Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était employé à titre occasionnel en tant qu’employé civil temporaire - son contrat a été résilié et n’a pas été renouvelé - plus de trois ans après son licenciement, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé une prorogation de délai pour déposer un grief et pour renvoyer l’affaire à l’arbitrage de grief - le fonctionnaire s’estimant lésé a tenté de faire avancer son dossier en s’adressant à divers organismes - il a cherché à obtenir une copie d’un rapport rédigé par un agent de la GRC qui était favorable à sa réintégration - il lui a été impossible d’obtenir une copie du rapport jusqu’à ce qu’un tribunal ordonne qu’une copie lui soit remise - l’arbitre de grief a conclu que les raisons invoquées pour obtenir la prorogation du délai n’étaient pas suffisamment claires, logiques et convaincantes. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique et
Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique, L.R.C.(1985),

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-08-16
  • Dossier:  568-02-166, 166-02-37408
  • Référence:  2007 CRTFP 88

Devant le président
et arbitre de grief


Entre

GERALD (GERRY) FRANCIS WHITE

demandeur et fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Gendarmerie royale du Canada)

défendeur et employeur

Répertorié
White c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et affaire concernant un grief renvoyé à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P 35.

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président et arbitre de grief

Pour le demandeur et fonctionnaire s'estimant lésé:
Stephen J. May, avocat

Pour le défendeur et employeur:
Karl G. Chemsi, avocat

Décision rendue sur la foi d'observations écrites
déposées le 19 mars et le 2 avril 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Grief renvoyé à l'arbitrage

1 Gerald White (le « fonctionnaire s'estimant lésé ») travaillait pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC ou l'« employeur ») à St. John's (Terre-Neuve) comme employé civil temporaire (ECT). Il a été licencié le 14 mars 2003. Il a déposé un grief le 12 septembre 2006 et a renvoyé le grief à l'arbitrage le 2 novembre 2006. L'employeur a contesté la compétence d'un arbitre de grief pour entendre ce grief, au motif que M. White n'est pas un fonctionnaire en vertu de l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Subsidiairement, l'employeur a argué que le grief est hors délai. M. White a demandé une prorogation du délai pour déposer un grief.

2 Le président de l'actuelle Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») a ordonné que la question de la compétence et celle de la demande de prorogation de délai soient déterminées au moyen d'observations écrites. Le texte anglais intégral des observations des parties a été versé au dossier de la CRTFP. J'ai résumé les observations dans la présente décision.

3 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la nouvelle LRTFP), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 45 de la nouvelle LRTFP, le président m'a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer tous ses pouvoirs ou à m'acquitter de toutes ses fonctions en application de l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, pour entendre et trancher toute question de prorogation de délai. En vertu de l'article 64 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l'ancienne LRTFP), dans le cas où j'accueillerais la demande de prorogation du délai pour déposer le grief.

II.  Résumé de la preuve

4 Comme je l'ai indiqué plus haut, l'audience dans cette affaire a pris la forme d'observations écrites. M. White a déposé un affidavit déclaré sous serment, et un certain nombre de documents ont été produits, soit des documents qui n'ont pas été contestés. J'ai aussi résumé les allégations pertinentes de M. White quant au fond de son grief, seulement pour exposer le contexte nécessaire. Je n'ai rendu aucune conclusion sur le fond de son grief.

5 M. White a travaillé pour la station des transmissions opérationnelles (la « STO ») de la division « B » de la GRC comme opérateur des télécommunications du mois d'août 1997 au mois de mars 2003. M. White signait une offre d'emploi annuelle, la dernière remontant au 6 février 2003. Le dernier contrat de M. White allait du 1er avril 2002 au 31 mars 2003. Il travaillait comme employé civil temporaire en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (la « Loi sur la GRC »). L'article 10 de la Loi sur la GRC est libellé en ces termes :

10. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la nomination et l'emploi du personnel civil nécessaire à l'exercice des attributions de la Gendarmerie sont régis par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

(2) Le commissaire peut employer du personnel civil temporaire, dans les limites et les conditions de rémunération ou autres fixées par le Conseil du Trésor. Il a, à son égard, tout pouvoir de congédiement ou de renvoi.

