Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé est un fonctionnaire exclu dont le poste a été reclassifié en une classification GI nouvellement créée - il a déposé un grief concernant la date d’entrée en vigueur de la nouvelle norme de classification et la rémunération pour les fonctions accomplies avant la date d’entrée en vigueur - il a d’abord renvoyé son grief à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) en vertu de l’alinéa209(1)a) de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la Loi), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, en tant que grief portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective- la Commission a fait savoir par écrit au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il ne pouvait renvoyer un tel grief à l’arbitrage que s’il était représenté par un agent négociateur ayant indiqué son intention de le représenter dans le cadre des procédures d’arbitrage- il a ensuite présenté le même grief à la Commission en vertu de l’alinéa209(1)b) de la Loi, au motif que le refus de le payer pour les services qu’il avait rendus constituait une mesure disciplinaire se traduisant par une sanction pécuniaire- l’employeur a soulevé une objection, faisant valoir que l’arbitre de grief n’avait pas compétence - il a mentionné que le grief portait sur la date d’entrée en vigueur d’une nouvelle norme de classification, que la question de la mesure disciplinaire n’était pas concernée, et que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait jamais soulevé cette question durant le processus de règlement des griefs- l’arbitre de grief a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas soulevé la question de la mesure disciplinaire durant le processus de règlement des griefs, que cela constituait un obstacle insurmontable à l’arbitrage et que le principe énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.F.) s’appliquait- bien qu’un arbitre de grief puisse exercer à juste titre un certain pouvoir discrétionnaire ou se prévaloir d'une certaine souplesse lorsqu’il analyse le libellé d’un grief ou la façon dont un fonctionnaire s’estimant lésé fait valoir son point de vue durant la procédure de règlement des griefs, afin de déterminer la nature de ce qu’il avance, ce pouvoir discrétionnaire est néanmoins assujetti à des limites tout à fait concrètes- l’arbitre de grief a conclu que les circonstances du présent cas ne lui permettaient pas d’exercer son pouvoir discrétionnaire- l’objection de l’employeur a été maintenue. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-01-18
  • Dossier:  566-32-1403
  • Référence:  2008 CRTFP 5

Devant un arbitre de grief


ENTRE

FRED J. LEE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence canadienne d’inspection des aliments)

défendeur

Répertorié
Lee c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui même

Pour le défendeur:
Karen Clifford, avocate

Décision rendue sur la foi d’observations écrites
déposées les 7, 21 et 28 novembre 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I.  Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Fred J. Lee (le « fonctionnaire s’estimant lésé ») travaille pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments (« l’employeur » ou « l’ACIA ») à Grand Falls-Windsor (Terre-Neuve-et-Labrador). Son poste est exclu des négociations collectives.

2 Le 6 mai 2005, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief comme suit :

[Traduction]

[…]

(Détails du grief)

Le 8 avril 2005, j’ai été officiellement informé qu’on avait correctement classifié mon poste à compter du 1er avril 2005. Cette classification est peut-être acceptable, mais je me suis entièrement acquitté des fonctions d’un poste de gestionnaire de l’inspection aussi bien avant qu’après la création de l’Agence. Ma classification ne reflète pas le travail que j’ai accompli au cours de la période où elle faisait l’objet d’un examen.

(Redressement demandé)

Me verser intégralement une rémunération calculée en fonction d’un des groupes/niveaux de classification dont la rémunération est équivalente à l’échelle de rémunération en vigueur des IM, y compris les rajustements économiques et d’échelons pertinents, pour la période du 30 juin 1997 au 31 mars 2005. Mon placement dans l’échelle de rémunération des IM et pour les fins de la pension de retraite devrait aussi refléter ces rajustements salariaux.

[…]

3 Après avoir obtenu une réponse défavorable au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé l’affaire à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la Commission »), le 27 juillet 2007, en se servant de la formule prescrite par la Commission pour les griefs portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale (Formule 20).

4 La directrice des Opérations du greffe et politiques de la Commission a écrit au fonctionnaire s’estimant lésé pour l’informer qu’un grief concernant l’interprétation ou l’application d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ne peut être renvoyé à l’arbitrage que si l’agent négociateur approuve le renvoi et se déclare disposé à représenter le fonctionnaire s’estimant lésé. Elle a rappelé au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il s’était déclaré exclu; comme il n’était donc pas représenté, il ne pouvait pas renvoyer son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (« la Loi »). Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

[…]

      209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

[…]

      (2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

[…]

5 La Commission a retourné au fonctionnaire s’estimant lésé les documents de renvoi de son grief à l’arbitrage.

6 Le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief à l’arbitrage pour la seconde fois le 16 août 2007, en invoquant une autre disposition de la Loi :

[…]

      209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

[…]

7 Dans la lettre d’accompagnement accompagnant ce renvoi à l’arbitrage, le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé qu’il était exclu et non représenté, en déclarant que [traduction] « […] le refus de me payer rétroactivement pour services rendus est une mesure disciplinaire de facto. La sanction pécuniaire que j’ai subie est l’objet de mon grief […] ».

