Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait une demande de prorogation de délai pour déposer un grief - il a attendu à son retour d’un congé de maladie pour déposer un grief contre une sanction disciplinaire de cinq jours de suspension - le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que le grief était important parce qu’il mettait en cause une sanction qui faisait partie d’une progression disciplinaire qui avait abouti à son licenciement - la demande a été rejetée parce qu’il n’y avait pas de motifs valables pour expliquer le retard à déposer le grief. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-05-07
  • Dossier:  568-02-36
  • Référence:  2008 CRTFP 31

Devant le président


ENTRE

SIMON CLOUTIER

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration)

défendeur

Répertorié
Cloutier c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour le demandeur:
Lui-même

Pour le défendeur:
Nadia Hudon, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 3, 25 et 31 mai 2007.

Demande devant le président

1 Il s’agit d’une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »).

2 Le 2 juin 2000, le fonctionnaire s’estimant lésé, Simon Cloutier (le « fonctionnaire »), s’est vu imposer une sanction disciplinaire de cinq jours de suspension. Ce n’est que le 4 août 2000 qu’il a déposé un grief contestant cette sanction, soit 43 jours ouvrables, alors que la convention collective prévoit un délai de 25 jours ouvrables.

3 Le grief du fonctionnaire a été rejeté à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs. Aux 2e et 3e paliers, on lui a dit que son grief était hors délai.

4 Une audience relative à ce grief a eu lieu entre le 23 janvier et le 3 novembre 2006, en même temps que celle relative à trois autres sanctions disciplinaires et le licenciement du fonctionnaire. Le 24 janvier 2006, soit la deuxième journée de l’audience, l’employeur a soulevé à nouveau son objection relativement au délai de présentation du grief qui fait l’objet de cette demande.

5 L’arbitre de grief Tessier a alors expliqué au fonctionnaire qu’il devait présenter une demande de prorogation de délai s’il voulait poursuivre l’arbitrage de son grief. Le fonctionnaire a fait une demande par courriel le 24 janvier 2006. Comme la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») ne reçoit pas les demandes par courriel, elle a demandé au fonctionnaire de mettre sa demande par écrit et de lui envoyer par courrier. La demande du fonctionnaire a été reçue le 6 février 2006.

6 Après avoir complété l’audience de tous les griefs, l’arbitre de grief Tessier a rendu une décision le 29 janvier 2007 statuant qu’il n’avait pas compétence pour trancher le grief, compte tenu que le grief avait été présenté en retard (voir Cloutier c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CRTFP 15).

7 Tel que le prévoit l’alinéa 61b) du Règlement, il incombe au président de la Commission ou par délégation à un vice-président, en vertu de l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), d’accorder ou non une prorogation de délai. L’arbitre de grief ne peut que constater le respect ou le non‑respect des délais ou la renonciation de l’employeur.

8 Par conséquent, la présente demande a été assignée à la soussignée pour décision et j’ai demandé que les parties transmettent leurs observations par écrit.

Résumé de l’argumentation

9 Le fonctionnaire ne conteste pas le fait que son grief a été déposé hors des délais prévus dans la convention collective. Il allègue qu’il a été en congé de maladie à la suite de la réception de la sanction disciplinaire et qu’il a présenté son grief le jour même de son retour au travail. Des notes d’une consultation clinique sont annexées à ses représentations écrites. Le fonctionnaire souligne que l’employeur a pris deux mois pour soulever l’infraction qui est à l’origine de la sanction disciplinaire et deux ans pour répondre à son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Le fonctionnaire est d’avis qu’en raison des preuves qu’il détient, il y a de grandes chances que son grief soit accueilli. Il plaide que les conséquences seraient très graves si la Commission refusait d’entendre son grief, puisqu’il s’agit d’une des sanctions progressives qui a servi à appuyer son licenciement. Il soutient que le syndicat n’a fait aucune demande de prorogation de délai, ni ne lui a conseillé de le faire. Il conteste l’argument de l’employeur qu’il lui aurait signalé la nécessité de présenter une demande de prorogation de délai. Il demande que la prorogation soit accordée.

10 L’employeur fait valoir que le retard à déposer le grief a été souligné au fonctionnaire aux 2e et 3e paliers de la procédure de règlement des griefs. L’employeur plaide, de plus, que le fonctionnaire a attendu quatre ans, soit au moment de l’audience (2006), pour faire la demande de prorogation, alors qu’il sait depuis 2002, à tout le moins, que l’employeur lui a reproché la tardivité du grief. L’employeur soutient que les notes cliniques ne sont pas un certificat médical et par conséquent, aucune preuve n’appuie l’incapacité du fonctionnaire de déposer un grief pendant sa période de congé de maladie. L’employeur plaide que le fonctionnaire ne peut que s’en prendre à lui-même d’avoir tardé à déposer le grief puisqu’il n’a déposé aucune plainte contre son syndicat sur ce point.

11 L’employeur argue que le manque de diligence à faire une demande de prorogation doit être considéré comme une renonciation à faire une telle demande. Il ajoute que les délais prévus en relations de travail visent à mettre un terme à des incidents qui surviennent en milieu de travail et à assurer une certaine stabilité. Ainsi les délais ne doivent être prorogés que pour des motifs sérieux et convaincants. L’employeur demande le rejet de la demande.