6 Sa lettre d'offre contenait la note suivante :

[Traduction]

[…] J'accepte cette offre et consens à travailler pour la GRC comme employé civil temporaire en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la GRC […]. Je reconnais que je peux être licencié par mon employeur n'importe quand ou que mes services peuvent être requis pour une plus courte période. Je reconnais aussi que, si je suis licencié avant la date de licenciement convenue, je n'aurai pas droit à une rémunération autre que celle spécifiée dans le Règlement sur les employés civils temporaires.

7 Sa lettre d'offre indiquait également qu'il travaillait [traduction] « selon les besoins », c'est-à-dire qu'il n'avait pas d'heures de travail hebdomadaires prédéterminées et qu'il n'avait aucune période d'emploi prédéterminée. Il n'avait pas droit non plus à des avantages approuvés par l'employeur.

8 M. White avait soulevé des questions auprès de son superviseur à propos de la réattribution de quarts de travail en novembre 2002. M. White a signalé que, de décembre 2002 à février 2003, on lui a attribué 19 heures de travail, tandis que deux ECT nouvellement engagés s'étaient vu attribuer 238 et 267 heures, respectivement, pour la même période.

9 Le 18 février 2003, M. White a été avisé que la direction de la GRC avait envoyé un courriel, à son compte interne à la GRC, demandant un examen auditif et une évaluation psychologique. Une réponse dans un délai d'une semaine était demandée dans le courriel. M. White a informé le surveillant de l'équipe que, hors du lieu de travail, il n'avait pas accès à son compte de courrier électronique interne à la GRC et qu'il traiterait de la question au cours de son quart de travail suivant. M. White, d'après l'horaire, ne devait pas travailler pendant la période de sept jours postérieure à l'envoi du courriel et n'a pas subséquemment été appelé pour travailler pendant cette période.

10 Le 3 mars 2003, il a répondu au courriel pour demander une prolongation du délai afin de prendre des dispositions pour l'examen auditif et l'évaluation psychologique. Au cours des 48 heures suivantes, M. White s'est soumis à un examen auditif et a pris rendez-vous aux services de santé de la GRC pour subir une évaluation psychologique.

11 Le 14 mars 2003, M. White a reçu une lettre de licenciement. On lui a dit qu'il était licencié parce qu'il ne s'était pas conformé à la demande d'examen auditif et d'évaluation psychologique. La lettre de licenciement l'avisait aussi que son contrat ne serait pas renouvelé à la date d'expiration (31 mars 2003).

12 En mars 2003, M. White a écrit à la GRC pour demander que soit révisée la décision de le licencier. En avril 2003, M. White a reçu une lettre de la GRC, qui refusait d'annuler la décision.

13 En mai 2003, M. White a écrit à la Commission des droits de la personne au sujet de son licenciement, puis il a reçu une réponse indiquant que cette commission n'avait pas compétence pour rendre une décision sur ses plaintes.

14 En juin 2003, M. White a écrit à Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) pour porter plainte en vertu du Code canadien du travail. Le ministère RHDCC l'a avisé qu'il n'avait pas compétence pour statuer sur ses plaintes et lui a suggéré de soumettre ses plaintes à la Commission de la fonction publique (CFP).

15 En août 2003, M. White a écrit à la Commission des plaintes du public contre la GRC pour se plaindre de son licenciement et demander que ses plaintes [traduction] « passent à l'étape suivante de la procédure ». M. White a été informé par cette commission que celle-ci n'avait pas compétence pour se pencher sur des affaires administratives et de gestion de la GRC.

16 En septembre 2003, M. White a communiqué avec la CFP et a été informé que cette dernière n'avait pas compétence pour examiner ses plaintes. La CFP lui a suggéré d'adresser ses plaintes au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) ou à l'ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne CRTFP »).

17 M. White a consulté un avocat en octobre 2003. Pendant un entretien de suivi avec son avocat, à la fin de novembre 2003, il lui a été conseillé de communiquer avec l'ancienne CRTFP.

