Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été embauché à la fin de 2003, à l’extérieur de la fonction publique, en vue de pourvoir un poste de CO-02 - lors de son embauche, le fonctionnaire s’estimant lésé a conclu une entente avec l’employeur fixant sa rémunération au taux intermédiaire de l’échelle salariale - la convention collective était expirée à ce moment-là, et ce n’est qu’en 2005 que la nouvelle convention a été signée - l’échelle salariale a alors été restructurée, ce qui a entraîné l’élimination du premier échelon et l’ajout d’un nouvel échelon au sommet de l’échelle - il s’ensuit que le milieu de l’échelle salariale se situait maintenant un échelon plus haut que celui qui correspondait au taux de rémunération du fonctionnaire s’estimant lésé - le fonctionnaire estimait que sa rémunération aurait dû être rajustée rétroactivement au taux intermédiaire de la nouvelle échelle salariale et que l’employeur était préclus de résilier l’entente - l’employeur a fait valoir que l’arbitre de grief n’avait pas la compétence voulue pour instruire le grief puisque celuici ne portait pas sur l’application ou l’interprétation des dispositions de la convention collective - il a émis l’opinion que le grief avait trait à l’application de la politique du Conseil du Trésor régissant la rémunération au moment de la première nomination des employés provenant de l’extérieur de la fonction publique - l’arbitre de grief a conclu que si un grief est relié ou se rattache à une disposition de la convention collective ou à une décision arbitrale ou a un rapport avec l’une ou avec l’autre, on peut dès lors dire qu’il <<porte>> sur cette disposition de la convention collective ou sur cette décision arbitrale - l’arbitre a conclu que le grief visait à faire appliquer l’entente de gré à gré et qu’il portait sur l’interprétation ou l’application de la note sur la rémunération no1 contenue dans la convention collective - le grief avait pour but d’obliger l’employeur à rémunérer le fonctionnaire s’estimant lésé rétroactivement à un taux différent en considérant comme faisant implicitement partie de la note sur la rémunération no1 la promesse qu’il lui avait faite lors de l’embauche - il existait un lien à première vue entre l’objet du grief et une disposition de la convention collective en vigueur, si bien que le grief était arbitrable au fond. Objection à la compétence rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-02-18
  • Dossier:  566-02-450
  • Référence:  2008 CRTFP 11

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JAMIE MATEAR

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l’Industrie)

employeur

Répertorié
Matear c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Crystal Stewart, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Décision rendue sur la foi d’observations écrites,
déposées le 28 novembre et les 6 et 14 décembre 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 La présente décision traite d’une objection préliminaire de compétence soulevée par l’employeur concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage.

2 En 2003, le ministère de l’Industrie (Industrie Canada) a embauché de l’extérieur de la fonction publique Jamie Matear (le « fonctionnaire s’estimant lésé ») à un poste de CO-02 de la section Entreprise autochtone Canada à Toronto.

3 Le 30 mars 2006, le fonctionnaire s'estimant lésé a déposé le grief suivant :

[Traduction]

[…]

(Détails du grief)

Je présente un grief par suite du refus de l’employeur de continuer d’honorer l’entente que nous avions conclue à l’époque de l’embauchage et selon laquelle je serais rémunéré au taux de l’échelon du milieu de l’échelle salariale des CO-02. À mon détriment, je me suis fié à cette entente et cette promesse de mon employeur. Ce dernier est préclus de résilier l’entente en question.

Je demande à pouvoir être entendu à chaque palier de la procédure de règlement des griefs.

(Mesure corrective demandée)

Je demande que mon salaire soit rétroactivement fixé au taux de l’échelon du milieu de l’échelle salariale restructurée des CO-02, conformément à l’entente mentionnée plus haut. Je demande un paiement immédiat pour toute perte salariale à cet égard, avec intérêts.

[…]

4 Après la réponse au dernier palier d’Industrie Canada en date du 23 juin 2006, rejetant le grief, le fonctionnaire s'estimant lésé a renvoyé l’affaire à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), avec l’appui de son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). L’avis de renvoi à l’arbitrage citait l’article 45 (Administration de la paye) et l’appendice A (Taux de rémunération annuels) comme étant les dispositions litigieuses de la convention collective entre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et l’agent négociateur pour le groupe Vérification, commerce et achat (AV). La date d’expiration de la convention collective était le 21 juin 2007.

5 Dans un courrier électronique envoyé au personnel de la Commission, en date du 1er août 2006, la représentante de l’employeur a fait savoir que l’employeur contesterait la compétence d’un arbitre de grief à entendre le grief. Dans une lettre subséquente, en date du 14 novembre 2007, la représentante de l’employeur arguait que l’objet du grief ne portait pas en réalité sur l’interprétation des dispositions d’une convention collective. Le grief avait plutôt pour objet l’application d’une politique du Conseil du Trésor régissant le salaire à la nomination initiale d’une personne recrutée de l’extérieur de la fonction publique. Ainsi, le grief débordait le cadre de la compétence d’un arbitre de grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »).

6 La représentante de l’employeur a demandé que le grief soit rejeté sans audience, et ce, pour défaut de compétence. À titre subsidiaire, elle a demandé que la question de la compétence soit tranchée par voie d’observations écrites.

7 La représentante du fonctionnaire s'estimant lésé a répondu le 20 novembre 2007. Elle alléguait que l’objection de l’employeur relativement à la compétence était en retard et elle en contestait le bien-fondé. Elle convenait néanmoins que la question de la compétence pouvait être l’objet d’observations écrites [traduction] « […] comme question de droit et d’interprétation et non comme question de fait […] ».

8 Le président de la Commission a ordonné que les parties présentent par écrit leurs arguments sur la question de la compétence à titre de question préliminaire. Il m’a chargé d’entendre et de trancher l’objection à ladite question en ma qualité d’arbitre de grief, sur le fondement des observations écrites qui ont été reçues.

II. Résumé des observations écrites

A. Pour l’employeur

9 Les observations écrites de l’employeur figurent au dossier de la Commission avec les documents de soutien. Les extraits suivants résument l’argumentation de l’avocate de l’employeur à l’appui de son objection de la compétence :

[Traduction]

[…]

2. Le 4 décembre 2003, le fonctionnaire s'estimant lésé a été nommé agent de développement CO-02 à la section Entreprise autochtone d’Industrie Canada. Il a été recruté de l’extérieur de la fonction publique. Vu son expérience ainsi que la rémunération offerte aux autres membres du groupe, il a été mis au milieu de l’échelle salariale au moment de l’embauche. La politique applicable est celle du Conseil du Trésor intitulée Rémunération supérieure au minimum au moment de la nomination d’un employé provenant de l’extérieur de la fonction publique.

