Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait dans un pénitencier situé à une certaine distance d’une communauté de taille suffisante pour offrir des logements raisonnables - l’employeur versait une indemnité en vertu de la Directive sur l’indemnité de transport quotidien - l’employeur a décidé de mettre un terme à cette indemnité à la suite d’une étude qui déterminait que les conditions avaient changé et que la communauté située à proximité offrait les ressources nécessaires - le fonctionnaire s’estimant lésé a attendu trois ans avant de déposer un grief - l’employeur s’y est opposé au motif que le délai était expiré - l’arbitre de grief a rejeté la prétention du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle il s’agissait d’un grief de nature continue - le grief concernait une décision unique de l’employeur et rien n’expliquait de manière valable et convaincante le retard à déposer le grief - l’arbitre de grief a accueilli l’objection de l’employeur concernant le délai et a rejeté le grief. Objection accueillie. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique et Loi sur les
relation de travail dans la fonction publique, L.R.C(1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-05-02
  • Dossier:  568-02-118, 166-02-37359
  • Référence:  2008 CRTFP 28

Devant le président et un arbitre de grief


ENTRE

Chris Lorne Williams

demandeur et fonctionnaire s’estimant lésé

et

Conseil du Trésor
(Service correctionnel du Canada)

défendeur et employeur

Répertorié
Williams c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C (1985) ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président

Pour le demandeur et fonctionnaire s’estimant lésé:
John Mancini, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour le défendeur et employeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick),
le 18 mars 2008.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Demande devant le président

1 Chris Lorne Williams (le « fonctionnaire s’estimant lésé »), un agent correctionnel travaillant à l’Établissement Dorchester situé à Sackville, au Nouveau-Brunswick, a déposé un grief en date du 31 mai 1999 dans lequel il allègue qu’il y a eu violation de la Directive sur l’aide au transport quotidien du Conseil national mixte, qui faisait partie de sa convention collective. Le Conseil du Trésor (l’« employeur ») a soulevé deux objections préliminaires en ce qui concerne le respect des délais applicables au grief. La première objection veut que le grief n’a pas été déposé en temps opportun. La deuxième objection veut que le grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage au cours de la période prévue de renvoi à l’arbitrage. D’après le fonctionnaire s’estimant lésé, le grief a été déposé dans les délais prévus parce qu’il est continu. Le fonctionnaire s’estimant lésé estime que le renvoi à l’arbitrage s’est également fait dans les délais prescrits. Subsidiairement, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande de prorogation de délai.

2 En vertu de l’article 45 de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m’a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») pour instruire et juger toute question de prorogation de délai.

3 Au début de l’audience, Caroline Engmann, qui représente l’employeur, a déposé un cartable de documents comprenant un exposé des faits. John Mancini, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé, a contesté l’exposé des faits parce qu’il décrivait seulement le point de vue de l’employeur quant aux faits. Il n’a pas soulevé d’objection concernant les documents inclus dans le cartable de documents. Le cartable portait le numéro de pièce E-1, et j’ai informé les parties que je considérerais l’exposé des faits de l’employeur seulement comme des arguments, et non comme un élément de preuve. Les parties ont souscrit à certains faits additionnels (énoncés ci-après). Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a également présenté un certain nombre de documents qui ont été admis en preuve avec le consentement des parties.

4 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a soulevé certaines inquiétudes au sujet de la pratique ou politique de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») qui consiste à entendre les objections et les demandes concernant le non-respect du délai et le prononcé de décisions avant l’audition sur le fond des griefs. À son avis, cette pratique allait à l’encontre de la jurisprudence arbitrale. La prise en délibéré de l’objection préliminaire et l’audition sur le fond du grief ont pour objet d’éviter deux demandes de contrôle judiciaire. Il a également fait valoir que le respect des délais du grief n’a pas été bien décrit comme une question de compétence – il s’agissait plutôt de déterminer si le grief était susceptible d’arbitrage. Il a admis que je ne pourrais vraisemblablement pas modifier l’orientation de la Commission qui consiste à prendre et à prononcer une décision sur le respect des délais du grief avant l’audition sur le fond. Il a également déclaré que les parties n’étaient ni en mesure ni désireuses de se pencher sur le fond de la question immédiatement. Mme Engmann a soutenu que le respect des délais était une question de compétence. Elle m’a renvoyé à Union Carbide Canada Limitée c. Weiler et al., [1968] R.C.S. 966. Elle a déclaré qu’elle n’a formulé aucune opinion sur la pratique de la Commission en matière de bifurcation d’une instance pour traiter des questions de respect des délais.

