Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé des plaintes alléguant que les défendeurs avaient manqué à leur obligation de négocier de bonne foi, qu’ils s’étaient livrés à une pratique déloyale de travail et qu’ils avaient porté atteinte au droit à la liberté d’association et d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés - dans le contexte de négociations collectives, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (<<le plaignant>> ou <<l’agent négociateur>>) a écrit au Conseil du Trésor et à l’Agence du revenu du Canada (<<les défendeurs>>) afin d’obtenir les coordonnées des employés de l’unité de négociation - les défendeurs n’ont pas répondu à ses demandes, mais dans leurs réponses aux plaintes, ils ont indiqué qu’ils avaient des réserves à propos de la protection des renseignements personnels des employés et d’autres préoccupations pratiques sérieuses et qu’ils désiraient résoudre le litige par la médiation, ce à quoi le plaignant s’est opposé - les défendeurs comprenaient les obligations réglementaires de l’agent négociateur et ne remettaient pas en question la légitimité de sa demande, mais il n’en restait pas moins qu’ils ne possédaient pas toute l’information demandée et qu’ils ne pouvaient pas garantir l’exactitude de celle qu’ils possédaient - ils ont soutenu que toute ordonnance rendue par la Commission ne devrait pas les contraindre à recueillir des renseignements personnels à la seule fin de les communiquer à l’agent négociateur, et ils ont demandé que toute ordonnance rendue oblige l’agent négociateur à utiliser l’information uniquement aux fins légitimes prévues par la LRTFP et à gérer l’information conformément aux principes enchâssés dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et son règlement d’application - la Commission a conclu que, si le plaignant avait allégué un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi, il n’avait pas expliqué dans ses observations ultérieures en quoi le refus des défendeurs de lui fournir les coordonnées des employés constituait un tel manquement - le plaignant n’avait donc pas suffisamment établi le bien-fondé de ses prétentions pour que la Commission conclue que les actions des défendeurs avaient ou auraient compromis la capacité de l’agent négociateur de s’acquitter de ses responsabilités en matière de négociations collectives au point où cela constituait un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi - l’agent négociateur prétendait également que l’article187 de la LRTFP lui imposait des obligations générales en matière de représentation, dont il ne pouvait pas s’acquitter parce que les défendeurs refusaient de lui fournir les données nécessaires sur les employés - la Commission a conclu que l’article187 et les autres dispositions de la LRTFP citées dans la plainte situaient le contexte dans lequel s’inscrivaient les préoccupations de l’agent négociateur plutôt que d’en établir le fondement réel - le plaignant prétendait que le refus des défendeurs de lui fournir les coordonnées demandées faisait obstacle à la représentation des employés par l’agent négociateur, un argument qu’il n’a toutefois pas étoffé dans ses observations - la Commission a malgré tout refusé de rejeter les plaintes étant donné qu’elle avait conclu que les défendeurs ne lui avaient pas demandé de rejeter les plaintes pour ce motif et qu’ils avaient admis, dans leurs observations, qu’ils comprenaient la nécessité pour le plaignant d’obtenir les coordonnées des employés et qu’ils ne contestaient pas l’existence du principe de droit en cause, mais qu’ils avaient plutôt des réserves à propos de son application (la nature de l’information demandée, la marche à suivre pour fournir cette information et la gestion de cette information par l’agent négociateur) - la jurisprudence des principaux tribunaux du travail et de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique nous enseigne que le refus de l’employeur de fournir les coordonnées des employés à l’agent négociateur constitue le type d’intervention dans la représentation des employés par l’agent négociateur que l’alinéa186(1)a) de la LTRFP vise justement à prévenir - cela est d’autant plus vrai dans le contexte de l’obligation qui est imposée à l’agent négociateur de tenir des votes de grève parmi les employés de l’unité de négociation, y compris les employés assujettis au précompte syndical généralisé, et de communiquer avec les employés de l’unité aux fins de la tenue de votes sur la proposition finale - le droit à l’information de l’agent négociateur l’emporte sur les considérations habituelles ayant trait à la protection des renseignements personnels - en statuant en principe en faveur du plaignant conformément à l’alinéa 186(1)a) de la LRTFP, la Commission n’a pas eu à se pencher sur les violations présumées des droits garantis par la Charte - la Commission a ordonné la tenue d’une audience afin d’examiner les observations supplémentaires des parties sur la question des mesures de réparation et de prendre en considération les réserves qu’elles exprimaient dans leurs observations. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-02-21
  • Dossiers:  561-02-176 et 561-34-177
  • Référence:  2008 CRTFP 13

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

Institut professionnel de la fonction publique du Canada

plaignant

et

Conseil du Trésor
et
Agence du revenu du Canada

défendeurs

Répertorié
Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor et Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des plaintes fondées sur l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour le plaignant :
Martin Ranger, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour les défendeurs :
Karl Chemsi, avocat

Décision rendue sur la foi d’observations écrites
déposées le 28 novembre et le 13 décembre 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Plaintes devant la Commission

1 Les présents motifs sont une décision provisoire sur les deux plaintes décrites ci-dessous.

2 Le 17 septembre 2007, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « plaignant ») a déposé des plaintes contre le Conseil du Trésor du Canada et l’Agence du revenu du Canada (les « défendeurs » ou les « employeurs ») en vertu des alinéas 190(1)b) et g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »). Les plaintes fondées sur l’alinéa 190(1)b) allèguent un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi conformément à l’article 106. Les plaintes fondées sur l’alinéa 190(1)g) dénoncent une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185. Le plaignant allègue aussi des violations de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).

3 Le plaignant a exprimé ses allégations contre le Conseil du Trésor du Canada (dossier de la CRTFP 561-02-176) comme suit :

[Traduction]

  1. Le plaignant, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « syndicat ») est une organisation syndicale décrite au paragraphe 2 (1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et l’agent négociateur exclusif de tous les employés de l’Employeur décrits dans les certificats délivrés par l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique à l’égard des unités de négociation nationales suivantes :

    a)       Sciences appliquées et examen des brevets (SP);

    b)       Systèmes d’ordinateurs (CS);

    c)       Architecture et urbanisme — Génie et arpentage (NR);

    d)       Services de santé (SH);

    e)       Vérification, Commerce et Achat (AV).

  2. L’employeur défendeur (« l’employeur ») est Sa Majesté du chef du Canada, représenté par le Conseil du Trésor.
  3. Le 18 juin 2007, le négociateur du syndicat Jamie Dunn a envoyé par télécopieur et par la poste au négociateur de l’employeur Kevin Marchand un avis de négocier en vue du renouvellement de la convention collective du groupe SP, qui expire le 30 septembre 2007. Dans cette lettre, M. Dunn demandait des renseignements pour pouvoir communiquer avec tous les employés membres de l’unité de négociation du groupe SP représentée par le syndicat. Plus précisément, il demandait que l’employeur fournisse au syndicat le nom, le titre du poste, les numéros de téléphone et de télécopieur tant personnels qu’au travail de chaque employé, de même que ses adresses postales et électroniques personnelles et au travail. Il demandait aussi à l’employeur de lui communiquer ces renseignements au plus tard le 30 juin 2007, sur papier et sur support électronique.
  4. Le 28 juin 2007, le syndicat a reçu une lettre datée du 25 juin 2007 de Carl Trottier, directeur principal de la Négociation collective pour l’employeur. Cette lettre était un accusé de réception de l’avis de négocier du syndicat à l’égard du groupe SP. Elle ne contenait pas les renseignements que le syndicat avait demandés dans son avis de négocier pour pouvoir communiquer avec les membres de l’unité de négociation et ne faisait pas non plus allusion à cette demande d’information.
  5. Au début de juillet 2007, M. Dunn a demandé à M. Marchand, dans une conversation téléphonique, où en était sa demande de renseignements nécessaires pour communiquer avec les employés membres de l’unité de négociation. M. Marchand a déclaré que l’employeur avait reçu de telles demandes de renseignements de plusieurs agents négociateurs. Il a déclaré que l’employeur estimait qu’il s’agissait d’une question de principe et entendait donner une seule et même réponse à tous les agents négociateurs à ce sujet.
  6. Jusqu’à présent, toutefois, l’employeur n’a pas donné de réponse.
  7. Il n’a pas répondu en dépit du fait que le syndicat a demandé la même chose :

    a)  le 21 juin 2007 à l’égard de son unité de négociation du groupe CS, qui négocie le renouvellement de sa convention collective expirant le 21 décembre 2007;

    b)  le 11 septembre 2007 à l’égard des employés membres de son unité de négociation du groupe NR, qui négocie le renouvellement de sa convention collective expirant le 30 septembre 2007;

    c)  le 13 septembre 2007 à l’égard des employés membres de son unité de négociation du groupe SH, qui négocie le renouvellement de sa convention collective expirant le 30 septembre 2007;

    d)   le 30 août 2007 à l’égard des employés membres de son unité de négociation du groupe AV, qui négocie le renouvellement de sa convention collective expirée le 21 juin 2007.

  8. Le syndicat est légalement tenu de représenter ses membres de bonne foi et de manière non arbitraire en vertu de l’art. 187 de la LRTFP. Ce devoir vaut pour la représentation des employés à la table de négociation ainsi que pour le dépôt et l’arbitrage des griefs et des plaintes dénonçant des violations de la LRTFP par l’employeur.
  9. En ce qui concerne la négociation, le syndicat doit pouvoir communiquer avec les employés membres de ses unités de négociation au sujet de la négociation elle-même, ce qui inclut :

    a)  l’élaboration d’un ensemble de propositions pour la négociation collective;

    b)  l’information des employés sur la progression des négociations;

    c)  la communication aux employés des dates et des lieux des votes de grève ou de ratification.

  10. En ce qui concerne les griefs, le syndicat a le devoir de représenter ses membres dans des affaires qui ne sont pas directement liées à la convention collective. En vertu de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, les arbitres de griefs ont compétence exclusive pour trancher les conflits découlant implicitement ou expressément de la convention collective. Qui plus est, en vertu de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157; 2003 CSC 42, et de l’al. 226g) de la LRTFP, ils ont compétence pour statuer sur les allégations de violations des lois applicables à l’emploi.
  11. Dans l’éventualité d’un vote de grève, l’art. 184 de la LRTFP impose au syndicat l’obligation de tenir un vote par scrutin secret auprès de tous les employés membres de l’unité de négociation, de façon qu’ils aient tous la possibilité d’y participer et d’être informés des résultats. L’art. 183 de la LRTFP lui impose aussi l’obligation de tenir un vote par scrutin secret auprès de tous les employés membres de l’unité de négociation si le ministre responsable de la LRTFP estime d’intérêt public qu’on leur donne la possibilité d’accepter ou de rejeter les dernières offres de l’employeur.
  12. Les art. 119 à 134 de la LRTFP imposent aussi au syndicat l’obligation légale de négocier des ententes sur les services essentiels avant qu’il ne puisse avoir recours à la grève.
  13. Les syndicats, y compris le syndicat plaignant, sont des organisations démocratiques qui jouent un rôle actif dans la vie économique, sociale et politique du Canada depuis de nombreuses années. Afin de pouvoir jouer ce rôle, le syndicat doit être en mesure de communiquer avec les employés membres de l’unité de négociation pour leur fournir de l’information, notamment, mais pas exclusivement, sur :

    a)  les fonctions accomplies par le syndicat et la procédure pour y adhérer;

    b)  les procédures de mise en candidature et de vote pour les postes électifs du syndicat, y compris les postes des membres des comités de négociation;

    c)  les résultats des élections au syndicat et les autres renseignements sur la vie démocratique et les activités du syndicat;

    d)  les faits et les points de vue relatifs aux questions économiques, politiques et sociales pertinentes pour le syndicat et pour les employés membres de l’unité de négociation.

