Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a ajouté de nouvelles fonctions aux postes des fonctionnaires s’estimant lésés et a reclassifié leurs postes à la hausse, avec effet rétroactif de 14 mois - les fonctionnaires s’estimant lésés ont réclamé sept années supplémentaires de rétroactivité - l’arbitre de grief a conclu qu’il ne possédait ni la compétence de reclassifier les postes en question ni celle de modifier, dans les circonstances de cette affaire, la date d’entrée en vigueur de leur reclassification - l’arbitre de grief a conclu que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont jamais présenté de grief de classification à l’employeur, bien qu’ils auraient pu le faire en tout temps pendant les sept années précédant l’entrée en vigueur de la reclassification - l’arbitre de grief a conclu que, pendant les sept années précédant l’entrée en vigueur de la reclassification, les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas accompli les nouvelles fonctions de leurs postes reclassifiés et ne les accomplissaient toujours pas à la date de l’audience - l’arbitre de grief a conclu que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas droit à de la rémunération provisoire pour les sept années précédant l’entrée en vigueur de la reclassification de leurs postes, puisqu’ils n’avaient pas accompli pendante cette période <<[...] une grande partie des fonctions d’une classification supérieure [...]>> - de toute façon, puisque les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés étaient de nature continue, ils ne pouvaient porter sur une période plus longue que celle prévue pour la présentation d’un grief. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-04-14
  • Dossier:  166-02-36224 et 36225
  • Référence:  2008 CRTFP 23

Devant un arbitre de grief


ENTRE

RENÉ LAMY ET FRANCIS PICHON

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

employeur

Répertorié
Lamy et Pichon c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John A. Mooney, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Frédéric Durso, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karl G. Chemsi, avocat

Affaire entendue à Québec (Québec),
les 6 et 7 novembre 2007.

I. Griefs renvoyés à l'arbitrage

1 René Lamy occupait au moment de la présentation de son grief un poste de gestionnaire de projets (AR-05) au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le « MTPSG »). Il a présenté son grief le 23 décembre 2003, dans lequel il conteste ce qui suit : « Je conteste la décision datée du 10 décembre 2003 relative à la date effective de ma reclassification AR-05. » Il demande comme mesure corrective ce qui suit : « […] ma rémunération et autres avantages soient ajustés, rétroactivement au 1er octobre 1995, date à laquelle j’effectue les tâches relatives à un poste de AR-05. » Il a présenté son grief jusqu’au dernier palier de la procédure de grief sans avoir obtenu satisfaction.

2 Francis Pichon occupait au moment de la présentation de son grief un poste de conseiller technique en immobilisations (EN-ENG-04) au MTPSG. Il a présenté son grief le 23 décembre 2003, dans lequel il conteste ce qui suit : « Je conteste la décision datée du 10 décembre 2003 relative à la date effective de ma classification EN-ENG-04. » Il demande comme mesure corrective ce qui suit : « […] ma rémunération et autres avantages soient ajustés rétroactivement au 1er octobre 1995, date à laquelle s’effectuent [sic] les tâches relatives à un poste de ENG-04. » Il a présenté son grief jusqu’au dernier palier de la procédure de grief sans avoir obtenu satisfaction.

3 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne LRTFP »).

4 M. Lamy et M. Pichon (les « fonctionnaires s'estimant lésés ») ont renvoyé leurs griefs à l’arbitrage le 26 mai 2005.

5 Les parties n’étaient pas disponibles pour une audience sur ces affaires avant le 6 novembre 2007. Avant la tenue de l’audience, elles ont cependant tenté, sans succès, de régler ces griefs par voie de médiation.

II. Résumé de la preuve

6 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont tous deux témoigné et l'employeur a appelé un témoin. Les parties ont déposé 27 pièces en preuve.

7 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont déposé en preuve la convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada le 21 décembre 2000 à l’égard de l’unité de négociation du groupe Sciences appliquées et génie (la « convention collective de 2000 », pièce P-1). Ils ont aussi déposé en preuve la convention collective subséquente intervenue entre les mêmes parties le 26 septembre 2003 à l’égard de la même unité de négociation (la « convention collective de 2003 », pièce P-2). La convention collective de 2003 contient sensiblement les mêmes stipulations que la convention collective de 2000.

8 M. Lamy a témoigné en premier. Il occupe un poste de gestionnaire de projets au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le « MAINC ») depuis octobre 2006. D’avril 1987 à octobre 2006, il était gestionnaire de projets au MTPSG dans une section dédiée au MAINC. Avant cela, il occupait un poste de gestionnaire de projets au MAINC.

9 M. Lamy a expliqué qu’en 1992, le gouvernement fédéral a décidé de donner plus de responsabilités aux communautés autochtones et de les impliquer davantage dans les projets impliquant leurs communautés. Le gouvernement a adopté le principe du « client averti ». On voulait « faire faire » au lieu de « faire ». On voulait donner aux communautés autochtones l’occasion de se prendre en main. Pour ce faire, on a mis en place un programme de transfert de technologie. On a aussi établi un comité de cession et mis en place des conseils de bande. C’est à partir d’avril 1995 qu’on a procédé à ce transfert de responsabilités.

10  À compter de 1995, les gestionnaires de projets avaient moins de contacts directs avec les communautés autochtones. Ils donnaient des services techniques aux conseils de bande et gardaient un œil sur le développement des projets afin de s’assurer qu’on respectait les paramètres établis. Le gouvernement gardait la responsabilité du budget et les gestionnaires de projets demeuraient, avec les communautés autochtones, responsables de la réalisation des projets. Il en est toujours de même.

11 M. Lamy a expliqué la nature de son travail. Le MTPSG a un budget de construction pour les communautés autochtones. Ce budget sert à financer la construction d’écoles, de bureaux administratifs, de garderies, de garages communautaires et d’autres bâtiments communautaires. Quand le MTPSG décide de construire un bâtiment, la tâche de M. Lamy consiste à définir le budget requis avec le conseil de bande. M. Lamy doit s'assurer pendant les différentes phases de la construction que les budgets qu’il doit gérer demeurent dans les limites approuvées. Un projet peut durer un ou deux ans; tout dépend de son envergure.

12 M. Lamy a ajouté qu’avant 1995, il rédigeait les mandats, définissait le projet à réaliser, préparait les appels d’offres et choisissait les consultants pour le projet. Après 1995, on a transféré ces responsabilités au conseil de bande. C'est le conseil de bande qui choisissait le consultant, quoique M. Lamy siégeait sur le comité de sélection et gardait un droit de regard sur le choix du consultant. C’est aussi le conseil de bande qui décidait comment réaliser le projet et qui procédait aux appels d’offres. Le conseil de bande présentait au MTPSG un plan d'affaires, mais M. Lamy pouvait le refuser s’il ne respectait pas les critères de ce ministère.

13 M. Lamy a expliqué que dans le cadre de la mise en œuvre de la « Norme générale de classification » (la « NGC »), on lui a remis en 2001 une nouvelle description de travail intitulée « 1290048A Intégrateur – Consultant – AP – Agent/Agente » (pièce P-8) en lui demandant ses commentaires. Il avait répondu qu’il était totalement en désaccord avec le contenu de la description proposée. Cette description indiquait à la page 2 qu’une des activités principales du poste est « Aider à élaborer des contrats […] ». Ce n’était pas exact selon M. Lamy. Il n’aidait pas à les élaborer, il les faisait, les créait. La description portait le titre « Agent/Agente », mais il n’était pas un agent. De plus, elle était différente des descriptions de tâches remises à ses homologues des Services immobiliers dans les autres régions. Ces derniers, classifiés aux groupes et niveaux AR-05 et EN-ENG-04, avaient les mêmes responsabilités et effectuaient les mêmes tâches que lui. De plus, ces derniers s’étaient vu remettre des descriptions de tâches intitulées « Analyste ».

14 M. Lamy a continué en disant qu’après une année d’échanges sur le sujet, le MTPSG lui a remis en novembre 2001 une nouvelle description de tâches intitulée « 0212105A Agent/agente de projet (consultant/consultante (AP) / analyste – intégration) » (pièce P-9). Le ministère lui avait alors indiqué que la gestion avait décidé d’harmoniser les descriptions de travail et les niveaux de poste de l’ensemble des conseillers des Services immobiliers de toutes les régions.

