Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L'intimé a déposé une requête visant à faire rejeter la plainte, car il s’agissait d’une nomination intérimaire de moins de quatre mois et le Tribunal n'avait pas compétence en la matière. Le plaignant a fait valoir que le Tribunal avait compétence pour statuer sur la nomination intérimaire puisque celle-ci s’inscrivait dans une suite de nominations définitives ou intérimaires effectuées dans le cadre du processus à la base de ses autres plaintes. Le plaignant a sollicité la tenue d’une audience en ce qui concerne la demande de rejet. Décision : Le Tribunal a fait remarquer qu’en vertu de Loi sur l’emploi dans la fonction publique il n’était pas obligé de tenir d’audience. Le Tribunal disposait de suffisamment d’information au dossier pour rendre sa décision sans tenir d’audience. S’agissant de la requête demandant le rejet de la plainte, le Tribunal a conclu qu’aux termes du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, il n'avait pas compétence pour instruire une plainte à l'encontre d'une nomination intérimaire de moins de quatre mois. Requête accueillie; plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2007-0565
Rendue à:
Ottawa, le 28 novembre 2007

JEAN LAVIGNE
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA JUSTICE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Requête visant à faire rejeter la plainte
Décision:
La requête est accueillie et la plainte est rejetée
Décision rendue par:
Sonia Gaal, vice-présidente
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Lavigne c. Sous-ministre de la Justice et al.
Référence neutre:
2007 TDFP 0045

Motifs de la décision

Introduction

1 Le 5 novembre 2007, Me Jean Lavigne, le plaignant, a présenté une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP) à l’encontre de la nomination intérimaire de Me Shaughnessy pour la période du 9 octobre 2007 au 1er février 2008.

2 Le 8 novembre, l’intimé, le sous-ministre de la Justice, a demandé au Tribunal de rejeter la plainte car il s’agit d’une nomination intérimaire de moins de quatre mois.

3 Conformément au paragraphe 99(3) de la LEFP, le Tribunal a traité la requête de l’intimé sans tenir d’audience. La décision a été rendue en se fondant sur les observations écrites soumises par les parties, lesquelles ont été examinées en détail et sont résumées ci-dessous.

Contexte

4 Le plaignant a participé à un processus de nomination interne annoncé visant à doter un poste de Juriste-expert (processus numéro 2006-JUS-MTL-DAF-IA-89). Sa candidature n’a pas été retenue car il ne possédait pas un des critères essentiels pour l’expérience. Il a déposé une plainte au Tribunal dans le cadre de ce processus de nomination. Aucune décision finale n’a encore été rendue dans ce dossier.

5 Toujours dans le cadre de ce processus, l’intimé a par la suite établi un bassin de personnes qualifiées, dont Me Shaughnessy fait partie, bassin qu’il utilise pour doter les postes de Juristes-experts, chose qu’il a faite à quelques reprises depuis la fin du processus. Le plaignant a déposé une plainte pour chacune des nominations faites à partir du bassin.

Questions en litige

6 Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes :

  1. Le Tribunal peut-il instruire la requête sans tenir d’audience?
  2. Le Tribunal a-t-il compétence pour instruire une plainte concernant une nomination intérimaire de moins de quatre mois?

Arguments des parties

A) Arguments de l’intimé

7 L’intimé soutient que la nomination intérimaire de Me Shaughnessya débuté le 9 octobre 2007 et s’est terminée le 1er février 2008 et qu’il s’agit donc d’une nomination pour une période de moins de quatre mois.

8 Il soutient également qu’en vertu du paragraphe 14(1) du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334(le REFP), le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la plainte.

B)Arguments du plaignant

9 Le plaignant oppose une objection à la requête en rejet de l’intimé. Il est d’avis que le Tribunal a compétence pour traiter du dossier car la nomination intérimaire s’inscrit dans une suite de nominations définitives ou intérimaires faites dans le cadre du processus qui est en rapport avec ses autres plaintes.

