Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’uniforme de travail des agents correctionnels a été modifié - l’introduction du nouvel uniforme était accompagnée d’un nouveau code vestimentaire qui prévoit des sanctions disciplinaires en cas d’infraction - le nouvel uniforme ne comporte plus de cravate - le fonctionnaire s’estimant lésé a cependant continué de porter la cravate de l’ancien uniforme - il a refusé de cesser de porter la cravate après que son gestionnaire le lui ait demandé à plusieurs reprises - le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu une amende de 75 $, bien que son gestionnaire savait que les demandes répétées de cesser de porter la cravate causaient au fonctionnaire s’estimant lésés de la détresse psychologique - depuis, le fonctionnaire s’estimant lésé est en arrêt de travail et reçoit des prestations d’assurance-invalidité - il recherche le remboursement de << [...] toute somme d’argent perdue [...] >> - l’arbitre de grief a conclu qu’elle pouvait entendre le grief parce qu’il porte sur une sanction pécuniaire - elle a conclu que, bien que l’employeur et l’agent négociateur se soient entendus sur le nouvel uniforme, le nouveau code vestimentaire de l’employeur ne fait pas partie de la convention collective et constitue une règle imposée unilatéralement par l’employeur - la preuve a démontré que le nouveau code vestimentaire n’a pas été appliqué de façon uniforme à tous les agents correctionnels - de plus, l’arbitre de grief a conclu que l’interdiction de porter la cravate était déraisonnable dans les circonstances - elle a annulé l’amende de 75 $ - la preuve a aussi démontré que l’intransigeance de la gestion a causé au fonctionnaire s’estimant lésé un traumatisme psychique qui l’a rendu inapte au travail - l’arbitre de grief a ordonné que le fonctionnaire s’estimant lésé soit dédommagé pour la perte d’avantages et de revenus résultant de son arrêt de travail. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2007-08-16
  • Dossier:  566-02-560
  • Référence:  2007 CRTFP 89

Devant un arbitre de grief


Entre

FRANÇOIS DEMERS

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Demers c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
lui-même

Pour le défendeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Sherbrooke (Québec)
les 20 et 21 mars 2007.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s'estimant lésé, François Demers, travaille comme agent correctionnel, niveau CX-01, à l'établissement Cowansville. Il a 51 ans et travaille au Service correctionnel du Canada (SCC) depuis 1977, soit 30 ans. Il travaille de nuit, soit de 19 h à 7 h le matin, selon un horaire de trois jours par semaine alternant avec trois jours de congé. Ses tâches consistent à assurer la supervision des détenus. Il est en arrêt de travail depuis le 8 décembre 2005.

2 M. Demers a présenté un grief le 23 décembre 2005, dans lequel il allègue un abus de pouvoir de la part du SCC (discrimination et harcèlement) pour lui avoir interdit de porter une cravate avec son uniforme et lui avoir interdit l'accès à l'établissement Cowansville tant qu'il refusera d'enlever sa cravate. Il demande, à titre de redressement, que le port de la cravate soit facultatif, que lui soit remboursée toute somme d'argent perdue et qu'il puisse être présent à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs aux frais du SCC. M. Demers a reçu une lettre d'avertissement et une amende de 75 $ lui a été imposée pour ne pas s'être conformé au code vestimentaire.

II. Résumé de la preuve

3 En 2003, le SCC a annoncé aux agents correctionnels des changements à l'uniforme, qui prenaient effet le 1er juin 2005. Les nouveaux uniformes ont été conçus en collaboration avec l'agent négociateur par l'entremise d'un comité conjoint national, et approuvés par le SCC.

4 Les agents correctionnels sont tenus de porter l'uniforme lorsqu'ils sont de service. La description de leur uniforme et les règles pour le porter sont contenues dans une directive du SCC datée du 1er juin 2005, intitulée « Lignes directrices 351-1 - Uniformes du SCC, code vestimentaire et barème de distribution » (ci-après « le code vestimentaire »), qui a été rédigée par le SCC sans la participation de l'agent négociateur. La distribution des articles vestimentaires se fait selon un système de points. Chaque article correspond à une valeur numérique établie en fonction de son prix. Chaque agent correctionnel disposait d'un certain nombre de points lors de la distribution initiale de l'uniforme pour commander les articles vestimentaires prescrits par le code vestimentaire, puis d'un nombre réduit de points annuel pour le remplacement des articles vestimentaires composant l'uniforme.

5 De 2003 à 2005, un appel d'offres pour trouver un fournisseur a eu lieu et les articles vestimentaires composant l'uniforme ont été confectionnés. Les agents correctionnels ont été avertis du changement d'uniforme de trois façons: ils ont reçu un courriel les informant des changements le 12 mai 2003; des photos du nouvel uniforme ont été affichées à deux reprises avant le mois de juin 2005 sur un tableau d'affichage dans la salle de surveillance à laquelle ont accès tous les agents correctionnels; chaque agent correctionnel a reçu et contresigné une copie du code vestimentaire, qui comprend 25 pages. Le code vestimentaire décrit en grand détail le nouvel uniforme, explique ce qui est permis et ce qui ne l'est pas, et précise comment le porter. Le code vestimentaire prévoit en outre des mesures disciplinaires en cas de non-respect.

6 En raison de retards de fabrication, les uniformes commandés n'ont pas tous été prêts pour la date butoir du 1er juin 2005. On a donc permis aux agents correctionnels un port graduel du nouvel uniforme. Par contre, à quelques exceptions près, tous les agents correctionnels avaient reçu leurs articles vestimentaires au cours de l'automne 2005. C'est à ce moment-là que le SCC a commencé à sévir contre ceux qui ne portaient pas le nouvel uniforme ou qui portaient une combinaison d'articles vestimentaires non réglementaires et réglementaires. C'est cette mesure qui a mené aux événements qui sont à l'origine de la présente affaire.

7 Comme agent correctionnel ayant 28 ans de service à la date de l'entrée en vigueur du nouvel uniforme, M. Demers avait toujours porté une cravate au travail. Il portait une chemise à manches longues, été comme hiver, afin de toujours pouvoir porter une cravate, puisque le fait de porter une chemise à manches longues donnait lieu au port de la cravate.

8 Avec le nouvel uniforme, la cravate a été remplacée par un t-shirt noir qui se porte sous la chemise réglementaire. Les deux premiers boutons de la chemise doivent être détachés pour qu'on puisse voir le col du t-shirt.

9 Il y a lieu de noter qu'il y a deux uniformes pour les agents correctionnels : l'uniforme de travail et l'uniforme de cérémonie réservé aux événements officiels. Le port de la cravate est obligatoire avec le nouvel uniforme de cérémonie, comme il l'était avec l'uniforme précédent.

10 M. Demers reçoit son nouvel uniforme le 29 août 2005, mais continue à porter l'ancien pour trois motifs : aucun agent correctionnel ne porte encore le nouvel uniforme au complet; un des surveillants ne le porte pas parce que son uniforme, spécialement fabriqué, est adapté à ses particularités physiques; le nouvel uniforme ne permet pas le port de la cravate. M. Demers déclare qu'il portera le nouvel uniforme dès que les autres agents correctionnels le porteront. Lors de son témoignage, M. Demers admet que le refus de porter le nouvel uniforme est aussi un moyen d'exprimer qu'il est mécontent que la convention collective ne soit toujours pas renouvelée, bien que les négociations collectives durent alors depuis trois ans.

11 Le 28 octobre 2005, M. Demers est sommé de porter son nouvel uniforme, au moyen d'une note de service signée par son surveillant immédiat, Pierre Sansoucy, à la suite de rapports de plusieurs surveillants signalant qu'il ne le porte pas. M. Demers se conforme à cette directive, mais en portant la cravate de son ancien uniforme. M. Demers reçoit plusieurs rappels qu'il est interdit de porter la cravate et les superviseurs lui demandent de l'enlever. M. Demers continue de porter sa cravate. Ces rappels sont faits devant ses collègues de travail.

12 Le 29 novembre 2005, M. Sansoucy rencontre M. Demers et lui ordonne d'enlever la cravate qu'il porte avec le nouvel uniforme. M. Demers lui explique que la cravate représente pour lui la mesure de son respect à l'égard des détenus dont il assure la surveillance. M. Sansoucy lui répond que, bien qu'il comprenne les motifs qui poussent M. Demers à vouloir porter la cravate, il ne peut approuver sa démarche de continuer à la porter. M. Demers se dit prêt à subir des sanctions disciplinaires dans le but de faire valoir ses droits. Cette rencontre est consignée dans une note de service avertissant M. Demers que, s'il ne se conforme pas au code vestimentaire, il est passible d'une sanction disciplinaire. Lors de son quart de travail suivant, M. Demers se présente au travail en portant la cravate.

13 Le 2 décembre 2005, le superviseur Bernard Desrosiers avise M. Sansoucy par courriel que M. Demers porte toujours la cravate et qu'il devient difficile de gérer la situation. Ce même soir, M. Demers se déclare inapte à travailler en raison de ce différend. Dans un deuxième courriel quelques heures plus tard, M. Desrosiers explique que M. Demers a « […] peté les plombs, mais est revenu à lui. » Comme M. Desrosiers a réussi à calmer M. Demers, ce dernier a exécuté son quart de travail. Le 4 décembre 2005, le superviseur Michel Gagnon avise M. Desrosiers par courriel que M. Demers a été averti au sujet de sa cravate.

14 Le 5 décembre 2005, à 8 h, soit à la fin du quart de travail de nuit, M. Sansoucy, accompagné d'un gestionnaire de l'établissement Cowansville, rencontre M. Demers et des représentants de son agent négociateur pour faire le point. M. Sansoucy explique alors qu'une sanction sera imposée à M. Demers s'il persiste à porter la cravate. M. Demers répond qu'il ira jusqu'au bout de sa démarche. Il reçoit alors une réprimande écrite, avant de quitter l'établissement Cowansville, qu'il n'a pas contestée.

15 Selon le témoignage de M. Demers, les gestionnaires du SCC ont proférés des propos malveillants et humiliants à l'égard de sa cravate lors de la rencontre du 5 décembre 2005. Dans son témoignage, M. Sansoucy n'admet pas que cette rencontre ait quelque rapport avec les événements ayant mené au grief. M. Demers a quitté la rencontre en disant que la guerre était déclarée.

16 Le 8 décembre 2005, au début de son quart de travail, M. Sansoucy rencontre de nouveau M. Demers en présence de son représentant syndical, encore une fois concernant le port de la cravate. À cette occasion, M. Sansoucy lui ordonne d'enlever sa cravate et de ne pas la porter au travail. M. Demers refuse. Il reçoit une deuxième mesure disciplinaire, soit une amende de 75 $, qui fait l'objet du grief à l'étude. La rencontre est consignée dans une note de service en date du 9 décembre 2007, éventuellement remise à M. Demers.

17 Suite à sa rencontre du 8 décembre 2005 avec M. Sansoucy, M. Demers quitte l'établissement Cowansville visiblement ébranlé et en larmes. L'état de M. Demers est consigné dans le rapport d'observation d'un surveillant, mais il ne semble pas y avoir eu de suivi de la situation. Après avoir quitté l'établissement, M. Demers se rend à l'hôpital. Il y est vu par un urgentologue, qui le place en arrêt de travail en raison d'une situation de crise interpersonnelle - crise d'adaptation.

18 Le 13 décembre 2005, M. Demers présente une réclamation pour accident de travail à la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSSTQ). Le 21 décembre 2005, le SCC informe M. Demers qu'il sera sans solde à compter du 23 décembre 2005. Les dispositions législatives concernant les accidents de travail obligent un employeur à payer les 14 premiers jours suivant un accident de travail, mais au-delà de cette période, un employé doit utiliser ses crédits de congé de maladie. Comme M. Demers n'a plus de crédits, il sera en congé sans solde jusqu'à ce que la CSSTQ se prononce sur sa réclamation.

19 Le 26 décembre 2005, M. Demers se présente au travail. Le SCC le renvoie chez lui parce qu'il ne peut présenter de certificat médical attestant de son aptitude au travail, bien qu'il dise se sentir bien et ne plus être en accident de travail.

20 Le 3 janvier 2006, le SCC répond à la réclamation pour accident de travail, comme suit :

[…]

M. François Demers a été rencontré par son superviseur à 4 reprises aux cours des dernières semaines concernant des manquements au travail. Ainsi, le 2005/11/10, il fut rencontré informellement par P. Sansoucy pour le sensibiliser sur le code vestimentaire. Le 2005/11/29 il fût à nouveau de rencontré par son superviseur pour lui mandaté de se conformé. Le 2005/12/05 une première mesure disciplinaire lui fut administré puisqu'il n'adoptait pas le code vestimentaire. Puis le 2005/12/08 une 2ieme mesure disciplinaire a été appliquée puisqu'il ne se conformait pas. C'est suite à cette rencontre qu'il s'est senti mal et qu'il a quitté l'établissement.