8 La représentante de l’employeur a répondu au renvoi à l’arbitrage en partant du principe qu’un arbitre n’a pas compétence pour entendre l’affaire, sous le régime de la Loi :

[Traduction]

[…]

L’employeur demande que ce grief soit rejeté et qu’on ne fixe pas de date d’audience pour l’entendre, étant donné que la CRTFP n’a pas compétence. Le fonctionnaire s’estimant lésé, un gestionnaire de l’inspection, n’est pas représenté par un agent négociateur. Son grief porte sur la date d’effet de mise en œuvre d’une nouvelle norme de classification (le groupe IM) à l’Agence, ainsi que sur la rémunération des tâches qu’il avait accomplies en tant que gestionnaire de l’inspection avant l’application de cette norme, le 1er avril 2005. Il ne concerne pas l’interprétation d’une convention collective ni une mesure disciplinaire entraînant la suspension, une sanction pécuniaire ou le licenciement. En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a allégué à aucun palier de la procédure de règlement des griefs qu’il avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire, et l’employeur n’a pris aucune mesure de ce genre contre lui.

[…]

9 Un agent du greffe de la Commission a demandé au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il fournisse sa position en réponse à la question de compétence soulevée par l’employeur. Le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu le 14 septembre 2007 :

[Traduction]

[…]

Auparavant, je n’avais pas allégué avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Après avoir analysé la situation, je ne puis que conclure que j’en ai fait l’objet de facto.

On m’a informé que la question de ma rémunération (classification) avait enfin été réglée. Cette réponse réfléchie (voir les Q&R annexées) en date du 8 avril 2005 stipule que je ne me suis pas acquitté des fonctions de mon poste.

Si c’était vrai, ce serait de l’inconduite de ma part; par conséquent, mon grief conteste le refus de me verser ma rémunération intégrale (l’imposition d’une sanction pécuniaire injustifiée).

[…]

10 Un agent du greffe de la Commission a accusé réception de cette réponse du fonctionnaire s’estimant lésé, puis informé les deux parties que la question serait soulevée au début de l’audience d’arbitrage, dont la date restait à fixer. La représentante de l’employeur a écrit de nouveau à la Commission le 17 octobre 2007 pour répéter que l’employeur contestait sa compétence et pour redemander que le grief soit rejeté sans audience.

11 Après avoir analysé la situation, le président de la Commission a enjoint aux parties de soumettre des observations écrites sur les points suivants :

  • La situation en l’espèce correspond-elle aux paramètres de Burchill?

  • Si oui, la Commission a-t-elle le pouvoir discrétionnaire d’accepter d’instruire le grief en se fondant sur Burchill, et, si oui, devrait-elle le faire?

Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109.

12 Le président m’a chargé d’arbitrer cette affaire sur la foi des observations écrites soumises par les parties.

II. Observations écrites

A. Pour l’employeur

13 L’avocate de l’employeur a soutenu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Point 1 : La situation en l’espèce correspond-elle aux paramètres de Burchill?

La réponse à cette question est affirmative.

Le grief déposé dans ce cas ne mentionne aucune mesure disciplinaire. On n’a jamais laissé entendre durant la procédure de règlement des griefs qu’une mesure disciplinaire avait été imposée au fonctionnaire s’estimant lésé. La Commission s’est fait remettre une copie du grief et des réponses aux différents paliers; elles sont annexées pour qu’il lui soit facile de s’y reporter.

Le grief conteste essentiellement la date d’effet de la transposition au groupe IM et/ou au niveau de classification dans ce groupe pour une période antérieure à son existence. Le redressement réclamé concerne le taux de rémunération des fonctionnaires passés au nouveau groupe IM. L’objet du grief porte sur la nouvelle classification d’un groupe d’employés; il n’y a aucune indication qu’on ait imposé une sanction disciplinaire quelconque au fonctionnaire s’estimant lésé par suite de ces changements systémiques.

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été débouté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. À titre de gestionnaire exclu, il ne pouvait pas renvoyer le grief à la Commission en vertu de l’art. 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (ci-après la « LRTFP »). Quand la Commission l’en a informé, il a représenté son grief en se servant de la Formule 21 et en alléguant dans sa lettre d’accompagnement qu’il avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire « de facto ».

La situation correspond donc à celle sur laquelle la Cour d’appel fédérale s’est prononcée dans l’arrêt Burchill, où l’on peut lire ce qui suit, à la p. 110 :

À notre avis, après le rejet de son seul grief présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le requérant ne pouvait présenter à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, ni transformer son grief en un grief contre une mesure disciplinaire entraînant le congédiement au sens du paragraphe 91(1). En vertu de cette disposition, seul un grief présenté et réglé conformément à l’article 90 ou visé à l’alinéa 91(1) a) ou b) peut être renvoyé à l’arbitrage. À notre avis, puisque le requérant n’a pas énoncé dans son grief la plainte dont il aurait voulu saisir l’arbitre, à savoir que sa mise en disponibilité n’était, en vérité, qu’une mesure disciplinaire camouflée, rien ne vient donner à l’arbitre compétence pour connaître du grief en vertu du paragraphe 91(1). Par conséquent, l’arbitre n’a pas compétence.

