Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignantes ont avancé que le fait que la candidate retenue avait été nommée deux fois par intérim à ce poste lui donnait un avantage pour le test standardisé. Elles ont affirmé, en outre, que la candidate retenue disposait d’un bureau fermé, munie d’une plaque nominative sur la porte, ce qui représentait à leurs yeux une autre preuve de favoritisme personnel. L’intimé a présenté dans son argumentation les points suivants : les nominations intérimaires n’avaient pas favorisé la candidate retenue puisque l’expérience en supervision ne figurait pas dans les qualifications essentielles; la zone de sélection n’était pas limitée au ministère de la Défense nationale; l’intimé aurait pu opter pour un processus non annoncé pour la nomination; le test standardisé et la vérification des références sont des méthodes d’évaluation reconnues. Décision : Le Tribunal a jugé que les nominations intérimaires au poste de chef d’équipe n’avaient aucune incidence sur le processus de nomination. Les plaignantes n’avaient pas prouvé que les nominations intérimaires antérieures aient donné à la candidate retenue un avantage injuste par rapport au test standardisé. D’autres candidats avaient passé le test standardisé, y compris l’une des plaignantes. En outre, l’expérience de la supervision ne faisait pas partie des qualifications essentielles. Enfin, les perceptions par rapport à l’usage du bureau du chef d’équipe n’appuient l’allégation selon laquelle la sélection de la candidate retenue aurait été déterminée à l’avance. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers:
2006-0157 et 0158
Rendue à:
Ottawa, le 23 août 2007

BRENDA CARLSON-NEEDHAM ET TRACY BORDEN
Plaignantes
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plaintes d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par:
Sonia Gaal, vice-présidente
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Carlson-Needham et Borden c. Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Référence neutre:
2007 TDFP 0038

Motifs de la décision

Introduction

1 Le 5 octobre 2006, Mme Brenda Carlson‑Needham a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, S.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). La plaignante a posé sa candidature en vue d’obtenir le poste de chef d’équipe, Rémunération, AS‑03 (processus no 06‑DND‑IA‑EDMTN‑050672) au ministère de la Défense nationale.

2 Le 6 octobre 2006, Mme Tracy Borden a également présenté une plainte relativement au processus susmentionné, pour les mêmes motifs.

3 Les deux plaignantes allèguent que l’intimé, le sous-ministre de la Défense nationale, a abusé de son pouvoir et qu’il a fait preuve de favoritisme personnel au moment de la sélection de la candidate retenue, Mme Dawn Neufeld.

4 Le 20 avril 2007, le Tribunal a envoyé aux parties une lettre de décision dans laquelle il les informait de la jonction des dossiers, conformément à l’article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6.

5 Une audience sur le fond s’est tenue à Edmonton (Alberta) les 27 et 28 juin 2007. La présente décision contient un résumé des éléments de preuve pertinents.

Résumé des éléments de preuve pertinents

6 Mme Diane Law, gestionnaire, Services de rémunération, qui a témoigné longuement au nom de l’intimé, était responsable de l’équipe de la Rémunération du bureau d’Edmonton. Toutefois, le bureau de Mme Law était situé à Winnipeg. Cette dernière a affirmé qu’en moyenne elle se rendait au bureau d’Edmonton trois ou quatre fois par année. Mme Law a exercé les fonctions de chef d’équipe pour le bureau d’Edmonton, à titre intérimaire, jusqu’à ce qu’elle obtienne la permission de nommer quelqu’un pour occuper ce poste intérimaire, ce qu’elle a ensuite fait.

7 Le poste de chef d’équipe, Rémunération (appelé ci‑après « chef d’équipe »), au bureau d’Edmonton a été annoncé sur Publiservice. La date de clôture indiquée était le 26 juillet 2006.

8 Le comité d’évaluation était composé de Diane Law, Geneviève Ménard, agente des ressources humaines, et Arlene McLafferty, gestionnaire, Rémunération, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada.

9 Il a été décidé que l’évaluation des candidats se ferait au moyen d’un examen de connaissances, du test standardisé de la Commission de la fonction publique (la CFP) intitulé « Exercice de simulation pour superviseur (428) » (appelé ci‑après « test standardisé ») et de la vérification des références.