[…]

[Sic pour l'ensemble de la citation]

[Je souligne]

21 Depuis l'amende du 8 décembre 2005, M. Demers est sous les soins d'un médecin, qu'il voit environ aux six semaines. Suite à la recommandation de l'urgentologue, le médecin met M. Demers en arrêt de travail pour trois mois, à compter du 8 décembre 2005. Le diagnostic posé par le médecin est un trouble d'adaptation situationnelle. À la suite d'une consultation le 3 avril 2006, le médecin de M. Demers prolonge l'arrêt de travail de deux mois. Cette fois le diagnostic précisais que le trouble d'adaptation situationnelle était accompagné de dépression. Lors d'une consultation le 9 juin 2006, le médecin de M. Demers prolonge l'arrêt de travail pour une période de deux à quatre mois pour le même diagnostic.

22 Le 17 janvier 2006, M. Demers, par l'entremise de son avocat, demande au SCC de reconsidérer sa position concernant le port de la cravate au travail. Le 25 janvier 2006, le SCC répond à cette demande en invoquant le fait que l'uniforme a été choisi par le comité conjoint national, qu'il est de rigueur et que M. Demers doit s'y conformer. À cela, le SCC ajoute que, pour reprendre le travail, M. Demers devra fournir une attestation de son médecin à l'effet qu'il est apte à reprendre le travail.

23 Le 13 février 2006, à la demande du SCC, M. Demers se soumet à une évaluation psychiatrique à la clinique Medisys. Le rapport d'évaluation confirme que M. Demers n'a aucune limitation fonctionnelle, ni aucune atteinte permanente sur le plan médical, et que son état est consolidé en date du 13 février 2006. Le psychiatre le déclare apte à retourner travailler. Le psychiatre note que M. Demers « […] est encore perturbé par l'intransigeance et la décision de l'employeur d'appliquer une règle qu'il ne comprend pas. »

24 Le 1 mars 2006, la CSSTQ rejette la réclamation pour accident de travail de M. Demers. Une demande de révision de cette décision est présentement devant la Commission des lésions professionnelles du Québec.

25 Le 6 mars 2006, le SCC écrit à M. Demers suite à l'évaluation psychiatrique du 13 février 2006 et à la décision de la CSSTQ et lui demande de se présenter au travail le 15 mars 2006, pendant le quart de jour, et de confirmer à M. Sansoucy qu'il se présentera au travail à cette date.

26 Le 7 mars 2006, M. Demers s'entretient au téléphone avec M. Sansoucy. Il lui explique qu'il a déjà planifié des vacances commençant le 15 mars 2006 et qu'il retournera au travail après cela. M Sansoucy l'informe qu'il n'a pas les crédits de congé nécessaires pour prendre plus de 36 heures de vacances, et qu'il devra « apporter un papier médical » pour justifier toute absence supplémentaire. M. Sansoucy l'informe que sa réclamation pour accident du travail a été rejetée par la CSSTQ et qu'il devra prendre les mesures pour rembourser les 14 jours qui lui ont été payés suite au dépôt de sa réclamation. En réponse à une question de M. Demers, M. Sansoucy lui répond qu'il devra se présenter au travail sans cravate, sans quoi il fera l'objet d'une mesure disciplinaire. M. Demers refuse de lui donner une date précise de retour au travail. M. Demers dit dans son témoignage que cette conversation lui a causé un énorme stress.

27 M. Demers ne retourne pas au travail.

28 Le 10 juillet 2006, en raison de l'absence prolongée de M. Demers, le SCC demande à M. Demers de se soumettre à une deuxième évaluation psychiatrique, devant le même psychiatre que le 13 février 2006. Suite à sa deuxième évaluation, le psychiatre à changé d'opinion. Ses remarques pertinentes à la présente affaire sont les suivantes :

[…]
  1. Le diagnostic actuel, à mon avis, est une dépression majeure d'intensité sévère.

    Il faut comprendre que Monsieur Demers, à mon avis, tente désespérément de se défendre sur le plan psychique pour l'apparition d'une dépression qui amènerait une détérioration importante de sa personnalité et une désintégration de son image de soi. C'est pour cette raison que je considère qu'il a développé une fixation délirante psychotique sur le port de sa cravate. Comme il le dit lui-même, si on enlève sa cravate, on change tout le personnage et si on la lui enlève, il a l'impression qu'il va mourir sur place.

    Dans la mesure où monsieur peut maintenir le port de la cravate et l'idée que ceci est essentiel pour lui, il ainsi prévient la désintégration psychotique.

  2. Je considère qu'actuellement la condition est effectivement évolutive. Plus l'employeur le confronte à l'idée de ne pas porter sa cravate, plus monsieur devient angoissé et ses angoisses de désintégration ramènent à une solidification, une rigidité de la défense psychotique.

    Le pronostic, dans ce contexte, m'apparaît très mauvais et je suis d'avis que Monsieur Demers sera incapable de retourner à son emploi si on ne lui permet pas le port de la cravate.

  3. Comme je l'ai mentionné plus haut, dans la mesure où monsieur ne peut porter sa cravate sur le milieu de travail, je trouve qu'il est complètement inapte pour retourner à son travail.
  4. À mon avis, il y a une restriction au travail qui est permanente, à savoir que monsieur ne peut travailler sans le port de sa cravate.
  5. Je crois que la seule chose que l'employeur pourrait faire pour aider la réintégration au travail et pour diminuer la souffrance psychique de ce monsieur, serait de lui permettre de porter sa cravate.
[…]

29 Le 6 octobre 2006, M. Sansoucy lui téléphone à la maison pour lui dire qu'il est déclaré inapte au travail et qu'il faut maintenant que le SCC statue sur son cas. Cette remarque, qu'il a jugée inopportune, fait en sorte qu'il se rend en détresse à l'urgence de l'hôpital où il est gardé pour la nuit. Au moment d'une rencontre le 15 octobre 2006 avec la direction de l'établissement Cowansville, un représentant des relations de travail et un représentant syndical, M. Demers se rend compte qu'on tente de le mettre à la porte. Le SCC lui demande de signer des documents pour qu'il puisse prendre une retraite pour raison de santé. Bouleversé par cet aspect si final de la rencontre, il demande au SCC de ne plus entrer en communication avec lui, et de s'adresser dorénavant à lui par l'intermédiaire de son avocat.

30 À la suite d'une demande de M. Demers, l'administrateur du régime d'assurance-invalidité de la fonction publique accepte, le 14 décembre 2006, de lui verser des prestations rétroactivement au 10 mars 2006. Au moment de l'audience, M. Demers reçoit toujours les prestations d'assurance-invalidité, qui sont maintenant prévues pour une période de deux ans.

31 M. Demers témoigne qu'il a fait enquête auprès d'employeurs de corps policiers, pompiers et autres agents correctionnels et a appris que la cravate est habituellement facultative.

32 Voici quelques autres faits pertinents à la présente affaire. Entre le 15 novembre et le 4 décembre 2005, certains agents correctionnels ont appuyé la démarche de M. Demers en portant aussi une cravate avec leur uniforme. Ils ont été avertis de l'enlever (dans le cas d'un agent, plusieurs fois), et se sont éventuellement conformés à cet avertissement. Aucun d'eux n'a reçu de mesure disciplinaire.

33 En novembre 2005, plusieurs agents correctionnels commencent à porter au travail des tuques, des foulards et des chandails à col montant qui ne sont pas réglementaires. Le SCC accepte leur justification pour porter ces articles vestimentaires non réglementaires, soit qu'il est plus commode lors de fouilles de porter la tuque qui reste sur la tête plutôt que le chapeau réglementaire - le képi - qui tombe de la tête. La commodité du foulard n'a cependant pas été mise en preuve. Le SCC accepte cette modification de l'uniforme; cependant le 22 décembre 2005, un bulletin de service déclare que les tuques, les foulards et les chandails à col montant seront tolérés pourvu qu'ils soient conformes à certaines normes et qu'ils soient aux frais des agents correctionnels qui les portent.

34 Dans le même sens, un autre bulletin de service daté du 7 septembre 2005 avait déjà permis, selon un certain protocole, le port d'autres articles vestimentaires non réglementaires, soit l'épinglette de l'Association nationale des agents correctionnels fédéraux et le ruban commémoratif des agents de la paix.

35 Entre le 23 juin 2005 et le 23 mars 2006, le SCC tient un registre des infractions au code vestimentaire dans lequel apparaît le nom d'agents correctionnels, dont certains on reçu un avertissement à plus d'une reprise. Toutefois, M. Demers est le seul agent correctionnel qui ait reçu une sanction disciplinaire pour ne pas s'être conformé au code vestimentaire.

36 M. Sansoucy, le superviseur immédiat de M. Demers, témoigne que la tenue de ce dernier est toujours propre et soignée, et que M. Demers s'est toujours conformé au code vestimentaire, sauf depuis la dernière modification. M. Demers lui a demandé une copie de la politique qui interdit de porter une cravate. M. Sansoucy l'a référé au code vestimentaire. Le code est toutefois muet à ce sujet.

37 M. Demers s'est présenté à l'audience vêtu du nouvel uniforme, avec la cravate de l'uniforme précédent. En contre-interrogatoire, M. Sansoucy témoigne que la cravate portée par M. Demers à l'audience est maintenant celle de l'uniforme de cérémonie. M. Sansoucy admet que, le 8 décembre 2005, la date de la deuxième rencontre disciplinaire, M. Demers portait un mélange de l'ancien (chandail et manteau) et du nouvel uniforme (pantalon et chemise) parce que le manteau faisant partie du nouvel uniforme n'était pas prêt. M. Sansoucy admet aussi que d'autres agents correctionnels ont porté des manteaux non règlementaires au-delà de cette période, en attendant la confection des nouveaux manteaux réglementaires. Ces agents correctionnels étaient apparemment sous l'impression que le nouveau manteau réglementaire était complètement différent de l'ancien, dont ils se sont défaits, alors qu'en réalité il ne s'agissait que d'un changement d'écussons et d'épaulettes.

38 M. Sansoucy explique que l'uniforme évolue avec le temps. Les agents correctionnels suggèrent des changements, et par la suite, le comité conjoint national fait ses recommandations au SCC. Selon M. Sansoucy, M. Demers n'a pas fait de demande selon la procédure appropriée pour obtenir que le port de la cravate soit optionnel. Par conséquent, à l'automne 2005, M. Sansoucy ne pouvait pas lui permettre de porter une cravate. Il reconnaît toutefois que, s'il était autorisé à le faire, il permettrait à M. Demers de porter la cravate.

39 Selon M. Sansoucy, l'uniforme est une question de santé et de sécurité au travail qui fait en sorte que les employés soient aptes à se présenter au travail. À son niveau, il n'a pas l'autorité pour accorder des exceptions au code vestimentaire. Son travail consiste à voir à ce que les agents correctionnels soient capables d'exécuter leur travail ou à les orienter vers des programmes d'aide.

III. Résumé de l'argumentation

A.  Pour M. Demers

40 M. Demers soutient que lorsqu'il a vu les premières photos et explications du nouvel uniforme, il ne s'est pas rendu compte que le nouvel uniforme ne comportait plus de cravate. Depuis, il a appris que le port de la cravate est habituellement facultatif pour des corps de métiers semblables.

41 Par ailleurs, M. Demers ne comprend pas que du jour au lendemain la cravate soit interdite, alors qu'elle a été obligatoire pendant ses 28 ans de carrière. Il soutient que le nouvel uniforme n'a pas fait l'objet d'un vote ou d'une consultation locale parmi les agents correctionnels. Si cela avait été le cas, il aurait contesté le fait que le nouvel uniforme ne permet pas, au moins facultativement, de porter la cravate. Il ne s'attendait pas à une interdiction stricte de la porter. Selon lui, la cravate qui continue à être portée avec l'uniforme de cérémonie devrait être permise au travail. Il explique qu'à l'époque où l'amende lui à été imposée, il lui était permis de porter toutes ses « vieilles affaires », soit anciens gilets, manteaux et autres accessoires, mais pas sa cravate. M. Demers a toute une collection d'anciennes cravates qu'il peut porter, même s'il ne peut pas en commander de neuves. Je soulève le fait que le code vestimentaire ne contient aucune interdiction de porter une cravate.

42 Ce n'est qu'après l'imposition de l'amende, au cours d'une conversation en mars ou avril 2006, que M. Sansoucy lui a dit que M. Demers devait demander à l'agent négociateur de faire modifier l'uniforme. L'agent négociateur n'a pas voulu appuyer sa démarche. Son président lui a ri au nez quand il a demandé de rendre facultatif le port de la cravate. Au début de juin 2006, M. Demers a reçu un appel de l'agent négociateur lui demandant « de laisser tomber son histoire de cravate », un incident qui a provoqué chez lui un moment d'extrême détresse.