3. La rémunération du fonctionnaire s’estimant lésé au moment de l’embauche, soit 65 086 $ par an, est indiquée dans la lettre d’offre en date du 21 novembre 2003. Le fonctionnaire a signé cette lettre le 3 décembre 2003. Au début de son emploi, il était payé 65 086 $ par an et avait accepté ce traitement.

4. Comme l’indique le grief à première vue, le fonctionnaire s'estimant lésé sollicite l’exécution de l’entente qui aurait été conclue et de la promesse qui lui aurait été faite relativement au paiement2. Cela nécessiterait l’interprétation et l’application de la politique du Conseil du Trésor Rémunération supérieure au minimum au moment de la nomination d’un employé provenant de l’extérieur de la fonction publique, soit une question qui déborde le cadre de la compétence d’un arbitre de grief.

5. Pour l’essentiel, un arbitre de grief n’a pas compétence pour interpréter et appliquer une politique qui n’est pas expressément mentionnée dans la convention collective.

Point no 1 : La question de la politique en cause

6. L’analyse élaborée par la Cour suprême du Canada dans Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, est utile à cet égard. Comme l’explique Weber, il importe de déterminer le caractère essentiel du différend :

[…]

7. De même, dans Cherrier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel), dossiers de la CRTFP 149-02-236 et 166-02-31767, l’arbitre de grief a invoqué la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459, pour déterminer la véritable intention sous-jacente au grief. […]

[…]

8. Il importe donc de déterminer l’intention sous-jacente au présent grief déposé devant l’arbitre de grief.

9. L’intention qui sous-tend le grief est claire. Le fonctionnaire s'estimant lésé fait référence à une entente en matière de paiement qui aurait été conclue lors de l’embauche, laquelle entente n’est pas mentionnée dans la convention collective.

10. La Commission des relations de travail dans la fonction publique a déclaré que la négociation d’un salaire lors d’une nomination a lieu avant la confirmation de cette nomination. De plus, les politiques applicables débordent le cadre de la convention collective.

11. Le présent cas est analogue à celui examiné dans Glowinski en ceci que le fonctionnaire s'estimant lésé a essentiellement présenté un grief au sujet d’une politique qui ne fait pas partie de la convention collective. Comme dans ce cas, le caractère essentiel du différend est l’interprétation d’une politique de l’employeur qui ne fait pas partie de la convention collective. Le grief n’est donc pas arbitrable, et la CRTFP n’a pas compétence pour entendre l’affaire.

12. Ce que sollicite le fonctionnaire s'estimant lésé, soit l’interprétation et l’application d’un document extrinsèque, entraînerait la modification de la convention collective, ce qui irait à l’encontre de l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« LRTFP »). L’article 229 se lit comme suit : « La décision de l’arbitre de grief ne peut avoir pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ».

[…]

14. Dans la situation qui nous occupe, le fonctionnaire s'estimant lésé essaie de créer un droit fondamental ne figurant pas dans la convention collective. Cette dernière est un contrat qui lie les parties. La compétence d’un arbitre de grief s’étend à l’interprétation et à l’application de la convention collective. […]

[…]

Point no 2 : L’entente alléguée

19. La thèse de l’employeur est qu’un grief relatif à une promesse de paiement alléguée n’est pas un grief pouvant être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’art. 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« LRTFP »). En particulier, l’al. 209(1)a) concerne « soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ».

20. On ne conteste pas que le salaire du fonctionnaire s'estimant lésé entrait dans le cadre du taux de rémunération prescrit par la convention collective et que le fonctionnaire a reçu les augmentions rétroactives prévues dans cette convention. Le fonctionnaire cherche plutôt à ce que la Commission détermine une question liée à une promesse de paiement ne faisant pas partie de la convention collective. Par conséquent, le grief ne peut être soumis à la Commission en vertu de l’art. 209 de la LRTFP.

21. La décision rendue par l’ancienne CRTFP dans Evans c. Conseil du Trésor (Transports Canada) est utile. Dans Evans, les fonctionnaires s’estimant lésés contestaient le fait que de nouveaux employés étaient recrutés de l’extérieur de la fonction publique à des taux de rémunération supérieurs aux taux minimums. L’arbitre de grief Chodos a examiné les dispositions de la convention collective traitant de la rémunération, ainsi que l’appendice de cette convention contenant les échelles salariales. Il a affirmé au paragraphe 8 de la décision :

De toute évidence, aucune de ces dispositions — ni en fait aucune autre disposition de la convention collective — ne traite de la question du taux de rémunération d’un employé nouvellement nommé à l’un des postes relevant de l’unité de négociation.

22. Dans Evans, l’arbitre de grief a rejeté le grief pour défaut de compétence, à la fois en raison de la conclusion que le grief ne se rapportait pas à une violation de la convention collective et à cause d’une seconde question, non liée.

23. La décision rendue dans Evans est pertinente aux fins de la présente espèce parce qu’il n’y a rien dans la convention collective ou les taux de rémunération qui se rapporte aux questions soulevées dans le grief, à savoir une promesse ou une entente selon laquelle le fonctionnaire s'estimant lésé aurait droit à un certain salaire.

[…]

25. L’employeur soutient que, tout comme un grief se rapportant à une politique extrinsèque à la convention collective ne peut être renvoyé à l’arbitrage, une promesse ou une entente alléguée ne peut être réputée faire partie de la convention collective. […]

[…]

[Souligné dans l’original]

[Notes de bas de page de l’original omises]

10 Dans ses observations, l’avocate de l’employeur a en outre cité Gregory c. Conseil du Trésor (Transports Canada), 2001 CRTFP 51, Brunelle et Shanks c. Conseil du Trésor (Transports Canada), 2003 CRTFP 108, Brown & Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e éd. (Aurora, Canada Law Book, 2007), à 4:0000 et 4:2000, Foreman c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 73, Ewen c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 113, Toronto District School Board v. O.S.S.T.F., (2004), 126 L.A.C. (4th) 406, et Kenora Police Services Board v. Kenora Police Assn., (2001), 102 L.A.C. (4th) 439.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

11 Les extraits suivants résument les observations écrites qui ont été déposées pour le fonctionnaire s'estimant lésé. Le texte intégral et les pièces jointes figurent au dossier de la Commission.