10 Selon le plaignant « le Tribunal a compétence pour examiner et décider de la validité d’un processus ayant rendu possible la nomination d’un candidat, et ce, peu importe que la nomination intérimaire ait été faite pour une durée de plus ou de moins quatre (4) mois ».

11 Le plaignant allègue de plus que la personne nommée au poste de façon intérimaire ne possède pas l’expérience de travail requise alors qu’on a rejeté sa proprecandidature pour le processus de sélection qui fait l’objet de ses autres plaintes. Le plaignant maintient ce qui suit :

[I]l serait donc étonnant et contraire à la justice que le plaignant ne puisse contester devant le Tribunal la nomination de Me Shaughnessy pour la seule raison que Me Henri Bédirian a choisit [sic] de procéder, dans son cas, à une nomination intérimaire de moins de quatre (4) mois (et de très peu), le tout visiblement avec l’approbation de l’Administrateur général. 

12 Le plaignant demande « formellement » la tenue d’une audience ne portant que sur cette question afin qu’il puisse proposer au Tribunal l’ensemble de ses arguments.

Analyse

Question I: Le Tribunal peut-il instruire la requête sans tenir d’audience?

13 Le plaignant soutient qu’il s’agit d’une question de droit qui peut affecter le fond du litige et « ne doit conséquemment pas faire l’objet d’une simple décision "procédurale"  ou "incidente", prise dans la précipitation, sans que les parties aient été dûment entendues dans le cadre d’une audience en bonne et due forme ». Il demande formellement une audience devant le Tribunal pour l’entendre sur cette question.

14 Deux dispositions de la LEFP sont particulièrement utiles en l’occurrence. Le paragraphe 98(1) se lit ainsi : « Les plaintes sont instruites par un membre seul qui procède, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité ». Par ailleurs, le paragraphe 99(3) de la LEFP prévoit que : « Le Tribunal peut statuer sur une plainte sans tenir d’audience ».

15 Ensemble ces deux dispositions accordent au Tribunal la latitude nécessaire afin de gérer les plaintes et les requêtes qui en découlent de la manière qu’il juge la plus efficace. Le paragraphe 99(3) de la LEFP est clair : le Tribunal n’est pas obligé de tenir d’audience. De façon générale, l’instruction d’une requête ou d’une plainte sur le fond par voie de documentation écrite est plus efficace, réduit le temps d’attente d’une décision et favorise une meilleure utilisation des ressources limitées du Tribunal. La décision de tenir ou non une audience revient au Tribunal, décision qu’il prend de façon éclairée compte tenu de toutes les circonstances d’une affaire. Ceci ne veut pas dire que les parties n’ont pas l’occasion de faire valoir leur point de vue.

16 Il ne s’agit pas d’un concept nouveau. Il existe plusieurs tribunaux administratifs qui ont un pouvoir similaire dans leur loi constitutive. Ainsi, le Code canadien du travail, L.R. (1985), ch. L-2, prévoit à l’article 16.1 que le Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) peut trancher toute affaire sans tenir d’audience. De même, la Commission des relations de travail dans la fonction publique peut également trancher les griefs sans tenir d’audience (voir l’article 227 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2). Le pouvoir de statuer sans tenir d’audience n’est donc pas unique au Tribunal.