43 M. Demers affirme ne pas avoir été présent pour l'audition de son grief aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs. Lors de la rencontre au deuxième palier, le SCC lui a refusé l'accès à l'établissement Cowansville et a exigé que les échanges se fassent par téléphone. M. Demers a refusé cet arrangement; par conséquent il n'a pas eu la possibilité de présenter son point de vue. Il n'y a pas eu de rencontre ou de réponse au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

44 M. Demers soutient que la cravate représente pour lui un outil de travail qui lui permet d'obtenir le respect des détenus auxquels il a affaire. C'est aussi une caractéristique importante de sa personne. M. Demers comprend mal que soudainement on lui demande de changer d'image, alors qu'on la lui a imposée pendant plus de 28 ans. Il accuse le SCC d'avoir été insensible à son besoin de porter une cravate. Il signale le fait qu'on lui a ordonné à plusieurs reprises, devant ses collègues de travail, d'enlever sa cravate, et ce, sans considération des motifs qui expliquaient son refus de l'enlever. M. Demers soutient que la politique d'interdiction du SCC est non seulement déraisonnable, mais injustifiée, car il n'a pas affaire au public et travaille de nuit.

45 M. Demers plaide que le SCC a exercé une pression indue pour qu'il enlève sa cravate. Le 8 décembre 2005, il a tout simplement craqué. Il ne croyait pas que le différend avec son superviseur sur le port de l'uniforme se rendrait à l'ultimatum. Il était en état de détresse psychologique intense lorsqu'il est arrivé à l'urgence de l'hôpital. Il allègue qu'il s'agit de harcèlement de la part du SCC, qui a vu cet incident comme un moyen de se défaire de lui. Il conteste le fait que le SCC soit allé jusqu'à lui refuser l'accès à l'établissement Cowansville en l'absence de certificat médical, même s'il se disait en état de travailler. Il allègue que ceci n'a fait qu'aggraver la situation en le rendant plus malade. C'est pourquoi, à la recommandation de son médecin, il n'est pas retourné travailler.

46 M. Demers explique que les vacances prises en mars avaient été planifiées depuis longtemps avec sa conjointe. Il était d'avis à l'époque qu'il avait accumulé suffisamment de crédits de congé pour couvrir presque tous les jours de vacances qu'il entendait prendre. Par contre, il avait un rendez-vous chez son médecin immédiatement à son retour pour réévaluer son état. Contrairement aux résultats de la première évaluation psychiatrique réalisée à la demande du SCC, son propre médecin lui a ordonné de ne pas se présenter au travail pour encore quelques mois. C'est donc à ce moment-là qu'il a fait une demande de prestations d'assurance-invalidité.

47 M. Demers soutient qu'en raison de l'intransigeance du SCC et sa décision de lui offrir une retraite médicale, qu'il n'est plus motivé à travailler, que sa santé en a souffert, que sa conjointe l'a quitté. Il se sent dévalorisé par toute cette affaire. Il a l'impression d'avoir gâché tout ce qui lui tenait à cour.

48 Dans son grief, comme mesures correctives, M. Demers demande 1) que le code vestimentaire soit modifié pour permettre le port de la cravate, 2) que lui soit remboursée toute somme d'argent perdue et 3) qu'il puisse être présent à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs aux frais du SCC.

B. Pour le défendeur

49 Le défendeur s'oppose à ma compétence pour décider de cette affaire en raison des dispositions de l'alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« la nouvelle Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, qui ne permet le renvoi à l'arbitrage que d'un grief individuel portant sur l'interprétation ou l'application de la convention collective. Le défendeur soutient que le code vestimentaire ne fait pas partie de la convention collective et que par conséquent, je ne peux ordonner qu'il soit modifié pour permettre le port de la cravate. De plus, le défendeur soutient que le grief de M. Demers est fondé sur le code vestimentaire plutôt que sur une mesure disciplinaire au sens de l'alinéa 209(1)b) de la nouvelle Loi.

50 Le défendeur nie que le SCC ait refusé à M. Demers l'accès à l'établissement Cowansville pour des raisons disciplinaires, mais plutôt pour des raisons de santé.

51 Le défendeur plaide que l'amende de 75 $ ne fait pas partie du grief parce qu'elle n'est pas clairement mentionnée dans la demande de redressement et qu'elle ne fait pas l'objet des décisions rendues sur le grief. Le défendeur soutient aussi que tenir compte de l'amende transformerait la nature du grief, comme l'interdit Burchill c. (Procureur général), [1981] 1 C.F. 109 (C.A). Le défendeur me demande de rejeter le grief sans en examiner le bien-fondé. J'ai pris cette objection sous réserve. Le défendeur a présenté les observations qui suivent sur le bien-fondé du grief.

52 Le défendeur plaide que les changements au code vestimentaire sont survenus après de nombreuses consultations entre le SCC et l'agent négociateur siégeant au comité conjoint national, dont le mandat était de proposer un nouvel uniforme. Le SCC et l'agent négociateur ont eu la chance de formuler leurs commentaires et ils se sont éventuellement entendus. Puisque l'uniforme a reçu l'appui de l'agent négociateur, et en particulier de son président, il ne peut donc être considéré arbitraire, déraisonnable ou en contravention à la convention collective.

53 L'uniforme a été annoncé deux ans avant son entrée en vigueur en 2005. L'entrée en vigueur du nouvel uniforme n'a été une surprise pour personne, car tous les agents correctionnels ont reçu une copie du code vestimentaire.

54 La cravate a été enlevée parce que, selon certains agents correctionnels, elle était encombrante pour fouiller les toilettes. C'est l'agent négociateur qui a proposé qu'elle soit enlevée de l'uniforme de travail, bien qu'elle ait été conservée pour l'uniforme de cérémonie. Ces deux uniformes ont des usages différents et il ne faut pas les confondre. Seulement deux agents correctionnels de l'établissement Cowansville ont un uniforme de cérémonie et M. Demers n'en a jamais possédé.

55 Si je conclus que l'amende de 75 $ fait partie du grief, le défendeur plaide qu'elle était justifiée. Lorsque M. Demers a reçu son uniforme le 29 août 2005, il a refusé de le porter. Le code vestimentaire, au point 10, précise que le SCC peut imposer une mesure corrective ou disciplinaire pour toute infraction. Le code vestimentaire stipule qu'aucun article vestimentaire non réglementaire ne doit être porté avec un article réglementaire, sauf exception autorisée. La cravate ne faisant pas partie du nouveau code vestimentaire, elle n'était pas autorisée pour M. Demers.

56 De plus, M. Demers a été averti à plusieurs occasions de ne pas porter la cravate. Il a continué à refuser de l'enlever et de se conformer au code vestimentaire même après un premier avertissement écrit. Le défendeur fait valoir que les gestes de M. Demers étaient de l'insubordination. Pour être conforme au code vestimentaire, le SCC n'a eu d'autre choix que d'imposer à M. Demers des mesures disciplinaires progressives. Par contre, les autres agents correctionnels qui n'ont pas porté l'uniforme avaient des raisons pour ne pas le faire. Il y a eu des retours d'uniformes, des uniformes qui n'étaient pas de la bonne taille ou qui devaient être faits sur mesure. Éventuellement, tout le monde a fini par porter l'uniforme. Les autres agents correctionnels qui ont porté la cravate ont accepté de se conformer aux nouvelles exigences en l'enlevant. À cet égard, le SCC n'a pas fait d'exceptions. Par contre, les foulards et les tuques ont été autorisés le 22 décembre 2005, à la suite des changements proposés par le comité conjoint national.

57 Le défendeur soutient que l'amende de 75 $ était justifiée dans les circonstances puisqu'elle avait été précédée par un avertissement écrit. Cet avertissement n'a pas fait l'objet d'un grief.

58 Le défendeur fait valoir que le SCC a bien agi en refusant l'accès à l'établissement Cowansville à M. Demers après le 8 décembre 2005. Le SCC avait en main un certificat médical établissant que M. Demers était en arrêt de travail pour deux mois. Le SCC était donc en droit d'exiger que M. Demers présente un certificat médical indiquant qu'il était apte à travailler afin de ne pas encourir le risque d'un autre incident. Puisque M. Demers n'était pas apte à travailler, le SCC était bien fondé de lui refuser l'accès à l'établissement Cowansville. Par ailleurs, lorsqu'il a été déclaré apte à travailler par le psychiatre, M. Demers a présenté un certificat médical attestant qu'il était inapte à travailler. Cette contradiction justifie une fois de plus la décision du SCC de lui refuser l'accès à l'établissement Cowansville.

59 À l'appui de ses prétentions à l'effet que la sanction disciplinaire était bien fondée, le défendeur a soumis les décisions suivantes : Arnfinson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-10375 (19820125); Massé c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-15361 (19860612); Guimond c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-18384 (19890710); et Demers c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-20093 (19901221).

60 À l'appui de prétentions voulant que le refus d'accès à l'établissement Cowansville sans certificat médical d'aptitude au travail était bien fondé, le défendeur a soumis un extraitde Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e éd., au paragr. 7:6142 « Medical examinations and opinions » ainsi que les décisions suivantes : Stinson c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-15745 (19890313); Lorrain c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14709 (19850718); et Ricafort c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-17422 (19881129).

61 Le défendeur me demande donc de rejeter le grief.

C.  Réplique de M. Demers

62 M. Demers réplique qu'il ne conteste pas avoir été avisé de la mise en vigueur du code vestimentaire ou de ses exigences. Toutefois, il souligne que le SCC lui a forgé une image pendant 28 ans, pour ensuite la changer du jour au lendemain sans raison sérieuse. Il affirme qu'il sera malade tant que le SCC demeurera intransigeant. Les agissements du SCC ont eu des effets négatifs sérieux sur sa santé physique et mentale et c'est pour cela qu'il est en arrêt de travail. Le SCC a abusé de son pouvoir, pour ensuite exclure M. Demers du milieu où il a passé toute sa carrière.

IV. Motifs

A.  Ma compétence sur l'objet du grief

63 Le libellé du grief individuel de M. Demers est le suivant :

[…]

Description du grief:

Abus de pouvoir de l'employeur menant à de la discrimination et au harcèlement, tout cela à cause d'une cravate.

On m'interdit de gagner ma vie, car je n'ai plus accès à l'établissement.

Mesures correctives demandées :

  1. Apporter au code vestimentaire le port de la cravate optionnelle.
  2. Que toute somme d'argent perdue me soit remboursée.
  3. Être présent à tous les paliers au frais de l'employeur.
[…]

64 L'article 209 de la nouvelle Loi précise, entre autres, les conditions du renvoi d'un grief individuel à l'arbitrage :

209. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief individuel portant sur :

  1. soit l'interprétation ou l'application, à son égard, de toute disposition d'une convention collective […];
  2. soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;
    […]

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l'arbitrage un grief individuel du type visé à l'alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d'arbitrage.

[…]

65 Le défendeur plaide que je n'ai pas compétence pour décider de ce grief, puisque le code vestimentaire ne fait pas partie de la convention collective. Toutefois, le paragraphe 4 du code vestimentaire renvoie à plusieurs instruments habilitants, dont le suivant, sur lequel s'appuie le SCC : Directive sur les uniformes du Conseil national mixte (ci-après « la Directive sur les uniformes »).

66 La Directive sur les uniformes, qui fait partie de la convention collective (stipulation 41.03a)), prévoit ce qui suit :

[…]

Généralités

Convention collective

La présente directive est considérée comme faisant partie intégrante des conventions collectives conclues entre les parties représentées au sein du Conseil national mixte (CNM) et les fonctionnaires doivent pouvoir la consulter facilement.

Procédure de règlement des griefs

Dans les cas d'allégations selon lesquelles le contenu de la présente directive a été mal interprété ou mal appliqué, la procédure de règlement des griefs applicable à tous les fonctionnaires syndiqués, en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, sera celle décrite à l'article 7.0 du Règlement du Conseil national mixte. […]

[…]

67 Le défendeur a fait devant moi la preuve, non contredite, que l'uniforme a été développé en collaboration avec l'agent négociateur. Néanmoins, le code vestimentaire de 25 pages diffusé le 1er juin 2005 dépasse largement la description de l'uniforme qui a reçu l'approbation de l'agent négociateur. Ce code vestimentaire constitue en fait un code complet sur l'habillement, comprenant des indications précises sur la distribution, les exceptions, les articles vestimentaires spéciaux et les mesures disciplinaires pour infractions. Par conséquent, en l'absence de preuve à l'effet que l'ensemble du code vestimentaire a reçu la sanction de l'agent négociateur, les conséquences qui découlent de son application aux agents correctionnels doivent être jugées au même titre que toute autre règle imposée unilatéralement par un employeur. Pour cette raison, je conclus que le code vestimentaire ne fait pas partie de la convention collective. Par contre, en raison des dispositions de l'alinéa 209(1)b) de la nouvelle Loi, dans la mesure où le grief porte sur une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire, je peux statuer sur cette question et sur toute autre mesure de redressement conséquente à mes conclusions.

