Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants ont déposé une plainte de pratique déloyale de travail- ils avaient déposé une plainte interne auprès du Syndicat des employé(e)s de l’impôt (SEI) contre un vice-président régional du SEI et avaient demandé que l’on enquête sur leur plainte- lorsqu’ils ont été informés du refus de l’employeur d’enquêter leur plainte, ils ont déposé la présente plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP)- ils ont allégué que le refus d’enquêter sur leur plainte enfreignait l’article187 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) - la plainte a été modifiée par la suite pour inclure une allégation de violation de l’alinéa 188c) de la LRTFP- l’Alliance de la Fonction publique du Canada, au nom des défendeurs, a contesté la compétence de la Commission d’entendre la plainte et de statuer sur celle-ci pour le motif que la plainte ne visait pas une violation à première vue de l’article187 ou de l’article 188 et que la Commission n’avait pas la compétence d’intervenir dans une question syndicale interne- le terme <<discriminatoire>> à l’alinéa188c) de la LRTFP a trait aux motifs de discrimination illicites énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne - ainsi, la plainte n'a pas précisé qu’il y avait eu à première vue une violation des droits des plaignants puisqu’on y utilisait le terme <<discriminatoire>> comme synonyme d’<<injuste>> ou d'<<arbitraire>> et qu'elle ne mentionnait aucune violation des droits de la personne- la compétence accordée à la Commission aux termes de l’article187 n’inclut pas les questions syndicales internes, mais a trait plutôt à la représentation des employés par l’agent négociateur dans le cadre de ses rapports avec l’employeur. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-12-05
  • Dossier:  561-34-338
  • Référence:  2008 CRTFP 103

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

LINDA SHUTIAK, MARY BALL ET VIVIAN YOUNG

plaignantes

et

SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DE L’IMPÔT — BETTY BANNON,
PRÉSIDENTE NATIONALE

défendeurs

Répertorié
Shutiak et al. c. Syndicat des employé(e)s de l’impôt — Bannon

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michel Paquette, commissaire

Pour les plaignantes :
Linda Shutiak

Pour les défendeurs :
Jacquie de Aguayo, Alliance de la Fonction publique du Canada

(Décision rendue sans audience)
(Traduction de la CRTFP)

Plainte devant la Commission

1 Le 4 juillet 2008, Linda Shutiak, Mary Ball et Vivian Young (les « plaignantes ») ont déposé une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») contre le Syndicat des employé(e)s de l’impôt (SEI) et Betty Bannon (les « défendeurs »). Dans leur plainte, elles alléguaient que les défendeurs étaient coupables de pratique déloyale de travail pour avoir refusé de mener une enquête [traduction] « comme le prévoient les Statuts et Règlements du Syndicat, sans délai ». Elles alléguaient que les défendeurs, par leur inaction, enfreignent l’article 187 de la Loi.

2  Les plaignantes ont d’abord déposé en mars 2008 une plainte interne adressée à Mme Bannon, la présidente nationale du SEI, qui est une composante de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Dans cette plainte, elles ont formulé les allégations suivantes :

[Traduction]

[…]

En vertu du Règlement 26.2(2)(d) du SEI, vous trouverez ci-joint une plainte officielle contre Terry Dupuis, vice-président régional. Nous déposons cette plainte en vertu des dispositions du Statut 11, article 3, paragraphes (7), (13) et (15) du SEI. Nous vous remercions d’avance de régler sur-le-champ cette question sérieuse.

[…]

3 Lorsqu’elles ont estimé que leurs préoccupations n’ont pas été réglées adéquatement, elles ont déposé une plainte à la Commission.

4 Les plaignantes ont joint à leur plainte une copie de la plainte interne. Dans leur plainte présentée à la composante, les plaignantes ont allégué qu’un vice-président régional avait dit, au cours d’une réunion syndicale, une phrase qu’elles ont décrite comme intimidante, coercitive et en violation de la politique de lutte contre le harcèlement du SEI. Les plaignantes ont également joint une copie de la réponse de Mme Bannon, qu’elles ont reçu en avril 2008, selon laquelle il n’y aura pas d’enquête, et une copie d’une lettre envoyée par les plaignantes à Mme Bannon en avril 2008, rejetant sa décision de ne pas mener d’enquête.

