Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant alléguait que l’employeur l’avait pénalisé financièrement de manière indue relativement à des demandes de remboursement de frais de voyage remontant à plusieurs années - il alléguait aussi que l’agent négociateur n’avait pas bien représenté ses intérêts - l’employeur et l’agent négociateur ont objecté qu’il n’y avait aucune cause d’action aux termes de l’article190 de la Loi et que, de toute façon, la plainte avait été déposée en retard - l’arbitre a maintenu l’objection relativement au dépôt tardif de la plainte. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-01-10
  • Dossier:  561-34-190 et 191
  • Référence:  2008 CRTFP 4

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

MICHAEL PANULA

plaignant

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA et
BETTY BANNON, PRÉSIDENTE, SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DE L’IMPÔT

défendeurs

Répertorié
Panula c. Agence du revenu du Canada et Bannon

Affaire concernant des plaintes visées à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour le plaignant:
Lui même

Pour les défendeurs:
Sonia Virc, Agence du revenu du Canada
Jacquie de Aguayo, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la foi d’observations écrites
déposées le 18 octobre, les 13 et 14 novembre ainsi que le 3 décembre 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

Plaintes devant la Commission

1 Cette décision porte sur la recevabilité de deux plaintes.

2 Le 18 octobre 2007, Michael Panula (le « plaignant ») a déposé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission») deux plaintes fondées sur l’article 190 de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »).

3 Le défendeur nommé dans la première plainte (dossier de la Commission 561-34-190) est le ministre du Revenu national. Après avoir analysé les détails relatifs à la plainte présentés séparément par le plaignant, la Commission a conclu que le défendeur est plutôt l’employeur du plaignant, l’Agence du revenu du Canada (« l’employeur défendeur ») et successeur de l’Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) de même que de Revenu Canada - Impôt.

4 La défenderesse nommée dans la seconde plainte (dossier de la Commission 561-34-191) est Betty Bannon, présidente du Syndicat des employé(e)s de l’impôt (« l’agent négociateur défendeur »).

5 Dans les deux plaintes, les alinéas 190(1)a) à g) inclusivement sont invoqués comme étant les dispositions de la Loi sur lesquelles elles sont fondées. Ces alinéas se lisent comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

a) l’employeur a contrevenu à l’article 56 (obligation de respecter les conditions d’emploi);

b) l’employeur ou l’agent négociateur a contrevenu à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi);

c) l’employeur, l’agent négociateur ou le fonctionnaire a contrevenu à l’article 107 (obligation de respecter les conditions d’emploi);

d) l’employeur, l’agent négociateur ou l’administrateur général a contrevenu au paragraphe 110(3) (obligation de négocier de bonne foi);

e) l’employeur ou l’organisation syndicale a contrevenu aux articles 117 (obligation de mettre en application une convention) ou 157 (obligation de mettre en œuvre la décision arbitrale);

f) l’employeur, l’agent négociateur ou le fonctionnaire a contrevenu à l’article 132 (obligation de respecter les conditions d’emploi);

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

6 Dans les deux plaintes, le plaignant se reporte à un document qu’il a déposé à la Commission le 31 août 2007 en tant que [traduction] « […] l’énoncé de l’acte, de l’omission ou des autres questions faisant l’objet de la plainte ». Ce document est long; je le reproduis ici intégralement, à toutes fins utiles parce qu’il m’a été difficile de le résumer fidèlement et que le plaignant le décrit comme sa défense contre l’objection que les défendeurs ont soulevée pour contester la recevabilité de ses plaintes.

