Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, qui occupe un poste d’agent correctionnel, a fait l’objet d’une fouille personnelle et son véhicule a été fouillé après que son employeur ait reçu des renseignements selon lesquels le fonctionnaire s’estimant lésé introduisait peutêtre des objets interdits dans l’institution - le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief pour contester les mesures prises par l’employeur - l’employeur a affirmé que la Commission n’avait pas la compétence voulue pour être saisie de l’affaire - le fonctionnaire s’estimant lésé a affirmé que ses droits, tels qu’énoncés aux articles 8, 9 et10 de la Charte canadienne des droits et libertés (<<la Charte>>), ont été violés, et que l’employeur a agi d’une façon déraisonnable en se fondant sur des renseignements non crédibles - l’arbitre de grief a jugé que, bien que l’avis de renvoi fasse mention de l’article de la convention collective interdisant la discrimination, on ne lui a pas présenté de preuves ou d’arguments indiquant qu’une question relative aux droits de la personne était en jeu dans l’affaire - si cela avait été le cas, la Commission n’aurait pas eu compétence, l’affaire ne pouvant être renvoyée à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (<< l’ancienne LRTFP>>) étant donné que la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit <<un autre recours administratif de réparation>> - de plus, l’arbitre de grief a conclu qu’en supposant que le grief avait été déposé à la suite de l’application ou de la nonapplication, par l’employeur, des dispositions de la convention collective, il ne pouvait voir aucun lien entre le grief, tel que formulé, et l’un ou l’autre des articles de la convention collective - par conséquent, il a conclu que le grief ne pouvait être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne LRTFP - il a également conclu que le grief ne pouvait être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 92(1)b) de l’ancienne LRTFP, étant donné qu’aucune mesure disciplinaire n’a été prise - il a aussi rejeté l’argument fondé sur la Charte - aucun avis n’a été transmis au procureur général - l’on n’a jamais fait valoir que les fouilles résultaient du fait que le gouvernement avait agi en tant que gouvernant. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-04-22
  • Dossier:  166-02-35568
  • Référence:  2008 CRTFP 25

Devant un arbitre de grief


ENTRE

HARCHARAN (HARRY) SIDHU

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Sidhu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
D.R. Quigley, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie Britannique),
le 19 février 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I.  Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Harcharan (Harry) Sidhu (le « fonctionnaire s’estimant lésé ») travaille pour le Service correctionnel du Canada (le SCC ou l’« employeur ») comme agent correctionnel (CX-1) à l’Établissement Mission, situé à Abbotsford, en Colombie-Britannique.

2 Le 27 avril 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé et son véhicule ont été fouillés parce que le SCC avait été informé qu’il introduisait peut-être des produits interdits à l’Établissement Mission.

3 Le 5 août 2004, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé le grief suivant :

[Traduction]

[…]

Le 27 avril 2004, mon véhicule et moi avons subi une fouille non courante sur l’autorisation de la directrice par intérim Judy Campbell. Sur la foi du rapport disciplinaire que le directeur de l’Établissement Mission, Vince LeBlanc, a partagé avec moi le 8 juillet 2004, je présente ce grief parce que ces opérations étaient illégales, que la direction n’avait pas de motifs raisonnables de les autoriser et qu’on m’a refusé mon droit d’être assisté d’un avocat.

MESURE CORRECTIVE DEMANDÉE

Que je reçoive des excuses écrites de la directrice par intérim de l’Établissement Mission, Judy Campbell, et du directeur de l’Établissement Mission, Vince LeBlanc.
Que toute l’information et la documentation relatives à la fouille soient retirées de mes dossiers et détruites.
Qu’on me verse une compensation financière de 50 000 $ pour l’humiliation, la diffamation, l’atteinte à ma réputation, à mon intégrité et à ma dignité, la souffrance, le stress et les difficultés familiales que j’ai subis.
Qu’on me dédommage de toutes les pertes subies au titre du salaire (salaire, possibilités ratées de faire des heures supplémentaires)
Qu’on me crédite tous les congés de maladie, congés annuels et tous les autres congés résultant de cettemesure, de même que tous mes crédits ouvrant droit à pension.