  14. Compte tenu de tout ce qui précède, il est essentiel que le syndicat se fasse fournir le nom, le titre du poste, les numéros de téléphone personnel et au travail ainsi que les adresses postale et électronique personnelles et au travail des employés pour pouvoir communiquer avec tous ceux qui sont membres de ses unités de négociation. C’est un besoin particulièrement criant dans le cas des unités de négociation énumérées au paragr. 1 ci-dessus puisqu’elles sont nationales et composées d’employés travaillant dans des centaines d’endroits du pays. Sans ces renseignements, il lui est impossible de communiquer avec les employés membres de ses unités de négociation.
  15. Par conséquent, le refus de l’employeur de fournir le nom, le titre du poste, les numéros de téléphone et les adresses postales et électroniques de ces employés constitue :

    a)  un manquement à l’obligation de l’employeur, en vertu de l’art. 106 de la LRTFP, de négocier de bonne foi avec le syndicat et de s’efforcer de conclure une convention collective;

    b)  une intervention dans l’administration et la représentation des employés par une organisation syndicale et une distinction injuste contre elle, ce qui est interdit par l’art. 186 de la LRTFP;

    c)  une violation de la garantie de liberté d’association reconnue par l’al. 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés;

    d)  une violation de la garantie de liberté d’expression reconnue par l’al. 2 b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

4 Dans l’énoncé de la plainte contre l’Agence du revenu du Canada (dossier de la CRTFP 561-34-177), le plaignant déclare avoir demandé à cet employeur les mêmes renseignements pour pouvoir communiquer avec les employés membres du groupe Vérification, Finances et Sciences (AFS), dont la convention collective a expiré le 21 décembre 2007. Le plaignant a déclaré que le défendeur n’a pas répondu à sa demande. Le reste de la plainte contre l’Agence du revenu du Canada est identique aux paragraphes 8 à 15 des observations du plaignant concernant le Conseil du Trésor du Canada (reproduit plus haut).

5 Le plaignant a réclamé le même redressement dans les deux plaintes :

[Traduction]

Le syndicat demande que la Commission :

  1. Rende une déclaration que l’employeur, en refusant de lui fournir le nom, le titre du poste, les numéros de téléphone et les adresses postales et électroniques de tous les employés membres de l’unité de négociation, a :

    a)       manqué à son obligation de négocier collectivement de bonne foi et s’efforcer de conclure une convention collective, ce qui est interdit par l’art. 106 de la LRTFP;

    b)       est intervenu dans l’administration d’une organisation syndicale et dans la représentation des employés par celle-ci et s’est rendu coupable de distinction injuste contre une organisation syndicale, contrevenant ainsi à l’art. 186 de la LRTFP;

    c)       a violé la garantie de liberté d’association reconnue par l’al. 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés;

    d)       a violé la garantie de liberté d’expression reconnue par l’al. 2 b) de la Charte canadienne des droits et libertés.

  2. Ordonne à l’employeur :

    a)       de cesser de violer la LRTFP et la Charte canadienne des droits et libertés;

    b)       fournisse immédiatement au syndicat les renseignements réclamés et continue à lui fournir tous les trimestres ces renseignements mis à jour.

  3. Ordonne à l’employeur de dédommager le syndicat et de le tenir indemne de toutes les pertes et toutes les dépenses résultant de ses violations de la LRTFP, y compris le coût de la présente procédure.
  4. Ordonne à l’employeur de fournir des copies de la décision et des ordonnances de la Commission sur la présente affaire à tous ses employés actuels et futurs pour une période de trois ans suivant la date de la décision de la Commission en l’espèce.
  5. Ordonne à l’employeur d’afficher dans tous ses lieux de travail un avis informant les employés de leurs droits en vertu de la LRTFP pour une période de trois ans suivant la date de la décision de la Commission en l’espèce.
  6. Subsidiairement aux redressements demandés plus haut, consente à ce que l’employeur soit poursuivi en vertu du paragraphe 202(3) de la LRTFP.
  7. Accorde les autres redressements appropriés dans les circonstances.

6 L’avocat des défendeurs a répondu aux deux plaintes le 2 octobre 2007 :

[Traduction]

[…]

Les défendeurs ont des craintes pour la vie privée des employés de même que de très sérieuses inquiétudes d’ordre pratique. Nous avons demandé au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada son avis sur ces craintes.

Les défendeurs reconnaissent les obligations légales de l’agent négociateur et aimeraient en discuter avec lui. Il faut espérer qu’ils pourront arriver à une entente mutuellement satisfaisante qui pourrait être soumise à la Commission afin qu’elle l’avalise sous la forme d’une « ordonnance ».

Les défendeurs demandent donc la médiation avec l’aide d’un médiateur nommé par la Commission. Ils sont disposés à discuter avec l’agent négociateur afin d’arriver à une entente que la Commission pourrait ratifier et estiment que la médiation serait la méthode idéale de règlement des problèmes qui les séparent.

S’il est impossible d’arriver à un règlement par la médiation, les défendeurs se réservent en toute déférence le droit de présenter d’autres arguments à une date ultérieure.

[…]

7 Dans des lettres datées du 5 et du 16 octobre 2007, le plaignant a informé la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) qu’il ne participerait pas à cette médiation.

8 Le président de la Commission a décidé que les plaintes seraient instruites sur la foi des observations écrites des parties. Un agent du greffe a donc écrit aux parties, le 13 novembre 2007, pour les informer de cette décision et des dates limites de présentation de leurs arguments écrits et de leur réfutation. Il leur demandait aussi de préciser [traduction] « […] leurs positions respectives sur l’applicabilité […] » de deux décisions, Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor, P.V. Harder et Commission de la fonction publique, R. Hubbard, dossiers de la CRTFP 161-02-791 et 169-02-584 (19960426) et Griffiths v. Nova Scotia (Education), 2007 NSSC 178.

9 Le président m’a nommé pour trancher les plaintes sur la foi des observations écrites que la Commission a reçues.

II.Observations écrites

10 Le texte complet des observations écrites et des réfutations soumises par les parties a été versé aux dossiers à la Commission. J’en reproduis ici de longs extraits, qui reflètent selon moi les arguments fondamentaux que les parties ont invoqués et la jurisprudence sur laquelle ils sont fondés.

A. Pour le plaignant

11 Le plaignant a déposé ses arguments écrits le 28 novembre 2007.

[Traduction]

[…]

L’art. 187 de la LRTFP impose aux agents négociateurs le devoir de représenter leurs membres de bonne foi et de manière non discriminatoire. Ce devoir vaut pour la représentation des employés à la table de négociation et pour le dépôt et l’arbitrage des griefs et des plaintes contestant les violations de la LRTFP par l’employeur.

Pour que l’agent négociateur puisse s’acquitter de son devoir légal en vertu de l’art. 187 de la LRTFP, il doit selon le plaignant pouvoir communiquer facilement avec les employés membres de ses unités de négociation en ce qui concerne la négociation et les questions connexes, de même que les questions de représentation. Ce devoir légal exige qu’il puisse toujours communiquer avec ses membres […]

Pour ce faire, l’agent négociateur doit obtenir lorsqu’il les demande des renseignements à jour sur les employés, à savoir leur nom, le titre de leur poste, leurs numéros de téléphone personnel et au travail ainsi que leurs adresses postales et électroniques tant personnelles qu’au travail.

[…]

Dans le premier cas [mentionné aux parties par la Commission], l’employeur avait refusé de fournir les noms des employés qui allaient être visés dans une situation de réaménagement des effectifs. Son argument pour refuser de les communiquer était qu’il ne pouvait pas le faire, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Commission a rejeté cet argument, en concluant que l’agent négociateur avait droit aux renseignements demandés.

Dans la seconde décision […] Le gouvernement avait réagi en disant que communiquer de telles listes allait constituer une intrusion déraisonnable dans des renseignements personnels, et il avait donc rejeté la demande […] la Cour a ordonné la communication des renseignements réclamés.

Les deux décisions citées confirment la position du plaignant qu’il a le droit d’obtenir les renseignements demandés sans la moindre réserve. L’employeur a ces renseignements en sa possession; ce sont des renseignements dont le plaignant a besoin pour s’acquitter du devoir de représentation juste que la LRTFP lui impose. Le plaignant soutient que les deux défendeurs […] ne peuvent pas refuser de lui communiquer les renseignements demandés en invoquant des craintes pour la protection de la vie privée des employés; ces arguments ont été rejetés par divers tribunaux administratifs et autres.

[…]

Dans Millcroft Inn Ltd [2000] O.L.R.D.No. 2581, la Commission des relations de travail de l’Ontario […] a conclu que :

« [35] […] La capacité du syndicat de représenter les employés à l’égard desquels il détient les droits de négociation est réduite ou sapée par le refus de l’employeur de lui fournir le nom, les adresses et les numéros de téléphone des intéressés. Ce refus de l’employeur de donner au syndicat ces noms, ces adresses et ces numéros de téléphone constitue une intervention dans la capacité du syndicat de les représenter. »

Dans ce cas, l’employeur avait justifié son refus de fournir les renseignements demandés par souci de protéger la vie privée de ses employés. Sur ce point, la Commission ontarienne a conclu en ces termes :

« [36]Ce facteur peut être d’intérêt général, mais il ne suffit pas pour prévaloir sur l’importance, pour le syndicat, de pouvoir représenter efficacement ses membres à la table de négociation. »

La Commission des relations de travail de l’Ontario est aussi arrivée à une conclusion semblable dans les décisions dites Ottawa-Carleton District School Board [2001] O.L.R.D. No. 4575 […]

D’autres commissions et conseils provinciaux des relations de travail ont aussi rendu des décisions analogues. Dans CAW-Canada Local 114 v. Sun’s Enterprises (Vancouver) Ltd., Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique, 18 septembre 2004, le vice-président Mullaly a jugé que, pour pouvoir s’acquitter de son devoir légal de représentation juste, le syndicat doit pouvoir communiquer avec ses membres et que, si l’employeur n’a pas de raison d’exploitation valable pour refuser de lui fournir les renseignements dont il a besoin pour communiquer avec ces employés, il s’ingère dans leur représentation […]

[Traduction]

« À mon avis, l’employeur ne porte pas atteinte à la vie privée de ses employés s’il fournit à l’agent négociateur accrédité pour les représenter des renseignements qui permettent à celui-ci de communiquer avec eux pour s’acquitter de son devoir légal à leur endroit. »

Dans General Teamsters, section locale no 362 c. Monarch Transport Inc. et Dempsey Freight Systems Ltd., Conseil canadien des relations industrielles, 20 octobre 2003, le Conseil est arrivé à la même conclusion en vertu du Code canadien du travail.

