Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a soutenu que l’intimé avait fait preuve d’abus de pouvoir dans quatre domaines. Premièrement, par rapport à l’application du principe du mérite, le plaignant a fait valoir que l’exécution des fonctions quotidiennes du poste nécessitait du titulaire une expérience récente à titre de pilote et que le candidat reçu ne possédait aucune expérience de pilotage. Deuxièmement, selon le plaignant, l’intimé avait fait peu de cas de la norme de classification et modifié les qualifications essentielles pour le poste intérimaire; l’exigence d’une expérience récente du pilotage d’un aéronef n’aurait pas dû être rayée des qualifications essentielles pour le poste. Troisièmement, le plaignant a estimé qu’il y avait abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé. Enfin, il a fait valoir que l’intimé n’avait pas donné une notification de la nomination en temps opportun. L’intimé a répliqué que la personne nommée possédait toutes les qualifications essentielles pour le poste intérimaire; le plaignant n’était tout simplement pas d’accord avec la classification du poste. L’intimé a soutenu d’autre part que le Tribunal n’avait pas compétence pour rendre une décision concernant la classification du poste en question et que l’employeur disposait du droit exclusif de classifier des postes. L’intimé a enfin ajouté que pour ce qui concerne les autres allégations, la décision de recourir à un processus non annoncé n’avait pas été prise dans le but précis d’exclure la candidature du plaignant; les notifications relatives à la nomination intérimaire avaient été transmises au bon moment. Décision : Le Tribunal n’a pas compétence pour déterminer si un poste est classifié correctement et selon les normes de classification applicables. Toutefois, le Tribunal a compétence pour instruire une plainte selon laquelle l’administrateur général aurait abusé de son pouvoir en établissant des qualifications essentielles ou des atouts additionnels ne répondant pas ou ne dépassant pas les normes de qualifications applicables établies pour l’employeur par l’Agence de la fonction publique du Canada. Étant donné que la nomination portait sur un poste intérimaire temporaire et que la personne nommée répondait aux critères de mérite du poste, la plainte d’abus de pouvoir au motif que le candidat reçu ne possédait pas les qualifications essentielles liées au poste, cette plainte n’était pas justifiée. Enfin, le Tribunal a conclu que la notification tardive n’était pas une erreur assez grave pour conclure à l’abus de pouvoir. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2006-0258
Rendue à:
Ottawa, le 26 novembre 2007

EDWARD RINN
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L'INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Guy Giguère, président
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités et al.
Référence neutre:
2007 TDFP 0044

Motifs de la décision

Introduction

1 Edward Rinn se plaint qu’il n’a pas été nommé au poste de gestionnaire régional par intérim, Sécurité du système, Aviation civile, Région des Prairies et du Nord pour raison d’abus de pouvoir. Essentiellement, sa plainte est que ce poste requiert une expérience récente du pilotage d’un aéronef, ce que, selon lui, la personne nommée, Marc Beaulne, n’a pas.

Contexte

2 Le plaignant, Edward Rinn, est un employé de Transports Canada travaillant à un poste du groupe et niveau AO-CAI-02, au sein du groupe Navigation aérienne (AO) à Edmonton (Alberta). Il est représenté par l’Association des pilotes fédéraux du Canada (l’APFC), qui est l’agent négociateur accrédité pour tous les employés qui appartiennent au groupe AO. Le 8 décembre 2006, il a présenté une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP). La plainte est liée à un processus de nomination interne non annoncé (numéro 06MOTAIWPG008453) pour le poste de gestionnaire régional par intérim, Sécurité du système, Aviation civile, Région des Prairies et du Nord (TI-08). L’intimé est le sous‑ministre du ministère des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, et il est responsable de Transports Canada.