[…]

4 Le 20 octobre 2004, Don Demers, sous-commissaire du SCC, a rejeté le grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

5 Le 5 janvier 2005, le grief a été renvoyé à l’arbitrage par l’agent négociateur – l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN) – en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »). L’agent négociateur a invoqué les articles 1, 17, 18 et 37 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’UCCO-SACC-CSN à l’égard du groupe Services correctionnels le 1er avril 2001 (Codes : 601/651; date d’expiration : le 31 mai 2002) (pièce G-4; la « convention collective »). Le fonctionnaire s’estimant lésé est assujetti à cette convention collective.

6 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi.

II. Résumé de la preuve

7 Dans une lettre datée du 18 octobre 2006, l’employeur a informé la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) qu’il contestait sa compétence pour instruire l’affaire. Il a demandé que le grief soit rejeté sans audience.

8 Le 20 octobre 2006, la Commission a informé l’agent négociateur de l’objection de l’employeur. Elle a parallèlement déclaré aux deux parties que la question de compétence devrait être soulevée auprès de l’arbitre de grief, au début de l’audience dont elle avait fixé la date. L’employeur a effectivement soulevé la question de son objection préliminaire à l’audience, qui s’est limitée à cette question.

9 La présente décision consiste donc à déterminer si j’ai compétence pour entendre le grief. Je ne rendrai pas de décision sur le fond.

III. Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

10 L’avocate de l’employeur a déclaré que le grief ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage en déclarant que le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi précise ce sur quoi un fonctionnaire peut présenter un grief. Le paragraphe 92(1) définit quant à lui les types de griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage. Ces dispositions se lisent comme suit :

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit d’une disposition législative, d’un règlement – administratif ou autre –, d’une instruction ou d’un autre acte pris par l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d’emploi.

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

a) l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

11 L’avocate de l’employeur a déclaré que le grief avait été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi, mais qu’aucun article de la convention collective ne porte sur la fouille, qui a été exécutée en l’occurrence conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (pièce E-1) ainsi qu’aux paramètres établis par les Directives du Commissaire du SCC 566-8, « Fouille du personnel et des visiteurs », datée du 14 avril 2003 (pièce E-2) et 566-9, « Fouille de cellules, de véhicules et d’autres secteurs de l’établissement », datée du 17 mars 2003 (pièce E-3).

12 Les « objets interdits » sont définis comme il suit au paragraphe 2(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition :

a) Substances intoxicantes;

b) armes ou leurs pièces, munitions ainsi que tous objets conçus pour tuer, blesser ou immobiliser ou modifiés ou assemblés à ces fins, dont la possession n’a pas été autorisée;

c) explosifs ou bombes, ou leurs pièces;

d) les montants d’argent, excédant les plafonds réglementaires, lorsqu’ils sont possédés sans autorisation;

[…]

13 L’article 61 de cette Loi porte sur la fouille des véhicules, et l’article 64 sur celle des agents :

Fouille sans motif précis

  61.(1) Dans les cas prévus par règlement et justifiés par des raisons de sécurité, l’agent peut, sans soupçon précis et selon les modalités réglementaires, procéder à la fouille des véhicules qui se trouvent au pénitencier.

Fouille : objet interdit

    (2) L’agent qui a des motifs raisonnables de croire qu’un objet interdit se trouve dans un véhicule, au pénitencier, dans des circonstances constituant une infraction prévue à l’article 45, peut, avec l’autorisation préalable du directeur, fouiller le véhicule.

Danger immédiat

    (3) Dans les cas visés au paragraphe (2), l’agent peut, sans autorisation, fouiller le véhicule s’il a des motifs raisonnables de croire que le délai pour l’obtenir mettrait en danger la vie ou la sécurité de quiconque ou entraînerait la perte ou la destruction de l’objet interdit.

Fouille pour motif précis

  64. (1) Lorsqu’un agent a des motifs raisonnables de croire qu’un autre agent est en possession d’un objet interdit ou d’un élément de preuve relatif à la perpétration d’une infraction criminelle et qu’une fouille à nu ou par palpation s’avère nécessaire pour le trouver :

a) l’agent peut détenir cet autre agent afin soit d’obtenir l’autorisation du directeur de procéder à la fouille, soit de recourir aux services de la police;

b) le directeur peut, si l’agent le convainc de la réalité de ces motifs et de la nécessité de la fouille, autoriser un agent — du même sexe, dans le cas d’une fouille à nu — à y procéder.

