours, puisque la violation de la convention collective était répétée.

V.Motifs

A. Compétence

57 L'alinéa 92(1)a) de l'ancienne Loi dispose qu'un fonctionnaire ayant porté un grief jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction pouvait renvoyer à l'arbitrage un grief portant sur l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective.

58 Les fonctionnaires s'estimant lésés et leurs griefs satisfont à ces conditions.

59 Comme l'avocate de l'employeur l'a souligné, la prérogative de l'employeur de décider comment le travail se fait dans le milieu de travail est limitée par la convention collective.

60 Or sous la rubrique « Responsabilités de la direction », la stipulation 6.01 de la convention collective applicable (pièce E-1) commence par : « sauf dans les limites indiquées […] ». Cette limite contractuelle du pouvoir de la direction de gérer est confirmée par la jurisprudence que l'employeur a invoquée, par exemple Cargill, aux paragraphes 8 et 10 :

[Traduction]

[…]

[…] la compagnie a le droit de diriger et de superviser l'effectif, et elle conserve ces droits à moins que la présente convention ne le précise expressément.

[Je souligne.]

[…]

Un conseil d'arbitrage hésiterait à exiger qu'une compagnie gère ses affaires d'une autre manière, à moins que la convention collective n'indique clairement le contraire.

[Je souligne.]

[…]

61 De toute évidence, l'employeur ne peut pas être autorisé à renoncer par une convention à son droit de gérer, ni à l'abroger à la table de négociation pour ensuite déclarer devant un arbitre de grief qu'il a le droit exclusif de gérer, nonobstant le fait qu'il l'a volontairement assorti de conditions en négociant une convention collective.

62 Je rejette donc ce premier argument contestant la compétence.

63 Le second argument avancé pour contester la compétence consistait à dire que les griefs étaient prématurés puisque les fonctionnaires s'estimant lésés n'avaient pas encore été lésés à la date à laquelle ils les ont déposés.

64 Pourtant, et le représentant des fonctionnaires s'estimant lésés l'a souligné, la stipulation 18.10 de la convention collective porte sur le délai de présentation d'un grief, qui doit être déposé « au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle [le ou la fonctionnaire] est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief ».

65 Quelles sont les circonstances ou l'action qui ont donné lieu à ces griefs? C'était de toute évidence la décision de ne pas offrir aux employés du bureau de Scarborough la possibilité de faire des heures supplémentaires tant que leur productivité durant les heures normales de travail ne se serait pas améliorée. Cette décision leur a été annoncée par leur gestionnaire, M. Pantaleo, à la réunion du personnel de la fin janvier 2002.

66 Comme M. Martin l'a déclaré dans son témoignage, quand il a contesté cette décision pendant la réunion, M. Pantaleo lui a répliqué qu'elle n'était pas à discuter. En d'autres termes, les dés étaient jetés. M. Martin a rétorqué que la décision était arbitraire et punitive. C'est à cette réunion-là que ce qui a motivé les actions des fonctionnaires s'estimant lésés s'est cristallisé et que le délai de 25 jours a commencé, puisqu'ils étaient dès lors notifiés oralement - et par écrit (pièce E-6) - qu'on autoriserait [traduction] « des heures supplémentaires dans les bureaux seulement quand ils aur[aie]nt satisfait aux exigences de productivité ».

67 Lors de cette réunion, de même que dans les conférences téléphoniques hebdomadaires et les réunions mensuelles qui l'avaient précédée, les employés du bureau de Scarborough se sont fait dire que la productivité de leur bureau était inférieure à ce qu'on jugeait acceptable.

68 Auraient-ils dû attendre jusqu'à ce que la période de gel du temps supplémentaire commence pour présenter leurs griefs?

69 Peut-être faut-il que je fasse une analogie avec ce qui se passe dans le cas des griefs contestant des sanctions disciplinaires pour montrer à quel point cela aurait été ridicule.

70 Quand un employé est convoqué à une réunion au cours de laquelle on lui annonce qu'on a pris la décision de le suspendre, doit-il attendre que sa suspension commence pour présenter un grief après en avoir été informé ainsi?