3 Le poste de gestionnaire régional, Sécurité du système de l’Aviation (ACE‑02944), est classifié aux groupe et niveau AO-CA1-05. La personne qui occupe le poste doit répondre aux normes de qualification du groupe AO qui exigent, pour un poste du groupe AO-CAI, la possession d’une licence canadienne de pilote valide. Un poste « fantôme » semblable au poste d’attache, mais sans les exigences relatives à l’attestation de pilote, a été créé en mai 2005 en vue d’une affectation intérimaire. Par conséquent, la description de travail a été réécrite pour le poste fantôme de gestionnaire régional par intérim, Sécurité du système, et a été classifié aux groupe et niveau T1‑08. La nomination initiale de M. Beaulne en juillet 2006 était pour une période de moins de quatre mois, et cette période a été prolongée jusqu’à la fin mars 2007.

4 Le plaignant soutient qu’il y a eu abus de pouvoir dans quatre domaines, à savoir dans l’application du principe du mérite, dans le fait de ne pas avoir tenu compte des qualifications essentielles du poste à des fins de dotation intérimaire, dans le choix d’un processus de nomination non annoncé et pour ce qui est du défaut de fournir une notification de la nomination en temps opportun.

5 L’intimé répond que la personne nommée satisfaisait à toutes les qualifications essentielles du poste intérimaire, et que le plaignant n’est tout simplement pas d’accord avec la classification du poste, un aspect que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner. En ce qui concerne les autres allégations, l’intimé affirme que la décision de recourir à un processus non annoncé n’a pas été prise dans le but précis d’exclure le plaignant, et que les notifications relatives à la nomination intérimaire ont été fournies en temps opportun.

Résumé de la preuve pertinente

6 Le plaignant a 30 ans d’expérience à titre de pilote. Il a exploité sa propre entreprise d’aviation commerciale pendant cinq ans avant de devenir un employé de Transports Canada en 1985. Il a travaillé de 1992 à 2000 dans le domaine de la sécurité du système en tant qu’agent régional de la sécurité aérienne aux groupe et niveau AO-CAI-02. Il travaille actuellement à la division Aviation commerciale et d'affaires en tant qu’inspecteur de l’aviation civile aux groupe et niveau AO-CAI-02.

7 Au cours des dernières années, le plaignant a exprimé son intérêt pour un poste de direction. Il a exprimé cet intérêt dans son examen du rendement et évaluation de l'employé (EREE), dans son plan d’apprentissage personnel et lors de conversations avec des cadres de direction. Par exemple, dans son EREE de 2005, il a précisé qu’il avait démissionné récemment de son poste de président régional de l’association d’employés et qu’il croyait avoir beaucoup de compétences transférables qui feraient de lui un membre efficace de l’équipe de direction.

8 Le plaignant a demandé des affectations intérimaires de trois mois ou plus. Il a acquis de l’expérience dans un poste intérimaire de surintendant à la division de l’Aviation commerciale et d'affaires; il a aussi occupé de plusieurs jours à une semaine, un poste de gestionnaire régional par intérim, Sécurité du système.

9 M. Rinn a examiné en détail la description de travail du poste fantôme et a signalé les domaines de sécurité aérienne où la possession d’une licence de pilote serait encore nécessaire. Il explique qu’il est absolument nécessaire d’avoir une expérience de pilotage dans le domaine de la sécurité du système, car 85 % des accidents peuvent être attribuables à des facteurs humains. Il affirme que le titulaire du poste de gestionnaire régional par intérim, Sécurité du système, devrait comprendre le point de vue du pilote et avoir de l’expérience en pilotage d’un aéronef pour effectuer le travail.

10 M. Philémon Paquette, un témoin du plaignant, a été qualifié par le Tribunal pour agir à titre de témoin expert en classification. Son expertise dans le domaine de la classification n’a pas été contestée par les autres parties, cependant il a admis lors du contre‑interrogatoire qu’il n’était pas un spécialiste de la dotation. Il a expliqué qu’aux termes de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11(LGFP), le Conseil du Trésor agit à titre d’employeur et est responsable de la classification des postes au sein de la fonction publique en vertu de l’alinéa 11.1 b) de la LGFP. Aux termes de la Politique sur le système de classification et la délégation de pouvoirs, l’Agence de la fonction publique du Canada (l’AFPC), qui fait partie du Conseil du Trésor, autorise les administrateurs généraux à classifier les postes au sein de leur ministère conformément aux normes de classification.