Dans ce cas-là, l’employeur se disait aussi d’avis que la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE) lui interdisait de communiquer les renseignements demandés. La vice-présidente Pineau a conclu que deux principes fondamentaux s’appliquent à la communication des renseignements relatifs aux employés :

« Le premier est que la raison pour laquelle les syndicats peuvent obtenir les renseignements qu’ils réclament doit être légitime dans le contexte des relations du travail, le second étant fondé sur le fait que le refus de l’employeur de donner les renseignements au syndicat équivaut ou pas à une ingérence dans la capacité du syndicat de représenter les employés membres de l’unité de négociation. »

Le plaignant estime que la jurisprudence applicable est très claire : les agents négociateurs ont droit aux renseignements personnels concernant leurs membres que l’employeur a en sa possession et, par conséquent, nous demandons à la Commission de rendre une ordonnance en ce sens.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

B. Pour les défendeurs

12 Le défendeur a aussi déposé des arguments par écrit le 28 novembre 2007.

[Traduction]

[…]

Généralités

Les défendeurs nient avoir violé la LRTFP d’une façon quelconque. Ils comprennent les obligations légales de l’agent négociateur et ne contestent pas les principes posés dans la jurisprudence en ce qui concerne la divulgation de renseignements personnels aux syndicats pour leurs fins légitimes d’agents négociateurs. Néanmoins, les défendeurs […] ont des craintes pour la vie privée de leurs employés ainsi que d’autres sérieuses inquiétudes d’ordre pratique. Plus précisément, ils n’ont pas nécessairement tous les renseignements que le syndicat leur a demandés et ne peuvent pas garantir l’exactitude de ceux qu’ils détiennent.

Les principes de la jurisprudence

[…] [Les deux cas mentionnés dans la lettre de la Commission], de même que les nombreux cas qui y sont cités montrent que les lois sur la protection des renseignements personnels en vigueur dans diverses compétences autorisent effectivement la divulgation de renseignements personnels aux syndicats pour leurs fins légitimes d’agent négociateur.

Les défendeurs comprennent ce principe posé dans la jurisprudence et sont disposés à s’y conformer. Néanmoins, il y a une importante différence dans notre cas […]

Dans le premier cas cité […], la Commission avait ordonné à l’employeur de fournir les renseignements demandés, mais il est important de souligner que, dans ce cas-là, on n’avait jamais douté que l’employeur avait les renseignements en sa possession […] le témoin de l’employeur […] avait déclaré que la « communication [de ces renseignements] à la plaignante ne posait pas de problème d’ordre administratif; la difficulté provenait plutôt de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Dans le second cas […] le syndicat avait demandé au ministère de l’Éducation de la Nouvelle-Écosse une liste des personnes titulaires de certificats de compétence comme travailleurs de la construction et comme électriciens dans la province. Ce ministère avait l’information demandée en sa possession, puisque c’est lui qui délivrait ces certificats.

Les défendeurs comprennent les principes posés dans ces deux cas et ne les contestent pas. Toutefois, en l’espèce, ils n’ont pas nécessairement en leur possession tous les renseignements demandés par le syndicat, et rien ne peut garantir l’exactitude de ceux qu’ils détiennent. Comme ils n’ont jamais eu à se servir de ces renseignements jusqu’à présent, ils n’ont pas eu besoin de vérifier s’ils étaient complets pour tous les employés, ni de s’assurer de l’exactitude des renseignements qu’ils ont. Il est important aussi de souligner que les défendeurs n’ont jamais recueilli certains des renseignements réclamés par le plaignant, comme l’adresse électronique personnelle des intéressés.

D’autres décisions portant sur la divulgation des renseignements personnels à un agent négociateur confirment aussi les conclusions des deux cas susmentionnés, en précisant que ces renseignements personnels devraient être communiqués à l’agent négociateur pour ses fins légitimes. Ces cas-là démontrent aussi que l’employeur concerné avait l’information en question en sa possession. La jurisprudence suivante, elle, démontre l’importance que l’agent négociateur soit sur un pied d’égalité avec l’employeur, en obligeant celui-ci à lui donner les renseignements qu’il détient.

Dans Millcroft Inn Ltd., [2002] OLRB Rep. July/August 665, on a déclaré : « Une des conséquences du fait que le syndicat est l’agent négociateur exclusif des employés en fait l’égal de l’employeur dans sa relation de négociation collective. Dans la mesure où l’employeur détient des renseignements importants pour la capacité du syndicat de représenter les employés (comme leur nom, leur adresse et leur numéro de téléphone), le syndicat devrait les avoir aussi. » Cette décision reconnaît une fois de plus que l’employeur avait en sa possession les renseignements en question.

[…] Co-Fo Concrete Forming Construction Limited [1987] OLRB Rep. September 1213, 1222-2, […] démontre que le fait qu’on n’a pas les renseignements demandés est un facteur important dont il faut tenir compte dans l’examen de cas de divulgation d’information.

Commissariat à la protection de la vie privée du Canada

En plus d’examiner la jurisprudence, et comme ma lettre datée du 2 octobre 2007 le précisait, on a demandé au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (CPVPC) un avis sur les problèmes résultant de la divulgation de renseignements à un agent négociateur […]

[…] le CPVPC a de très sérieuses réserves quant à l’existence de même qu’à l’exactitude des renseignements réclamés par l’agent négociateur. Il a examiné la jurisprudence favorable à la divulgation de ces renseignements et il souscrit à l’argument qu’il y a une grande différence en l’espèce puisque l’employeur n’a peut-être pas tous les renseignements demandés en sa possession et que l’exactitude de ceux qu’il détient est sujette à caution.

Enfin, le CPVPC ne voyait pas comment la divulgation des renseignements demandés pouvait être considérée comme compatible avec la Loi sur la protection des renseignements personnels, puisque l’exactitude desdits renseignements est douteuse.

Conclusion

Les défendeurs nient avoir contrevenu aux al. 190(1)b) ou 190(1)g) de la LRTFP. Ils sont en général disposés à fournir les renseignements demandés qu’ils ont actuellement en leur possession, conformément à la jurisprudence.

Les défendeurs acceptent de se conformer au principe de mettre l’agent négociateur sur un pied d’égalité avec l’employeur. En toute déférence, toutefois, ils estiment qu’une ordonnance de la Commission ne devrait pas avoir pour effet de les forcer à recueillir des renseignements personnels à seules fins de les fournir à l’agent négociateur.

Comme je l’ai déjà dit, ce qui distingue le présent cas de la jurisprudence est le fait que les défendeurs n’ont pas en leur possession tous les renseignements personnels demandés par le plaignant. Ils peuvent en avoir une partie, mais sont incapables d’assurer l’exactitude de ceux qu’ils détiennent.

Si la Commission devait ordonner la divulgation des renseignements que les défendeurs ont en leur possession, son ordonnance devrait stipuler que le plaignant ne peut se servir des renseignements que pour les fins légitimes de l’agent négociateur, conformément à la LRTFP. En outre, et bien qu’il ne soit pas assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels, le plaignant devrait donner à la Commission des assurances qu’il va gérer les renseignements personnels qui lui seront divulgués conformément aux principes des pratiques d’information équitables décrites dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et dans son Règlement […]

[…] les défendeurs n’ont pas eu la possibilité de faire entendre des témoins et ne savent pas quels arguments le plaignant a invoqués en alléguant qu’ils ont violé la Charte […] Ils aimeraient se réserver le droit de répondre aux allégations du plaignant qu’il a violé la Charte […]

[…] dans l’éventualité où la Commission conclurait en faveur du plaignant, les défendeurs lui demandent en toute déférence de tenir une audience ou de nommer un médiateur à l’égard de tout redressement qu’elle pourrait envisager.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

C. Réfutation par le plaignant

13 Le plaignant a présenté ses arguments en réfutation par écrit le 13 décembre 2007 :

[Traduction]

[…]

Il ressort clairement des observations du défendeur que le Conseil du Trésor et l’Agence du revenu du Canada reconnaissent que l’Institut professionnel a le droit d’avoir les renseignements personnels concernant ses membres pour pouvoir s’acquitter du devoir que la loi lui impose. À en croire les observations du défendeur, le problème ne consiste pas à déterminer si l’agent négociateur a le droit d’avoir les renseignements, mais plutôt à savoir comment les obtenir.

Cela peut fort bien causer un problème d’ordre pratique au défendeur, mais la Commission ne devrait pas tenir cet argument pour une raison valide de nier notre droit légal d’avoir les renseignements en question. Les défendeurs savent depuis la promulgation de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, en 2005, que tous les agents négociateurs de la fonction publique fédérale allaient leur demander des renseignements personnels concernant leurs membres, et pourtant, ils n’ont pris aucune mesure à cette fin?

En toute déférence, nous estimons que le défendeur a les ressources et le personnel nécessaires pour faire une mise à jour de sa banque de données de renseignements personnels concernant ses employés. La jurisprudence citée dans les observations tant de l’Institut professionnel que du défendeur est tout à fait claire : nous avons droit aux renseignements personnels concernant nos membres, et aucun employeur ne saurait être autorisé à se cacher derrière des problèmes de procédure.

Le défendeur a invoqué des craintes pour demander à la Commission, si elle devait ordonner la communication des renseignements en question, que son ordonnance stipule que l’Institut professionnel devra s’en servir seulement pour les fins légitimes de l’agent négociateur qu’il est, conformément à la LRTFP […] L’Institut professionnel va se servir des renseignements du défendeur comme il l’a toujours fait, conformément à ses droits et obligations en vertu de la LRTFP, et il va continuer à le faire.

En ce qui concerne nos observations sur la violation de la charte, nous estimons en toute déférence que la Cour suprême du Canada a établi — dans Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Association v. British Columbia, 2007, CSC 27 — que la Charte prévoit le droit de négocier. En toute déférence, nous sommes d’avis que le défendeur viole les principes de liberté d’association et d’expression reconnus par la Charte en ne nous fournissant pas les renseignements personnels concernant nos membres.

[…]

D. Réfutation pour les défendeurs

14 L’avocat des défendeurs a lui aussi présenté ses arguments en réfutation par écrit le 13 décembre 2007 :

[Traduction]

[…]

Dans ses observations, le plaignant a passé sous silence certains éléments concernant sa plainte. Il s’est fondé seulement sur la disposition suivante de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) : al. 190(1)g), sur les pratiques déloyales de travail au sens de l’article 185.

