Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a précisé que son poste d’attache a été reclassifié. Il s’en estimait titulaire et cette qualité aurait dû lui valoir une nomination au poste reclassifié au terme d’un processus non annoncé. L’argumentation du plaignant se résumait comme suit : Il a été muté au poste en question et ses fonctions n’ont pas changé par la suite; son échec au test standardisé ne devrait pas entraîner la contestation de ses qualifications puisqu’il avait été jugé qualifié au moment de sa mutation; il avait reçu une rémunération d’intérim, ce qui indiquait clairement qu’il avait les qualifications nécessaires pour le poste; sa plainte n’avait rien d’un grief de classification car il ne contestait pas la classification du poste de PM-06. Le plaignant a soutenu d’autre part qu’il ne s’agissait pas d’un « nouveau » poste au sens des Lignes directrices sur la reclassification de l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada (AGRHFPC). L’intimé a formulé sa réplique en ces termes : la Loi sur l’emploi dans la fonction publique confère le pouvoir discrétionnaire d’utiliser un processus de nomination annoncé ou non annoncé; rien dans la LEFP ou dans des lignes directrices quelconques n’indique que l’utilisation d’un processus non annoncé est obligatoire, que ce soit pour un nouveau poste ou pour la reclassification d’un poste existant. La distinction entre un nouveau poste et un poste reclassifié n’est pas pertinente. Rien ne prouvait que la décision d’opter pour un processus annoncé s’apparentait à de la mauvaise foi ou du favoritisme personnel. L’intimé a décidé d’évaluer les candidats au moyen d’un test standardisé. Le plaignant ne l’a pas subi avec succès et sa candidature a été retirée du processus. La Commission de la fonction publique (CFP) a maintenu que son pouvoir d’enquêter sur les nominations – pour ensuite prendre les mesures correctives nécessaires – est délégué à l’administrateur général. Elle précisait d’autre part que pour qu’un processus de sélection constitue un abus de pouvoir, il doit y avoir un élément d’intention comme la mauvaise foi ou le favoritisme personnel. Décision: La LEFP stipule clairement que l’administrateur général a le pouvoir discrétionnaire d’utiliser un processus de nomination annoncé ou non annoncé. La LEFP ne fait aucune distinction entre un poste nouveau et un poste reclassifié; il n’existe aucune utilisation obligatoire d’un processus annoncé ou non annoncé pour la dotation d’un poste nouveau ou reclassifié. La candidature du plaignant n’a pas été retenue pour une nomination ou proposition de nomination par suite de son manquement aux critères du mérite sur la base d’un test standardisé choisi par l’intimé, et non pas à cause du choix du processus de nomination. Le plaignant n’a pas réussi à prouver qu’il y a eu abus de pouvoir sur la base d’une erreur de droit dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Les Lignes directrices de l’AGRHFPC n’ont pas été publiées en vertu de la LEFP ou de son Règlement; elles ne constituent donc pas une forme de loi apparentée au Règlement. Une mauvaise interprétation des lignes directrices de l’AGRHFPC n’est pas une erreur de droit susceptible de créer les conditions d’un abus de pouvoir. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2006-0114
Rendue à:
Ottawa, le 3 août 2007

ROBERT KANE
Plaignant
ET
L'ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL DE SERVICE CANADA AU SEIN DU MINISTÈRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77 (1)b) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Sonia Gaal, vice-président
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Kane c. Administrateur général de Service Canada et al.
Référence neutre:
2007 TDFP 0035

Motifs de la décision

Introduction

1 Le 11 septembre 2006, M. Robert Kane a présenté une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Le plaignant a posé sa candidature à un poste de gestionnaire, Services aux collectivités et services en personne [Traduction] (numéro du processus : 06‑CSD‑IA‑NFLD‑SC‑02) (PM-06) au ministère des Ressources humaines et du Développement social - Service Canada.

2 Le plaignant affirme que l’intimé, l’administrateur général de Service Canada, a abusé de son pouvoir de deux façons. Premièrement, l’intimé a déclaré que son poste d’attache était un nouveau poste, et non un poste reclassifié. Et deuxièmement, pour doter le poste en question, l’intimé a choisi un processus interne annoncé au lieu d’un processus interne non annoncé.