11M. Paquette a indiqué que le poste fantôme n’est pas classifié correctement aux groupe et niveau TI‑08, car cette classification ne respecte pas la norme de classification du groupe AO. Il ajoute que l’inclusion de ce poste dans le groupe AO, demeure, même si l’obligation de posséder une licence de pilote valide ou d’avoir une expérience récente du pilotage d’un aéronef a été supprimée dans la description de poste. Il affirme que la seule façon que ce poste ne soit pas inclus dans le groupe AO serait de retirer la responsabilité relative à la sécurité aérienne. M. Paquette déclare aussi que l’agente de classification a commis une erreur lorsqu’elle a classifié le poste fantôme aux groupe et niveau TI-08. Il affirme qu’une personne peut être nommée à ce niveau seulement pour une période de moins de quatre mois, car aucun recours n’est possible à l’encontre de cette nomination.

12 M. Paquette rappelle qu’à l’automne 2003, Transports Canada a tenté d’obtenir une modification de la norme de classification AO-CAI afin de permettre la nomination de personnes qui, bien qu’elles ne possèdent pas de licence de pilote, avaient des connaissances équivalentes. L’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada, prédécesseur de l’AFPC, a refusé cette demande et a enjoint à Transports Canada d’appliquer les normes de classification sans modification.

13 Kate Fletcher a témoigné au nom de l’intimé, car elle est directrice régionale, Aviation civile, Région des Prairies et du Nord, depuis mai 2006. Auparavant, elle occupait le poste de gestionnaire régionale, Aviation commerciale et d'affaires, Région des Prairies et du Nord. Elle explique que le nouveau régime de réglementation donne lieu à une transformation en profondeur au sein de l’aviation civile. Transports Canada change sa façon de travailler avec l’industrie et subit une modification de son organisation interne. Chaque poste sera examiné et réévalué dans le cadre du programme national de mise en oeuvre de la transition au sein des organisations. Les descriptions de travail seront examinées, réécrites et dûment reclassifiées. Un moratoire sur la dotation de postes de direction pour une période indéterminée dans le domaine de l’aviation civile a été décrété partout au pays. Tous ces postes pourraient être modifiés, et la direction veut éviter de nommer une personne pour une période indéterminée à un poste qui pourrait être classifié ultérieurement à un niveau inférieur.

14 Lorsque Mme Fletcher est devenue directrice régionale, elle a eu à affronter une situation difficile, car il y avait cinq gestionnaires par intérim et un certain nombre de postes vacants dans la région. Cette situation perdure toujours, et plusieurs postes seront vacants d’ici la fin de l’année. Elle explique que l’Aviation civile, Région des Prairies et du Nord, subira des changements en profondeur dans le cadre de l’organigramme proposé alors que seulement quatre secteurs relèveront de son autorité. Les employés ont été constamment tenus au courant des changements et ont pris part à la réorganisation grâce à des séances de discussion ouverte, à des communiqués, à un site Web à jour et à des rencontres personnelles.

15 Beaucoup de nominations intérimaires sont disponibles, et toute personne qualifiée ou qui veut obtenir une affectation intérimaire aura la possibilité d’en obtenir une. La démarche adoptée par la direction consiste à accorder la priorité aux employés de l’unité de travail.

16 Le poste de gestionnaire régional, Sécurité du système, était vacant depuis quelques années. Mme Fletcher a rencontré le gestionnaire précédent, qui l’a informée que trois employés de Sécurité du système avaient fait part de leur intérêt pour une affectation intérimaire à ce poste, à savoir : Jack Koosel (AO-CAI-02), Tom Umscheid (AO-CAI-02) et Marc Beaulne (TI-06).