Par conséquent, les défendeurs déclarent que toutes les autres allégations et redressements qui avaient été mentionnés dans la plainte mais qui ne l’ont pas été dans ces observations sont sans fondement. Cela comprend plus précisément :

  • la LRTFP : al. 190(1)b) contrevenir à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi);
  • la Charte canadienne des droits et libertés : al. 2d) liberté d’association et al. 2b) liberté d’expression;
  • le redressement réclamé par le plaignant pour se faire rembourser des dépenses;
  • le redressement qu’il a demandé subsidiairement concernant une « autorisation de poursuivre » en vertu du paragraphe 202(3) de la LRTFP. Je tiens à souligner à cet égard que le paragraphe 202(3) n’est pas applicable en l’espèce, puisqu’il porte sur la poursuite d’une organisation syndicale.

[…] Les défendeurs reconnaissent effectivement que la jurisprudence est favorable à la divulgation de renseignements personnels pour les fins légitimes du plaignant, à cela près que les décisions invoquées portent sur les renseignements que l’employeur intéressé avait en sa possession […] les défendeurs sont disposés à fournir les renseignements demandés qu’ils ont actuellement en leur possession […]

Les défendeurs soutiennent que le plaignant n’a pas démontré dans ses observations qu’ils aient contrevenu à la LRTFP. Ils maintiennent qu’il [sic] n’a pas contrevenu à l’art. 190 de la LRTFP contrairement à ce qui est allégué dans la plainte, voire pas du tout, et demandent en toute déférence que les plaintes soient rejetées.

[…]

III. Motifs

15 Les plaintes dont la Commission est saisie ont été déposées en vertu des alinéas 190(1)b) et g) de la Loi. En citant ces dispositions, le plaignant a qualifié le fait que les deux défendeurs ne lui ont pas fourni les renseignements qu’il avait demandés pour pouvoir communiquer avec les employés de manquement à l’obligation de négocier de bonne foi et de pratique déloyale de travail. Il a aussi allégué que cela constituait une violation des droits fondamentaux de liberté d’association et de liberté d’expression garantis respectivement par les alinéas 2 d) et 2 b) de la Charte.

16 Les motifs de décision qui suivent portent d’abord sur les allégations que les défendeurs ont contrevenu à la Loi. Mes conclusions sur cet aspect de la plainte me feront déterminer si je dois examiner les questions que le plaignant a soulevées en ce qui concerne la Charte.

A. Allégations d’infraction à la Loi

17 Les alinéas 190(1)b) et g) de la Loi se lisent comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

b) l’employeur ou l’agent négociateur a contrevenu à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi);

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

18 Le plaignant s’est-il acquitté de sa charge de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que sa plainte était fondée en vertu soit de l’alinéa 190(1)b), soit de l’alinéa 190(1)g) de la Loi, soit des deux à la fois?

1. Obligation de négocier de bonne foi

19 La plainte fondée sur l’alinéa 190(1)b) de la Loi est une allégation de manquement à l’article 106, qui impose aux parties l’obligation de négocier de bonne foi :

106. Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

20 Le plaignant fait valoir que l’employeur est légalement tenu de fournir à l’agent négociateur les renseignements sur les employés qui sont membres de l’unité de négociation dont celui-ci a besoin pour jouer toute la gamme des rôles de représentation que la Loi lui impose, notamment celui de négocier collectivement. Cela dit, le plaignant n’a pas clairement précisé dans ses observations que l’obligation de négocier de bonne foi en vertu de l’article 106 impose précisément à l’employeur le devoir de lui fournir ces renseignements. Le plaignant a allégué dans ses plaintes que l’employeur avait contrevenu à l’article 106, sans préciser dans les observations qu’il a déposées par la suite comment son refus de lui fournir des renseignements pour qu’il puisse communiquer avec ses employés constituait un manquement à son obligation de négocier de bonne foi, dans les circonstances qui ont donné lieu aux plaintes. L’employeur a donc soutenu que le fait que le plaignant n’avait pas invoqué cet argument prive les plaintes de fondement en ce qui concerne l’alinéa 190(1)b).

21 Nul ne conteste que la demande de renseignements du plaignant et la réponse (ou l’absence de réponse) des employeurs à cette demande ont eu lieu dans le contexte de la préparation à la négociation collective. Toutefois, le fait que le plaignant a demandé les renseignements en question pour se préparer à négocier collectivement impose-t-il inévitablement aux employeurs une obligation de négocier de bonne foi en vertu de l’article 106 de la Loi exigeant qu’ils lui fournissent les renseignements demandés? Le fait que l’employeur n’avait pas fourni ces renseignements au moment où les plaintes ont été déposées constitue-t-il en soi un manquement à l’obligation qui lui incombait à l’endroit de l’agent négociateur en vertu de cet article?

22 Il est troublant que le plaignant ait choisi de ne pas raffiner ses arguments sur l’application de l’article 106 de la Loi en l’espèce. Dans ses observations, il a bien fait état du lien entre l’accès aux renseignements nécessaires pour pouvoir communiquer avec les employés et la capacité de communiquer avec eux durant la négociation collective, mais en invoquant l’article 187 plutôt que l’article 106 de la Loi :

[Traduction]

[…]

Pour que l’agent négociateur puisse s’acquitter de son devoir légal en vertu de l’art. 187 de la LRTFP, il doit selon le plaignant pouvoir communiquer facilement avec les employés membres de ses unités de négociation en ce qui concerne la négociation et les questions connexes, de même que les questions de représentation. Ce devoir légal exige qu’il puisse toujours communiquer avec ses membres […]

[…]

23 Dans sa plainte originale, le plaignant avait expressément évoqué la responsabilité de l’agent négociateur de communiquer avec les employés pour [traduction] « […] l’élaboration d’un ensemble de propositions […] » afin de leur fournir « […] l’information […] sur la progression de la négociation […] » ainsi que sur les « […] dates et [les] lieux des votes de grève ou de ratification […] ». Dans les observations qu’il a déposées par la suite, toutefois, il n’a pas poursuivi sur cette lancée en affirmant que le refus des employeurs de lui donner les renseignements qu’il avait demandés avait sapé (ou saperait) sa capacité de communiquer avec les employés à ces fins ou avait nui autrement à sa capacité d’action à la table de négociation. Bref, il n’a pas établi dans ses observations une base suffisante pour que la Commission puisse conclure que les actions des employeurs avaient ou auraient réduit sa capacité de s’acquitter de ses responsabilités de négociation collective au point de constituer un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi qu’ils avaient à son égard.

24 Bien qu’on puisse peut-être faire valoir que l’obligation de négocier de bonne foi en vertu de l’article 106 de la Loi impose aussi à l’employeur celle de fournir certains types de renseignements sur ses employés membres de l’unité de négociation pour les fins de la négociation collective, je ne suis pas disposé à tirer cette conclusion en l’absence d’observations plus spécifiques du plaignant sur ce point. Le principe en jeu est de toute évidence extrêmement important et son application potentiellement très générale. La charge de prouver que sa plainte est fondée incombe au plaignant en vertu de l’alinéa 190(1)b), et il ne s’en est pas acquitté, à mon avis.

25 Pour ce motif, je souscris à l’argument de l’employeur que les plaintes ne sont pas fondées, en vertu de l’alinéa 190(1)b) de la Loi.

2. Pratique déloyale de travail

26 La plainte présentée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi dénonçait une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 :

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

27 La seule disposition de la Loi que le plaignant ait expressément invoquée dans ses observations écrites est l’article 187, qui se lit comme suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

28 Comme nous l’avons vu au paragraphe 19, le plaignant a fait valoir que la Loi impose à l’agent négociateur des responsabilités globales de représentation de tous les employés qui font partie de l’unité de négociation. Or, il ne peut pas s’acquitter de ces responsabilités légales lorsque les employeurs refusent de lui donner accès aux renseignements sur les employés dont il a besoin et qu’ils ont en leur possession. Le plaignant a expressément invoqué l’article 187 de la Loi comme source de ces obligations légales. Dans cette mesure, ses observations semblent revenir à dire que le refus des employeurs de lui fournir les renseignements pour contacter ses employés est une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185, compte tenu de l’article 187. Le plaignant ne le précise pas clairement dans ses observations, mais le fait qu’il a fondé ses plaintes sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi puis essentiellement attiré l’attention de la Commission sur l’article 187 dans ses arguments justifie cette déduction.

29 La façon du plaignant d’invoquer l’article 187 de la Loi dans ses observations est inhabituelle sinon sans précédent. Pour autant que je sache, dans ses décisions antérieures où elle a interprété l’article 187 (et dans celles où elle interprétait une disposition analogue de l’ancienne loi) la Commission s’est invariablement prononcée sur des allégations à l’endroit d’un agent négociateur et non sur celles d’un agent négociateur contre un employeur. Typiquement, on invoque l’article 187 quand un employé a allégué que les décisions ou les mesures de représentation d’un agent négociateur étaient arbitraires, discriminatoires ou entachées de mauvaise foi. Chose certaine, on appelle cet article la disposition sur le « devoir de représentation juste » de la Loi, un devoir des agents négociateurs à l’égard des employés.

30 La logique que le plaignant a de toute évidence demandé à la Commission d’accepter voudrait que l’existence d’un devoir de l’agent négociateur à l’égard des employés aux termes de l’article 187 de la Loi crée aussi une obligation légale de l’employeur de fournir au syndicat les renseignements sur les employés dont celui-ci a besoin pour les contacter. Je trouve cette logique originale et non sans intérêt, mais aussi sans rapport avec l’objet de la disposition en question. Invoquer un article de la Loi conçu pour permettre à une tierce partie d’examiner les activités de représentation d’un agent négociateur en vue de faire reconnaître une obligation imposant certaines responsabilités à l’employeur me semble présumer beaucoup trop de l’intention des législateurs.

31 Je crois que l’article 187 de la Loi a plutôt pour objet de situer les préoccupations exprimées dans les plaintes dans leur contexte que de les justifier. Je pourrais en dire autant sur d’autres dispositions de la Loi citées par le plaignant dans sa plainte originale qu’il n’a pas invoquées par la suite dans ses observations écrites : l’article 184 (tenue d’un vote de grève), l’article 183 (vote sur les dernières offres de l’employeur) et les articles 119 à 134 (sur les services essentiels). On peut prétendre que ces dispositions aident le plaignant à démontrer pourquoi il peut affirmer à juste titre qu’il avait besoin que l’employeur lui fournisse les renseignements sur ses employés pour pouvoir les contacter. Néanmoins, le plaignant doit démontrer sur quoi ses plaintes sont basées, en vertu d’une ou plusieurs des dispositions auxquelles l’article 185 renvoie expressément. Si la véritable raison pour laquelle il a dénoncé une pratique déloyale de travail ne figure pas dans l’article 187, dans quel article se trouve-t-elle?

