Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée pour cause d’incapacité médicale - elle a contesté le licenciement et a invoqué un manquement à une stipulation de la convention collective interdisant la discrimination - l’agent négociateur de la fonctionnaire s’estimant lésée a également fait valoir que l’employeur ne s’était pas conformé à son obligation de prendre des mesures d’adaptation - la fonctionnaire s’estimant lésée avait été en congé de maladie pendant une période de quatre ans avant de reprendre le travail - l’employeur a tenté de prendre certaines mesures d’adaptation - le comportement de la fonctionnaire s’estimant lésée dérangeait tellement qu’on lui a demandé de quitter le lieu de travail jusqu’à ce qu’une évaluation de son aptitude au travail soit effectuée - les experts médicaux ont conclu qu’aux fins de l’évaluation de l’aptitude au travail, la fonctionnaire s’estimant lésée ne pourrait pas retourner au travail, peu importe le lieu, dans un avenir prévisible - l’employeur a attendu cinq mois avant de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée pour lui donner l’occasion de démissionner - il l’a finalement licenciée - l’arbitre de grief a maintenu le licenciement en concluant que l’employeur s’était acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la limite de la contrainte excessive - l’arbitre de grief a également statué que l’employeur avait enfreint la stipulation de la convention collective interdisant la discrimination en imposant une réprimande verbale pour un comportement qui était clairement lié à l’incapacité mentale de la fonctionnaire s’estimant lésée. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-04-22
  • Dossier:  166-02-37035
  • Référence:  2008 CRTFP 24

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JULIET ENGLISH-BAKER

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

employeur

Répertorié
English-Baker c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Doug Hill, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 5 au 7 février 2008.
(Arguments écrits déposés les 28 février et 4 mars 2008.)
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Juliet English-Baker (la « fonctionnaire s’estimant lésée ») a déposé un grief contestant son licenciement pour incapacité en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) ainsi qu’alléguant une violation de l’article interdisant la discrimination de la convention collective applicable conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada à l’égard du groupe Services des programmes et de l’administration et expirant le 20 juin 2003 (pièce G-1). Elle a été licenciée le 6 mai 2004; son grief a été déposé le 27 mai 2004. Elle a obtenu une réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 18 novembre 2005. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 16 février 2006.

2 Après avoir entendu les exposés introductifs des deux parties, j’ai reçu de leur part une demande conjointe de les aider à s’entendre sur les questions en litige, en consentant à ce que je me charge de la médiation quitte à reprendre mon rôle d’arbitre de grief si la médiation devait être infructueuse. Après une demi-journée de discussions, la médiation a fini par achopper; nous avons repris le processus d’arbitrage de grief.

3 Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits (pièce J-1). Six témoins ont comparu pour l’employeur. La fonctionnaire s’estimant lésée a choisi de ne pas témoigner. Le deuxième jour de l’audience, son représentant a demandé une ordonnance d’exclusion des témoins. L’employeur ne s’y est pas opposé et une ordonnance a été accordée.

4 La Dre Joanne Lloyd-Jones, de Santé Canada, était la responsable des évaluations de l’aptitude de la fonctionnaire s’estimant lésée à travailler. On lui avait signifié une assignation à témoigner en apportant avec elle ses dossiers concernant la fonctionnaire s’estimant lésée, incluant les rapports médicaux.

5 On a déposé à l’audience des renseignements médicaux sur l’incapacité de la fonctionnaire s’estimant lésée. Avec le consentement des deux parties, j’ai rendu une ordonnance de mise sous scellé des pièces suivantes : E-2, E-4, E-5, E-6, E-7 et E-3, onglet 21.

6 La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) le 17 janvier 2005, en alléguant un traitement différentiel, un refus de prendre des mesures d’adaptation à son endroit et un licenciement pour invalidité. Le 22 juin 2005, la CCDP a informé les parties qu’elle n’allait pas instruire la plainte tant que la procédure de règlement des griefs, incluant l’arbitrage, ne serait pas terminée, en vertu de l’alinéa 41(1)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

7 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

II. Résumé de la preuve

8 La fonctionnaire s’estimant lésée a commencé à travailler au ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) en août 1987, comme commis au soutien de l’assurance de la qualité CR-03 (pièce J-1). En 1996, elle a déposé une plainte de harcèlement contre « M » au Centre de réponse aux demandes de renseignements (CRDR); cette plainte a été réglée en 1998 (pièce J-1). En avril 1999, elle a commencé à travailler à la bibliothèque du ministère dans le cadre d’une affectation de développement professionnel à laquelle on a mis fin après un mois.

9 Le 10 décembre 1999, on lui a demandé de ne pas se présenter au travail avant que l’Agence d’hygiène et de sécurité au travail de Santé Canada (« Santé Canada ») n’ait évalué son aptitude à travailler, parce que son comportement au bureau inquiétait la direction (pièce E-3, onglet 3). L’évaluation a été réalisée par la Dre Lloyd-Jones le 3 mars 2000 (pièce E-2, onglet B). Elle a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas capable de satisfaire aux exigences médicales de son poste en raison de son état de santé mentale. Elle a aussi déclaré que la fonctionnaire s’estimant lésée avait besoin de traitements et d’un suivi régulier pour sa santé et qu’« elle resterait inapte au travail à moins de recevoir le traitement voulu ». Elle a terminé son évaluation en déclarant que, si le médecin traitant de la fonctionnaire s’estimant lésée devait l’estimer apte à retourner au travail dans l’avenir, elle recommanderait que le spécialiste-conseil de Santé Canada l’évalue de nouveau.

10 La fonctionnaire s’estimant lésée a été en congé payé du 10 décembre 1999 au 29 juin 2000, date à laquelle elle est devenue admissible aux prestations d’invalidité du régime d’assurance-invalidité de la Financière Sun Life (pièce J-1). Elle a touché ces prestations du 30 juin 2000 au 29 juin 2002 (pièce J-1). Durant cette période, la Financière Sun Life a conclu qu’elle n’était plus admissible.

11 Le 4 janvier 2001, la Dre Lloyd-Jones a envoyé une lettre à Paula Fitzsimons, chef des Relations de travail et de la rémunération à l’administration centrale de CIC (avec copie à la fonctionnaire s’estimant lésée, pièce E-2, onglet C); elle lui déclarait avoir reçu du médecin traitant de la fonctionnaire s’estimant lésée une lettre recommandant son retour au travail et soulignait que ce praticien avait déclaré que la fonctionnaire s’estimant lésée [traduction] « bénéficierait d’une mutation dans un autre ministère, puisque le conflit à son lieu de travail avait nui à sa santé ». Le 26 avril 2001, la Dre Lloyd-Jones a écrit à la fonctionnaire s’estimant lésée (pièce E-2, onglet E) pour l’informer de certaines réserves quant aux renseignements médicaux produits par son médecin. Elle lui déclarait qu’elle ne recommanderait pas son retour au travail à moins qu’un examen soit fait pour vérifier les résultats antérieurs.

12 Le 15 mai 2001, l’assureur du régime d’assurance-invalidité (Financière Sun Life) a écrit à la fonctionnaire s’estimant lésée pour l’informer qu’elle n’était plus admissible à des prestations d’invalidité parce qu’elle n’était plus [traduction] « complètement invalide » (pièce E-3, onglet 21) :

[Traduction]

[…]

[…] Être complètement invalide signifie que vous êtes en état d’incapacité continuelle parce que votre santé vous empêche de vous acquitter de toutes les fonctions de votre poste ou de votre emploi habituels.

D’après les renseignements médicaux figurant au dossier, vous ne souffrez d’aucun trouble ni n’avez des restrictions qui vous empêcheraient de vous acquitter à temps plein des fonctions de votre poste habituel. Étant donné que votre médecin traitant et vous-même reconnaissez que vous ne souffrez d’aucun trouble qui vous rend complètement invalide, vous n’êtes plus admissible aux prestations du Régime d’assurance-invalidité.

[…]

Il semblerait que des conflits à votre travail et des difficultés de communication entre vous-même et votre employeur retardent maintenant votre retour au travail.

Le Régime n’est pas conçu pour remédier aux situations en milieu de travail dont ne résulte pas une complète invalidité.

[…]

13 La Financière Sun Life déclarait dans sa lettre à la fonctionnaire s’estimant lésée que, pour pouvoir envisager de recommencer à lui verser des prestations, il faudrait que soit Santé Canada, soit l’employeur lui confirment par écrit qu’on évaluerait son aptitude à travailler, avec confirmation de la date de cette évaluation (pièce E-3, onglet 21). Cette lettre a été envoyée à la fonctionnaire s’estimant lésée ainsi qu’à Mme Fitzsimons. La fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas fait appel de la décision de l’assureur qu’elle n’était plus admissible à des prestations.