[Traduction]

[…]

Nous ne sommes pas d’accord avec l’assertion de l’employeur que ce grief nécessite l’interprétation ou l’application de la politique « Rémunération supérieure au minimum ». Se fondant sur cette politique, l’employeur a décidé d’offrir à M. Matear un salaire initial supérieur au minimum dans l’échelle salariale. Cette décision n’est pas remise en question, et la politique mentionnée plus haut n’a donc pas à être appliquée ou interprétée pour régler le présent grief. M. Matear n’argue pas qu’il aurait dû être payé à un niveau supérieur. Il demande simplement à l’employeur de tenir sa promesse de le payer au taux de l’échelon du milieu de l’échelle salariale des CO-02.

Ces éléments essentiels du différend étaient clairs tout au long des procédures applicables au grief. Il n’y a jamais eu de discussion ou de débat sur la politique « Rémunération supérieure au minimum ». Il n’est donc pas nécessaire que le fonctionnaire s'estimant lésé réponde aux arguments avancés à cet égard par l’employeur dans ses observations écrites.

La convention collective reconnaît au fonctionnaire s'estimant lésé le droit fondamental à une rémunération. La promesse faite au fonctionnaire décrivait ce que serait son droit à une rémunération, s’il acceptait l’offre d’emploi. On lui avait promis un niveau de rémunération se situant au milieu de l’échelle salariale. Le présent grief n’est aucunement analogue à ce qu’il en était dans le cas de la décision Glowinski invoquée par l’employeur. Ce grief se rapportait bel et bien à la politique mentionnée plus haut, et le fonctionnaire s'estimant lésé arguait que ladite politique était en fait incorporée à la convention. Ces arguments ne sont pas nécessaires en l’espèce, car la politique précitée n’aidera pas à trancher le présent différend. De plus, par contraste avec ce qu’il en était dans le cas de la décision Evans, le présent grief n’a rien à voir avec la détermination du taux de rémunération à verser à une personne lors de la nomination initiale. Ce qui est en cause, c’est non pas le taux lui-même mais la somme d’argent exacte.

L’interprétation devant être donnée par l’arbitre de grief en l’espèce se rapporte à la question de savoir comment l’offre salariale a été faite au fonctionnaire s'estimant lésé et à la question de savoir si cette offre constituait une promesse que l’employeur n’a pas tenue lorsque les taux de rémunération prévus dans la convention collective ont été renégociés. Tel est l’essentiel du différend, ce qui entraînera ensuite la nécessité de déterminer si cette promesse a créé une préclusion.

[…] il avait été décidéque l’offre salariale appropriée se situerait au milieu de l’échelle des salaires. Voilà comment l’offre a été présentée au fonctionnaire s'estimant lésé. Le terme [traduction] « milieu » est exactement celui qui a été utilisé par M. Jones. La lettre de l’offre écrite indiquait le montant du salaire, mais il était clair que l’intention était de verser au fonctionnaire la somme se situant au milieu de l’échelle salariale.

L’employeur a admis avoir utilisé le mot « milieu » avec le fonctionnaire dans sa réponse au deuxième palier. […] Cet énoncé […] indique bel et bien que l’employeur reconnaît que l’on a dit au fonctionnaire que son traitement se situerait à l’échelon du milieu de l’échelle salariale.

À l’époque, comme l’échelle salariale pour le poste de CO-02 selon la convention collective allait de 53 865 $ à 76 311 $, l’offre salariale faite au fonctionnaire s'estimant lésé était une rémunération initiale de 65 086 $, soit le cinquième des neuf échelons de l’échelle salariale, c’est-à-dire le milieu de l’échelle.

Lorsque l’offre salariale a été présentée, cependant, la convention collective était expirée depuis le 21 juin 2003. Par conséquent, l’échelle salariale était une cible mouvante. L’employeur était d’avis que, vu l’instruction et l’expérience du fonctionnaire s'estimant lésé, ce dernier méritait une rémunération supérieure au minimum, mais non pas le maximum. L’offre raisonnable était de lui verser la rémunération se situant au milieu de l’échelle salariale. Voilà comment l’offre a été présentée, et c’est ainsi qu’elle a été acceptée par le fonctionnaire.

La négociation collective s’est terminée un certain temps après. En fait, la nouvelle convention collective n’a été signée que le 24 mai 2005. L’échelle salariale a été restructurée par suite de la négociation, ce qui a donné lieu à la suppression du premier échelon de l’échelle des salaires et à l’adjonction d’un autre échelon au niveau maximum. Cette restructuration signifiait que le milieu de l’échelle salariale s’était déplacé. Pour que l’employeur continue de remplir la promesse de verser au fonctionnaire s'estimant lésé une rémunération se situant au milieu de l’échelle des salaires, la rémunération du fonctionnaire aurait dû être rajustée, rétroactivement, pour se situer au milieu de la nouvelle échelle salariale, c’est-à-dire à 67 894 $. Outre la restructuration, il y a eu des augmentations des taux existants. Donc, rétroactivement, la rémunération initiale du fonctionnaire aurait dû être de 69 591 $. Toutefois, l’employeur a simplement appliqué la nouvelle échelle au montant salarial particulier du fonctionnaire. Ce dernier a bel et bien reçu rétroactivement une augmentation, mais au montant salarial qui reflétait alors l’échelon inférieur au milieu de l’échelle.

Quoique le différend soit centré sur ce qui a été verbalement offert et accepté entre M. Jones et le fonctionnaire s'estimant lésé, la convention collective entre en jeu. Une application appropriée de la convention collective et notamment de l’échelle salariale à la situation du fonctionnaire aurait dû donner lieu à augmentation d’un échelon pour tenir compte du déplacement du milieu de l’échelle.

On allègue que le présent grief peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’al. 209(1)a) de la LRTFP. L’application de la convention collective était nécessaire pour déterminer la rémunération du fonctionnaire en mai 2005, et on prétend qu’une application appropriée de l’échelle salariale restructurée aurait fait en sorte que M. Matear serait demeuré au milieu de cette nouvelle échelle. Il aurait dû être rétroactivement placé à ce qui est devenu le cinquième échelon de l’échelle au lieu d’être essentiellement classé au nouveau quatrième échelon de l’échelle.