En l’espèce, le seul grief présenté ne faisait nullement mention d’une mesure disciplinaire. Par conséquent, il n’était pas renvoyable à la Commission en vertu de l’art. 209 de la LRTFP, dont l’art. 214 de la LRTFP confirme le caractère exécutoire de la réponse pour ce grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs :

Sauf dans le cas du grief individuel qui peut être renvoyé à l’arbitrage au titre de l’article 209, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est définitive et obligatoire et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l’égard du grief en cause.

L’employeur maintient qu’il est interdit au fonctionnaire s’estimant lésé de tenter de reformuler son grief afin de le renvoyer à la Commission. L’affaire a déjà été entendue; elle a fait l’objet d’une décision finale et obligatoire en vertu de la Loi. Prétendre comme le fonctionnaire s’estimant lésé le fait qu’il a subi une mesure disciplinaire « de facto » revient, comme il l’admet, à soulever un argument qu’il n’avait jamais avancé jusque-là. Lui permettre de saisir maintenant la Commission d’une affaire entièrement différente serait un abus de procédure, en plus d’être contraire à l’esprit de la LRTFP. Pour paraphraser la citation de l’arrêt Burchill, précité, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas invoqué d’argument justifiant que la Commission ait compétence pour l’entendre parce qu’il aurait fait l’objet d’une mesure disciplinaire. L’application récente de Burchill dans l’affaire Babiuk renforce cette conclusion. En effet, au paragraphe 51 de la décision rendue alors, l’arbitre Done a déclaré ce qui suit :

Pour que les procédures de règlement des griefs fonctionnent et permettent de résoudre rapidement et sans formalités les plaintes en milieu de travail et pour favoriser de solides relations de travail, il est fondamental que la question à l’origine du grief soit exprimée en des termes on ne peut plus clairs. Comment les parties peuvent-elles aller de l’avant si elles présentent un cas à l’employeur et un autre cas, auquel on n’a pas encore répondu, à un arbitre de grief?

Par conséquent, la situation dans cette affaire correspond clairement aux paramètres de Burchill, de sorte que la Commission n’a pas compétence pour entendre le grief.

Point 2 : La Commission a-t-elle le pouvoir discrétionnaire d’accepter d’instruire le grief en se fondant sur Burchill et, si oui, devrait-elle le faire?

La réponse à cette question est négative.

Puisque Burchill s’applique directement, il ne saurait être question que la Commission se prévale d’un pouvoir discrétionnaire, puisqu’elle n’a absolument pas compétence. Dans Burchill, la Cour d’appel fédérale s’est prononcée sans équivoque sur la question de compétence lorsqu’un fonctionnaire s’estimant lésé tente de reformuler son grief; rien dans cet arrêt n’autoriserait la Commission à exercer un pouvoir discrétionnaire en l’espèce.

Subsidiairement, si la Commission devait conclure qu’elle a le pouvoir discrétionnaire d’accepter d’entendre l’affaire, l’employeur est d’avis qu’elle aurait tort de le faire, parce que la tentative du fonctionnaire s’estimant lésé de représenter son grief dans ces circonstances équivaut à un abus de procédure.

Conclusion

Les principes établis dans Burchill s’appliquent. Il n’y a absolument aucune preuve que le fonctionnaire s’estimant lésé ait fait l’objet d’une mesure disciplinaire quelconque qui ferait tomber l’affaire sous le coup de l’al. 209 (1) b) de la LRTFP. La Commission n’a donc pas compétence pour entendre le grief.

En outre, l’art. 214 de la LRTFP s’applique, étant donné qu’une décision finale et obligatoire a été prise au dernier palier de la procédure sur les questions que le grief soulevait. La tentative du fonctionnaire s’estimant lésé de reformuler les points en jeu afin que la Commission puisse avoir compétence pour l’entendre est contraire tant à Burchill qu’à la LRTFP.

L’employeur estime que la CRTFP n’a pas compétence et que le grief devrait être rejeté.

[…]

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

14 Le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu aux observations de l’employeur de la façon suivante.

[Traduction]

[…]

Question sur les paramètres… Non

Il faut que le préjudice causé ait un aspect disciplinaire pour que la Commission ait compétence. À l’examen de l’affaire, il appert qu’il n’y a pas eu de préjudice réel. Les conclusions suivantes de l’arbitre de la Commission ont influé sur sa décision :

(1) « En toute vérité, M. Burchill est lui-même responsable des difficultés auxquelles il fait face présentement », p. 50, paragr. 70.

(2) « Je ne suis pas convaincu que la mise en disponibilité de M. Burchill dissimule une mesure disciplinaire », p. 50, paragr. 71.

S’il avait été prouvé que la plainte de le fonctionnaire s’estimant lésé était fondée, la décision aurait pu être différente.

Jusqu’à présent, je n’ai jamais eu pour but d’attribuer des motifs ou un blâme. J’ai subi une peine pécuniaire à laquelle il faudrait remédier.

Le fait que je n’ai pas précisé la nature de mon grief ni attribué des motifs ou un blâme auparavant ne revient pas à nier l’aspect disciplinaire du préjudice que j’ai subi, ni le droit de la Commission d’arbitrer l’affaire. C’est à la longue que j’ai fini par comprendre que je devais avance ces arguments. Le grief n’a jamais été décrit autrement que comme un préjudice subi avant que je les avance, le 14 septembre 2007.