[…]

14 Les paragraphes 18 à 20 de la Directive du Commissaire 566-8 (pièce E-2) énoncent ce qui suit quant à la fouille des membres du personnel :

  1. Lorsqu’un membre du personnel a des motifs raisonnables de croire qu’un autre membre du personnel est en possession d’un objet interdit ou d’un élément de preuve relatif à la perpétration d’une infraction criminelle et qu’une fouille à nu ou par palpation est nécessaire pour le trouver, il peut détenir cet autre membre du personnel afin soit d’obtenir l’autorisation du directeur de l’établissement, soit de recourir aux services de police.

  2. Le membre du personnel ainsi détenu a le droit de connaître dans les plus brefs délais les motifs de sa détention et, avant la fouille, d’avoir la possibilité de recourir sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit.

  3. La fouille non courante d’un membre du personnel doit être effectuée par un membre du personnel, en présence d’un seul témoin également membre du personnel, tous deux de même sexe que le membre du personnel soumis à la fouille et occupant un poste d’un niveau plus élevé que celui-ci.

15 Les paragraphes 12 et 13 de la Directive du Commissaire 566-9 (pièce E-3) portent sur la « Fouille non courante de véhicules » :

  1. Le membre du personnel qui a des motifs raisonnables de croire qu’un objet interdit se trouve dans un véhicule sur la réserve d’un pénitencier peut, avec l’autorisation préalable du directeur de l’établissement, fouiller le véhicule.

  2. Le membre du personnel peut, sans obtenir une autorisation préalable, fouiller le véhicule s’il a des motifs raisonnables de croire que le temps qu’il faut prévoir pour obtenir cette autorisation compromettrait la vie ou la sécurité de quiconque ou entraînerait la perte ou la destruction de l’objet interdit.

16 L’avocate de l’employeur a souligné que l’agent négociateur a invoqué les articles 1, 17, 18 et 37 ainsi que [traduction] « tous les autres [articles] applicables » de la convention collective. La stipulation 37.01 (Élimination de la discrimination), stipule ce qui suit :

37.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un-e- employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Agent négociateur ou son activité dans celui-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle il a été gracié.

17 Selon l’avocate de l’employeur, puisque l’agent négociateur invoque la stipulation 37.01 de la convention collective, il aurait été préférable qu’on dépose une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, qui aurait alors décidé d’instruire ou de renvoyer la plainte en vertu de l’article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En soi, cela témoigne du désir de l’agent négociateur de faire entendre la plainte par la Commission. L’avocate a déclaré n’avoir aucune connaissance d’une plainte déposée, de sorte que la CRTFP n’a pas compétence pour entendre la plainte, étant donné que le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi prive le fonctionnaire du droit de présenter un grief lorsqu’un autre recours administratif de réparation existe sous le régime d’une loi fédérale.

18 L’avocate de l’employeur a déclaré qu’aucun article de la convention collective ne porte sur la fouille de membres du personnel ou de leurs véhicules, qui est toutefois prévue par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ainsi que par les Directives 566-8 et 566-9 du Commissaire du SCC.

19 L’avocate de l’employeur a reconnu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas été informé avant la fouille de son droit d’être assisté d’un avocat; il a demandé d’être assisté par un représentant syndical, et un représentant syndical était présent. On n’a trouvé aucun objet interdit pendant la fouille; si l’on en avait trouvé et que le fonctionnaire s’estimant lésé avait été mis en accusation et arrêté, son droit d’avoir été assisté d’un avocat aurait été pertinent. L’employeur est néanmoins disposé à remettre au fonctionnaire s’estimant lésé une lettre d’excuses pour ne pas l’avoir informé de son droit d’avoir recours aux services d’un avocat.

20 Pendant l’enquête du SCC, le fonctionnaire s’estimant lésé a été suspendu, mais il n’a subi aucune perte au titre du traitement, ni une sanction pécuniaire, ni une mesure disciplinaire. Le paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi ne s’applique donc pas au grief.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

21 La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a déposé l’annexe B de la Loi constitutionnelle de 1982, dont découle la Partie 1 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Elle a déclaré qu’on avait violé les droits du fonctionnaire s’estimant lésé puisque tout employé a le droit d’être protégé contre les fouilles et les saisies déraisonnables de même que contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires, conformément aux articles 8 et 9 ainsi qu’aux alinéas 10a), b) et c) de la Charte :

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires.

10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :

a)  d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;

b) d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit;

c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération.