En particulier, la stipulation 45.02 prévoit qu’un employé a droit à une rémunération pour services rendus « au taux précisé à l’appendice « A » pour la classification du poste auquel il est nommé […] ».Il est allégué que l’employeur n’a pas rémunéré le fonctionnaire pour services rendus conformément à la convention. Une fois les taux restructurés, l’employeur a appliqué la convention collective et ses dispositions sur les taux de rémunération, au niveau de rémunération du fonctionnaire à l’époque, en se fondant sur le salaire initial de 65 086 $ plutôt que sur l’échelon salarial restructuré de 69 591 $ du « milieu ». Il est incontestable que le présent grief se rapporte à une disposition de la convention collective et qu’un arbitre de grief a compétence pour entendre ledit grief et rendre une décision en se basant sur les faits.

L’argument de la préclusion s’applique de manière à empêcher l’employeur d’invoquer les strictes modalités de la convention, ce qui, si l’on partait du salaire de base comme montant, donnerait lieu à ce qui est arrivé ici : le fonctionnaire s'estimant lésé a été classé à un échelon inférieur au milieu de l’échelle. Le fonctionnaire affirme qu’en raison de la promesse qui lui a été faite de lui verser une rémunération se situant au milieu de l’échelle, une promesse à laquelle il s’est fié à son détriment, l’employeur est tenu, en vertu du principe de préclusion, d’interpréter ainsi la convention collective. L’argument de la préclusion signifie nécessairement que la convention collective est en cause.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

C. Réfutation de l’employeur

12 Voici les arguments de l’employeur présentés en guise de réfutation :

[Traduction]

[…]

Point no 1 : La question de savoir si la politique Rémunération supérieure au minimum au moment de la nomination d’un employé provenant de l’extérieur de la fonction publique est applicable

Le fonctionnaire s'estimant lésé maintient que la politique susmentionnée (la « Politique ») ne s’applique pas aux questions en litige et il affirme ceci [traduction] : « La convention collective reconnaît au fonctionnaire s'estimant lésé le droit fondamental à une rémunération ». Même si, de manière générale, la convention collective prévoit que les employés ont des droits fondamentaux en matière de rémunération, en ce qui concerne le fonctionnaire s'estimant lésé, celui-ci a été recruté de l’extérieur de la fonction publique et a eu droit à une rémunération supérieure au minimum applicable. S’il a eu une rémunération supérieure au minimum, c’est précisément grâce àl’application de la Politique et non de la convention collective.

Par conséquent, il est quelque peu illogique que le fonctionnaire s'estimant lésé déclare que la Politique n’est pas en cause. L’application de celle-ci à l’embauche du fonctionnaire est entendue,  compte tenu des faits. Il n’était pas nécessaire que l’employeur renvoie expressément à la Politique aux précédents paliers de la procédure de règlement des griefs, tout particulièrement parce que les paliers précédents ne se sont pas penchés sur la question particulière de la compétence de la CRTFP en l’espèce. Toutefois, dans la réponse au présent grief au dernier palier, on a bel et bien rappelé au fonctionnaire que les modalités de l’embauche entraient dans le cadre de la Politique1.

[…]

Point no 2 : Applicabilité de la convention collective

Le fonctionnaire s'estimant lésé affirme que la question à trancher en l’espèce [traduction] « se rapporte à la question de savoir comment l’offre salariale a été faite au fonctionnaire s’estimant lésé et si cette offre constituait une promesse que l’employeur n’a pas tenue lorsque les taux de rémunération prévus dans la convention collective ont été renégociés ».

Le principe de la préclusion promissoire est examiné plus en détail ci-après. Veuillez cependant noter que la thèse de l’employeur est que, par sa propre manière de formuler la question, le fonctionnaire s'estimant lésé concède pour l’essentiel que le point litigieux porte sur l’interprétation d’une entente alléguée et non sur « l’interprétation ou l’application […] de toute disposition d’une convention collective […] » de sorte que l’affaire entrerait dans le cadre de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP.

De plus, la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Dubé c. Canada (Procureur général)2n’appuie pas l’argument du fonctionnaire à ce sujet. Sur la foi des faits dans Dubé, les employés s’estimant lésés alléguaient que l’employeur n’avait pas respecté l’engagement qu’il avait soi-disant pris lors de l’embauche de leur accorder priorité de rappel dans les mortes-saisons. La Cour a statué que les griefs pouvaient à juste titre être réglés par le ministère comme se rapportant au paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne LRTFP ») parce qu’ils concernaient les modalités d’emploi. Toutefois, on a jugé que de tels griefs ne pouvaient être renvoyés à l’arbitrage parce qu’ils ne s’inscrivaient pas dans la catégorie visée au paragraphe 92(1) de l’ancienne LRTFP.

De même, dans le cas qui nous occupe, le grief a, à juste titre, été soumis à l’employeur dans le cadre de la procédure interne de règlement des griefs en vertu de l’art. 208 de la LRTFP, mais il ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’art. 209 de la LRTFP.

[…]

Point no 3 : Le principe de la préclusion promissoire s’applique-t-il?

Dans les relations de travail, les parties invoquent généralement le principe de la préclusion promissoire pour justifier un écart par rapport à la convention collective (comme des arguments fondés sur la pratique antérieure). En l’espèce, le fonctionnaire s'estimant lésé semble dire qu’il avait été entendu que sa rémunération se situerait au milieu de l’échelle salariale, au-delà de l’embauche initiale, et que l’échelle salariale était une cible mouvante. En toute déférence, nous considérons que cet argument ne constitue pas une application appropriée du principe de la préclusion promissoire et qu’il n’est pas l’expression du sens commun en matière de relations d’emploi.

Les éléments fondamentaux permettant d’établir l’existence de la préclusion promissoire sont :

1. une promesse claire et précise, expresse ou implicite, visant à modifier la relation juridique entre les parties;

2. une promesse qui a amené celui qui l’a reçue à agir autrement qu’il l’aurait fait dans d’autres circonstances.