68 Dans son argumentation, le défendeur distingue entre une amende imposée pour ne pas s'être conformé au code vestimentaire, point sur lequel je n'aurais pas compétence, et une mesure disciplinaire sur laquelle j'ai compétence. Je trouve cette distinction sans objet. D'abord, le défendeur ne m'a cité aucune autorité ou disposition législative selon laquelle il est possible de distinguer une amende selon son caractère administratif ou disciplinaire. Une amende est une sanction pécuniaire, quel qu'en soit le motif, et présume un acte fautif. Tout au long de cette affaire, le défendeur a lui-même caractérisé le comportement de M. Demers comme de l'insubordination qui méritait une approche disciplinaire. Ceci est reflété dans les documents suivants : le formulaire de rapport disciplinaire en date du 5 décembre 2005 (pièce P-21); la note de service de M. Sansoucy à M. Demers en date du 9 décembre 2005 (pièce P-22); le formulaire de rapport disciplinaire en date du 8 décembre 2005 (pièce P-23); le registre des infractions du code vestimentaire, couvrant la période du 23 juin 2005 au 23 mars 2006 (pièce P-24); la réponse du SCC à la réclamation pour accident de travail présentée par M. Demers, qui allègue que la maladie professionnelle de M. Demers est attribuable aux mesures disciplinaires qui lui ont été imposées (pièce P-26).

69 Le défendeur argue aussi que je n'ai pas compétence pour renverser l'amende de 75 $ parce que ce redressement n'est pas clairement mentionné dans le grief et parce qu'il ne fait pas l'objet des décisions rendues sur le grief. Le défendeur soutient que tenir compte de l'amende transformerait la nature du grief. Je suis en désaccord. Le redressement demandé par M. Demers est pour le remboursement de « […] toute somme d'argent perdue […] », ce qui est suffisamment général pour comprendre une somme d'argent perdue par voie d'amende. L'idée que le SCC puisse échapper aux conséquences d'un grief en ignorant dans les décisions qu'il a rendues les faits qui y ont mené, est une observation singulière qui se distingue par son originalité, mais qui est sans fondement.

70 J'estime donc que j'ai compétence pour traiter de la sanction pécuniaire de 75 $ et des conséquences de cette sanction.

B.  Le code vestimentaire et l'application de mesures disciplinaires

1.  La jurisprudence arbitrale

71 Il y a une jurisprudence arbitrale abondante qui traite de l'imposition d'exigences vestimentaires au travail. Dans l'analyse ci-après, il est opportun de signaler une approche différente entre les décisions rendues sous l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Loi »), L.R.C. (1985), ch. P-35, et sous la nouvelle Loi sur l'imposition d'exigences vestimentaires pour les employés de la fonction publique, et la jurisprudence du secteur privé qui traite de cette question. En somme, les décisions sous les régimes de l'ancienne Loi et de la nouvelle Loi considèrent le refus de se conformer à des exigences vestimentaires comme une question d'insubordination. Par ailleurs, la réponse de M. Demers à la sanction pécuniaire pour insubordination imposée par le SCC est de soulever la question du caractère raisonnable de l'imposition du code vestimentaire à son égard. Or, la jurisprudence du secteur privé a abondamment traité du caractère raisonnable d'exigences vestimentaires et de l'obligation d'un employé de s'y conformer. Pour cette raison, j'ai choisi d'étudier la jurisprudence arbitrale du secteur privé en plus de celle de la fonction publique citée par le défendeur.

72 Voyons d'abord les décisions d'arbitrage de grief citées par le défendeur à l'appui de ses prétentions.

73 Dans Arnfinson, un inspecteur de douanes avait reçu une suspension d'un jour parce qu'il portait un parka non réglementaire sur lequel les insignes du ministère avaient été fixées. L'inspecteur s'était fait confectionner ce parka de plus grande qualité que celui fourni par l'employeur et tenait à le porter, malgré les avertissements de ses supérieurs et les réponses reçues lors de consultations patronales-syndicales. L'arbitre de grief a jugé que la sanction disciplinaire était raisonnable au motif que l'inspecteur s'était dit prêt à défier l'autorité de l'employeur de lui imposer un costume et qu'il était convaincu que la seule sanction disciplinaire qui pourrait lui être imposée était une lettre de réprimande, soit la moins sévère des sanctions disciplinaires.

74 Dans Massé, un aide-métier à l'une des bases des forces armées canadiennes a écopé d'une demi-journée de suspension pour ne pas avoir porté son chapeau de sécurité sur les lieux de travail, après avoir été averti de le porter et avoir fait l'objet d'une sanction disciplinaire antérieure, soit une réprimande écrite. La raison pour laquelle l'aide-métier a admis avoir enlevé son chapeau sur les lieux de travail était qu'il faisait chaud. L'arbitre de grief a maintenu la sanction disciplinaire.

75 Dans Guimond, un aide-cuisinier au service du ministère de la Défense nationale a écopé de trois jours de suspension pour avoir refusé à deux reprises de porter un chapeau avec sa résille. Dans le premier cas, son excuse était qu'il ne manipulait pas les aliments et dans le deuxième, qu'il n'avait reçu qu'une directive, alors que ça lui prenait « un ordre » parce qu'il travaillait sur une base militaire. L'arbitre de grief a maintenu la sanction disciplinaire parce qu'il a considéré les excuses de l'aide-cuisinier déraisonnables et que celui-ci avait des antécédents disciplinaires.

76 La décision Demers concerne le même fonctionnaire que celui de la présente affaire. Dans cette autre affaire, il avait refusé d'abaisser une mèche de cheveux. La mèche en question empêchait le port du képi réglementaire. Il a reçu deux jours de suspension : un avec solde et l'autre sans solde. Par contre, l'employeur avait longtemps toléré cette coiffure et ne l'avait sanctionnée que le matin même de la première journée de suspension. La suspension fut remplacée par une lettre de réprimande, compte tenu du fait que le fonctionnaire n'avait reçu aucun avertissement pendant toute la période où il avait porté la mèche et que son dossier était vierge.

77 En revanche, la jurisprudence arbitrale dans le secteur privé fait la distinction entre deux types d'exigences quant à la tenue de travail : l'apparence personnelle et la tenue vestimentaire. Le caractère raisonnable des exigences de l'employeur est jugé de manière plus stricte si elles affectent l'apparence personnelle - la barbe, la moustache, les cheveux longs et les bijoux incrustés - car elles ont un effet continu à l'extérieur du travail. Les exigences vestimentaires seront appliquées plus rigoureusement parce que leurs conséquences ne se font sentir qu'au travail, et que l'employé est libre de porter ce qu'il veut avant et après le travail. La jurisprudence a néanmoins modulé ces grandes lignes selon les circonstances de chaque affaire.

78 Lumber & Sawmill Workers' Union, Local 2537 v. KVP Co. Ltd. (1965), 16 L.A.C. 73, résume les critères selon lesquels il est possible de juger des règles imposées unilatéralement par l'employeur. Ces critères ont depuis reçu l'aval des arbitres sur cette question. Comme je l'ai déjà indiqué, je considère que le code vestimentaire au présent dossier est une règle unilatérale du SCC.

79 Selon Lumber & Sawmill Workers' Union, toute règle unilatérale imposée par un employeur : 1) ne doit pas contrevenir à la convention collective; 2) doit être raisonnable; 3) doit être claire et sans équivoque; 4) doit avoir été portée à l'attention de l'employé; 5) doit avoir été signalée à l'employé pour l'informer qu'une infraction à la règle peut faire l'objet d'une sanction disciplinaire; et 6) doit avoir été appliquée uniformément par l'employeur depuis son adoption. L'application de ces critères sera analysée un peu plus loin.

80 La jurisprudence arbitrale qui suit établit certaines distinctions entre les règles ayant trait à l'apparence personnelle et celles ayant trait à la tenue vestimentaire, mais les principes généraux se recoupent à certains égards, malgré certaines nuances selon les situations. Comme cette jurisprudence a subi une évolution en fonction de l'évolution des mours, elle est analysée en ordre chronologique.

81 Dans International Association of Fire Fighters, Local 626 v. Scarborough (Borough) (1972), 24 L.A.C. 78, l'employeur avait ordonné à un pompier de raser ses favoris pour se conformer à une de ses règles ayant trait à l'apparence. L'arbitre a accueilli le grief au motif qu'il n'y avait aucune justification d'affaires pour imposer une telle règle d'apparence, puisqu'un pompier porte un habillement et un masque qui le recouvrent au complet lorsqu'il est appelé à éteindre des feux. Voici les principes généraux qu'il applique aux règles d'apparence ou vestimentaires :

[Traduction]

[…]

À prime abord, j'estime que l'essence de la relation d'emploi, dans sa forme la plus simple, consiste en ce qu'on s'attende à ce que l'employé effectue une journée de travail et à ce que l'employeur lui verse un salaire en conséquence. La nature de l'industrie, le type d'employeur et la convention collective peuvent imposer certaines autres attentes et exigences. Cependant, à première vue, tant et aussi longtemps que l'employé effectue le travail pour lequel il a été embauché, l'employeur n'a aucun droit de lui imposer son point de vue personnel en matière d'apparence ou de vêtements. L'employeur n'a aucun droit absolu de créer son employé à son image.

Il y a des exceptions à cette proposition générale. La première exception se rapporte aux questions relatives à la santé et à la sécurité […]

La deuxième exception a trait aux intérêts commerciaux de l'employeur […] un employé ne devrait pas être assujetti à de telles normes pour des raisons hypothétiques, mais pour des raisons organisationnelles légitimes et impérieuses qui démontrent objectivement que les vêtements ou l'apparence de l'employé ont une incidence sur son rendement au travail et nuisent aux activités commerciales de l'employeur […]

[…]

L'arbitre traite aussi de l'importance du code vestimentaire par rapport à la réputation de l'employeur comme une mesure servant à évaluer son caractère raisonnable :

[Traduction]

[…]

Le concept d'image est intangible et suscite de nombreux débats; il s'agit d'une notion imprécise à laquelle certaines personnes accordent une grande importance tandis que d'autres la considèrent avec un profond cynisme. La question de l'image est un sujet légitime quand il s'agit de commerce et peut servir de fondement aux mesures prises par une entreprise mais, encore une fois, un conseil d'arbitrage ne devrait pas fonder ses décisions sur une simple opinion subjective portant sur ce qu'un employeur croit être sa propre image, parce que la question de l'image n'est plus une question d'opinion individuelle. Les sciences sociales contemporaines ont fait en sorte qu'on peut mesurer l'image en se fondant sur des preuves objectives et, comme je l'ai déjà mentionné, il serait préférable que les parties soumettent de telles preuves pendant les séances d'arbitrage. […]

[…]

82 L'affaire Dominion Stores Ltd. v. United Steelworkers of America (1976), 11 L.A.C. (2d) 401, fait autorité quant au caractère raisonnable d'une règle d'apparence. L'arbitre y énonce les critères jugés utiles afin de déterminer si la règle d'apparence exigée par l'employeur est raisonnable :

[Traduction]

[…]

Premièrement, toute la jurisprudence permet de convenir qu'une entreprise a le droit de fixer des règles concernant les vêtements et l'apparence de son personnel, à condition que celles­ci soient raisonnables. Deuxièmement, les arbitres reconnaissent qu'il y a une certaine part de liberté individuelle dans ce type de question et, étant donné que les règles concernant la coiffure sont telles qu'elles ont aussi une incidence sur les heures où les employés ne travaillent pas, les arbitres prennent soin de pondérer les droits des employés et les intérêts légitimes de l'employeur. Bien que la liberté individuelle d'un employé constitue une préoccupation, elle n'est pas absolue. Troisièmement, les préoccupations légitimes de l'employeur englobent à la fois l'image et une réelle perte de clientèle, et ces deux concepts sont manifestement interdépendants. Dans toutes les affaires, on relève la suggestion qu'un employeur doit démontrer que l'apparence du plaignant constitue une menace pour son image et entraîne des pertes financières ou, à tout le moins, que selon la prépondérance des probabilités, l'apparence de l'employé nuit à l'image de l'employeur et peut entraîner une perte de clientèle […] Quatrièmement, de nombreux arbitres ont fait allusion aux « normes changeantes », à un « changement marqué dans l'attitude du public » ou à l'évolution des styles de coiffure, et j'estime également, en me fondant sur les références citées dans les cas et sur mes propres observations personnelles, qu'il est approprié que je prenne officiellement note que, dans la collectivité, les normes relatives aux vêtements et à la coiffure évoluent et que le grand public est devenu plus tolérant […] Cinquièmement, les arbitres ont fait la distinction entre les industries où les employés travaillent avec le public et celles où ils ne le font pas et, nonobstant les questions relatives à la santé et à la sécurité, on eu tendance a être plus tolérants dans les situations où les employés ne travaillent pas du tout ou très peu avec le public […]

[…]

83 Dans Hamilton Street Railway Co. v. Amalgamated Transit Union, Division 107 (1977), 16 L.A.C. (2d) 402, un employé a fait l'objet de mesures disciplinaires pour avoir omis de porter le chapeau réglementaire avec l'uniforme alors qu'il n'était pas en service, contrairement à la politique de l'employeur. Dans ce cas, l'employeur exerçait un monopole sur le transport en commun dans la ville de Hamilton. L'arbitre fut d'avis que l'absence de chapeau ne ternissait en rien l'image publique de l'employeur, puisqu'il exerçait ce monopole et qu'il ne risquait pas de perdre de clients pour cette raison :

[Traduction]

[…]

[…] Dans le cas qui nous occupe, l'employeur détient un monopole dans le domaine du transport en commun dans la ville de Hamilton et, par conséquent, la relation entre l'image et la perte de clientèle n'est pas déterminante. L'employeur doit plutôt démontrer au conseil que le fait que les employés ne portent pas la casquette prévue lorsqu'ils portent l'uniforme pendant les interruptions de service nuit de façon importante à la perception qu'a le public de l'entreprise Hamilton Street Railway à titre d'organisme apte à fournir un service de transport en commun sûr, courtois et efficient, ou ayant au moins le potentiel de le faire.