3 Le Tribunal a tranché cette affaire sans tenir d’audience, conformément au paragraphe 99(3) de la LEFP. Le Tribunal a rendu la décision en se fondant sur les arguments présentés par les parties, qui sont examinés en détail et résumés ci-dessous.

Contexte

4 En mai 2005, une nouvelle structure organisationnelle intérimaire a été annoncée pour Service Canada, région de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, en ce qui concerne la gestion des secteurs d’activités à l’échelle de la région. Le secteur d’activités des Services aux collectivités et services en personne (SCSEP) [Traduction] a ensuite été créé.

5 Le 30 août, le poste de gestionnaire de la prestation de services, SCSEP (PM-05) a été créé. Le 1er septembre, le plaignant a été muté de son poste d’attache PM-05 au poste en question.

6 Le 6 octobre 2005, dans une note de service à l’intention de tous les employés de la région de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, on annonçait qu’en raison de la réorganisation intérimaire qui avait eu lieu en mai, il y aurait une étude visant à déterminer le niveau approprié de ressources à consacrer à l’Unité régionale de soutien de la direction responsable des SCSEP.

7 Une fois l’étude terminée, le 14 février 2006, le Comité régional de gestion a approuvé la création de l’Unité de soutien des SCSEP. Elle devait comprendre un gestionnaire régional (PM-06) et six employés, dont deux au niveau PM‑05, deux au niveau PM-04, un au niveau AS-03 et un au niveau CR-04.

8 En février, le Comité régional de gestion a mené un processus de nomination interne annoncé afin de doter les postes de PM-05 et PM-06. Le plaignant a posé sa candidature au poste de PM-06 en février 2006. L’intimé a évalué les candidats au moyen d’un test standardisé de la Commission de la fonction publique (la CFP), à savoir l’Exercice « in-basket » pour la gestion 810 (test standardisé).

9 Une note de service en date du 1er mars et portant sur la réorganisation de l’administration régionale a été envoyée à tous les employés de la région de Terre‑Neuve‑et‑Labrador. La note de service indiquait que le poste de gestionnaire régional des SCSEP était envoyé à la classification aux fins de révision. Si le poste était classifié au niveau PM-06, il serait doté à partir du bassin de candidats créé à la suite du processus annoncé (PM-06) qui était en cours. La note de service indiquait aussi que « Bob Kane continuera d’occuper le poste de gestionnaire des SCSEP en attendant le résultat de l’examen de la classification » [Traduction].

10 Le poste de gestionnaire régional des SCSEP a été classifié au niveau PM‑06, en vigueur le 15 juin. Le plaignant occupait de façon intérimaire le poste de gestionnaire régional et, par conséquent, il a reçu une rémunération d’intérim rétroactive à compter du 14 février, date à laquelle le Comité régional de gestion avait approuvé la création du poste de gestionnaire régional des SCSEP.

11 Dans une lettre en date du 1er mai, on a informé le plaignant qu’il n’avait pas obtenu la note de passage au test standardisé, et que sa candidature avait donc été retirée du processus.

12 Dans un courriel en date du 9 août, on a informé le plaignant qu’à la fin de son affectation intérimaire, il pourrait continuer d’occuper un poste aux SCSEP au niveau de son poste d’attache PM-05, et qu’il pourrait être muté à un des postes PM-05 créé lors de la réorganisation, ou que son nom pourrait être inscrit sur une liste de bénéficiaires de priorité en vue d’occuper un autre poste vacant au niveau PM-05. Le travail effectué par le plaignant pendant son affectation intérimaire a aussi été reconnu en ces termes : « Il ne fait aucun doute que vous avez effectué un travail considérable au cours des derniers mois, et que ce travail a contribué grandement à la structure organisationnelle qui a été recommandée et approuvée (…) » [Traduction].