71 Pas du tout!

72 C'est la décision elle-même, qui semblait gravée dans le marbre, qui est contestée par les griefs. C'est précisément la situation dans laquelle les fonctionnaires s'estimant lésés se trouvaient. Ils avaient été convoqués à une réunion où ils s'étaient fait annoncer que la direction avait pris une décision ferme influant sur leurs conditions d'emploi; selon eux, cette décision contrevenait à leur convention collective.

73 Attendre pour déposer leurs griefs ou ne pas se prévaloir de leur droit de les présenter dans le délai négocié de 25 jours aurait été vraiment téméraire, voire peut-être fatal pour l'exercice de ce droit.

74 Pour ces motifs, je rejette aussi le second argument de l'employeur contestant ma compétence en concluant que j'ai effectivement compétence pour entendre et trancher ces griefs.

75 La stipulation de la convention collective invoquée dans les griefs porte sur l'obligation de la direction d'offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires sur une base équitable aux employés qualifiés qui sont facilement disponibles.

76 Même si M. Salonia a prétendu le contraire dans son témoignage, la preuve est claire, même du côté de l'employeur, que la productivité des bureaux n'était pas seulement un facteur parmi bien d'autres, mais bien l'unique facteur sur lequel la direction se fondait pour décider d'autoriser un bureau à faire faire des heures supplémentaires à partir du début de 2002, quand le concept d'une seule charge de travail a été introduit.

77 Comment peut-on interpréter autrement la phrase sans équivoque suivante, dans la pièce E-6, le plan de gestion avec une seule charge de travail? [Traduction] « On autorisera les bureaux à faire des heures supplémentaires seulement quand leur capacité durant les heures normales de travail sera épuisée et qu'ils auront satisfait aux exigences de productivité. » [Je souligne.]

78 Ce n'était pas un secret pour personne que la direction n'était pas satisfaite de la productivité du bureau de Scarborough pendant les heures normales de travail. MM. Pantaleo, Taccogna et Salonia en ont tous trois parlé, et cela avait suscité le commentaire suivant de M. Salonia, le coordonnateur central de la charge de travail, qui décidait de la répartition des heures supplémentaires, Mme Phillips l'a dit dans son témoignage, quand ce gestionnaire a déclaré d'un ton moqueur : [traduction] « Que faites-vous? »

79 En dépit de la clarté de ce qu'on peut lire dans la pièce E-6, le plan de gestion avec une seule charge de travail (j'en ai déjà parlé), M. Salonia a dit que c'était la capacité des bureaux et non leur productivité qui déterminait s'ils allaient recevoir de quoi payer des heures supplémentaires. Pourtant, quand il s'est fait demander comment la capacité était déterminée, il a répondu qu'elle était basée sur la disponibilité des employés pour faire le travail ainsi que sur le nombre de dossiers qu'ils avaient fermés sur une base hebdomadaire. De toute évidence, il n'est pas difficile de conclure que la capacité était fonction de la productivité, puisque [traduction] « le nombre de dossiers qu'ils avaient fermés sur une base hebdomadaire » est une argutie sémantique, autrement dit une distinction sans différence. S'il y avait le moindre doute sur l'existence d'un lien entre le nombre de dossiers fermés, la capacité et la productivité - et ce n'est pas le cas - ce doute aurait été dissipé par ce que M. Salonia a dit ensuite : [traduction] « La capacité est ce qui avait été produit cette semaine-là comparativement à la production moyenne dans la GRT. » [Je souligne.]

80 Je souscris à l'argument de M. Hill voulant que le poids de la preuve, selon la règle de la prépondérance des probabilités, est favorable aux fonctionnaires s'estimant lésés et sape la crédibilité de ce que M. Salonia a dit sur le rôle que la productivité jouait dans sa décision d'autoriser des heures supplémentaires.

81 Les questions que je dois trancher à partir de ces faits sont les suivantes :

  1. Le travail supplémentaire a-t-il été offert de façon équitable aux employés qualifiés qui étaient facilement disponibles?
  2. Si la réponse à cette question est négative, l'employeur a-t-il déployé tous les efforts raisonnables pour ce faire?
  3. Si l'employeur n'a pas déployé tous ces efforts raisonnables, en a-t-il été empêché par une exigence du service?

B. Première question : offre équitable du travail supplémentaire

82 Le Petit Robert, édition 2004 mise à jour et augmentée, définit le mot « équitable », dans le cas d'une personne, comme « [q]ui a de l'équité », ou, pour une chose, comme « [c]onforme à l'équité ».

