Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a soutenu qu’elle n’avait pas eu le poste par suite des commentaires négatifs formulés à son égard par deux répondants; que le président du comité d’évaluation avait émis à son insu des commentaires négatifs sur elle, tout en sachant que ces commentaires lui nuiraient; que le président du comité d’évaluation avait abusé de son pouvoir en influençant une répondante. Elle a ajouté que le fait pour le comité d’évaluation de ne pas contacter d’autres répondants constituait un abus de pouvoir. L’intimé a répondu que la plaignante n’avait donné aucune preuve de manque d’impartialité de la part de l’intimé; qu’un commentaire négatif fourni par un répondant n’est pas un signe de partialité, pas plus qu’un commentaire positif. L’intimé a fait valoir d’autre part que le comité d’évaluation n’avait pas pris uniquement en compte les références de la plaignante puisqu’il avait communiqué avec six gestionnaires au sujet des relations interpersonnelles de cette dernière. Décision : Le Tribunal a fait remarquer que les références contenaient des commentaires négatifs aussi bien que positifs. Si le comité d’évaluation ne retenait que les commentaires positifs, il pourrait à juste titre se faire taxer de favoritisme. La prise en compte de tous les commentaires des répondants par le comité d’évaluation était une démarche raisonnable, qui évitait toute marque de favoritisme. Le Tribunal a déterminé que la plaignante avait demandé au président du comité d’évaluation d’être l’un de ses répondants; cette personne n’avait pas rédigé le questionnaire sur les références afin d’éviter toute apparence de conflit d’intérêts. Il n’y avait aucune preuve de collusion entre le président du comité d’évaluation et un autre répondant pour formuler des commentaires négatifs sur la plaignante. Le comité d’évaluation n’était pas tenu de chercher à obtenir des références additionnelles; au contraire, cette façon de faire aurait pu être interprétée comme une tentative du comité de trouver des références favorables pour tel ou tel candidat. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2006-0199
Rendue à:
Ottawa, le 24 octobre 2007

CHANTAL GILBERT
Plaignante
ET
LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir aux termes de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Sonia Gaal, vice-présidente
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Gilbert c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et al.
Référence neutre:
2007 TDFP 0040

Motifs de la décision

Introduction

1 Le 1er novembre 2006, Mme Chantal Gilbert a présenté une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). La plaignante a posé sa candidature au poste de coordonnatrice des services de gestion, AS-01, à la Gendarmerie royale du Canada, (processus numéro 2006-RCM-IA-CR-CM-MTL-001).

2 La plaignante allègue l’abus de pouvoir de la part de l’intimé, le Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, car, à son avis, les critères d’évaluation étaient subjectifs et ont été appliqués de manière négative à son égard, en particulier les commentaires de deux répondants. Il y a eu manque d’impartialité envers elle par sa superviseure immédiate, qui était l’un des répondants.

3 L’audience sur le fond du litige a eu lieu à Montréal, le 10 septembre 2007.

Contexte

4 La plaignante a participé à un processus de nomination interne annoncé visant à combler le poste de coordonnatrice des services de gestion. Le comité d’évaluation était composé de deux membres, soit Mme Nicole Allard, gestionnaire régionale, Services de gestion, qui présidait le comité, et Mme Rachelle Redden, conseillère en dotation et en relations de travail.

5 Le comité a décidé d’évaluer les candidats en trois étapes, soit un exercice écrit, une entrevue et la vérification de trois répondants fournis par les candidats. Le comité d’évaluation a procédé de la même manière pour tous les candidats.

6 Un total de treize personnes ont posé leur candidature ; six sont passées à l’étape de l’entrevue, dont la plaignante.

7 La plaignante a fourni le nom de trois répondants tel que demandé. D’abord, celui de Mme Allard qui est sa superviseure immédiate depuis novembre 2001, puis, Mme Sherry Dupuis-Gareau, qui l’a supervisée de novembre 1999 à mars 2001, et enfin, M. Jean Frenette qui était son superviseur de juillet 1994 à février 1995.

8 La plaignante a de plus fourni des lettres d’éloges de clients au comité d’évaluation.

9 La plaignante explique que ses superviseurs entre 1995 et 1999 ont quitté la fonction publique. C’est pourquoi elle a donné le nom de M. Frenette à titre de répondant, même si la relation de travail date de plusieurs années.