10 Les plaignantes ont participé au processus de nomination interne annoncé pour la dotation du poste.

11 Mme Carlson‑Needham a réussi l’examen de connaissances et le test standardisé. Toutefois, à la suite de la vérification auprès des répondants, le comité d’évaluation a déterminé que la plaignante ne possédait pas toutes les qualifications essentielles, particulièrement celle relative à « l’entregent ». Sa candidature n’a donc pas été retenue en vue des autres étapes du processus.

12 Quant à Mme Borden, elle a réussi l’examen de connaissances, mais elle a échoué au test standardisé; il n’a donc pas été nécessaire de communiquer avec ses répondants puisqu’elle ne faisait plus partie du processus.

13 Mme Dawn Neufeld a été nommée au poste de chef d’équipe le 3 octobre 2006.

14 Avant la nomination de Mme Neufeld, le poste avait été vacant de 2004 à 2006.

15 En 2003, il y avait déjà eu un concours visant à doter le poste de chef d’équipe. Les deux plaignantes avaient alors vu leur candidature rejetée parce qu’elles ne possédaient pas l’expérience de la supervision, partie intégrante des qualifications essentielles à ce moment-là. La candidate retenue au terme du processus dont il est question, Mme Neufeld, avait été jugée qualifiée pour le poste en 2003 et son nom avait été inscrit sur une liste d’admissibilité.

16 Mme Neufeld a occupé ce poste à titre intérimaire du 3 août 2004 au 31 mars 2005, puis à nouveau du 24 mai au 19 août 2005.

17 Mme Law a expliqué qu’elle avait nommé Mme Neufeld au poste de chef d’équipe à titre intérimaire pendant la première période d’intérim puisque son nom figurait sur la liste d’admissibilité pour le poste, laquelle était toujours valide.

18 Au cours de la deuxième période, soit du 24 mai au 19 août 2005, Mme Law était en congé. Le directeur de cette dernière, M. Murray, avait nommé Mme Neufeld à ce poste pour une période inférieure à quatre mois. Il n’avait pas demandé l’avis de Mme Law avant de prendre cette décision.

19 Mme Borden, qui a témoigné au nom des plaignantes, a affirmé que celles‑ci avaient demandé à Mme Law pourquoi leur candidature n’avait pas été prise en considération pour une nomination intérimaire lorsque Mme Neufeld était en congé. Mme Law leur avait répondu que leur candidature n’avait pas été retenue parce que leur nom ne figurait pas sur la liste d’admissibilité établie en 2003.

20 Le personnel du bureau d’Edmonton a emménagé dans ses nouveaux locaux en avril 2005. Le 31 mai, des plaques ont été commandées pour les portes de divers secteurs, comme les ressources humaines, le local technique, la salle à manger, etc. Sur certaines plaques, il y avait un espace libre en dessous du nom du secteur pour ajouter le nom de la personne occupant le bureau. Par exemple, la plaque d’identification de la candidate retenue, Dawn Neufeld, avait été commandée pour le bureau 005 et portait l’inscription « Chef d’équipe, Rémunération », puisque celle‑ci occupait alors le poste de chef d’équipe intérimaire. Le bureau 005 était un bureau fermé, contrairement aux bureaux des conseillers en rémunération qui étaient situés dans une aire ouverte, séparée par des cloisons.

21 Mme Law a expliqué que, même si le poste de chef d’équipe était vacant, elle souhaitait que quelqu’un assure une présence physique dans le bureau du chef d’équipe, Rémunération. Elle a demandé aux membres du personnel de s’entendre pour décider à qui reviendrait ce bureau parce qu’elle tenait à ce qu’il soit occupé. Elle craignait que le ministère ne perde l’usage du bureau en cas d’inoccupation prolongée et que les murs ne soient démolis au profit d’un espace plus dégagé. Mme Law croyait qu’il était important que la personne exerçant les fonctions de chef d’équipe dispose d’un bureau fermé. Par conséquent, Mme Neufeld a utilisé ce bureau pendant son intérim.

22 Mme Law a témoigné qu’elle a dit à certains conseillers en rémunération qu’elle changerait Mme Neufeld de bureau si la situation leur déplaisait. Il semble qu’ils n’aient exprimé aucune préoccupation à cet égard. Mme Law a admis qu’elle n’avait pas remarqué que le nom de Mme Neufeld était inscrit sur la plaque figurant à l’entrée du bureau du chef d’équipe lorsqu’elle est allée au bureau d’Edmonton après la fin de la période d’intérim. Elle a ajouté qu’elle aurait enlevé la plaque si quelqu’un s’en était plaint.