14 Le Dr David Conn a réalisé le 3 avril 2002 une autre évaluation médicale de la fonctionnaire s’estimant lésée (pièce E-4). Il a déclaré qu’elle avait nié pouvoir [traduction] « souffrir d’un trouble qui influait sur sa façon de penser et sur ses émotions », quand il le lui avait demandé. Il a aussi écrit qu’elle avait dit qu’elle ne prendrait pas de médicaments, si elle s’en faisait prescrire. Le Dr Conn a conclu que, pour pouvoir retourner au travail, la fonctionnaire s’estimant lésée allait devoir suivre des traitements psychiatriques et que son retour au travail devrait se faire graduellement. Il a aussi conclu qu’il ne serait pas indiqué qu’elle retourne au travail à moins qu’elle coopère tant avec les responsables des traitements psychiatriques qu’avec ceux de sa réadaptation professionnelle. Il a ajouté qu’il la jugeait [traduction] « nettement handicapée ». Après avoir reçu ces résultats, la Dre Lloyd-Jones a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas apte à retourner au travail et que [traduction] « son état de santé la handicapait nettement » (12 juin 2002; pièce E-2, onglet H). Elle a aussi précisé les conditions qu’elle jugeait nécessaires à tout retour au travail :

[Traduction]

[…]

[…] Pour que Mme English-Baker puisse retourner au travail, il lui faudrait des traitements médicaux continus pour une maladie chronique. Si elle devait réagir favorablement aux traitements, sa réintégration professionnelle devrait alors être progressive […]

[…]

15 La Dre Lloyd-Jones a témoigné que les professionnels de la santé mentale se servent d’une échelle de 100 points dite d’évaluation globale du fonctionnement (EGF) pour mesurer l’aptitude des personnes ayant des problèmes de santé mentale à fonctionner en milieu de travail. Elle a déclaré que le seuil de fonctionnement au travail était une note d’environ 60 dans l’échelle EGF. Les personnes qui obtiennent de 51 à 60 ont des symptômes modérés et des difficultés modérées aussi à fonctionner en milieu de travail. Si leur note est inférieure à 50, elles sont incapables de travailler. La fonctionnaire s’estimant lésée s’était fait attribuer une note [traduction] « fluctuant entre 30 et 50 » dans l’échelle EGF par le Dr Conn (pièce E-4).

16 Mme Fitzsimons a réclamé une autre évaluation de l’aptitude à travailler le 5 mai 2003 (pièce E-3, onglet 36). Cette fois-là, c’est le Dr Richard Spees qui a examiné la fonctionnaire s’estimant lésée pour le compte de Santé Canada; il a produit son rapport le 3 juin 2003 (pièce E-5), en déclarant que la fonctionnaire s’estimant lésée lui avait dit se [traduction] « sentir très bien ». Il lui a attribué une note [traduction] d’« environ 60 » sur l’échelle EGF, en concluant n’avoir aucune raison de croire qu’elle serait incapable de s’acquitter des fonctions mentionnées dans sa description de poste :

[Traduction]

[…]

[…] il serait plus direct, voire plus concluant, de la faire simplement retourner au travail pour voir comment elle s’en tirerait. Je ne recommande pas de médicaments à l’heure actuelle. Il faudrait noter que […] les médicaments sont généralement inefficaces, et si elle retourne au travail, elle ferait aussi bien d’y retourner à temps plein. Il lui serait bien sûr plus facile de retourner au travail si son environnement était légèrement différent. Retourner dans le même milieu que celui où elle a accusé des gens de harcèlement en disant qu’elle s’était encore sentie harcelée après que sa plainte ait été réglée pose de gros problèmes. Pour maximiser ses chances, il serait préférable qu’elle ne soit plus en contact direct avec des gens avec lesquels elle a déjà eu des difficultés.

[…]

17 Le 12 juin 2003, la Dre Lloyd-Jones a écrit à Mme Fitzsimons pour lui donner sa recommandation; elle concluait que la fonctionnaire s’estimant lésée était apte à retourner au travail à temps plein sans limitations de son aptitude à s’acquitter de fonctions de commis (pièce E-2, onglet J) et terminait sa lettre comme suit :

[Traduction]

[…]

Il serait préférable qu’elle ne retourne pas dans l’environnement de travail immédiat où elle avait accusé des gens de harcèlement.

[…]

La Dre Lloyd-Jones a témoigné que ce n’était ni une exigence, ni une condition pour un retour au travail, mais bien une approche « préférable ».

18 Allan Quaile, chef des Services des dossiers, a écrit à la fonctionnaire s’estimant lésée le 17 juin 2003 (pièce E-3, onglet 39) pour l’informer qu’on avait pris des arrangements afin qu’elle puisse retourner au travail [traduction] « dès le 23 juin 2003 ». Il faisait état dans sa lettre des restrictions soulevées par la Dre Lloyd-Jones :

[Traduction]

[…]

[…] À court terme, il serait très difficile de vous trouver un autre emploi qui vous convienne; pour les besoins de convenance, nous nous arrangeons donc pour que vous reveniez immédiatement dans votre poste d’attache. Néanmoins, je tiens à préciser que le personnel a beaucoup changé pendant votre absence. J’ai joint un organigramme pour votre information […] Puisque nous ne savons pas exactement ce qui en est des allégations de harcèlement dont Santé Canada a fait état, je vous demanderais de donner à votre superviseur les noms des personnes à l’égard desquelles vous avez des craintes particulières, et nous verrons si des arrangements spéciaux devraient être pris […]

[…]

19 M. Quaile précisait aussi dans sa lettre qu’il y avait une nouvelle équipe de direction. Il a témoigné que la personne que la fonctionnaire s’estimant lésée avait accusée de harcèlement (« M ») ne travaillait pas dans son secteur, qu’il n’y avait que deux postes de CR-03 dont un occupé. Parce que la fonctionnaire s’estimant lésée avait eu des problèmes dans le passé avec d’autres personnes qui travaillaient dans son secteur, on avait décidé que son poste de travail serait [traduction] « à l’écart du passage général », pour qu’elle ne soit pas obligée de voir les autres employés. Il a aussi témoigné que nettement plus de la moitié des employés à l’étage n’y étaient pas quand la fonctionnaire s’estimant lésée y travaillait auparavant. Il a dit que la fonctionnaire s’estimant lésée ne lui avait nommé personne avec qui elle se serait sentie mal à l’aise au travail. Il a ajouté que le représentant syndical de la fonctionnaire s’estimant lésée avait participé à sa réintégration et n’avait signalé aucun problème quant aux arrangements pris à cette fin.

20 La fonctionnaire s’estimant lésée est retournée au travail le 23 juin 2003 (pièce J-1). M. Quaile l’a rencontrée ce jour-là avec son représentant syndical. Il a témoigné que la rencontre avait pour but de parler de la réintégration de la fonctionnaire s’estimant lésée et du travail qu’elle allait faire. Il a dit avoir souligné à cette occasion qu’il ne s’inquiétait pas beaucoup de sa productivité et qu’elle n’avait pas non plus à s’en inquiéter. Il a déclaré que le plus important était que sa réintégration dans le milieu de travail soit un succès. Les fonctions de la fonctionnaire s’estimant lésée consistaient à préparer des documents à microfilmer. Il a témoigné que ni elle, ni son représentant syndical n’avaient soulevé de questions d’adaptation à ses besoins, si ce n’est en réclamant un fauteuil ergonomique.

21 M. Quaile a aussi témoigné qu’il avait rencontré la fonctionnaire s’estimant lésée et son représentant syndical le 29 juillet 2003 pour leur parler de la présence d’une substance qui semblait être du sel à son lieu de travail, particulièrement sur les documents à microfilmer. Il a déclaré qu’elle lui avait dit n’en savoir rien. Dans une note qu’il avait rédigée à l’époque (pièce E-3, onglet 43), il a écrit qu’elle était [traduction] « vraiment sur la défensive » et qu’elle [traduction] « parlait seulement de choses arrivées dans le passé ».

22 En août 2003, la fonctionnaire s’estimant lésée devait recevoir de la formation dans un autre immeuble; elle ne voulait pas y aller, parce que c’était dans cet immeuble-là. Elle a déclaré à M. Quaile qu’elle avait eu des rapports désagréables avec des gens dans cet immeuble et qu’elle ne voulait pas y retourner, pour ne pas se retrouver près d’eux encore. M. Quaile s’est arrangé pour que quelqu’un donne les [traduction] « points saillants » du cours à la fonctionnaire s’estimant lésée, sans l’obliger à y assister.

23 Le 12 août 2003, M. Quaile a reçu trois appels du téléphone de la fonctionnaire s’estimant lésée pendant qu’il n’était pas à son bureau. Elle avait laissé dans sa boîte vocale un message qu’elle aimerait le voir le plus tôt possible. Quand il est arrivé au poste de travail de la fonctionnaire s’estimant lésée, elle parlait très fort à deux autres employés, en les accusant de la harceler. Il lui a demandé de ne pas crier; elle s’est calmée. Il a ajouté qu’une des deux autres personnes avait été très perturbée par cette allégation et avait déclaré qu’elle ne voulait donc plus travailler dans ce secteur.

24 Vers la mi-août 2003, on a constaté qu’il y avait de plus en plus d’une substance ressemblant à du sel sur la moquette et dans les toilettes des femmes. M. Quaile a témoigné que les préposés au nettoyage ramassaient cette substance, qui réapparaissait le lendemain. Les employés se plaignaient aussi d’une odeur au travail rappelant l’ammoniac. Quand M. Quaile a demandé à la fonctionnaire s’estimant lésée ce qui en était de cette substance ressemblant à du sel et de l’odeur d’ammoniac, le 4 septembre 2003, elle lui a dit qu’elle n’avait [traduction] « aucune idée de comment ça c’était trouvé là ». Il a témoigné que cet échange avait eu lieu au poste de travail de la fonctionnaire s’estimant lésée et qu’il pouvait voir de cette substance ressemblant à du sel sur son bureau et à côté de celui-ci. Il a conclu alors qu’il était évident qu’elle en était responsable.

25 Le 10 septembre 2003, la fonctionnaire s’estimant lésée a reçu une réprimande verbale pour son comportement au lieu de travail (pièce J-1) : elle avait allégué avoir été harcelée par un gestionnaire quand celui-ci avait mis une enveloppe contenant son chèque de paie sur son bureau. Cette réprimande verbale est mentionnée dans une lettre que M. Quaile lui a adressée le 17 septembre 2003 (pièce E-3, onglet 46), en résumant leur rencontre ainsi qu’en l’avertissant des conséquences si son comportement persistait :

[Traduction]

[…]

Comme je vous l’ai dit à la rencontre, votre réaction à cette activité de routine est injustifiée et ne sera pas tolérée. Je dois aussi vous dire que, si un comportement pareil continue, je vais être contraint à prendre des mesures disciplinaires. J’espère sincèrement que ce ne sera pas nécessaire.