22 La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a invoqué la stipulation 1.01 de la convention collective, qui porte sur les rapports harmonieux et mutuellement avantageux entre l’employeur, l’agent négociateur et les employés. Elle a fait valoir que l’employeur doit agir de façon raisonnable pour que cette relation soit maintenue. La stipulation 1.01 se lit comme suit :

1.01 La présente convention a pour objet d’assurer le maintien de rapports harmonieux et mutuellement avantageux entre l’Employeur, l’Agent négociateur et les employé-e-s et d’énoncer certaines conditions d’emploi pour tous les employé-e-s décrits dans les certificats émis le 13 mars 2001 à l’égard des employé-e-s du groupe des services correctionnels.

23 La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que le SCC s’était fondé sur des renseignements peu fiables quand il l’a fait fouiller et fait fouiller aussi son véhicule. Le rapport de police déposé après la fouille a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’indices pour qu’on puisse accuser le fonctionnaire s’estimant lésé d’avoir tenté de faire passer des objets interdits dans l’Établissement Mission. Par suite de ces fouilles, le fonctionnaire s’estimant lésé est revenu travailler à « mission impossible » plutôt qu’à l’Établissement Mission. On avait parlé des fouilles dans tout l’établissement, aux détenus, aux collègues du fonctionnaire s’estimant lésé, à ses superviseurs et aux gestionnaires. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’était senti humilié; on avait porté atteinte à sa réputation et sapé sa dignité et son intégrité. Il a été si perturbé qu’il a dû recevoir des soins psychiatriques.

24 La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a aussi invoqué la stipulation 6.01 de la convention collective, sur les responsabilités de la direction, qui a le droit d’exercer des fonctions de direction, mais doit aussi se montrer raisonnable. La stipulation 6.01 se lit comme suit :

6.01  Sauf dans les limites indiquées, la présente convention ne restreint aucunement l’autorité des personnes chargées d’exercer des fonctions de direction dans la fonction publique.

25 Dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé, les fouilles n’étaient pas raisonnables. Le SCC ne l’a pas informé de son droit d’être assisté d’un avocat et n’a pas non plus répondu au grief au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Globalement, cela confirme qu’on n’a pas traité le fonctionnaire s’estimant lésé de façon raisonnable.

26 La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a aussi mentionné la stipulation 18.01 de la convention collective, en soulignant que d’autres stipulations de la convention font état de l’obligation de l’employeur d’être « raisonnable ». La stipulation 18.01 se lit comme suit :

18.01  L’Employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Il fera bon accueil aux suggestions de l’Agent négociateur à cet égard, et les parties s’engagent à se consulter en vue d’adopter et de mettre rapidement en œuvre toutes les procédures et techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire les risques d’accidents de travail.

27 En ce qui concerne la stipulation 37.01 de la convention collective (celle de l’élimination de la discrimination), la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’aucun autre organisme administratif ne peut se pencher sur cette question et que la Commission a donc compétence.

28 La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé m’a renvoyé aux cas suivants : Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42; Nouveau-Brunswick c. O’Leary, [1995] 2 R.C.S. 967; Sabourin c. Chambre des communes, 2006 CRTFP 15; et Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers (Fingerprinting Case) (1986), 26 L.A.C. (3d) 357.

C. Réplique de l’employeur

29 L’avocate de l’employeur a déclaré que quiconque entre dans un établissement correctionnel est susceptible d’être fouillé et que cela vaut tant pour les visiteurs et les membres de la famille des détenus que pour les agents correctionnels, les superviseurs ou les gestionnaires. La possibilité qu’on fasse entrer des objets interdits dans un établissement correctionnel est une préoccupation primordiale. Le SCC est responsable de la sécurité et de la protection de son personnel et des détenus. S’il est informé par une source fiable qu’un membre du personnel pourrait faire entrer des objets interdits dans un établissement, les procédures de fouille non courante sont celles qu’il applique.

30 L’avocate de l’employeur a mentionné que la fouille du fonctionnaire s’estimant lésé et de son véhicule avait été autorisée par le responsable de l’établissement, qui est investi par délégation du pouvoir nécessaire, et que la décision de procéder à la fouille était fondée sur des renseignements provenant d’informateurs ainsi que sur des indications interceptées. Par conséquent, le SCC se devait d’agir.