23 Mme Law a reçu une demande en janvier 2006 afin que Mme Neufeld change de bureau pour retourner auprès de ses collègues à la fin de sa période d’intérim. Mme Law a refusé et a envoyé un courriel en date du 13 janvier dans lequel elle affirmait que c’était le « statu quo dans le bureau » [Traduction].

Question en litige

24 Le Tribunal doit répondre à la question suivante :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir et fait preuve de favoritisme personnel au moment de la nomination de la candidate reçue?

Argumentation des parties

A) Argumentation des plaignantes

25 Les plaignantes présentent deux arguments principaux afin de démontrer qu’il y a eu favoritisme personnel en ce qui a trait à la nomination de Mme Neufeld.

26 Premièrement, Mme Neufeld a obtenu deux nominations intérimaires, ce qui lui conférait un avantage pour le test standardisé, puisqu’aucune autre personne n’avait eu l’occasion d’occuper ce poste de façon intérimaire, et ce, même durant l’absence de Mme Neufeld. Comme les possibilités de nomination intérimaire sont peu fréquentes pour le personnel du bureau, il est évident que Mme Neufeld était la candidate pressentie et que l’issue du processus était déterminée à l’avance.

27 Les plaignantes croient que le fait de nommer plus d’employés à des postes intérimaires de niveau supérieur permettrait à ces derniers de pouvoir obtenir des possibilités d’avancement professionnel au sein de la fonction publique. Il n’existe aucune loi ni aucun règlement prévoyant que seules les personnes dont le nom figure sur une liste d’admissibilité peuvent exercer des fonctions à titre intérimaire.

28 Deuxièmement, une autre indication permettant de croire qu’il y a eu favoritisme personnel à l’endroit de Mme Neufeld est le fait qu’elle occupait le bureau fermé et que son nom figurait sur la plaque en dessous du titre « Chef d’équipe, Rémunération », même si aucune nomination n’avait encore été faite et que sa période d’intérim était terminée.

29 Selon Mme Borden, les employés et les membres du personnel des Ressources humaines avaient l’impression que Mme Neufeld était la chef d’équipe puisqu’elle occupait ce bureau. Cette situation était tolérée par les nombreuses personnes qui se rendaient au bureau d’Edmonton, notamment Mme Law et son directeur, M. Murray. De fait, personne ne s’est donné la peine d’enlever le nom de Mme Neufeld sur la plaque à la fin de sa période d’intérim à titre de chef d’équipe.

B) Arguments de l’intimé

30 Le processus choisi par l’intimé en l’espèce démontre que l’issue n’était pas déterminée à l’avance en faveur de Mme Neufeld. Par exemple, l’expérience de la supervision ne figurait pas parmi les qualifications essentielles, contrairement au processus de 2003, ce qui avait eu pour résultat de rejeter la candidature des deux plaignantes. Cette qualification a plutôt été incluse dans les qualifications constituant un atout. Si l’expérience de la supervision avait figuré parmi les qualifications essentielles, Mme Neufeld aurait alors été avantagée puisqu’elle était l’une des rares personnes à posséder cette expérience.

31 L’intimé aurait également pu limiter le processus aux employés de la Défense nationale. Or, la zone de sélection visait les « employés de la fonction publique en poste à Edmonton (Alberta) (…) ».

32 Enfin, l’intimé aurait pu choisir d’avoir recours à un processus non annoncé pour nommer Mme Neufeld, conformément au paragraphe 30(4) de la LEFP, aux termes duquel il n’est pas tenu de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite.

33 Toutefois, Mme Law a témoigné qu’elle souhaitait disposer du bassin de candidats le plus vaste possible. Après avoir mené ce processus en 2003, elle savait ce qu’elle recherchait pour le poste d’Edmonton. Ces faits ne témoignent pas d’une volonté de nommer une personne en particulier à l’issue d’un processus.

34 L’argument des plaignantes selon lequel le fait d’avoir occupé un poste intérimaire a fourni un avantage à Mme Neufeld lorsqu’elle a passé le test standardisé se trouve invalidé par le fait que Mme Carlson-Needham a également réussi ce test, même si elle n’a jamais obtenu de nomination intérimaire à ce poste.