[…]

26 Dale Plumb a témoigné avoir vu le 29 septembre 2003 la fonctionnaire s’estimant lésée jeter une substance blanche sur le plancher à côté de son bureau. Il a envoyé un courriel à son superviseur et à M. Quaile pour les en informer (pièce E-3, onglet 49). Wally Bigford a aussi témoigné avoir vu le 1er octobre 2003 la fonctionnaire s’estimant lésée vaporiser sur la moquette une substance dégageant une forte odeur d’ammoniac. Il en avait informé son superviseur et M. Quaile par courriel plus tard ce jour-là (pièce E-3, onglet 50).

27 M. Quaile a convoqué la fonctionnaire s’estimant lésée à une rencontre le 8 octobre 2003 pour lui parler des deux incidents. Le représentant syndical de la fonctionnaire s’estimant lésée était présent. M. Quaile a témoigné que la fonctionnaire s’estimant lésée a nié ces allégations. Elle a déclaré que d’autres personnes du bureau en étaient responsables et la harcelaient. Quand il lui a demandé les noms des personnes qui la harcelaient, elle a refusé de les nommer. Il lui a demandé de pointer du doigt les gens du bureau qui la harcelaient. Elle a accepté : en marchant si rapidement que M. Quaile a dit qu’elle [traduction] « courait presque », elle a pointé du doigt presque tous les employés de l’étage. M. Quaile a témoigné que c’était très dérangeant.

28 Le 9 octobre 2003, la fonctionnaire s’estimant lésée s’est fait ordonner de quitter le lieu de travail, en se faisant remettre deux lettres. L’une d’elles était une réprimande écrite (pièce E-3, onglet 52); l’autre lui enjoignant de ne pas revenir au travail tant que Santé Canada n’aurait pas évalué son aptitude à travailler (pièce E-3, onglet 53). La fonctionnaire s’estimant lésée a commencé par refuser de quitter le lieu de travail; à la fin, son représentant syndical l’a accompagnée pour qu’elle parte.

29 La lettre de réprimande faisait état de la substance répandue ressemblant à du sel ainsi qu’à la pulvérisation d’une substance dégageant une forte odeur d’ammoniac et se concluait comme suit :

[Traduction]

[…]

J’ai soigneusement analysé l’information dont je dispose et, même si vous maintenez votre innocence, j’ai conclu que vous êtes la responsable de ces actions. Le 17 septembre 2003, on vous a donné un avertissement au sujet de votre comportement au bureau. Compte tenu de la gravité de ces dernières actions, ceci doit être considéré comme une lettre de réprimande dont une copie sera versée à votre dossier personnel.

De telles actions sont considérées comme inacceptables au travail, et nous nous attendons à ce que vous vous comportiez à l’avenir d’une façon qui respecte votre milieu de travail. Je vous rappelle que si d’autres incidents d’inconduite devaient arriver, vous seriez passible de mesures disciplinaires plus dures.

30 Mme Fitzsimons a témoigné qu’elle ne savait pas si cette lettre de réprimande avait été versée au dossier personnel de la fonctionnaire s’estimant lésée.

31 Dans la lettre informant la fonctionnaire s’estimant lésée qu’elle allait devoir subir une évaluation de son aptitude à travailler (pièce E-3, onglet 53), il était question de ses allégations que d’autres étaient responsables des incidents survenus au travail ainsi que du fait qu’elle avait pointé du doigt presque tous les employés en les en disant responsables :

[Traduction]

[…]

Je ne considère pas vos allégations comme raisonnables, et votre réaction a encore mis le personnel mal à l’aise. Je crains pour votre santé et votre sécurité de même que pour la sécurité d’autrui. Pour ces raisons, j’ai décidé que vous allez devoir être de nouveau évaluée par l’Agence d’hygiène et de sécurité au travail (AHST) avant de vous autoriser à revenir au travail.

[…]

32 M. Quaile a expliqué qu’il avait remis à la fonctionnaire s’estimant lésée à la fois une lettre de discipline et une autre lui intimant l’ordre de se soumettre à une évaluation de son aptitude à travailler parce qu’il y avait là un [traduction] « élément disciplinaire » et qu’il voulait qu’on détermine si elle était apte à travailler ou pas. Quand l’avocate de l’employeur lui a posé une autre question pour ses raisons d’avoir envoyé une lettre de discipline, il a déclaré : [traduction] « C’était une question disciplinaire. Si l’on concluait qu’elle était apte à travailler mais que je ne prenais pas de sanction disciplinaire, j’allais être pris entre deux feux […] Je ne pensais pas qu’elle était apte à travailler, et il fallait donc l’évaluer. » En réinterrogatoire, il a déclaré qu’il aurait appliqué les principes de discipline progressive si la fonctionnaire s’estimant lésée avait été jugée apte à travailler.

33 Après avoir reçu le formulaire de consentement signé par la fonctionnaire s’estimant lésée, Mme Fitzsimons a envoyé une lettre à la Dre Lloyd-Jones le 30 octobre 2003 pour lui demander de réévaluer l’aptitude à travailler de la fonctionnaire s’estimant lésée (pièce E-2, onglet 61). Celle-ci a reçu copie de la lettre, où les événements récemment survenus au bureau étaient décrits de façon plus ou moins détaillée. Mme Fitzsimons y avait aussi écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] il nous faut aussi savoir si vous estimez qu’elle était apte à travailler durant sa période de réintégration. Je tiens à ce que vous sachiez qu’elle a été incapable de s’acquitter des exigences de son emploi depuis son retour dans ses fonctions d’attache en juin. Néanmoins, la direction a décidé d’attendre avant de vider la question avec elle, par souci de s’assurer de lui donner amplement le temps de s’adapter et d’éviter de lui imposer des pressions additionnelles qui auraient pu contribuer à l’échec de sa réintégration. En outre, comme votre dossier l’indique probablement, les tentatives antérieures pour qu’elle réussisse dans d’autres environnements à CIC ont échoué. Par conséquent, si vous concluez qu’elle est apte à retourner au travail, mais incapable de retourner dans un lieu de travail précis, nous aurons besoin de votre aide pour déterminer sa capacité d’apprendre de nouvelles tâches afin de pouvoir la réintégrer dans un nouveau milieu de travail.

[…]

34 Le 7 novembre 2003, Mme Fitzsimons a envoyé à la Dre Lloyd-Jones un autre document (pièce E-3, onglet 64) contenant des renseignements supplémentaires sur le comportement de la fonctionnaire s’estimant lésée à son travail, dont plus de trois pages de notes détaillées de M. Quaile décrivant les incidents pour lesquels elle avait écopé de sanctions. Dans ces notes, M. Quaile déclarait [traduction] « […] la décision de prendre des mesures disciplinaires a été prise […] ».

35 La Dre Lloyd-Jones a fait évaluer de nouveau la fonctionnaire s’estimant lésée par le Dr Spees, qui a conclu ce qui suit dans son rapport à la Dre Lloyd-Jones (pièce E-2, onglet K) : [traduction] « à l’heure actuelle, cette dame est inapte à travailler ». Il a aussi déclaré qu’il n’y avait pas vraiment de traitement pour ce dont elle souffrait et que des médicaments ne seraient pas efficaces. Selon lui, les symptômes étaient [traduction] « néanmoins incapacitants », et il semblait que la fonctionnaire s’estimant lésée devait être considérée comme invalide pour raisons médicales. Il jugeait aussi que [traduction] « des tendances similaires se manifesteraient à n’importe quel nouveau lieu de travail où elle serait mutée ». Selon lui, la note de sa patiente dans l’échelle EGF était [traduction] « environ 50 ».

36 Dans une lettre adressée à Mme Fitzsimons en date du 8 décembre 2003 (pièce E-2, onglet L), la Dre Lloyd-Jones informait l’employeur que, d’après le rapport du Dr Spees, la fonctionnaire s’estimant lésée était inapte à travailler [traduction] « en raison d’un problème médical chronique ». Elle déclarait que le Dr Spees ne croyait pas qu’une mutation dans un autre milieu de travail serait bénéfique. Cette lettre se terminait ainsi :

[Traduction]

[…]

Si Mme English-Baker décide de demander à prendre sa retraite pour raisons médicales, on lui ferait un accueil favorable.

[…]

37 La Dre Lloyd-Jones a témoigné avoir entièrement fondé sa recommandation sur le rapport du Dr Spees. Elle a dit que sa mention du fait qu’une mutation dans un autre milieu de travail ne serait pas bénéfique avait pour but de préciser que changer le lieu de travail ou prendre des mesures d’adaptation n’allait pas régler le problème. Elle a témoigné qu’une personne dans l’état de la fonctionnaire s’estimant lésée pourrait être capable de fonctionner au travail avec l’aide d’un psychothérapeute en qui elle aurait confiance. À sa connaissance, toutefois, la fonctionnaire s’estimant lésée ne voulait pas se soumettre à une psychothérapie. La Dre Lloyd-Jones se fondait à cet égard notamment sur les commentaires du Dr Conn, dans son rapport médical de 2002 (pièce E-4).

38 En contre-interrogatoire, la Dre Lloyd-Jones a témoigné qu’elle n’avait pas fait d’analyse détaillée de chacune des fonctions de la fonctionnaire s’estimant lésée, mais qu’elle avait néanmoins examiné sa description de poste. Elle a dit qu’il est impossible d’isoler les tâches à accomplir dans un poste de tout le milieu de travail.