15 M. Lamy a poursuivi en disant qu’il a su en mai 2002 que le MTPSG abandonnait l’exercice de la NGC. Le 20 juin 2002, M. Lamy a, de concert avec M. Pichon et un autre collègue, Guy Courtois, écrit à Richard Gingras, directeur régional USC MAINC pour le Québec, lui demandant de réviser le niveau de son poste de AR-04 à AR-05, et le niveau du poste de M. Pichon de EN-ENG-03 à EN-ENG-04 (pièce P-7). Tous trois demandaient ainsi à M. Gingras de se conformer à la décision de la gestion d’harmoniser les niveaux de tâches pour l'ensemble des Services immobiliers dans l’unité dédiée au MAINC partout au pays. Ils indiquaient aussi dans cette lettre que la description de tâches de leurs homologues dans les autres régions pourrait servir pour procéder à la reclassification.

16 M. Lamy a expliqué qu'on lui a remis, ainsi qu'à M. Pichon, un questionnaire qui devait aider à reclassifier leurs postes. On leur a dit qu’ils pouvaient remonter trois ans en arrière pour décrire leurs tâches. M. Lamy a donc décrit des projets qui remontaient à 1998.

17 M. Lamy a témoigné qu’il n’avait pas fait de demande formelle de reclassification avant cela, mais il avait indiqué oralement lors des évaluations annuelles de rendement qu’il voulait que son poste soit reclassifié pour qu’il puisse rattraper les ingénieurs qui étaient mieux payés que lui pour le même travail. La dernière discussion qu’il a eue avec son superviseur sur ce sujet, outre les discussions de 2002 et 2003, avait eu lieu en 1999.

18 En contre-interrogatoire, M. Lamy a déclaré que son grief portait sur la période de rétroactivité de rémunération plus élevée. Il voulait que cette période remonte plus loin dans le temps.

19 En réponse à une autre question de l'employeur, M. Lamy a dit que ce qu’il contestait était la date de la mise en application de la nouvelle classification. Il accomplissait les tâches en question bien avant 2002.

20 M. Pichon a aussi témoigné. Il a donné un historique de ses emplois. En 1994, il occupait un poste d’ingénieur EN-ENG-03. Il a accepté une nomination intérimaire au MTPSG dans l’unité dédiée au MAINC en juillet 1994 à titre d’ingénieur gestionnaire de projets EN-ENG-04. On a alors décidé de combler ce poste de façon permanente et M. Pichon a postulé pour ce poste; on n’a jamais comblé ce poste. On a plutôt décidé de classifier ce poste à la baisse au niveau EN-ENG-03. Au même moment, on a aboli le poste d’attache de M. Pichon. À la suite de cette abolition de poste, M. Pichon avait un statut d’employé excédentaire et un droit de nomination en priorité au poste nouvellement classifié au niveau EN-ENG-03. Il a exercé son droit de priorité et a été nommé au poste en 1995. Il travaille présentement à titre d’ingénieur gestionnaire de projets EN-ENG-04 au MAINC.

21 M. Pichon a témoigné qu’il faisait, et fait présentement, le même travail que M. Lamy, mais à titre d’ingénieur. Il effectue le même travail depuis 1994. Il s’occupe des infrastructures, par exemple la construction de routes, de conduites d’aqueduc, d’égouts et d’usines de traitement des eaux usées. Il veille à ce que les travaux soient faits selon les règles de l’art et les normes reconnues selon les échéanciers et dans les limites budgétaires acceptables.

22 M. Pichon a ajouté qu’il jouait un rôle de conseiller. M. Pichon faisait des recommandations au conseil de bande. Si le conseil de bande ne suivait pas ses recommandations, le conseil de bande risquait de ne pas recevoir les fonds requis pour les travaux.

23 M. Pichon a déclaré qu’en 1994, il rédigeait le mandat pour un projet et le proposait au conseil de bande. Après qu’on ait mis en place des conseils de bande en 1994, le conseil de bande rédigeait le mandat, qui était soumis à M. Pichon pour commentaires.

24 M. Pichon a poursuivi en disant que c’est le consultant choisi qui réalise l'étude du projet et propose des solutions. M. Pichon doit alors vérifier avec le consultant et le conseil de bande les solutions proposées. Le consultant établit aussi un budget qui peut s’étaler sur plusieurs années. M. Pichon examine les aspects techniques des solutions proposées. Il fait en sorte que les approbations nécessaires soient obtenues. Ces approbations tiennent compte de ses recommandations.

25 M. Pichon a témoigné que, selon la complexité des travaux, le conseil de bande, le consultant et l'entrepreneur tiennent diverses réunions. M. Pichon assiste à ces réunions de chantier afin de pouvoir confirmer auprès du MTPSG que les travaux avancent comme prévu. Il est essentiel que M. Pichon assiste à ces réunions parce qu’il arrive que les dépenses dépassent les budgets. Le conseil de bande doit alors solliciter des fonds supplémentaires. Dans ce dernier cas, M. Pichon doit s’assurer que les demandes de fonds sont justifiées. C’est lui qui formule une recommandation au MTPSG. Si ce ministère est d'accord avec la demande de fonds, il accorde au conseil de bande le financement nécessaire.

26 M. Pichon a aussi abordé le sujet de la reclassification à la hausse de son poste. Il avait reçu la description de travail 1290048A (pièce P-8) en même temps que M. Lamy et M. Courtois. Ils ont tout de suite réagi. Cette description ne correspondait aucunement au travail que M. Pichon faisait. Elle portait la mention « agent », alors que ses homologues dans les autres régions avaient reçu des descriptions de tâches qui portaient le titre « analyste ». Un an plus tard, tous trois ont reçu une autre description de travail 0212105A portant le titre « analyste » (pièce P-9), au lieu d’« agent ». Ils ont donc eu gain de cause auprès de M. Gingras.

27 Lorsque la NGC a été abandonnée, M. Pichon a demandé que son poste soit reclassifié à la hausse. Il a rempli le questionnaire qui a servi à la reclassification de son poste en 2002 (pièce P-18). Il a précisé que le questionnaire demandait qu’on décrive des activités réalisées dans les trois dernières années. Ses réponses reflétaient cela. Il avait donné comme exemple le projet de construction d’une usine de traitement des eaux usées à Eagle Village (Kipawa). Ce projet remonte environ à l’an 2000. L’autre exemple, le projet de construction d’une usine de traitement des eaux usées à Kahnawake, remonte probablement à 1999.

28 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont alors déposé en preuve un courriel que Pierre-Marc Mongeau leur a envoyé le 10 décembre 2003 (pièce P-26) dans lequel M. Mongeau déclare qu’il ne donnera pas suite à la demande des fonctionnaires s’estimant lésés de négocier une autre date de rétroactivité pour la nouvelle classification de leurs postes.

29 En contre-interrogatoire, M. Pichon a dit que la description de travail 0212105A (pièce P-9) reflétait mieux les fonctions de son poste que la description de travail 1290048A (pièce P-8).

30 M. Mongeau a témoigné pour l’employeur. M. Mongeau occupe le poste de directeur régional du Québec, Centre d’expertise, Gestion des portefeuilles et gestion des locaux au MTPSG. Il a expliqué qu’il occupe ce poste depuis septembre 2006. Avant cela, il avait travaillé pendant un an à titre de directeur des Grands projets pour la ville de Montréal. De janvier 2004 à septembre 2005, il occupait le poste de directeur régional du Québec pour les Services professionnels et techniques au MTPSG. En 2002 et 2003, il était gestionnaire régional intérimaire, Gestion de projets, au MTPSG. Il a joint le MTPSG en 1995 à titre de gestionnaire de projets.

31 En 2004 et 2005, le rôle de M. Mongeau, à titre de directeur régional du Québec pour les Services professionnels et techniques au MTPSG, englobait plusieurs secteurs, dont la gestion de projets d’immeuble et les services techniques et financiers qui s’y rattachent. M. Mongeau supervisait ces secteurs, où travaillaient environ 350 personnes. On y trouvait des architectes, des ingénieurs, des techniciens et des cols bleus.