35 L’article 36 de la LEFP permet l’utilisation des méthodes d’évaluation qui sont jugées appropriées pour le poste. En l’espèce, le comité d’évaluation a décidé de faire passer un examen de connaissances et un test standardisé aux candidats et de procéder aux vérifications nécessaires auprès des répondants. Le test standardisé et les vérifications auprès des répondants constituent des méthodes d’évaluation reconnues. Pour ce qui est de l’examen de connaissances, il ne s’agissait pas d’une décision futile ni capricieuse. Mme  Law a témoigné qu’elle a mis environ deux ans à le préparer avec le chef d’équipe de Winnipeg en vue de la dotation du poste à Edmonton. D’après l’intimé, il y a un lien clair entre les méthodes d’évaluation choisies et les qualifications que le comité d’évaluation recherchait.

36 L’intimé a fait référence à la jurisprudence du Tribunal selon laquelle le fardeau de la preuve incombe à la partie qui présente une plainte. Les plaignantes n’ont pas réussi à démontrer selon la prépondérance des probabilités, avec des éléments de preuve clairs et solides à l’appui, qu’elles n’ont pas été nommées en raison d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé.

37 Selon l’intimé, il n’y a pas la moindre preuve démontrant qu’il y a eu abus de pouvoir en ce qui a trait à la nomination de Mme Neufeld. En fait, les deux plaignantes reconnaissent que Mme Neufeld possède les qualifications pour le poste. De plus, Mme Law et Mme Ménard, qui a également témoigné, ont toutes deux attesté qu’elles n’avaient aucun lien personnel avec Mme Neufeld et qu’il n’y avait eu aucun favoritisme personnel en ce qui a trait à sa nomination.

38 Pour ce qui est du bureau du chef d’équipe, Rémunération, cet élément ne fait pas partie du processus de dotation. Le fait d’occuper le bureau du chef d’équipe n’était pas une qualification essentielle pour être nommé au poste correspondant.

39L’intimé a fait valoir que Mme Neufeld a obtenu sa première nomination intérimaire, soit celle du 3 août 2004 au 31 mars 2005, parce que son nom figurait sur la liste d’admissibilité établie en 2003. Conformément au règlement de la CFP en vigueur à cette époque, les nominations intérimaires devaient être réservées aux personnes qui figuraient sur la liste d’admissibilité. Pour ce qui est de la deuxième période d’intérim, soit du 24 mai au 19 août 2005, Mme Law n’a pas pris part à cette décision. On peut donc difficilement affirmer qu’il y a eu favoritisme personnel à cet égard.

40L’intimé a fait également référence à la jurisprudence du Tribunal pour appuyer sa position selon laquelle la LEFP offre maintenant une marge de manoeuvre et une latitude en matière de dotation.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

41 La Commission de la fonction publique (la CFP) indique que la LEFP fournit une structure de dotation complète en ce qui a trait aux nominations dans la fonction publique, à la résolution des conflits et aux recours. Cette structure prévoit en outre que les administrateurs généraux doivent rendre des comptes à la CFP et au Parlement. Il n’y a donc pas de vide qu’une définition élargie du concept d’abus de pouvoir viendrait combler.

42 De plus, l’abus de pouvoir ne comprend pas les erreurs ni les omissions, puisque celles-ci sont déjà visées par le paragraphe 15(3) de la LEFP. La CFP fait valoir que, en vertu du paragraphe 15(3), les employés qui ont des préoccupations peuvent demander à leur administrateur général de mener une enquête à cet égard. Bien que ce dernier ne soit pas tenu de procéder à une enquête au sujet de chaque demande, il s’agit d’un mécanisme visant à régler les problèmes qui surviennent dans le cadre d’un processus de dotation. La CFP ajoute que le pouvoir de mener des enquêtes et de prendre des mesures correctives que lui confère le paragraphe 67(1) de la LEFP est délégué aux administrateurs généraux en vertu de l’article 15.

43 La CFP affirme que les articles 15, 67 et 77 de la LEFP traitent des problèmes qui peuvent survenir dans le cadre d’une mesure de dotation. Dans le paragraphe 15(3) et l’article 67 figurent les mots « erreur », « omission » et « conduite irrégulière », tandis que le paragraphe 77(1) ne fait référence qu’à l’abus de pouvoir. Le paragraphe 77(1) ne vise donc pas les erreurs ni les omissions, puisque des recours à cet égard sont déjà prévus au paragraphe 15(3) et à l’article 67.