17 Mme Fletcher était convaincue que trois des huit employés de la division constituaient un bassin adéquat. Les affectations de perfectionnement intérimaires étaient occupées à tour de rôle, et c’était maintenant le tour de M. Beaulne d’obtenir une telle affectation. Mme Fletcher avait besoin d’une personne qui pourrait assumer très rapidement une responsabilité de direction au sein de Sécurité du système; par conséquent, elle n’a pas examiné la possibilité de nommer une personne en provenance d’autres divisions.

18 Mme Fletcher affirme que le poste fantôme avait été créé aux fins de l’intérim, et l’obligation de posséder une expérience récente du pilotage d’un aéronef avait alors été supprimée. Il s’agissait de la pratique habituelle à Transports Canada en ce qui concerne seulement les nominations intérimaires. En 2005, une description de travail a été préparée, le poste a été classifié aux groupe et niveau TI-08, puis le tout a été approuvé à des fins de nominations intérimaires temporaires par Carol McGetnick, agente de classification. M. Marc Beaulne n’a pas témoigné à l’audience, mais Mme Fletcher a déclaré qu’il avait occupé ce poste du 5 mai 2005 au 2 septembre 2005 sous la supervision du gestionnaire précédent.

19 Mme Fletcher a examiné la description de travail du poste TI-08 (gestionnaire régional par intérim, Sécurité du système) pour déterminer si elle pouvait accepter les fonctions qui y étaient énoncées. La description de travail répondait à ses exigences, car elle voulait trouver une personne qui allait se concentrer sur les fonctions de direction du poste, à savoir les finances et la planification des ressources humaines, la gestion de programme et la collaboration avec l’industrie. Après avoir examiné la description de travail, elle était convaincue que l’affectation de M. Beaulne serait appropriée.

Questions en litige

20Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en ne tenant pas compte de la norme de classification et en nommant une personne qui ne répondait pas aux qualifications essentielles du poste?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé?
  3. Quelle mesure corrective peut être utilisée si on constate qu’il y a eu abus de pouvoir?

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

21 Le plaignant soutient que les plaintes pour abus de pouvoir reposent fortement sur la preuve et que, comme le Tribunal l’a indiqué dans la décision Tibbs c. le Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008, chaque plainte doit être évaluée au cas par cas. La décision Tibbs, supra, est un bon guide pour les parties pour préparer leurs dossiers respectifs en vue de répondre aux allégations d’abus de pouvoir. En l’espèce, l’intimé a abusé de son pouvoir en s’appuyant sur des éléments insuffisants et en ne tenant pas compte d'éléments pertinents, notamment le fait que pour exécuter les fonctions quotidiennes de ce poste, il était nécessaire de posséder une expérience récente en tant que pilote. Qui plus est, la nomination de M. Beaulne a conduit à un résultat inéquitable, car on s’attend à ce qu’une personne ne possédant pas d’expérience du pilotage exécute des fonctions dans le cadre desquelles il est absolument nécessaire de posséder de l’expérience en pilotage.

22 Selon le plaignant, les fonctions fondamentales du gestionnaire régional, Sécurité du système, sont liées aux opérations de sécurité, ce qui exige que le titulaire du poste possède une expérience récente du pilotage d’un aéronef. Le fait que le travail soit effectué de façon intérimaire ou permanente n’a pas d’importance. En conséquence, l’intimé a abusé de son pouvoir en ne tenant pas compte de la norme de classification et en modifiant les qualifications essentielles pour le poste intérimaire. L’exigence de posséder une expérience récente du pilotage d’un aéronef n’aurait jamais dû être supprimée en tant que qualification essentielle pour le poste. La nomination d’une personne ne possédant pas les qualifications essentielles liées au poste constitue une violation manifeste du principe du mérite aux termes du paragraphe 30(2) de la LEFP et, en soi, constitue un abus de pouvoir en vertu de la LEFP.

23 Le plaignant affirme qu’il n’existe aucune autre forme de recours. Une demande de décision soumise à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP) visant à déterminer si un employé ou une catégorie d’employés fait partie d’une unité de négociation aux termes de l’article 58 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (LRTFP) ne serait d’aucune aide pour le plaignant, car ce dernier n’est pas le titulaire du poste.