13 Le 31 août, on a informé le plaignant que son poste d’attache était déclaré excédentaire. On lui a offert une mutation à un poste de gestionnaire principal de projets au sein de la direction responsable des SCSEP. On lui a également demandé de continuer d’occuper le poste de gestionnaire régional des SCSEP de façon intérimaire jusqu’à la fin septembre ou jusqu’à ce qu’une nomination ait lieu, soit la première de ces éventualités, ce qu’il a accepté.

14 La plainte a été présentée au Tribunal le 11 septembre. Dans un courriel en date du 18 septembre qu’il a envoyé au Tribunal, l’intimé a confirmé qu’une personne avait été proposée en vue d’une nomination au poste de gestionnaire des Services aux collectivités et services en personne [Traduction].

Questions en litige

15 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. Y a-t-il eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination interne annoncé pour doter le poste de gestionnaire régional des SCSEP?
  2. Y a-t-il eu abus de pouvoir dans la décision de ne pas nommer le plaignant au poste en question?

Arguments

A) Arguments du plaignant

16 Le plaignant croit que son poste d’attache, gestionnaire de la prestation des services, SCSEP (PM-05), a été reclassifié et est devenu le poste de gestionnaire régional du secteur d’activités des SCSEP (PM-06).

17 Le plaignant soutient qu’aucun changement n’a été apporté aux fonctions de la date de sa mutation à aujourd’hui. La décision de reclassifier le poste a été prise pour répondre à des besoins opérationnels à l’échelle régionale, et non pour s’adapter à des changements au poste ou aux fonctions. Il considère qu’il en était le titulaire et que par conséquent, il aurait dû être nommé à ce poste reclassifié au terme d’un processus interne non annoncé.

18 Comme il s’agissait d’une reclassification et non d’un nouveau poste, le plaignant soutient que le poste aurait dû être doté au moyen d’un processus interne non annoncé qui lui aurait permis d’être nommé à ce poste. Son échec au test standardisé n’indique pas qu’il n’était pas qualifié pour occuper le poste pour lequel il avait été jugé qualifié lors de sa mutation. De plus, cette question n’est pas en jeu, car la plainte ne porte pas sur le résultat du processus PM-06.

19 Pour appuyer son point de vue, le plaignant a invoqué la décision Canada (Procureur général) c. Laidlaw (1997), 127 F.T.R. 305, [1997] A.C.F. no 410 (D.P.I.) (Q.L.) dans laquelle la Cour fédérale, Section de première instance, a conclu qu’un comité d’appel créé en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 (ancienne LEFP), avait compétence pour déterminer si un poste classifié était nouveau, mais ne pouvait pas réviser une décision en matière de classification comme telle. Dans cette affaire, comme le comité d’appel a estimé que le poste en question n’était pas un nouveau poste mais qu’il s’agissait plutôt d’une reclassification, les intimés, tout comme les titulaires déjà en poste, pouvaient voir leur candidature être prise en compte en vue d’une nomination en fonction de leur mérite individuel et sans concours, conformément à l’ancienne LEFP et au Règlement sur l’emploi dans la fonction publique afférent, DORS/93-286 (le REFP).

20Selon le plaignant, le Tribunal a également compétence pour déterminer si un poste est nouveau ou s’il a été reclassifié. Le plaignant affirme qu’il existe une corrélation directe entre, d’une part, de telles décisions et, d’autre part, un abus de pouvoir en ce qui concerne le choix entre un processus de nomination interne annoncé et un processus de nomination interne non annoncé. Comme le plaignant soutient : « Le Tribunal doit avoir le pouvoir de trancher des questions dont la nature même est directement liée aux mesures de dotation prises par l’employeur » [Traduction].

21 Le plaignant invoque aussi la décision Canada (Procureur général) c. Brault,[1987] 2 R.C.S. 489 ; [1987] A.C.S. No. 78 (QL), de la Cour suprême du Canada afin d’appuyer ses arguments selon lesquels il ne s’agissait pas d’un nouveau poste. Le juge Le Dain a abordé la question de savoir si un nouveau poste peut être créé à la suite d’un changement apporté aux fonctions d’un poste existant :

[13] (…) Lorsque, toutefois, comme en l'espèce, la modification des fonctions est suffisamment importante ou substantielle pour requérir des qualifications supplémentaires ou particulières, exigeant une évaluation et donc ce qui correspond à une nouvelle sélection pour le poste, un nouveau poste au sens de la Loi est alors créé. (…) (Q.L.)