Canada (Conseil du Trésor) c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1984] A.C.F. no 79 (C.A.); Dubé c. Canada (Procureur général), [2006] A.C.F. no 1014 (C.F.).

Selon les faits de l’espèce, le fonctionnaire s'estimant lésé s’était vu offrir, dans la lettre d’embauche, la somme se situant au milieu de l’échelle salariale. On ne conteste pas qu’il a accepté et touché cette rémunération.

La lettre d’offre (onglet 1 des pièces jointes qui ont précédemment été fournies par l’employeur) ne contient aucune mention d’arrangements entre les parties en matière de paiement futur. Il n’y a donc pas de preuve d’une promesse claire et précise de verser au fonctionnaire s'estimant lésé une rémunération se situant [traduction] « au milieu de l’échelle salariale » pour quelque période au-delà de l’embauche initiale. Sans la preuve d’une promesse claire et précise, l’argument de la préclusion doit être rejeté.

En outre, l’affirmation qu’il pouvait y avoir une entente de paiement au-delà de ce qui apparaissait à la date de l’embauche défie la logique. Ce n’est pas une pratique normale ou habituelle que des parties s’entendent à tout jamais sur le fait que le taux de rémunération d’une personne sera toujours fixé [traduction] « au milieu de l’échelle salariale ». D’ailleurs, une telle entente aurait empêché le fonctionnaire s'estimant lésé d’obtenir des augmentations salariales, dans le cadre d’avancements ou de  promotions, pouvant le placer au maximum de l’échelle. Enfin, les faits indiquent clairement que la convention collective avait expiré en juin 2003 et que la nouvelle n’a été signée que le 24 mai 2005. Donc, étant donné que les nouvelles échelles salariales et les nouveaux taux de rémunération étaient inconnus des parties à la date de la négociation et de la signature de la lettre de l’offre au fonctionnaire, il est impossible que les parties se soient entendues là-dessus. Cela empêcherait aussi d’arguer une préclusion, puisque, pour établir le bien-fondé d’une cause en invoquant une préclusion, le fonctionnaire s'estimant lésé doit prouver que l’employeur savait quels droits il abandonnait quand il a fait la promesse sur laquelle la préclusion était basée6. Manifestement, comme les modalités de la nouvelle convention collective étaient inconnues à l’époque de la lettre d’offre, il aurait été impossible pour l’employeur d’abandonner un droit.

Par conséquent, le principe de la préclusion promissoire n’est pas applicable en l’espèce.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

[Notes de bas de page de l’original omises]

III. Motifs

13 Le paragraphe 209(1) de la Loi définit l’objet d’un renvoi à l’arbitrage. Dans le contexte du grief individuel en cause dans la présente décision, les passages pertinents du paragraphe 209(1) se lisent comme suit :

[…]

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

[…]

14 Pour statuer sur l’objection de la compétence qui m’a été présentée, je dois déterminer si l’objet du grief renvoyé à l’arbitrage par le fonctionnaire s’estimant lésé porte sur « […] l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale […] » au sens de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. Dans la négative, je n’ai pas compétence pour aller de l’avant.

15 Le fonctionnaire s’estimant lésé a énoncé l’essentiel de son allégation dans la première phrase de son grief [traduction] : « Je présente un grief par suite du refus de l’employeur de continuer d’honorer l’entente que nous avions conclue à l’époque de l’embauchage et selon laquelle je serais rémunéré au taux de l’échelon du milieu de l’échelle salariale des CO-02 ». Fait significatif, le fonctionnaire n’a pas allégué dans son grief que l’employeur avait violé une disposition de la convention collective. Il n’a pas explicitement lié son problème de rémunération à une mauvaise application ou interprétation d’un droit qu’il aurait et que son employeur devrait respecter en vertu de la convention collective.

16 Au contraire, le fonctionnaire s’estimant lésé a déterminé la source du problème comme étant le manquement de l’employeur à son obligation d’honorer leur entente. Les observations écrites établissent clairement qu’il s’agit d’une entente conclue par le fonctionnaire s’estimant lésé et le représentant en recrutement de l’employeur avant la date à laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé est devenu un employé. L’effet de l’entente était que le fonctionnaire devait recevoir, au moment de l’embauche, une rémunération se situant au milieu de l’échelle salariale des CO-02. La représentante de l’employeur ne conteste pas l’existence d’une telle entente.

17 Le paragraphe 2(1) de la Loi définit comme suit l’expression « convention collective » :

[…]

« convention collective » Convention écrite conclue en application de la partie 1 entre l’employeur et un agent négociateur donné et renfermant des dispositions relatives aux conditions d’emploi et à des questions connexes.

[…]

18 L’entente dont le fonctionnaire s’estimant lésé sollicite l’exécution n’était clairement pas une « convention collective » au sens de la Loi. Même si l’entente se rapportait à une condition d’emploi, le dossier n’indique pas qu’elle a été mise par écrit. Fait d’importance particulière, l’agent négociateur n’était pas partie à l’entente et rien ne prouve que l’employeur et l’agent négociateur ont, pour des fins liées à l’embauche du fonctionnaire, modifié la convention collective alors en vigueur. L’engagement qui avait été pris de verser au fonctionnaire une rémunération se situant au milieu de l’échelle salariale des CO-02 était incontestablement une entente privée.

19 En soi, la violation d’une entente privée ne peut constituer le fondement d’un renvoi valable à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. Pour établir un fondement en matière de compétence selon l’alinéa 209(1)a), le fonctionnaire s’estimant lésé doit au moins produire une preuve prima facie que le grief porte sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

20 Sur ce point, la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé affirme ceci :

[Traduction]

[…]

Quoique le différend soit centré sur ce qui a été verbalement offert et accepté entre M. Jones et le fonctionnaire s'estimant lésé, la convention collective entre en jeu. Une application appropriée de la convention collective et notamment de l’échelle salariale à la situation du fonctionnaire aurait dû donner lieu à une augmentation d’un échelon pour tenir compte du déplacement du milieu de l’échelle. […]

L’application de la convention collective était nécessaire pour déterminer la rémunération du fonctionnaire s’estimant lésé en mai 2005, et on prétend qu’une application appropriée de l’échelle salariale restructurée aurait fait en sorte que M. Matear serait demeuré au milieu de cette nouvelle échelle. Il aurait dû être rétroactivement placé à ce qui est devenu le cinquième échelon de l’échelle au lieu d’être essentiellement classé au nouveau quatrième échelon de l’échelle.