18 Le 1er décembre 2003, M. White a écrit à l'ancienne CRTFP pour expliquer ses plaintes et pour lui demander si elle serait une tribune appropriée aux fins du règlement de son grief. Le lendemain, un agent du greffe de l'ancienne CRTFP lui a fait savoir que [traduction] « l'information produite semble indiquer que les questions que vous décrivez n'entrent pas dans le cadre de la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique ».

19 En décembre 2003, M. White a présenté une [traduction] « demande d'information » à la GRC, en vue d'obtenir des documents relatifs à son licenciement. En mars 2004, M. White a écrit à la GRC pour demander une mise à jour sur l'état de sa demande. La GRC a répondu que l'information serait envoyée sous peu. En juin 2004, M. White a réécrit à la GRC pour demander une mise à jour sur l'état de sa demande. La GRC a de nouveau répondu que l'information serait envoyée sous peu.

20 En juin 2004, le CCRI a informé M. White qu'il n'avait pas compétence pour entendre ses plaintes et lui a suggéré de les adresser à RHDCC.

21 Le 24 septembre 2004, M. White a écrit au service des ressources humaines de la GRC et a demandé que ce service mène un examen à propos de son licenciement. Le 1er novembre 2004, M. White a été avisé que le surintendant Robert Hurman avait été chargé de faire un examen officiel du licenciement de M. White.

22 Le 1er mars 2005, le surintendant Hurman a écrit une note de service au commissaire adjoint W.G. Lynch, commandant de la division « B », pour exposer ses conclusions et recommandations. Il recommandait que M. White soit réintégré, qu'un système juste et équitable pour l'attribution des quarts de travail soit établi à la STO et que la lettre de licenciement soit supprimée du dossier personnel de M. White. À l'époque, ce document n'a pas été fourni au fonctionnaire s'estimant lésé. En mars ou juin 2005, la GRC a informé M. White que les recommandations du surintendant Hurman ne seraient pas mises en ouvre. (L'affidavit de M. White dit que cette lettre a été reçue en mars 2005, mais la pièce jointe est datée du 16 juin 2005.)

23 En avril 2005, M. White a écrit à la GRC pour demander une copie du rapport d'enquête. La GRC a répondu que M. White devrait soumettre sa demande au bureau de l'accès à l'information. En mai 2005, M. White a écrit à ce bureau pour demander une copie du rapport.

24 À partir de juillet 2005, M. White a reçu du bureau de l'accès à l'information de nombreuses réponses à ses demandes de renseignements sur l'état de sa demande, chacune de ces réponses l'avisant que la demande avait été produite en retard mais que l'information qu'il avait demandée serait envoyée sous peu.

25 En juillet 2005, M. White a réécrit à RHDSC concernant son licenciement. Il a reçu une réponse de RHDSC mettant en question le raisonnement de la GRC pour lui refuser le recours à la procédure de règlement des griefs prévue dans la Loi sur la GRC et l'avisant que le ministère avait besoin de plus de renseignements pour déterminer où il devrait adresser grief.

26 Le 21 février 2006, M. White a demandé à la section de première instance de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador une ordonnance enjoignant à la GRC de communiquer le rapport d'enquête dans les sept jours. En mars 2006, M. White a reçu une copie du rapport d'enquête de la GRC, dont des passages avaient été retranchés.

27 En avril 2006, M. White a retenu les services d'un conseiller juridique. Ce dernier a écrit à la CRTFP le 9 août 2006 pour contester l'affirmation de l'agent du greffe selon laquelle la CRTFP n'avait pas compétence. L'avocat demandait que la CRTFP reconnaisse sa compétence. Le 28 août 2006, la CRTFP a déclaré que, puisque aucun grief n'avait été présenté au dernier palier de la procédure applicable aux griefs, comme l'exige le paragraphe 92(1) de l'ancienne LRTFP, M. White ne pouvait renvoyer l'affaire à l'arbitrage tant qu'il n'avait pas satisfait à cette exigence. La lettre disait également que, aucun grief n'ayant été renvoyé à l'arbitrage, il était trop tôt pour trancher la question de la compétence.