24 Le plaignant déclare également que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a choisi d’utiliser un processus de nomination non annoncé. La réécriture de la description de travail qui a mené à la suppression de toute référence à un brevet de pilote et la période qui s’est écoulée avant que les employés soient avisés de la prolongation de la nomination intérimaire constitue un effort concerté visant à empêcher des membres du groupe AO d’avoir une occasion d’avancement au poste de gestionnaire régional, Sécurité du système de l’Aviation.

25 Le plaignant affirme que l’utilisation d’un processus non annoncé par l’intimé est suspecte. L’APFC a présenté des requêtes à la CRTFP conformément à l’article 58 de la LRTFP. Par ces requêtes, le plaignant voulait obtenir une déclaration indiquant que les postes de direction et de supervision semblables, qui ont été reclassifiés par l’employeur à Transports Canada sont intégrés de façon plus appropriée dans le groupe AO. Mme Fletcher déclare qu’elle était au courant du fait que deux de ces demandes avaient été présentées en mai 2006. Comme il s’agit d’une question à régler entre l’intimé et l’agent négociateur, il existait une certaine obligation d’informer l’agent négociateur avant la nomination de M. Beaulne aux groupe et niveau TI-08. Lorsque la décision de prolonger la nomination intérimaire pour une période supplémentaire de cinq mois a été prise le 31 octobre 2006, aucun avis à cet effet n’a été remis à l’agent négociateur. L’intimé savait que les employés et l’agent négociateur s’opposeraient à cette prolongation.

B) Argumentation de l’intimé

26 L’intimé soutient, comme il l’a fait dans la décision Pugh c. le Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2007] TDFP 0025, que l’abus de pouvoir doit se limiter à la mauvaise foi, au favoritisme personnel ou à une action fautive semblable.

27 L’intimé soulève une objection préliminaire, à savoir que le Tribunal n’a pas compétence pour statuer sur la plainte en l’espèce. Selon lui, l’essence de la plainte est liée à la classification des postes à Transports Canada, et non à la dotation. L’intimé affirme que le Tribunal n’a pas compétence pour trancher la question de la violation alléguée en matière de classification. La même question a été soumise à la CRTFP, car l’APFC a présenté trois requêtes en vertu de l’article 58 de la LRTFP.

28 L’intimé est d’accord avec le plaignant sur le fait qu’il y aurait abus de pouvoir si le Tribunal déterminait que l’intimé avait nommé une personne qui ne répondait pas aux qualifications essentielles du poste. Toutefois, l’employeur dispose du droit exclusif de classifier des postes, et le Tribunal n’a pas compétence pour rendre une décision concernant la classification du poste en question.

29 Aucun élément de preuve ne vient appuyer l’allégation selon laquelle l’intimé avait l’intention de dissimuler la nomination et, par conséquent, avait abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé. Mme Fletcher a maintenu un dialogue avec les employés en les tenant informés des changements organisationnels qui avaient lieu dans la région. La nomination intérimaire initiale a été affichée malgré le fait qu’il n’existait aucune obligation de fournir un avis à cet égard.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

30 La Commission de la fonction publique (la CFP) a présenté son argumentation par écrit, accompagnée de la jurisprudence pertinente. Comme c’était le cas dans les dossiers précédents présentés devant le Tribunal, la CFP affirme qu’en général, pour conclure qu’il y a eu abus de pouvoir, il faut avoir constaté une intention illégitime.

31 L’argumentation de la CFP en ce qui concerne la plainte en l’espèce est que, même si le Tribunal déterminait que la personne nommée ne répondait pas aux qualifications essentielles du poste, cela ne constituerait pas un abus de pouvoir. La CFP déclare que ce n’est pas seulement le résultat qui doit être examiné, mais plutôt ce qui a été fait dans les circonstances en l’espèce. Selon la CFP, le Tribunal doit déterminer si l’intention peut être imputée en raison d’une erreur ou omission très sérieuse, ou si la personne a été nommée par favoritisme ou de mauvaise foi.