22 Le plaignant soutient également qu’il ne s’agit pas d’un « nouveau » poste au sens des Lignes directrices sur la reclassification de l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada (AGRHFPC) et que par conséquent, on ne peut en établir le bien-fondé.

23 Finalement, le plaignant affirme que la plainte en l’espèce ne peut faire l’objet d’un grief de classification, car le plaignant ne conteste pas le fait que le poste a été correctement classifié au niveau PM-06. Sa plainte porte plutôt sur le fait qu’un processus annoncé a été utilisé au lieu d’un processus non annoncé. Selon le plaignant, il s’agit de l’équivalent du processus utilisé dans le passé pour les reclassifications, c’est-à-dire le processus de mérite individuel fondé sur les compétences.

24 En conclusion, le plaignant affirme que la présente affaire correspond soit à l’une ou l’autre, soit aux deux catégories d’abus relevées dans la décision Tibbs c. le Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008, à savoir un abus de pouvoir lorsqu’un résultat est inéquitable ou lorsqu’une erreur de droit a été commise dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

B) Arguments de l’intimé

25 L’intimé déclare que la LEFP confère le pouvoir discrétionnaire d’utiliser un processus de nomination annoncé ou non annoncé, et qu’il revient donc à l’intimé de déterminer quel processus il utilisera pour doter le poste.

26 Rien dans la LEFP ou dans des lignes directrices quelconques n’indique que l’utilisation d’un processus non annoncé est obligatoire, que ce soit pour un nouveau poste ou pour la reclassification d’un poste existant. Ainsi, la distinction entre un nouveau poste et un poste reclassifié n’est pas pertinente car la LEFP n’impose pas de processus obligatoire. Même dans la jurisprudence se rapportant à l’ancienne LEFP, l’utilisation d’un processus fondé sur le mérite individuel pour les postes reclassifiés n’était pas obligatoire.

27 Le Tribunal n’a pas compétence pour déterminer s’il s’agit d’un nouveau poste ou d’une reclassification, car cette décision n’a pas été prise en vertu de la LEFP. L’intimé déclare qu’il n’y a qu’une question en litige en l’espèce, à savoir si le fait de ne pas nommer le plaignant au poste en question constitue un abus de pouvoir.

28 Le Comité régional de gestion a décidé d’annoncer le poste ainsi que les autres postes de PM-05 et PM-06 dans la région afin que le processus soit juste, accessible et transparent et ce, dans le but de permettre à plus d’une personne de présenter leur candidature, surtout parce qu’il s’agit d’un nouveau poste à un niveau supérieur. Il n’y a aucune preuve que cette décision a été prise de mauvaise foi ou qu’elle impliquait du favoritisme personnel ou toute autre considération de nature semblable.

29 En outre, si le nouveau poste avait été classifié au niveau PM-06 dès le début, le plaignant n’aurait pas pu y être muté en septembre 2005, car il occupait un poste PM-05.

30 L’intimé a décidé d’évaluer les candidats au moyen d’un test standardisé que tous les candidats devaient réussir. Comme le plaignant l’a échoué, sa candidature a été retirée du processus. Le plaignant n’a pas été nommé au poste en question parce qu’il a échoué au test, et non pas parce qu’il s’agissait d’un processus annoncé.

31 Même si un processus non annoncé avait été utilisé, rien n’indique que le plaignant aurait dû être la seule personne dont la candidature devait être examinée en vue de la nomination.

32 L’intimé soutient que la jurisprudence sur laquelle s’appuie le plaignant n’est pas pertinente, car les notions de mérite relatif et de mérite individuel énoncés dans l’ancienne LEFP ne correspondent pas aux notions liées aux processus annoncés et non annoncés qui se trouvent dans la nouvelle LEFP.