28 M. White a déposé un grief le 12 septembre 2006 ou vers cette date. La GRC a écrit au fonctionnaire s'estimant lésé le 16 octobre 2006, affirmant que ce dernier n'avait pas été nommé à la fonction publique au sens de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (LEFP), et qu'il n'était donc pas en droit de poursuivre un grief en vertu de la nouvelle LRTFP.

III.  Résumé de l'argumentation

29 J'ai résumé ci-dessous les observations écrites des parties. Les observations intégrales en anglais figurent dans le dossier.

A. Pour l'employeur

30 L'avocat de l'employeur a soutenu qu'une personne engagée comme ECT en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la GRC n'est pas un fonctionnaire fédéral au sens de l'ancienne LRTFP et ne peut présenter un grief en vertu de l'ancienne LRTFP.

31 L'avocat de l'employeur a argué subsidiairement que le grief a été déposé en retard. Le grief a été présenté environ trois ans et demi après le licenciement du fonctionnaire s'estimant lésé, et il n'y a aucun fondement pour accorder une prorogation de délai.

32 L'ancienne LRTFP énonce des restrictions expresses quant aux personnes pouvant être considérées comme des fonctionnaires et, par corollaire, quant aux personnes pouvant soumettre des griefs à l'arbitrage en vertu de l'article 92. L'article 2 de l'ancienne LRTFP définit « fonctionnaire » comme suit : « Personne employée dans la fonction publique […] ». L'article 2 définit « fonction publique » en ces termes : « Ensemble des postes qui sont compris dans les ministères ou autres secteurs de l'administration publique fédérale spécifiés à l'annexe I, ou qui en relèvent ».

33 L'ancienne LEFP a déterminé comment on devient une personne employée dans la fonction publique, et l'article 2 indiquait que l'expression « fonction publique » avait le même sens que dans l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

34 Il est établi que l'ancienne LRTFP a été rédigée in pari materia avec la LEFP et la Loi sur la gestion des finances publiques. (Voir : Canada (procureur général) c. A.F.P.C., [1991] 1 R.C.S. 614 [« Econosult »], aux par. 9 et 23). L'article 8 de la LEFP disposait que la CFP avait le droit exclusif de faire des nominations à la fonction publique.

35 M. White a été engagé comme ECT en vertu de l'article 10 de la Loi sur la GRC, qui dit :

        10. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la nomination et l'emploi du personnel civil nécessaire à l'exercice des attributions de la Gendarmerie sont régis par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

        (2) Le commissaire peut employer du personnel civil temporaire, dans les limites et les conditions de rémunération ou autres fixées par le Conseil du Trésor. Il a, à son égard, tout pouvoir de congédiement ou de renvoi.

36 L'article 10 de la Loi sur la GRC fait une nette distinction entre les personnes qui sont employées comme fonctionnaires et celles qui ne sont pas employées à ce titre. Le paragraphe 10(2) de la Loi sur la GRC confère expressément au commissaire le pouvoir d'embaucher et de licencier des ECT, excluant ainsi les ECT du pouvoir de la CFP selon l'article 8 de l'ancienne LEFP.

37 Il y a également lieu de signaler que, dans la note du contrat de M. White comme ECT, il est clairement reconnu que M. White pourrait être licencié n'importe quand ou que ses services pourraient être requis pour une plus courte période. Il est reconnu aussi que, si M. White devait être licencié, il n'aurait droit à aucune rémunération autre que ce qui est spécifié dans le « Règlement sur les employés civils temporaires ».

38 Étant donné que M. White n'a pas été nommé par la CFP, il n'était pas une personne employée dans la fonction publique au sens de l'ancienne LRTFP ou de la LEFP. Ainsi, il n'entrait pas dans la définition de fonctionnaire et n'est pas en droit de déposer un grief en vertu de l'article 92 de l'ancienne LRTFP.

39 À titre strictement subsidiaire, il est allégué que, si l'actuelle CRTFP décidait que M. White était un fonctionnaire aux fins de l'ancienne LRTFP, le grief de M. White est hors délai, et le président de la CRTFP ne devrait pas proroger le délai.