39 La Dre Lloyd-Jones a témoigné que la fonctionnaire s’estimant lésée satisfaisait à son avis aux exigences applicables au départ à la retraite pour raisons médicales. Dans un cas comme celui-là, les fonctionnaires ont droit à leur pension de retraite sans pénalité, en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique. La Dre Lloyd-Jones a témoigné que de 5 à 10 p. 100 des recommandations qu’elle fait en matière d’aptitude à travailler visent un départ à la retraite pour raisons médicales. Elle a défini les critères auxquels il faut satisfaire à cette fin comme une incapacité assez grave pour empêcher l’employé d’occuper un emploi suffisamment rémunérateur durant toute sa vie ou pour une longue période. Étant donné que la fonctionnaire s’estimant lésée avait été absente de son travail depuis 1999 et que le Dr Spees avait conclu à l’inexistence d’un traitement efficace dans son cas, elle s’est dite convaincue que la fonctionnaire s’estimant lésée serait admissible à la retraite pour raisons médicales.

40 Le 12 décembre 2003, Mme Fitzsimons a écrit à la fonctionnaire s’estimant lésée pour l’informer de la conclusion de Santé Canada qu’elle était considérée comme inapte à travailler (pièce E-3, onglet 67). Elle lui déclarait que, lorsqu’un fonctionnaire est en congé non payé prolongé, la politique du Conseil du Trésor exige que [traduction] « la direction décide de la date à laquelle ce congé devrait prendre fin dans une période de deux ans ». Elle poursuivait en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] À la suite de l’échec de votre tentative de retour au travail, la présente lettre a pour but de vous informer qu’il est de nouveau impératif qu’on décide sous peu à quelle date votre emploi prendra fin.

[…]

41 En contre-interrogatoire, Mme Fitzsimons a admis que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait jamais été informée que son retour au travail était une [traduction] « tentative de retour au travail ».

42 Dans sa lettre, Mme Fitzsimons suggérait que la fonctionnaire s’estimant lésée demande à être autorisée à prendre sa retraite pour raisons médicales à compter du 15 janvier 2004. L’avocat de la fonctionnaire s’estimant lésée a écrit à M. Quaile le 17 décembre 2003 (pièce E-3, onglet 68), pour l’informer que sa cliente allait obtenir une évaluation médicale de son propre médecin, qu’elle était disposée à retourner au travail et qu’elle était réceptive à des [traduction] « mesures d’adaptation pour faciliter son retour rapidement ». M. Quaile a répondu directement à la fonctionnaire s’estimant lésée le 7 janvier 2004, en lui écrivant ce qui suit (pièce E-3, onglet 70) :

[Traduction]

[…]

[…] Compte tenu du fait que votre absence actuelle est la poursuite d’une longue absence pour raisons médicales, nous entendons régulariser la situation sans délai.

[…]

43 Dans cette lettre, M. Quaile déclarait à la fonctionnaire s’estimant lésée que, si elle ne demandait pas l’autorisation de prendre sa retraite pour raisons médicales au plus tard le 26 janvier 2004, l’employeur allait recommander son licenciement pour incapacité. Il lui rappelait en outre qu’elle pouvait présenter une demande de prestations d’assurance-invalidité tant qu’elle resterait fonctionnaire.

44 Le 15 janvier 2004, l’avocat de la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé plus de temps pour qu’elle puisse parler d’un départ à la retraite pour raisons médicales avec son représentant syndical, qui était en vacances. On lui a donné jusqu’au 13 février 2004 (pièce E-3, onglet 71). Son avocat a demandé le 12 février 2004 encore un mois de plus pour qu’elle ait le temps [traduction] « d’explorer ses options concernant un départ à la retraite pour raisons médicales » (pièce E-3, onglet 73). On lui a donné cette fois-là jusqu’au 5 mars 2004 (pièce E-3, onglet 74). Dans la lettre accordant cette prolongation, Mme Fitzsimons déclarait que, si la situation n’était pas réglée à cette date-là, l’employeur la licencierait pour incapacité. Le 4 mars 2004, l’avocat de la fonctionnaire s’estimant lésée informait Mme Fitzsimons de ce qui suit (pièce E-3, onglet 75) :

[Traduction]

[…]

[…] ma cliente affirme catégoriquement être apte à retourner travailler et prête à entamer des discussions avec l’employeur sur son calendrier de retour au travail.

[…]

45 Steven Poole, le dirigeant principal de l’information de CIC, a écrit à la fonctionnaire s’estimant lésée le 31 mars 2004 (pièce E-3, onglet 76) afin de l’informer qu’elle avait jusqu’au 15 avril 2004 pour se prévaloir de son option d’être autorisée à prendre sa retraite pour raisons médicales, faute de quoi il la licencierait pour incapacité. Il la [traduction] « pressait vivement » de demander à prendre sa retraite pour raisons médicales, en ajoutant qu’une fois approuvée, sa demande de départ à la retraite serait considérée comme une démission. Si elle était licenciée, il précisait par ailleurs qu’elle serait toujours admissible à présenter une demande de retraite pour raisons médicales, mais qu’elle perdrait son admissibilité à des prestations d’invalidité.

46 Le 5 mai 2004, M. Poole a écrit à la fonctionnaire s’estimant lésée (pièce E-3, onglet 84) en l’informant qu’elle était licenciée pour motif non disciplinaire (incapacité) en vertu de l’alinéa 11(2)g) de la LGFP, à compter du 6 mai 2004. Il a témoigné avoir jugé [traduction] « sans équivoque » la recommandation de Santé Canada. Il ne se rappelait pas les discussions qu’il avait eues avec ses conseillers en relations de travail à ce sujet.

47 La fonctionnaire s’estimant lésée a présenté un grief le 27 mai 2004 en contestant son licenciement et en alléguant une violation de l’article de sa convention collective interdisant la discrimination. Elle protestait aussi contre [traduction] « les actions discriminatoires et le harcèlement [de l’employeur] à [son] endroit, en la renvoyant contre son gré du lieu de travail et en lui imposant un congé non payé ». Comme mesure corrective, elle réclamait d’être [traduction] « indemnisée intégralement », notamment en étant réintégrée dans son ancien poste. À l’audience, son représentant a proposé comme mesure corrective qu’elle soit réintégrée à condition d’être tenue de subir une évaluation de son aptitude à travailler et d’être jugée apte à retourner au travail.

III. Résumé de l’argumentation

48 Les parties ont présenté des observations de vive voix à l’audience. Après l’audience, je leur ai demandé de me soumettre des arguments écrits sur deux décisions récentes : Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, et Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4. Ces arguments écrits ont été versés au dossier à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Je les ai résumés plus loin.

A. Pour l’employeur

49 L’avocate de l’employeur a déclaré qu’il s’agit en l’occurrence d’une simple affaire de licenciement pour incapacité, sur la foi de l’évaluation de Santé Canada que la fonctionnaire s’estimant lésée était inapte à travailler en raison d’une maladie chronique. L’employeur n’avait d’autre choix que de la licencier. Il était raisonnable qu’il le fasse, et le grief devrait par conséquent être rejeté.

50 L’avocate m’a renvoyé à McCormick c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-26274 (19950918) :

[…]

La maladie peut en certaines circonstances rendre inexécutable le contrat d’emploi. Bien qu’un employé ait droit à des congés afin de pouvoir s’absenter de façon temporaire et même prolongée, il arrive un temps où, une fois ses congés acquis épuisés, s’il est incapable d’exercer les fonctions de son poste et s’il ne sera pas en mesure de le faire dans un avenir prévisible, il s’ensuivra inexorablement un licenciement.

[…]

51 L’avocate m’a aussi renvoyé à Scheuneman c. Conseil du Trésor (Ressources naturelles Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27847 (19981020) ainsi qu’à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans la même affaire (A-795-99, 20001201), dans lequel la Cour a conclu que le licenciement pour incapacité lorsque l’employé est incapable de retourner au travail dans un délai raisonnable ne constitue pas de la discrimination :

[…]

Selon moi, ces faits n’établissent pas qu’il y a eu manquement à l’article 15 [de la Charte]. L’appelant a été congédié parce qu’il n’était capable d’accomplir aucun travail et qu’il était improbable qu’il puisse travailler dans un avenir prévisible. L’un des éléments fondamentaux de la relation employeur-employé est que l’employé soit capable d’accomplir un travail pour l’employeur ou de recommencer à travailler dans un délai raisonnable, s’il est temporairement invalide pour une cause médicale. Le congédiement d’une personne qui ne remplit pas cette condition ne constitue pas de la discrimination fondée sur une déficience physique au sens de la Constitution.

[…]

52 L’avocate a fait valoir que la définition de l’invalidité en vue d’un départ à la retraite pour raisons médicales – une grave invalidité prolongée – s’appliquait de toute évidence à la fonctionnaire s’estimant lésée, et que la Dre Lloyd-Jones était sûre que l’évaluation était fondée. L’employeur a basé sa décision de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée sur la lettre de Santé Canada, et la preuve a révélé que la Dre Lloyd-Jones avait pris connaissance de tous les rapports médicaux avant d’arriver à sa recommandation.

53 L’avocate a aussi souligné que la fonctionnaire s’estimant lésée demandait à revenir au travail, même si rien n’indiquait qu’elle était apte à retourner travailler. Elle a aussi insisté sur le fait que, dans McCormick, l’arbitre de grief avait déclaré que  l’« avenir prévisible » en ce qui concerne un retour au travail est de l’ordre de six mois.