3. Ingérence

32 Dans sa plainte, le plaignant a demandé à la Commission de déclarer que le refus des employeurs de donner à l’agent négociateur les renseignements sur ses employés pour qu’il puisse les contacter constituait [traduction] « […] une intervention dans l’administration d’une organisation syndicale et dans la représentation des employés par une organisation syndicale et une distinction injuste contre elle, ce qui est interdit par l’art. 186 de la LRTFP ». Les dispositions pertinentes de l’article 186 sont les suivantes :

[…]

186. (1) Il est interdit à l’employeur et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;

b) de faire des distinctions illicites à l’égard de toute organisation syndicale.

[…]

33 Curieusement, dans les observations écrites qu’il a soumises par la suite, le plaignant n’a plus mentionné l’article 186 de la Loi. Tout comme pour son allégation de manquement à l’obligation de négocier de bonne foi fondée sur l’alinéa 190(1)b), il n’a pas poursuivi expressément celle que les employeurs étaient intervenus dans son travail ou avaient fait des distinctions illicites contre lui, contrairement au paragraphe 186(1). Une fois de plus, l’absence d’argument raffiné sur l’application de la disposition législative pertinente est extrêmement troublante.

34 Même si le fait qu’il n’a pas poursuivi explicitement son allégation originale et que cela justifierait tout autant le rejet des plaintes fondées sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi que les plaintes fondées sur l’alinéa 190(1)b), comme je l’ai déjà décidé, plusieurs facteurs m’ont incité à conclure différemment. Premièrement, je suis convaincu d’avoir le droit d’estimer que le plaignant avait implicitement présenté un argument basé sur le paragraphe 186(1) à la Commission, en raison de la prépondérance de la jurisprudence qu’il a citée, même s’il n’a pas mentionné explicitement ce paragraphe dans ses arguments écrits, ni avancé des arguments en ses termes précis. Plus précisément, en insistant sur l’application de la jurisprudence où l’on a examiné la mesure dans laquelle le refus d’un employeur de fournir des renseignements sur ses employés à un agent négociateur constitue une intervention dans la représentation des employés par le syndicat, le plaignant a fait valoir sa thèse en vertu de l’alinéa 186(1)a), même s’il ne l’a pas fait en vertu de l’alinéa 186(1)b).

35 Deuxièmement, et même si les défendeurs ont déclaré dans leur réfutation que les plaintes n’étaient pas fondées en vertu de l’alinéa 190(1)b) de la Loi faute d’observations en ce sens, ils n’ont pas avancé le même argument pour contester la justification des plaintes fondées sur l’alinéa 190(1)g). Ils ont plutôt reconnu — tacitement ou pas — que les observations du plaignant faisaient valoir qu’il y avait eu une pratique déloyale de travail et que la Commission était saisie de cet argument.

36 Enfin, troisièmement, et c’est le plus important, la position des défendeurs quant au droit de l’agent négociateur aux renseignements réclamés m’a convaincu que l’intérêt public ne serait pas servi si je rejetais les plaintes parce que le plaignant n’aurait pas présenté un argument plus explicitement articulé invoquant le paragraphe 186(1) de la Loi.

37 Les défendeurs n’acceptent pas que leur refus de fournir des renseignements sur leurs employés valide les plaintes en vertu de l’un ou l’autre des alinéas 190(1)b) ou g) de la Loi. Ils n’ont guère laissé de doute, toutefois, tant dans leurs observations initiales que dans leur réfutation, qu’ils comprennent et acceptent que le plaignant devrait recevoir les renseignements sur les employés qui lui permettraient de les rejoindre :

[Traduction]

[…]

[…] Ils [les défendeurs] comprennent les obligations légales de l’agent négociateur et ne contestent pas les principes posés dans la jurisprudence en ce qui concerne la divulgation de renseignements personnels aux syndicats pour leurs fins légitimes d’agents négociateurs […]

[…]

[…] La jurisprudence […], elle, […] démontre l’importance que l’agent négociateur soit sur un pied d’égalité avec l’employeur, en obligeant celui-ci à lui donner les renseignements qu’il détient […]

[…]

[…] Ils sont en général disposés à fournir les renseignements demandés qu’ils ont actuellement en leur possession, conformément à la jurisprudence […]

Les défendeurs acceptent de se conformer au principe de mettre l’agent négociateur sur un pied d’égalité avec l’employeur.

[…]

[…] Les défendeurs reconnaissent effectivement que la jurisprudence est favorable à la divulgation de renseignements personnels pour les fins légitimes du plaignant […] les défendeurs sont disposés à fournir les renseignements demandés qu’ils ont actuellement en leur possession […]

[…]

38 Pour l’employeur, la question fondamentale n’est pas le principe que le plaignant cherche à établir dans ses plaintes (à savoir que l’employeur est tenu de fournir certains renseignements sur ses employés à leur agent négociateur), mais plutôt la nature de certains des renseignements demandés et les modalités de communication de ces renseignements à l’agent négociateur. Les défendeurs invoquent des craintes découlant de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, sur des questions liées à la capacité pratique des employeurs de fournir tous les renseignements demandés rapidement et avec l’exactitude nécessaire ainsi qu’à la protection par l’agent négociateur des renseignements qui doivent lui être fournis.

39 Tout ce qui précède me laisse entendre que le conflit sous-jacent aux plaintes porte bien moins sur l’existence d’un principe juridique dans la Loi que sur son application. La Commission s’est néanmoins fait demander de décider que ce principe est reconnu par la Loi. Dans un certain sens, c’est une situation vraiment inhabituelle, puisqu’on cherche dans la Loi une base juridique appropriée pour un principe largement reconnu par les parties. L’employeur admet effectivement la notion de base qu’invoque l’agent négociateur, bien qu’avec des réserves, mais il ne peut pas reconnaître qu’il a contrevenu à la Loi comme le plaignant allègue qu’il l’a fait, en raison de la forme des plaintes. Pour sa part, le plaignant fait valoir qu’on trouve dans toute la Loi des raisons convaincantes de justifier l’objectif qu’il cherche pourtant à atteindre en présentant des plaintes précises dont la forme influe nécessairement sur l’analyse que la Commission fait de la situation (et la restreint peut-être). La Commission, elle, doit avoir la prudence de rigueur et conclure qu’un principe juridique ne s’applique que s’il est possible de le trouver dans un article de la Loi qui se prête à l’analyse, en raison de la nature des plaintes précises qu’on lui a présentées.

40 À mon avis, la solution consiste à retourner à l’alinéa 186(1)a) de la Loi. En examinant les plaintes dans son contexte pour déterminer si elles sont fondées, la Commission peut décider si l’alinéa 186(1)a) reconnaît le principe fondamental que les parties acceptent de toute évidence. Si c’est le cas, elle peut être en mesure, par suite de sa décision sur les plaintes, de confirmer le principe que la Loi impose à l’employeur l’obligation de communiquer des renseignements sur ses employés à l’agent négociateur. L’analyse passerait ensuite aux questions de redressement ainsi qu’aux préoccupations soulevées dans les observations des parties. Si la Commission est incapable de conclure qu’elle est saisie d’une plainte fondée sur l’alinéa 186(1)a), elle doit passer aux questions concernant la Charte que le plaignant a soulevées.

41 L’alinéa 186(1)a) de la Loi interdit à l’employeur « de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci ». La situation dénoncée dans les plaintes n’est pas la participation ni l’intervention par l’employeur dans « la formation d’une organisation syndicale »; elle est probablement liée à la participation ou à l’intervention de l’employeur dans « l’administration » d’une organisation syndicale seulement dans un sens extrêmement général. Ce qui est plus directement en jeu est plutôt l’effet des actions ou de l’inaction des employeurs sur la « représentation » des employés par le plaignant. Dans le contexte des plaintes dont la Commission est saisie, par conséquent, le fait que l’employeur n’a pas fourni à l’agent négociateur les renseignements sur ses employés dont celui-ci avait besoin pour communiquer avec eux constitue-t-il une intervention dans la représentation des employés par le plaignant et, partant, contrevient-il à l’alinéa 186(1)a)?

42 Selon moi, la jurisprudence invoquée dans les observations justifie une réponse affirmative.

43 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor, Harder et Commission de la fonction publique, Hubbard, qui a été signalée aux parties par un employé de la Commission, l’agent négociateur avait présenté une plainte fondée sur l’article 23 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’ancienne Loi), en alléguant qu’un représentant de l’employeur n’en avait pas respecté les interdictions figurant notamment au paragraphe 8(1) :

8. (1) Il est interdit à quiconque occupant un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur, de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale, ou d’intervenir dans la représentation des fonctionnaires par une telle organisation ou dans les affaires en général de celle-ci.

44 Le contenu du paragraphe 8(1) de l’ancienne Loi est virtuellement identique à celui de l’alinéa 186(1)a) de la Loi.

45 Dans ce cas-là, l’agent négociateur plaignant avait demandé le nom et l’adresse de tous les fonctionnaires susceptibles d’être mis en disponibilité dans le cadre d’un programme de compression des effectifs que le gouvernement fédéral avait entrepris à l’époque. Selon lui, l’employeur était tenu de lui fournir les renseignements réclamés, et son refus de le faire contrevenait à l’interdiction du paragraphe 8(1) de l’ancienne Loi. Le défendeur avait répondu « […] qu’aucune disposition de l’article 8 ou d’un autre article de la LRTFP n’oblige[ait] les défendeurs à divulguer les noms et adresses des fonctionnaires touchés ». Là comme dans les plaintes en l’espèce, le défendeur avait ensuite évoqué des problèmes découlant de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui empêchaient selon eux l’employeur de fournir sans réserves les renseignements demandés à l’agent négociateur.

46 Les motifs de la décision rendue dans Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor, Harder et Commission de la fonction publique, Hubbard, portaient essentiellement sur les aspects relatifs à la protection des renseignements personnels que le défendeur avait soulevés. La Commission des relations de travail dans la fonction publique de l’époque (l’ancienne Commission) avait jugé que ces facteurs « […] ne [pouvaient] empêcher la communication des renseignements requis par la plaignante pour s’acquitter convenablement de ses responsabilités aux termes de la LRTFP […] ». En outre, l’ancienne Commission avait simplement répondu catégoriquement par l’affirmative à la question de savoir s’il existait une obligation fondamentale de fournir ces renseignements à la page 7 de sa décision :

[…]

La Commission conclut qu’en refusant de fournir les renseignements demandés à la plaignante, [le représentant de l’employeur] intervient dans la représentation des fonctionnaires par la plaignante contrairement au paragraphe 8(1) de la LRTFP.