40 La jurisprudence de l'ancienne CRTFP est depuis longtemps bien établie quant aux affaires comportant une décision sur la question de savoir si le délai pour déposer un grief devrait être prorogé. Ces principes élaborés par l'ancienne CRTFP sont encore applicables.

41 Le président a le pouvoir discrétionnaire de proroger les délais, mais seulement pour de bonnes raisons. Sinon, les délais prévus dans les conventions collectives ainsi que dans le Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique seraient dénués de sens. C'est au demandeur qu'il incombe de fournir de bonnes raisons à l'appui d'une prorogation.

42 La décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, présentait une analyse de la jurisprudence à cette époque et spécifiait les critères fondamentaux suivants pour déterminer s'il convenait d'exercer le pouvoir discrétionnaire de proroger des délais :

[…]

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé;
  • l'équilibre entre l'injustice causée à l'employé et le préjudice que subit l'employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

[…]

43 L'employeur ne voit pas de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard en l'espèce. Le retard dans le dépôt du grief a été de trois ans et demi (42 mois). Ce retard est excessivement long. M. White aurait pu s'enquérir de ses droits et déposer un grief quand il a été licencié en 2003. S'il s'estimait lésé, c'était à lui qu'incombait la responsabilité de chercher à se prévaloir du mécanisme de redressement disponible en vertu de l'ancienne LRTFP. Il a simplement choisi de ne pas déposer de grief. M. White a pris délibérément la décision de ne pas présenter de grief dans le délai prescrit ou du moins de ne pas contester son licenciement. On m'a renvoyé à Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113.

44 En ce qui a trait au préjudice pour l'employeur, la durée du retard peut influer considérablement sur la capacité de l'employeur à se défendre, bien qu'il soit difficile à ce stade d'évaluer le préjudice. Quoi qu'il en soit, la question du préjudice pour l'une ou l'autre partie n'est qu'un des facteurs que la CRTFP doit soupeser en déterminant si elle exercera son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour permettre au fonctionnaire s'estimant lésé de déposer un grief. Dans Stubbe c. Canada (Conseil du Trésor), [1994] A.C.F. no 508 (C.A.F.) (QL), la Cour d'appel fédérale a confirmé que « [l]a Commission n'avait pas dans cette circonstance l'obligation de soupeser le préjudice qui pourrait découler de la permission ou du refus de proroger le délai imparti pour présenter un grief […] ».

45 Quant aux chances de succès du grief et outre les raisons factuelles du licenciement de M. White, il est à noter que rien n'indique que ce dernier avait l'assurance que son contrat serait renouvelé. L'employeur n'avait nullement l'obligation de renouveler le contrat de M. White. Donc, indépendamment du licenciement en soi, la CRTFP n'aurait pas compétence pour réintégrer M. White dans son poste au-delà du 31 mars 2003, date qui marque la fin du contrat de M. White et qui coïncide avec la date de son licenciement. On m'a renvoyé à Laird c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration), dossier de la CRTFP 166-02-19981 (19901207), et à Dansereau c. Canada (Office national du film), [1979] 1 C.F. 100.

B. Pour le fonctionnaire s'estimant lésé

46 L'avocat de M. White soutient que celui-ci est un fonctionnaire au sens de l'article 2 de l'ancienne LRTFP et qu'il est donc en droit de renvoyer son grief à l'arbitrage devant la CRTFP. M. White a fait preuve de diligence dans la poursuite de son grief depuis son licenciement et argue qu'il y a des raisons claires, logiques et convaincantes pour lesquelles il a été retardé dans le renvoi de son grief devant la CRTFP.

47 M. White travaillait comme ECT en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la GRC.  L'article 10 dispose :

10. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la nomination et l'emploi du personnel civil nécessaire à l'exercice des attributions de la Gendarmerie sont régis par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.

(2) Le commissaire peut employer du personnel civil temporaire, dans les limites et les conditions de rémunération ou autres fixées par le Conseil du Trésor. Il a, à son égard, tout pouvoir de congédiement ou de renvoi.