[Traduction]

[…]

J’écris cette lettre sur mes plaintes à la suite d’une conversation téléphonique que j’ai eue [avec une employée de la Commission]. Je lui ai parlé de tristes événements qui remontent au début des années 1980 et des terribles conséquences qu’ils ont eues pour moi personnellement, de la façon dont le déroulement de ma carrière s’en est trouvé changé et compromis, des pratiques déloyales de travail de mon employeur à l’époque et encore aujourd’hui, de même que du fait que mon syndicat ne m’a pas offert la représentation juste qu’il aurait dû alors en déposant des griefs et qu’il refuse encore de m’offrir maintenant […] ma chef d’équipe a déclaré en 2001 dans une réunion de notre équipe que nous serions tenus responsables non seulement des demandes de remboursement de frais que nous présenterions, mais aussi de toutes ces demandes de remboursement que nous avions présentées auparavant, même celles qui dataient de plus de vingt ans […] J’ai demandé qu’on me confirme cette déclaration, mais mon employeur m’a écrit une lettre niant qu’elle ait jamais été faite. J’ai alors présenté au directeur des Services fiscaux de l’Est de Toronto une plainte écrite sur ce document mensonger; je lui ai envoyé plusieurs lettres par la suite, parce qu’il le fallait. L’employeur a usé de représailles en m’envoyant par courrier recommandé, en date du 5 avril 2006, une lettre dans laquelle il déclarait que je devais choisir une des options qui m’étaient présentées et que l’ARC a le pouvoir de me licencier en vertu de l’alinéa 51(1)g) de la Loi sur l’Agence des douanes et du revenu du Canada. L’employeur a violé l’article 35.09 de la convention conclue entre l’ADRC et l’AFPC en m’envoyant cette lettre; puisque je n’avais pas encore épuisé mes crédits de congé de maladie. J’ai de gros problèmes de santé, avec un diagnostic de cancer en 2001. Je suis en CNP depuis mars 2002 […] J’ai porté plainte à la Commission canadienne des droits de la personne au sujet de cette lettre, et c’est sur la recommandation de [personne représentant la CCDP] que je porte aussi plainte à la CRTFP. En plus de contester cette mesure de représailles de l’employeur, je dénonce aussi d’autres pratiques déloyales de travail et porte plainte contre le syndicat pour ne pas m’avoir offert la représentation juste qui m’était due. Il est très important pour moi qu’on me confirme par écrit que ma chef d’équipe a bel et bien fait cette déclaration, même si cela m’a été nié. J’étais le seul membre de l’équipe présent qui soumettait des demandes de remboursement de frais de déplacement dans mon véhicule personnel vingt ans auparavant. Par conséquent, même si elle l’a déclaré devant toute l’équipe, cette remarque sur les demandes présentées vingt ans avant s’adressait à moi. Elle s’est comportée en me harcelant terriblement dès sa mutation du Centre de Toronto, quand elle est devenue ma chef d’équipe en 2000. Dans les années 1980, je travaillais comme vérificateur des listes de paie au Bureau de district de Toronto et je me servais de mon véhicule personnel pour m’acquitter des fonctions de mon poste, où qu’on m’envoyait; je présentais des demandes de remboursement de frais de déplacement et autres, comme l’employeur l’exigeait. La chef de mon unité à cette époque-là était Betty Bannon. Elle est maintenant présidente nationale du Syndicat des employé(e)s de l’impôt. Les dispositions applicables aux déplacements et au remboursement des frais correspondants pour cette période figurent dans la Directive sur les voyages du Conseil du Trésor du Canada, chapitre 370, septembre 1980. Il fallait obligatoirement s’y conformer. Betty Bannon est la personne qui m’a dit qu’on allait rajuster mes demandes de remboursement de frais de déplacement. On m’a obligé à rembourser à l’employeur la somme de 1 009,72 $ au plus tard le 1er avril 1983 à cause du rajustement des demandes de remboursement de frais que j’avais présentées en 1981-1982 et 1982-1983 […] Betty Bannon m’avait affecté aux demandes de patrouille de vérification de même qu’aux secteurs où je devais travailler. Par conséquent, même si j’habite à Scarborough, Betty Bannon m’a envoyé travailler dans des endroits aussi éloignés de chez moi que Mississauga et dans d’autres endroits situés à l’ouest de la région de l’administration centrale de Toronto. Elle