33 Le fait que l’ancienne LEFP permettait une nomination sans concours fondée sur le mérite individuel dans un cas de reclassification ne détermine pas que l’intimé aurait dû ou devait utiliser un processus non annoncé en vertu de la LEFP actuelle, car dans un tel cas, le seul résultat possible aurait été la nomination du plaignant.

34 Le plaignant n’a pas réussi à s’acquitter de son fardeau de prouver que les circonstances entourant ce processus de nomination équivalent à un abus de pouvoir.

35 L’intimé affirme que le concept d’abus de pouvoir doit être défini de manière précise, car le paragraphe 2(4) de la LEFP porte sur la mauvaise foi et le favoritisme personnel. L’intimé soutient que, selon les principes acceptés d’interprétation des lois en ce qui a trait à la « règle des choses du même ordre » (ejusdem generis), la portée du terme « abus de pouvoir » peut se limiter à un genre ou à un ordre auquel appartiennent certaines choses en particulier, et plus précisément en l’espèce la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

36 Pour que la « règle des choses du même ordre » s’applique, les choses du même ordre en question doivent avoir une caractéristique ou un élément en commun. Cela comprend aussi la prise en considération d’un fait extérieur à la tâche en question, par exemple l’influence d’un facteur qui n’a clairement pas de sens lors de la nomination d’un fonctionnaire.

37 L’intimé affirme que l’administrateur général doit faire preuve de discernement en ce qui concerne les caractéristiques communes des termes « mauvaise foi » et « favoritisme personnel » tout comme il le ferait pour les termes « correct » et « incorrect », car les deux termes sont de nature très sérieuse et représentent les degrés les plus flagrants ou très sérieux d’action fautive. L’intimé donne comme exemples de termes correspondant à des choses du même ordre : corruption, insouciance extrême et sentiment d’hostilité.

38 L’intimé ajoute qu’en l’absence d’un cadre législatif, le critère énoncé par Jones et de Villars dans Principles of Administrative Law (Toronto, Carswell, 2004) ne constitue qu’un guide pour l’examen d’un cas d’abus de pouvoir discrétionnaire. Ce critère ne devrait pas constituer l’unique critère servant à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir en vertu de la LEFP.

39 Les autorités judiciaires invoquées à l’appui de la décision Jolin c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2007] TDFP 0011, qui soutiennent l’inclusion du critère élaboré par Jones et de Villars ne traitent pas de l’abus de pouvoir. L’exercice du pouvoir discrétionnaire qui fait l’objet d’un examen dans ces affaires était lié à un pouvoir discrétionnaire large pour lequel la loi habilitante ne fournissait ni directives ni entrave en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire, et qui ne fournissait pas non plus de paramètres législatifs sur lesquels un examen pourrait être fondé. Toutefois, on peut distinguer l’abus de pouvoir dans le contexte de la LEFP parce qu’il existe un cadre législatif.

40 La LEFP n’exige plus l’établissement d’une liste d’admissibilité, et il n’existe aucune obligation de trouver le candidat le plus méritoire ou d’examiner la candidature de plus d’une personne. Cependant, la personne nommée doit répondre aux qualifications essentielles et aux exigences relatives aux besoins opérationnels et aux besoins futurs tels qu’établis par un comité d’évaluation. L’article 36 de la LEFP prévoit qu’une méthode quelconque peut être utilisée par un administrateur général pour évaluer les qualifications d’un candidat. Cela constitue une différence considérable par rapport à l’ancienne LEFP et à son approche prescriptive.

41 Le plaignant affirme que le processus doit être statique et inflexible et que l’intimé doit utiliser un processus non annoncé afin de le nommer au poste en question. Une telle situation est contraire aux intentions énoncées par le législateur dans la nouvelle LEFP.

42 Le plaignant n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités et en étayant une preuve forte, que le choix du processus et son évaluation ont été influencés par un facteur quelconque correspondant à un abus de pouvoir tel que prévu dans la LEFP. L’intimé n’a pas le fardeau de prouver que le choix d’un processus annoncé ne constitue pas un abus de pouvoir.