5 J’ai informé M. Mancini que je prendrais note de son objection. J’ai également déclaré qu’une décision sur le respect des délais serait rendue avant la tenue d’une audience sur le fond. J’ai constaté que de toute façon, les parties n’étaient pas en position de procéder sur le fond du grief.

6 Avant l’audience, l’employeur a soumis deux objections par écrit, accompagnées d’arguments, et le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a présenté sa réplique à celles-ci. Ces arguments sont déposés au dossier de la Commission. Les parties ont adopté ces lettres dans le cadre de leurs arguments faits de vive voix et j’en ai tenu compte pour prendre cette décision.

II. Résumé de la preuve

7 Tel qu’il était mentionné précédemment, les parties ont produit un certain nombre de pièces convenues et ont convenu de certains faits. J’ai énoncé ces éléments de preuve ci-après.

8 Le fonctionnaire s’estimant lésé est un agent correctionnel des groupe et niveau CX-02. En 1996, il était représenté par l’Alliance de la Fonction publique du Canada, l’agent négociateur antérieur. Le Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers - CSN (l’« agent négociateur ») était l’agent négociateur accrédité en date du 13 mars 2001.

9 Pendant une certaine période avant le 1er avril 1996, des employés de l’Établissement Dorchester ont reçu de l’aide au transport quotidien conformément à la Directive sur l’aide au transport quotidien du Conseil national mixte (CNM) (pièce E-1, onglet 4). La Directive sur l’aide au transport quotidien est intégrée à la convention collective. L’objet de l’aide au transport quotidien est énoncé comme suit dans la directive :

[…]

[…] aider les fonctionnaires à payer le prix excessif du transport quotidien, à destination et en provenance du lieu de travail habituel […]

Normalement, les fonctionnaires sont censés se rendre au travail à leurs propres frais, étant donné qu’ils choisissent librement leur lieu de résidence […]

À certains lieux de travail cependant, cette liberté de choix n’existe pas lorsqu’il n’existe pas de quartier résidentiel convenable à proximité du lieu de travail. Les fonctionnaires doivent donc habiter ailleurs et sont sujets à payer des coûts de transport plus élevés qu’autrement.

[…]

10 La directive énonce les critères autorisant l’aide au transport quotidien. La mise en œuvre de la directive relève de l’administrateur général du ministère (ou d’une personne qu’il délègue) :

[…]

1.2     Mise en oeuvre

1.2.1   Sous réserve de la présente directive, un administrateur général peut autoriser l’aide au transport quotidien.

1.2.2   L’administrateur général doit, au moins une fois par exercice financier, revoir l’autorisation donnée en application du présent article et, sous réserve de l’article 1.3, la confirmer, la modifier ou l’annuler.

[…]

1.3      Effet des modifications

1.3.1   Lorsque l’aide au transport quotidien accordée en vertu de la présente directive est modifiée ou annulée, il faut consulter les représentants locaux des agents négociateurs sur la date d’entrée en vigueur de la modification ou de l’annulation.

1.3.2   Si l’aide de transport quotidien est modifiée ou annulée, chaque fonctionnaire et les représentants locaux des agents négociateurs sont avisés du changement par écrit. Le changement entre en vigueur le premier jour du troisième mois suivant la réception, par le fonctionnaire, de l’avis écrit, ou à sa date d’effet, selon la dernière de ces dates.

[…]

11 Le 22 février 1996, le directeur de l’Établissement Dorchester a informé tous les employés que l’aide au transport quotidien prendrait fin le 1er avril 1996 (pièce E-1, onglet 5) :

[Traduction]

En 1994, à la suite de la recommandation du Comité régional d’examen des ressources, le ministère de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) a été chargé de mener une étude sur l’aide au transport quotidien offerte aux employés du Pénitencier Dorchester et de l’Établissement Westmorland. Cette mesure avait pour but de réduire notre déficit national.