En particulier, la stipulation 45.02 prévoit qu’un employé a droit à une rémunération pour services rendus « au taux précisé à l’appendice « A » pour la classification du poste auquel il est nommé […] ».

[…]

21 De la manière que je comprends la situation à partir des faits incontestés dans les observations des parties, le fonctionnaire s’estimant lésé a, avant de devenir un employé, conclu avec Industrie Canada une entente selon laquelle sa rémunération au moment de l’embauche se situerait au milieu de l’échelle salariale des CO-02. L’employeur a fait au fonctionnaire une offre officielle d’emploi prévoyant un traitement annuel de 65 086 $. Le fonctionnaire a signé l’offre pour signifier son acceptation et a commencé son emploi le 4 décembre 2003. À cette date-là, le montant de 65 086 $ représentait le cinquième échelon ou l’échelon du milieu d’une échelle salariale à neuf échelons pour les CO-02 en vertu des modalités alors en vigueur d’une convention collective ayant expiré le 21 juin 2003. Le 24 mai 2005, un an et demi après l’entrée en fonction du fonctionnaire, les parties ont signé une convention collective de remplacement qui incorporait les modalités d’une décision arbitrale en date du 11 avril 2005. Certaines des modalités de la décision, notamment en matière de paye, se sont appliquées rétroactivement au 22 juin 2003. Une partie du nouveau régime de rémunération comportait une restructuration des échelles salariales. D’après la restructuration, l’échelon minimum existant de l’échelle salariale des CO-02 a été supprimé à compter du 22 juin 2003, et un nouvel échelon maximum a été ajouté à la même date. Il en est résulté encore une échelle salariale à neuf échelons pour les CO-02, mais le montant de 65 086 $ est devenu le quatrième échelon de l’échelle des CO-02, soit un échelon se situant au-dessous du cinquième échelon ou du nouvel échelon du milieu, d’un montant de 67 894 $. Tous les échelons de l’échelle ont alors été rajustés selon une augmentation économique prenant aussi effet le 22 juin 2003. Le taux de 65 086 $ est passé à 66 713 $, et celui de 67 894 $ est passé à 69 591 $.

22 D’après la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé [traduction], « […] une application appropriée de la convention collective […] aurait dû donner lieu [pour le fonctionnaire s’estimant lésé] à une augmentation d’un échelon pour tenir compte du déplacement du milieu de l’échelle [je souligne] ». Une application appropriée de l’échelle salariale restructurée [traduction] « […] aurait fait en sorte que M. Matear serait demeuré au milieu de cette nouvelle échelle ». L’inférence directe est que payer le fonctionnaire en vertu de la nouvelle convention collective au quatrième échelon de l’échelle des CO-02 plutôt qu’au cinquième échelon représentait une mauvaise application de la convention collective.

23 La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a-t-elle en l’espèce produit une preuve prima facie que la violation alléguée de l’entente privée qui consistait à payer le fonctionnaire lors de l’embauche au taux de l’échelon du milieu de l’échelle des salaires des CO-02 est liée à l’interprétation ou à l’application d’une disposition de la convention collective, entrant ainsi dans le cadre des pouvoirs d’un arbitre de grief? Dans l’affirmative, en quoi cette violation se rapporte-t-elle à une disposition de la convention collective?

24 La note 5 sur la rémunération (appendice « A ») de la convention collective régissait expressément l’application de la restructuration de l’échelle :

5. Restructuration de la paye

(1) Les employés qui au 22 juin 2003 auront été rémunérés au maximum de leur niveau depuis au moins douze (12) mois passent au nouveau maximum le 22 juin 2003.

(2) Les employés qui au 22 juin 2003 auront été rémunérés au 1er échelon de l’échelle salariale passent à l’échelon suivant plus élevé de l’échelle de salaire le 22 juin 2003. La date d’anniversaire demeure inchangée.

25 Aucun élément de la note 5 sur la rémunération ne traitait de la situation des employés rémunérés à des taux autres que le maximum ou le minimum dans l’échelle salariale restructurée des CO-02. Ladite note régissait seulement le cas des employés rémunérés au maximum de leur niveau depuis au moins 12 mois au 22 juin 2003, ainsi que le cas des employés rémunérés au plus bas échelon ou « 1er échelon »; deux cas ne s’appliquant pas à la situation du fonctionnaire s’estimant lésé.

26 Sans autre disposition expresse quant à la restructuration de l’échelle, la règle générale exprimée dans la note 1 sur la rémunération doit être appliquée :

1. L’employé […] est rémunéré à la date d’entrée en vigueur applicable de rajustement des taux de rémunération, selon l’échelle des nouveaux taux figurant juste au-dessous de son ancien taux, sauf que l’employé qui, durant la période d’effet rétroactif, a été rémunéré, à sa première (1re) nomination, à un taux de rémunération supérieur au minimum ou, après une promotion ou une mutation, à un taux de rémunération supérieur aux taux précisés par les règlements sur les promotions ou les mutations, est rémunéré selon la nouvelle échelle de taux au taux de rémunération immédiatement supérieur à celui auquel il a été nommé et, à la discrétion de l’administrateur général, peut être rémunéré à n’importe quel taux jusque et y compris le taux figurant juste au-dessous de celui qu’il touchait.

27 Dans son argumentation, la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas explicitement fait référence à la note 1 sur la rémunération.

28 La seule disposition de la convention collective expressément citée par la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a été la stipulation 45.02 :

45.02 Un employé a droit à une rémunération pour services rendus :

a) au taux précisé à l’appendice « A » pour la classification du poste auquel il est nommé si la classification coïncide avec celle qui est prescrite dans son certificat de nomination,

ou

b) au taux précisé à l’appendice « A » pour la classification prescrite dans son certificat de nomination, si cette classification et la classification du poste auquel il est nommé ne coïncident pas.

29 À mon avis, le grief ne se rapporte pas de façon plausible à l’interprétation ou à l’application de la stipulation 45.02 de la convention collective. Cette disposition prévoit que l’employé doit être payé selon l’échelle salariale qui coïncide avec sa classification; en d’autres termes, un CO-02 doit être payé selon l’échelle salariale des CO-02 précisée à l’appendice « A ». Cela n’indique pas à quel échelon de l’échelle l’employé doit être payé. Le différend ne peut reposer sur la stipulation 45.02.