43 La plainte doit être rejetée.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

44 Selon la CFP, le paragraphe 15(3) permet à un employé qui a des préoccupations de demander à l’administrateur général de mener une enquête concernant ces préoccupations. Bien que l’administrateur général ne soit pas tenu d’enquêter sur chaque demande, il s’agit d’un mécanisme qui peut être utilisé pour traiter un problème touchant un processus de dotation. La CFP ajoute que son pouvoir de mener des enquêtes et de prendre des mesures correctives aux termes du paragraphe 67(1) de la LEFP est délégué à l’administrateur général en vertu de l’article 15.

45 La définition large, fondée sur les catégories d’abus de pouvoir discrétionnaire énoncées par Jones et de Villars dans Principles of Administrative Law, supra, n’a pas de caractère obligatoire.

46 Pour qu’un acte posé dans le cadre d’un processus de sélection constitue un abus de pouvoir, il doit comprendre un refus de tenir compte d’une fonction officielle conjugué au fait de savoir que l’inconduite sera vraisemblablement préjudiciable au plaignant. Il doit y avoir un élément d’intention comme la mauvaise foi ou le favoritisme personnel.

D) Réponse de l’intimé aux arguments de la Commission de la fonction publique concernant le paragraphe 15(3) de la LEFP

47 L’intimé affirme qu’aucun recours n’est disponible en vertu du paragraphe 15(3) de la LEFP. L’intimé soutient qu’un administrateur général ne peut être contraint de mener une enquête chaque fois qu’on le lui demande et qu’il n’existe aucun droit de faire une telle demande. L’article 47 de la LEFP prévoit un mécanisme de discussions informelles si un employé a des préoccupations au sujet d’un processus de nomination. L’employé peut présenter une plainte auprès du Tribunal si ces discussions informelles ne lui donnent pas satisfaction; il s’agit là de l’unique recours disponible.

48 L’intimé conclut en déclarant que la question à savoir s’il existe un droit de recours en vertu du paragraphe 15(3) de la LEFP n’est pas pertinente en ce qui concerne la présente plainte.

E) Réponse du plaignant

49 Le plaignant a répondu aux arguments présentés par l’intimé et par la CFP.

Réponse à l’intimé

50 Une fois qu’on a déterminé si un poste est nouveau ou reclassifié, il faut examiner d’autres paramètres. Les pratiques passées et présentes à Terre‑Neuve‑et‑Labrador ont toujours consisté à nommer le titulaire lorsque son poste est reclassifié. Il incombe à l’employeur de continuer de traiter avec les employés touchés par une reclassification d’une façon juste et cohérente.

51 Le choix entre un processus annoncé ou non annoncé, combiné au fait que le poste est doté et qu’il s’agissait d’une reclassification, signifie que l’intimé, en n’agissant pas de façon cohérente avec les postes reclassifiés précédemment, a commis un abus de pouvoir.

52 Les circonstances entourant le poste du plaignant montrent clairement que les critères s’appliquant à un poste reclassifié sont respectés. De plus, on a jugé que le plaignant était qualifié pour continuer d’occuper le poste de façon intérimaire jusqu’à la nomination, et les fonctions et les responsabilités n’ont aucunement changé pendant la période au cours de laquelle le plaignant a occupé le poste.

Réponse à la CFP

53 Dans sa réponse à la CFP, le plaignant soutient que l’intimé n’a fait aucune proposition ou recommandation afin que les préoccupations soient examinées en conformité avec l’article 15 ou avec l’article 67 de la LEFP au moyen d’une enquête interne au lieu d’une plainte présentée en vertu de l’article 77. L’intimé doit assumer la responsabilité de la façon dont il traite les mécanismes de recours utilisés par ses employés.

54 Dans sa conclusion, le plaignant affirme que le fait qu’il ait reçu une rémunération intérimaire indique et confirme clairement qu’il était qualifié pour exécuter les fonctions du poste. Le fait qu’il n’ait pas réussi un aspect du concours ne constitue pas une évaluation exacte de ses qualifications en tant que gestionnaire. Le plaignant reste pleinement qualifié pour exécuter les fonctions du poste.