10 La plaignante a réussi les trois étapes et s’est qualifiée dans le bassin de candidates pour le poste. Deux autres personnes faisaient également partie du bassin. Le comité d’évaluation a choisi Mme St-Laurent, la personne nommée, pour combler le poste.

Résumé de la Preuve

A) La plaignante

11 La plaignante soutient qu’elle n’a pas eu le poste parce que Mmes Allard et Dupuis-Gareau ont fait des commentaires négatifs à son endroit, dans leur réponse écrite au « Questionnaire pour la vérification des références », au sujet de son bavardage et commérage au travail.

12 En ce qui concerne Mme Allard, selon la plaignante, il s’agit de mensonges et de la mauvaise foi de la part de celle-ci. En tant que présidente du comité d’évaluation, elle savait que cela affecterait sa position pour l’obtention du poste car elle était le « membre décideur ».

13 La plaignante a expliqué que Mme Allard travaille à Ottawa mais qu’elle se déplace à Montréal de façon régulière pour rencontrer le personnel. Elle ne peut donc pas savoir personnellement s’il y a du bavardage et commérage de sa part. Il s’agit donc de ouï-dire d’autant plus que la plaignante n’est pas la seule à bavarder et à commérer; il y a une trentaine de femmes dans le bureau.

14 La plaignante affirme que Mme Dupuis-Gareau a été influencée par Mme Allard au sujet de la plaignante car les deux femmes sont amies et dînent ensemble quand Mme Allard est à Montréal. La plaignante est certaine que Mmes Dupuis-Gareau et Allard ont parlé d’elle car les commentaires de Mme Dupuis‑Gareau sont également mensongers et ont eu un impact négatif sur sa candidature.

15 Par contre, le troisième répondant, soit M. Frenette, qui n’a aucun lien avec Mme Allard, a offert de très bons commentaires.

16 La plaignante témoigne aussi du fait qu’elle avait beaucoup de travail et s’en plaignait parfois à des collègues et gestionnaires. Certains l’ont mentionné à Mme Allard. Durant une période de temps, un surplus de travail a été créé suite au décès d’une collègue.

17 La plaignante soulève que Mme Allard mentionne ses activités syndicales dans ses commentaires écrits. Selon la plaignante, l’intimé lui a ôté certaines tâches intéressantes au travail suite à sa nomination à titre de présidente du syndicat, vers mars 2005.

18 Enfin, la plaignante affirme qu’elle n’a jamais eu d’évaluation de rendement de la part de Mme Allard ou de Mme Dupuis-Gareau ou de mesures correctives prises à son endroit. Mme Dupuis-Gareau ne lui a pas fait de commentaires qu’elle parlait trop.

B) Madame Nicole Allard

19 Mme Allard a témoigné pour la partie intimée. Le poste a été créé en décembre 2005 suite à une restructuration à la direction générale. Mme Allard a rédigé la description de tâches selon les besoins de l’intimé et elle a établi les qualifications essentielles.

20 Puisque Mme Allard savait qu’elle agirait comme répondante pour des candidats, elle a demandé à Mme Redden, qui était sur le comité d’évaluation avec elle, de développer les questions pour les répondants. Elle voulait ainsi éviter l’apparence d’un conflit d’intérêt.

21 Les répondants ont fourni leur réponse par écrit. En contre‑interrogatoire, Mme Allard a témoigné que le comité d’évaluation n’a pas eu à faire de suivi avec aucun répondant des candidats car les documents contenaient suffisamment de détails et d’exemples.

22 Mme Allard a toujours supervisé la plaignante à distance mais elle se rendait à Montréal environ aux quatre semaines ou plus souvent au besoin et rencontrait les employés.

23 Mme Allard indique que la plaignante disait souvent à ses collègues qu’elle était débordée de travail. Afin d’alléger sa tâche, Mme Allard lui a retiré la prise de notes sur divers comités ainsi que la préparation de comptes rendus. La plaignante effectuait beaucoup plus de prise de notes que sa collègue et Mme Allard a voulu répartir cette tâche plus équitablement entre elles. Le retrait de ces tâches n’avait rien à voir avec son élection au poste de présidente. Mme Allard a dû rencontrer la plaignante à deux reprises afin de discuter de sa décision.