Analyse

Question I: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en ne tenant pas compte de la norme de classification et en nommant une personne qui ne répondait pas aux qualifications essentielles du poste?

32 Les parties ont toutes adopté une démarche différente par rapport à l’allégation selon laquelle la personne nommée, M. Beaulne, ne répond pas aux qualifications essentielles du poste. Selon le Tribunal, le point de départ de l’analyse est la disposition applicable de la LEFP.

33 La plainte en l’espèce a été présentée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, qui porte sur les critères de nomination fondés sur le mérite énoncés au paragraphe 30(2) de la LEFP. Ces dispositions doivent être lues simultanément :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2); (…)

30. (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

b) la Commission prend en compte :

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

34 Au paragraphe 44 de la décision Visca c. le Sous-ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024, le Tribunal a expliqué dans quelle mesure le mérite a changé dans la LEFP par rapport à l’ancienne LEFP :

En vertu de l’ancienne LEFP, il y avait motif d’appel lorsque le mérite relatif n’était pas réalisé. Le processus était normatif, le classement était obligatoire et tout écart par rapport au processus risquait de se traduire par un appel accueilli. Aujourd’hui, en vertu du paragraphe 30(2) de la LEFP, le gestionnaire dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour choisir, parmi les postulants qui répondent aux qualifications essentielles, la personne qui, selon son jugement, est la bonne personne pour occuper le poste.

35 Le mérite est maintenant lié au mérite individuel; pour être nommée, la personne doit répondre aux qualifications essentielles se rapportant au travail à effectuer. Il existe une latitude considérable pour choisir la personne qui fera l’objet d’une nomination. Cependant, l’exigence fondamentale pour nommer une personne sur la base du mérite est que la personne doit être qualifiée pour le poste.

36 La CFP déclare que si une personne non qualifiée est nommée à un poste, cette situation constituerait un abus de pouvoir seulement si on peut déterminer qu’il y a eu une intention illégitime, ou si une telle intention peut être imputée. Le Tribunal a rejeté ce point de vue dans la décision Tibbs, supra, et dans des décisions subséquentes. Une telle approche irait à l’encontre de l’intention du législateur et de l’objectif de la LEFP qui est, entre autres, de créer une fonction publique sur la base du mérite.

37 Le préambule de la LEFP met en évidence le fait que le législateur reconnaît les avantages d’une fonction publique fondée sur le mérite et que cette valeur doit être protégée de façon indépendante. Comme le Tribunal a déclaré au paragraphe 61 de la décision Tibbs, supra :

Dans l’interprétation du sens d’abus de pouvoir dans le contexte des plaintes déposées en vertu de la LEFP, le Tribunal doit tenir compte de l’esprit de la LEFP y compris du préambule. Les préambules sont des composantes facultatives des lois; le législateur a choisi d’inclure un préambule dans la LEFP. Un préambule est « considéré faire partie intégrante d’une loi » [traduction] et peut aider à la recherche de l’intention du législateur : Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham : Butterworths, 2002), à la p. 296.

38 Le paragraphe 30(1) de la LEFP indique clairement que les nominations doivent être fondées sur le mérite. De son côté, le paragraphe 30(2) établit les critères permettant de procéder à une nomination fondée sur le mérite. L’alinéa 77(1)a) de la LEFP fournit un droit de recours contre un abus de pouvoir de la part de la CFP ou de l’administrateur général lors d’une nomination faite en vertu du paragraphe 30(2). Le législateur a exprimé son intention sans équivoque selon laquelle le mérite serait protégé de façon indépendante, ce qui est assuré par le recours devant le Tribunal. Le recours prévu à l’alinéa 77(1)a) de la LEFP porte sur cette question en matière de nomination, nommément, si la nomination ou la nomination proposée est fondée sur le mérite. Ce n’est pas une question liée à une intention illégitime. Si la personne nommée ne répond pas aux qualifications essentielles, peu importe l’intention, la nomination n’est pas fondée sur le mérite. Comme il est expliqué dans la décision Tibbs, supra :