disait que c’était en raison des « exigences du service ». Quand j’allais là, je devais être en « déplacement »; je m’y rendais directement de ma résidence, la plupart du temps, plutôt que d’aller au bureau avant de me rendre chez le contribuable et 80 % du rajustement était attribuable à ce qu’on considérait comme mon mauvais calcul de la règle de la moindre des éventualités. J’ai remboursé la somme qu’on me réclamait parce qu’on m’avait promis que je garderais mon poste de vérificateur des listes de paie, que cela devait mettre fin au harcèlement que je subissais et que mon emploi était menacé. Pourtant, on m’a retiré de mon poste de vérificateur des listes de paie en me confiant d’autres fonctions, puis en m’affectant à la perception. J’ai présenté un grief pour être réintégré dans mes fonctions de vérificateur des listes de paie et pour qu’on me rende la somme que j’avais remboursée. J’ai déposé ce grief même si la direction m’avait averti qu’elle m’écraserait si je le faisais. On a fini par me réintégrer dans mes fonctions de vérificateur de la liste de paie, mais on ne m’a pas rendu mon argent. Le harcèlement dont j’ai été victime à mon travail a continué. Au milieu de l’année 1985, j’ai dû prendre des congés de maladie et me faire traiter par un psychiatre et par mon médecin de famille. Je n’ai repris mon travail qu’à la mi-janvier 1990. C’est dans un cours de recyclage que j’ai entendu un instructeur expliquer notamment les procédures applicables à la présentation de demandes de remboursement de frais. Il a dit que nous devions réclamer le remboursement des frais engagés pour la distance effectivement parcourue à partir de la résidence du contribuable quand nous travaillions « en déplacement ». Lorsque je suis retourné travailler au Bureau de district de Scarborough, j’en ai parlé avec l’ancienne responsable du budget de Toronto, qui travaillait alors à Scarborough. Elle a admis que le ministère avait fait une erreur dans son interprétation de la Directive sur les voyages. Je me suis alors adressé au directeur, qui s’est renseigné à l’administration centrale d’Ottawa sur les règles applicables aux déplacements ainsi qu’au remboursement de ces frais pour la période de 1981-1982 et 1982-1983. L’administration centrale a répondu qu’il n’y avait rien eu de répréhensible dans sa façon d’appliquer la Directive sur les voyages. Je suis devenu frustré, mais plus déterminé encore à tirer les choses au clair. J’ai écrit à Dave Flinn, qui était alors président national du Syndicat des employé(e)s de l’impôt, pour lui demander quelles étaient les règles applicables aux déplacements pendant cette période-là. J’ai reçu sa réponse datée du 15 mars 1993 avec des copies de la correspondance échangée entre l’administration centrale et le Conseil du Trésor du Canada. J’avais désormais des copies des documents qui prouvaient que c’était l’employeur qui ne s’était pas conformé à la Directive sur les voyages du Conseil du Trésor. Fort de ces nouveaux renseignements, j’ai recommuniqué avec le directeur. J’ai fini par recevoir en date du 4 mars 1994 un paiement à titre gracieux de 1 009 $. Les demandes de remboursement de frais de déplacement que j’avais présentées étaient correctes et compatibles avec les instructions que j’avais reçues d’un collègue d’un niveau supérieur qui m’avait accompagné dans mes déplacements pour que je puisse obtenir une formation pratique sur le tas. Il m’avait donné sa copie d’une demande de remboursement de frais de déplacement qu’il avait déjà présentée afin que je puisse m’en servir comme guide pour présenter mes propres demandes de remboursement. Quand on a fait enquête sur moi, on m’a demandé qui m’avait montré comment présenter des demandes de remboursement. J’ai donné son nom, mais rien n’en a jamais résulté. Mon employeur a fait de la discrimination contre moi et j’étais traité autrement que les autres. J’ai plus tard vérifié les distances qu’il prétendait que j’avais couvertes et constaté que chacune pouvait être contestée et rajustée. La perte financière énorme que j’ai subie avec ces années perdues et tout le terrible harcèlement que j’ai souffert ne seraient jamais arrivés si l’employeur s’était conformé à la Politique sur les voyages du Conseil du Trésor et si le syndicat m’avait offert la représentation juste qui m’est due.