[…]

L’étude de TPSGC a été achevée à la fin de l’été 1995 et les résultats ont été transmis aux dirigeants du syndicat, aux échelons régional et local, en octobre 1995. Pour l’essentiel, l’examen indiquait que la ville de Sackville peut maintenant être considérée comme un « quartier résidentiel convenable », conformément à la Directive sur l’aide au transport quotidien du Conseil du Trésor. Par conséquent, comme Sackville se trouve à moins de 16 kilomètres de Dorchester/Westmorland, vous n’avez plus droit à l’aide au transport quotidien. En conséquence, à compter du 1er avril 1996, votre aide au transport quotidien prendra fin.

[…]

12 M. Williams a déposé un grief en date du 31 mai 1999 (également inclus à titre de pièce jointe en date du 4 juin 1999). Dans son grief, M. Williams affirmait :

[Traduction]

Je porte un grief contre le refus de la direction de me verser de l’aide au transport quotidien. En ce qui concerne le manuel du Conseil du Trésor sur l’aide au transport quotidien, je devrais avoir droit à de l’aide au transport quotidien pour les motifs suivants : il n’y a pas de services d’hospitalisation, de services bilingues ou de logements adéquats dans un rayon de 16 kilomètres.

[…]

Depuis le retrait de l’indemnité d’aide au transport quotidien, j’estime que le SCC traite ses employés et leur famille de manière non équitable en invoquant une étude de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada qui ne traite pas de toutes les préoccupations ou qui ne va pas assez loin pour déterminer la pertinence au cours de l’étude de Sackville, au Nouveau-Brunswick.

[…]

Le SCC n’a jamais donné à ses employés d’avis écrit au sujet de la révocation de l’aide au transport quotidien.

[…]

13 Le reste des détails au sujet du grief concerne les renseignements obtenus par le fonctionnaire s’estimant lésé en 1999 relativement au logement, à l’emploi, au transport, aux écoles, aux services de soins de santé et aux autres établissements et institutions à Sackville. À titre de mesure corrective, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé le rétablissement de l’aide au transport quotidien et sa rémunération rétroactivement au 1er avril 1996.

14 Dans la réponse au premier palier faite au grief (le 21 juin 1999; pièce E-1, onglet 7), le SCC a affirmé qu’il considérait le grief hors délai, car l’événement contesté est survenu le 1er avril 1996. La réponse traitait ensuite du bien-fondé du grief.

15 Le 23 décembre 1999, un comité mixte d’examen a été constitué pour examiner la question de l’aide au transport quotidien dans un certain nombre d’établissements du Service correctionnel du Canada (SCC) dans l’ensemble du pays, dont l’Établissement Dorchester (pièce E-1, onglet 8).

16 Le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu la réponse au dernier palier de l’agent de liaison ministériel le 13 février 2002 (pièce E-1, onglet 9). La réplique n’abordait pas la question du respect des délais du grief. En voici la teneur :

[Traduction]

La présente lettre constitue une réplique à votre grief concernant l’aide financière au transport quotidien permettant d’acquitter une partie du coût de vos déplacements vers l’Établissement Dorchester.

J’ai pris en compte l’entente conclue en 1999 entre le ministère et le Syndicat des employés du Solliciteur général (SESG) visant à nommer un tiers impartial en vue de la réalisation d’une étude et de déterminer si les employés de l’Établissement Dorchester ont droit à l’aide au transport quotidien.

Travaux publics et Services gouvernementaux ont été retenus par les parties pour réaliser l’étude. Le rapport final en date du 22 juin 2001 conclut qu’il existe un quartier résidentiel convenable dans les 16 km de l’Établissement Dorchester et qu’aucune aide au transport quotidien ne doit être accordée conformément à la Directive sur l’aide au transport quotidien du Conseil du Trésor.

Par conséquent, je rejette votre grief et la mesure corrective demandée.