31 Pour conclure, l’avocate de l’employeur a déclaré que je n’ai pas compétence en l’espèce, et elle m’a demandé de rejeter le grief. Elle m’a renvoyé aux cas suivants : Boutilier c. Canada (Conseil du Trésor), [1998] A.C.F. no 1635 (QL); Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor); Canada (Conseil du Trésor) c. Boutilier; O’Hagan c. Canada (Conseil du Trésor), [1999] A.C.F. no 1867 (QL); Kehoe c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2001 CRTFP 9; Westbrook c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 64; Jenkins c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 104; Robinson v. New Brunswick (Department of the Solicitor General), [1998] N.B.L.A.A. No. 10 (QL); R v. M. (M.R.) (1998), 166 D.L.R. (4th) 261; et Briar et autres c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 3.

IV. Motifs

32 La question que je dois trancher consiste à savoir si j’ai compétence. En d’autres termes, le grief satisfait-il aux conditions précisées à l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi?

33 La Commission peut accueillir une demande de rejet d’un grief sans audience en vertu du paragraphe 84(1) du Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993) :

84.(1)Sous réserve du paragraphe (2) et malgré toute autre disposition du présent règlement, la Commission peut rejeter un grief pour le motif qu’il ne constitue pas un grief pouvant être renvoyé à l’arbitrage aux termes de l’article 92 de la Loi.

34 J’ai soigneusement analysé le grief, la mesure corrective demandée, les arguments des parties et la jurisprudence. On ne m’a avancé aucune preuve et je n’ai pas non plus entendu d’observations qui m’amèneraient à conclure qu’un élément lié aux droits de la personne est un enjeu fondamental en l’espèce. Si c’était le cas, la jurisprudence de la Commission est très claire : un arbitre de grief de la Commission n’aurait pas compétence puisque l’affaire ne pourrait pas être renvoyée à l’arbitrage.

35 Dans Mohammed, le juge Linden a cité en y souscrivant l’extrait suivant de jugements antérieurs de la Cour fédérale qui faisaient l’objet de l’appel dont il était saisi :

[…]

Un examen du régime législatif révèle qu’un employé n’a qu’un droit restreint de déposer un grief à chacun des paliers de la procédure prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. En particulier, le droit d’un employé de déposer un grief est limité à deux égards : selon l’exigence énoncée au paragraphe 91(1), par le fait qu’aucun autre recours administratif de réparation ne lui soit ouvert sous le régime d’une loi fédérale, et selon l’exigence énoncée au paragraphe 91(2), par le fait qu’il doit d’abord avoir obtenu l’approbation de son agent négociateur et être représenté par lui. En outre, en vertu de l’article 92, un employé ne peut renvoyer son grief à l’arbitrage qu’après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable. Dans le cas où un employé n’a pas le droit de déposer un grief à chacun des paliers de cette procédure, du fait de l’application d’une restriction légale prévue au paragraphe 91(1) ou au paragraphe 91(2), le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92. Autrement dit, lorsqu’une restriction énoncée au paragraphe 91(1) ou (2) prive un employé de son droit non absolu de déposer un grief, celui-ci ne peut par la suite envisager de renvoyer le grief à l’arbitrage en vertu du paragraphe 92(1). Si un employé essaie d’agir de la sorte, l’arbitre n’a pas compétence pour connaître de ce grief.

En vertu du paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le législateur a également choisi de priver un employé lésé de son droit non absolu de présenter un grief dans des circonstances où un autre recours administratif de réparation existe sous le régime d’une loi fédérale. Par conséquent, lorsqu’un grief potentiel porte essentiellement sur une plainte d’acte discriminatoire dans le contexte de l’interprétation d’une convention collective, les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne s’appliquent et régissent la procédure à suivre. En pareilles circonstances, l’employé lésé doit donc déposer une plainte auprès de la Commission. L’affaire peut uniquement être entendue comme un grief en vertu des dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique dans le cas où la Commission détermine, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré aux alinéas 41(1)a) ou 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la procédure de règlement des griefs doit d’abord être épuisée.