24 Selon Mme Allard, elle dîne parfois avec Mme Dupuis-Gareau quand elle est à Montréal mais elle le fait aussi avec d’autres collègues. Il s’agit strictement d’une relation de travail entre elles. Elles n’ont pas discuté de leurs commentaires en tant que répondantes de la plaignante.

25 Mme Allard a parlé à six gestionnaires de Montréal au sujet des relations interpersonnelles de la plaignante. Il y a donc eu plusieurs personnes pour l’évaluer sur cette qualification essentielle.

26 Quant aux évaluations de rendement, Mme Allard n’en a préparé aucune pour ses employés et n’en a jamais reçu elle-même depuis qu’elle est en poste. Toutefois, c’est maintenant une exigence pour la région du centre et tous les employés auront dorénavant une évaluation de rendement avec des objectifs à satisfaire.

27 Mme Allard affirme qu’elle a eu des conversations avec la plaignante au sujet du bavardage.

Questions en litige

28 Le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

  1. Le comité d’évaluation a-t-il commis un abus de pouvoir lorsqu’il a tenu compte des commentaires négatifs des répondants à l’égard de la plaignante ?
  2. Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part de la présidente du comité d’évaluation qui a aussi servi de répondante pour la plaignante ?
  3. La présidente du comité d’évaluation a-t-elle influencé une répondante de la plaignante, soit une ancienne superviseure, et donc, abusé de son pouvoir ?
  4. Le comité d’évaluation a-t-il abusé de son pouvoir en ne communiquant pas avec des répondants additionnels qu’aurait pu fournir la plaignante ?

Argumentation

A) Argumentation de la plaignante

29 Selon la plaignante, Mme Allard a manqué d’impartialité à l’endroit de la plaignante car celle-ci a fait des commentaires négatifs à son insu. Il s’agit d’une déclaration officielle et mensongère. Mme Allard n’a jamais avisé la plaignante du comportement reproché mais elle savait « l’impact et le résultat que cela donnerait dans le processus du concours ». Elle a fait ces commentaires de mauvaise foi d’autant plus qu’elle est le « gestionnaire décideur » sur le comité d’évaluation.

30 Puisque la plaignante n’a jamais reçu d’évaluation de rendement de la part de Mme Allard, elle ne pouvait pas savoir qu’elle recevrait des commentaires négatifs. De plus, n’ayant pas été avisée d’un quelconque problème quant à son comportement, elle n’a pas eu la chance d’améliorer le comportement en question.

31 Le critère d’évaluation lié aux répondants est subjectif. Il n’y a aucune grille d’évaluation objective pour ce critère, ce qui démontre que Mme Allard se réservait le droit d’y accorder le pointage qui l’accommodait. Il s’agit d’un abus de pouvoir.

32 La plaignante soutient que Mme Dupuis-Gareau a aussi abusé de son pouvoir car elle connaît bien Mme Allard et elles travaillent ensemble. Mme Dupuis-Gareau a fait des commentaires négatifs et mensongers qui n’ont jamais été mentionnés dans des évaluations de rendement.

33 Selon la plaignante, Mme Allard a abusé de son pouvoir en influençant Mme Dupuis-Gareau pour « qu’elle aussi me fasse une évaluation négative, contrairement à ce que j’ai démontré au comité d’évaluation (lettre d’éloge) ».

34 Puisque Mme Allard était sur le comité d’évaluation et qu’elle avait fourni des commentaires négatifs, elle aurait dû communiquer avec un autre répondant.

35 Il y a un manque de transparence dans le processus de nomination ; il y a abus de pouvoir et mauvaise foi.

B) Argumentation de l’intimé

36 L’intimé soutient que la plaignante n’a pas prouvé le manque d’impartialité de Mme Allard. Elle a donné son opinion sur la plaignante et les commentaires en soi ne sont pas tellement négatifs.

37 Selon l’intimé, il n’y a aucune preuve que le processus a été manipulé pour désavantager la plaignante. Le même processus a été suivi pour tous les candidats.

38 En vertu de l’article 36 de la LEFP, une grande déférence est accordée aux comités d’évaluation. De plus, siéger sur le comité d’évaluation n’empêche pas d’agir comme répondant. Le Tribunal doit faire preuve de déférence quant à la décision du comité d’évaluation car il n’y a pas de preuve démontrant que Mme Allard n’a pas donné son appréciation honnête de la plaignante.