 16. Le conseil n'a pas été convaincu que l'image de l'employeur dépend suffisamment du fait que les employés portent la casquette prescrite lorsqu'ils portent l'uniforme pendant les interruptions de service pour justifier l'imposition de mesures disciplinaires pour refus de se conformer au règlement. Le conseil n'a pas reçu les preuves « objectives » du type auquel M. Shime se réfère dans Borough of Scarborough and Int'l. Assoc. of Fire Fighters, Local 626. Toutefois, il importe de noter que la décision de l'entreprise d'assouplir la règle de façon à ce que le port de la casquette ne soit plus requis pendant la conduite du véhicule indique au conseil que le port de la casquette, en tant que tel, n'était pas, en 1977, un symbole crucial de l'image de l'entreprise Hamilton Street Railway. Le port de la casquette peut donc, à une certaine époque, avoir été une importante composante de l'image projetée par l'employeur, mais celui­ci a reconnu le changement de la perception de la collectivité en 1973 […]

[…]

84 Dans Canadian Air Lines Employees' Association v. Eastern Provincial Airways (1963) Ltd., [1979] C.L.A.D. No. 4 (QL), l'arbitre indique que le caractère raisonnable de la tenue vestimentaire ne se mesure pas par l'opinion du gestionnaire, mais tient de l'image de marque de l'employeur ou de sa relation avec la clientèle :

[Traduction]

[…]

41 Les cas qui se rapportent à des règles touchant l'apparence personnelle exposent clairement que le fait que l'apparence d'un employé ne satisfasse pas aux attentes de certains membres de l'équipe de direction n'établit pas que la règle est raisonnable ou qu'elle a été appliquée de façon raisonnable. Il faut répondre à des exigences plus objectives, c'est­à­dire qu'il faut démontrer la probabilité que l'image de l'entreprise a été entachée ou que celle­ci perdra des ventes.

42 Cette décision ne doit pas être interprétée par les employés comme si elle suggérait que l'employeur doit accepter le type d'apparence personnelle ou la présentation des employés, quelle qu'elle soit. L'employeur conserve le droit, en vertu de ses règlements, d'insister pour que certaines normes soient respectées. Cependant, le fait d'insister sur la conformité à ces normes est assujetti aux critères énoncés précédemment et, particulièrement en ce qui concerne la protection de l'image de l'entreprise, il existe une certaine charge de la preuve relative à des dommages réels ou potentiels causés à l'image de l'entreprise ou à ses relations avec la clientèle.

[…]

85 Dans Pacific Western Airlines Ltd. v. Canadian Airline Employee's Association (1981), 29 L.A.C. (2d) 1, deux agents au sol ont fait l'objet de mesures disciplinaires pour avoir porté des souliers bruns au lieu de souliers noirs, en contravention de la directive de l'employeur de porter des souliers noirs. Après avoir analysé la question du caractère raisonnable de la règle d'apparence et de l'équilibre entre les droits des employés et les intérêts de l'employeur, l'arbitre explique comment la règle doit s'adapter au contexte. Fait semblable au présent grief, les employés pouvaient composer et varier leur tenue selon leur choix d'éléments. L'arbitre dit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Lorsque les incidences négatives du règlement de l'entreprise sur la vie personnelle des employés sont aussi limitées que dans ce cas­ci (et le sont probablement dans tout cas relatif aux vêtements), j'estime que l'arbitre devrait se préoccuper de la prépondérance des probabilités, sans se limiter aux pertes financières démontrées, et qu'il devrait veiller à donner une grande importante au jugement de l'employeur en ce qui concerne l'effet de l'apparence de son personnel sur l'image de marque de son entreprise. Bref, étant donné que l'achat de la ceinture et des chaussures noires requises empiéterait, quoique relativement peu, sur la vie de l'employé lorsqu'il ne travaille pas, le règlement de l'employeur en ce qui concerne les vêtements doit être raisonnable, mais en déterminant ce qui est raisonnable il faut porter une grande attention au jugement de l'entreprise en ce qui a trait à l'importance de son image de marque pour ses activités.

[…]

Toutefois, même dans ce contexte, la proposition de base voulant qu'un règlement qui comprend des situations dans lesquelles son application est inutile n'est pas raisonnable, à ces égards […], s'applique tout de même. Dans le cas qui nous occupe, les témoins de l'entreprise eux­mêmes ont admis que, compte tenu de cette définition, la « règle de la ceinture et des chaussures noires » n'était pas « raisonnable, » dans la mesure où elle empêchait les employés de porter des chaussures bourgognes ou grises, qui convenaient parfaitement, ou des chaussures noires munies d'une semelle d'un peu plus d'un centimètre d'épaisseur. L'entreprise ne cherche pas à projeter une image d'uniformité. Le simple fait que l'uniforme fourni se compose de nombreux éléments que les employés peuvent agencer à leur guise suggère qu'une tenue vestimentaire bien coordonnée qui respecte les limites d'une gamme de couleurs et d'un conservatisme relatif est l'objectif à atteindre. Dans la mesure où le règlement de l'entreprise outrepasse cet objectif et impose des contraintes aux employés sans raison suffisante, il n'est pas, de fait, raisonnable.

On peut appuyer la conclusion voulant que l'objectif de l'entreprise est de projeter une image d'un bon goût et d'un conservatisme relatif plutôt que d'atteindre une uniformité réelle, en ce qui concerne les vêtements de ses employés, en se fondant sur le fait que les nouveaux employés, les employés provenant d'une autre unité et les employés occasionnels portent d'autres vêtements que les éléments gris et bourgogne qui composent l'uniforme même s'ils occupent des postes pour lesquels l'uniforme est requis.

[…]

86 L'affaire Canada Safeway Ltd. v. Retail Clerks Union, Local 206 (1982), 7 L.A.C. (3d) 140, traite de l'autorité de l'employeur ouvrant dans le secteur de l'alimentation d'ordonner à un employé de raser sa barbe en raison de son code d'apparence personnelle. Au soutien de sa position, l'employeur avait présenté au conseil d'arbitrage les résultats d'un sondage effectué auprès de la clientèle dans deux régions afin de déterminer l'effet du port de la barbe par ses employés, eu égard à son positionnement dans un marché hautement concurrentiel. La majorité du conseil d'arbitrage fut d'avis que l'employeur avait raisonnablement justifié sa décision d'interdire le port de la barbe :

[Traduction]

[…]

Pour les raisons présentées par l'entreprise en ce qui a trait à son règlement, et compte tenu de l'appui substantiel qu'apporte l'enquête Reid réalisée à Winnipeg et à Sault Ste. Marie, nous devons conclure que les préférences des employés doivent être assujetties aux préoccupations de l'employeur, qui prévalent, et qui, de notre point de vue, sont en réalité fondées sur son évaluation de sa position en matière de marketing et de ventes dans le domaine, et constituent des préoccupations légitimes et justifiées. Il ne s'agit pas de savoir si la barbe d'un employé est propre et bien taillée, mais de déterminer si tous les types de barbes sont acceptables aux yeux de l'entreprise, et de définir si la règle qui interdit de porter la barbe est raisonnable. De notre point de vue, l'entreprise a démontré, à l'aide des preuves déposées par M. Parkyn et le Dr Reid, que son règlement est raisonnable, qu'il se fonde sur des considérations organisationnelles appropriées et qu'il peut donc être maintenu.

[…]

87 Dans Wardair Canada Inc. v. Canadian Air Line Flight Attendants' Association (1987), 28 L.A.C. (3d) 142, l'employeur avait exigé qu'un agent de bord de sexe masculin enlève sa boucle d'oreille au travail. Aucun règlement administratif ne traitait de cette interdiction. L'arbitre fut d'avis qu'il n'y avait aucune preuve objective indiquant que le port de la boucle d'oreille aurait une incidence négative sur la rentabilité des activités de l'employeur :

[Traduction]

[…]

Cependant, même si l'employeur s'est efforcé de limiter le plus possible les contraintes que son règlement impose aux agents de bord en ce qui a trait au port de bijoux, ce règlement ne peut pas, de mon point de vue, être considéré comme raisonnable et justifiable, au bout du compte. Même si l'atteinte à la liberté de M. Elder peut être plus faible que celle associée aux règles parallèles relatives aux cheveux ou aux barbes, l'employeur a été incapable de démontrer que la règle favorisait quelque intérêt de son entreprise. Comme je l'ai déjà mentionné, rien ne suggère que des questions relatives à la santé et à la sécurité justifient le traitement discriminatoire réservé aux agents de bord. Le fait que des employées aient été autorisées à porter des bijoux de ce genre constituerait une preuve inattaquable du contraire. De plus, l'employeur n'a déposé aucune preuve suggérant que sa situation financière ou sa capacité de faire des profits seraient menacées si les agents de bord étaient autorisés à porter le même genre de bijoux que leurs collègues féminines. Même si, comme d'autres arbitres l'ont affirmé, il n'est pas nécessaire qu'un employeur attende de recevoir une plainte précise ou une perte financière qui peut être prouvée, il faut, avant d'établir qu'une règle n'est pas raisonnable, disposer de critères objectifs pour appuyer l'affirmation d'un employeur qui prétend que des conséquences négatives de ce genre se produiront probablement. J'estime que le jugement de la Cour suprême du Canada dans Ontario Human Rights Com'n et al. v. Borough of Etobicoke (1982), 132 D.L.R. (3d) 14, [1982] 1 S.C.R. 202, 82 C.L.L.C. (paragr.) 17,005, est pertinent et ferait en sorte que l'employeur doive soumettre plus que de simples preuves fondées sur une impression pour démontrer que les intérêts légitimes de son entreprise seront compromis de la façon appréhendée.

L'absence de toute preuve de ce genre, dans le cas qui nous occupe, signifie qu'il n'y a aucun fondement légitime pouvant servir à justifier la règle adoptée par l'employeur. Le fait de ne soumettre aucune preuve objective que le fait d'autoriser les agents de bord à porter des bijoux nuira à l'image de marque de l'entreprise et, ultimement, à sa situation financière, ne laisse que l'image de M. Elder à prendre en considération. Étant donné que l'employeur n'a rien fait pour montrer que l'image de marque de l'entreprise et sa situation financière se détérioreront si les agents de bord portent des bijoux, la limite imposée à la liberté des agents de bord et de M. Elder de s'exprimer d'une façon qui, pour eux, est importante et personnelle est inutile et, en ce sens, constitue une contrainte déraisonnable.

[…]

88 Dans Toronto (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 43 (1989), 9 L.A.C. (4th) 330, l'arbitre fut d'avis qu'une sanction disciplinaire imposée en raison du port d'une casquette avec le logo d'un service d'entretien d'arbres était excessive. L'employeur, qui assurait l'entretien des parcs municipaux, n'avait pas réussi à justifier par une prépondérance de preuve que sa politique d'interdire sélectivement le port de certains types de vêtements était une mesure qui protégeait réellement ses intérêts.