17 L’agent négociateur a écrit au CNM le 15 octobre 2004 pour demander qu’une date d’audience du grief soit fixée (pièce E-1, onglet 10). Dans la lettre, le représentant de l’agent négociateur affirmait que le grief est demeuré en suspens depuis août 1999. La lettre se poursuivait ainsi :

[Traduction]

[…]

L’employeur […] refuse maintenantde soumettre ce grief au CNM en vue d’une audience sous prétexte que le grief est hors délai. Le grief n’est pas hors délai du tout et cette question constitue une préoccupation majeure pour les agents correctionnels des Établissements Dorchester et Westmorland  du Service correctionnel du Canada. Ces agents ont chargé M. Daniel Bourgeois de faire une étude sur le quartier résidentiel convenable pour les établissements du SCC situés à Dorchester, au Nouveau-Brunswick. Ce rapport a été produit en date du 6 février 2004 et conclut ce qui suit :

             [Traduction] « L’étude Hopper renferme trois lacunes importantes qui rendent sa conclusion invalide. Premièrement, elle sous-estime le nombre d’employés du SCC qui sont admissibles à IATQ. Deuxièmement, elle sous-estime le nombre d’unités résidentielles nécessaires pour loger les employés de SCC dans un rayon de 16 kilomètres des établissements de Dorchester. Troisièmement, elle ne tient pas compte de l’absence d’établissements d’enseignement secondaire français. Elle comporte également trois lacunes mineures.

             Il semble donc, d’après nos données et d’après les données de l’étude Hopper rectifiée, que la décision du SCT d’annuler l’IATQ des employés de l’Établissement Dorchester de SCC n’était pas justifiée. Si nos données sont exactes, ces employés devraient recevoir leur indemnité du SCT rétroactivement. »

[…]

18 L’employeur a présenté des arguments au CNM relativement au délai de transmission du grief (pièce E-1, onglet 12) et s’est opposé au choix du moment du renvoi de la réplique de l’agent de liaison ministériel au palier suivant.

19 L’agent négociateur a répondu à ces arguments (pièce E-1, onglet 13) en exposant les dates du grief et de la transmission à chaque palier. Il a poursuivi ses arguments de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

Ces faits à eux seuls ne permettent pas à l’employeur de faire valoir à ce jour que le grief est hors délai et nous demandons que l’objection soit écartée sur la base de ces faits à eux seuls.

Après ce processus d’instruction du grief dans les délais, l’agent négociateur de l’époque et l’employeur ont convenu de constituer un comité mixte d’examen chargé d’étudier et d’analyser l’aide au transport quotidien dans divers établissements, dont les établissements Dorchester et Westmorland.

Il importe de tenir compte du fait que les parties ont convenu que [traduction] « les résultats de l’examen du comité mixte d’examen des établissements seront présentés au Conseil du Trésor et à l’Alliance de la Fonction publique du Canada et examinés attentivement par ces deux organismes » le 23 décembre 1999.

Le grief de Williams a donc été mis en suspens après avoir été transmis au dernier palier. L’agent négociateur de l’époque savait en août 1999, après avoir reçu la transmission au dernier palier du grief de M. Williams, que les parties avaient déjà entrepris des discussions en vue de la réalisation des études conjointes dont il a été convenu en décembre de cette même année.

[…]

20 À l’audience devant le CNM, le représentant de l’agent négociateur a présenté des arguments sur le respect des délais du renvoi devant le CNM et sur le respect des délais du dépôt initial du grief. Le comité exécutif s’est buté à une impasse relativement au grief le 29 mars 2006 (pièce E-1, onglets 14 et 15) et les membres du comité n’ont pu dégager un consensus sur la question préliminaire du respect des délais ou sur le bien-fondé du cas. Conformément à la constitution et au règlement du CNM, la décision du comité exécutif a été communiquée à Diane Lacelle, directrice générale des relations du travail de SCC (pièce E-1, onglet 15). Le 28 avril 2006, la directrice des relations du travail de SCC a fait parvenir une lettre à M. Williams, avec laquelle elle lui transmettait la décision du CNM (pièce E-1, onglet 16).