J’ai tenté de résoudre le problème avec l’employeur. Il a réagi en continuant à m’imposer une sanction pécuniaire, en disant que je ne m’étais pas acquitté des fonctions qui m’étaient confiées, selon lui. La façon de m’acquitter de mes fonctions de gestionnaire de l’inspection est au cœur de notre différend.

Depuis 1997 et certainement depuis le 1er octobre 1999, je me suis acquitté intégralement des fonctions de gestionnaire de l’inspection qui m’étaient confiées. Du 1er octobre 1999 au 1er avril 2005, j’ai été sous-payé. J’accomplissais toutes mes fonctions, et pourtant, on a dû juger à tort que je m’étais mal conduit, puisque je n’ai pas reçu la rémunération rétroactive qui m’est due, ce qui constitue une sanction pécuniaire.

Ma plainte a été traitée sommairement, puisqu’on m’a dit qu’elle « n’[était] pas fondée parce que la pratique avait consisté à refuser de verser une rémunération rétroactive dans les situations de transposition ». Cette réponse confirme l’imposition d’une sanction pécuniaire.

Mon renvoi du grief à la Commission n’est pas une reformulation de la question en jeu. Je le répète, jusqu’à présent, j’ai toujours voulu que le préjudice que j’ai subi soit réglé à ma satisfaction, et c’est ce que je continue à m’efforcer d’obtenir.

La nature de mon grief n’a pas changé. J’ai subi une sanction pécuniaire résultant d’une mauvaise application d’une pratique de gestion dans ma situation particulière. Le redressement que je réclame reste inchangé — une rémunération rétroactive appropriée pour services rendus.

Question sur le pouvoir discrétionnaire… Oui

Entendre qualifier mes efforts pour obtenir justice d’abus de procédure ou de manipulation m’a troublé. Je ne suis pas spécialiste en relations de travail ni en arbitrage de grief et je n’avais pas non plus la possibilité ni les moyens d’obtenir l’aide d’un spécialiste dans ma situation. Toute impression de manque de respect pour la procédure de ma part ne saurait être attribuable qu’à mon ignorance plutôt qu’à une manipulation des faits.

Je n’ai pas délibérément négligé de décrire explicitement la nature du préjudice que j’ai subi jusqu’à présent; l’essentiel consistait à faire valoir qu’on me devait une rémunération rétroactive. Au début, j’avais même accepté que le Règlement sur la rémunération lors de la reclassification ou de la transposition interdise le versement d’une rémunération rétroactive en cas de transposition, alors que c’est faux. Prenez note du redressement réclamé dans la formule de grief.

En tant que fonctionnaire exclu, mais assujetti à de vraies conventions collectives, j’espérais qu’on ait appliqué correctement une procédure établie. Mes efforts pour faire valoir que j’ai été puni parce qu’on refusait de me verser une rémunération rétroactive se sont butés à l’immobilisme de l’employeur; veuillez prendre note de la correspondance annexée (1 - 7). Le seul recours que j’avais était une procédure d’affrontement.

L’employeur a rejeté la validité de ma position que le Règlement avait été mal appliqué en ce qui me concerne et que la pratique établie était contredite par d’autres facteurs. Après réflexion, il a répondu que je devais supporter la sanction pécuniaire. Cette intransigeance elle-même interdit l’application de Burchill.

En outre, ces dernières années, on a introduit des changements fondamentaux du régime de travail dans l’administration fédérale, et des changements reflétés dans la législation. Ils ont sapé la jurisprudence établie notamment par Burchill et accru la latitude de la Commission. La Loi sur la modernisation de la fonction publique, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et les initiatives correspondantes de la direction ont accordé plus de souplesse à nos institutions, dans l’intérêt de toutes les parties.

Nous sommes passés d’un processus bureaucratique littéral basé sur des prescriptions à une approche dans laquelle les décisions sont basées sur l’équité, la justice naturelle et des principes plutôt que sur des règles. Le Préambule de la LRTFP le dit bien :

  • que des relations patronales-syndicales fructueuses sont à la base d’une saine gestion des ressources humaines, et que la collaboration, grâce à des communications et à un dialogue soutenu, accroît les capacités de la fonction publique de bien servir et de bien protéger l’intérêt public;

  • que le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi.

Bref, lorsqu’une sanction pécuniaire est imposée — dans l’intention de nuire ou non — la Commission devrait avoir la possibilité d’entendre ce dont il s’agit. Une sanction a une connotation d’inconduite/de mesure disciplinaire. Notre nouveau cadre visant à faire en sorte que tous les fonctionnaires soient traités avec justice et équité donne à la Commission ce droit et cette responsabilité. Le nouveau paradigme législatif lui donne plus de latitude pour veiller à ce qu’on applique correctement et conformément à son esprit la législation à laquelle les fonctionnaires fédéraux sont assujettis.

Résumé

La conduite de l’Agence n’est peut-être pas conforme à tous les détails précisés dans sa Politique de discipline. Les éléments essentiels que sont l’inconduite (tacitement assumée) et une sanction sont présents.