89 Dans The Empress Hotel v. Canadian Brotherhood of Railway, Transport and General Workers, Local 100, [1992] B.C.C.A.A.A. No. 298 (QL), un employé de restaurant a fait l'objet de mesures disciplinaires parce qu'il portait ses cheveux en queue de cheval, contrairement à une politique non écrite de l'employeur concernant la longueur des cheveux des employés ayant un contact avec le public. L'employeur était d'avis que les queues de cheval avaient un effet négatif sur sa clientèle, même si dans ce cas-ci il s'agissait d'un employé modèle. L'arbitre fut d'avis que la politique était déraisonnable parce qu'elle n'était associée à aucune préoccupation d'affaires ou de santé et sécurité au travail :

[Traduction]

[…]

32  En me fondant d'abord sur le deuxième critère, selon lequel la règle ne doit pas être déraisonnable, je conclus que la règle en question l'est. Ce faisant, j'adopte l'affirmation de l'arbitre Deverell énoncée il y a environ 17 ans en ce qui concerne les agents de bord d'Air Canada :

« Il suffit de dire que je conclus que le règlement d'Air Canada relatif à la coiffure n'est pas raisonnable, compte tenu des tendances actuelles en ce qui a trait à la longueur des cheveux et au style de coiffure. J'estime qu'il n'est pas raisonnable que l'employeur dicte la longueur des cheveux et le style de coiffure - dans la mesure où les cheveux sont propres et ont une apparence attrayante […] » (Air Canada, 9 L.A.C. (2d) 254.)

[…]

33  Bien qu'il soit vrai qu'il peut y avoir des situations où les intérêts de l'entreprise justifient l'établissement d'une politique qui comprend nécessairement une importante atteinte à la vie privée des employés (p. ex. lorsque ceux­ci doivent modifier leur apparence en tous temps et non seulement pendant les heures de travail), le fardeau de la preuve est plus important pour l'employeur, qui doit prouver l'existence d'un lien avec l'emploi, lorsqu'il est question d'apparence plutôt que de santé et de sécurité […]

[…]

90 Dans International Simultaneous Translation Services Inc. v. National Association of Broadcast Employees & Technicians(1993), 33 L.A.C. (4th) 179, un employé de soutien technique fut congédié pour avoir continué à porter une boucle d'oreille, malgré plusieurs avertissements et une note de service aux employés interdisant le port de la boucle d'oreille pour les employés de sexe masculin. L'arbitre jugea que la politique de l'employeur était déraisonnable car elle n'était fondée sur aucun motif d'affaires :

[Traduction]

[…]

Rien ne suggère que la boucle d'oreille du plaignant nuisait à son travail. La question ne porte pas sur la santé et la sécurité des employés; elle porte sur la préservation et la protection de l'image de marque de l'entreprise, qui, bien qu'il s'agisse d'un concept imprécis, constitue néanmoins un actif réel et précieux qui mérite d'être protégé.

Le concept a été reconnu dans United Parcel service and Teamsters, Loc. 396 (1968), 52 L.A. 1068 (Kotin) :

Les entreprises qui fournissent un service au public ont toujours le droit de protéger leur image de marque. Tout dépendant de la mesure dans laquelle cette image de marque se fonde sur l'apparence des employés qui travaillent avec le public, l'entreprise a le droit de fixer les règles et les normes applicables à l'apparence personnelle.

L'arbitre Brandt, dans Allied & Technical Workers, Dist. 50 and Dominion Stores Ltd. (1972), 23 L.A.C. 257, mentionne la nécessité de pondérer l'intérêt de l'employeur pour le maintien d'une image de marque particulière et l'intérêt légitime des employés. À la page 261, il affirme ce qui suit : [traduction] « [page 189] Bien qu'on puisse reconnaître que l'entreprise a des intérêts manifestes pour la création et le maintien d'une image de marque particulière, on doit aussi reconnaître qu'il existe certains droits corrélatifs dont jouissent les employés. Une discussion utile sur la pondération de ces intérêts conflictuels se trouve dans Economy Super Mart and Amalgamated Meat Cutters and Butcher Workmen, Local 612 (1970), 54 L.A. 816 (Elson), où l'on dit ce qui suit (p. 819) :

« Le noud de l'affaire se rapporte aux droits individuels. Habituellement, dans une société telle que la nôtre, qui n'est pas strictement contrôlée, la façon de se coiffer et de s'habiller est une question qui est largement laissée à la discrétion de chacun. […] Les droits de ce genre peuvent cependant être qualifiés par la nature de l'emploi occupé. »

[…]

Dans I.A.F.F., Loc. 626 and Borough of Scarborough (1972), 24 L.A.C. 78 (Shime), le conseil a affirmé qu'un employeur peut, pour préserver les intérêts légitimes de son entreprise, imposer des normes relatives aux vêtements et à l'apparence, tout en énonçant certaines exceptions (p. 84) :

[…] un employé ne devrait pas être assujetti à l'imposition de telles normes pour des raisons hypothétiques, mais plutôt pour des raisons légitimes et convaincantes de nature commerciale qui démontrent objectivement que les vêtements ou l'apparence d'un employé ont une incidence sur son rendement ou nuisent aux activités commerciales de l'employeur.

[…]

91 Néanmoins, dans Canadian Freightways Ltd. v. Office & Technical Employees' Union (1995), 49 L.A.C. (4th) 328, l'arbitre conclut que la politique de l'employeur d'interdire le port de shorts par les hommes, même si les femmes pouvait porter des shorts, n'était pas une politique déraisonnable. Une prépondérance de preuve démontrait que l'habillement de ses employés avait un effet sur la clientèle. L'arbitre souligne le principe établi par la jurisprudence arbitrale voulant que, même si le grief est déposé par l'agent négociateur ou l'employé s'estimant lésé, c'est l'employeur qui a le fardeau de prouver que la règle d'apparence ou le code vestimentaire est raisonnable. Pour ce faire, il doit présenter une preuve autre que simplement sa propre opinion :

[Traduction]

[…]

Dans le cas d'un commerce où un code vestimentaire est adopté pour réglementer l'apparence des employés en vue de favoriser l'image de marque de l'entreprise, l'approche requiert que l'employeur fournisse plus qu'une justification verbale de son règlement afin de prouver que celui­ci est raisonnable. Dans de telles circonstances, le fait de se satisfaire d'une justification verbale minerait le principe établi dans l'affaire KVP Co., c'est­à­dire que le pouvoir de réglementation de l'employeur doit être exercé dans les limites de ce qui est raisonnable. Certes, la notion de ce qui est « raisonnable » doit reposer sur des normes objectives pour être significatif, et ces normes objectives doivent être soumises, en plus de la justification de l'employeur, quelle qu'en soit l'importance.

[…]

92 Par contre, dans Sudbury Public Library Board v. Canadian Union of Public Employees, Local 207 (1996), 55 L.A.C. (4th) 219, l'arbitre fut d'avis que le port de shorts par les employés de la bibliothèque municipale ne mettait pas en péril la réputation de l'employeur. L'employeur avait adopté une politique déclarant les shorts inacceptables comme tenue de travail sans donner de justification pour cette décision.

93 Dans Canada Safeway Ltd. v. United Food and Commercial Workers Union, Local 832 (1997), 63 L.A.C. (4th) 256, l'employeur avait refusé l'accès au lieu de travail à une employée parce qu'elle portait un bijou incrusté (bouton de narine). L'employeur soutenait que le marché extrêmement concurrentiel du secteur alimentaire faisait en sorte qu'une apparence conservatrice de la part de ses employés était très importante à l'égard de la rentabilité de l'entreprise. En plus de réitérer les principes jurisprudentiels quant à la règle d'apparence raisonnable, l'arbitre fait état de l'évolution de notre société vers une plus grande tolérance en matière d'apparence individuelle :

[Traduction]

[…]

[…] On peut puiser plusieurs critères généralement reconnus pour juger de la pertinence de telles normes dans les cas auxquels les deux parties se réfèrent. Les règles doivent 1) se rapporter à un objectif commercial légitime, 2) se rapporter, de façon raisonnable, à des normes collectives contemporaines, 3) ne pas empiéter, de façon indue ou inutile, sur les droits individuels des employés, 4) être appliquées uniformément.

Un autre des facteurs qui se dégagent des décisions susmentionnées est que les normes que les employeurs ont cherché à appliquer au fil des ans et les normes que les arbitres ont jugé raisonnables ou déraisonnables ont changé au fur et à mesure que les normes sociales ont changé. Par exemple, les cas traités à la fin des années 1960 et au début des années 1970 portaient sur des règlements interdisant une apparence semblable à celle des Beatles et les coupes de cheveux, moustaches et barbes qui devenaient populaires à cette époque. Ce n'est que récemment que les cas ont commencé à porter sur des questions telles que celle qui nous occupe, étant donné que les hommes ont commencé à porter des boucles d'oreilles et que les femmes et les hommes ont commencé à porter d'autres bijoux tels que des boutons (ou boucles) aux narines, aux sourcils ou à la langue.

Dans le cas qui nous occupe comme dans les autres cas mentionnés, chaque partie affirme que son opinion relative à ce qui constitue une apparence appropriée se fonde sur des preuves objectives et que l'opinion de la partie adverse est subjective. En fait, les normes et les opinions qui se rapportent à l'apparence personnelle sont nécessairement subjectives, dans une large mesure. Le règlement de l'employeur reprend l'opinion de celui­ci en ce qui concerne ce qui est approprié sur les lieux de travail. Le fait que les employés et les syndicats remettent ce règlement en question exprime leur point de vue sur ce qu'ils considèrent approprié. Comme dans le cas de la plupart des questions qui se rapportent à la mode, il n'existe aucune ligne directrice claire et aucun règlement strict. La reconnaissance de la subjectivité inhérente à de telles opinions ne confère pas aux employeurs le pouvoir discrétionnaire absolu leur permettant de dicter l'apparence des employés, et ne permet pas aux employés de s'habiller comme ils le souhaitent pour aller travailler. Les intérêts de l'employeur et des employés doivent être conciliés pour que les deux parties soient traitées équitablement. Les normes établies ont été élaborées au fil des ans en vue d'atteindre un tel résultat.

[…]

94 Dans l'affaire Canada Safeway Ltd. v. United Food and Commercial Works, Local 401, [1998] A.G.A.A No. 94 (QL), qui traite de l'apparence personnelle (barbe), le critère du caractère raisonnable et du fardeau de la preuve qui incombe à l'employeur fut mis de l'avant comme suit :

[Traduction]

[…]

33  En premier lieu, ce qui concerne le fardeau de la preuve, le conseil se dit satisfait qu'il soit clairement établi, dans les cas relatifs aux codes vestimentaires et à l'apparence personnelle, qu'il incombe à l'employeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que sa politique est raisonnable. Canada Safeway Limited v. United Food and Commercial Workers Union Local 832 (1997), (Tesdey); Canadian Freightways Limited v. Office and Technical Employees Union (1995), 49 L.A.C. 328 (4th) (Korbin). Compte tenu des nombreuses modifications qui ont été apportées, au fil des ans, à l'actuelle politique relative à la barbe, et compte tenu du fait que la politique sur l'apparence personnelle a reçu, selon Safeway, « [traduction] l'approbation de la majorité des membres du public plutôt que celle de l'employeur », le bon sens dicte que Canada Safeway doit justifier son argument relatif au caractère raisonnable de son règlement. Cette affirmation est appuyée par le fait que le présent grief n'a pas été déposé à la suite de plaintes des clients, mais à la suite d'une intervention de la direction. Autrement dit, les allégations de Safeway relatives à une appréhension raisonnable d'une perte de clientèle sont­elles fondées sur des preuves? De plus, étant donné le fait que les deux parties ont reconnu que, dans une certaine mesure, il s'agit d'un grief relatif à une politique, si l'employeur s'acquitte du fardeau de la preuve prima facie, il serait équitable que la partie syndicale démontre que, selon la prépondérance des probabilités, une politique différente ne fera pas diminuer la part du marché de l'employeur. De cette façon, on peut atteindre un équilibre entre les droits de la direction et ceux des employés.

[…]

95 Dans une affaire récente, Calgary Co-operative Ltd. v. Union of Calgary Co-op Employees, [2006] A.G.A.A. No. 1 (QL), il était question de la politique de l'employeur selon laquelle les employés étaient tenus de rentrer le pan de leur chemise à la ceinture. Selon le syndicat, cette politique était discriminatoire parce qu'elle ne convenait pas au gabarit de tous les employés. La position de l'employeur était que le pan de chemise rentré contribuait positivement à son image de marque. À la lumière de la jurisprudence citée précédemment, l'arbitre traite de l'évaluation d'une politique raisonnable et du besoin pour l'employeur de justifier sa position :

[Traduction]

[…]

50  Dans le cas qui nous occupe, j'adopte la « méthode de la pondération des intérêts » appliquée dans l'affaire Canadian Freightways. Lorsqu'on se fonde sur le critère de la pondération des intérêts, les incidences d'un règlement sur les employés et la preuve objective de sa nécessité, telle que fournie par l'entreprise, doivent être examinées. Plus les incidences du règlement sur les employés sont importantes, plus la justification nécessaire devra être pertinente. En termes concrets, dans les cas où un code vestimentaire n'a aucune incidence sur les vêtements ou l'apparence des employés lorsqu'ils ne sont pas en train de travailler, l'employeur n'a pas à établir que la règle doit être appliquée en vue d'éviter une perte financière ou une perte de clientèle, mais il doit démontrer que son règlement est logiquement lié au mode de fonctionnement global de l'entreprise. Cela requiert tout de même certaines preuves objectives, qui sont obtenues à l'aide d'un sondage ou du témoignage de la direction, et qui peuvent démontrer un lien évident entre la règle contestée et les besoins organisationnels de l'entreprise.