30 Sans un lien expressément allégué à une autre disposition de la convention collective, l’essentiel de l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé doit, je crois, nous ramener à la note 1 sur la rémunération. Quoique n’étant pas explicitement mentionnée par la représentante du fonctionnaire dans ses observations, la note 1 sur la rémunération est implicitement invoquée, mais sous une forme quelque peu différente.

31 Entre parenthèses, la note 1 sur la rémunération semble bien établir comme exception à la règle normale pour l’application de la restructuration de l’échelle, la situation de l’employé qui, durant la période d’effet rétroactif, a été rémunéré, à sa première nomination, à un taux supérieur au minimum. Toutefois, dans son grief initial, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas soutenu que sa situation était une exception au sens de la note 1 sur la rémunération, et sa représentante ne m’a présenté aucun argument à cet égard.

32 À première vue du moins, une simple lecture de la note 1 sur la rémunération indique que l’intention des parties était qu’un employé rémunéré comme CO-02 au taux de 65 086 $ figurant à la ligne « De :» de l’appendice « A » soit rémunéré lors de la restructuration au taux de 65 086 $ figurant à la ligne « X :», soit le taux immédiatement au-dessous, puis au taux de 66 713 $ figurant à la ligne « A :» (augmentation économique), soit là encore le taux immédiatement au-dessous :

                   De :             […] 59 477  62 286  65 086  67 894  70 694 […]

                   X :               […] 59 477  62 286  65 086  67 894  70 694 […]

                   A :               […] 60 964  63 843  66 713  69 591  72 461 […]

Voilà en fait le résultat que conteste le fonctionnaire s’estimant lésé.

33 Selon la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé [traduction], « […] [u]ne fois les taux restructurés, l’employeur a appliqué la convention collective et ses dispositions sur les taux de rémunération, au niveau de rémunération du fonctionnaire à l’époque, sur le fondement du salaire initial de 65 086 $ plutôt que du nouveau salaire restructuré de 69 591 $ se situant au « milieu ». » Je crois comprendre que la thèse sous-jacente du fonctionnaire est que l’employeur ne devrait pas appliquer la règle normale de restructuration de la paye figurant à la note 1 sur la rémunération de la convention collective. Le fonctionnaire prétend que l’intention qui sous-tend l’entente privée prime ce qui peut sans doute être l’interprétation normale de la note 1 sur la rémunération. Suivant la position du fonctionnaire, l’employeur aurait d’abord dû lui verser la rémunération se situant au nouveau milieu de l’échelle salariale des CO-02 (67 894 $) à la ligne « X » rétroactivement à la date de l’embauche, puis seulement alors mettre en œuvre l’augmentation économique à la ligne « A » résultant en un taux final de 69 591 $ :

                   De :             […] 59 477  62 286  65 086  67 894  70 694 […]

                   X :               […] 59 477  62 286  65 086  67 894  70 694 […]

                   A :               […] 60 964  63 843  66 713  69 591  72 461 […]

34 Ici, la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé invoque le principe de la préclusion. La préclusion est nécessaire au cas qu’elle fait valoir, car le fonctionnaire ne veut pas que la convention collective s’applique telle qu’elle était rédigée :

[Traduction]

[…]

L’argument de la préclusion s’applique de manière à empêcher l’employeur d’invoquer les strictes modalités de la convention, ce qui, si l’on partait du salaire de base comme montant, donnerait lieu à ce qui est arrivé ici : le fonctionnaire s'estimant lésé a été classé à un échelon inférieur au milieu de l’échelle. Le fonctionnaire affirme qu’en raison de la promesse qui lui a été faite de lui verser une rémunération se situant au milieu de l’échelle, une promesse à laquelle il s’est fié à son détriment, l’employeur est tenu, en vertu du principe de la préclusion, d’interpréter ainsi la convention collective. L’argument de la préclusion signifie nécessairement que la convention collective est en cause.

[…]

35 La logique de la position du fonctionnaire s’estimant lésé est qu’un arbitre de grief peut considérer qu’il a compétence parce que la source du problème était l’application, par l’employeur à la situation du fonctionnaire, d’une disposition de la décision arbitrale/convention collective. Pour reprendre les termes de la représentante du fonctionnaire, [traduction] « […] [l]’argument de la préclusion signifie nécessairement que la convention collective est en cause ». En en appliquant les modalités, l’employeur a donné lieu à un résultat problématique qui portait nécessairement sur « […] l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale […] », faisant ainsi intervenir l’alinéa 209(1)a) de la Loi.

36 L’analyse qui précède m’amène à préciser la question de compétence qui m’est soumise : s’agit-il d’un grief « portant sur » l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective au sens de l’alinéa 209(1)a) de la Loi, même si la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé soutient en réalité que l’employeur devrait être préclus d’appliquer la convention collective et qu’il devrait plutôt exécuter une entente privée conclue à une fin différente?

37 En posant de cette manière la question de compétence, je signale que je ne souscris pas à la thèse de l’employeur que le véritable objet du grief était la politique du Conseil du Trésor sur la rémunération supérieure au minimum au moment de la nomination, soit un texte faisant autorité qui déborde le cadre de la compétence d’un arbitre de grief d’après l’avocate de l’employeur. À mon avis, la question de savoir si l’employeur a correctement appliqué cette politique en concluant l’entente de verser au fonctionnaire s’estimant lésé une rémunération se situant au milieu de l’échelle n’est pas la véritable question. Dans cette mesure, je suis d’accord avec la représentante du fonctionnaire quand elle dit que [traduction] « […] la politique précitée n’aidera pas à trancher le présent différend ».

38 La décision Evans et al., invoquée par la représentante de l’employeur, ne m’aide guère non plus à trancher la question de compétence que j’ai posée. Dans Evans et al., l’arbitre de grief n’arrivait même pas à trouver une disposition de la convention collective ayant plus qu’une « quelconque pertinence » relativement au grief dont il était saisi. Tel n’est pas le cas en l’espèce. L’application de la note 1 sur la rémunération joue nettement un rôle dans la compréhension du résultat salarial auquel s’oppose le fonctionnaire s’estimant lésé.