[…]

47 Dans Millcroft Inn Ltd., [2000] O.L.R.D. No. 2581 (QL), citée par le plaignant, la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) s’est prononcée sur une question virtuellement identique dans le contexte suivant :

[Traduction]

[…]

2 La question à trancher dans une plainte de pratique déloyale de travail consiste à savoir si, en refusant de fournir au demandeur (le syndicat) le nom, l’adresse et le numéro de téléphone des employés membres de l’unité de négociation représentés par ce dernier, l’employeur défendeur (l’employeur/la compagnie) a contrevenu à l’article 70, qui dispose que :

70.  L’employeur, l’association patronale et une personne qui agit pour leur compte ne participent à la formation, au choix ou à l’administration d’un syndicat ou à la représentation des employés ni ne s’y ingèrent. Ils ne doivent pas non plus apporter à ce dernier une aide financière ou autre. Toutefois, l’employeur demeure libre d’exprimer son point de vue, pourvu qu’il ne recoure pas à la contrainte, à l’intimidation, à la menace, à une promesse ni n’abuse de son influence.

[…]

48 La CRTO a résumé les arguments des parties de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

8 Le syndicat déclare qu’il lui faut le nom, l’adresse et le numéro de téléphone des employés pour pouvoir s’acquitter de l’obligation que la Loi lui impose de les représenter équitablement comme il se doit. Il allègue que le refus de l’employeur de lui fournir ces renseignements revient à une intervention dans sa capacité de représenter les employés. Selon lui, cela contrevient à l’article 70 de la Loi.

9 L’employeur est d’avis qu’il n’intervient pas dans la représentation des employés par le syndicat. Dans la pire des éventualités, selon lui, il ne l’aide tout simplement pas à les représenter. Son avocat fait valoir que le syndicat a des moyens d’obtenir les renseignements qu’il réclame, en demandant aux employés de les lui fournir eux-mêmes soit en affichant un message au babillard, soit en faisant communiquer ses délégués avec chacun des employés.

10 L’avocat de l’employeur soutient que fournir au syndicat les renseignements qu’il réclame pourrait constituer une obligation si les parties avaient négocié une disposition en ce sens dans leur convention collective, mais, en l’absence d’une telle disposition, il ne saurait exister d’obligation générale de fournir ces renseignements, particulièrement dans des conditions comme en l’espèce, où, selon lui, le syndicat peut raisonnablement obtenir les renseignements en question en communiquant avec ses membres soit par l’affichage d’un message au babillard, soit par l’intermédiaire de ses délégués.

[…]

49 Dans sa décision, la CRTO a effectué un examen exhaustif de la gamme des responsabilités dont un syndicat accrédité pour représenter les employés doit s’acquitter, conformément à divers articles de la loi provinciale applicable. Elle a aussi analysé les responsabilités du syndicat découlant plus généralement de la jurisprudence, et particulièrement des décisions rendues dans la foulée de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929.

50 De nombreux éléments des conclusions de la CRTO sont pertinents pour les plaintes en l’espèce, mais je trouve les extraits suivants particulièrement révélateurs :

[Traduction]

[…]

24 La Commission a déclaré plusieurs fois que le refus de l’employeur de fournir le nom, l’adresse et le numéro de téléphone des employés pendant la négociation d’une convention collective peut constituer une pratique déloyale de travail. Toutefois, ce cas-ci ne se situe pas dans ce contexte. Le syndicat veut faire reconnaître son droit à ces renseignements en général, sans qu’il soit limité au contexte de la négociation collective.

[…]

26 Ce qui est patent dans ces exemples des obligations du syndicat vis-à-vis des employés membres de son unité de négociation, même quand il n’est pas en train de négocier une convention collective, c’est que le syndicat a le devoir de représenter les employés équitablement, d’une façon qui n’est ni arbitraire, ni discriminatoire. Il est évident aussi que, pour que le syndicat puisse s’acquitter de ce devoir, il doit être en mesure de communiquer directement avec chacun des employés qu’il représente.

[…]

31 Une des conséquences du fait que le syndicat est l’agent négociateur exclusif des employés en fait l’égal de l’employeur dans sa relation de négociation collective. Dans la mesure où l’employeur détient des renseignements importants pour la capacité du syndicat de représenter des employés (comme leur nom, leur adresse et leur numéro de téléphone), le syndicat devrait les avoir aussi. Les droits à la protection des renseignements personnels des employés sont sapés (sans aucun doute à juste titre) du fait que l’employeur connaît leur nom, leur adresse et leur numéro de téléphone. L’acquisition de ces renseignements par le syndicat ne saperait pas davantage les droits des employés et ne serait pas moins légitime.

[…]

33 L’établissement d’une relation de négociation collective entre un syndicat et un employeur entraîne un changement de la relation d’emploi entre ce dernier et ses travailleurs. La relation jusque-là individuelle devient collective — le syndicat devient l’agent des employés et, en tant que tel, il a le droit de parler en leur nom comme s’ils négociaient ensemble en groupe. Les employés ne peuvent pas négocier individuellement ni conclure des ententes personnelles avec l’employeur. Pour conclure de telles ententes, le syndicat a le droit d’obtenir toutes leurs instructions et de les représenter. Afin de pouvoir s’acquitter de cette obligation, il doit être en mesure de communiquer facilement avec les employés […] Le syndicat a besoin des renseignements et devrait les obtenir sans devoir surmonter tous les obstacles que l’employeur évoque.

[…]

35 Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la capacité du syndicat de représenter les employés dont il détient les droits de négociation est sapée ou minée par le refus de l’employeur de lui fournir leur nom, leur adresse et leur numéro de téléphone. Ce refus de l’employeur de donner au syndicat le nom, les adresses et les numéros de téléphone des employés constitue une ingérence sapant sa capacité de les représenter.

[…]

51 La CRTO a élargi les conclusions auxquelles elle était arrivée dans Millcroft Inn Ltd., un an plus tard, dans Ottawa-Carleton District School Board, 2001 CanLII 11073 (O.L.R.B.), décision également citée par le plaignant. Elle a trouvé alors une autre raison d’obliger l’employeur à fournir au syndicat les renseignements nécessaires pour contacter ses employés dans l’obligation que la loi impose à ce dernier, par exemple, de tenir des votes de grève et de ratification :

[Traduction]

[…]

13 Pour les raisons exposées dans Millcroft Inn Limited, la loi oblige l’employeur à communiquer au syndicat les renseignements que celui-ci demande en l’espèce. Le refus de le faire revient à intervenir dans la capacité du syndicat de représenter ses membres efficacement et constitue une pratique déloyale de travail. Millcroft Inn Limited décrivait plusieurs obligations syndicales. Il y en a d’autres aussi qui n’étaient pas mentionnées dans cette décision; par exemple, la Loi exige la tenue de votes de grève et de ratification. On se demande comment un syndicat pourrait tenir ces votes, établir une liste exacte de ceux de ces membres qui ont le droit de vote et les informer des modalités du scrutin s’il était incapable de communiquer avec eux hors de leur lieu de travail. Le syndicat ne devrait pas être contraint à s’adresser à l’employeur pour pouvoir s’acquitter de son devoir légal à l’égard des employés. Le paragraphe 79(9) de la Loi prévoit expressément les votes de grève postaux. Pourtant, les syndicats ne peuvent tenir de tels votes que s’ils ont les renseignements que le syndicat réclame dans le présent cas […]

[…]

52 Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a emboîté le pas. Dans General Teamsters, section locale no 362 c. Monarch Transport Inc. et Dempsey Freight Systems Ltd., [2003] CCRI no 249, le syndicat plaignant avait allégué que le refus de l’employeur défendeur de lui fournir les renseignements qu’il demandait sur ses employés constituait une pratique déloyale de travail au sens du paragraphe 97(1) du Code canadien du travail (Partie I). Le CCRI a analysé la jurisprudence qui commençait à être établie, dont une autre décision rendue antérieurement par la CRTO :

[…]

[20] La Commission des relations de travail de l’Ontario a récemment rendu une troisième décision dans l’affaire The Alcohol and Gaming Commission of Ontario, [2002] OLRB Rep. January/February 1, dans laquelle elle a réitéré les principes avancés dans Co-Fo Concrete Forming Construction Limited, précité et dans The Millcroft Inn Limited, précité. Elle a conclu dans cette troisième décision que l’employeur n’avait avancé aucune raison liée à l’exploitation pour justifier son refus de donner au syndicat les renseignements réclamés, ce qui constituait une infraction de la Loi […]

9. Le syndicat doit être capable de communiquer rapidement et aisément avec les employés qu’il représente. Pour pouvoir le faire efficacement, il lui faut leurs noms et leurs adresses. Les renseignements de ce genre sont particulièrement utiles lorsque le syndicat représente des membres d’une unité de négociation dispersés dans toute la province. Il ne suffit pas que le syndicat ait accès à leur numéro de téléphone au travail et à des babillards. Il peut avoir besoin de communications plus complètes ou privées que ce n’est possible au travail. Le syndicat est le représentant des employés et il a à leur endroit d’importantes obligations dont il ne peut s’acquitter que s’il lui est possible de communiquer avec eux (voir Millcroft Inn, précitée, paragraphes 20 à 29). En refusant de lui donner les renseignements demandés, la Commission est intervenue dans la représentation des membres de l’unité de négociation par le syndicat.

[…]

53 Le CCRI s’est ensuite penché sur les circonstances du cas qu’il devait trancher en l’espèce, en concluant ainsi :

[…]

[24] Il s’ensuit que si le syndicat ne pouvait obtenir ces renseignements, cela nuirait à sa capacité de représenter équitablement tous ses membres sur des questions d’emploi ainsi que pour l’ensemble du processus de la négociation collective […]

[25] Le Conseil souscrit aux conclusions de la Commission des relations du travail de l’Ontario dans The Millcroft Inn Limited, précité, à savoir que les droits fondamentaux du syndicat d’établir et de maintenir une relation de négociation collective découlent de la loi et n’ont pas besoin du consentement de l’employeur […] Ces droits sont le moyen de garantir que le syndicat puisse s’acquitter de ses obligations légales de représentation des employés. Ils sont distincts des droits exprès obtenus grâce à la relation de négociation, des droits que le syndicat ne peut avoir qu’avec le consentement de l’employeur […] Même si les parties peuvent être encouragées à s’entendre sur une clause de divulgation dans la convention collective, l’absence d’une telle clause n’empêche pas le syndicat d’obtenir les renseignements en question; il lui suffit de les demander.

[26] Dans le contexte de la négociation collective, le syndicat a besoin de communiquer avec les employés afin d’établir sa position de négociation, d’échanger avec eux pendant que les négociations sont en cours, de les informer de la tenue d’un scrutin de ratification ou d’un vote de grève, ainsi que d’obtenir leur appui pour les positions qu’il assume à la table de négociation. Pour pouvoir communiquer rapidement et efficacement avec les employés, le syndicat a besoin de renseignements à jour sur ceux qu’il représente.

[27] Même hors du processus de négociation, le syndicat a besoin de ces renseignements, par exemple pour déterminer, de concert avec les employés, s’il y a lieu de présenter un grief, de mener une enquête, de communiquer avec des témoins et les interroger, de s’informer des préoccupations des employés, toutes des activités qui font partie de son devoir de représentation juste. Pour s’acquitter convenablement de ce devoir, le syndicat doit pouvoir communiquer directement avec chacun des employés qu’il représente.