La somme qui m’a été versée à titre gracieux était loin de m’indemniser : pour cela, il aurait fallu que je me retrouve dans la même situation financière, compte tenu non seulement de l’argent perdu, mais aussi de sa valeur, n’eut été de l’erreur que l’employeur a faite et de ses pratiques déloyales de travail, et n’eut été aussi le fait que le syndicat ne m’a pas offert la juste représentation qu’il me devait. Pour ce que j’ai perdu, je cite Mark Twain dans On Losing Money : [traduction] : « Il doit y avoir quelque chose de terriblement destructeur pour le caractère quand on perd de l’argent. Les gens résistent à d’autres épreuves, mais, quand ils perdent de l’argent, ce qu’on appelle le caractère et dont on est si fier, en quoi on a tant confiance parce qu’on le croit de granit commence à s’éroder, et puis […] Le granit retourne au sable qu’il était au départ! »

J’ai fait bien des démarches afin d’obtenir de l’aide pour me faire indemniser. J’ai demandé de l’aide à mon syndicat et à sa présidente Betty Bannon à plusieurs reprises, mais ni l’un, ni l’autre n’ont encore accepté de m’aider. J’ai demandé l’aide de l’employeur directement par moi-même, et je lui ai présenté des plaintes. J’ai sollicité d’autres organismes fédéraux et même des députés pour obtenir de l’aide. Quand j’ai consulté un avocat de pratique privée, il m’a dit que je suis un travailleur syndiqué et que je devrais passer par mon syndicat. Malgré toutes mes tentatives, on n’a jamais rien fait pour m’indemniser […] Il s’est passé bien d’autres choses, mais vous comprendrez certainement qu’il ne m’est pas possible de raconter tout ce qui s’est passé pendant de nombreuses années dans une lettre de quelques pages; j’ai d’ailleurs dû m’y reprendre à plusieurs fois pour écrire cette lettre. Aldous Huxley l’a dit mieux que personne quand il a déclaré que [traduction] : « les faits ne cessent pas d’exister parce qu’ils sont ignorés. » Quand j’ai parlé à [une employée de la Commission] […], elle a fini par me dire que l’employeur et le syndicat pourraient invoquer le principe de prescription. Pourtant, compte tenu des précédents établis par l’employeur, ce serait pour lui une pratique déloyale de travail que se réclamer de cette protection, et il serait injuste pour moi qu’on la lui accorde. L’employeur devrait soit s’acquitter maintenant, soit s’être forcé de s’acquitter maintenant de ses obligations financières dont il ne s’est pas acquitté dans le passé, en assumant aussi les conséquences financières qui en découlent. Ce serait aussi une pratique déloyale de travail de tenir seulement l’employé mais pas l’employeur responsable d’incidents survenus voilà plus de vingt ans. En outre, parce que mes plaintes contre l’employeur et le syndicat restent entières, peuvent-ils même prétendre maintenant se réclamer de la protection du principe de prescription? Certains agents de l’employeur m’ont traité très injustement. Ils ont abusé de leurs postes de confiance et d’autorité. Ce comportement est criminel au Canada. Par définition, l’employeur inclut les personnes qui le représentent. Il est injuste qu’aucun représentant de l’employeur ne m’ait jamais admis volontairement qu’il ne se conformait pas à la Politique sur les voyages du Conseil du Trésor. Mon syndicat aurait dû connaître la Politique sur les voyages du Conseil du Trésor quand il m’a représenté lorsque j’ai déposé des griefs au sujet de mes demandes de remboursement de frais de déplacement. Faute de l’avoir connue, mon syndicat ne m’a pas offert la représentation juste qui m’était due parce qu’il en était donc incapable. La situation était extrêmement injuste pour moi et continue de l’être, puisqu’on a rajusté mes demandes de remboursement de frais de déplacement en fonction de la Politique sur les voyages du Conseil du Trésor. Je demande que la Commission des relations de travail dans la fonction publique ordonne à l’employeur ainsi qu’à mon syndicat de faire maintenant le nécessaire pour m’indemniser […]