21 À cette audience, l’employeur a convenu des faits suivants tels qu’il est énoncé dans une lettre envoyée par M. Mancini à la Commission en date du 13 septembre 2006 (pièce E-1, onglet 20) :

[Traduction]

[…]

M. Williams a travaillé les 29 et 30 avril 2006, a vérifié son courrier et la lettre de Madame Laframboise ne lui avait pas été livrée. M. Williams a travaillé les 4, 5, 6 et 7 mai 2006, a de nouveau vérifié son courrier et la lettre de Madame Laframboise ne lui avait alors toujours pas été livrée. M. Williams n’a pas travaillé du 8 au 13 mai 2006 et à son retour le 14 mai 2006, la lettre de Madame Laframboise lui avait été livrée. L’employeur est en position de savoir que les agents vérifient régulièrement leur courrier et pourquoi ils ont des motifs particulièrement impérieux de le faire. L’employeur est également en position de savoir à quel moment il a livré ladite lettre. L’employeur est en position de savoir que peu importe ce qu’il a fait du point de vue de la manipulation de la lettre de Madame Laframboise, le temps qui s’est écoulé entre le 28 avril 2006, soit la date figurant sur la lettre, et le 14 mai 2006, s’inscrit tout à fait dans le calendrier habituel pour de telles affaires au Pénitencier Dorchester.

[…]

22 La formule de renvoi à l’arbitrage a été signée par l’agent négociateur le 9 juin 2006. M. Mancini a présenté un registre des télécopies indiquant qu’elle a été télécopiée à la Commission le 12 juin 2006. La Commission a reçu les originaux de la formule de renvoi à l’arbitrage et les pièces jointes le 3 août 2006.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

23 Le représentant de l’employeur a fait valoir que l’événement déclencheur de ce grief a été la note du 22 février 1996 informant les intéressés de l’élimination de l’aide au transport quotidien. La convention collective établissait clairement qu’un employé devait déposer un grief dans les 25 jours suivant l’événement qui fait l’objet du grief. M. Williams aurait dû déposer son grief dans les 25 jours suivant le 22 février 1996 ou dans les 25 jours suivant l’application de la décision (le 1er avril 1996). Il a plutôt attendu trois ans et n’a déposé son grief qu’en 1999.

24 L’employeur a informé le fonctionnaire s’estimant lésé dès le début que le grief était hors délai et a fait valoir cette position à l’audience sur le grief devant le CNM.

25 Le fonctionnaire s’estimant lésé estimait que l’événement pour lequel il faisait un grief était survenu en 1996, comme en faisait foi la mesure corrective qu’il demandait, soit le paiement de l’aide au transport quotidien à compter du 1er avril 1996.

26 La représentante de l’employeur m’a renvoyé à un certain nombre de décisions de la Commission rendues par l’arbitre de grief relativement au respect des délais : Sittig c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-24117 (19960524); Sallenback c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-28734 (19990915); Rinke c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27705 (19971211); et Mark c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 34. Elle a fait valoir que la décision rendue dans Mark était particulièrement pertinente. Dans cette décision, l’arbitre de grief a statué que les communications suivies entre les parties ne justifiaient pas le retard dans le dépôt du grief. La décision Mark fait également état de bons motifs de relations du travail pour imposer des délais.

27 La représentante de l’employeur a fait valoir que ce grief ne constitue pas une violation continue de la convention collective. L’examen de la Directive sur l’aide au transport quotidien permet de conclure qu’elle ne crée pas de circonstance propice à une violation continue. Elle m’a renvoyé aux paragraphes 1.2.1 et 1.2.2, qui énoncent la responsabilité de l’administrateur général de revoir l’aide au transport quotidien au moins une fois par exercice. Elle porte sur un moment précis – un acte distinct de l’administrateur général – et n’appuie pas la position selon laquelle il s’agit d’un grief continu. Elle m’a également renvoyé aux paragraphes 1.3 et 1.3.2, qui exposent l’exigence de consulter les agents négociateurs et les employés et de communiquer avec eux. Ce qui ne confère pas non plus une nature continue au grief. Le fonctionnaire s’estimant lésé savait ou aurait dû savoir que l’aide au transport quotidien a été révoquée en 1996 lorsque la révocation s’est produite.

28 La représentante de l’employeur a également prétendu que le renvoi du grief à l’arbitrage le 3 août 2006 était hors délai. La date du 3 août 2006 était la date qui a été communiquée à l’employeur par la Commission. Il n’existe pas de correspondance de la Commission indiquant que le renvoi a été fait le 12 juin 2006. Il revient à la Commission d’établir clairement si elle a reçu une télécopie le 12 juin 2006.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