55 La décision de ne pas nommer le plaignant constitue un abus de pouvoir.

Analyse

Question I : Y a-t-il eu abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination interne annoncé pour doter le poste de gestionnaire régional des SCSEP?

56 Le plaignant a présenté une plainte en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la LEFP. Cette disposition est ainsi rédigée :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(…)

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

57 L’article 33 de la LEFP indique clairement que la CFP ou son délégataire peut choisir un processus de nomination annoncé ou un processus de nomination non annoncé pour procéder à une nomination, conformément au paragraphe 15(1) de la LEFP :

33. La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

58 Le fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, repose sur le plaignant, tel qu’expliqué dans la décision Tibbs, supra. Le plaignant doit donc démontrer que la décision de choisir un processus annoncé pour doter le poste PM-06, qu’il s’agisse d’un nouveau poste ou de la reclassification de son poste, constitue un abus de pouvoir.

59 Le plaignant reconnaît qu’il ne laisse pas entendre qu’il y aurait eu un acte intentionnel de la part de l’intimé dans le présent processus de nomination. Le plaignant affirme plutôt qu’il y a eu soit un « résultat inéquitable », soit une « erreur de droit dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire », ou les deux, dans le choix d’un processus de nomination, ce qui constitue un abus de pouvoir tel que décrit dans la décision Tibbs, supra.

60 Le simple fait de choisir un processus annoncé ou non annoncé ne constitue pas un abus de pouvoir en soi, car ce choix est permis aux termes de la LEFP. Comme le Tribunal l’a déclaré dans la décision Robbins c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2006] TDFP 0017 :

[36] Le plaignant ne peut donc alléguer qu'il y a eu abus de pouvoir uniquement parce qu'on a opté pour un processus non annoncé. Il doit prouver que la décision elle-même de choisir un processus non annoncé constitue un abus de pouvoir.

61 Ainsi, le plaignant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’a pas été nommé ou proposé en vue d’une nomination en raison d’un abus de pouvoir qui a eu lieu lorsque l’intimé a fait un choix entre un processus de nomination interne non annoncé et un processus de nomination interne annoncé.

62 L’intimé soutient que le choix s’est porté sur un processus annoncé afin que plus d’une personne aient l’occasion de poser leur candidature. Tel qu’exposé dans la partie « Contexte » ci-dessus, la décision de créer le poste de gestionnaire régional remonte au 14 février 2006. Le 1er mars, le Comité régional de gestion a informé les employés que si le poste était classé au niveau PM‑06, il serait doté à partir du bassin des candidats préparé à la suite du processus annoncé PM-06 qui était en cours.

63 L’Annonce de possibilité d’emploi lié au processus de sélection en question a été affichée en février 2006 dans le but de créer un répertoire de candidats à partir duquel l’intimé pouvait procéder à une nomination. Le plaignant a remis sa lettre de présentation et son curriculum vitae le 12 février 2006. La décision de procéder à une nomination à partir du bassin de candidats a été prise avant l’annonce des résultats du processus de classification et du test standardisé subi par le plaignant. Les mesures prises ne montrent aucun abus de pouvoir, bien au contraire.

64 L’intimé a plaidé que rien dans la LEFP ni dans des lignes directrices n’indique que l’utilisation d’un processus non annoncé est obligatoire, qu’il s’agisse d’un nouveau poste ou de la reclassification d’un poste existant. Ainsi, la distinction entre un nouveau poste et un poste reclassifié n’est pas pertinente pour déterminer s’il y a eu abus de pouvoir en ce qui concerne le choix entre un processus de nomination interne annoncé et un processus de nomination interne non annoncé.

65 Le Tribunal est d’accord avec les arguments de l’intimé à cet égard. Rien dans la LEFP ou dans le REFP n’oblige un administrateur général à utiliser un processus de sélection en particulier selon qu’il s’agisse d’un poste nouveau ou d’un poste reclassifié. Au contraire, l’article 33 de la LEFP indique clairement que l’administrateur général dispose du pouvoir discrétionnaire nécessaire lui permettant de décider s’il utilisera un processus de nomination annoncé ou un processus de nomination non annoncé.