32 En juin 2002, après qu’on ait abandonné la NGC, les fonctionnaires s'estimant lésés ont demandé à M. Gingras que la classification de leurs postes soit réévaluée (pièce P-7). C’est alors que M. Mongeau a commencé à travailler sur ce dossier. Il a fait parvenir au Service des ressources humaines deux demandes de reclassification. La première demandait que le poste de M. Lamy soit reclassifié au niveau AR-05 (pièce P-22) et l’autre demandait qu’on reclassifie le poste de M. Pichon au niveau EN-EN-G-04 (pièce P-23). Les reclassifications devaient être basées sur la description de travail 0212105A (pièce P-9). M. Mongeau m’a fait remarquer que les deux demandes portent la mention manuscrite suivante : « Selon générique NGC : 0212105A ».

33 M. Mongeau a  expliqué que les agents de classification ont alors demandé aux fonctionnaires s'estimant lésés de remplir un questionnaire en donnant des exemples de leur participation à des projets.

34 M. Mongeau a remis aux fonctionnaires s’estimant lésés la lettre leur annonçant leur reclassification ainsi que l’avis de classification qui y était joint. Les documents portent la date du 22 août 2003. L’avis indiquait que la date effective de la reclassification était le 21 juin 2002.

35 M. Mongeau a témoigné que trois documents ont servi à la classification des postes : la description de travail 0212105A qui résultait de l’exercice de la NGC (pièce P-9), le questionnaire rempli par les fonctionnaires s'estimant lésés en 2002 (pièce P-11 dans le cas de M. Lamy et P-18 dans le cas de M. Pichon) et l’analyse faite par le Service des ressources humaines (pièce P-20 dans le cas de M. Lamy et P-19 dans le cas de M. Pichon).

36 M. Mongeau a décrit la NGC. Elle a été introduite en 1998 par le Conseil du Trésor (le « CT »). Cet exercice visait à mettre l’accent sur les résultats recherchés dans l’accomplissement des fonctions du poste, plutôt que sur le processus à suivre pour accomplir ces fonctions. On cherchait à décrire les activités des employés de façon générique. Cette initiative n’a pas abouti puisque le CT y a mis fin en mai 2002.

37 M. Mongeau a expliqué que la description de travail 0212105A développée dans le cadre de la NGC représentait un effort d’uniformiser les descriptions de travail à travers les régions. Elle donnait de nouvelles responsabilités aux employés. Elle permettait une mobilité à l’intérieur de l’équipe. L’aspect générique de la description de travail permettait d’y inclure plusieurs activités. La description de travail était plus variée que les précédentes. Elle s’adressait à des professionnels de gestion de projets et indiquait clairement un ensemble de responsabilités pour lesquelles ils étaient responsables.

38 M. Mongeau a expliqué que la description de travail 0212105A (pièce P-9) était différente de l’attestation de postes de M. Lamy de 1989 qui était encore en vigueur en 1995 (pièce P-12) et celle de M. Pichon de 1995 (pièce P-16).

39 Pour ce qui est du poste de conseiller technique en immobilisations, c’est-à-dire celui de M. Pichon, il était classifié EN-ENG-03 en 1995. L’attestation de ce poste (pièce P-16) mettait l’accent sur l’aspect conseil du poste. On y utilise à répétition le terme « conseiller » (ce que M. Pichon faisait d’ailleurs très bien). On y retrouve également les expressions « examiner », « vérifier » et « participer ». M. Mongeau m’a renvoyé à plusieurs extraits de l’attestation de poste qui illustrent l’aspect conseil des fonctions.

40 Dans l’attestation de poste de M. Pichon datée de 1995 (pièce P-16), la responsabilité ultime des projets revenait au conseil de bande. C’est le conseil de bande qui avait l’autorité de passer des contrats avec les fournisseurs. Le conseil de bande était donc imputable de l'exécution des travaux. Le conseil de bande était également imputable pour les aspects financiers du projet. C’est lui qui payait les architectes. Les titulaires des postes décrits dans ce document n’étaient pas directement imputables des projets.

41 M. Mongeau a comparé l’attestation de poste de M. Pichon datée de 1995 (pièce P-16) avec la description de travail 0212105A (pièce P-9). Dans cette dernière apparaît une notion de responsabilité à l’égard de la gestion de fonds que l’on ne retrouvait pas avant. Selon la description de travail, le gestionnaire de projets est imputable du résultat, et le résultat passe par la gestion financière et la gestion des échéanciers. C’est nouveau. On voulait remettre l’imputabilité financière au gestionnaire de projets.

42 M. Mongeau a ajouté que la nouvelle description de travail 0212105A permet d’accomplir plus d’activités, comme l'examen complet d’accords de financement. Elle couvre le pouvoir d’obtenir des fonds et de les dépenser. Le gestionnaire de projets devenait imputable; il doit rendre compte, contrairement à l’attestation de poste de M. Pichon datée de 1995 qui prévoyait que le gestionnaire ne devait que conseiller et vérifier. Il y a un changement majeur de philosophie en ce qui concerne les dépenses des fonds. On y retrouve une délégation formelle du pouvoir de dépenser.

43 M. Mongeau a aussi parlé du questionnaire rempli par les fonctionnaires s'estimant lésés. Pour ce qui est du questionnaire de M. Lamy (pièce P-11), M. Mongeau a attiré mon attention sur la note suivante :

NOTE: Le titulaire ne gère pas directement les fonds, il établit les mouvements de trésorerie, d’une valeur approximative de 19M$ pour les agents de financement. Le titulaire a la responsabilité de préparer les documents d’approbation de projet et il est un des principaux intervenants dans le processus de l’ÉÉPI (Équipe d’Évaluation de Projets d’Immobilisations), processus qui a été développé par un comité dont faisait parti [sic] le titulaire.

Cette note indique que le titulaire du poste ne gérait pas les fonds; il ne jouait qu’un rôle de conseil. La gestion ultime des dépenses était attribuée au conseil de bande. On retrouve une note semblable dans le questionnaire rempli par M. Pichon (pièce P-18). La description de travail 0212105A est donc différente au niveau de l’imputabilité financière.

44 M. Mongeau a aussi porté à mon attention la partie  « Leadership des ressources humaines » de la description de travail 0212105A  (pièce P-9). On y lit que le titulaire du poste doit « [d]iriger des équipes de spécialistes […] ». L’attestation de poste de M. Pichon datée de 1995 (pièce P-16) parlait plutôt de « participation » aux équipes. Diriger une équipe est différent de participer à l’équipe. La nouvelle description de travail 0212105A donne une responsabilité au niveau de la direction de l’équipe; avec cela, vient une responsabilité par rapport aux résultats.

45 L'employeur a alors demandé à M. Mongeau si les fonctionnaires s’estimant lésés exercent présentement les nouvelles responsabilités énoncées dans la description de travail 0212105A. M. Mongeau a répondu qu’ils ne les exerçaient pas encore parce qu’on  transférait encore l’argent directement au conseil de bande. Cela n’a pas changé depuis 1995. Par contre, le fait d’avoir intégré cet élément à la description de travail 0212105A va permettre au MTPSG de s’assurer que les titulaires des postes puissent assumer ces responsabilités à l’avenir.

III. Résumé de l’argumentation

A. Objections préliminaires à la compétence

1. Pour l’employeur

46 L’employeur a soutenu que je n’avais pas compétence pour entendre ces griefs. La question en litige est une question ayant trait à la classification d’un poste. Si on examine le libellé des griefs, on voit que ce que les fonctionnaires s'estimant lésés contestent, c’est la date d’entrée en vigueur de leur nouvelle classification. L’établissement de la date effective de la reclassification serait une décision de classification. En changeant la date de la reclassification, je me verrais à classifier le poste, et un arbitre de grief, en vertu de l’ancienne LRTFP, ne peut classifier un poste. La classification d’un poste fait appel à une expertise précise qu’un arbitre de grief ne possède pas. De plus, l’article 7 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, (la « LGFP ») confie ce pouvoir à l’employeur. Ce pouvoir constitue une prérogative de l’employeur.

47 L’employeur m’a renvoyé à Gvildys et al. c. Conseil du Trésor (Santé Canada), 2002 CRTFP 86, et à Nagle c. Conseil du Trésor (Consommation et Corporations), dossier de la CRTFP 166-02-21445 (19911202), où des arbitres de griefs ont jugé qu’un arbitre de grief ne peut procéder à la classification d’un poste.

2. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

48 Les fonctionnaires s'estimant lésés, pour leur part, ont fait valoir que j’ai compétence pour entendre ces griefs. Les fonctionnaires s'estimant lésés ne demandent pas de classifier leurs postes; ils demandent d’être rémunérés à compter du 1er octobre 1995 selon l’échelle de salaire applicable à leur nouvelle classification. C’est une question de rémunération, et non de classification.

49 D’ailleurs, dès la présentation des griefs, il a toujours été question de rémunération lors des discussions avec l’employeur, telles qu’en font foi les réponses de l'employeur aux différents paliers de la procédure de grief. Les fonctionnaires s’estimant lésés m’ont renvoyé au courriel du 10 décembre 2003 de M. Mongeau (pièce P-26) où la question à débattre était la date d’entrée en vigueur de la rémunération de la nouvelle classification.

50 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont fait valoir que le libellé des griefs démontre clairement que la question en est une de rémunération, et non de classification. M. Lamy avait écrit ce qui suit : « Je conteste la décision du 10 décembre 2003 relative à la date effective de ma reclassification AR-05 », et le grief de M. Pichon précise ce qui suit : « Je conteste la décision du 10 décembre 2003 relative à la date effective de ma reclassification EN-ENG-04 ». M. Pichon demande comme mesure corrective ce qui suit : « […] ma rémunération et autres avantages sociaux soient ajustés rétroactivement au 1er octobre 1995, date depuis laquelle s’effectuent [sic] les tâches relatives à un poste de ENG-04. »

51 Dans Costain et al. c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans), dossiers de la CRTFP 166-02-18508 à 18511 (19891011), un arbitre de grief a pris compétence pour déterminer la date d’effet d’une reclassification.

52 Les fonctionnaires s'estimant lésés m’ont aussi renvoyé à Stagg c. Canada (Conseil du Trésor), [1993] A.C.F. no 1393 (1re inst.) (QL), où la Cour fédérale a accordé à l’employé la rémunération prévue pour le poste reclassifié depuis la date où il accomplissait les tâches du poste de niveau supérieur.

53 Les fonctionnaires s'estimant lésés m’ont aussi renvoyé à Woodward c. Conseil de Trésor (Pêches et Océans Canada), 2000 CRTFP 44, où un arbitre de grief a donné un effet rétroactif à une reclassification. Il en est de même dans Chadwick c. Canada (Procureur général), 2004 CF 503.

54 Les fonctionnaires s'estimant lésés m’ont aussi renvoyé à Macri c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord), dossier de la CRTFP 166-02-15319 (19871016), où un arbitre de grief a décidé que les employés avaient droit à une rémunération provisoire pour avoir accompli les tâches d’un poste de niveau supérieur.

3. Réplique de l’employeur

55 L’employeur a fait valoir que les arguments des fonctionnaires s'estimant lésés n’étaient pas clairs. Basent-ils leurs arguments sur une question de classification ou une question de rémunération provisoire?

56 En alléguant à l’audience que les griefs portent sur de la rémunération provisoire, les fonctionnaires s'estimant lésés se trouvent à changer la nature des griefs. Or, la jurisprudence a établi qu’on ne peut changer la nature d’un grief au stade du renvoi à l’arbitrage. L’employeur m’a renvoyé à Burchill c. Canada (Procureur général),[1981] 1 C.F. 109 (C.A.), où la Cour d’appel fédérale a jugé qu’on ne pouvait changer la nature d’un grief après son renvoi à l’arbitrage

B. Fond des griefs

1. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

57 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont fait valoir qu’ils ont droit à une rémunération provisoire depuis le 1er octobre 1995 parce qu’ils accomplissent les fonctions de leurs postes reclassifiés depuis cette date.

58 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont rappelé que M. Lamy a fait valoir à ses supérieurs lors des évaluations de rendement annuelles que son poste devrait être reclassifié.

59 Pour ce qui est des responsabilités financières, les fonctionnaires s'estimant lésés ont fait valoir qu’ils avaient la responsabilité de demander que les fonds soient transférés au conseil de bande. Ce sont les fonctionnaires s'estimant lésés qui vérifiaient si les travaux étaient complétés comme prévu. Ils avaient d’importants pouvoirs financiers car, s’ils disaient non au transfert de fonds, ce transfert n’avait pas lieu.

60 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont soutenu que la date que l'employeur a choisie pour donner effet à la reclassification repose sur peu de choses et n’est pas appuyée par des faits.

61 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont rappelé qu’en 2002, le MTPSG leur a remis un questionnaire (pièces P-11 et P-18). Le MTPSG leur a demandé de décrire des projets qui pouvaient remonter aux trois années précédentes. On voit que la portée de la description pour fins de reclassification était plus large que l’entend l'employeur.

62 Les fonctionnaires s'estimant lésés m’ont renvoyé à la stipulation 46.08 de la convention collective de 2000 (pièce P-1), qui prévoit que lorsqu’un employé exerce à titre intérimaire une grande partie des fonctions d’un poste d’une classification supérieure, il a droit à une rémunération provisoire pendant cette période. La question de la rémunération fait donc partie de la convention collective. Les fonctionnaires s'estimant lésés ont donc droit à une rémunération provisoire pour les postes qu’ils occupent à titre intérimaire depuis octobre 1995.

63 La question de la rémunération est aussi reliée à la convention collective en ce qu’elle est reliée aux échelles de salaires. Les fonctionnaires s'estimant lésés devraient être payés selon l’échelle de salaire qui correspond à leur poste depuis octobre 1995, date à compter de laquelle ils accomplissent les fonctions des postes reclassifiés.

64 Les fonctionnaires s'estimant lésés m’ont renvoyé à Stagg et Chadwick où la Cour fédérale a accordé aux employés une rémunération provisoire depuis la date à partir de laquelle ils accomplissaient les tâches du poste de niveau supérieur. Un arbitre de grief est arrivé à la même conclusion dans Macri.

65 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont conclu en demandant que leurs griefs soient accueillis. Ils ont aussi demandé que je demeure saisi des dossiers jusqu’à ce que les parties s’entendent sur les modalités d’exécution de ma décision.

2. Pour l’employeur

66 L’employeur a fait valoir que les fonctionnaires s'estimant lésés avaient le fardeau de prouver une violation de la convention collective. Il a souligné que les fonctionnaires s'estimant lésés n’ont pas indiqué dans leurs griefs ou les formulaires de renvoi à l’arbitrage quelle stipulation de la convention collective l'employeur avait enfreinte. Les fonctionnaires s’estimant lésés nous disent maintenant que le litige porte sur une question de rémunération provisoire, mais ils n’ont jamais fait référence à la stipulation 46.08 de la convention collective avant l’audience.

67 Si les fonctionnaires s’estimant lésés plaident leurs griefs sur la base d’une question de rémunération provisoire, alors leur argument n’est pas bien fondé puisqu’il y a des critères à respecter et une procédure à suivre pour la rémunération provisoire. Les fonctionnaires s'estimant lésés doivent démontrer qu’ils accomplissaient les tâches d’un niveau supérieur pendant une période intérimaire. Ils n’ont pas fait cette preuve.

68 L’employeur a poursuivi en soutenant que les fonctionnaires s'estimant lésés ont confirmé qu’ils accomplissaient les tâches décrites dans l’attestation de poste de M. Lamy de 1989 (pièce P-12) et de M. Pichon de 1995 (pièce P-16). Ils ont dit qu’ils ne font pas autre chose que ce qui est décrit dans ces attestations. Ils n’ont jamais présenté de griefs à l’encontre de ces attestations.

69 La NGC a été abandonnée en 2002. Cet exercice s’est arrêté pour tous les fonctionnaires. Il est très important de réaliser que, normalement, tout aurait dû s’arrêter là, mais l’employeur a décidé de bonne foi de réviser la classification des postes des fonctionnaires s'estimant lésés en 2002 parce qu’ils le lui ont demandé et ceux-ci étaient satisfaits de la description de travail 0212105A, qui avait résulté de l’exercice de la NGC.