48 Le paragraphe 10(2) de la Loi sur la GRC a pour effet d'autoriser le commissaire à employer et à congédier ou renvoyer des ECT. Il ne permet pas au commissaire de jouer le rôle de l'employeur relativement aux ECT tout au long de l'emploi de ceux-ci. Le paragraphe 10(2) permet simplement de contourner la LEFP pour l'embauchage et le renvoi d'un ECT. À tous autres égards, l'employeur des ECT est Sa Majesté du chef du Canada, représentée par le Conseil du Trésor.

49 M. White était un fonctionnaire fédéral au sens de l'article 2 de l'ancienne LRTFP. L'ancienne LRTFP énonce expressément des restrictions quant aux personnes qui peuvent être considérées comme des fonctionnaires et, par corollaire, quant à celles qui peuvent soumettre des griefs à l'arbitrage en vertu de l'article 92. L'article 2 de l'ancienne LRTFP définit le terme « fonctionnaire » comme désignant une « Personne employée dans la fonction publique […] », mais il exclut de la définition les personnes :

e)qui sont membres, ou gendarmes auxiliaires, de la Gendarmerie royale du Canada, ou y sont employées sensiblement aux mêmes conditions que les membres de la Gendarmerie;

50 L'article 2 de l'ancienne LRTFP définit « fonction publique » comme désignant l' « Ensemble des postes qui sont compris dans les ministères ou autres secteurs de l'administration publique fédérale spécifiés à l'annexe I, ou qui en relèvent ». La partie I de l'annexe I énumère les « [m]inistères et autres secteurs de l'administration publique fédérale pour lesquels Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l'employeur », ce qui inclut la GRC. La partie II de l'annexe I de l'ancienne LRTFP énumère les « [s]ecteurs de l'administration publique fédérale qui sont des employeurs distincts », ce qui n'inclut pas la GRC. Dans l'administration publique fédérale, il y a un seul employeur, Sa Majesté du chef du Canada. En règle générale, Sa Majesté n'exerce pas ses fonctions d'employeur elle-même ou par l'intermédiaire du gouverneur en conseil. Elle délègue l'exercice de ce pouvoir, soit au Conseil du Trésor quand est concerné un ministère ou un secteur de l'administration publique spécifié dans la partie I de l'annexe I de l'ancienne LRTFP, soit à un employeur distinct quand est concerné un secteur de l'administration publique spécifié dans la partie II de l'annexe I de l'ancienne LRTFP (voir Gingras c. Canada, [1994] 2 C.F. 734 (C.A.F.),  au paragr. 25).

51 Le législateur a adopté un critère objectif, simple et facilement vérifiable, pour déterminer à l'égard de qui Sa Majesté en tant qu'employeur sera représentée par le Conseil du Trésor et à l'égard de qui elle sera représentée par un employeur distinct. La GRC - et non simplement ses employés civils - figure à la partie I de l'annexe I de l'ancienne LRTFP parmi les ministères et autres secteurs de l'administration publique fédérale pour lesquels Sa Majesté, représentée par le Conseil du Trésor, est l'employeur.

52 La définition de « fonctionnaire » à l'article 2 de l'ancienne LRTFP exclut les personnes qui sont membres, ou gendarmes auxiliaires, de la GRC ou qui y sont employées « sensiblement aux mêmes conditions que les membres […] ». M. White soutient que, si le législateur avait voulu exclure de l'application de l'ancienne LRTFP tous les employés de la GRC, il aurait indiqué la GRC dans la liste figurant à la partie II de l'annexe I. On aurait pu par ailleurs à cette fin utiliser une formulation expresse dans la Loi sur la GRC, pour exclure les ECT de l'application de l'ancienne LRTFP.

53 Dans Cowalchuk c. Conseil du Trésor (GRC), dossier de la CRTFP 166-02-26780 (19960621), l'ancienne CRTFP a statué que la définition de « fonctionnaire » à l'article 2 de l'ancienne LRTFP excluait les employés civils qui étaient nommés membres de la GRC en vertu de l'article 7 de la Loi sur la GRC. L'employé s'estimant lésé dans cette affaire travaillait en vertu d'un contrat d'emploi dans lequel il reconnaissait le pouvoir du commissaire de la GRC de le renvoyer. Il avait en outre prêté un serment professionnel, dans lequel il déclarait qu'il remplirait loyalement, diligemment et impartialement le devoir exigé de lui comme membre de la GRC. Le Conseil du Trésor a argué que, vu la définition de « fonctionnaire » dans l'ancienne LRTFP, seuls les employés civils de la GRC pouvaient bénéficier des dispositions de cette loi. L'arbitre de grief a statué :