5 L’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui est l’agent négociateur et donc le défendeur approprié, a répondu pour le compte du SEI et de Mme Bannon le 5 août 2008 en s’opposant à la plainte. Elle a fait valoir que la plainte ne soutenait pas qu’il y ait eu violation à première vue de l’article 187 ou de l’article 188 de la Loi.

6 Dans une lettre en date du 18 août 2008, Mme Shutiak a clarifié la plainte de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

Il semble que mon interprétation de l’article 187 de la loi ne correspond pas à celle de l’AFPC et de la CRTFP. À mon avis, l’article 187 signifie qu’il était interdit à un agent négociateur d’agir de manière arbitraire, discriminatoire ou avec mauvaise foi dans TOUS ses rapports avec ses membres, et non seulement en matière de représentation dans ses rapports avec l’employeur.

Je modifie donc ma plainte de manière à inclure une violation de l’alinéa 188(c). Je prétends que cet alinéa s’applique parce que l’agent négociateur refuse de prendre des mesures disciplinaires à l’endroit d’un membre. J’ai personnellement fait l’objet d’une mesure disciplinaire prise par Betty Bannon, présidente nationale du Syndicat des employé(e)s de l’impôt, une composante de l’AFPC, fondée sur une preuve beaucoup plus mince que celle qui a été produite dans la présente plainte. J’attends une date d’audience dans la présente affaire.

[…]

7 À titre de mesure corrective, les plaignantes ont demandé ce qui suit dans la formule de plainte présentée à la Commission :

[Traduction]

[…]

En vertu de l’alinéa 192.(1)d), nous demandons que la CRTFP ordonne au Syndicat des employé(e)s de l’impôt (et à sa présidente nationale, Betty Bannon) de procéder à une enquête, tel qu’il est prévu dans les Statuts et les Règlements du Syndicat, sans délai.

[…]

8 Les dispositions pertinentes de la Loi sont ainsi rédigées :

[…]

          187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

          188. Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte

[…]

c) de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;

[…]

          190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

          192. (1) Si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment :

[…]

d) en cas de contravention par une organisation syndicale de l’article 187, lui enjoindre d’exercer, au nom du fonctionnaire, les droits et recours que, selon elle, il aurait dû exercer ou d’aider le fonctionnaire à les exercer lui-même dans les cas où il aurait dû le faire;

[…]

Objection à la compétence de la Commission

9 Tel qu’il est exposé précédemment, l’agent négociateur a soulevé une objection à la compétence de la Commission d’instruire la plainte. L’agent négociateur a fait valoir que la Commission ne possède pas le pouvoir d’intervenir dans un dossier syndical interne. Compte tenu de son objection, l’AFPC a demandé le rejet de la plainte sans audience en vertu de l’article 41 de la Loi.

Motifs

10 Les plaignantes allèguent que le SEI et Mme Bannon ont enfreint l’article 187 et l’alinéa 188c) de la Loi parce qu’ils n’ont pas fait enquête sur une plainte tel qu’il est prévu dans les Statuts et les Règlements du SEI et parce qu’ils n’ont pas pris de mesure disciplinaire à l’encontre de l’un de leurs membres.

11 La Commission actuelle et celle qui l’a précédé, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), se sont fait demander à maintes reprises d’examiner des situations touchant les affaires internes d’un agent négociateur en vertu de la version actuelle et de la version antérieure de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Dans St-James et autres c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada) et Cres Pascucci, dossier de la CRTFP 100-1 (19920331), la Commission a déclaré :

[…]

La Commission des relations de travail dans la fonction publique n’a pas d’autres pouvoirs que ceux que lui confère la loi. Or, il est tout à fait clair que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne lui donne pas le droit de régir les affaires internes des agents négociateurs. Le fait d’avoir été accrédité en vertu de l’article 28 de la Loi impose sans aucun doute des obligations à l’agent négociateur. Cependant, comme l’a fait remarquer le représentant des défendeurs, à moins que les mesures de l’agent négociateur ne touchent les relations employeurs-employés, la Commission ne peut intervenir. […]

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

12 Quoique la décision St-James et autres soit antérieure à l’entrée en vigueur du paragraphe 10(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique en 1993, qui a imposé le devoir de représentation équitable, le raisonnement élaboré par la Commission dans cette décision a été suivi par la Commission précédente, comme on le constate dans Bracciale et al. c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat des employé(e)s de l’impôt, section locale 00048), 2000 CRTFP 88 :

[…]

[28] Comme on peut le constater à la lumière de ce qui précède, la Commission n’a pas d’autres pouvoirs que ceux que lui confère la Loi. Le paragraphe 10(2) de la Loi a toujours été interprété par la Commission comme s’appliquant exclusivement à la représentation, par un agent négociateur, de ses membres dans des affaires touchant directement leurs relations avec l’employeur. Je ne vois aucune raison de m’écarter de ce raisonnement.