44 En conclusion, pour qu’un acte relatif à un processus de nomination constitue un abus de pouvoir, il doit y avoir un refus délibéré de tenir compte d’une fonction officielle conjugué au fait de savoir que l’inconduite sera vraisemblablement préjudiciable au plaignant. Il doit donc y avoir un élément intentionnel, comme la mauvaise foi ou le favoritisme personnel.

D) Réplique de l’intimé aux arguments de la CFP concernant le paragraphe 15(3) de la LEFP

45 Selon l’intimé, il n’y a aucun recours possible en vertu du paragraphe 15(3) de la LEFP, puisque celui‑ci n’est pas axé sur les plaintes. Rien dans la LEFP ne laisse croire qu’il existe un autre mécanisme pour le règlement des plaintes que celui qui est prévu à l’article 77. Il est contraire à l’intention et à l’esprit de la LEFP de prévoir diverses façons de traiter la même question. Conformément à l’intention de la LEFP, il doit y avoir un seul recours, et ce, auprès du Tribunal. Il n’existe donc pas de structure visant à analyser le processus de nomination à un niveau inférieur à celui du Tribunal.

46 En conclusion, l’intimé affirme que le fait de déterminer s’il existe un recours possible en vertu du paragraphe 15(3) de la LEFP n’est pas pertinent pour déterminer la plainte.

Analyse

Question: L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir et fait preuve de favoritisme personnel au moment de la nomination de la candidate reçue?

47 Pour étayer leur plainte, les plaignantes se sont fondées sur l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, lequel est libellé comme suit :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

(…)

48 C’est aux plaignantes qu’incombe le fardeau de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, tel qu’il est expliqué dans la décision Tibbs c. le Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008. Les plaignantes doivent donc démontrer que l’intimé a abusé de son pouvoir aux termes du paragraphe 30(2) de la LEFP lorsqu’il a nommé Mme Neufeld au poste en raison de favoritisme personnel.

49 Le paragraphe 30(2) de la LEFP est rédigé comme suit :

30. (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

(…)

50 Le favoritisme personnel n’est pas défini dans la LEFP. Le paragraphe 2(4) de la LEFP est libellé comme suit : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par "abus de pouvoir" la mauvaise foi et le favoritisme personnel. »

51 Dans la décision Portree c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2006] TDFP 0014, le Tribunal a également insisté sur le type de preuve qu’il fallait présenter pour voir sa plainte accueillie :

[49] Les employés qui allèguent qu’il y a eu abus de pouvoir et qui, partant, invoquent une contravention à la LEFP et souhaitent obtenir un redressement en raison de cette contravention, doivent présenter des éléments de preuve et des arguments convaincants pour obtenir gain de cause. (…)

[50] L’employé doit comprendre qu’il ne suffit pas d’exposer ce que l’on considère comme une injustice. La plainte doit établir les faits sur lesquels le plaignant se base pour prouver le bien-fondé de sa cause devant le Tribunal. La présentation d’une plainte dépasse la simple allégation voulant que l’intimé a abusé de son pouvoir. Les allégations doivent porter sur des faits graves et présenter une chronologie des événements, les dates et heures, ainsi que les témoins, s’il y a lieu.

52 Par conséquent, pour obtenir gain de cause relativement à une allégation de favoritisme personnel dans le cadre d’un processus de nomination annoncé, le plaignant doit comparaître devant le Tribunal et lui présenter des éléments de preuve convaincants qui démontrent qu’il y a eu favoritisme personnel et non se contenter de formuler une allégation fondée sur des perceptions et des faits dépourvus de pertinence.

53 Dans le Black’s Law Dictionary, le terme « favoritisme » est défini comme « une préférence ou sélection, habituellement propre à susciter la jalousie, fondée sur des facteurs autres que le mérite » [Traduction]. Cet ouvrage fournit comme exemples le népotisme, la distribution de faveurs et la discrimination.

54 Par conséquent, le plaignant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne a été nommée par la suite de favoritisme personnel et que la nomination était fondée sur des facteurs autres que le mérite. En d’autres termes, le plaignant doit prouver que les actions de l’intimé sont telles qu’elles permettent de conclure que la personne retenue a été nommée par favoritisme personnel.