[…]

En vertu de l'article 92 de la LRTFP, seul un fonctionnaire peut renvoyer un grief à l'arbitrage. Le législateur a cru bon d'exclure de la définition de « fonctionnaire », dans cette loi, les personnes qui, comme M. Cowalchuk, sont normalement appelées des membres civils de la GRC.

[…]

54 M. White n'a pas prêté de serment pour remplir son devoir comme membre de la GRC. Il ne devrait donc pas être considéré comme ne pouvant pas présenter son grief en vertu de l'ancienne LRTFP.

55 Pour ce qui est du respect du délai, dans Schenkman, l'ancienne CRTFP a spécifié les facteurs fondamentaux suivants dont il convenait qu'elle tienne compte en déterminant si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger des délais :

[…]

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé;
  • l'équilibre entre l'injustice causée à l'employé et le préjudice que subit l'employeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

[…]

56 Il y avait des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard de M. White à renvoyer son grief devant la CRTFP. Lors de son licenciement, M. White n'a pas été informé de la procédure ou tribune appropriée pour présenter un grief concernant son licenciement. Quoi qu'il en soit, M. White a poursuivi son grief de manière continue et avec diligence, mais il a été mal orienté, même par l'ancienne CRTFP, quant à la tribune appropriée aux fins de l'audition du grief.

57 Le retard dans la présentation du grief est en grande partie attribuable au retard dans la réception d'une copie du rapport d'enquête, ce qui ne devrait pas causer un préjudice à M. White quant à sa capacité de faire en sorte que son grief finisse par être tranché.

58 M. White a diligemment poursuivi son grief tout au long de la période du retard et a notamment cherché à épuiser toutes les possibilités de procédure administrative de redressement.

59 Ce serait très préjudiciable de ne pas prolonger le délai pour que M. White fasse trancher son grief par la CRTFP, car il n'aurait plus de possibilité de recours, alors qu'il n'y aurait pas de préjudice pour l'employeur. Des personnes, des documents et des registres détaillant les circonstances ayant entouré le licenciement de M. White sont disponibles pour permettre aux deux parties de traiter de la question du caractère approprié de la décision de l'employeur. 

60 Il y a de fortes chances que le grief soit accueilli à l'étape de l'arbitrage. Comme les faits l'indiqueront, M. White a été traité d'une façon contraire aux politiques administratives établies de la GRC.

IV. Motifs

61 En examinant les observations des parties, je suis arrivé à la conclusion que la demande de prorogation du délai pour déposer un grief devrait être rejetée. En conséquence, je n'ai pas à conclure si le grief est arbitrable.

62 M. White a été avisé en mars 2003 de son renvoi de la GRC. Il n'a pas déposé un grief à l'égard de son licenciement avant août 2006. Après que M. White a déposé son grief, la GRC l'a informé qu'elle était d'avis qu'il ne pourrait déposer un grief, parce que, étant donné qu'il était un employé civil temporaire de la GRC, l'ancienne LRTFP ne s'appliquait pas à lui. Le fonctionnaire s'estimant lésé a argué que l'ancienne LRTFP s'appliquait bel et bien. Vu ma conclusion ci-dessous sur la question de savoir si le renvoi à l'arbitrage était dans les délais, je n'ai pas à parvenir à une conclusion sur la question de compétence.

63 Voici les cinq facteurs que les arbitres de griefs doivent prendre en compte pour déterminer s'il convient de proroger le délai relatif à un renvoi à l'arbitrage (voir Schenkman) :

[Traduction]

[…]

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • durée du retard;
  • diligence raisonnable du fonctionnaire s'estimant lésé;
  • le préjudice pour l'employeur par rapport à l'injustice pour le fonctionnaire s'estimant lésé;
  • les chances de succès du grief.