L’Agence a invoqué une mesure de classification pour justifier sa décision de ne pas m’accorder de rémunération rétroactive. La portée de la nouvelle LRTFP n’exige pas que la Politique de discipline soit appliquée en tant que telle. Le fait qu’il y a bel et bien eu une mesure disciplinaire autorise la Commission à entendre et trancher cette affaire.

Plusieurs facteurs ont contribué au préjudice que je conteste dans mon grief, y compris une mesure disciplinaire injustifiée. Je n’ai pas précisé la nature de mon grief au cours de la procédure de règlement des griefs, mais je l’ai fait dès que j’ai su que je devais le faire.

[…]

[Souligné et en caractères gras dans le texte]

[Sic pour l’ensemble]

C. Réplique de l’employeur

15 L’avocate de l’employeur a présenté les arguments suivants en réfutation.

[Traduction]

Réponse aux observations du fonctionnaire s’estimant lésé sur le Point 1 : paramètres de l’arrêt Burchill

Dans ses observations, le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé que son grief est essentiellement une demande de [traduction] « rémunération rétroactive appropriée pour services rendus ».

Par conséquent, son grief ne porte pas sur une « mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire », conformément à l’al. 209(1)b) de la LRTFP.

Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a avancé aucune preuve d’une mesure disciplinaire; ce qu’il a joint à sa lettre du 18 novembre 2007 confirme plutôt la conclusion que son grief a toujours visé la rémunération rétroactive du groupe visé par la transposition. L’absence de mesure disciplinaire se reflète dans ce qui a donné lieu au grief et dans son contexte. Que le fonctionnaire s’estimant lésé renvoie maintenant son grief à l’arbitrage en invoquant l’al. 209(1)b) est complètement contraire à la jurisprudence établie par l’arrêt Burchill.

En outre, parler de préjudice ne tient pas debout. Le libellé de la LRTFP est très clair : ce n’est pas tout ce qu’on croit avoir subi à son travail qui peut être renvoyé à l’arbitrage, mais seulement ce qui correspond au libellé précis du para. 209(1).

Enfin, c’est précisément sur le genre de situation correspondant à ce grief que l’art. 214 de la LRTFP porte quand il précise le caractère final et obligatoire des griefs qui ont été présentés jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement.

Réponse aux observations du fonctionnaire s’estimant lésé sur le Point 2 : pouvoir discrétionnaire de la Commission

L’employeur respecte les principes sous-jacents à la Loi sur la modernisation de la fonction publique ainsi qu’à la LRTFP invoqués par le fonctionnaire s’estimant lésé.

Il convient de préciser que la LRTFP précise très clairement la portée et la nature des questions qu’on peut renvoyer à la CRTFP, et c’est pourquoi celle-ci n’a pas compétence pour entendre des griefs s’ils ne peuvent pas être renvoyés à l’arbitrage en vertu du para. 209(1) de la LRTFP.

Bien que le but ultime de la Loi consiste à promouvoir et appuyer de bonnes relations de travail, il n’y est écrit nulle part que la CRTFP devrait être un tribunal omnibus d’arbitrage de tous les différends dans ce domaine. En fait, le libellé restrictif du paragr. 209(1) quant aux questions pouvant être renvoyées à l’arbitrage est conçu afin d’encourager les parties à chercher d’autres moyens de régler leurs différends. L’employeur ne souscrit pas du tout à l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé que « lorsqu’une sanction pécuniaire est imposée — dans l’intention de nuire ou non — la Commission devrait avoir la possibilité d’entendre ce dont il s’agit. » Ce serait contraire à ce qui est clairement écrit aux art. 209 et 214 de la LRTFP. La CRTFP est une créature de la loi, et c’est donc d’elle que procède sa compétence.

Conclusion

Par conséquent, l’employeur demande avec déférence que le grief soit rejeté, parce que la Commission n’a pas compétence et que l’applicabilité de l’arrêt Burchill en justifie le rejet.

[…]

[Souligné et en caractères gras dans le texte]

III. Motifs

A. La situation en l’espèce correspond-elle aux paramètres de l’arrêt Burchill?

16 Dans Burchill, le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas eu gain de cause en contestant sa cessation d’emploi résultant d’une mise en disponibilité jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il avait alors renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »). Dans un addendum à son renvoi à l’arbitrage, il avait allégué — pour la première fois — que la décision de l’employeur était une mesure disciplinaire. L’arbitre, saisie d’une contestation de sa compétence par l’employeur, avait conclu que rien ne prouvait que la mise en disponibilité ait été disciplinaire. Il avait donc déclaré qu’il n’avait pas compétence pour entendre le renvoi et rejeté le grief, dans Burchill c. Conseil du Trésor (Commission de lutte contre l’inflation), dossier de la CRTFP 166-02-5298 (19790927).