[28] Le Conseil conclut que le refus de l’employeur de communiquer au syndicat les noms, adresses et numéros de téléphone personnels des employés membres de l’unité de négociation constitue une ingérence qui nuit à la capacité du syndicat de représenter ces employés […]

54 Dans P. Sun’s Enterprises (Vancouver) Ltd. (Hotel Grand Pacific) v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada (C.A.W.-Canada), Local 114, [2003] B.C.L.R.B.D. No. B301 (QL), la Commission des relations de travail de la Colombie-Britannique (CRTCB) a souscrit au raisonnement de ces décisions ontariennes sur l’accès du syndicat aux renseignements détenus par l’employeur au sujet des employés membres de l’unité de négociation :

[Traduction]

[…]

23 Je souscris au raisonnement de la Commission de l’Ontario dans Millcroft et conclus (i) que pour s’acquitter des obligations que la loi lui impose, le syndicat doit pouvoir communiquer avec les employés qu’il représente et (ii) que si l’employeur n’a pas de raison d’exploitation valide pour refuser de donner au syndicat les renseignements dont celui-ci a besoin pour contacter ces employés, il intervient dans leur représentation par le syndicat.

[…]

55 Dans ce cas-là, la CRTCB s’était demandé si l’employeur avait contrevenu au code provincial du travail en n’accédant pas à la demande que le syndicat lui avait présentée pour obtenir [traduction] « […] une liste des noms, des adresses et des numéros de téléphone personnels des employés membres de l’unité de négociation […] », et le vice-président de la CRTCB avait conclu en faveur du plaignant :

[Traduction]

[…]

32 Je conclus (i) que le paragraphe 6(1) du Code interdit aux employeurs d’intervenir dans la représentation des employés par les syndicats et (ii) que si un employeur refuse sans avoir une bonne raison d’exploitation de fournir à un syndicat les renseignements dont celui-ci a besoin pour s’acquitter des obligations que la loi lui impose à l’endroit des employés qu’il représente, il intervient dans la représentation de ces employés […]

[…]

56 Certaines des décisions qui précèdent renvoient à d’autres décisions jurisprudentielles sur le lien entre le devoir de représentation des agents négociateurs, leur intérêt légitime à obtenir des employeurs des renseignements sur les employés assujettis à la convention collective ou sur leurs conditions d’emploi, les obligations que la loi impose aux employeurs et les craintes que ceux-ci expriment fréquemment en disant hésiter à fournir les renseignements demandés parce qu’ils sont personnels. Des craintes de ce genre étaient le principal enjeu dans Griffiths, une autre décision signalée aux parties par le personnel de la Commission.

57 Je n’ai trouvé dans la jurisprudence que je viens de résumer aucune raison de principe qui justifierait que la Commission s’écarte dans sa décision en l’espèce de l’orientation des tribunaux du travail d’autres importantes instances, voire des conclusions de l’ancienne Commission dans Alliance de la Fonction publique du Canada et Conseil du Trésor, Harder et Commission de la fonction publique, Hubbard. L’alinéa 186(1)a) de la Loi interdit à l’employeur d’intervenir dans la représentation des employés par un agent négociateur. La jurisprudence conclut en général que le refus des employeurs de fournir aux agents négociateurs les renseignements nécessaires pour qu’ils puissent communiquer avec leurs employés constitue effectivement le genre d’intervention dans la représentation des employés par un agent négociateur que ce type de disposition législative est censé prévenir. Une intervention comme celle-là constitue une pratique déloyale de travail.

58 Pour qu’une plainte soit accueillie, il suffit normalement que l’agent négociateur prouve qu’il a fait une demande d’information, que les renseignements réclamés peuvent être liés à des fins de représentation légitimes aux termes de la loi et que l’employeur a rejeté sa demande. Aucun principe clairement reconnu n’exige qu’on prouve que le refus de l’employeur a vraiment sapé la capacité de l’agent négociateur de représenter les employés, voire par exemple que ce refus est motivé par l’antisyndicalisme. Les craintes pour la vie privée peuvent influer sur la décision rendue, mais, même compte tenu de ce facteur, on a jugé dans la plupart des décisions que le droit de l’agent négociateur d’obtenir les renseignements en question prévaut sur les considérations normales de protection des renseignements personnels.

59 Dans les plaintes en l’espèce, le fait que l’agent négociateur a demandé des renseignements et que les employeurs ont refusé de les lui fournir n’est pas contesté. À mon avis, la principale question de « preuve » à trancher consiste à déterminer si les renseignements demandés par l’agent négociateur (« le nom, le titre du poste, les numéros de téléphone et les adresses postales et électroniques personnels et au travail de tous les employés membres de l’unité de négociation ») peuvent être liés à des fins de représentation légitime reconnues par la loi.

60 Sur ce point, le plaignant a fait état du devoir que la Loi lui impose de représenter les employés pour les fins de la négociation collective, de déposer des griefs et de les soutenir à l’arbitrage ainsi que de présenter des plaintes, en déclarant que c’était la principale raison pour laquelle il lui fallait ces renseignements sur les employés. Dans ses plaintes, il a aussi mentionné des responsabilités découlant de l’article 184 (tenue d’un vote de grève), de l’article 183 (vote sur les dernières offres patronales) et des articles 119 à 134 (sur les services essentiels). Dans ses observations écrites, il a déclaré que les responsabilités de l’agent négociateur l’obligent à communiquer [traduction] « toujours » avec les employés, y compris ceux assujettis au précompte syndical généralisé, autrement dit les membres de l’unité de négociation qui ont choisi de ne pas adhérer à l’organisation syndicale de l’agent négociateur. Bref, les renseignements dont il a besoin pour communiquer avec les employés sont indispensables à ses efforts de communication. Or, ces renseignements indispensables sont détenus par les employeurs.

61 On pourrait argumenter sur les renseignements relatifs aux employés dont le plaignant a besoin et sur le moment auquel il les lui faut pour chacune des fins de représentation qu’il a mentionnées. Cela dit, pour les fins de ma décision provisoire, à ce stade, je n’ai pas besoin d’analyser chacune de ces fins de façon détaillée, ni d’avoir toutes les précisions sur le type de renseignements nécessaires pour une activité donnée. Ce dernier élément doit plutôt faire partie selon moi d’une discussion sur le redressement réclamé.

62 À mon sens, la question fondamentale de la preuve est on ne peut mieux focalisée par les obligations que l’article 184 de la Loi impose à l’agent négociateur, ainsi que l’a mentionné le plaignant dans ses plaintes. Cet article se lit comme suit :

184. (1) L’organisation syndicale doit, pour obtenir l’approbation de déclarer ou d’autoriser une grève, tenir un vote au scrutin secret auprès de tous les fonctionnaires de l’unité de négociation, de façon que tous les fonctionnaires aient la possibilité d’y participer et d’être informés des résultats.

     (2) Le fonctionnaire de l’unité de négociation visée par un vote de grève qui affirme que le déroulement du scrutin a été entaché d’irrégularités peut, dans les dix jours suivant la date à laquelle les résultats sont annoncés, demander à la Commission de déclarer le vote invalide.

     (3) La Commission peut rejeter de façon sommaire la demande de déclaration d’invalidité du vote si elle est convaincue que les irrégularités soulevées n’auraient eu aucune incidence sur le résultat du vote.

     (4) Si elle prononce l’invalidité du vote, la Commission peut ordonner la tenue d’un nouveau vote en conformité avec les modalités qu’elle fixe dans l’ordonnance.

63 L’article 184 de la Loi est limpide : il exige que l’agent négociateur s’assure que tous les membres de l’unité de négociation, pas seulement ceux qui ont payé une cotisation au syndicat pour y adhérer, « […] aient la possibilité d’y participer [au vote de grève] et d’être informés des résultats. » Le libellé de la Loi est obligatoire. L’agent négociateur ne peut que se conformer à ce que la Loi exige de lui s’il est en mesure d’identifier tous les membres de l’unité de négociation et de communiquer avec eux. Il est depuis longtemps reconnu dans la jurisprudence — et du domaine public — que les renseignements dont les agents négociateurs disposent traditionnellement sont le plus souvent insuffisants à cette fin. S’ils sont généralement en mesure d’établir eux-mêmes les renseignements nécessaires pour communiquer avec ceux des employés qui ont adhéré au syndicat et qui leur ont fourni des renseignements personnels pour qu’ils puissent les contacter, les renseignements sur les « membres assujettis au précompte syndical généralisé », qui constituent parfois un gros pourcentage de l’unité de négociation, leur sont normalement impossibles à obtenir directement, et c’est pourquoi, dans ce cas, le plaignant a demandé les renseignements nécessaires aux employeurs.

64 Dans Ottawa-Carleton District School Board, on a reconnu ce dilemme : [traduction] « […] les votes de grève sont obligatoires en vertu de la Loi. On peut se demander comment un syndicat pourrait tenir ces votes en établissant une liste exacte des travailleurs qui ont le droit de voter et en les informant des modalités du scrutin s’il est incapable de communiquer avec eux hors du lieu de travail. » Dans cette décision, on avait conclu non seulement que l’employeur doit fournir au plaignant les renseignements sur ses employés dont celui-ci a besoin pour les contacter, mais aussi qu’il était justifié, en vertu de cette obligation, que l’employeur fournisse au syndicat l’adresse et le numéro de téléphone personnels des intéressés, c’est-à-dire les renseignements précis que l’employeur prétendait qu’il ne pouvait pas lui fournir pour des raisons de protection des renseignements personnels. On est arrivé à cette conclusion dans le contexte de l’obligation du syndicat de tenir un vote de grève (ou de ratification), par souci semble-t-il de préserver l’intégrité de ce vote obligatoire, parce qu’on aurait pu en douter s’il avait eu lieu dans les locaux de l’employeur et que le syndicat aurait dû se servir de l’adresse ou du numéro de téléphone au travail des syndiqués.

65 Je vais laisser de côté pour le moment la question de savoir s’il est indispensable pour le syndicat d’avoir les renseignements nécessaires pour communiquer avec les membres de l’unité de négociation chez eux en disant que je suis convaincu que l’approche que reflète la décision rendue dans Ottawa-Carleton District School Board doit s’appliquer dans le cas des plaintes dont je suis saisi. Compte tenu de l’obligation que l’article 184 de la Loi impose à l’agent négociateur de donner à tous les employés membres de l’unité de négociation « […] la possibilité d’y participer [au vote de grève] et d’être informés des résultats », le refus des employeurs de donner au plaignant les renseignements sur ses employés dont celui-ci avait besoin pour pouvoir les contacter à cette fin constituerait une intervention dans la représentation des employés par le plaignant au sens de l’alinéa 186(1)a) et, par conséquent, une pratique déloyale de travail pour les fins de l’article 185 et de l’alinéa 190(1)g).