83 Le mot « équité » signifie « [n]otion de la justice naturelle dans l'appréciation de ce qui est dû à chacun ».

84 La notion est claire; je n'ai pas besoin d'aller plus loin. Offrir à un bureau la possibilité de faire des heures supplémentaires en fonction de sa productivité globale satisfait-il à ce critère?

85 Non, et de loin.

86 D'abord, on ne pouvait pas offrir directement à un employé la possibilité de faire des heures supplémentaires, même si c'était un employé exceptionnel comme M. Martin, qui répondait, voire dépassait les attentes en matière de productivité, si la productivité de l'ensemble de son bureau était inférieure à la norme exigée. M. Pantaleo ne pouvait pas offrir à M. Martin la possibilité de faire des heures supplémentaires pour la simple raison que M. Salonia, le coordonnateur central, ne lui avait pas donné d'argent pour les payer, sauf si c'était pour faire des appariements des dossiers d'assurance avec ceux des douanes, ce sur quoi je reviendrai. L'envers de la médaille est bien sûr qu'un employé peu performant dont le rendement était nettement inférieur au niveau acceptable, mais qui faisait partie d'un groupe dont la performance globale était supérieure, pouvait faire des heures supplémentaires.

87 Cette approche n'est non seulement pas équitable, elle est indéfendable.

88 Souscrire à l'idée qu'il serait équitable d'ajouter aux conventions collectives des restrictions telles que la production d'un bureau est dangereux, car si l'on pouvait ajouter un critère arbitraire comme le seuil de productivité acceptable d'un bureau pour que les employés qui y travaillent aient le droit individuel de faire des heures supplémentaires, on pourrait aussi introduire des règles comme l'obligation d'avoir un dossier disciplinaire vierge, une ou plusieurs évaluations avec la cote entièrement satisfaisant, une utilisation des congés de maladie égale ou inférieure à la moyenne, etc. Comme l'employeur le sait fort bien, des changements comme ceux-là ne peuvent être introduits dans une convention collective qu'à la table de négociation.

89 M. Martin est convaincu que la décision de ne pas offrir la possibilité de faire des heures supplémentaires aux employés du bureau de Scarborough en raison de la productivité globale de ce bureau pendant les heures de travail normales était punitive. Je conclus qu'elle n'était pas équitable.

C. Deuxième question : effort raisonnable

90 Les parties reconnaissent toutes deux que les seules possibilités de faire des heures supplémentaires des employés du bureau de Scarborough entre le 30 mars et le 14 octobre 2002, soit pendant les quelque six mois et demi de ce que les fonctionnaires s'estimant lésés appellent la période de gel du temps supplémentaire, ont été offertes à Mme Bunyan, Mme Christoffersen et Mme Palenik (pièce E-8). Ces fonctionnaires s'estimant lésées se sont fait offrir des heures supplémentaires parce qu'elles étaient considérées comme les seules qualifiées pour des tâches d'appariement des dossiers d'assurance avec ceux des douanes, ce qui comprenait la rédaction d'appels. M. Salonia a témoigné que tout ce qu'on avait accordé au bureau de Scarborough pour des heures supplémentaires était de l'argent pour apparier les dossiers des douanes. On ne m'a présenté aucun témoignage sur le degré de difficulté que ce travail suppose en plus des compétences et de l'expérience qu'avaient les autres employés. Je ne sais pas non plus quelles aptitudes spécifiques il aurait fallu acquérir pour apparier des dossiers de douanes, ni de combien de temps les intéressés auraient eu besoin pour les assimiler.

91 Tout ce qu'on m'a dit à cet égard, c'est que les trois personnes en question étaient qualifiées et qu'on leur a donc offert des heures supplémentaires. Cela me semble insuffisant pour satisfaire au critère de « tous les efforts raisonnables ». Rien ne me laisse entendre que le travail devait être fait immédiatement et que la situation n'aurait pas permis à l'employeur d'offrir la formation, qu'il avait demandé à d'autres employés s'ils aimeraient en recevoir, que la formation allait être trop longue ou que le budget de formation ne lui a pas permis d'offrir plus de formation qu'il ne l'a fait.