17 M. Burchill a soumis à la Cour d’appel fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. La Cour a rejeté sa demande et rendu sa décision sur le banc :

[…]

À notre avis, après le rejet de son seul grief présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le requérant ne pouvait présenter à l’arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, ni transformer son grief en un grief contre une mesure disciplinaire entraînant le congédiement au sens du paragraphe 91(1). En vertu de cette disposition, seul un grief présenté et réglé conformément à l’article 90 ou visé à l’alinéa 91(1) a) ou b) peut être renvoyé à l’arbitrage. À notre avis, puisque le requérant n’a pas énoncé dans son grief la plainte dont il aurait voulu saisir l’arbitre, à savoir que sa mise en disponibilité n’était, en vérité, qu’une mesure disciplinaire camouflée, rien ne vient donner à l’arbitre compétence pour connaître du grief […] Par conséquent, l’arbitre n’a pas compétence.

[…]

Burchill, [1981] 1 C.F. 109.

18 Cet arrêt Burchill que la Cour d’appel fédérale a rendu en 1981 continue d’occuper une grande place dans la jurisprudence qui guide les arbitres de griefs de la Commission. Dans Shneidman c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 133, par exemple, la fonctionnaire s’estimant lésée avait réussi à faire déclarer par l’arbitre que la mesure disciplinaire qu’on lui avait imposée était nulle ab initio parce que l’employeur n’avait pas respecté un droit fondamental dans son processus disciplinaire. Quand la Cour fédérale s’est vu soumettre une demande de contrôle judiciaire de cette décision, elle a appliqué l’arrêt Burchill, renversé la décision de l’arbitre et conclu que celle-ci n’avait pas compétence pour entendre l’argument de la fonctionnaire s’estimant lésée contestant la violation d’un droit fondamental dans le processus disciplinaire, parce que Mme Shneidman n’avait pas dénoncé cette violation dans son grief original et ne l’avait pas invoquée non plus durant la procédure interne de règlement des griefs : Procureur général du Canada c. Shneidman, 2006 CF 381.

19 Mme Shneidman a interjeté appel de cette décision à la Cour d’appel fédérale; dans les motifs du tout récent arrêt Shneidman c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 192, la Cour a repris le principe que « l’employée s’estimant lésée doit avoir informé son employeur de la nature exacte de ses doléances tout au long de la procédure interne de griefs » (para. 26), en souscrivant avec approbation au principe établi dans Burchill que « seuls les griefs qui ont été présentés et examinés à tous les paliers internes de la procédure de règlement des griefs peuvent être soumis à l’arbitrage » (ibid.). Par cette confirmation de la décision du tribunal inférieur, la Cour d’appel fédérale a de nouveau confirmé puissamment l’importance et l’applicabilité de Burchill pour les arbitres de griefs.

20 On l’a déjà dit, Burchill estune interprétation des dispositions de l’ancienne Loi, maintenant remplacé, et les tribunaux les ont aussi interprétées dans Shneidman, 2006 CF 381 et 2007 CAF 192. À mon avis, toutefois, Burchill continue de s’appliquer également sous le régime de la nouvelle Loi, puisque le paragraphe 209(1) dispose qu’un fonctionnaire ne peut renvoyer à l’arbitrage un grief individuel qu’à condition de « l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable ». Lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé ne soulève pas une question avant la fin de cette procédure, l’interprétation retenue dans Burchill veut qu’il n’ait pas présenté un grief sur cette question fraîchement soulevée « jusqu’au dernier palier de la procédure applicable ». Le grief n’est alors pas arbitrable en vertu d’un alinéa quelconque de paragraphe 209(1), même comme sous les clauses comparables de l’ancienne Loi.

21 Le principe énoncé dans Burchill perdure largement parce qu’il est logique dans le contexte des relations de travail. L’employeur devrait avoir le droit d’être informé des détails de ce que le fonctionnaire s’estimant lésé lui reproche afin de pouvoir se pencher correctement sur les problèmes qui sont soulevés et les résoudre, si c’est possible, dans la procédure de règlement des griefs. Lorsque le grief est reformulé ou qu’on y ajoute de nouveaux éléments après la fin de cette procédure interne, la raison d’être même de la procédure peut être sapée.

22 En l’espèce, le fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que l’objet de son grief (et de son renvoi à l’arbitrage) était une mesure « disciplinaire de facto », une mesure disciplinaire déguisée ou [traduction] « une sanction dont la connotation est disciplinaire ». Rien dans le libellé de son grief original ni dans l’énoncé du redressement qu’il réclame ne faisait état de cette possibilité :

[Traduction]

[…]

(Détails du grief)

Le 8 avril 2005, j’ai été officiellement informé qu’on avait correctement classifié mon poste à compter du 1er avril 2005. Cette classification est peut-être acceptable, mais je me suis entièrement acquitté des fonctions d’un poste de gestionnaire de l’inspection aussi bien avant qu’après la création de l’Agence. Ma classification ne reflète pas le travail que j’ai accompli au cours de la période où elle faisait l’objet d’un examen.

(Redressement réclamé)

Me verser intégralement une rémunération calculée en fonction d’un des groupes/niveaux de classification (il y en a plusieurs) dont le taux de rémunération est équivalent à l’échelle de rémunération en vigueur des IM, y compris les rajustements économiques et d’échelons pertinents, pour la période du 30 juin 1997 au 31 mars 2005. Mon placement dans l’échelle de rémunération des IM (et pour les fins de la pension de retraite) devrait aussi refléter ces rajustements salariaux.