39 Les décisions Weber et Cherrier, citées par la représentante de l’employeur, indiquent qu’il importe d’examiner l’intention sous-jacente à un grief quand on évalue la question de compétence. Cet examen dans Weber vise à déterminer la pertinence de recourir à une procédure d’arbitrage pour trancher la question, plutôt qu’à une procédure devant les tribunaux. Dans Cherrier, la question était la compétence de l’arbitre de grief pour examiner une affaire de discrimination vu l’existence, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, d’un « autre recours administratif de réparation » au sens de l’article 91 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Aucun de ces deux objets ne s’applique directement en l’espèce. Malgré l’importance manifeste de comprendre l’intention sous-jacente du grief, au sens général énoncé dans Weber, je ne crois pas que cette exigence me soustraie au devoir d’examiner davantage l’application de la Loi en déterminant s’il s’agit d’un grief « portant sur » l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective au sens de l’alinéa 209(1)a).

40 Que signifient les termes anglais « related to » (« portant sur ») qui figurent à l’alinéa 209(1)a) de la Loi? Sans une indication législative claire à cet égard, je crois qu’il convient de donner à ces termes leur sens ordinaire. Dans The New Shorter Oxford Dictionary, édition de 1993, Clarendon Press, Oxford, le mot « related » est défini comme suit [traduction] : « ayant un rapport avec, connexe [...] ». Dans le même dictionnaire faisant autorité, le terme « connection » (connexion) est défini comme suit [traduction] : « relation ou association causale ou logique, (une) interdépendance […] ». Dans The Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., Oxford University Press, Toronto, 2004, le terme « related » est défini comme signifiant [traduction] « associé ». Dans Merriam-Webster’s Collegiate Dictionary, 4e éd., Merriam-Webster, Springfield, Massachusetts, 2004, le terme « related » est défini comme suit [traduction] : « lié en raison d’une relation établie ou susceptible d’être découverte ».

41 Au sens attribué aux termes par ces dictionnaires faisant autorité, il semble que, si un grief comporte une association ou une relation avec une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ou qu’il y est connexe, alors on peut dire qu’il s’agit d’un grief « related to » (« portant sur ») cette disposition de la convention collective ou de la décision arbitrale.

42 Présumons pour l’instant que la meilleure manière de décrire l’intention sous-jacente du grief comme étant d’exiger que l’employeur respecte l’entente privée préalable à l’embauche qu’il a conclue avec le fonctionnaire s’estimant lésé concernant le taux de rémunération de ce dernier à la nomination. Cette description tend à avoir pour effet de distancier de la convention collective le différend fondamental. Néanmoins, à mon avis, l’interprétation ou l’application de la note 1 sur la rémunération entre nécessairement en jeu, même lorsque l’intention sous-jacente au grief est ainsi décrite. En fin de compte, c’est l’application, par l’employeur, de la restructuration de l’échelle salariale selon la note 1 sur la rémunération qui a fait que le fonctionnaire s’est senti lésé. Que celui-ci ait eu raison ou non de se sentir lésé — ou qu’il y ait ou non un fondement à son allégation que l’employeur doit respecter la promesse qu’il lui a faite, vu la préclusion ou autre chose — c’est en définitive l’application, par l’employeur, de la note 1 sur la rémunération à la situation particulière du fonctionnaire qui a causé le problème. Il y a un lien ou une association. En ce sens, l’intention sous-jacente au grief de faire exécuter l’entente privée porte bel et bien sur l’interprétation ou l’application de la note 1 sur la rémunération de la convention collective. Le lien n’est pas « quelconque » comme dans Evans. Il me semble être plus direct et important.

43 Cela dit, il est possible de décrire l’intention sous-jacente au grief d’une manière différente qui établit le lien avec la convention collective plus clairement. L’intention qui sous-tend un grief est intimement liée à ce que celui-ci cherche à réaliser. Au lieu de décrire l’intention sous-jacente au grief en l’espèce comme visant l’exécution d’une entente privée — soit un moyen en vue d’une fin, mais non l’objectif lui-même — posons plutôt comme postulat que le véritable objet du grief est d’exiger que l’employeur paie rétroactivement le fonctionnaire à un différent taux de rémunération à compter de la restructuration de l’échelle, en incorporant à l’application de la note 1 sur la rémunération la prise en compte de la promesse faite lors de l’embauche par l’employeur concernant le taux de rémunération du fonctionnaire à la nomination. Reformulé ainsi, le lien entre l’intention sous-jacente au grief et la convention collective ressort davantage. L’intention est d’obtenir une différente application de la restructuration de l’échelle salariale exigée par la convention collective, et plus particulièrement par la note 1 sur la rémunération, eu égard aux circonstances particulières du fonctionnaire.

44 Selon l’une ou l’autre des descriptions de l’intention qui sous-tend le grief, je conclus que je ne peux pas accueillir l’objection de la compétence par l’employeur. Je pense qu’il y a dans les observations de la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé un lien prima facie entre l’intention sous-jacente au grief et une disposition de la convention collective applicable. À cet égard, je considère que le grief porte sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective au sens de l’alinéa 209(1)a) de la Loi.

45 Les présents motifs de décision se limitent à la question de compétence. La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué le principe de préclusion à l’appui de son affirmation selon laquelle l’employeur doit payer le fonctionnaire à un taux de rémunération différent. La représentante de l’employeur a répondu à cet argument. L’une des parties ou les deux peuvent vouloir présenter d’autres éléments de preuve ou d’autres observations sur l’argument de la préclusion ou sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. À moins que les parties conviennent qu’il n’est pas nécessaire de produire d’autres éléments de preuve et qu’elles avisent le greffe de la Commission qu’elles se fonderont sur les observations écrites qui ont été déposées jusqu’à maintenant, je crois qu’il est approprié de tenir une audience sur le fond du grief. À titre subsidiaire, les parties peuvent demander qu’une décision soit rendue uniquement sur la foi d’autres observations écrites.

46 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

47 L’objection de la compétence est rejetée.

48 La directrice des Opérations du greffe et politiques de la Commission fixera une date pour l’audition du grief sur le fond, en consultation avec les représentantes des parties, à moins que les parties demandent et que l’arbitre de grief accepte d’instruire l’affaire à partir des observations écrites déjà déposées ou d’autres observations écrites devant être présentées.

Le 18 février 2008.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Dan Butler,
arbitre de grief

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