70 Le fait que les fonctionnaires s'estimant lésés étaient satisfaits de la description de travail 0212105A n’a pas été contesté. Dans leur lettre du 20 juin 2002 (pièce P-7), les fonctionnaires s'estimant lésés renvoient à la description de travail 0212105A (pièce P-9), en donnant leur approbation.

71 L’employeur a fait valoir que la demande de reclassification de postes de M. Lamy et de M. Pichon a porté des fruits puisque leurs postes ont été reclassifiés à la hausse.

72 La date d’entrée en vigueur que les fonctionnaires s'estimant lésés exigent est exorbitante. Normalement, une reclassification n’a pas de portée rétroactive. La reclassification a eu lieu le 22 août 2003 et l'employeur a accordé aux fonctionnaires s'estimant lésés une année de rétroactivité, c’est-à-dire jusqu’au 21 juin 2002, date à laquelle les fonctionnaires s'estimant lésés ont demandé la reclassification de leurs postes.

73 L’employeur a soutenu qu’une reclassification nécessite un changement des fonctions du poste. Ces changements se reflètent dans la description de travail 0212105A (pièce P-9). Cette dernière est plus générique, plus globale que les attestations de poste précédentes (pièces P-12 et P-16). Plus de tâches et plus d’activités y sont décrites. Certains éléments de la description de travail 0212105A n’existaient pas avant, notamment le pouvoir de gérer des fonds directement. Cela a été confirmé par la preuve. M. Lamy a témoigné qu’il ne signait pas lui-même les transferts de fonds; c’est le conseil de bande qui les signait. M. Lamy avait écrit dans une note du questionnaire qu’il avait rempli (pièce P-11), qu’il ne gérait pas les fonds.

74 Les fonctionnaires s'estimant lésés soutiennent que leurs fonctions n’ont pas changé depuis 1995. Ils ont raison, mais ce n’est pas pertinent. Ce qui est pertinent, c'est que la nouvelle description de travail 0212105A donne un nouveau potentiel de responsabilités accrues, un potentiel de responsabilités plus larges. Dorénavant, ils pourront gérer les fonds directement. On a donc une nouvelle description de tâches générique, plus large, qui n’a rien à voir avec les anciennes attestations de poste de M. Lamy et de M. Pichon.

75 L’employeur m’a renvoyé à Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (C.A.) (QL), où la Cour d’appel fédérale a jugé que, dans le cas de griefs portant sur les salaires, la réparation accordée ne peut dépasser la période prévue dans la convention collective pour présenter un grief.

76 La décision Babiuk et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CRTFP 51, est plus pertinente pour ces griefs. Les faits sont les mêmes qu’en l’espèce. L'employeur avait procédé à une reclassification et avait donné un effet rétroactif d’un an à la reclassification. Les fonctionnaires s'estimant lésés demandaient qu’on donne un effet rétroactif plus long à la reclassification. Un arbitre de grief a refusé de traiter le grief comme un grief de rémunération provisoire. Il a de plus indiqué que, s’il avait décidé qu’il s'agissait d’un grief de rémunération provisoire valide, il aurait appliqué Coallier.

77 En terminant, l'employeur a plaidé que la description de travail 0212105A était différente des attestations de poste de 1989 et 1995. Pour faire droit aux arguments des fonctionnaires s’estimant lésés, je dois déterminer si les attestations de poste méritaient une classification supérieure. Du coup, je me verrais à classifier ces postes, et je n’ai pas compétence pour procéder à un tel exercice.

78 De façon subsidiaire, si je devais accepter les arguments des fonctionnaires s'estimant lésés voulant que ces griefs soient des griefs de rémunération provisoire, ces derniers n’ont pas relevé le fardeau de preuve qui leur incombe. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas démontré qu’ils effectuaient les tâches d’un poste de niveau supérieur.

79 Aussi, si je devais accepter les arguments des fonctionnaires s'estimant lésés, je devrais appliquer Coallier et limiter la période de rétroactivité au délai prévu par l’ancienne LRTFP pour la présentation d’un grief.

3. Réplique des fonctionnaires s’estimant lésés

80 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont insisté sur le fait qu’il n’était pas nécessaire qu’ils indiquent quelle stipulation de la convention collective l'employeur avait enfreint dans leurs griefs. La jurisprudence indique que des arbitres nommés en vertu de l’ancienne LRTFP ont pris compétence dans des cas semblables, même si les employés n'avaient pas précisé la stipulation qui faisait l’objet du grief.

81 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont satisfait à leur fardeau de preuve. Ils ont démontré qu’ils accomplissaient des tâches de niveau supérieur depuis 1995. Ils ont des responsabilités plus étendues et c’est pour cela qu’on a reclassifié leurs postes.

82 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont souligné que dans Macri,l’arbitre de grief avait refusé d’appliquer Coallier et de limiter la rémunération provisoire à 25 jours précédant le dépôt du grief.

IV. Motifs

83 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont chacun renvoyé à l’arbitrage un grief en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne LRTFP,qui se lit comme suit :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

84 Le présent litige porte sur la date d’entrée en vigueur de la reclassification des fonctionnaires s’estimant lésés. L’employeur a donné un effet rétroactif de 14 mois à leur reclassification. La reclassification a pris effet le 21 juin 2002, le jour suivant la date à laquelle les fonctionnaires s'estimant lésés ont soumis leur demande écrite de reclassification (pièce P-7). Les fonctionnaires s'estimant lésés n’étaient pas d’accord avec la date d’entrée en vigueur et ont eu des échanges avec l'employeur à ce sujet. Le 10 décembre 2003, l'employeur leur a fait part de son refus de changer la date d’entrée en vigueur (pièce P-26). Les fonctionnaires s'estimant lésés ont présenté leurs griefs le 23 décembre 2003 à l’encontre de ce refus. Ils soutiennent que les reclassifications auraient dû prendre effet le 1er octobre 1995 parce qu’ils exerçaient les fonctions d’un poste de niveau supérieur depuis cette date et que leurs fonctions n’ont jamais changé.

85 Lors de l’audience, les fonctionnaires s'estimant lésés ont aussi fait valoir qu’ils avaient droit à une rémunération provisoire rétroactive au 1er octobre 1995. Ils ont soutenu qu’ils avaient accompli les fonctions d’un poste de niveau supérieur depuis cette date et la stipulation 46.08 de la convention collective de 2000 prévoyait qu’un fonctionnaire qui exerce une grande partie des fonctions d’un poste de niveau plus élevé a droit à la rémunération prévue pour ce poste.

86 Il est bon de revoir ici le contexte dans lequel cette reclassification a eu lieu. M. Lamy avait, lors de ses évaluations de rendement annuelles, mentionné qu’il n’était pas satisfait de la classification de son poste, mais il n’a jamais demandé formellement une reclassification. En 1998, le CT a entrepris une réforme en profondeur de la classification de tous les postes de la fonction publique en vue de l’adoption de la NGC. Les postes des fonctionnaires s'estimant lésés ont alors été révisés dans le cadre de cet exercice pangouvernemental. Selon le témoignage de M. Mongeau, le but de cet exercice était de développer des descriptions de travail plus génériques et plus axées sur les résultats. Cette réforme de la classification n’a cependant pas abouti car le CT y a mis fin en mai 2002. Lorsque la NGC a été abandonnée, les fonctionnaires s'estimant lésés ont demandé qu’on reclassifie leurs postes à la hausse en utilisant la description de travail 0212105A (pièce P-9) élaborée dans le cadre de la NGC. Cette description de travail générique servait pour les postes des deux fonctionnaires s'estimant lésés. Les versions approuvées de cette description de travail (pièces P-24 et P-25) sont identiques à l’ébauche que les fonctionnaires s'estimant lésés avaient reçue en 2002 (pièce P-9) Selon la preuve soumise, la reclassification a été basée sur cette description de travail, les réponses des fonctionnaires s'estimant lésés à un questionnaire de classification (pièce P-11 dans le cas de M. Lamy et P-18 dans le cas de M. Pichon), et l’analyse de classification basée sur ces documents (pièce P-20 dans le cas de M. Lamy et P-19 dans le cas de M. Pichon).