[…]

23 En lisant cela, une personne raisonnable peut facilement comprendre que le fonctionnaire s’estimant lésé parlait de problèmes de classification et de rémunération, mais ce qu’il a écrit ne lui donnerait pas l’impression qu’il estimait avoir fait l’objet d’une mesure disciplinaire, que ce soit de facto, déguisée ou autre.

24 Le fonctionnaire s’estimant lésé a d’ailleurs concédé dans ses observations qu’il n’avait pas [traduction] « […] précisé la nature de son grief ni attribué des motifs ou un blâme auparavant […] ». Il a plutôt déclaré qu’il [traduction] « avait fini par savoir qu’il devai[t] » préciser l’aspect disciplinaire de son grief. Plus loin, il a écrit : [traduction] « Je n’ai pas précisé la nature de mon grief au cours de la procédure de règlement des griefs, mais je l’ai fait dès que j’ai su que je devais le faire ». Si l’on ajoute à l’affirmation non contestée de l’employeur que l’intéressé n’avait jamais mentionné le thème de la discipline durant la procédure interne de règlement des griefs, j’arrive inévitablement à conclure qu’il n’a introduit ce thème en tant qu’élément précis que bien après la fin de cette procédure interne.

25 Chose certaine, le dossier montre clairement que la discipline n’était même pas un facteur quand le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé son grief à l’arbitrage pour la première fois. En effet, son premier renvoi n’a pas été déposé en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, qui porte sur les mesures disciplinaires, mais plutôt de l’alinéa 209(1)a), qu’on invoque lorsque le grief porte sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. C’est seulement lorsqu’un employé de la Commission l’a informé qu’il ne pouvait pas porter son grief à l’arbitrage en vertu de cet alinéa-là (209(1)a)) sans l’approbation de l’agent négociateur — ni sans être représenté par lui — que le fonctionnaire a de nouveau présenté son renvoi à l’arbitrage en prétendant alors pour la première fois qu’il portait sur une mesure disciplinaire, et ce en se servant non plus d’une Formule 20 (pour les griefs portant sur la convention collective) mais bien d’une Formule 21 (pour les griefs contestant une mesure disciplinaire).

26 Pourquoi le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il changé la description de son grief à une étape si tardive? Comme il l’a déclaré dans la lettre d’accompagnement de sa seconde tentative de renvoi du grief à l’arbitrage [traduction] : « J’espère que l’affaire pourra être entendue maintenant que je me sers de la Formule 21 plutôt que de la Formule 20 ». À partir de là, il n’est pas difficile d’interpréter le changement de formulation de la thèse du fonctionnaire s’estimant lésé entre la première et la seconde de ses tentatives pour le renvoyer à l’arbitrage essentiellement comme une manœuvre pour surmonter un obstacle auquel il ne s’attendait pas en vue de se faire entendre.

27 À mon avis, les circonstances dont je suis saisi sont compatibles avec celles sur lesquelles la Cour s’est prononcée dans Burchill. Comme dans cette affaire-là, le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas réussi à faire changer la décision de l’employeur pour les raisons avancées dans son grief original, jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il a changé la formulation de son grief dans son (second) renvoi à l’arbitrage. Les raisons qu’il a alors invoquées n’avaient pas été mentionnées durant la procédure interne de règlement des griefs.

28 Les arguments qu’il a employés pour établir une distinction entre son cas et celui de Burchill en disant qu’il n’y avait pas eu de [traduction] « véritable préjudice » dans cette affaire-là ne sont pas valables. En l’espèce, il s’agit d’une interprétation de la loi et non de droit des délits. Dans Burchill, le fonctionnaire s’estimant lésé avait fini par être débouté à l’étape du contrôle judiciaire pas parce qu’il ne pouvait pas établir la raison d’être de sa plainte, comme le fonctionnaire s’estimant lésé le prétend ici, mais plutôt parce qu’il n’avait pas fait valoir ses raisons au cours de la procédure interne de règlement des griefs en attendant jusqu’au renvoi à l’arbitrage pour les invoquer, de sorte qu’il n’avait pas satisfait à un critère essentiel de la Loi pour prouver que l’arbitre avait compétence.

29 Cette analyse m’amène à conclure que le renvoi à l’arbitrage qui m’a été soumis correspond effectivement aux paramètres de l’arrêt Burchill.

B. La Commission a-t-elle le pouvoir discrétionnaire d’accepter d’instruire le grief en se fondant sur Burchill, et, si oui, devrait-elle le faire?

30 L’avocate de l’employeur fait valoir que la Loi ne donne pas à un arbitre de grief le pouvoir discrétionnaire d’assumer sa compétence lorsque l’arrêt Burchill s’applique. Comme la situation en l’espèce correspond aux paramètres de Burchill, elle soutient que je dois décliner ma compétence.

31 Le fonctionnaire s’estimant lésé affirme quant à lui qu’une certaine souplesse dans l’application de Burchill est appropriée en raison de l’évolution de la compétence et de l’obligation de traiter tous les fonctionnaires avec justice et équité :

[Traduction]

[…]

[…] des changements fondamentaux du régime de travail dans l’administration fédérale […] reflétés dans la législation […] ont sapé la jurisprudence établie notamment par Burchill et accru la latitude de la Commission.