54 Elle a soutenu que l’employeur s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation aux besoins de la fonctionnaire s’estimant lésée. Quand celle-ci est retournée au travail en 2003, son représentant syndical a participé à chacune des étapes de sa réintégration. On lui a remis un organigramme où le nom de ses collègues était précisé, et elle n’a exprimé aucune réserve. Elle n’a pas non plus exprimé de réserves quant à la disposition de son poste de travail ni quant à son emplacement. En ce qui concerne la recommandation qu’elle soit affectée à un milieu de travail différent, la Dre Lloyd-Jones avait déclaré que ce serait préférable, mais que ce n’était pas une exigence absolue. Qui plus est, la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas été affectée au CRDR, où elle travaillait précédemment, et elle ne travaillait pas non plus avec la personne qu’elle avait accusée de harcèlement (« M »). Enfin, une nouvelle équipe de direction était en place.

55 L’avocate a aussi déclaré que l’obligation d’adaptation [traduction] « joue dans les deux sens », étant donné que la fonctionnaire s’estimant lésée avait l’obligation d’informer l’employeur de toutes les mesures d’adaptation dont elle pourrait avoir besoin, mais qu’elle ne lui en a signalé aucune. L’avocate m’a renvoyé à Begley c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossier de la CRTFP 166-02-26311 (19960522) et Beattie c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2000 CRTFP 12.

56 Elle m’a aussi renvoyé à Isfeld c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-27680 (19970626) et Cie minière Québec Cartier c. Québec (Arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095.

57 L’avocate a déclaré que l’employeur avait fait preuve d’une extrême bonne foi en s’efforçant de réintégrer la fonctionnaire s’estimant lésée. Elle a aussi souligné qu’il y avait dans l’organisation très peu de postes de CR-03 qu’on pouvait lui confier.

58 L’avocate a maintenu que l’employeur n’a pas violé la stipulation de la convention collective interdisant la discrimination, laquelle stipule qu’aucune mesure disciplinaire ne doit être appliquée à un employé du fait de son incapacité, en soulignant que cela ne veut pas dire qu’une personne ayant une incapacité ne peut écoper d’une mesure disciplinaire. La fonctionnaire s’estimant lésée s’est fait imposer des sanctions pour des actes d’inconduite, ce qui n’interdit pas de la licencier pour incapacité. On peut prendre des mesures disciplinaires contre un alcoolique aussi bien que le licencier pour incapacité. En l’espèce, la lettre de discipline n’a eu aucune incidence sur la décision de licenciement pour incapacité. L’avocate m’a renvoyé à Campbell c. Conseil du Trésor (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), dossier de la CRTFP 166-02-25616 (19960513), une affaire dans laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé avait écopé de sanctions disciplinaires progressives et avait fini par être licencié pour incapacité.

59 L’avocate a déclaré que l’employeur a agi correctement. Il a déployé tous les efforts nécessaires pour faciliter le retour au travail de la fonctionnaire s’estimant lésée. Il lui a offert toutes les possibilités de présenter une demande de départ à la retraite pour raisons médicales et ne l’a licenciée qu’environ cinq mois et demi après lui avoir demandé de quitter le lieu de travail. Il a aussi préservé son statut d’emploi durant cette période, pour lui permettre de présenter des demandes de prestations d’assurance-invalidité.

60 Enfin, l’avocate a déclaré que l’employeur a satisfait au critère justifiant un licenciement pour incapacité, en maintenant que le grief devrait être rejeté.

61 Dans ses arguments écrits sur les décisions Sketchley et Centre universitaire de santé McGill, l’avocate de l’employeur a déclaré notamment ce qui suit (le texte intégral de ses arguments a été versé au dossier à la CRTFP) :

[Traduction]

[…]

Au niveau de la Cour d’appel fédérale, l’arrêt Scheuneman est pertinent parce que la Cour a conclu, au paragraphe 7 de son arrêt, que :

L’un des éléments fondamentaux de la relation employeur-employé est que l’employé soit capable d’accomplir un travail pour l’employeur ou de recommencer à travailler dans un délai raisonnable, s’il est temporairement invalide pour une cause médicale. Le congédiement d’une personne qui ne remplit pas cette condition ne constitue pas de la discrimination fondée sur une déficience physique au sens de la Constitution.

Dans Sketchley c. Canada (P.G.), la Cour d’appel fédérale ne distingue pas la conclusion précitée (ce raisonnement est d’ailleurs confirmé par la Cour suprême du Canada qui y souscrit dans McGill, on le verra plus loin).

Dans Sketchley, la Cour devait plutôt déterminer si une enquête effectuée dans le contexte d’une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne avait été entachée de suffisamment d’erreurs pour constituer un manquement à l’obligation d’équité procédurale. L’objet de la plainte concernant les droits de la personne était la politique du Conseil du Trésor exigeant qu’on tranche la relation d’emploi des employés en congé non payé pour raisons médicales dans les deux ans du début de ce congé. Dans l’affaire Scheuneman no 1, le juge des requêtes s’était demandé si cette politique équivalait à une violation de la Charte des droits et libertés; dans l’affaire Sketchley, la Cour s’est demandé si la politique constituait une infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne, et elle a déclaré que Scheuneman ne peut pas être considéré comme exécutoire sur ce point parce que la question n’a pas été considérée dans ce contexte, qu’on n’avait pas fait une analyse exhaustive de la relation entre la Charte et la Loi canadienne sur les droits de la personne et aussi parce qu’il y avait des différences dans les faits. Dans Sketchley, la Cour a souligné que, puisque Scheuneman no 1 rendu par la Cour d’appel fédérale ne portait pas sur une contestation de la politique, on ne saurait le considérer comme exécutoire à cet égard. L’employeur est d’avis qu’on peut invoquer l’arrêt Scheuneman à l’égard de cette question et non de celles sur lesquelles on s’est basé pour l’arbitrage du grief English-Baker.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

62 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré que le licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée était injustifié parce qu’il n’était pas pour incapacité en vertu de l’alinéa 11(2)g) de la LGFP, mais plutôt pour motif disciplinaire. Rien dans la preuve ne laisse entendre que la lettre de réprimande ait été retirée par l’employeur. Il a aussi déclaré que le fait qu’elle avait écopé d’une mesure disciplinaire a été communiqué à plusieurs reprises à la Dre Lloyd-Jones, de sorte qu’il est devenu partie intégrante de l’évaluation. Selon lui, la lettre de réprimande constituait une violation de la stipulation de la convention collective interdisant la discrimination.

63 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré que la preuve médicale ne justifie pas la décision de l’employeur de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée. On n’a pas conclu dans les rapports médicaux qu’elle serait incapable de travailler dans un avenir prévisible. L’assureur du régime d’assurance-invalidité a conclu qu’elle n’était pas complètement invalide. Dans son rapport, le Dr Spees a déclaré qu’elle n’était pas apte à retourner travailler [traduction] « à l’heure actuelle ». En contre-interrogatoire, la Dre Lloyd-Jones a admis qu’elle n’avait pas vérifié la liste de contrôle des fonctions de la fonctionnaire s’estimant lésée pour déterminer si celle-ci était incapable de s’acquitter de l’une ou l’autre d’entre elles. M. Poole n’a pas non plus tenu compte de la description de poste quand il est arrivé à la conclusion que la fonctionnaire s’estimant lésée devrait être licenciée pour incapacité.

64 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a aussi contesté la bonne foi de l’employeur parce que celui-ci avait informé Santé Canada qu’il n’était pas satisfait du rendement de la fonctionnaire s’estimant lésée même si M. Quaile lui avait expressément dit que la direction ne s’inquiétait pas de sa productivité. La fonctionnaire s’estimant lésée n’a jamais été informée que sa productivité était en jeu.

65 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a également fait valoir que la façon globale de l’employeur de gérer sa réintégration était injuste et déraisonnable, tout comme ses actions le 9 octobre 2003, quand elle a été escortée jusqu’à l’extérieur de l’immeuble. L’employeur ne s’est pas acquitté de sa charge de prouver que le licenciement pour incapacité était raisonnable.

66 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré que l’employeur avait violé la stipulation de la convention collective interdisant la discrimination. Il m’a renvoyé à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 2e édition, paragr. 7:3510 : [traduction] « Quand la cause de l’échec de l’employé n’est pas une question de choix, on reconnaît généralement qu’une mesure disciplinaire quelconque n’est pas une réaction justifiée. » Il m’a aussi renvoyé à Deering c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-26518 (19960208), où l’arbitre de grief avait accueilli le grief en partie parce que l’employeur avait traité la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé comme une affaire disciplinaire plutôt que comme un comportement non coupable.

67 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a aussi affirmé qu’une pure spéculation quant au risque associé à un retour au travail ne suffit pas pour justifier le licenciement (Dugal c. Conseil du Trésor (Patrimoine canadien Parcs Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25955 (19950626)). La conclusion que la maladie de la fonctionnaire s’estimant lésée était chronique était basée sur un [traduction] « instantané », et la preuve a révélé que sa note dans l’échelle EGF avait fluctué dans le passé. Son représentant m’a également renvoyé à Gunderson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Douanes et Accise),dossiers de la CRTFP 166-02-26327 et 26328 (19960725), où l’arbitre de grief avait ordonné que le fonctionnaire s’estimant lésé subisse une autre évaluation de son état de santé et soit tenu de se soumettre à des traitements.

68 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a fait valoir en outre que ni Santé Canada, ni l’employeur n’avaient tenu compte des fonctions figurant dans la description de poste de le fonctionnaire s’estimant lésée et que ni l’un, ni l’autre ne lui avait demandé comment ses problèmes de santé nuisaient à sa capacité de faire son travail. On l’a licenciée à cause d’un épisode ou d’un incident à son travail, pas parce qu’elle était incapable de s’acquitter de ses fonctions. Le grief devrait donc être accueilli.

69 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté les arguments écrits suivants au sujet des décisions Sketchley et Centre universitaire de santé McGill :

[Traduction]

[…]

[…] Je vais limiter mon argument à la question de savoir si l’on a fait une erreur en concluant que la politique du Conseil du Trésor constitue de la discrimination à première vue dans le cas d’un employé invalide qui est incapable de préciser une date pour son retour au travail.