[…]

L'arbitre conclut que la règle vestimentaire n'était pas justifiée car l'employeur avait été incapable de démontrer un rapport entre sa règle vestimentaire et sa stratégie d'affaires. De plus, la règle vestimentaire causait une détresse psychologique à certains employés :

[Traduction]

[…]

61  En résumé, en pondérant les droits des employés et les intérêts commerciaux légitimes de l'entreprise, je conclus que les preuves établissent que certains employés se sentent humiliés et subissent un stress émotionnel si, lorsqu'ils portent l'uniforme, ils doivent insérer les pans de la chemise dans le pantalon. Bien qu'il n'ait pas été prouvé que l'exigence relative aux pans de chemise a une incidence importante en dehors des heures de travail, l'employeur n'a pas établi, à l'aide de preuves objectives, une justification de nature commerciale pour son règlement. L'enquête qu'il a menée ne convenait tout simplement pas à l'objectif visé, et la direction n'a pas pu démontrer l'existence d'un lien positif entre son règlement et sa stratégie commerciale.

[…]

96 En plus des affaires citées ci-dessus, j'ai aussi étudié une décision récente de la Commission concernant le port d'articles d'expression syndicale non conformes aux exigences vestimentaires (épinglettes, casquettes, chemises, etc.), dans Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale et section locale 147 de l'Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux c. Service correctionnel Canada, Conseil du Trésor et Don Graham, 2005 CRTFP 50. Toutefois, cette décision n'est pas pertinente à la présente affaire parce qu'elle traite de l'activité syndicale protégée par la nouvelle Loi plutôt que du port, en tant que tel, de l'uniforme. Je n'y reviendrai donc pas.

97 Ainsi, la jurisprudence de la fonction publique citée précédemment dans les affaires Arnfinson, Massé et Guimond, traite du caractère raisonnable de la mesure disciplinaire plutôt que du caractère raisonnable de la règle elle-même, la question soulevée par le grief à l'étude. Dans Arnfinson, bien que l'employé ait défié l'autorité de l'employeur un peu comme dans la présente affaire, il n'y a eu aucune conséquence grave pour l'employé, sauf peut-être à l'égard de son amour propre. Dans Massé, il s'agissait d'une question de sécurité sur les lieux de travail, une question qui fait l'unanimité des arbitres de grief lorsqu'un employé refuse de se conformer à la politique vestimentaire. Dans Guimond, les motifs peu probants du fonctionnaire pour refuser de se conformer à la politique vestimentaire furent rejetés du revers de la main. J'estime que l'affaire Demers n'est pas pertinente au présent grief, si ce n'est qu'il s'agit du même fonctionnaire. Le fait que ces décisions d'arbitrage de grief se situent à une certaine époque (1982 à 1990) limite aussi leur pertinence.

2.  La justification d'exigences vestimentaires dans la fonction publique

98 Avant de considérer les principes établis par la jurisprudence du secteur privé, je me suis penchée sur la question à savoir si les exigences vestimentaires dans la fonction publique doivent être appliquées plus strictement que dans le secteur privé, eu égard au contexte de travail différent.

99 Le code vestimentaire sous étude énonce que les objectifs du SCC sont entre autres, de maintenir une image professionnelle et de distinguer les agents correctionnels des détenus et des autres membres du personnel :

[…]

OBJECTIFS

  1. Déterminer les vêtements à distribuer aux employés du Service correctionnel du Canada (SCC), notamment l'uniforme de travail et l'uniforme de cérémonie, les vêtements de travail spéciaux et les articles vestimentaires de protection.
  2. Faire en sorte que les employés du SCC qui portent l'uniforme le fassent d'une manière qui influe positivement sur eux-mêmes et sur le Service. La conduite et l'apparence des employés en uniforme seront le reflet du professionnalisme de l'ensemble du personnel et de l'efficacité du Service à s'acquitter de son mandat.
  3. Permettre une identification rapide du personnel du SCC par les détenus, d'autres membres du personnel et le grand public.
[…]

100 Ces objectifs du code vestimentaire soulèvent, à mon avis, les mêmes préoccupations que ceux des employeurs du secteur privé que nous avons vu dans la jurisprudence et qui imposent des exigences vestimentaires, soit la promotion de l'image de marque de l'entreprise en raison du service à rendre et l'identification de ses employés. Le fait que le SCC soit un secteur de la fonction publique plutôt qu'un employeur du secteur privé n'a aucune incidence sur ces préoccupations. Je partage les motifs exprimés dans Hamilton Street Railway Co. à l'effet que le caractère raisonnable d'une exigence vestimentaire n'est pas exclu du seul fait que l'employeur rend un service exclusif ou a le monopole de ce service ou relève du secteur public.

101 La Directive sur les uniformes respecte aussi la portée des grands principes établis par la jurisprudence du secteur privé lorsqu'elle énonce ce qui suit :

[…]

Objet et portée

La politique du gouvernement consiste à fournir des articles d'habillement appropriés aux fonctionnaires lorsque la nature de leurs fonctions exige une protection spéciale ou lorsqu'une identification particulière au niveau local, national ou international est propice à un exercice de leurs fonctions et permet d'atteindre les objectifs des programmes.

[…]

La présente directive a pour objet d'aider les ministères à s'assurer que leurs pratiques permettent de protéger et d'identifier convenablement les fonctionnaires, qu'elles sont économiques et équitables, qu'elles correspondent d'assez près à celles de l'ensemble de la fonction publique et se comparent à celles mises en ouvre pour des emplois semblables en dehors de la fonction publique.

[…]

[Je souligne]

Ainsi, l'uniforme, tel qu'il doit se porter généralement dans la fonction publique, comporte trois objectifs : un objectif d'identification du poste du fonctionnaire, un objectif d'être approprié quant aux fonctions du programme, et un objectif de comparabilité avec des emplois semblables, que ce soit dans la fonction publique ou à l'extérieur.

3. La justification de la mesure disciplinaire

102 En regard des critères généraux énoncés dans Lumber & Sawmill Workers' Union à l'égard d'une règle imposée unilatéralement par l'employeur, je conclus que, dans le grief à l'étude, a) selon le premier critère, le SCC et l'agent négociateur se sont entendus sur l'uniforme et l'obligation de le porter; b) selon le troisième critère, la description de l'uniforme est claire et sans équivoque; c) selon le quatrième critère, l'uniforme et le code vestimentaire ont été portés à l'attention de M. Demers; d) selon le cinquième critère, il a été signalé à M. Demers que toute infraction au code vestimentaire était susceptible de faire l'objet d'une sanction disciplinaire. Par conséquent, le grief met en cause l'application des deuxième et sixième critères : l'aspect raisonnable du code vestimentaire et son uniformité d'application. Puisque ces critères sont reliés l'un à l'autre, il convient de les traiter ensemble dans l'analyse qui suit.

103 Les faits pertinents à ces deux aspects sont les suivants. Contrairement aux changements d'uniforme antérieurs, le nouvel uniforme adopté en 2005 n'est pas entré en vigueur à compter d'une date butoir, mais a été introduit graduellement, au fur et à mesure que les articles vestimentaires qui le composent sont devenus disponibles. Le SCC a permis que les articles de l'ancien uniforme, devenus « non réglementaires » et des articles personnels, soit manteaux, chandails et chemises, soient portés avec le nouvel uniforme, en attendant la confection de nouveaux articles.

104 Une fois sommé de porter son uniforme le 28 octobre 2005, M. Demers s'est conformé aux exigences, si ce n'est qu'il y a ajouté la cravate de son ancien uniforme.

105 Au moment où M. Demers a reçu un avertissement et ensuite une amende, le SCC permettait encore le port des articles vestimentaires non réglementaires suivants : des chandails à col montant au lieu du t-shirt, des tuques au lieu du képi, et des foulards, tel qu'en fait foi la note de service du 22 décembre 2005 qui régularise le port de ces nouveaux articles vestimentaires, en précisant toutefois qu'ils sont aux frais des agents correctionnels qui les portent. En conséquence, l'amende imposée à M. Demers l'a été pendant une période où le port de l'uniforme n'était pas appliqué de façon uniforme pour tous les agents correctionnels.

106 Rappelons que la consigne que le SCC a appliquée rigoureusement à M. Demers est la même qui devait s'appliquer aux autres agents correctionnels qui portaient des articles vestimentaires non réglementaires, laquelle consigne figure à l'article 18 du code vestimentaire :

18. Sauf, si autrement autorisé dans le présent document,

  1. seuls les articles composant l'uniforme réglementaire seront permis, sans substitution;
  2. aucun article vestimentaire inapproprié ne sera porté avec l'uniforme du SCC (p. ex., un foulard, des bas blancs ou un t-shirt autre que le t-shirt noir du Service);
    […]

[Je souligne]

107 Qui plus est, le code vestimentaire prévoit, aux articles 16 et 17, que plus d'une combinaison d'articles vestimentaires composant les uniformes de travail et de cérémonie sont possibles :

16. La tenue réglementaire prévoit plusieurs combinaisons d'articles vestimentaires et d'accessoires devant être portés en fonction de l'occasion et de la saison.

17. Les uniformes de travail et de cérémonie du SCC identifient immédiatement et distinctement ceux qui les portent. Seul le personnel autorisé, y compris les recrues, peut porter ces uniformes.

108 L'article 16 du code vestimentaire rappelle la décision Pacific Western Airlines Ltd., selon laquelle la « tenue réglementaire » prévoyait plusieurs combinaisons d'articles vestimentaires. J'adopte les motifs énoncés dans cette autre décision à l'effet qu'en choisissant des composantes pouvant variér selon le goût de l'employé (chemises, chaussures, ceintures, chandail, blouson et chapeaux), le SCC recherche avant tout une image d'uniformité et d'un aspect conservateur qui reflète le professionnalisme de ses employés, tel qu'en fait foi l'objectif suivant du code vestimentaire qui stipule :

[…]

2. Faire en sorte que les employés du SCC qui portent l'uniforme le fassent d'une manière qui influe positivement sur eux-mêmes et sur le Service. La conduite et l'apparence des employés en uniforme seront le reflet du professionnalisme de l'ensemble du personnel et de l'efficacité du Service à s'acquitter de son mandat.

[…]

109 Ceci nous amène à la question du caractère raisonnable de l'application du code vestimentaire. Comme nous l'avons vu, les décisions précitées du secteur privé font l'unanimité quant aux principes suivants :

  1. l'employeur peut imposer des règles d'apparence personnelle ou un code vestimentaire à ses employés pourvu que les exigences soient raisonnables (voir plus particulièrement Dominion Stores Ltd. et International Simultaneous Translation Services Inc.);
  2. l'employé a droit à son individualité et l'employeur n'a pas le droit absolu d'imposer son image de marque à ses employés, sauf s'il sagit de questions de santé et de sécurité, ou de protection des intérêts légitimes de l'employeur (voir International Association of Fire Fighters,Dominion Stores Ltd. et The Empress Hotel);
  3. les intérêts légitimes de l'employeur comprennent à la fois son image et le maintien de ses activités (voir International Association of Fire Fighters, Hamilton Street Railway Co., Pacific Western Airlines Ltd., Wardair Canada Inc. et Toronto (City);
  4. l'image de l'employeur ne se mesure pas par son opinion, mais par des considérations indépendantes (voir Sudbury Public Library Board, Wardair Canada Inc. et Canadian Air Lines Employees' Association);
  5. la règle vestimentaire doit avoir un lien apparent avec le fonctionnement de l'entreprise et les tâches de l'employé (voir Calgary Co-operative Ltd. et The Empress Hotel)
  6. dans la mesure où les règles d'apparence ou de tenue vestimentaire sont contestées, l'employeur a le fardeau d'établir par une prépondérance de preuve objective, que le caractère nuisible créé par l'apparence de l'employé l'emporte sur le respect de ses droits (voir Hamilton Street Railway Co., Canadian Air Lines Employees' Association, Wardair Canada Inc., Canada Safeway Ltd. (1998) et Canadian Freightways Ltd.);
  7. cette preuve peut prendre la forme de plaintes reçues des clients ou des sondages d'opinion - les conjectures ou les impressions subjectives sont nettement insuffisantes (voir Canada Safeway Ltd. (1982), Canadian Freightways Ltd., Sudbury Public Library Board, Wardair Canada Inc. et Canadian Air Lines Employees' Association);
  8. dans l'évaluation du caractère raisonnable de la règle vestimentaire ou d'apparence, l'arbitre doit établir un équilibre entre l'intérêt de l'employeur d'imposer une telle règle et le droit des employés au respect de leur individualité (voir International Association of Fire Fighters, Dominion Stores Ltd., International Simultaneous Translation Services Inc., Canada Safeway Ltd. (1997), Calgary Co-operative Ltd.).