[…]

Bref, lorsqu’une sanction pécuniaire est imposée — dans l’intention de nuire ou non — la Commission devrait avoir la possibilité d’entendre ce dont il s’agit. Une sanction a une connotation d’inconduite/de mesure disciplinaire. Notre nouveau cadre visant à faire en sorte que tous les fonctionnaires soient traités avec justice et équité donne à la Commission ce droit et cette responsabilité. Le nouveau paradigme législatif lui donne plus de latitude pour veiller à ce qu’on applique correctement et conformément à son esprit la législation à laquelle les fonctionnaires fédéraux sont assujettis.

[…]

32 Je suis convaincu qu’on peut avancer des arguments valables pour justifier une certaine latitude lorsque l’arbitre doit déterminer s’il a compétence dans une affaire où la partie défenderesse invoque Burchill pour faire rejeter un grief. Le pouvoir discrétionnaire de l’arbitre de grief n’est toutefois pas nécessairement aussi grand que le fonctionnaire s’estimant lésé le prétend; il est certainement limité. L’arbitre de grief peut exercer à juste titre un certain pouvoir discrétionnaire ou se prévaloir d’une certaine souplesse, à mon avis, lorsqu’il analyse le libellé d’un grief ou la preuve sur la façon du fonctionnaire s’estimant lésé de faire valoir son point de vue durant la procédure de règlement des griefs, afin de déterminer la nature de ce qu’il avance. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont souvent que peu, voire pas du tout d’expérience en matière de rédaction de griefs. Les termes qu’ils emploient peuvent être imprécis et peuvent aussi ne pas toujours révéler les enjeux à l’entière satisfaction d’un professionnel des relations de travail ou d’une tierce partie spécialisée. La tâche de l’arbitre de grief consiste à interpréter ces termes de même que la preuve contextuelle d’une façon qui respecte l’objectif essentiel de la loi d’assurer un règlement équitable des conflits. En cas d’ambiguïté ou d’imprécision dans le libellé d’un grief, voire d’incertitude quant aux arguments avancés par le fonctionnaire s’estimant lésé durant la procédure de règlement des griefs, il peut être justifié de préférer une interprétation libérale de ses arguments plutôt que d’insister sur une extrême précision, quand cela entraînerait l’arbitre à décider de refuser au fonctionnaire s’estimant lésé l’accès à l’arbitrage par un tiers pour des raisons de compétence. Comme toujours, cela dit, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est fonction des circonstances et de la preuve.

33 La jurisprudence a néanmoins établi l’existence de limites très réelles de ce pouvoir discrétionnaire. Comme dans Shneidman, les tribunaux peuvent fort bien conclure qu’un arbitre de grief a erré s’il interprète trop largement un grief lorsqu’il doit se prononcer sur l’application de Burchill. De toute évidence, si le libellé du grief original et la preuve sur la façon du fonctionnaire s’estimant lésé de faire valoir sa thèse au cours de la procédure de règlement des griefs ne laissent guère de doute qu’un argument avancé ensuite dans un renvoi à l’arbitrage n’avait jamais été soulevé jusque-là, ce pouvoir discrétionnaire disparaît. L’arbitre de grief se doit d’appliquer l’article 209 de la Loi fidèlement, compte tenu des instructions de la Cour dans Burchill.

34 En l’espèce, j’estime que les circonstances ne me permettent pas d’exercer ce pouvoir discrétionnaire. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a jamais déclaré avoir subi une sanction disciplinaire durant la procédure de règlement des griefs. En ses propres termes, il s’agissait alors et il s’agit encore pour lui d’obtenir [traduction] « une rémunération rétroactive appropriée pour services rendus ».

35 Le fonctionnaire s’estimant lésé allègue que la question de compétence a évolué dans un sens qui sape la valeur jurisprudentielle de Burchill. Je ne crois pas que cet argument soit valide. En effet, je le répète, je suis convaincu que l’article 209 de la nouvelle Loi justifie qu’on continue à appliquer Burchill. Je ne souscris pas non plus à l’argument du fonctionnaire s’estimant lésé que la Commission devrait entendre tous les griefs comprenant un élément de perte financière, que l’employeur ait imposé une sanction en ce sens ou pas. Le libellé de l’alinéa 209(1)b) est très précis et son application est obligatoire. Il limite la compétence de l’arbitre de grief aux sanctions pécuniaires résultant d’une mesure disciplinaire. Même s’il n’est pas nécessaire en l’espèce que je me prononce sur la nature de la perte financière que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait subie, il n’existe pas moins de grandes indications prima facie dans les observations écrites qu’il ne s’agissait pas d’une sanction disciplinaire.

36 Je conclus que rien ne me permet d’assumer ma compétence pour instruire le grief, compte tenu de l’arrêt Burchill et j’accueille donc l’objection de l’employeur contestant ma compétence.

37 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV.Ordonnance

38 Le grief est rejeté.

Le 18 janvier 2008.

Traduction de la C.R.T.F.P.

Dan Butler,
arbitre de grief

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