[…]

Qui plus est, au paragraphe 91 de l’arrêt Sketchley, on a souscrit à l’analyse du juge des requêtes en concluant que « l’inflexibilité relative du délai de deux ans imposé par la politique du CT relative aux congés non rémunérés pour des raisons médicales, en comparaison avec l’absence de délai dans la politique applicable aux congés non rémunérés pour d’autres motifs, suffit à établir une discrimination à première vue en vue de l’article 10 de la Loi ».

Le paragraphe 92 porte sur le deuxième motif de distinction : les travailleurs qui souffrent d’une incapacité et qui peuvent confirmer la date de leur retour au travail seraient moins incapables à ce moment-là que les travailleurs qui ne peuvent pas encore préciser la date de leur retour au travail. La différence est fondée sur le degré d’incapacité, un motif de distinction illicite.

[…]

C. Réplique de l’employeur

70 L’avocate de l’employeur a déclaré que la version des événements de la fonctionnaire s’estimant lésée a aussi été communiquée aux professionnels de la santé, dans la correspondance de son avocat. Par conséquent, ces professionnels avaient les deux versions de l’histoire.

71 De plus, l’avocate a soutenu que la décision de la Financière Sun Life n’était pas pertinente pour le présent grief. Il s’agissait d’un contrat différent, et les parties n’étaient pas les mêmes. La fonctionnaire s’estimant lésée aurait pu faire appel de cette décision-là, mais elle n’en a rien fait.

72 Selon l’avocate de l’employeur, la preuve a montré que la Dre Lloyd-Jones avait bel et bien analysé tout le dossier de la fonctionnaire s’estimant lésée et qu’elle avait une copie de la description de ses fonctions. La Dre Lloyd-Jones a d’ailleurs témoigné qu’on ne peut pas isoler les fonctions d’un poste du milieu de travail. L’exécution des tâches n’a jamais été le problème, puisqu’il était essentiellement dû à des relations interpersonnelles difficiles.

73 L’avocate de l’employeur a dit que M. Quaile avait des réserves quant au comportement de la fonctionnaire s’estimant lésée à son travail, mais que ce n’était pas à lui de déterminer si elle était apte à travailler. Si l’on concluait qu’elle l’était, il fallait quand même que des documents sur son comportement soient versés au dossier. S’il n’avait pas eu de pièces pour étayer ses réserves, il aurait contrevenu à la politique sur les relations de travail.

74 L’avocate de l’employeur a déclaré que Deering portait sur un licenciement pour incompétence plutôt que pour incapacité. Dans Dugal, le fonctionnaire s’estimant lésé était blessé à l’épaule, et l’on n’avait jamais laissé entendre qu’il était complètement invalide. Dans Gunderson, les faits étaient différents selon elle, puisqu’on avait tenté sans succès de faire revenir le fonctionnaire s’estimant lésé au travail.

75 Dans sa réplique aux arguments écrits du représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée, l’avocate de l’employeur a écrit ce qui suit :

[Traduction]

  1. Le syndicat prétend que le licenciement de Mme English-Baker est un cas de discrimination à première vue d’après la discussion dans Sketchley. Dans Sketchley, il a été décidé que l’application inflexible d’une politique du Conseil du Trésor concernant le licenciement pour incapacité après une période fixe de congé pour raisons médicales constituait de la discrimination au sens de l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

  2. Mme English-Baker n’a jamais présenté de grief pour contester l’application automatique d’une politique quelconque du Conseil du Trésor sur le licenciement pour incapacité après une période fixe de congé. Le syndicat n’a présenté aucune preuve de l’existence d’une telle politique ni de son application par l’employeur, tant durant la procédure de règlement des griefs qu’à l’arbitrage. De toute manière, l’employeur affirme qu’il n’existe pas de politique exigeant le « licenciement » des employés après une absence de deux ans, de sorte que cette question n’est pas pertinente en l’espèce.

    Durant la procédure de règlement des griefs comme à l’audience, le syndicat a strictement déclaré que le licenciement de Mme English-Baker était un licenciement illégal pour motif disciplinaire en vertu de l’alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques, ainsi qu’une sanction disciplinaire imposée pour une incapacité, alors que l’article 19 de sa convention collective l’interdit. En prétendant maintenant que Mme English-Baker a été victime de discrimination à cause de l’application illégale d’une supposée politique du Conseil du Trésor, le syndicat change la nature de son grief.

    Quand un fonctionnaire s’estimant lésé ne soulève pas une question avant la fin de la procédure de règlement des griefs, le principe établi dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 CF 109 veut qu’il n’ait pas présenté de grief sur la question fraîchement soulevée jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, ce qui en interdit l’arbitrage.

    Si la Commission devait conclure qu’elle a compétence pour entendre un grief fondé sur l’application d’une politique du Conseil du Trésor, l’employeur lui rappelle en toute déférence que l’arbitrage du présent grief doit être tranché conformément aux dispositions de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et que, en vertu de cette loi, elle n’a pas compétence pour entendre des affaires de discrimination fondées sur la Loi canadienne sur les droits de la personne;

    Si la Commission devait juger qu’elle a compétence pour entendre un grief dénonçant de la discrimination fondée sur une autre loi, l’employeur est d’avis que la décision Sketchley n’est pas applicable étant donné qu’elle est expressément basée sur une interprétation de l’article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

  3. Le syndicat prétend que l’employeur n’a pas pris les mesures d’adaptation aux besoins de la fonctionnaire s’estimant lésée qu’il aurait dû prendre à son retour au travail.

  4. Mme English-Baker n’a jamais présenté de grief pour contester un refus quelconque de prendre des mesures d’adaptation la concernant à son retour au travail. Là encore, l’employeur affirme que le principe établi dans Burchill s’applique et que cette question n’est donc pas arbitrable.

    Si la Commission devait conclure qu’elle a compétence pour entendre un grief parce que l’employeur n’aurait pas pris les mesures d’adaptation nécessaires, l’employeur fait valoir qu’on peut établir une distinction entre le contexte de la décision McGill et celui de la présente affaire, étant donné que le syndicat n’a produit aucune preuve de l’existence, ni de l’application par l’employeur, d’une politique de licenciement automatique.

    Si la Commission devait conclure que la décision McGill est applicable, l’employeur déclare avoir fait le licenciement conformément aux critères établis dans McGill. Plus précisément, les faits incontestés dont la Commission est saisie sont que :

    1. Mme English-Baker a été absente de son travail pour raisons de maladie pour une période de quatre ans et cinq mois interrompue seulement pour 15 semaines, du 23 juin au 9 octobre 2003.

    2. La maladie de Mme English-Baker n’a jamais cessé durant tout ce temps-là. La preuve médicale non contredite est qu’elle souffrait d’une maladie chronique qui pouvait être constatée durant une période ininterrompue, de sorte que ce qui est écrit au paragraphe 29 des observations du syndicat est faux.

    3. Mme English-Baker souffrait d’une maladie chronique pour laquelle une mutation dans un milieu de travail différent n’aurait pas été bénéfique.

    4. Durant les 15 semaines du 23 juin au 9 octobre 2003, le gestionnaire de Mme English-Baker a déployé des efforts extraordinaires pour la satisfaire, notamment en s’assurant qu’elle pourrait travailler dans une autre unité située dans un immeuble différent, où moins de la moitié de ses anciens collègues travaillaient, appliquant ainsi la recommandation de la Dre Lloyd-Jones voulant qu’elle « ne retourne pas dans l’environnement de travail immédiat où elle avait accusé des gens de harcèlement ».

      Dans l’Exposé conjoint des faits, il est précisé que les [traduction] « accusations antérieures de harcèlement » de Mme English-Baker avaient été portées contre une personne (« M ») qui travaillait au Centre de réponse aux demandes de renseignements. À son retour au travail, Mme English-Baker n’a pas été affectée à ce centre, et « M » ne faisait pas partie de l’unité dans laquelle l’employeur a tenté de la réintégrer en 2003. L’employeur s’est donc conformé à la recommandation de Santé Canada.

      L’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne découle pas de l’article 23 de la convention collective, qui porte sur des situations précises de réaménagement des effectifs plutôt que sur des cas de licenciement d’un employé pour incapacité. L’employeur est donc d’avis que l’article 23 de la convention collective n’est pas pertinent en l’espèce.

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

IV. Motifs

76 Ce grief doit être tranché sous le régime de l’ancienne Loi. Dans Canada (Procureur général) c. Boutilier, [1999] 1 C.F. 459 (Section de première instance); confirmée, [2000] 2 C.F. 27, la Cour fédérale a conclu qu’un arbitre de grief n’a pas compétence sur les questions de droits de la personne sous le régime de cette ancienne Loi. Toutefois, elle a aussi conclu que, dans l’éventualité où la CCDP aurait invoqué les articles 41 et 44 de la LCDP pour que la procédure de règlement des griefs soit épuisée, un arbitre de grief a compétence sur de telles affaires. En l’espèce, la CCDP a invoqué les articles 41 et 44 de la LCDP. Dans Djan c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2001 CRTFP 60, on a examiné exhaustivement les implications d’une directive de la CCDP à un fonctionnaire s’estimant lésé en vertu des articles 41 et 44 de la LCDP. Après avoir reçu des arguments de la CCDP et de plusieurs agents négociateurs et employeurs, l’arbitre de grief avait conclu comme suit :

[…]

[…] je conclus que le fait que la C.C.D.P. a informé Mme Djan qu’elle pourrait redéposer sa plainte après avoir épuisé la procédure de règlement des griefs ne prive pas un arbitre nommé en vertu de la L.R.T.F.P. de la compétence nécessaire pour entendre et trancher son grief.