17 La Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la question de savoir si une audience doit toujours avoir lieu. En effet, dans l’affaire Québec (Commission des Relations de Travail) c. Canadian Ingersoll-Rand Co. Ltd., [1968] R.C.S. 695 à la p. 5 (QL), la Cour a décidé qu’il n’y avait pas eu manquement à la règle audi alteram partem lorsque la Commission des relations de travail du Québec n’a pas tenu d’audience dans un dossier :

(…) la règle audi alteram partem n’implique pas qu’il doit toujours être accordé une audition. L’obligation est de fournir aux parties l’occasion de faire valoir leurs moyens. A mon avis, rien dans les circonstances particulières en l’espèce ne permet d’affirmer que la Commission devait nécessairement juger que la compagnie-intimée ne pouvait faire valoir les deux points soulevés par elle au soutien de sa contestation de la requête de l’Union des Métallurgistes sans la tenue impérative d’une audition. (...) Se trouvant suffisamment renseignée par les plaidoiries écrites, les pièces produites et ses propres enquêtes, la Commission pouvait raisonnablement juger, dans les circonstances, qu’en raison, d’une part, de son devoir de disposer diligemment des cas dont elle est saisie et en raison, d’autre part, de l’inaction de la compagnie-intimée, elle pouvait et devait, sans plus d’atermoiement, rendre sa décision. (…)

18 Dans l’affaire Nav  Canada c. Fraternité Internationale des Ouvriers en électricité section locale 2228, 2001 CAF 30, [2001] A.C.F. no 257 au paragraphe 10 et 11 (QL), la demanderesse soutenait que le Conseil avait outrepassé sa compétence et n'avait pas observé les principes de justice naturelle et d'équité procédurale en rendant une décision sur le fond sans lui avoir donné l'occasion de présenter sa preuve. La Cour d’appel fédérale a rejeté la demande en révision judiciaire et s’est prononcée ainsi :

[10] De plus, le paragraphe 16(1) du Code canadien du travail et le paragraphe 19(2) du Règlement prévoient que le Conseil peut statuer sur toute affaire dont il est saisi sans tenir d'audience. Ainsi, même si la demanderesse avait demandé une audience, il était loisible au Conseil de statuer sur l'affaire sans lui accorder d'audience.

[11] Il ressort de l'économie de la Loi et du Règlement que le Conseil se prononce en fonction des pièces versées au dossier, à moins qu'il ne décide de tenir une audience ou qu'il demande expressément des éléments de preuve complémentaires. Aucun précédent n'a été cité à la Cour pour appuyer la proposition que le Conseil ne peut pas agir ainsi ou que, pour considérer les pièces versées au dossier comme des éléments de preuve, le Conseil doit aviser les parties de son intention.

(nos soulignés)

19 L’accusé de réception, envoyé à tous les plaignants par le Tribunal, en l’espèce, envoyé au plaignant le 6 novembre 2007, comporte le paragraphe suivant :

• Veuillez noter que le Tribunal n’a pas l’obligation de tenir des auditions et peut statuer sur une plainte en se fondant sur la documentation écrite. Le Tribunal fixera une date d’audition et en avisera les parties concernées au moins sept jours avant la date d’audience.

20 Ce paragraphe se retrouve également dans l’avis de plainte envoyé aux administrateurs généraux. Les parties sont donc avisées dès le dépôt d’une plainte que le Tribunal peut se prononcer sur un dossier ou une requête sans tenir d’audience. Il incombe donc aux parties de s’assurer que toute l’information pertinente et leurs positions sont versées au dossier.

21 De toute évidence, il y a des cas où le Tribunal ne peut trancher une question sans audience, par exemple, s’il faut entendre des témoins lorsque des questions de crédibilité sont en jeu et une preuve testimoniale est nécessaire (voir Séguin et Boucher-Legault c. Sous-ministre de la Défense nationale et al., [2007] TDFP 0043). Dans d’autres cas, il faut entendre la preuve parce que les faits sont trop compliqués ou contestés, ou lorsque la preuve semble contradictoire. Dans ces situations, les parties reçoivent l’avis requis à l’article 28 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/ 2006-6, et une audience a lieu.

22 Dans la présente affaire, les faits sont simples : Me Shaughnessy a obtenu une nomination intérimaire pour un poste de Juriste-expert pour la période du 9 octobre 2007 au 1er février 2008. Le plaignant ne conteste pas la durée de la nomination intérimaire mais est d’avis que le Tribunal doit l’entendre afin de trancher cette requête, nonobstant la durée de la nomination intérimaire. Il a soumis deux courriels au soutien de sa position les 8 et 9 novembre 2007.