[74] (…) Le législateur n’aurait pas pu envisager qu’il n’y aurait aucun recours en vertu de la LEFP lorsque, par exemple, un gestionnaire, de façon involontaire, procèderait à une nomination qui donnerait lieu à un résultat déraisonnable ou discriminatoire. Lorsqu’un gestionnaire involontairement procède à une nomination qui va clairement à l’encontre de la logique et des renseignements disponibles, cela peut ne pas constituer un acte de mauvaise foi, un acte répréhensible intentionnel ou une conduite irrégulière, mais le gestionnaire peut avoir abusé de son pouvoir discrétionnaire.

39 Le plaignant soutient que la classification du poste intérimaire aux groupe et niveau TI‑08 est invalide et que, par conséquent, la nomination de M. Beaulne constitue un abus de pouvoir. Selon le plaignant, il ne répond tout simplement pas à la qualification essentielle de l’expérience de pilote. L’intimé, quant à lui, convient que la nomination d’une personne qui ne possède pas les qualifications essentielles constituerait un abus de pouvoir, mais affirme que le Tribunal n'a pas compétence pour déterminer la classification du poste.

40 Le paragraphe 31(2) de la LEFP indique que les qualifications essentielles établies pour un poste par l’administrateur général et utilisées pour procéder à une nomination fondée sur le mérite, doivent respecter ou dépasser les normes de qualification applicables établies par l’employeur. L’article 31 est ainsi rédigé :

31. (1) L’employeur peut fixer des normes de qualification, notamment en matière d’instruction, de connaissances, d’expérience, d’attestation professionnelle ou de langue, nécessaires ou souhaitables à son avis du fait de la nature du travail à accomplir et des besoins actuels et futurs de la fonction publique.

(2) Les qualifications mentionnées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i) doivent respecter ou dépasser les normes de qualification applicables établies par l’employeur en vertu du paragraphe (1).

41 Le paragraphe 31(2) fait référence à l’alinéa 30(2)a) et au sous‑alinéa 30(2)b)(i) et, par conséquent, il s’applique aux critères pour que la nomination soit fondée sur le mérite. Ainsi, le Tribunal a compétence pour entendre une plainte voulant que l’administrateur général ait abusé de son pouvoir en établissant des qualifications essentielles ou supplémentaires qui ne répondent pas ou ne dépassent pas les normes de qualification applicables établies par l’AFPC pour l’employeur.

42 M. Paquette a témoigné que conformément à la Politique sur le système de classification et la délégation de pouvoir, l’AFPC délègue le pouvoir de classification des postes aux administrateurs généraux. En réalité, lorsqu’un administrateur général délégataire classifie un poste, il le fait au nom de l’employeur. La décision de déléguer le pouvoir de classification aux administrateurs généraux et la façon dont cette délégation de pouvoir est exercée n’est pas du ressort du Tribunal. Ainsi, le Tribunal n’a pas compétence pour déterminer si un poste est classifié correctement selon les normes de classification applicables.

43 Par conséquent, le Tribunal ne peut pas trancher la question de savoir si l’intimé a respecté la norme de classification.

44 Le Tribunal doit déterminer si M. Beaulne répond aux qualifications essentielles du poste fantôme. L’agente de classification qui a classifié le poste le 24 juin 2005 a indiqué que la classification n’était approuvée que pour des nominations intérimaires temporaires. Bien que la période d’affectation initiale ait été de moins de quatre mois, la classification du poste intérimaire n’est pas limitée dans le temps à une période de moins de quatre mois.

45 La nomination initiale de M. Beaulne pour une période de moins de quatre mois a été prolongée jusqu’au 31 mars 2007. Mme Fletcher affirme que M. Beaulne répond aux qualifications essentielles du poste fantôme, et que la situation est temporaire et durera jusqu’à ce que la réorganisation soit terminée.