[…]

Résumé de l’argumentation sur la recevabilité

7 La représentante de l’employeur défendeur a répondu à la plainte le 13 novembre 2007. Après avoir pris position en déclarant que l’objet de la plainte n’est visé par aucun des alinéas du paragraphe 190(1) de la Loi, elle s’y est opposée en la disant irrecevable :

[Traduction]

[…]

[…] en vertu du paragraphe 190(2), les plaintes doivent être présentées dans les 90 jours suivant la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu. Comme la plainte en question porte sur des situations qui remontent à des années, l’employeur est d’avis qu’elle est irrecevable en vertu du paragraphe 190(2).

[…]

8 La représentante de l’employeur défendeur a demandé à la Commission de rejeter la plainte sans tenir d’audience.

9 Pour sa part, la représentante de l’agent négociateur défendeur a répondu à la plainte le 14 novembre 2007. Elle a aussi déclaré qu’une analyse détaillée de la plainte ne révèle pas de motif d’intervention en vertu d’un alinéa quelconque du paragraphe 190(1) de la Loi, et elle a aussi affirmé que la plainte est tardive et qu’elle devrait donc être rejetée.

10 Dans des lettres parallèles déposées le 2 décembre 2007, le plaignant a répondu aux objections soulevées par les deux défendeurs. Au sujet de la position de l’employeur défendeur sur la recevabilité de sa plainte, il a déclaré : [traduction] « […] parce que l’employeur a toujours nié avoir fait quoi que ce soit de répréhensible, j’ai aussi expliqué pourquoi il serait injuste à mon endroit de lui accorder la protection du principe de prescription […] » De même, au sujet de la position de l’agent négociateur défendeur, il a écrit : [traduction] « […] J’ai expliqué dans ma plainte pourquoi le principe de prescription ne devrait pas s’appliquer dans ma situation […] »

Motifs

11 La recevabilité est un facteur primordial dans ces plaintes. Les défendeurs ont soulevé des objections en disant que la Commission ne devrait pas se pencher sur les allégations du plaignant parce qu’elles ne justifient pas une plainte fondée sur les alinéas qu’il a invoqués du paragraphe 190(1) de la Loi. Ces objections ne seraient toutefois pas pertinentes si la Commission devait décider que les plaintes sont irrecevables, comme les deux défendeurs l’ont affirmé.

12 Le paragraphe 190(2) de la Loi est déterminant pour mon examen des arguments des défendeurs sur la recevabilité des plaintes :

     (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

13 Les paragraphes 190(3) et (4) de la Loi se lisent comme suit :

     (3) Sous réserve du paragraphe (4), la plainte reprochant à l’organisation syndicale ou à toute personne agissant pour son compte d’avoir contrevenu aux alinéas 188b) ou c) ne peut être présentée que si les conditions suivantes ont été remplies :

a) le plaignant a suivi la procédure en matière de présentation de grief ou d’appel établie par l’organisation syndicale et à laquelle il a pu facilement recourir;

b) l’organisation syndicale a :

(i) soit statué sur le grief ou l’appel, selon le cas, d’une manière que le plaignant estime inacceptable,

(ii) soit omis de statuer sur le grief ou l’appel, selon le cas, dans les six mois qui suivent la date de première présentation de celui-ci;

c) la plainte est adressée à la Commission dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date à partir de laquelle le plaignant était habilité à le faire aux termes des alinéas a) et b).

     (4) La Commission peut, sur demande, statuer sur la plainte visée au paragraphe (3) bien que celle-ci n’ait pas fait l’objet d’un grief ou d’un appel si elle est convaincue :

a) soit que les faits donnant lieu à la plainte sont tels qu’il devrait être statué sans délai sur celle-ci;

b) soit que l’organisation syndicale n’a pas donné au plaignant la possibilité de recourir facilement à une procédure de grief ou d’appel.