92 Pourtant, tout cela me semblerait correspondre à ce qu'on entend par « tous les efforts raisonnables ». Néanmoins, rien dans la preuve ne justifie l'exclusion de l'une ou l'autre, voire de toutes ces démarches parce qu'elles auraient été déraisonnables. Or, la stipulation 28.05a) de la convention collective impose à l'employeur une lourde charge : « L'employeur s'efforce autant que possible ».

93 Il n'est donc pas tenu de faire n'importe quel effort ou simplement un effort, mais bien de déployer tous les efforts raisonnables dans la mesure du possible.

94 Après avoir reconnu qu'il [traduction] « y avait des agents exceptionnellement performants dont le directeur général était informé » (y compris le fonctionnaire s'estimant lésé Seymour Martin), quels efforts l'employeur aurait-il dû déployer pour récompenser ces employés-là en leur offrant la possibilité de travailler des heures supplémentaires, même en se fondant sur son propre critère de productivité? Le témoignage de M. Salonia est révélateur à cet égard : [traduction] « Il m'est absolument impossible d'éplucher les dossiers de 400 employés pour déterminer qu'un tel aurait ceci et une telle cela. Ce n'est pas possible. »

95 D'après M. Pantaleo, c'était non seulement possible, mais encore on l'avait déjà fait. Il a déclaré en effet qu'on avait analysé le rendement individuel des employés afin qu'il puisse donner de la rétroaction à chacun et chacune d'entre eux. C'est de toute évidence grâce à ce processus qu'il avait su que le bureau avait des employés exceptionnellement performants. Il a d'ailleurs déclaré qu'il n'avait [traduction] « aucune crainte quant au rendement ainsi qu'à la productivité de M. Martin, qui répondait, voire dépassait légèrement [ses] attentes à cet égard ».

96 Ceci dit, M. Martin ne s'était pas fait offrir la possibilité de travailler des heures supplémentaires, ce qui m'incite à conclure qu'aucun effort n'a été fait pour offrir cette possibilité sur une base équitable.

D. Troisième question : exigences du service

97 On ne m'a pas présenté de témoignages ni d'arguments pour démontrer qu'une exigence impérieuse du service aurait empêché l'employeur de se conformer aux dispositions pourtant claires de la convention collective. Au contraire, la preuve a démontré à l'évidence qu'il a lui-même créé le seul obstacle qui l'empêchait de le faire, à savoir la partie du concept de gestion d'une seule charge de travail voulant qu'on base la répartition des possibilités d'heures supplémentaires sur la productivité globale de chaque bureau.

98 Je reconnais que l'employeur est libre de gérer tant que la convention collective n'est pas violée. Cette liberté comprend quand des heures supplémentaires s'imposent et quand les autoriser. Assurer un service de qualité uniforme tout en réduisant le nombre d'heures supplémentaires est entièrement compatible avec ses pouvoirs, tout comme une décision d'envoyer du travail d'un bureau à l'autre pour optimiser l'efficience d'utilisation de ses ressources.

99 Toutefois, l'employeur ne peut pas créer un système incompatible avec la convention collective. Il a autorisé des heures supplémentaires (pièce G-2, les relevés des heures supplémentaires de Mme Santino); ces heures supplémentaires ont été consacrées à des dossiers du bureau de Scarborough, le centre de responsabilité 3516 (pièce G-2); la possibilité de les faire n'a pas été offerte équitablement.

100 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

101 Les griefs sont accueillis.

102 Les parties m'ont demandé conjointement de rendre une décision déclaratoire, en leur laissant le choix de déterminer le redressement voulu compte tenu de variables comme la disponibilité du personnel pour faire des heures supplémentaires, etc. J'ai accepté de rester saisi de l'affaire advenant le cas où elles seraient incapables de s'entendre sur les mesures correctives nécessaires pour exécuter ma décision, en précisant que j'ordonne aussi que le remboursement de toutes les heures supplémentaires perdues soit versé en espèces plutôt qu'accordé en nature.

Le 14 août 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Barry D. Done,
arbitre de grief


Liste des fonctionnaires s'estimant lésés

Dossier de la CRTFP Fonctionnaire s'estimant lésé
166-02-35644 Carol Desmond
166-02-35645 Sandra Fleming
166-02-35646 Martin Seymour
166-02-35647 Novia Morris
166-02-35649 Manjul Sultan
166-02-35650 Lorraine Doyle
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