29 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que le grief déposé portait sur une violation continue de la convention collective. L’aide au transport quotidien constitue une forme de dédommagement applicable au coût des services communautaires, et l’employeur y a mis fin unilatéralement. L’aide au transport quotidien peut être fournie ou ne pas être basée sur l’existence des services au sein d’une communauté. Les circonstances peuvent évoluer au fur et à mesure que les services changent, ce qui appuie la conclusion selon laquelle le grief est de nature continue. Il m’a renvoyé à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, au paragr. 2:3128 :

[Traduction]

Quand la violation de la convention est de nature continue, l’observation des délais de dépôt d’un grief peut ne pas être aussi importante […] Les violations continues représentent des violations répétitives de la convention collective plutôt que simplement une violation unique ou isolée. Elles peuvent survenir dans des circonstances comme une grève illégale, le non-paiement d’une somme d’argent, ou de primes d’avantages sociaux […]

M. Mancini a déclaré que l’aide au transport quotidien ressemble à une prime d’avantages sociaux.

30 M. Mancini a posé la question suivante : si un(e) nouvel(le) employé(e) fait ses débuts à Dorchester, peut-il ou peut-elle déposer un grief au sujet de l’absence d’aide au transport quotidien? Si l’on accepte l’argument de l’employeur selon lequel il ne s’agit pas d’un grief continu, tous les griefs à venir sont éteints par forclusion en raison de la décision prise par l’employeur en 1996. Même si l’on présume que l’employeur avait raison en 1996, cela ne signifie pas que c’était toujours le cas en 1999. C’est une question de preuve.

31 M. Mancini a déclaré que la jurisprudence citée par l’employeur n’était pas pertinente, car aucune des décisions n’avait trait à des griefs continus.

32 M. Mancini a reconnu que la mesure corrective demandée à l’égard du grief ne peut s’appliquer rétroactivement au 1er avril 1996. La mesure corrective ne trouverait application que 25 jours avant le dépôt du grief en 1999.

33 M. Mancini a déclaré que les parties estimaient qu’il s’agissait d’un grief continu, comme en témoigne le fait que le grief a été mis en suspens et que l’aide au transport quotidien à l’Établissement Dorchester était à l’étude. Compte tenu du fait que le grief était effectivement un grief continu, l’objection de l’employeur quant au respect du délai du dépôt devrait être écartée.

34 M. Mancini a déclaré que sur la base du registre des télécopies, il apparaissait clairement que le renvoi à l’arbitrage a été soumis à la Commission le 12 juin 2006. L’employeur n’a pas établi que la télécopie n’a pas été envoyée à cette date-là.

35 M. Mancini a également affirmé que si des erreurs ont été commises par le fonctionnaire s’estimant lésé ou l’agent négociateur dans le renvoi à l’arbitrage, une prorogation de délai devrait être accordée, ce qui ne porterait pas préjudice à l’employeur. Il invoque ses arguments écrits du 13 septembre 2006 :

[Traduction]

[…]

[…] M. Williams a renvoyé la question à l’arbitrage le 12 juin 2006; d’après le Règlement et règles de procédure de la C.R.T.F.P. (1993), le renvoi aurait été fait le 37e jour suivant la réception d’une réplique. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, M. Williams aurait quand même pu demander à la Commission d’accepter son renvoi. Entre autres choses, la Commission aurait sûrement tenu compte du fait qu’il s’est écoulé plus de sept ans depuis le dépôt du grief, que la totalité de cette période ou la majeure partie de celle-ci ait été attribuable à la négligence de l’employeur ou non et/ou à un refus obstiné d’agir, du préjudice qu’aurait pu subir l’employeur du fait de ce renvoi hors délai de 7 jours, et de la question de savoir si M. Williams avait donné à l’employeur un avis formel ou informel de son intention de renvoyer la question.

Nous demandons que la Commission tienne compte des répercussions de la décision de la direction ci-jointe rendue par M. Simon Coakeley, sous-commissaire régional, en date du 16 août 2006. M. Williams avait renvoyé par erreur la décision rendue par le CNM le 25 avril 2006 à la Commission en déposant un grief sur la question le 1er juin 2006. Comme nous le savons, M. Williams a corrigé cette erreur tel qu’il est établi dans le présent dossier. Cette décision de la direction a tout au moins établi que l’employeur connaissait l’intention de M. Williams de renvoyer l’affaire à l’arbitrage en date du 1er juin 2006, soit dans les 15 jours de son avis effectif et dans les 28 jours à compter du 28 avril 2006 (d’après l’« ancien » règlement).