66 Mon examen des dossiers de la Commission montre que le plaignant avait opté pour la conciliation comme méthode de règlement des différends dans l’éventualité d’un différend lors de la négociation collective pour deux des six unités de négociation à l’égard desquelles les plaintes en l’espèce ont été présentées, celle du groupe Systèmes d’ordinateurs (CS), dont le Conseil du Trésor est l’employeur, et celle du groupe Vérification, Finances et Sciences (AFS), dont l’employeur est l’Agence du revenu du Canada. Dans sa relation avec les deux défendeurs, la possibilité qu’il doive tenir un vote de grève en vertu de l’article 184 de la Loi est donc bien réelle et non hypothétique.

67 Tout au moins dans cette mesure, je conclus en principe que le refus des défendeurs de donner au plaignant au moins une partie des renseignements qu’il avait demandés pour pouvoir communiquer avec les employés constitue bel et bien une intervention dans la représentation des employés par celui-ci au sens de l’alinéa 186(1)a) de la Loi, compte tenu de l’obligation que l’article 184 lui impose.

68 J’estime que la même conclusion vaut pour l’article 183 de la Loi, qui prévoit la tenue d’un vote ordonné sur les dernières offres de l’employeur :

183. (1) Le ministre peut, s’il estime d’intérêt public de donner aux fonctionnaires qui font partie de l’unité de négociation en cause l’occasion d’accepter ou de rejeter les dernières offres que l’employeur a faites à l’agent négociateur sur toutes les questions faisant toujours l’objet d’un différend entre les parties :

a) ordonner la tenue sur les offres, dans les meilleurs délais et en conformité avec les modalités qu’il estime indiquées, d’un vote au scrutin secret auprès de tous les fonctionnaires de l’unité de négociation;

b) charger la Commission — ou la personne ou organisme qu’il désigne — de la tenue du scrutin.

[…]

69 Comme dans le cas d’un vote de grève tenu en vertu de l’article 184 de la Loi, ceux qui ont le droit de voter sur les dernières offres patronales en vertu de l’article 183 sont « tous les fonctionnaires de l’unité de négociation », pas seulement ceux qui sont membres de l’agent négociateur pour représenter l’unité de négociation. Pour que le vote sur ces dernières offres soit juste et légitime, il est impératif que l’agent négociateur puisse communiquer avec toutes les personnes qui ont le droit de vote pour leur présenter son point de vue sur son enjeu, ainsi d’ailleurs que tous les autres renseignements pertinents. S’il ne peut pas communiquer avec tous ces gens, l’employeur, qui est tout à fait capable de communiquer avec tout le personnel à son lieu de travail, aurait sur lui un avantage entièrement incompatible avec l’objectif fondamental de la Loi consistant à favoriser des relations patronales-syndicales efficaces et assurer le fonctionnement efficace du processus de négociation collective. Pour avoir accès à ceux et celles qui ont le droit de voter sur les dernières offres patronales, dans l’éventualité où le ministre se prévaudrait de son pouvoir discrétionnaire d’ordonner la tenue d’un vote en vertu du paragraphe 183(1), l’agent négociateur a besoin de renseignements qui lui permettent de communiquer avec tous les employés membres de l’unité de négociation. Qui plus est, en prévision d’un tel vote, il devrait être capable de communiquer aux membres de l’unité de négociation l’information sur ce qui s’est passé durant la négociation collective, afin que tous ceux et celles qui ont le droit de voter sur ce qui peut être les dernières offres de l’employeur aient la même base d’information. Il importe peu qu’il y ait effectivement un vote sur les dernières offres patronales (et l’on n’a jamais tenu de tel vote jusqu’à présent en vertu de la Loi), mais cela pourrait arriver, et l’agent négociateur n’a aucun contrôle à cet égard.

70 Je répète donc que je conclus en principe que le refus des défendeurs de donner au plaignant au moins une partie des renseignements sur ses employés pour qu’il puisse les contacter constitue une intervention dans la représentation des employés par celui-ci au sens de l’alinéa 186(1)a) de la Loi, compte tenu de l’obligation que l’article 183 lui impose.

71 Il est probable que j’aboutirais à la même conclusion en poursuivant mon analyse des responsabilités du plaignant en vertu d’une ou plusieurs autres dispositions de la Loi que les articles 183 et 184, et plus particulièrement des articles portant sur les phases du processus de négociation collective qui précèdent la tenue d’un vote sur les dernières offres de l’employeur ou d’un vote de grève. La jurisprudence que j’ai analysée tend de toute évidence nettement en ce sens. Toutefois, pour les fins de la décision provisoire que je dois rendre sur les plaintes, je ne crois pas avoir besoin de me lancer dans cette analyse plus poussée. Puisque j’ai conclu que la Loi impose au plaignant un devoir de représentation légitime — aux articles 183 et 184 — et que, par conséquent, le refus de l’employeur de lui fournir les renseignements demandés pour qu’il puisse communiquer avec les employés constitue une intervention dans leur représentation, j’estime avoir des motifs suffisants pour accueillir les plaintes en principe. Je laisse la possibilité d’une application plus générale de ma décision provisoire à ceux qui pourraient rendre des décisions sur d’autres plaintes à ce sujet.

3. Violations de la Charte

72 En concluant en principe en faveur du plaignant en vertu de l’alinéa 186(1)a) de la Loi, je conclus aussi que la Commission n’a pas besoin de se pencher sur ses autres allégations, à savoir que les employeurs ont violé les droits fondamentaux de liberté d’association et de liberté d’expression garantis respectivement par les alinéas 2 d) et b) de la Charte.

73 Si j’avais dû statuer sur ces allégations concernant la Charte, je me sens obligé de souligner que le plaignant n’a avancé dans ses observations écrites aucune raison satisfaisante pour justifier l’analyse qui s’impose quand des questions relatives à la Charte sont soumises à un tribunal. Dans les observations qu’il a déposées le 28 novembre 2007, le plaignant n’a fait aucune allusion à la Charte; dans sa réfutation, présentée le 13 décembre 2007, il a seulement déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En ce qui concerne nos observations sur la violation de la charte, nous estimons en toute déférence que la Cour suprême du Canada a établi — dans l’arrêt Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Association v. British Columbia, 2007, CSC 27 — que la Charte prévoit le droit de négocier. En toute déférence, nous sommes d’avis que le défendeur viole les principes de liberté d’association et d’expression reconnus par la Charte en ne nous fournissant pas les renseignements personnels concernant nos membres.

[…]

74 Cette déclaration du plaignant est une allégation et non une analyse ou un argument. Dans sa réfutation, l’employeur a déclaré que l’absence d’arguments du plaignant sur l’application des dispositions de la Charte qu’il a citées prive ses plaintes d’un fondement à cet égard, et il avait certainement raison.

4. Redressement

75 À la fin de leurs observations déposées le 18 novembre 2007, les défendeurs ont déclaré que :

[Traduction]

[…] dans l’éventualité où la Commission conclurait en faveur du plaignant, les défendeurs lui demandent en toute déférence de tenir une audience ou de nommer un médiateur à l’égard de tout redressement qu’elle pourrait envisager.

76 J’ai conclu en principe que le refus des défendeurs de fournir au plaignant les renseignements sur ses employés dont il avait besoin pour communiquer avec eux constitue une intervention dans la représentation des employés par celui-ci, ce qui justifie une décision d’accueillir les plaintes. J’estime toutefois correct de faire connaître ma conclusion sous forme de décision provisoire, et il me semble judicieux d’accéder à la demande de l’employeur que la Commission tienne une audience pour entendre d’autres arguments sur le redressement et sur les questions soulevées par les parties dans leurs observations respectives.

77 Sans limiter nécessairement la portée de l’audience sur le redressement, je tiens particulièrement à obtenir plus de détails sur ce que les parties pensent des éléments et des facteurs suivants : en termes pratiques, exactement quels renseignements sur les employés les employeurs détiennent-ils ou pourraient-ils détenir pour pouvoir communiquer avec eux, parmi les renseignements que le plaignant demande? Comment ces renseignements sont-ils tenus à jour pour qu’on soit sûr qu’ils sont valides et qu’on puisse s’en servir en temps opportun? De quels types précis de renseignements le plaignant a-t-il besoin pour s’acquitter de son devoir de représentation, et lesquels de ces types de renseignements devraient-ils lui être fournis par les défendeurs? Quand ceux-ci devraient-ils fournir ces renseignements au plaignant? À quelle fréquence faut-il les mettre à jour, à supposer qu’il faille le faire? Existe-t-il des façons pour les employeurs de s’acquitter de leur obligation de fournir ces renseignements tout en respectant raisonnablement leurs craintes dans le contexte de la Loi sur la protection des renseignements personnels? Plus précisément, quelles sont ces craintes? Devrait-on imposer au plaignant des conditions d’utilisation des renseignements, une fois que les employeurs les lui auront fournis?

78 Je suis convaincu que je n’ai pas encore de bases solides pour trancher ces questions. Par conséquent, pour être en mesure d’aller au-delà de ma conclusion de principe dans cette décision provisoire et de rendre une décision définitive sur les plaintes, j’ai besoin d’entendre d’autres arguments et peut-être aussi des témoignages.

79 Cela dit, je suis certain que la meilleure façon de déterminer les modalités du redressement à accorder dans un cas de ce genre est que les parties s’entendent à leur égard plutôt que de les imposer par une décision de la Commission. Les défendeurs ont offert d’emblée d’en parler avec le plaignant, qui a refusé la médiation, pour des raisons qui ne me paraissent pas claires. J’estime qu’il est crucial que les parties discutent maintenant ensemble avec ou sans l’aide d’un médiateur.

80 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit:

IV. Ordonnance

81 La Commission déclare en principe que les défendeurs sont intervenus dans la représentation des employés par le plaignant au sens de l’alinéa186(1)a) de la Loi, en refusant de lui fournir les renseignements sur leurs employés dont il avait besoin pour communiquer avec eux. Cette intervention constitue une pratique déloyale de travail.

82 La Commission ordonne aux parties d’entamer des consultations dans les 30 jours de la date de la présente décision en vue de déterminer si elles peuvent conclure d’elles-mêmes une entente au sujet des renseignements sur les employés qui doivent être fournis au plaignant pour que celui-ci puisse les contacter. Les services de médiation de la Commission sont à leur disposition à cette fin.

83 Si les consultations entre les parties n’aboutissent pas à une entente complète sur les questions en litige dans les 90 jours de la date de la présente décision, la Commission tiendra une audience pour trancher les questions qui n’auront pas été réglées, sur la foi des arguments qu’on lui présentera alors. La Commission enjoint à la directrice, Opérations du greffe et politiques, de communiquer immédiatement avec les parties pour fixer des dates provisoires en vue de cette audience, au besoin.

Le 21 février 2008.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Dan Butler,
commissaire

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