[…]

77 En l’espèce, le grief soulève les quatre questions suivantes :

  • La fonctionnaire s’estimant lésée a-t-elle été licenciée pour motif disciplinaire ou pour incapacité?

  • Si elle a été licenciée pour incapacité, la décision de l’employeur qu’elle était incapable de travailler était-elle justifiée?

  • L’employeur s’est-il acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation avant de mettre fin à la relation d’emploi?

  • Les mesures disciplinaires que l’employeur a prises à l’endroit de la fonctionnaire s’estimant lésée pour sa conduite au lieu de travail étaient-elles contraires à l’article de sa convention collective interdisant la discrimination?

78 Pour les motifs que je vais maintenant exposer, j’ai conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée pour incapacité et non pour motif disciplinaire. La conclusion de l’employeur était justifiée, et il s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation. J’ai aussi conclu par ailleurs que l’employeur a violé l’article de la convention collective interdisant la discrimination lorsqu’il a imposé une sanction disciplinaire à la fonctionnaire s’estimant lésée, en lui servant une réprimande écrite pour une conduite non coupable.

79 Dans ses arguments écrits, le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a invoqué une disposition sur la sécurité d’emploi de la convention collective. Comme cet article de la convention collective n’a pas été invoqué dans le grief, je n’ai pas compétence pour en tenir compte.

80 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée s’est en partie fondé sur la décision de l’assureur du régime d’assurance-invalidité que la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas complètement invalide. L’avocate de l’employeur a déclaré que la décision de l’assureur n’est pas pertinente. Je suis d’accord avec elle, car cette décision n’a pas été prise à un moment pertinent pour le grief. La décision de la Financière Sun Life remonte à mai 2001, soit deux ans et demi avant que l’évaluation de l’aptitude à travailler ait été faite. Même si la décision de l’assureur avait été prise en temps opportun, elle ne serait pas déterminante, parce qu’une conclusion qu’un employé n’est pas complètement invalide n’équivaut pas à le juger apte à retourner au travail.

81 En outre, le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré que les mesures disciplinaires prises par l’employeur (la réprimande verbale et la réprimande écrite) entachaient le processus de licenciement pour incapacité au point de le rendre disciplinaire. Rien dans la preuve n’a révélé que qualifier de passibles de discipline les événements survenus au lieu de travail ait influé sur les conclusions médicales de l’évaluation de l’aptitude à travailler de la fonctionnaire s’estimant lésée. Dans ces évaluations médicales, on considérait ce qui s’était passé au lieu de travail comme des symptômes de son état, mais on se fondait aussi sur des évaluations individuelles de sa santé. Je reviendrai sur la question de la réprimande écrite dans le contexte de l’allégation de violation de l’article de la convention collective interdisant la discrimination.

82 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a aussi contesté qu’on ait mentionné des problèmes de rendement à la Dre Lloyd-Jones, alors que M. Quaile avait dit à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’elle ne devrait pas s’inquiéter de son rendement. Rien dans la preuve ne laisse entendre que cette mention à la Dre Lloyd-Jones ait influé sur sa conclusion quant à l’évaluation de l’aptitude à travailler.

83 L’avocate de l’employeur a fait valoir que la politique de l’employeur sur les congés pour raisons médicales n’était pas en cause en l’espèce. La politique n’a pas été produite comme pièce, mais il ressort clairement de la preuve qu’elle a influé sur la décision de l’employeur de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée. Mme Fitzsimons a écrit à la fonctionnaire s’estimant lésée que [traduction] « la politique du Conseil du Trésor exigeait que la direction décide de la date à laquelle ce congé devrait prendre fin dans une période de deux ans » (pièce E-3, onglet 67), en lui disant aussi :

[Traduction]

[…]

À la suite de l’échec de votre tentative de retour au travail, la présente lettre a pour but de vous informer qu’il est de nouveau impératif qu’on décide sous peu à quelle date votre emploi prendra fin […]

[…]

84 L’avocate de l’employeur a également fait valoir que rien dans le grief ne porte sur l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation, et que la fonctionnaire s’estimant lésée a toujours nié toute incapacité. La fonctionnaire s’estimant lésée a présenté un grief contestant son licenciement pour incapacité en raison de discrimination. Qui plus est, elle a soulevé la question de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation dans sa plainte de droits de la personne. C’est suffisant pour soulever la question de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation devant un arbitre de grief. La fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas témoigné, et il n’existe aucune preuve directe qu’elle ne se considère pas comme invalide. Son avocat a écrit à l’employeur en mai 2004 pour l’informer que sa cliente  [traduction] « affirm[ait] catégoriquement » qu’elle était apte à retourner au travail (pièce E-3, onglet 75). Néanmoins, le fait que la fonctionnaire s’estimant lésée estimait qu’elle était apte à retourner au travail ne signifie pas pour autant qu’elle nie sa déficience. Dans un des rapports médicaux (pièce E-4), on a bien souligné qu’elle niait pouvoir [traduction] « souffrir d’un trouble qui influe sur sa façon de penser et sur ses émotions ». Toutefois, la preuve médicale tout comme le témoignage des personnes qui ont comparu pour l’employeur et celui de la Dre Lloyd-Jones ont démontré que la fonctionnaire s’estimant lésée a effectivement une déficience. En fait, s’il n’y avait pas de preuve de troubles causant une déficience, l’employeur perdrait toute justification de sa décision de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée pour incapacité.

85 Dans Sketchley, la Cour d’appel fédérale a établi une distinction par rapport à son raisonnement dans Scheuneman, en concluant que la politique de l’employeur consistant à licencier obligatoirement l’employé après deux ans de congé pour raisons médicales était de la discrimination à première vue :

[…]

[91] […] l’inflexibilité relative du délai de deux ans imposé par la politique du CT relative aux congés non rémunérés pour des raisons médicales, en comparaison avec l’absence de délai dans la politique applicable aux congés non rémunérés pour d’autres motifs, suffit à établir une discrimination à première vue […]

[…]

[95] […] En l’espèce, la norme en cause a un effet plus large que celui que propose l’appelant : sauf en cas de circonstances « exceptionnelles », elle défavorise les employés qui sont en congé non rémunéré pour des raisons médicales et qui ne peuvent, après deux ans, confirmer leur retour au travail dans un avenir prévisible. Le juge des requêtes a conclu, à juste titre, que cette distinction est discriminatoire à première vue parce que la politique du CT forcera probablement la retraite prématurée d’employés atteints d’une déficience qui, à cause de la nature de cette déficience, ne peuvent pas, dans le délai de deux ans, préciser la date de leur retour au travail tout en n’étant pas encore en mesure, encore une fois à cause de la nature de leur déficience, de savoir si celle-ci les empêchera, de façon permanente, d’occuper un emploi rémunérateur régulier […]

[…]

[Je souligne]

86 Ainsi qu’on l’a souligné plus haut, il est clair que l’employeur s’est en partie fondé sur la politique du Conseil du Trésor en cause dans Sketchley. De toute façon, il a pris des mesures pour licencier la fonctionnaire s’estimant lésée parce qu’elle était incapable de [traduction] « confirmer [son] retour au travail dans un avenir prévisible », comme la Cour l’a écrit dans Sketchley.

87 Une fois qu’on a conclu qu’une politique de l’employeur est discriminatoire à première vue, il faut se demander si cette politique est une exigence professionnelle justifiée (EPJ). Le critère applicable, en trois parties, a été établi par la Cour suprême du Canada dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, au paragr. 54 (communément appelé « Meiorin »). Pour conclure qu’il s’agit d’une EPJ, l’employeur doit démontrer :

1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

2) qu’il l’a adoptée de bonne foi et de façon honnête;

3) qu’elle est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail.

Une norme est considérée comme « raisonnablement nécessaire » si l’employeur peut démontrer qu’il est impossible de composer avec tel ou tel employé sans qu’il n’en résulte une contrainte excessive pour lui.

88 Dans Centre universitaire de santé McGill, la Cour suprême a tranché une affaire d’absence prolongée du travail en concluant qu’il ne fait aucun doute que l’employeur peut prendre de bonne foi des mesures pour assurer la présence régulière de ses employés. En l’espèce, on n’a jamais contesté que la norme établie par l’employeur ait été adoptée autrement que de bonne foi. Il a donc satisfait aux deux premières parties du critère établi dans Meiorin.

89 La question de savoir si la norme est « raisonnablement nécessaire » dépend des circonstances dans chaque cas. Dans Centre universitaire de santé McGill, la Cour suprême a jugé qu’il doit y avoir une réaction individuelle aux absences prolongées du travail. Dans ce cas-là, une disposition de licenciement automatique d’une convention collective était considérée comme un critère de détermination du caractère raisonnable des mesures d’adaptation prises, mais pas comme déterminante en elle-même :

[…]

22. Le caractère individualisé du processus d’accommodement ne saurait être minimisé. En effet, l’obligation d’accommodement varie selon les caractéristiques de chaque entreprise, les besoins particuliers de chaque employé et les circonstances spécifiques dans lesquelles la décision doit être prise […] L’obligation de l’employeur, du syndicat et de l’employé est d’arriver à un compromis raisonnable. L’accommodement raisonnable est donc incompatible avec l’application mécanique d’une norme d’application générale […]

[…]

25. En somme, la jurisprudence ne conclut à l’applicabilité d’une telle clause que si celle-ci satisfait aux exigences applicables en matière d’accommodement raisonnable, particulièrement celle requérant que la mesure soit adaptée aux circonstances individuelles du cas en litige […]

[…]

90 Dans le présent cas, l’employeur n’a pas appliqué mécaniquement la norme. En effet, il s’est écoulé plus de quatre ans entre le début du congé attribuable à des troubles causant une déficience et la décision de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée pour incapacité.