66 De plus, la jurisprudence présentée par le plaignant n’est ni applicable, ni pertinente pour trancher cette question, car elle relève de l’ancienne LEFP. La nouvelle LEFP ne fait aucune distinction entre un poste nouveau et un poste reclassifié, et il n’existe aucune utilisation obligatoire d’un processus annoncé ou non annoncé.

67 Par conséquent, le plaignant ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve car il n’y a pas de preuve qu’il y a eu abus de pouvoir lorsque l’intimé a décidé d’annoncer le poste.

Question II : Y a-t-il eu abus de pouvoir dans la décision de ne pas nommer le plaignant au poste en question?

68 L’article 36 de la LEFP est ainsi rédigé :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

69 Comme le Tribunal l’a indiqué dans la décision Visca c. le Sous-ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024 :

[51] Aux termes de l’article 36 de la LEFP, les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable dans la sélection et l’utilisation des méthodes d’évaluation pour déterminer si un candidat satisfait aux qualifications établies pour un poste donné. (…)

70 En l’espèce, l’intimé a décidé d’évaluer les candidats à l’aide du test standardisé. Le Tribunal a connaissance du fait que les ministères utilisent fréquemment les tests standardisés de la CFP pour évaluer les candidats dans le cadre d’un processus de nomination.

71 Pour être nommé à un poste, un candidat doit réussir le processus d’évaluation choisi par un ministère, peu importe que le poste soit considéré comme nouveau ou reclassifié, ou qu’il s’agisse d’un processus annoncé ou non annoncé. Malheureusement, le plaignant a échoué au test standardisé, et sa candidature a été retirée du processus visant à doter le poste de PM-06. Le Tribunal est d’avis que la candidature du plaignant n’a pas été retenue pour une nomination ou pour une proposition de nomination parce qu’il ne répondait pas aux critères de mérite fondés sur la méthode d’évaluation choisie par l’intimé, et non en raison du choix du processus de nomination lui-même.

72 En conséquence, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir sur la base d’un résultat inéquitable.

73 De la même façon, le plaignant n’a pas réussi à prouver qu’il y a eu abus de pouvoir sur la base d’une erreur de droit dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Dans ses allégations, le plaignant admet lui-même qu’il n’y a peut‑être pas eu d’erreur de droit dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Les Lignes directrices peuvent constituer une forme de loi tel qu’indiqué dans Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, [2003], S.C.J. no 36 (Q.L.). Toutefois, les Lignes directrices de l’AGRHFPC n’ont pas été publiées en vertu de la LEFP ou de son Règlement; elles ne constituent donc pas une forme de loi apparentée au Règlement. Par conséquent, même si l’intimé avait mal interprété les Lignes directrices, ce qu’il n’est pas nécessaire de déterminer pour rendre une décision en l’espèce, pareille mauvaise interprétation n’équivaut pas à une erreur de droit dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui correspondrait à un abus de pouvoir. Le Tribunal juge que l’intimé n’a pas contrevenu aux dispositions de la LEFP en ce qui concerne le présent processus de nomination.

74 En conclusion, le plaignant n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de ses pouvoirs en choisissant entre un processus de nomination interne annoncé et un processus de nomination interne non annoncé.

75 Comme le Tribunal rejette la plainte parce qu’il n’existe aucune preuve d’abus de pouvoir, il n’est pas nécessaire d’aborder les autres arguments présentés par l’intimé et par la CFP.

Décision

76 Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Sonia Gaal

Vice-présidente

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2006-0114
Intitulé de la cause:
Robert Kane et l'administrateur général de Service Canada au sein du ministère des Ressources humaines et du Développement social et al.
Audience:
Audience sur dossier
Date des motifs:
Le 3 août 2007

Comparutions:

Pour le plaignant:
Brian Richey
Pour l'intimé:
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique:
John Unrau
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