46 En se fondant sur la preuve présentée à l’audience, le Tribunal constate que la nomination concernait un poste intérimaire temporaire tel qu’indiqué, et que M. Beaulne répond aux critères de mérite du poste fantôme. La plainte d’abus de pouvoir fondée sur ce motif n’est donc pas justifiée.

Question II: L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé?

47 L’article 33 de la LEFP accorde à la CFP ou à son délégataire le pouvoir discrétionnaire de choisir entre un processus annoncé ou un processus non annoncé pour procéder à une nomination. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu. En vertu de l’alinéa 77(1)b) de la LEFP, une plainte peut être présentée devant le Tribunal à l’encontre de la CFP ou de son délégataire pour abus de pouvoir lors du choix d’un processus annoncé ou non annoncé. Les dispositions pertinentes de la LEFP sont les suivantes :

33. La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

77. (1) Lorsque la Commission a fait uneroposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(…)

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas; (…)

48 Comme la jurisprudence du Tribunal l’a établi, il revient au plaignant de prouver qu’il y a eu abus de pouvoir selon la prépondérance des probabilités. Autrement dit, si la preuve est telle que le Tribunal peut affirmer qu’il existe une forte probabilité en ce sens, on considérerait alors que le plaignant se serait acquitté du fardeau de preuve qui lui incombait.

49 Le plaignant allègue que l’intimé a délibérément choisi un processus non annoncé afin de dissimuler la nomination de M. Beaulne aux groupe et niveau TI‑08. Le plaignant affirme qu’il existait une certaine obligation d’informer l’agent négociateur avant de procéder à la nomination, car il s’agissait d’une question sur laquelle l’intimé et l’agent négociateur étaient en désaccord.

50 L’article 14 de la LEFP comporte des dispositions relatives à la consultation de l’agent négociateur en ce qui concerne certaines lignes directrices de la CFP, et l’article 27 en ce qui concerne certains règlements du Conseil du Trésor. Cependant, la LEFP n’exige pas la consultation de l’agent négociateur ni l’envoi d’une notification à l’agent négociateur avant ou après une nomination non annoncée. L’alinéa 48(1)b) de la LEFP exige seulement que les personnes qui se trouvent dans la zone de sélection soient informées de la nomination.

51 Le Tribunal juge que le plaignant n’a fourni aucune preuve qu’il y a eu dissimulation. Au contraire, le poste de gestionnaire régional, Sécurité du système, est resté vacant pendant plusieurs années et trois employés, y compris M. Beaulne, ont occupé le poste de façon intérimaire pendant cette période. M. Beaulne a occupé ce poste pour la première fois du 5 mai 2005 au 2 septembre 2005, et la deuxième fois du 1er juillet 2006 au 31 octobre 2006. Une notification a été affichée pour annoncer qu’il occupait le poste aux groupe et niveau TI-08. Lorsque cette nomination intérimaire a été prolongée, une autre notification de nomination a été affichée le 27 novembre 2006. Bien que la notification ait été faite en retard, il ne s’agit clairement pas, d’une preuve suffisante en soi, pour que le Tribunal conclue qu’il y a eu dissimulation. D’ailleurs, compte tenu des circonstances de cette plainte, cette erreur n’est manifestement pas de nature sérieuse et n’indique pas qu’il y a eu un acte répréhensible qui pourrait constituer un abus de pouvoir.

52 En conséquence, le Tribunal juge que l’allégation n’est pas justifiée.

Question III : Quelle mesure corrective peut être utilisée si on constate qu’il y a eu abus de pouvoir?

53 Comme le Tribunal n’a pas établi le bien-fondé de la plainte, il n’est pas nécessaire de traiter cette question.

Décision

54 Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Guy Giguère

Président

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2006-0258
Intitulé de la cause:
Edward Rinn et le Sous-ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités et al.
Audience:
Les 27 et 28 août 2007
Edmonton (Alberta)
Date des motifs:
Le 26 novembre 2007

Comparutions:

Pour le plaignant:
Phil Hunt
Pour l'intimé:
Caroline Engmann
Pour la Commission
de la fonction publique:
Lili Ste-Marie
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