55 Le Tribunal se penchera séparément sur les deux questions soulevées par les plaignantes, soit les possibilités de nomination intérimaire de Mme Neufeld et son utilisation du bureau fermé.

(i) Possibilités de nomination intérimaire

56 Les plaignantes soutiennent que les deux nominations intérimaires qu’a obtenues Mme Neufeld lui ont conféré un avantage lorsqu’elle a passé le test standardisé. D’après celles-ci, il s’agit d’une indication selon laquelle l’intimé favorisait la candidature de Mme Neufeld pour le poste de chef d’équipe.

57 Or, les plaintes présentées au Tribunal ne portent pas sur les nominations intérimaires qui ont été faites en 2004 et en 2005. Le Tribunal n’a donc pas à déterminer si les règlements ou les lignes directrices de la CFP en matière de nominations intérimaires antérieurs à l’entrée en vigueur de la LEFP ont été appliqués correctement. De la même façon, il n’est pas nécessaire de déterminer si les plaignantes auraient pu être nommées à titre intérimaire au poste de chef d’équipe en 2004 et en 2005. Il ne serait d’aucune utilité de se pencher sur ces questions, puisqu’il s’agit de situations ayant eu lieu avant l’entrée en vigueur de la LEFP.

58 En l’espèce, il s’agit de déterminer si les nominations intérimaires au poste de chef d’équipe qu’a obtenues Mme Neufeld lui ont conféré un avantage lorsqu’elle a passé le test standardisé et si cette situation confirme les allégations des plaignantes selon lesquelles cette dernière était la candidate pressentie.

59 À la lumière des éléments de preuve qu’il a examinés, le Tribunal estime que cette position n’est pas fondée. La preuve la plus convaincante à l’encontre de cette position est le fait que Mme Carlson‑Needham, l’une des plaignantes, a réussi le test standardisé, même si elle n’avait pas eu la possibilité d’occuper le poste de chef d’équipe à titre intérimaire. Ce fait prouve en outre qu’il est possible de réussir le test standardisé sans avoir occupé de poste de chef d’équipe à titre intérimaire. En fait, Mme Law a témoigné que le test standardisé permettait d’évaluer la capacité de supervision, mais qu’il n’était pas nécessaire de posséder de l’expérience de la supervision pour le réussir. De plus, Mme Law a témoigné que trois autres candidats avaient réussi ce test, outre Mmes Carlson‑Needham et Neufeld.

60 Le fait que Mme Neufeld a obtenu une nomination intérimaire ne garantissait aucunement qu’elle réussirait le test standardisé, sans parler des autres étapes de l’évaluation, c’est‑à‑dire l’examen de connaissances et la vérification auprès des répondants.

61 Il y a également d’autres faits qui contredisent les allégations des plaignantes selon lesquelles Mme Neufeld était la candidate pressentie. Par exemple, l’intimé a choisi d’annoncer le poste et d’élargir la zone de sélection afin qu’elle englobe tous les fonctionnaires à Edmonton. Plus il élargissait la zone de sélection, plus il était susceptible d’obtenir de candidatures de personnes qualifiées, augmentant ainsi la compétition pour Mme Neufeld, ce qui n’était pas souhaitable si Mme Neufeld était effectivement la candidate pressentie. Ces décisions ne sont pas révélatrices d’un processus dans le cadre duquel une personne en particulier est pressentie.

62 Qui plus est, l’expérience de la supervision ne faisait pas partie des qualifications essentielles; il s’agissait plutôt d’une qualification constituant un atout. Cet élément est particulièrement important, puisqu’il s’agissait d’une qualification essentielle pour le concours tenu en 2003 et que cette exigence avait alors entraîné le rejet de la candidature des deux plaignantes à la présélection. Si l’intimé souhaitait que Mme Neufeld obtienne le poste, comme les plaignantes l’allèguent, l’expérience de la supervision aurait pu figurer parmi les qualifications essentielles; ainsi, la candidature des deux plaignantes aurait été éliminée, et probablement aussi celle d’autres candidats. Cette décision aurait en outre permis de réduire le bassin de candidats qualifiés, ce qui aurait favorisé Mme Neufeld et diminué encore davantage le nombre de candidats.

63 Enfin, si l’intimé souhaitait expressément nommer Mme Neufeld à ce poste, il aurait pu le faire au moyen d’un processus non annoncé, en vertu de l’article 33 de la LEFP. En effet, aux termes de la LEFP, il est possible de mener des processus annoncés ou non annoncés, et l’administrateur général peut choisir le type de processus qui lui convient le mieux, en fonction des exigences ministérielles. La LEFP ne favorise pas un type de processus en particulier.