110 Bien qu'un employé doive suivre les consignes de son employeur concernant les règles d'apparence, l'employeur à son tour, a le devoir de s'enquérir des préoccupations de ses employés. Dans Calgary Co-operative Ltd., l'arbitre s'est penché sur la question de l'humiliation et de la détresse psychologique causée par une règle vestimentaire, et a appliqué le principe de la prépondérance des droits (balance of interest). Ainsi il a évalué l'incidence de la règle vestimentaire sur les employés en regard d'une preuve objective de l'employeur quant à la nécessité de sa règle vestimentaire. Rappelons que, dans cette autre affaire, les employés d'un certain gabarit s'étaient sentis humiliés par la règle de l'employeur voulant qu'ils rentrent le pan de leur chemise polo à la ceinture. L'arbitre fit valoir que plus la règle avait un effet sur les employés, plus l'employeur devait la justifier. De même, un autre arbitre a conclu dans Canada Safeway Ltd. (1997), qu'une règle d'apparence raisonnable devait tenir compte de l'évolution de notre société vers une plus grande tolérance pour l'apparence personnelle (voir aussi Dominion Stores Ltd.).

111 Traitons maintenant de la règle vestimentaire telle qu'elle a été appliquée à M. Demers. Comme nous l'avons vu précédemment, en général, une règle vestimentaire qui n'a aucune incidence sur l'individualité de l'employé quant à la possibilité de se vêtir comme bon lui semble à l'extérieur de son travail peut être appliquée de manière plus stricte qu'une règle d'apparence personnelle. Bien que l'interdiction de porter une cravate n'a d'effet que pendant la période de travail, je suis d'avis que le SCC devait tenir compte que la détresse psychologique infligée à M. Demers débordait la période de travail puisque le SCC a eu connaissance de ces préoccupations avant et au moment de l'imposition de l'amende de 75 $. J'ai été convaincue par le témoignage de M. Demers et les rapports psychiatriques demandés par le SCC que la règle vestimentaire interdisant la cravate a été, dans les circonstances de la présente affaire, poussée à l'extrême. Le témoignage de M. Demers m'a aussi persuadée que le fait d'avoir été averti et d'avoir eu à se défendre publiquement des raisons pour lesquelles il ne pouvait travailler sans cravate l'a profondément humilié à l'égard de ses collègues de travail et de ses supérieurs. Le psychiatre qui a examiné M. Demers a constaté à la page 5 de son rapport du 13 février 2005 qu'il avait souffert d'un traumatisme psychique résultant de l'intransigeance du SCC qui ne voulait pas considérer une exception à la règle vestimentaire. Je suis aussi d'avis que le SCC n'a cherché à faire aucun effort pour tenir compte des circonstances de M. Demers ou pour considérer quelque alternative à une amende. Le SCC a laissé se détériorer les choses et s'est ensuite retourné vers des évaluations psychiatriques pour protéger sa position.

112 La décision du SCC d'imposer strictement l'uniforme n'était fondée sur aucun des critères objectifs décrits dans la jurisprudence et n'était pas conforme à l'objet et à la portée de la Directive sur les uniformes. La décision d'interdire la cravate dans le cas de M. Demers ne s'appuie sur aucun des critères objectifs reliés à son identification par rapport à ses tâches, aux fonctions du programme ou à la comparabilité avec des emplois semblables. Il aurait été opportun que le SCC se pose les questions suivantes quant au caractère raisonnable de la mesure disciplinaire qu'il entendait imposer :

  • le travail de nuit constituait-il un fait atténuant?
  • le fait de porter une cravate mettait-il en péril l'autorité de M. Demers par rapport à ses fonctions de supervision des détenus?
  • la règle vestimentaire se comparait-elle à celle associée à des emplois semblables à l'intérieur ou à l'extérieur de la fonction publique?

113 Pour sa part, M. Demers a fait valoir qu'il avait presque toujours travaillé de nuit et qu'il n'avait aucun contact avec le public, hormis les détenus; qu'il avait travaillé avec une cravate pendant 28 ans sans incident; qu'il était toujours bien mis, comme l'a signalé son supérieur, M. Sansoucy à l'audience, et le rapport psychiatrique du 13 février 2006. M. Demers a fait enquête auprès d'employeurs ouvrant dans un milieu comparable et avait appris que la cravate était facultative. Le défendeur n'a pas contredit ce témoignage.

114 J'ajoute que les arguments soulevés par M. Demers lors de l'audience n'étaient pas des arguments nouveaux. Lors de ses rencontres avec M. Sansoucy, M. Demers a clairement fait connaître ses préoccupations et la détresse psychologique que lui causait le fait de travailler sans cravate. M. Sansoucy a été immuable. Apparemment, il n'était pas question de considérer une exception ou de consulter ses supérieurs. Je retiens du témoignage de M. Sansoucy son admission que, s'il avait été autorisé à le faire, il aurait permis à M. Demers de porter la cravate.

115 Je fais aussi miennes les remarques exprimés dans International Association of Fire Fighters voulant que l'intérêt d'un employeur soit avant tout d'obtenir un rendement équitable de l'employé et que les règles d'habillement qu'il impose à ses employés viennent au second rang. Comme le précise Dominion Stores Ltd., il y a lieu de distinguer entre les situations où l'employé a un contact avec le public et celles où il n'en a pas, ou encore les situations où la santé ou la sécurité pourrait être compromise (voir aussi International Association of Fire Fighters et The Empress Hotel). Dans la présente affaire, M. Demers travaille de nuit, il ne travaille qu'avec les détenus et n'a aucun contact avec le public en général. Porter la cravate n'a aucune incidence négative sur la santé et la sécurité de M. Demers, sur ses collègues de travail ou sur les détenus qu'il supervise. Bref, le fait de porter une cravate n'a aucune incidence négative sur la qualité de son travail. Le port de la cravate ne porte pas atteinte à la perception que le public a du mandat du SCC (voir Hamilton Street Railway Co.).

116 Il est à noter que le code vestimentaire prévoit la possibilité de faires certaines exceptions, notamment aux articles 43 à 46 et 54. Plus pertinemment à l'égard du grief à l'étude, le code vestimentaire permet des exceptions dans le cas d'allergies ou de problèmes de santé. Ces exceptions reflètent, à mon avis, la possibilité d'appliquer raisonnablement le code vestimentaire, chose qui aurait pu être considérée dans le cas de M. Demers.

117 À la lumière des faits et de la preuve devant moi, je suis persuadée qu'il n'y avait aucune raison découlant du mandat du SCC, de ses opérations ou de son image vis-à vis du public pour ne pas étudier attentivement les préoccupations soulevées par M. Demers avant d'imposer l'amende de 75 $. Le défendeur n'a présenté aucune preuve objective, contrairement à ce qu'exige la jurisprudence, hormis l'opinion personnelle d'un gestionnaire, que la cravate allait à l'encontre « du professionnalisme de l'ensemble du personnel et de l'efficacité du Service à s'acquitter de son mandat ». La situation se résume à l'autorité d'une personne d'imposer à un subalterne son interprétation d'une directive en raison de son rang, sans considérer les conséquences de cette interprétation.

118 Je conclus donc que le code vestimentaire, règle unilatérale du SCC, a été appliqué à M. Demers de façon déraisonnable et que l'amende de 75 $ était injustifiée.

C.Accès à l'établissement

119 Après sa rencontre avec M. Sansoucy le 8 décembre 2005, M. Demers a quitté d'urgence l'établissement Cowansville. Il s'est dirigé en état de détresse vers le service d'urgence de son hôpital, où il a reçu un diagnostic de « situation de crise interpersonnelle - crise d'adaptation ». Un médecin l'a par la suite mis en arrêt de travail pour une période de trois mois. M. Demers a alors présenté sa réclamation pour accident de travail. Le 26 décembre 2005, M.Demers a tenté de reprendre ses fonctions pendant le quart de nuit, se disant mieux. Le SCC lui a refusé l'accès à l'établissement Cowansville puisque M. Demers ne pouvait pas présenter de certificat médical attestant son aptitude à reprendre le travail. Le 17 janvier 2006, le procureur de M. Demers a écrit au SCC lui demandant de reconsidérer sa décision d'interdire à M. Demers de porter la cravate. Le 25 janvier 2006, le SCC a répondu qu'il maintenait sa position sur l'interdiction de porter la cravate et que M. Demers devait présenter un certificat médical attestant son aptitude au travail avant de pouvoir se présenter de nouveau au travail.

120 En raison de la décision du SCC, le médecin traitant a interdit à M. Demers le retour au travail. Par conséquent, M. Demers a été incapable de remettre le certificat médical demandé par le SCC.

121 Une jurisprudence constate, soutient que, lorsqu'un employé s'absente en raison d'un accident du travail ou pour une période prolongée, l'employeur peut exiger un certificat médical d'aptitude au travail avant d'autoriser l'employé à retourner au travail. À ce propos, le défendeur a cité les arrêts suivants : Stinson, Lorrain, Ricafort, ainsi que le paragraphe 7:6142 de Canadian Labour Arbitration.

122 Néanmoins, je suis d'avis que les principes énoncés dans les décisions sur lesquelles le défendeur se fonde ne s'appliquent pas à la présente affaire, compte tenu des circonstances particulières, pour les raisons suivantes. J'ai conclu que l'amende administrée à M. Demers était une sanction disciplinaire injustifiée. Selon la preuve du défendeur, la détresse psychologique concernant l'interdiction du port de la cravate s'est manifestée avant la rencontre du 8 décembre 2005, tel qu'en fait foi le courriel du 2 décembre 2005 de M. Desrosiers à M. Sansoucy. Cette détresse s'est manifestée de façon aigüe au cours de la rencontre du 8 décembre 2005 et ce fait est consigné dans un rapport d'observation. Le défendeur ne peut donc nier que le SCC était au courant de la situation personnelle de M. Demers et qu'il était en mesure d'agir de façon préventive. Le SCC ne s'est préoccupé du bien-être de M. Demers qu'au mois de février 2006, lorsqu'il lui a demandé de subir une évaluation psychiatrique en vue de le faire revenir au travail. Comme il a déjà été exposé, le psychiatre a confirmé l'opinion du médecin traitant quant au motif de l'absence de M. Demers depuis le 8 décembre 2005.

123 Je souligne les conclusions du psychiatre selon lesquelles le fait que le SCC soit demeuré campé sur sa position d'interdire la cravate a fait évolué le stress de M. Demers, rendant ce dernier inapte à retourner au travail à l'heure actuelle, et ce, pour une période indéfinie. Notons que la deuxième évaluation psychiatrique a confirmé que l'état de M. Demers s'est aggravé. Les conclusions des deux évaluations psychiatriques sont à l'effet que l'état de M. Demers perdurera tant que le SCC insistera pour qu'il ne porte pas de cravate.

124 Ces faits m'emmènent à conclure que M. Demers a pris un congé de maladie contre son gré, attribuable directement au stress causé par l'intransigeance continue du SCC quant à l'interdiction de porter la cravate. Ayant conclu que le SCC n'a pas tenté de trouver une solution raisonnable à l'égard de M. Demers, contrairement à ce que permet le code vestimentaire, avant de lui imposer une sanction, je suis d'avis que M. Demers n'a pas à subir la perte de revenus découlant d'un congé de maladie involontaire de sa part. Par conséquent, j'ordonne au défendeur de dédommager M. Demers pour la perte d'avantages et de revenus résultant d'un tel congé de maladie.

125 Je donne aux parties une période de 60 jours pour s'entendre sur le montant de telles pertes. Advenant que les parties ne s'entendent pas, je les entendrai sur la question du quantum. Entre-temps j'encourage fortement les parties à se prévaloir des services de médiation qu'offre la Commission. L'ensemble de cette situation suggère un règlement à l'amiable. Dans la mesure où les parties ne réussissent pas à s'entendre, je demeure saisie de la question des mesures de redressement appropriées.

126 Pour ces motifs, je rends l'ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

127 La sanction pécuniaire de 75 $ est renversée. J'ordonne au défendeur de rembourser cette somme à M. Demers.

128 Je demeure saisie de la présente affaire pour une période de 60 jours, afin de permettre aux parties de s'entendre sur le montant des sommes représentant la perte d'avantages et de revenus résultant du congé de maladie de M. Demers. Si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur le montant de ces sommes, M. Demers pourra demander, avant l'expiration de cette période de 60 jours, une reprise d'audience pour débattre devant moi de cette question.

Le 16 août 2007

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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