A. Un arbitre de grief a-t-il compétence pour entendre un grief portant sur la classification d’un poste? 

87 Je voudrais d’abord traiter de l’objection préliminaire de l'employeur. Ce dernier a raison de soutenir qu’un arbitre de grief, nommé en vertu de l’ancienne LRTFP, ne peut traiter d’un grief portant sur la classification d’un poste. Les alinéas 7(1)e) et 11(2)c) de la LGFP,telle qu’elle se lisait à la date de la décision de reclassification, attribuaient cette responsabilité au CT :

          7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard des questions suivantes :

[…]

e) la gestion du personnel de l’administration publique fédérale, notamment la détermination des conditions d’emploi;

[…]

          11. (2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d’un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique :

[…]

c) assurer la classification des postes et des employés au sein de la fonction publique;

[…]

De plus, l'article 7 de l’ancienne LRTFP venait préciser qu’un arbitre de grief n'a pas compétence en matière de classification :

          7. La présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l'autorité de l'employeur quant à l'organisation de la fonction publique, à l'attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers.

Il est donc clair que je n’ai pas compétence pour entendre un grief portant sur la classification d’un poste.

88 Les fonctionnaires s'estimant lésés ne me demandent pas de classifier leurs postes comme tel, mais de fixer la date d’entrée en vigueur de leur reclassification.

89 Un arbitre de grief peut-il changer la date d’entrée en vigueur d’une classification? Peut-on dissocier ainsi, pour fins de compétence, la classification du poste de sa date d’entrée en vigueur? Je ne connais aucune décision de la Cour fédérale voulant qu’un arbitre de grief puisse fixer la date d’entrée en vigueur d’une reclassification. Comme on le verra plus loin dans cette décision, il y a eu des cas où des fonctionnaires, dont le poste a été reclassifié, se sont vus accorder une rémunération provisoire rétroactive (par exemple Stagg et Blais c. Canada, [1986] A.C.F. no 918 (C.A.) (QL)),  mais c’était sur une toute autre base juridique. À mon avis, à moins de mauvaise foi ou de circonstances spéciales, tel un cas de préclusion promissoire, comme dans Costain et al., un arbitre de grief peut tout au plus déterminer si la rémunération pour le poste reclassifié respecte la convention collective.

90 Même si j’avais décidé qu’un arbitre de grief peut changer la date d’entrée en vigueur d’une reclassification, j’aurais quand même rejeté ces griefs puisque je ne peux accorder une telle période de rétroactivité. Un fonctionnaire peut en tout temps demander que son poste soit reclassifié ou présenter un grief de classification à son employeur au motif que la classification de son poste devrait être réexaminée s’il croit que celle-ci ne correspond pas à la classification que le poste mérite selon les barèmes de classification en vigueur. Dans le présent cas, les fonctionnaires s'estimant lésés auraient pu présenter une demande formelle de classification ou présenter un grief de classification à leur employeur en tout temps pendant les huit années qui ont précédé le dépôt de leurs griefs, mais ils ont décidé de ne pas le faire. Ils ne peuvent, à mon avis, demeurer inactifs pendant huit ans, présenter un grief de classification après cette période et exiger huit années de rétroactivité. Cela irait à l’encontre d’un aspect important de l’ancienne LRTFP, qui veut qu’on exerce ses droits de façon diligente.

B. Les fonctionnaires s'estimant lésés accomplissaient-ils les fonctions des postes
 reclassifiés depuis  le 1er octobre 1995?

91 À mon avis, il y a un autre motif qui dicte le rejet de ces griefs. Les fonctionnaires s'estimant lésés ont soutenu qu’ils accomplissaient les fonctions des postes reclassifiés depuis le 1er octobre 1995 et qu’ils avaient donc le droit d’être rémunéré depuis cette date selon l’échelle salariale des postes reclassifiés. À mon avis, les fonctionnaires s'estimant lésés n’accomplissaient pas depuis le 1er octobre 1995 les fonctions des postes tels qu’ils ont été reclassifiés en 2003. L’employeur n’a pas contesté que les fonctionnaires s'estimant lésés faisaient le même travail depuis 1995. Il faut cependant réaliser que ce ne sont pas les fonctions que les fonctionnaires s'estimant lésés accomplissaient depuis 1995 qui ont été reclassifiées à la hausse, mais bien les fonctions telles que décrites dans la description de travail générique 0212105A (pièce P-9) élaborée en 2002 et approuvée en 2003. Cette description de travail, qui résulte de la NGC, est différente des attestations de poste précédentes. Selon le témoignage de M. Mongeau, afin d’harmoniser la description de travail des fonctionnaires s'estimant lésés avec celles des collègues des autres régions, on a non seulement ajouté des tâches, mais on a aussi changé la nature de ces tâches en rehaussant le niveau de responsabilité. On l’a fait pour que les fonctionnaires s'estimant lésés puissent assumer ces nouvelles responsabilités à l’avenir. En fait, au moment de l’audience, ils n’accomplissaient toujours pas toutes les fonctions de leur nouvelle description de travail, puisqu’on a fait ces changements en prévision de l’avenir.

92 La différence entre les attestations de poste (pièce P-12 et P-16) qui ont précédé la description de travail 0212105A (pièce P-9) est évidente. Pour ce qui est de M. Pichon, l’attestation de son poste de 1995 (pièce P-16) met l’accent sur les aspects « examen », « vérification » et « conseil » des fonctions. On y retrouve le résumé suivant des fonctions et objets du poste :

[…]

40%    Examiner et vérifier des plans de développement, des plans d’immobilisations, des études de faisabilité, des études de projets d’immobilisations et des recherches concernant des avant-projets d’ingénierie en vue de la construction d’installations ou de la modification ou de l’agrandissement d’installations existantes;

35%    Examiner et vérifier la conception et l’état d’avancement de nouveaux projets d’infrastructures, d’écoles et de bâtiments destinés à la communauté ainsi que les modifications ou l’agrandissement d’installations existantes afin de faire rapport au MAINC sur la qualité du travail, les échéances et les limites budgétaires;

10%    Conseiller les bandes, à la demande du MAINC, sur les exigences techniques et les normes connexes du Ministère relativement aux nouvelles installations et sur l’emplacement et la construction de bâtiments, de routes, de réseaux d’aqueduc et d’égout et autres services publics;

[…]

[Je souligne]

93 On y précise aussi que le titulaire du poste doit :

[…]

- Conseiller le MAINC suite à l’examen des plans de développement et de plans d’immobilisations à long terme des Premières Nations;

- Vérifier les besoins identifiés par les bandes qui demandent de nouvelles installations;

 - Conseiller le MAINC concernant la nécessité d’effectuer d’autres recherches, (des études de terrains et de sites, l’élaboration de plans de sites, des plans conceptuels) et présenter des estimations préliminaires de coûts;

- Conseiller le MAINC dans l’établissement des priorités et de solutions de rechange pertinentes;

 - Examiner les rapports de recherche et en discuter afin de déterminer la nécessité et la faisabilité des projets proposés;

- Examiner et vérifier les avant-projets, les estimations de coûts et les calendriers de projets afin de s’assurer qu’ils répondent aux exigences du MAINC et faire les recommandations pertinentes au MAINC;

- Examiner et vérifier les coûts détaillés de fonctionnement et d’entretien des projets soumis;

- Vérifier les analyses du coût du cycle de vie des diverses options présentées afin de pouvoir recommander au MAINC la solution la plus rentable;

[…]

[Je souligne]

94 M. Pichon, dans le questionnaire de classification qu’on lui demandé de remplir (pièce P-18), a déclaré ne pas gérer les fonds :

[…]

NOTE : Le titulaire ne gère pas directement les fonds, il établit les mouvements de trésorerie, d’une valeur approximative de 5-6M$ pour les agents de financement. Le titulaire a la responsabilité de préparer les documents d’approbation de projets et il est un des principaux intervenants dans le processus de l’ÉÉPI (Équipe d’Évaluation de Projets d’Immobilisations), processus qui a été développé par un comité dont faisait partie le titulaire.

[…]

[Je souligne]

95 M. Pichon a lui-même affirmé dans son témoignage qu’il jouait un rôle de conseiller et qu’il faisait des recommandations au conseil de bande. Même si ses recommandations avaient un grand poids, M. Pichon n’avait pas de pouvoir décisionnel pour ce qui est de la gestion des fonds d’un projet.