64 La preuve présentée à l’audience et les documents versés au dossier ne confirment pas l’allégation de favoritisme personnel. En fait, il y avait de nombreux éléments dans le cadre du processus qui auraient pu avantager ou au contraire désavantager Mme Neufeld, au même titre que n’importe quel autre candidat d’ailleurs. Les méthodes employées par l’intimé ne démontrent pas de favoritisme personnel envers Mme Neufeld, bien au contraire.

(ii) Utilisation de l’espace de bureau

65 Il y avait de nombreux éléments de preuve qui portaient sur l’utilisation du bureau fermé et sur la plaque d’identification au nom de Mme Neufeld, ainsi que certains témoignages contradictoires quant à la question de savoir si les membres du personnel se sont plaints à Mme Law à cet égard. Toutefois, comme ce point précis n’a aucune incidence sur la question en litige, il n’est pas nécessaire de tirer de conclusion à ce sujet.

66 Les plaignantes croient qu’il s’agit d’une indication selon laquelle Mme Neufeld était la candidate pressentie pour le poste et qu’elle était perçue comme la chef d’équipe par certains membres du personnel qui se rendaient à son bureau pour lui poser des questions. Il se peut que la situation ait été envenimée par le fait que le bureau de Mme Law était situé à Winnipeg et que celle‑ci n’était donc pas sur place pour désamorcer la situation ou réfuter des déclarations en ce sens.

67 Toutefois, ce n’est pas parce que des membres du personnel avaient cette perception qu’il faut en déduire que Mme Neufeld était la candidate pressentie par l’intimé dans le cadre du processus. Il est difficile de concevoir que le fait d’occuper physiquement le bureau du chef d’équipe ou même de répondre aux questions des collègues puisse conférer un avantage à une personne qui doit tout de même posséder les qualifications essentielles pour être nommée au poste.

68 Malgré le fait que l’utilisation du bureau fermé par Mme Neufeld ait semblé causer du ressentiment chez les conseillers en rémunération, le Tribunal ne peut pas établir de lien entre cette situation et la nomination de Mme Neufeld. Cette dernière devait se soumettre au même processus d’évaluation que tous les autres candidats et devait réussir les trois étapes pour pouvoir être nommée.

69 L’examen du processus mené par l’intimé, tel qu’il a été décrit ci‑dessus, démontre clairement que Mme Neufeld n’était pas la candidate pressentie dès le départ. Mme Law a témoigné qu’elle souhaitait évaluer le plus de candidats qualifiés possible, et le processus choisi confirme cette affirmation, en particulier le recours à une zone de sélection élargie et le choix de faire figurer l’expérience de la supervision dans la catégorie des qualifications constituant un atout plutôt que dans celle des qualifications essentielles.

70 Le Tribunal conclut donc que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir et que la nomination n’était pas entachée de favoritisme personnel. Les nominations intérimaires de Mme Neufeld au poste de chef d’équipe n’ont eu aucune incidence sur le processus de nomination, pas plus que son utilisation du bureau réservé au chef d’équipe.

71 Pour conclure, les plaignantes n’ont pas réussi à prouver selon la prépondérance des probabilités que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a nommé Mme Neufeld au poste de chef d’équipe en octobre 2006.

72 Comme le Tribunal rejette la plainte sur la base de l’absence de preuve d’abus de pouvoir, il n’est pas nécessaire de répondre aux autres arguments de l’intimé et de la CFP.

73 Le Tribunal tient à remercier les parties de leurs présentations de qualité et de leur professionnalisme au cours de l’audience.

Décision

74 Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, les plaintes sont rejetées.

Sonia Gaal

Vice‑présidente

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal:
2006-0157 et 0158
Intitulé de la cause:
Brenda Carlson-Needham et Tracy Borden et le Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Audience:
Les 27 et 28 juin 2007
Edmonton (Alberta)
Date des motifs:
Le 23 août 2007

Comparutions:

Pour les plaignantes
Pour Brenda Carlson-Needham
Pour Tracy Borden

   Elaine Haas
   Randy Walker
Pour l'intimé:
Karen Clifford
Pour la Commission
de la fonction publique:
John Unrau
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.