91 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que l’employeur ne s’était pas acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation en la réintégrant au travail. L’avocate de l’employeur a déclaré qu’on ne m’a pas correctement saisi de la réintégration. La Cour suprême s’est prononcée sur cette question dans Centre universitaire de santé McGill en concluant que « la contrainte excessive résultant de l’absence de l’employé doit s’évaluer globalement à compter du moment où l’employé s’absente ». Elle a également conclu que l’arbitre avait eu raison de tenir compte de la dynamique de l’échec d’une tentative de retour au travail aussi bien que de l’état de santé de l’employée après que l’employeur eut pris la décision de la licencier. Ici, la décision de l’employeur de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée pour incapacité était fondée sur sa première absence du travail, sur les événements survenus à son lieu de travail après son retour au travail et sur la plus récente évaluation de son aptitude à travailler. L’employeur s’est honnêtement efforcé, avec les meilleures intentions, de faciliter la réintégration de la fonctionnaire s’estimant lésée. Il lui a demandé s’il y avait des gens avec qui elle ne pourrait pas travailler et s’est efforcé de lui trouver un poste de travail où elle ne serait pas dérangée par le passage normal de ses collègues. Qui plus est, il a fait participer l’agent négociateur aux discussions sur les mesures d’adaptation. Ni la fonctionnaire s’estimant lésée, ni l’agent négociateur n’avaient mentionné d’autres besoins d’adaptation à l’époque. Sur la foi de la preuve dont je suis saisi, je me dois de conclure que l’employeur s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation dans ses efforts en vue de réintégrer la fonctionnaire s’estimant lésée.

92 Dans ses arguments, l’avocate de l’employeur a déclaré que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas coopéré avec les mesures d’adaptation, en ne cherchant pas à obtenir la thérapie qui lui avait été recommandée. Sur ce point, la preuve est contradictoire. Il est vrai que le Dr Conn avait recommandé une thérapie en 2002 (pièce E-4), mais le rapport médical le plus récent (et c’est sur lui que la Dre Lloyd-Jones s’est basée) précise expressément qu’il n’existe aucun traitement pour l’incapacité de la fonctionnaire s’estimant lésée (pièce E-2, onglet K). Selon le principe de la prépondérance des probabilités, c’est le rapport médical le plus récent qui est le plus fiable, parce que c’est celui-là qui porte sur l’état de la fonctionnaire s’estimant lésée au moment le plus proche de son retour au travail. Par conséquent, la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait aucune obligation de rechercher une thérapie ou des traitements qui n’existaient pas.

93 La fonctionnaire s’estimant lésée a été jugée inapte à travailler par des professionnels de la santé. Plus précisément, on a conclu que son état causait une déficience qui l’empêcherait de retourner au travail dans un avenir prévisible. Son représentant a déclaré que le diagnostic n’était qu’un [traduction] « instantané », puisqu’il précisait qu’elle n’était pas apte à travailler « à ce moment-là ». Néanmoins, prise dans son ensemble, la preuve médicale n’est pas compatible avec l’interprétation que les problèmes de santé étaient seulement temporaires. D’ailleurs, elle n’a produit aucune preuve pour contredire la preuve médicale. Comme on l’a exprimé succinctement dans Centre universitaire de santé McGill :

[…]

L’obligation d’accommodement n’est ni absolue ni illimitée. L’employée doit faire sa part dans la recherche d’un compromis raisonnable. Si l’accommodement prévu par la convention collective en l’espèce lui paraissait insuffisant et qu’elle estimait être en mesure de reprendre le travail dans un délai raisonnable, elle devait fournir à l’arbitre des éléments permettant à celui-ci de conclure en sa faveur.

[…]

94 Le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a aussi allégué que la Dre Lloyd-Jones aurait dû analyser chacune des fonctions mentionnées dans la description de poste pour déterminer si la fonctionnaire s’estimant lésée était apte à travailler. Quand on évalue l’aptitude de quelqu’un à travailler, il est correct de tenir compte de l’ensemble du travail, incluant les interactions sociales, pour déterminer aussi bien l’aptitude de quelqu’un à travailler que les adaptations nécessaires. Dans ce cas-ci, l’évaluation n’a pu révéler aucune adaptation qui aurait permis à la fonctionnaire s’estimant lésée de continuer à travailler dans son poste.

95 L’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’exige pas que les employeurs conservent indéfiniment dans leur effectif des employés incapables en permanence d’accomplir leurs tâches (Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311, paragr. 21). La fonctionnaire s’estimant lésée n’a avancé aucune preuve contredisant la conclusion qu’elle sera incapable de s’acquitter de ses fonctions « dans un avenir prévisible » (McCormick), ni qu’elle sera capable de retourner au travail « dans un délai raisonnable » (Centre universitaire de santé McGill). À mon avis, « dans un avenir prévisible » et « dans une période raisonnable » correspondent à la même norme. Je conclus par conséquent que l’employeur est arrivé au point où il en résulte une contrainte excessive pour lui de conserver la fonctionnaire s’estimant lésée dans son effectif et où la licencier pour incapacité était justifié dans les circonstances.

96 La fonctionnaire s’estimant lésée a aussi déclaré dans son grief que l’employeur avait violé la stipulation de sa convention collective interdisant la discrimination. La partie applicable de l’article 19 de la convention collective stipule qu’il n’y aura « aucune mesure disciplinaire exercée » du fait de l’incapacité mentale. La fonctionnaire s’estimant lésée a écopé d’une réprimande écrite et s’est fait demander le même jour de quitter son lieu de travail en attendant qu’on évalue son aptitude à travailler. J’ai déjà conclu que son licenciement n’était pas disciplinaire. Bien que la lettre de réprimande ait fait état de différents événements survenus à son lieu de travail que la lettre exigeant qu’elle se soumette à une évaluation de son aptitude à travailler, tous ces événements étaient mentionnés dans la lettre à Santé Canada, de sorte qu’il est clair que l’employeur était d’avis que toutes les facettes de son comportement au lieu de travail étaient liées. Étant donné ce qu’il savait de son comportement et de la nature de ce comportement, il est difficile de comprendre comment il pouvait le considérer comme coupable (autrement dit passible de mesures disciplinaires).

97 L’opinion de l’employeur que la discipline progressive aurait pu s’appliquer si la fonctionnaire s’estimant lésée avait été jugée apte à travailler n’est justifiée ni par les faits, ni par la jurisprudence. D’abord, c’est une opinion hypothétique, puisqu’on a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas apte à retourner au travail. Ensuite, la jurisprudence n’est pas si claire. Le fait est qu’un fonctionnaire peut être apte à travailler sans qu’on puisse lui imposer une sanction pour un comportement non coupable. Le facteur crucial en l’occurrence consiste à savoir si le comportement est non coupable plutôt qu’à déterminer si le fonctionnaire est apte à travailler. En l’espèce, le comportement de la fonctionnaire s’estimant lésée était clairement non coupable, et elle n’aurait donc pas dû écoper d’une sanction.

98 L’avocate de l’employeur a également déclaré qu’on pourrait aussi prendre des mesures disciplinaires à l’endroit d’un fonctionnaire pour un tel comportement en se fondant sur une approche « hybride », comme on l’a fait dans des cas où les fonctionnaires avaient une toxicomanie. L’approche a été qualifiée d’hybride parce qu’il existe des réactions disciplinaires et non disciplinaires à la conduite d’un fonctionnaire, en fonction des éléments coupables et non coupables de son comportement. L’avocate de l’employeur m’a renvoyé à la décision de l’arbitre de grief dans Campbell où un fonctionnaire qui avait écopé de sanctions disciplinaires progressives avait aussi été licencié pour incapacité. Toutefois, l’arbitre de grief ne s’était pas penché sur la question de la discipline progressive, et le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas fait état dans son grief de la stipulation de la convention collective interdisant la discrimination. L’avocate n’a pas cité de jurisprudence pour justifier une approche hybride dans les cas d’incapacité mentale sans toxicomanie, et je ne suis pas convaincu qu’il soit correct d’appliquer cette approche dans de tels cas. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a expliqué le raisonnement sous-jacent à l’approche « hybride » : [traduction] « La toxicomanie se traite, de sorte que l’employé doit assumer une certaine responsabilité quant à son programme de réhabilitation » (Health Employees Association of British Columbia (Kootenay Boundary Regional Hospital) v. B.C. Nurses' Union, [2006] BCCA 57. Dans le cas de la fonctionnaire s’estimant lésée, l’information médicale la plus récente était que son incapacité n’était pas traitable. Il s’ensuit donc que, même s’il était correct d’appliquer une approche « hybride » dans des cas d’incapacité mentale sans toxicomanie, ce ne serait clairement pas justifié en l’espèce puisqu’un professionnel de la santé a conclu qu’il n’existe aucun traitement pour sa maladie.

99 Rien dans la preuve ne laisse entendre que la lettre disciplinaire ait été retirée. En autant que la fonctionnaire s’estimant lésée est concernée, elle existe encore. Même si elle ne figure plus à son dossier en raison d’une clause d’antériorité de sa convention collective, c’est encore une lettre disciplinaire contraire à cette convention.

100 Par conséquent, je vais rendre une déclaration que l’employeur a violé l’article 19 (Élimination de la discrimination) de la convention collective et lui ordonner de retirer et de détruire la lettre de réprimande du 9 octobre 2003.

101 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

102 Le grief est accueilli en partie.

103 Le licenciement en vertu de l’alinéa 11(2)g) de la Loi sur la gestion des finances publiques est maintenu.

104 L’employeur a violé l’article 19 (Élimination de la discrimination) de la convention collective.

105 La lettre de réprimande datée du 9 octobre 2003 est retirée; l’employeur devra la détruire.

Le 22 avril 2008.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
arbitre de grief

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