39 L’intimé argumente qu’il n’y a également aucune preuve que Mmes Allard et Dupuis-Gareau ont été de connivence et ont discuté de commentaires négatifs vis-à-vis la plaignante. Il n’y a aucune raison de douter de leur opinion.

40 Quant au commentaire de Mme Allard dans le « Questionnaire pour la vérification des références » relatif à la participation de la plaignante dans le syndicat, elle l’a indiqué pour évaluer la fiabilité de la plaignante et démontrer qu’elle savait garder l’information confidentielle.

41 Mme Allard a témoigné que la participation de la plaignante dans le syndicat n’a jamais été une considération du retrait des tâches. Il s’agissait plutôt de sa lourde charge de travail qui l’avait motivée à prendre cette décision. Aucune preuve ne démontre que le retrait des tâches a été effectué en raison de son activité syndicale.

42 Même si aucune évaluation de rendement n’existe, il n’en demeure pas moins que les agissements de la plaignante ont eu lieu puisque des gestionnaires les ont observés. Que des commentaires négatifs aient été fournis à son insu concernant le bavardage et le commérage, ne justifie pas que le comité d’évaluation n’en tienne pas compte. Un commentaire négatif fourni par un répondant n’est pas un signe de partialité, pas plus qu’un commentaire positif ne l’est.

43 Tel qu’il l’a plaidé dans l’affaire Pugh c. Sous-ministre de la Défense nationale et al., [2007] TDFP 0025, l’intimé soutient que l’abus de pouvoir nécessite une intention négative. Il a de plus produit de la jurisprudence ainsi que des extraits d’ouvrages à l’appui de sa position.

44 La plaignante doit démontrer par une preuve claire que l’intimé a abusé de son pouvoir et a agi de mauvaise foi en ne la nommant pas. Le témoignage de la plaignante reflète plutôt son opinion personnelle et son désaccord avec la décision de l’intimé.

45 L’intimé soutient qu’il n’y a aucune preuve d’un acte répréhensible dans l’évaluation de la plaignante ou preuve qu’il y a un élément viciant la nomination de Mme St-Laurent. De plus, aucune allégation ne suggère que cette dernière n’est pas qualifiée.

46 La plainte doit être rejetée car la plaignante n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique (CFP)

47 Selon la CFP, la plaignante soulève quatre points dans ses allégations : le manque d’impartialité, son implication syndicale, le fait qu’elle n’a eu aucune discussion sur son rendement et enfin, que l’intimé n’a pas procédé à d’autres vérifications auprès de ses répondants.

48 La CFP soutient que la plaignante n’a pas rencontré le fardeau de la preuve quant au manque d’impartialité d’autant plus que Mme Allard a témoigné qu’elle n’avait pas rédigé les questions pour les répondants afin d’éviter l’apparence d’un conflit d’intérêt.

49 La seule mention dans les commentaires des répondants au sujet des activités syndicales de la plaignante est positive et concerne le respect de la confidentialité. La plaignante n’a pas mis en preuve que le retrait de certaines de ses tâches reliées à la prise de notes a eu un impact sur l’évaluation de ses compétences pour le poste convoité.

50 Il faut faire une distinction entre le rendement et les commentaires sur le bavardage et le commérage. Les répondantes Mmes Dupuis-Gareau et Allard indiquent que la plaignante fait du bon travail et qu’elle a de bonnes relations avec les clients. Elles soulignent toutefois le problème de commérage et de bavardage qui est une préoccupation.

51 Selon la plaignante, l’intimé aurait dû procéder à la vérification d’un autre répondant car les commentaires de Mmes Allard et Dupuis-Gareau étaient négatifs. La CFP répond à cet argument qu’il n’y avait pas d’autre répondant auquel l’intimé aurait pu s’adresser car la plaignante elle-même a dû recourir à un répondant l’ayant supervisé de 1994 à 1995 pour satisfaire aux exigences du comité, soit de fournir le nom de trois répondants.

52 La CFP soutient qu’il n’y a aucune preuve entre l’abus de pouvoir et le fait que la plaignante n’ait pas été nommée dans le poste.

53 La CFP a fait valoir que pour qu’il y ait abus de pouvoir, il faut qu’il y ait un élément intentionnel ou qu’il y ait incurie ou insouciance. La CFP a également produit de la jurisprudence et des extraits d’ouvrage afin d’appuyer sa position.