[…]

Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne constituent d’importants pouvoirs discrétionnaires dans la gamme des mécanismes mis à la disposition de la Commission pour lui permettre d’assumer son rôle dans le traitement d’une plainte et, dans les cas appropriés, d’obliger le plaignant à épuiser les procédures de règlement des griefs. Les alinéas 41(1)a) et 44(2)a) indiquent également que le législateur a expressément envisagé la possibilité que des conflits ou des chevauchements se produisent entre des procédures de règlement des griefs prescrites par différentes lois, comme celle qui est prévue dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, et les procédures et pouvoirs législatifs prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne concernant le traitement des plaintes au sujet d’actes discriminatoires. En cas de conflit ou de chevauchement, donc, le législateur a choisi d’autoriser la Commission, aux termes des alinéas 44(1)a) et 44(2)a), à déterminer si la question devrait être réglée comme un grief en vertu de l’autre loi comme la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ou en tant que plainte fondée sur la Loi canadienne sur les droits de la personne. En fait, la capacité de la Commission de prendre une telle décision va de pair avec son rôle crucial dans la gestion et le traitement des plaintes portant sur des actes discriminatoires.

[…]

36 À mon avis, pendant la période pertinente, le Parlement a exercé ses pouvoirs législatifs pour adopter un autre mécanisme de recours applicable aux affaires de droits de la personne. Si le grief comprend effectivement des éléments liés aux droits de la personne, la jurisprudence de la Commission dicte que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû se prévaloir de ses droits en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne en guise d’autre « recours administratif de réparation ».

37 L’agent négociateur a renvoyé le grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi, qui précise les types de griefs qu’on peut renvoyer à l’arbitrage. La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’un arbitre de grief peut assumer sa compétence si le grief a été déposé par suite de l’application ou de la non-application par l’employeur de dispositions de la convention collective.

38 Après avoir lu attentivement les articles pertinents de la convention collective et analysé soigneusement le grief, je ne vois aucun rapport entre le grief tel qu’il est écrit et un article quelconque de la convention collective qui m’ait été cité par la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé. Je dois donc conclure que le grief ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi.

39 Je souligne que les fouilles pour un motif précis de membres du personnel du SCC et de leurs véhicules sont clairement définies dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et dans les Directives 566-8 et 566-9 du Commissaire du SCC.

40 L’avocate de l’employeur a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas écopé d’une sanction pécuniaire ni n’avait été suspendu, rétrogradé ou licencié. La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé n’a jamais contesté cet argument de l’avocate de l’employeur, ni produit quelque élément de preuve du contraire. Par conséquent, le grief ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 92(1)b) de l’ancienne Loi.

41 Après avoir conclu que le grief ne correspond pas aux paramètres de l’ancienne Loi, je vais analyser l’argument de la représentante du fonctionnaire s’estimant lésé qui est fondé sur la Charte. La représentante du fonctionnaire s’estimant lésé semble vouloir dire qu’un grief basé exclusivement sur une prétendue violation de la Charte peut être renvoyé à l’arbitrage. Pour pouvoir tenir ce raisonnement, elle aurait dû démontrer que la disposition de l’ancienne Loi qui limite le renvoi à l’arbitrage de griefs portant sur des interprétations de la convention collective ou sur des sanctions disciplinaires est incompatible avec la Charte et devrait donc être abrogée. Si c’était le cas, l’agent négociateur aurait dû en aviser le procureur général du gouvernement fédéral et ceux des provinces. On ne m’a avancé aucune preuve que cela ait été fait.

42 En outre, pour pouvoir fonder un argument sur la Charte, l’agent négociateur devrait prouver que le gouvernement agissait en tant que gouvernant plutôt qu’en sa qualité d’employeur, puisque les dispositions de la Charte invoquées par l’agent négociateur ne s’appliquent qu’à des mesures gouvernementales : Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, et McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229. On ne m’a avancé aucun argument en ce sens, de sorte que la question ne me semble pas claire et que je suis incapable de retenir davantage ce raisonnement.

43 L’avocate de l’employeur a déclaré que celui-ci est disposé à remettre au fonctionnaire s’estimant lésé une lettre d’excuses pour ne pas l’avoir informé de son droit d’avoir recours aux services d’un avocat avant de procéder à la fouille. J’invite instamment l’employeur à produire cette lettre. Conformément à ses propres directives, quand on fouille un membre du personnel pour un motif précis dans n’importe quel établissement du SCC, l’employé devrait être informé de son droit d’être assisté d’un avocat avant que la fouille ne commence.

44 Le fait qu’il n’y a pas eu de réponse au troisième palier de la procédure de règlement des griefs m’inquiète aussi. Même si la convention collective n’interdit pas une non-réponse, je recommande au SCC d’en respecter aussi bien l’esprit que l’intention.

45 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

46 Le grief est rejeté.

Le 22 avril 2008.

Traduction de la CRTFP

D.R. Quigley,
arbitre de grief

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