23 Le plaignant soulève également qu’il s’oppose au fait que Me Shaughnessy soit incluse dans le bassin parce que selon lui elle n’est pas qualifiée. Le Tribunal est d’avis qu’il n’a pas à examiner cette question et n’a pas à revoir la décision de l’intimé sur le choix de la personne pour la nomination intérimaire dans le cadre de cette requête en rejet.

24 Bien que le plaignant lui ait présenté sa position à deux reprises, le Tribunal considère qu’il ne serait d’aucune utilité d’entendre les parties en audience sur ce point précis lorsque les faits à la base de la requête ne sont pas contestés. Il ne s’agit pas d’un dossier qui requiert une preuve ou plaidoirie orale. Le Tribunal considère qu’il a suffisamment d’information pour rendre sa décision et qu’il peut le faire sur dossier. Tel que mentionné ci-dessus, il est clair qu’en vertu du paragraphe 99(3) de la LEFP le Tribunal peut statuer sans tenir une audience.

Question II: Le Tribunal a-t-il compétence pour instruire une plainte concernant une nomination intérimaire de moins de quatre mois?

25 Le plaignant a déposé sa plainte sous l’alinéa 77(1)a) de la LEFP à l’encontre de la nomination intérimaire de Me Shaughnessy pour la période du 9 octobre 2007 au 1er février 2008, soit une période de moins de quatre mois.

26 Le paragraphe 14(1) du REFP se lit ainsi :

14. (1) La nomination intérimaire de moins de quatre mois est soustraite à l'application des articles 30 et 77 de la Loi pourvu qu'elle ne porte pas la durée cumulative de la nomination intérimaire d'une personne à ce poste à quatre mois ou plus.

(nos soulignés)

27 Le REFP est clair, les nominations intérimaires d’une durée de moins de quatre mois ne sont pas assujetties à un droit de plainte en vertu des articles 30 et 77 de la LEFP. Le Tribunal a déjà traité à quelques reprises cette question et a conclu qu’il n’a pas compétence pour entendre une plainte concernant une nomination intérimaire de moins de quatre mois.

28 Dans Parsons et Carey c. Administrateur général de Service Canada et als. [2006] TDFP 0004, les nominations intérimaires étaient d’une durée de moins de quatre mois :

[11] L’article 14 du REFP exclut spécifiquement les nominations intérimaires de moins de quatre mois de l’application de l’article 77 de la LEFP, qui établit le droit de porter plainte devant le Tribunal. Par conséquent, je conclus que le Tribunal n’a pas compétence pour examiner les plaintes en question.

29 L’affaire Schellenberg et Nyst c. Sous-ministre de la Défense nationale et al., 2006 TDFP 0005, traitait d’une nomination intérimaire commencée en 2005 avant l’entrée en vigueur de la LEFP et qui se terminait en 2006 :

[36] Néanmoins, même si le Tribunal ne tenait compte que de la partie de la période du 3 janvier 2006 au 31 mars 2006, cette période serait de moins de quatre mois. Il est donc clair que cette période est exclue de l’application de la LEFP actuelle.

30 En conclusion, le Tribunal n’a donc pas compétence pour instruire la plainte du plaignant à l’égard de la nomination intérimaire de Me Shaughnessy pour la période du 9 octobre 2007 au 1er février 2008.

Décision

31 Pour tous ces motifs, la requête de l’intimé est accueillie et la plainte est rejetée.

Sonia Gaal

Vice-présidente

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0565
Intitulé de la cause:
Jean Lavigne et le Sous-ministre de la Justice et al.
Audience:
Demande écrite, décision rendue sans comparution des parties
Date des motifs:
Le 28 novembre 2007
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.