Analyse

Question I: Le comité d’évaluation a-t-il commis un abus de pouvoir lorsqu’il a tenu compte des commentaires négatifs des répondants à l’égard de la plaignante ?

54 La plainte a été présentée sous l’alinéa 77(1)a) de la LEFP qui se lit ainsi :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d'un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixé par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination pour l'une ou l'autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l'administrateur général dans l'exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

(…)

55 La jurisprudence du Tribunal établit que la plaignante doit prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il y a eu abus de pouvoir. Elle doit donc prouver qu’elle n’a pas été nommée dans le poste en raison des commentaires négatifs formulés à son endroit par des répondants, et que ces commentaires constituent de l’abus de pouvoir. Il n’est pas suffisant d’en faire l’affirmation ; la plaignante doit expliquer en quoi ces actions démontrent l’abus de pouvoir tel que l’a décidé le Tribunal dans la décision Portree c. Administrateur général de Service Canada et al.,[2006] TDFP 0014 :

[43] Lorsqu’il dépose une plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a), un plaignant est maintenant tenu d’expliquer qu’il n’a pas été nommé en raison d’une action ou d’une inaction donnée. De plus, cette action ou inaction doit démontrer selon toute vraisemblance qu’il pourrait ou pouvait y avoir abus de pouvoir.

56 La plaignante soutient qu’il y a abus de pouvoir de Mme Allard car elle présidait le comité d’évaluation et elle a fourni des commentaires négatifs à son insu, tout en sachant que ces commentaires lui nuiraient. Ses commentaires seraient mensongers et empreints de mauvaise foi.

57 D’abord et avant tout, le Tribunal note que la plaignante ne conteste pas les commentaires positifs fournis par Mme Allard concernant son travail. Le Tribunal remarque que Mme Dupuis-Gareau a également fait des commentaires positifs au sujet de la plaignante qui ressemblent parfois à ceux de Mme Allard. Ces commentaires ne sont pas mis en doute par la plaignante. Selon la plaignante, il n’y a que les commentaires négatifs concernant le bavardage et le commérage qui sont faux et mensongers et qui constituent du ouï-dire.

58 Le Tribunal remarque les commentaires positifs de Mme Allard à l’endroit de la plaignante concernant son travail. En voici quelques-uns :

« Généralement, Chantal reçoit bien les critiques constructives »

« Chantal est bien organisée. Ses dossiers sont toujours en ordre et elle est toujours prête pour chaque réunion qu’elle doit participer (prendre des notes). Elle s’assure que tous les documents requis sont prêts. Elle connaît bien les tâches qu’elle doit faire et elle les accomplit sans difficulté. »

« Chantal n’a aucun problème à mettre sont travail en priorité. Elle est très logique et elle prend tous les aspects des tâches en considération avant de décider l’ordre qu’elle doit entreprendre ses fonctions. (…) »

59 Dans l’énoncé de fermeture du questionnaire, Mme Allard conclut en disant : « Oui, je l’embaucherais à nouveau. »

60 Dans son évaluation, le comité d’évaluation doit considérer la totalité des commentaires, positifs et négatifs, pour en venir à une décision. De retenir strictement les commentaires positifs comme le propose la plaignante pourrait justement créer la situation inverse que le législateur a voulu éviter. En effet, si le comité d’évaluation ne retenait que les commentaires positifs, il pourrait, à juste titre, se faire reprocher un certain favoritisme à l’égard de la plaignante. Le Tribunal est d’avis qu’en se penchant sur tous les commentaires des répondants, le comité d’évaluation a agi de façon raisonnable et a ainsi évité que l’évaluation de la plaignante soit empreinte de favoritisme.

61 Dans son examen du processus utilisé pour recueillir les commentaires des répondants, le comité d’évaluation a obtenu des commentaires des répondants par voie de questionnaires. La preuve reflète que Mme Allard a consulté diverses personnes avant de fournir ses commentaires.

62 La plaignante n’a pas prouvé qu’elle n’a pas été nommée dans le poste en raison des commentaires négatifs faits par Mme Allard à son égard ni que ceux-ci ont été fournis de façon abusive.