14 Je suis convaincu qu’il n’est pas nécessaire de me fonder sur l’applicabilité du paragraphe 190(3) ou du paragraphe 190(4) de la Loi pour trancher la question préliminaire de la recevabilité. Je suis sûr aussi que l’exposé détaillé de ses plaintes que M. Panula a produit me suffit pour me prononcer sur les objections contestant leur recevabilité sans devoir tenir d’audience. Enfin, je crois qu’il est juste de trancher la question préliminaire de la recevabilité des deux plaintes dans cette décision commune, étant donné que le plaignant lui-même a si étroitement rapproché les actions des défendeurs dans sa plainte.

15 Le plaignant a parlé du principe de prescription et des raisons pour lesquelles il ne devrait pas s’appliquer dans son cas. Il a aussi fait état de ce qu’une employée de la Commission lui aurait dit en déclarant que la jurisprudence de la Commission limite l’application de ce principe d’une certaine façon dans les conditions qu’il a vécues.

16 Le principe de prescription qui s’applique en l’espèce est établi au paragraphe 190(2) de la Loi, qui dispose que le plaignant aurait dû présenter ses plaintes dans les 90 jours de la date à laquelle il a eu — ou, de l’avis de la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte. Je ne suis pas en mesure de savoir ce qu’une employée de la Commission a pu lui avoir dit (à supposer qu’elle lui ait dit quoi que ce soit) sur l’application de ce paragraphe 190(2), et ce n’est d’ailleurs ni approprié, ni pertinent; mon obligation consiste à l’appliquer aux faits qui m’ont été présentés pour me prononcer sur les objections soulevées par les défendeurs.

17 Quoi que les écrits de Mark Twain ou d’Aldous Huxley puissent m’inciter à faire, d’après le plaignant, j’ai conclu qu’aucune interprétation défendable des faits ne justifie la conclusion qu’il aurait présenté ses plaintes dans le délai prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi.

18 Le plus récent des événements mentionnés dans la narration du plaignant auquel on puisse raisonnablement faire correspondre une date est sa réception de la lettre de l’employeur datée du 5 avril 2006 qui lui aurait offert des options quant à sa situation en congé non payé, en lui rappelant que la loi autorise l’employeur à le licencier. Le plaignant a déclaré que [traduction] « [l’]employeur a violé l’Article 35.09 de la convention conclue entre l’ADRC et l’AFPC en m’envoyant cette lettre, puisque je n’ai pas encore épuisé mes crédits de congé de maladie. »

19 À première vue, la violation alléguée par le plaignant semble porter sur une question qui devrait normalement faire l’objet d’un grief et, si nécessaire, d’un renvoi à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la Loi. Comme il s’agit d’une interprétation ou de l’application d’une disposition de la convention collective, la présentation d’un tel grief et son renvoi à l’arbitrage auraient nécessité l’appui de l’agent négociateur, qui aurait alors dû représenter le plaignant.

20 Si je devais admettre en théorie que la violation alléguée par le plaignant quant à la lettre de l’employeur justifiait plutôt la présentation d’une plainte de pratique déloyale de travail contre l’employeur en vertu de l’article 190 de la Loi, le plaignant a dû ou aurait dû avoir connaissance de cette lettre peu après que l’employeur l’a envoyée le 5 avril 2006. Par conséquent, la mesure dont il se plaint a eu lieu au moins 16 mois avant la plainte à la Commission, si je devais me fonder sur la lettre originale du plaignant à la Commission en date du 31 août 2007, voire au moins 18 mois avant cette plainte si je devais plutôt me baser sur la date officielle du dépôt de la plainte, le 18 octobre 2007. Bref, le plaignant n’a manifestement pas respecté le délai de présentation de 90 jours prévu au paragraphe 209(2) de la Loi selon quelque calcul raisonnable que ce soit.