[…]

64 Bien que les renseignements insuffisants fournis à M. White et les efforts de ce dernier pour découvrir quel recours était disponible puissent être considérés comme une raison claire, logique et convaincante justifiant un certain retard dans le dépôt d'un grief, ces éléments ne justifient pas la durée du retard en l'espèce.

65 La GRC a licencié M. White le 14 mars 2003. M. White, après un certain nombre d'efforts pour connaître le recours approprié, a été avisé par la CFP en septembre 2003 qu'il devrait soumettre ses plaintes au CCRI ou à l'ancienne CRTFP. Il a consulté un avocat en octobre 2003. Après un entretien ultérieur avec son avocat à la fin de novembre, il lui a été conseillé de communiquer avec l'ancienne CRTFP. En décembre 2003, il a écrit à l'ancienne CRTFP pour demander s'il pouvait déposer un grief et, dans l'affirmative, comment il pourrait s'y prendre pour faire prolonger le délai pour déposer un grief. Il a été avisé dans un courriel d'un agent du greffe de l'ancienne CRTFP que l'information fournie semblait indiquer que l'affaire ne relevait pas de la compétence de l'ancienne CRTFP. M. White n'a pas poursuivi cette affaire auprès de l'ancienne CRTFP avant 2006. Comme le fonctionnaire s'estimant lésé en a subséquemment été avisé par la CRTFP en 2006, la voie appropriée à suivre aurait été qu'il dépose un grief auprès de l'employeur avant toute décision, par la CRTFP, sur la question du délai et la question de la compétence.

66 Même si M. White avait reçu cet avis de l'ancienne CRTFP en décembre 2003, son grief aurait été hors délai. Dans certaines circonstances, un fonctionnaire s'estimant lésé peut jusqu'à un certain point être excusé de n'avoir pas su quelle était la procédure de redressement appropriée. Toutefois, en l'espèce, la période d'environ huit mois depuis la date du licenciement jusqu'au contact initial avec l'ancienne CRTFP représente un long retard, et il n'y a pas de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard. En septembre 2003, M. White a reçu de la CFP de l'information qui aurait dû l'orienter vers l'ancienne CRTFP. Pourtant, il a attendu plus de deux mois avant de communiquer avec l'ancienne CRTFP. Il a consulté un avocat en octobre 2003 et a eu la possibilité d'obtenir un avis juridique, mais ce n'est que le 1er décembre 2003 qu'il a communiqué avec l'ancienne CRTFP.

67 M. White n'avait pas présenté de grief à la suite de son licenciement mais avait réussi à faire en sorte que la GRC mène une enquête interne. La recommandation de l'enquêteur de réintégrer M. White n'a pas été acceptée par la GRC. M. White a reçu cette confirmation de la décision de le licencier en mars ou juin 2005. M. White n'a pas immédiatement présenté un grief concernant cette décision de la GRC. Dans ses observations, son avocat affirme que le retard dans le dépôt d'un grief était en grande partie attribuable au retard dans la réception d'une copie du rapport d'enquête. Certes, le retard dans l'obtention du rapport d'enquête était regrettable, mais ce n'est pas pertinent aux fins de la présente demande. M. White ne dépose pas un grief à l'égard du rapport d'enquête - il conteste la décision de le licencier. Il n'est pas peu fréquent qu'un fonctionnaire s'estimant lésé reçoive une copie d'un rapport d'enquête en matière disciplinaire bien après avoir déposé un grief, parfois des jours avant le début de l'audience d'arbitrage ou parfois au début de celle-ci. L'omission de la GRC de fournir un rapport d'enquête n'excuse pas le fait de n'avoir pas déposé un grief à temps et n'est pas une raison claire, logique et convaincante.

68 Je conclus que les raisons du retard dans le dépôt d'un grief ne sont pas claires, logiques et convaincantes, vu la durée du retard. Par conséquent, je n'ai pas à évaluer les autres facteurs.

69 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V.  Ordonnance

70 La demande de prorogation du délai pour déposer un grief est rejetée.

71 Le renvoi à l'arbitrage est rejeté.

Le 16 août 2007.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Ian R. Mackenzie,
vice-président et arbitre de grief

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