Toute l’ampleur de la mesquinerie de l’employeur est illustrée par les remerciements de l’employeur à M. Williams pour l’octroi d’une prorogation de délai concernant le grief le 16 août 2006, après un délai de 7 ans, et par la contestation par l’employeur en date du 28 août 2006 fondée sur une question de respect des délais pour un retard de 7 jours.

[…]

36 M. Mancini a également déclaré que si le grief était jugé hors délai, le fonctionnaire s’estimant lésé demandait une prorogation de délai.

C. Arguments de l’employeur en réponse

37 Mme Engmann a déclaré que bien que l’employeur ait contesté à la fois le respect des délais de présentation du grief et le respect des délais de renvoi à l’arbitrage, l’essentiel de sa contestation repose sur le respect des délais de dépôt du grief. En ce qui concerne le respect des délais du renvoi à l’arbitrage, elle a déclaré que l’employeur n’avait pas le pouvoir d’expliquer pourquoi la Commission n’a pas accusé réception de la télécopie envoyée le 12 juin 2006.

38 La représentante de l’employeur a déclaré que la preuve n’étayait pas l’affirmation selon laquelle le grief était continu. Le grief n’est pas continu du simple fait que les parties débattent encore de l’affaire.

39 Elle a également fait valoir que l’examen effectué par les parties, qui a débuté en 1999, observait l’exigence énoncée dans la Directive sur l’aide au transport quotidien selon laquelle l’administrateur général doit réviser régulièrement l’aide au transport quotidien.

40 Mme Engmann a soutenu que l’agent négociateur n’a pas établi, conformément à la jurisprudence de la Commission, que le pouvoir discrétionnaire de proroger les délais devrait être exercé. Elle m’a mentionné les cinq critères énoncés dans la jurisprudence (voir p. ex. Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1) :

[…]

- le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

- la durée du retard;

- la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

- l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

- les chances de succès du grief.

IV. Motifs

A. Respect des délais du grief

41 Ce grief n’a pas été présenté à l’employeur en conformité avec les délais énoncés dans la convention collective. Le fonctionnaire s’estimant lésé estime que le grief est un grief continu. Dans Office national du film c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un grief continu peut permettre la prorogation des délais prévus dans une convention collective, quoique cette mesure ne peut s’appliquer rétroactivement que vingt-cinq jours avant le dépôt du grief (soit la période précisée dans la convention collective pour le dépôt d’un grief). J’ai conclu que le grief n’est pas un grief continu et qu’il n’existe donc pas de mesure de réparation applicable aux délais énoncés dans la convention collective.

42 Le critère qui s’applique pour déterminer si un grief est de nature continue consiste à établir s’il y a présence d’une violation continue d’une obligation prévue dans une convention collective et non seulement des dommages répétitifs. Dans Parking Authority of Toronto v. C.U.P.E., Local 43 (1974), 5 L.A.C. (2d) 150 (aux p. 152-153), l’arbitre définit une conduite continue comme :

[Traduction]

[…] une conduite renouvelée à intervalles réguliers et qui peut être considérée comme une série d’actions distinctes plutôt que comme une action qui peut simplement avoir des conséquences de nature continue.

43 Dans British Columbia v. B.C.N.U. (1982), 5 L.A.C. (3d) 404, l’arbitre a invoqué la définition d’un grief continu énoncée dans l’ouvrage Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration de Gorsky (1981) à la page 35 :

[Traduction]

La règle à employer pour décider si le grief est isolé ou continu est celle qui s’est établie en droit contractuel. La récurrence du tort ne rend pas un grief isolé continu. Il faut que la partie qui manque à ses engagements manque à une obligation récurrente. Lorsque cette obligation existe à un certain intervalle et que la partie y manque chaque fois, il y a un manquement « continu » et la période de limitation du délai de contestation ne commence qu’avec le manquement le plus récent. Quand il n’y a pas d’obligation pareille et que le tort ne fait que continuer ou s’aggraver avec chaque manquement successif, le grief est isolé et la période de limitation commence à partir du premier manquement, quel que soit le tort subi.