96 Pour ce qui est de M. Lamy, il n'assumait pas, et n’assume toujours pas, la gestion de fonds comme tel. On ne retrouve pas dans l’attestation de poste de 1989, qui était toujours en vigueur en 1995 (pièce P-12), une référence explicite à la responsabilité de la gestion de fonds. On ne peut, d’ailleurs, se fier fortement à cette attestation de poste puisqu’elle ne reflète pas exactement ce que faisait M. Lamy depuis 1995. L’attestation a été rédigée en 1989, mais en 1995 on avait modifié les tâches lors de la dévolution de responsabilités au conseil de bande. M. Lamy a aussi lui-même avoué dans le questionnaire de classification (pièce P-11) qu’il ne gérait pas les fonds :

[…]

NOTE : Le titulaire ne gère pas directement les fonds, il établit les mouvements de trésorerie d’une valeur approximative de 19M$ pour les agents de financement. Le titulaire a la responsabilité de préparer les documents d’approbation de projet et il est un des principaux intervenants dans le processus de l’ÉÉPI (Équipe d’Évaluation de Projets d’Immobilisations), processus qui a été développé par un comité dont faisait parti le titulaire.

[…]

[Je souligne]

97 M. Lamy a affirmé dans son témoignage qu’à partir d’avril 1995, lorsqu’on a procédé au transfert de responsabilités aux communautés autochtones, il avait moins de contacts directs avec elles. Il leur donnait des conseils et des services techniques.

98 La description de travail 0212105A générique approuvée en 2003 (pièce P-9), qui s’applique aux deux fonctionnaires s'estimant lésés, contraste avec les attestations de postes précédentes. La description de travail 0212105A met davantage l'accent sur la gestion de fonds et stipule expressément que le titulaire du poste est responsable de cette gestion financière :

[…]

Préparer les budgets liés aux projets pour le programme de travail et de services à l’intention des divers clients et des diverses clientes. Ces budgets couvrent tous les coûts associés à la prestation des services requis et englobent les dépenses dans le cadre du projet (p. ex. les consultants et consultantes, les entrepreneurs et le matériel), les coûts de TPSGC (salaires et frais) et les frais d’exploitation, notamment les déplacements. Gérer et surveiller les budgets et les adapter aux besoins changeants afin de limiter les risques et d’utiliser les ressources à bon escient en ayant la latitude requise pour choisir le meilleur plan d’action et réaffecter les ressources pour fournir les services requis dans les limites des budgets établis, conformément aux pouvoirs délégués et aux politiques de gestion financière du Ministère.

Si AINC est le principal client, faire ou gérer l’examen des accords de financement entre ce ministère et les communautés des Premières nations au sujet d’un large éventail de projets liés aux biens immobiliers. Le ou la titulaire peut déterminer les niveaux de financement requis, niveaux sur lesquels sont fondées les recommandations à la clientèle concernant les ententes de subventions et de contributions avec les Premières nations.

[…]

Obtention de fonds :

Analyser les besoins liés aux projets de la clientèle; trouver la meilleure option pour la réalisation de ces projets et déterminer les besoins en ressources, y compris les frais de TPSGC, dresser les plans de recouvrement des coûts pour chacun des projets. Ces données constituent la base des négociations effectuées avec chacun des clients et clientes pour établir l’accord de services qui précise les modalités, conditions et coûts de réalisation de leurs projets. Contribuer à la gestion du plan de recouvrement des coûts pour respecter les exigences établies. Le ou la gestionnaire peut recommander des ajustements selon l’évolution de la situation, conformément aux politiques ministérielles et à la délégation de pouvoirs.

Dépense de fonds :

Gérer les contrats concernant des projets mineurs, accuser réception des biens et des services et recommander les paiements pour obtenir les biens et les services nécessaires à la réalisation des projets de la clientèle. Cela comprend les contrats établis p. ex. pour obtenir les services de firmes d’ingénieurs, d’architectes et de spécialistes en environnement du secteur privé; les contrats de construction et d'achat de matériel. Le ou la titulaire a l’autorité requise pour réaffecter les ressources à l’intérieur de chacun des budgets du projet selon l’évolution de la situation, conformément aux politiques du gouvernement et du Ministère et selon les pouvoirs délégués au poste.

[…]

[Je souligne]

99 Comme l’a expliqué M. Mongeau, la description de tâches générique (pièce P-9) avait introduit une notion de responsabilité de gestion de fonds que l’on ne retrouve pas dans les anciennes attestations de poste. La nouvelle description de travail donne au titulaire une responsabilité complète de gestion et de réalisation de projets. Ce n’est pas seulement un rôle de conseiller et de participant, contrairement à ce qui se passait auparavant, mais un rôle de gestionnaire responsable des résultats. Avant, on examinait les contrats; maintenant, on parle plutôt de gestion de contrats. Avant, le conseil de bande avait la responsabilité ultime du projet; la nouvelle description de travail assigne cette responsabilité au titulaire du poste.

100 Il y avait d’autres nouvelles responsabilités dans la description de travail 0212105A. Cette dernière indique que le titulaire du poste doit « [d]iriger des équipes de spécialistes […] ». Les anciennes attestations de poste mentionnaient plutôt de « participation » aux équipes.

101 Je ne crois pas que le fait qu’on ait demandé aux fonctionnaires s'estimant lésés de décrire dans le questionnaire de classification des projets qui remontaient à trois ans soit concluant. Ce qu’on a évalué pour la reclassification, ce ne sont pas seulement les fonctions qu’ils accomplissaient depuis trois ans, mais aussi les nouvelles responsabilités que la nouvelle description de travail leur attribuait. On y a ajouté ces nouvelles responsabilités pour donner plus de flexibilité pour l'avenir.

C. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont-ils droit à de la rémunération provisoire?

102 Les fonctionnaires s'estimant lésés ont soulevé un autre motif à l’appui des griefs. Ils ont soutenu qu’ils accomplissaient les fonctions des postes reclassifiés à la hausse depuis le 1er octobre 1995 à titre intérimaire, et les conventions collectives de 2000 et de 2003 stipulaient qu’un employé qui accomplit une grande partie des fonctions d’une classification supérieure a droit à une rémunération provisoire. Cette stipulation se lit comme suit :

46.08 Lorsqu’un employé est tenu par l’Employeur d’exercer à titre intérimaire une grande partie des fonctions d’une classification supérieure, pendant la période requise de jours ouvrables consécutifs, il touche une indemnité provisoire à compter de la date à laquelle il commence à remplir ces fonctions comme s’il avait été nommé à ce niveau de classification supérieure pour la durée de la période.

[…]

103 L’employeur s’est opposé à ce que les fonctionnaires s'estimant lésés puissent présenter ce nouveau motif puisque ces derniers ne l’avaient jamais invoqué avant le renvoi à l’arbitrage. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire que je décide si les fonctionnaires s’estimant lésés ont changé le motif de leurs griefs au stade du renvoi à l’arbitrage puisque je ne crois pas que les fonctionnaires s’estimant lésés aient droit à de la rémunération provisoire dans les circonstances de cette affaire. Ils ne m’ont pas convaincu qu’ils exerçaient de façon importante les tâches de la description de travail 0212105A (pièce P-9) avant le 21 juin 2002. La particularité de ces griefs est que la nouvelle description de travail ajoute des responsabilités importantes aux postes des fonctionnaires s'estimant lésés. On a non seulement ajouté des tâches, mais on a aussi changé leur nature. Les fonctionnaires s'estimant lésés n’accomplissaient pas au moment de la reclassification, et même au temps de l’audience de la présente affaire, les nouvelles responsabilités du poste. On a en quelque sorte établi une description de travail pour l’avenir. Ces nouvelles responsabilités sont apparues lorsqu’on a approuvé la nouvelle description de travail le 22 août 2003. C’est vraiment à cette date que s’est concrétisée la nouvelle description de travail. Tel qu’expliqué dans la section « IV. B. » de la présente décision, la grande différence se situe au niveau de la responsabilisation pour la gestion des projets, un aspect important des emplois des fonctionnaires s’estimant lésés. On est passé de fonctions de conseil et d’examen, à des fonctions de gestion. Donc, on ne peut pas dire que les fonctionnaires s'estimant lésés accomplissaient une « grande partie des fonctions d’une classification supérieure »au sens de la stipulation 46.08 de la convention collective avant la reclassification.