[…]

13 La Loi, édictée en 2005, renferme maintenant des dispositions, exposées à l’article 188, qui permettent à la Commission de faire enquête sur les affaires internes d’un agent négociateur, mais seulement dans certaines circonstances. L’alinéa 188c) de la Loi, invoqué par les plaignantes dans leur modification de la plainte, interdit à un agent négociateur de prendre des mesures disciplinaires ou d’imposer une forme de sanction à un membre « d’une manière discriminatoire ».

14 L’une des plaignantes, Mme Shutiak, prétend dans sa lettre en date du 18 août 2008, qu’elle a déjà par le passé « personnellement fait l’objet d’une mesure disciplinaire prise par Betty Bannon, fondée sur une preuve beaucoup plus mince que celle qui a été produite dans la présente plainte ». Elle ne fait aucunement mention qu’elle-même ou les deux autres plaignantes ont fait l’objet de mesures disciplinaires prises par Mme Bannon dans le cas qui nous occupe.

15 Je crois par conséquent comprendre que Mme Shutiak soutient que son agent négociateur a pris une mesure disciplinaire contre elle d’une manière discriminatoire en lui imposant une sanction sans en imposer une au membre contre lequel elle a déposé la plainte. Mme Shutiak utilise donc le mot « discriminatoire » comme synonyme d’« injuste » ou d’« arbitraire ».

16 Le mot « discriminatoire » n’est pas défini dans la Loi, mais je conclus qu’il renvoie aux motifs de distinction illicites qui sont énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. La nouvelle Loi confère effectivement à la Commission le pouvoir de faire enquête sur les affaires syndicales internes dans certaines circonstances, mais la Loi ne va pas jusqu’à permettre à un membre d’assujettir chaque décision d’un agent négociateur à l’examen de la Commission.

17 Si le législateur avait eu l’intention de permettre à un membre de l’agent négociateur de contester les décisions internes du syndicat sur la base de l’équité, les mots « arbitraire » ou « injuste » auraient été utilisés, comme dans l’article 187. L’utilisation du mot « discriminatoire », qui a une signification juridique particulière, est importante et limite l’enquête de la Commission aux motifs illicites énoncés dans la loi fédérale sur les droits de la personne. Comme les plaignantes n’allèguent pas que les gestes de leur agent négociateur contreviennent à leurs droits de la personne, la plainte n’établit pas une violation à première vue de l’article 187.

18 En outre, Mme Ball et Mme Young n’ont aucunement allégué avoir également fait l’objet d’une mesure disciplinaire de la part de l’agent négociateur, cette mesure ayant été de nature discriminatoire. Elles n’ont donc pas allégué qu’elles ont fait l’objet d’un traitement qui pourrait mener à une allégation de violation de l’alinéa 188c).

19 Enfin, en ce qui concerne la partie de la plainte qui renvoie à l’article 187 de la Loi, je souscris aux arguments de l’agent négociateur. La Commission a compétence en vertu de l’article 187 de la Loi pour statuer sur des allégations selon lesquelles un agent négociateur a agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi « en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité ». Il est bien établi dans la jurisprudence de la Commission que l’article 187 ne traite pas de questions concernant les affaires internes d’un agent négociateur, mais porte plutôt sur la représentation des employés par l’agent négociateur dans ses rapports avec l’employeur : Kraniauskas c. AFPC et al., 2008 CRTFP 27. Comme les plaignantes n’ont fait aucune allégation concernant les gestes du syndicat à l’égard de l’employeur, les plaignantes n’ont pas établi de preuve à première vue en vertu de l’article 187.

20 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit:

Ordonnance

21 La plainte est rejetée.

Le 5 décembre 2008.

Traduction de la CRTFP

Michel Paquette,
commissaire

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