44 Dans son grief, le fonctionnaire s’estimant lésé demande le paiement de l’aide au transport quotidien rétroactivement au 1er avril 1996. Malgré l’admission du représentant de l’agent négociateur selon laquelle le grief ne peut remonter à cette date, le fait qu’il s’agisse de la mesure corrective demandée à la date de dépôt du grief indique que le grief vise essentiellement la décision initiale de l’administrateur général. Le grief fait également référence aux lacunes de l’étude réalisée par TPSGC en 1995, ce qui renforce encore davantage la conclusion tirée par l’administrateur général dans sa décision, soit de mettre fin à l’aide au transport quotidien. Le grief soutient également que l’employeur n’a jamais fourni d’avis écrit de la fin de l’aide au transport quotidien, comme l’exigeait la directive, ce qui renvoie aussi à la décision initiale de l’employeur de cesser l’aide au transport quotidien.

45 Il importe également de revoir la Directive sur l’aide au transport quotidien. La décision de l’administrateur général d’autoriser ou de révoquer l’aide au transport quotidien est une décision discrétionnaire. De plus, l’administrateur général doit revoir l’autorisation au moins une fois par exercice, et il ou elle peut « poursuivre, modifier ou révoquer » l’aide au transport quotidien, sous réserve des exigences de consultation et de communication par écrit applicables aux employés visés. Ces exigences appuient la conclusion selon laquelle la décision de révoquer l’aide au transport quotidien était une décision discrétionnaire à un moment donné et selon laquelle un grief à l’encontre de cette décision n’est pas un grief continu. Ce n’est pas la même chose qu’un grief sur la rémunération ou sur des avantages sociaux, dans le cadre duquel, il existe un droit continu de paiement aux termes d’une disposition de la convention collective.

46 Tel qu’il est indiqué dans Mark (au paragraphe 27), « [d]es discussions continues à propos de la décision de l’employeur ne peuvent être considérées comme une perpétuation de la violation initiale alléguée ». De même, la mise en suspens d’un grief en attendant l’examen de la situation actuelle ne confère pas au grief une nature continue.

B. Respect des délais du renvoi à l’arbitrage

47 L’agent négociateur a présenté des éléments de preuve selon lesquels le renvoi à l’arbitrage a été télécopié à la Commission le 12 juin 2006. Le Règlement prévoit qu’un document introductif est réputé avoir été reçu à la date de sa transmission par télécopieur si l’original et une copie sont envoyés au directeur exécutif « dès que possible » (article 3). Il n’existe aucun motif de douter que le renvoi a effectivement été télécopié le 12 juin 2006. Par conséquent, la Commission aurait dû établir que la date de réception du renvoi était le 12 juin 2006.

48 Le Règlement prévoit que le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard 40 jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier. Bien que la décision finale du CNM sur le grief portait la date du 28 avril 2006, elle n’a pas été communiquée à M. Williams avant le 14 mai 2006. L’employeur ne contestait pas la date à laquelle M. Williams a reçu la réponse au grief. Par conséquent, le renvoi à l’arbitrage respectait les délais prescrits.

C. Demande de prorogation de délai

49 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas présenté d’observations exhaustives sur la demande de prorogation de délai, si ce n’est qu’il a fait valoir que l’employeur ne subirait aucun préjudice en accueillant ladite demande. Je conclus que le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas fourni de motifs logiques et convaincants pour justifier l’octroi d’une prorogation de délai. La révocation de l’aide au transport quotidien a été communiquée clairement au fonctionnaire s’estimant lésé à la suite de discussions avec son agent négociateur. Le seul motif possible du retard inscrit au dossier que j’ai sous les yeux est le temps requis pour recueillir de l’information pour étayer le grief. Tel qu’il est indiqué dans Mark, ce n’est pas une raison valide justifiant un retard dans le dépôt d’un grief.

50 À la lecture du dossier, il semble que les parties (l’employeur et l’agent négociateur précédent) ont traité indirectement du fond du présent grief dans le cadre d’un examen conjoint réalisé en 2001.

51 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

52 L’objection de l’employeur quant au respect des délais applicables au dépôt du grief est accueillie.

53 L’objection de l’employeur quant au respect des délais applicables au renvoi à l’arbitrage est rejetée.

54 La demande de prorogation de délai est rejetée.

55 Le grief est rejeté.

Le 2 mai 2008.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
vice-président
et arbitre de grief

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