104 Même si j’avais décidé que les fonctionnaires s’estimant lésés exerçaient les fonctions des postes reclassifiés, j’aurais quand même rejeté les griefs pour le motif suivant. Il s’agit ici de griefs ayant trait à une infraction continue (ou grief de nature continue), c’est-à-dire une infraction qui se répète à chaque paie. Je n’aurais pu, à mon avis, accorder une rémunération provisoire pour la période qui précède le délai de présentation d’un grief prévu au Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993), DORS/93-348, (le « Règlement ») en vigueur lors de la présentation des griefs. Ce délai était de 25 jours selon le paragraphe 71(3) du Règlement.

105 Brown et Beattie décrivent ainsi ce type de grief dans Canadian Labour Arbitration, 4e ed., au paragraphe 2:3128 :

[Traduction]

[…]

[…] On entend par violations continues des contraventions répétées à la convention collective par opposition à une violation simple ou isolée. Ces violations peuvent survenir dans des circonstances telles que des grèves illégales, le non-paiement d’une somme ou de primes d’avantages sociaux ou relativement à des décisions fondées sur une date d’ancienneté erronée ou l’affectation de tâches. […]

[…]

[Je souligne]

[J’omets les renvois]

106 La Cour d’appel fédérale a traité d’un grief de nature continue dans Coallier. Dans ce cas, l’employé avait présenté un grief au motif qu’on ne l’avait pas rémunéré selon le barème salarial prévu à la convention collective. Dans la lettre d’offre d’emploi, on lui avait promis qu’on lui verserait son plein salaire lorsqu’il satisferait à un certain seuil de rendement. L'employeur ne lui a jamais versé son plein salaire sous prétexte qu’il n’avait jamais atteint ce seuil. La Cour d’appel fédérale a jugé que la lettre d’offre d’emploi allait à l’encontre de la convention collective et que l’employé avait droit au plein salaire prévu pour son poste dans la convention collective. Par contre, la Cour d’appel fédérale a jugé que la réclamation de ce salaire ne pouvait couvrir la période antérieure à celle prévue pour la présentation d’un grief (25 jours dans ce cas-là). À mon avis, même si la Cour d’appel fédérale ne le dit pas expressément, la raison de cette limite est qu’il s’agissait d’une violation continue de la convention collective et la réclamation dans un tel cas ne pouvait avoir un effet rétroactif au-delà de la période prévue pour présenter un grief.

107 Les arbitres du secteur privé au Canada ont adopté une approche semblable pour ce qui est des griefs de nature continue. Brown et Beatty l’expliquent ainsi, au paragraphe 2:3128 :

[Traduction]

[…]

          Lorsqu’il a été établi que la violation est continue et que le délai relatif au dépôt d’un grief peut être fixé à partir de sa dernière occurrence, il a été déterminé que le défaut de le présenter dans le délai prescrit à partir de sa première occurrence n’aura pas pour effet de rendre le grief inarbitrable. Toutefois, le redressement ou les dommages-intérêts accordés rétroactivement dans de telles circonstances peuvent être limités par le délai. Par conséquent, dans le cas d’un grief fondé sur le paiement d’un salaire inapproprié qui a été accueilli, les dommages-intérêts recouvrables ont été limités à cinq jours ouvrables complets avant le dépôt du grief, qui représentent le délai prescrit pour le dépôt du grief.

[…]

[Je souligne]

[J’omets les renvois]

108  À mon avis, Coallier s’applique au présent cas. Les fonctionnaires s'estimant lésés auraient pu, en tout temps durant les huit années qui ont précédé les reclassifications, présenter un grief de rémunération provisoire basé sur la convention collective en soutenant que les tâches qu’ils accomplissaient étaient celles d’un niveau supérieur. Ils ont choisi de ne pas le faire. Ils ne peuvent, à mon avis, réclamer huit ans de rémunération rétroactive. Vu la nature continue de l’infraction, ils ne peuvent réclamer une rémunération provisoire pour la période antérieure à celle du délai prévu dans le Règlement pour présenter un grief. Dans ce cas-ci, tel qu’expliqué plus haut, le paragraphe 71(3) du Règlement fixait cette période à 25 jours. Or, l'employeur leur a accordé bien plus que 25 jours puisqu’il leur a accordé 14 mois de rétroactivité.

109 Un arbitre de grief est arrivé à la même conclusion dans Cairns et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la citoyenneté et de l’immigration),2006 CRTFP 130. Dans ce cas, les employés soutenaient que l'employeur aurait dû donner une plus grande portée rétroactive à leur reclassification. Lors de l’audience, ils ont basé leur réclamation sur le droit à une rémunération provisoire en vertu de la convention collective. L’arbitre de grief a décidé, se basant sur Coallier, que la rémunération provisoire ne pouvait s’appliquer à la période antérieure à celle du délai prévu pour présenter un grief :

[…]

[73] Ces griefs ont été déposés en novembre 2002, mais les fonctionnaires s'estimant lésés demandent un salaire rétroactif à partir du 1er janvier 2000. Il ressort nettement de Coallier qu’un fonctionnaire s’estimant lésé ne peut revenir à une date qui dépasse la période de 25 jours antérieure au dépôt du grief. En l’espèce, les fonctionnaires s'estimant lésés ont été payés au 12 mars 2002, ce qui dépasse de beaucoup la période de 25 jours.

[…]

110 Un arbitre de grief est arrivé à la même conclusion dans Babiuk et al. Dans ce cas, les faits sont presque les mêmes que dans les présents griefs. L'employeur avait procédé à une reclassification et lui avait donné un effet rétroactif d’un an. Les employés demandaient qu’on leur accorde une période de rétroactivité plus longue. Les griefs au sein du ministère avaient été présentés comme des griefs de date d’entrée en vigueur de la reclassification et les employés voulaient, lors du renvoi à l’arbitrage, baser leur argument sur les stipulations de la convention collective traitant de la rémunération provisoire. L’arbitre de grief a refusé qu’on change la nature des griefs à ce stade des procédures. Il a ajouté que, même s’il avait accepté de traiter les griefs comme des griefs basés sur le droit à une rémunération provisoire, il les aurait quand même rejetés en appliquant Coallier puisque la période de rétroactivité que l’employeur leur avait accordée était déjà plus longue que le délai prévu pour présenter un grief.

111 Je suis conscient que dans Stagg, la Cour fédérale a accordé une rémunération provisoire aux employés pour une période plus longue que la période prévue pour déposer un grief. Il ne semble pas à la lecture de ce cas qu’on ait soulevé la nature continue du grief et Coallier. À mon avis, je dois appliquer Coallier au présent cas puisqu’il s’agit nettement d’un cas de grief de nature continue et que, dans un tel cas, l’indemnité ne peut dépasser la période prévue pour déposer un grief.

112 Dans Blais, la Cour d’appel fédérale a aussi accordé une rémunération provisoire à l’employé pour une période plus longue que le délai prévu pour déposer un grief, sauf que les faits de ce cas sont très particuliers. Le poste de l’employé avait été reclassifié au mois de juin 1984 avec un effet rétroactif au 1er janvier 1984 parce qu’on avait augmenté les tâches du poste à cette époque. L’employé ne contestait pas la date de rétroactivité. Il voulait tout simplement être rémunéré depuis le 1er janvier 1984 selon l’échelle de salaire du poste reclassifié parce qu’il accomplissait les nouvelles tâches depuis cette date, et il aurait reçu cette rémunération rétroactive s’il avait été nommé à son poste reclassifié. L'employeur a décidé de ne pas le nommer à ce poste et c’est à ce moment que l’employé a décidé de déposer un grief sur la base qu’il accomplissait les tâches de ce poste à titre intérimaire. Dans ce cas, l’employé n’avait peu ou pas de raison de déposer un grief avant ce moment parce qu’il croyait qu’il serait nommé à son poste reclassifié. En l’espèce, les faits sont très différents. Les fonctionnaires s'estimant lésés pouvaient déposer leurs griefs à n’importe quel moment au cours des huit ans qui ont précédé la reclassification de leurs postes s’ils croyaient qu’ils effectuaient des fonctions d’un poste de niveau supérieur.

113 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

114 Les griefs sont rejetés.

Le 14 avril 2008.

John A. Mooney,
arbitre de grief

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