Motifs

12 La convention collective prévoit entre autres ce qui suit :

18.10  Au premier palier (1er) de la procédure, l’employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 18.05, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle est notifié oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

13 Le délai de 25 jours prévu dans la convention collective pour déposer un grief est un délai négocié et entériné par la jurisprudence comme étant un temps raisonnable pour obtenir des conseils et pour décider de l’opportunité de présenter un grief (voir Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113). Bien que l’alinéa 61b) du Règlement permette la prorogation de ce délai, une telle demande est accordée avec parcimonie afin de ne pas déstabiliser le régime de relations de travail créé par la Loi et l’entente des parties.

14 Par conséquent, une prorogation n’est accordée que par souci d’équité. Dans Mark c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 34, la Commission a repris les critères suivants, tirés de Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, comme un test utile du facteur d’équité :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prolongation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

15 Dans sa réponse à l’objection de l’employeur, le fonctionnaire allègue l’incapacité de déposer un grief en raison du fait qu’il a été en congé de maladie après avoir reçu la sanction disciplinaire. Il affirme avoir présenté son grief le jour même de son retour au travail et que les notes d’une consultation clinique appuient ses dires. Cette preuve de l’impossibilité de déposer un grief n’est pas très convaincante. Dans un premier temps, les notes en question n’identifient pas le statut du professionnel de la santé qui les a émises. Dans un deuxième temps, la dernière date indiquée sur les notes est le 29 juin 2000 alors que le délai pour agir s’est prolongé jusqu’au 4 août 2000. Même si j’acceptais la validité des notes en question, je ne vois aucun rapport entre celles-ci et l’impossibilité à agir dans les 25 jours ouvrables qui ont suivi la sanction disciplinaire.

16 Ensuite, le fonctionnaire souligne que l’employeur a pris deux mois pour soulever l’infraction qui est à l’origine de la sanction disciplinaire et deux ans pour répondre à son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Cet argument n’est pas très convaincant, puisque la convention collective stipule à l’article 18.12 qu’à défaut d’une réponse à l’un ou l’autre des paliers après 15 jours, le fonctionnaire peut procéder au prochain palier dans les 10 jours qui suivent le défaut, sauf au dernier palier où le délai de réponse de l’employeur est de 30 jours :

18.12  À défaut d’une réponse de l’Employeur dans les quinze (15) jours qui suivent la date de présentation d’un grief, à tous les paliers sauf au dernier, l’employé-e peut, dans les dix (10) jours qui suivent, présenter un grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs.

18.13  L’Employeur répond normalement au grief de l’employé-e au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans les trente (30) jours qui suivent la date de la présentation du grief à ce palier.

Ainsi, le fonctionnaire n’avait pas à attendre la réponse de l’employeur pour faire valoir son grief et le renvoyer à l’arbitrage.

17 Le fonctionnaire est d’avis qu’en raison des preuves qu’il détient, il y a de grandes chances que son grief soit accueilli. Il plaide que les conséquences seraient très graves si la Commission refusait d’entendre son grief, puisqu’il s’agit d’une des sanctions progressives qui a servi à soutenir son licenciement. Les documents soumis en preuve par le fonctionnaire n’établissent pas, à leur face même, le bien-fondé du grief. C’est dire que la possibilité de succès du grief est très incertaine.

18 Le fonctionnaire soutient également que le syndicat n’a fait aucune demande de prorogation de délai ni ne lui a conseillé de le faire. Lorsqu’il s’est présenté devant l’arbitre Tessier, le fonctionnaire se représentait lui-même, de même que dans le présent dossier. Je n’ai noté aucune intervention active du syndicat dans ce dossier. Par conséquent, cet argument est sans pertinence.

19 Enfin, le fonctionnaire maintient que l’employeur ne lui aurait pas signalé la nécessité de présenter une demande de prorogation de délai. Dans une lettre à la Commission portant la date du 16 janvier 2006 dont le fonctionnaire a reçu copie, le procureur de l’employeur fait connaître que l’employeur entend s’objecter à l’arbitrabilité du grief au début de l’audience du 23 janvier 2006. Il ajoute que bien que la tardivité du grief a été soulevée lors des réponses aux griefs, le fonctionnaire n’a pas soumis à la Commission une demande de prorogation de délai de 25 jours.

20 Il n’est pas du devoir de l’employeur d’indiquer au fonctionnaire les mesures à prendre pour palier aux défauts de procédure. L’employeur s’est acquitté de son devoir en soulevant le retard dans ses réponses au grief et en soulignant que le fonctionnaire n’avait pas fait de demande de prorogation de délai. Avec cette information, il incombait au fonctionnaire de réagir selon les dispositions du Règlement, ce qu’il a omis de faire avant que ne débute l’audience. Il n’y a aucune preuve au dossier quant à l’impossibilité d’agir pour corriger le défaut pendant une période de presque trois ans, soit du 23 juin 2003 (la première fois que le retard a été soulevé) jusqu’au 6 février 2006. La méconnaissance des procédures n’est pas un motif valable.

21 Pour ces motifs, je conclus que le retard n’a pas été justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes et un retard de presque trois ans est inexcusable. Puisque la sanction disciplinaire a été imposée le 2 juin 2000, le fonctionnaire a manqué de diligence raisonnable en attendant jusqu’à la date de l’audience pour demander la prorogation de délai alors que l’article 18.17 de la convention collective prévoit que les délais stipulés dans la procédure de règlement des griefs peuvent être prolongés de consentement. En raison du temps écoulé et du manque de diligence du fonctionnaire, je suis d’avis que l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subirait l’employeur, si la prolongation était accordée, favorise nettement l’employeur. Par ailleurs, les chances de succès du grief sont incertaines.

22 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

23 La demande de prorogation de délai est rejetée.

Le 7 mai 2008

Michele A. Pineau,
vice-présidente

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