63 La plaignante est en désaccord avec les commentaires négatifs qui ne sont pas pour autant teintés d’abus de pouvoir. Le Tribunal a reçu en preuve le témoignage de la plaignante mais qui ne prouve pas qu’ils sont mensongers et empreints de mauvaise foi comme elle l’allègue. C’est nettement insuffisant.

64 Dans la décision Portree, supra, le Tribunal a conclu que même si la plaignante n’est pas d’accord avec la décision du comité d’évaluation, ceci n’indique pas qu’il y a eu abus de pouvoir :

[56] (…) Le simple fait de rejeter le résultat final ne constitue pas une preuve d’acte répréhensible de la part du comité d’évaluation. Le fait que la plaignante ne soit pas d’accord avec les notes attribuées par le comité d’évaluation ne constitue pas un abus de pouvoir.

65 Le Tribunal en vient donc à la conclusion que les commentaires négatifs n’ont pas été fournis de façon abusive et que cela ne constituait pas un abus de pouvoir d’en tenir compte.

66 Le Tribunal juge que le comité d’évaluation n’a pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a tenu compte des commentaires négatifs des répondants à l’égard de la plaignante.

Question II: Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part de la présidente du comité d’évaluation qui a aussi servi de répondante pour la plaignante?

67 Toujours selon la prépondérance des probabilités, la plaignante doit prouver qu’elle n’a pas été nommée dans le poste en raison des commentaires de Mme Allard, la présidente du comité d’évaluation, qui a siégé sur le comité d’évaluation et qui a servi de répondante.

68 La plaignante soutient que Mme Allard a commis un abus de son pouvoir car elle présidait le comité d’évaluation et a fourni des commentaires négatifs à son insu, tout en sachant que ses commentaires lui nuiraient. De plus, Mme Allard était le membre « décideur » du comité.

69 Dans la décision Visca c. Sous-ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024, le Tribunal a conclu dans les circonstances de cette plainte que le membre d’un comité d’évaluation qui utilise sa connaissance personnelle d’un candidat n’abuse pas de son pouvoir :

[56] (…) Par ailleurs, il importe de faire preuve d’une grande prudence et faire en sorte que la connaissance que possède un membre du comité de sélection au sujet du candidat concerne les critères de mérite évalués, et soit traitée comme une vérification des références.

[57] Le Tribunal juge qu’il n’y a pas eu abus de pouvoir dans l’évaluation du critère « jugement » ni dans le fait que la connaissance personnelle d’un membre du comité de sélection ait été utilisée dans le cadre de l’évaluation.

(Gras ajouté)

70 En l’espèce, Mme Allard a utilisé sa connaissance personnelle de la plaignante et ce, à sa demande. En effet, lorsque le comité d’évaluation a demandé à la plaignante de fournir trois répondants, celle-ci a fourni le nom de Mme Allard.

71 Malgré que la plaignante soit en désaccord avec les commentaires de Mme Allard, il n’en demeure pas moins que la plaignante avait consenti à ce que Mme Allard fournisse des commentaires à son sujet. En fait, la plaignante a soudainement mis en doute la bonne foi de Mme Allard quand elle a su qu’il y avait des commentaires négatifs. La plaignante a d’ailleurs dit durant son témoignage qu’elle n’aurait pas donné le nom de Mme Allard si elle avait su qu’elle ferait des commentaires négatifs à son sujet.

72 Par ailleurs, Mme Allard a elle-même pris certaines mesures afin d’éviter de se retrouver dans une situation de conflit d’intérêt. Elle n’a pas rédigé le formulaire de questions afin d’éviter toute apparence de conflit d’intérêt.

73 Mme Allard n’a donc pas abusé de son pouvoir lorsqu’elle a fourni des commentaires négatifs à l’endroit de la plaignante et ce, même si elle présidait le comité d’évaluation. La plaignante a, de son propre chef, consenti à ce que Mme Allard fournisse des commentaires et ce, qu’ils soient positifs ou négatifs.

Question III: La présidente du comité d’évaluation a-t-elle influencé une répondante de la plaignante, soit une ancienne superviseure,  et donc, abusé de son pouvoir?

74 Selon la plaignante, Mme Allard a influencé Mme Dupuis-Gareau afin que cette dernière fournisse également des commentaires négatifs concernant le bavardage et le commérage de la plaignante. La plaignante soupçonne que Mmes Allard et Dupuis-Gareau ont été de collusion quant aux commentaires négatifs à son égard.