21 Dans le cas de l’agent négociateur, si la plainte consistait à dénoncer un manquement au devoir de représentation juste relativement à la lettre de l’employeur du 5 avril 2006, le plaignant aurait été tenu de préciser clairement dans sa plainte la nature du manquement à ce devoir de représentation qui en aurait découlé, mais il ne l’a pas fait. Il n’a précisé aucun acte, aucune omission ni aucune autre question en ce qui concerne sa représentation par l’agent négociateur en réaction à la lettre du 5 avril 2006, voire une action ou un fait qui auraient suivi cette lettre. Il ne suffit pas que le plaignant déclare comme il l’a fait que l’agent négociateur ne lui a pas offert dans le passé la juste représentation à laquelle il avait droit et qu’il [traduction] « […] refuse encore de [la lui] offrir […] » [je souligne]. Il s’ensuit évidemment que je n’ai été saisi d’aucune allégation qui m’incite à conclure que l’agent négociateur ait fait ou omis de faire quoi que ce soit qui aurait pu justifier la présentation d’une plainte dans le délai de 90 jours qui a précédé son dépôt.

22 Je tiens à souligner que le plaignant a précisé dans ses deux plaintes le 12 juillet 2007 comme la [traduction] « […] date à laquelle le plaignant a eu connaissance de la mesure, de l’omission ou de toute autre question donnant lieu à la plainte ». Comme rien dans les plaintes ni dans les documents qui leur sont joints ne révèle la signification de cette date, je ne puis que conclure que c’est une fabrication ou une erreur.

23 Dans l’analyse qui précède, je me suis demandé si ce qui avait motivé les plaintes aurait pu comprendre un élément survenu récemment, autrement dit quelque chose qui aurait pu rendre recevable une plainte déposée en 2007. Il est toutefois amplement évident que les véritables raisons des plaintes datent de bien plus longtemps. Le plaignant lui-même s’est trahi lorsqu’il a mentionné le 27 février 1984 dans ses deux Formules 16 (Plainte fondée sur l’article 190 de la Loi) comme la [traduction] « […] date à laquelle un grief ou un appel ont été présentés […] ».

24 Les problèmes du plaignant ont de toute évidence commencé en 1983 lorsqu’on a rajusté certaines de ses demandes de remboursement de frais de déplacement et que l’employeur a exigé le remboursement des 1 009,72 $ qu’il estimait avoir payé en trop. Dans sa narration, le plaignant déclare que ce problème a refait surface en 1993 lorsque l’employeur lui a remboursé une somme comparable après ses nombreux efforts pour lui faire corriger ce que l’employeur avait fini par reconnaître comme une mesure de recouvrement injustifiée. Le fait crucial est que le plaignant soutient que ce remboursement ne l’a jamais vraiment indemnisé. Cette question a refait surface derechef en 2001, quand une chef d’équipe aurait selon lui fait une remarque qu’il a interprétée comme si elle l’autorisait ou l’obligeait à poursuivre ses démarches pour obtenir satisfaction parce que le remboursement qu’il avait obtenu n’était pas un redressement suffisant. Le problème peut même avoir été un irritant persistant quand le plaignant est parti en congé non payé en mars 2002.

25 Quoi qu’il en soit, le plaignant a attendu des années avant de saisir la Commission des plaintes en l’espèce. Je suis sûr que ce qui a commencé en 1983 continue d’avoir une grande importance dans l’esprit du plaignant, mais cela n’en fait pas une situation permanente qu’on puisse invoquer pour déterminer la recevabilité de ses plaintes. Le plaignant devait produire quelque chose de beaucoup plus concret et de plus récent quant aux actions ou omissions de l’un ou l’autre ou des deux défendeurs pour justifier des plaintes recevables en vertu de l’article 190 de la Loi, mais il ne l’a pas fait. Je suis donc convaincu que rien ne justifie une autre conclusion que le plaignant n’a pas déposé ses plaintes dans le délai prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi.

26 Pour ces motifs, je souscris aux objections des deux défendeurs, à savoir que les plaintes sont irrecevables.

27 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

28 Les plaintes sont rejetées.

Le 10 janvier 2008.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Dan Butler,
commissaire

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