75 Ici encore, la plaignante doit prouver que Mme Allard a commis un abus de pouvoir en influençant la répondante, Mme Dupuis-Gareau, de façon négative et que, par conséquent, elle n’a pas été nommée dans le poste suite à la collusion entre Mmes Allard et Dupuis-Gareau.

76 Toutefois, il n’y a absolument aucune preuve établissant que Mme Allard a influencé Mme Dupuis-Gareau. Mme Allard a d’ailleurs témoigné en contre-interrogatoire qu’elle-même et Mme Dupuis-Gareau n’ont pas discuté de la situation et des répondants de la plaignante. Cette preuve n’a pas été réfutée par la plaignante. Le Tribunal considère son témoignage comme crédible.

77 Il n’y a aucune preuve de collusion entre Mmes Allard et Dupuis-Gareau pour fournir des commentaires négatifs. Le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que Mme Allard a tenté d’inciter Mme Dupuis-Gareau à fournir des commentaires négatifs au sujet du commérage et bavardage de la plaignante et qu’il y a abus de pouvoir.

Question IV: Le comité d’évaluation a-t-il abusé de son pouvoir en ne communiquant pas avec les répondants additionnels qu’aurait pu fournir la plaignante?

78 La plaignante soutient que le comité d’évaluation a commis un abus de pouvoir car il aurait dû communiquer avec d’autres répondants puisque les commentaires de Mme Allard étaient négatifs et que celle-ci faisait partie du comité d’évaluation.

79 Afin de prouver ce qu’elle avance, la plaignante devait démontrer que le comité d’évaluation aurait dû communiquer avec d’autres répondants. Toutefois, la plaignante n’a soumis aucun texte de loi ou de règlement obligeant un comité d’évaluation à communiquer avec d’autres répondants. Un comité d’évaluation a le pouvoir discrétionnaire de décider s’il a suffisamment d’information pour faire un choix éclairé en vue d’une nomination.

80 Dans le cas qui nous occupe, Mme Allard a indiqué en contre-interrogatoire que le comité d’évaluation n’a pas fait de suivi avec les autres répondants des candidats car les répondants initiaux avaient fourni suffisamment de détails et d’exemples. Cette même façon de procéder a été appliquée à tous les candidats.

81 La position de la plaignante équivaut à demander à un comité d’évaluation de « magasiner » pour une référence favorable, ce qui n’est pas son rôle. Le Tribunal a indiqué ce qui suit dans la décision Portree, supra :

[59] En premier lieu, la décision du comité d’évaluation de communiquer uniquement avec Mme Higgs ne constitue pas un abus de pouvoir. Comme il est énoncé précédemment, le comité d’évaluation était le mieux placé pour évaluer s’il avait suffisamment d’informations sur la plaignante. Une fois les réponses aux questions fournies dans le cadre adéquat, le comité d’évaluation ne devrait pas « tenter » d’obtenir une référence favorable ou défavorable.

82 Cette façon de faire pourrait d’ailleurs être interprétée comme du favoritisme de la part du comité d’évaluation, s’il s’avérait que le comité d’évaluation cherchait à tout prix des répondants favorables ou défavorables pour un candidat.

83 Le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas eu abus de pouvoir du comité d’évaluation dans l’évaluation de la plaignante lorsqu’il a décidé de ne pas communiquer avec d’autres répondants pour la plaignante. Le comité d’évaluation n’a pas commis un abus de pouvoir en se fondant sur les commentaires fournis par les trois répondants.

84 Le Tribunal ne se prononce pas sur le retrait de certaines tâches de travail de la plaignante car cela ne concerne pas le processus de nomination contesté et n’a pas été retenu comme raison pour ne pas la nommer.

85 Le Tribunal souhaite remercier les parties de leur excellente présentation et du professionnalisme dont elles ont fait preuve au cours de l’audience.

Décision

86 Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Sonia Gaal

Vice-présidente

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2006-0199
Intitulé de la cause:
Chantel Gilbert et le Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et al.
Date et
lieu de l'audience:
Le 10 septembre 2007
Montréal (Québec)
Date des motifs:
Le 24 octobre 2007

Comparutions:

Pour le plaignant:
Helen Friel
Pour l'intimé:
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique:
Lili Ste-Marie
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