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Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé une plainte de négociation de mauvaise foi - il avait auparavant demandé la formation d’un conseil d’arbitrage, qui avait déjà siégé et rendu sa décision avant l’audition de la plainte - celle-ci visait le fait que l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) n’avait pas déposé d’offre monétaire après dix-huit mois de négociation, faute d’un mandat du Conseil du Trésor - l’agent négociateur a nommé l’Agence ainsi que le Conseil du Trésor comme défendeurs - la Commission a fait droit aux deux objections préliminaires de l’Agence - d’une part, le Conseil du Trésor ne pouvait être partie, n’étant pas employeur au sens de la Loi - d’autre part, la demande d’arbitrage de différend, dont le préalable est la négociation de bonne foi entre les parties, est incompatible avec le dépôt postérieur d’une plainte pour défaut de négocier de bonne foi. Objections accueillies. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-07-04
  • Dossier:  561-32-100
  • Référence:  2008 CRTFP 50

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignant

et

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

défenderesse

Répertorié
Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour le plaignant:
Sean T. McGee, avocat

Pour la défenderesse:
Neil McGraw, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario)
les 10 et 11 juin 2008.

I. Plainte devant la Commission

1 Le 15 janvier 2007, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « plaignant ») a déposé auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, (la « Loi ») contre l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« ACIA ») et le Conseil du Trésor (les défendeurs). Le plaignant allègue que les défendeurs ont contrevenu à l’article 106 de la Loi et ont manqué à leur obligation de négocier de bonne foi.

2 La plainte porte sur les négociations visant le renouvellement de la convention collective des employés du groupe informatique (IN) travaillant à l’ACIA et pour lequel le plaignant est accrédité en vertu de la Loi. La convention collective dont il est ici question expirait le 31 mai 2005.

3 Le 12 avril 2005, le plaignant a signifié l’avis de négocier à l’ACIA, ce qui marquait le début des négociations. Après plusieurs rencontres de négociation en 2005 et en 2006, l’ACIA a informé le plaignant qu’elle n’était pas en mesure de déposer les éléments économiques ou salariaux de sa position car elle n’avait par encore obtenu le mandat du Conseil du Trésor à cet effet. Confronté à cette situation, le plaignant a déposé la présente plainte.

4 Avant le dépôt de la plainte, le plaignant a renvoyé le différend à l’arbitrage. L’arbitrage a eu lieu les 31 janvier et 1er février 2007. La décision du conseil d’arbitrage a été rendue le 14 février 2007.

5 Les défendeurs ont soumis deux objections préliminaires à l’encontre de la plainte. La première objection demande d’exclure le Conseil du Trésor comme défendeur et partie à la plainte car il n’est pas l’employeur, l’ACIA étant un employeur distinct au sens de la Loi. La seconde objection demande à la Commission de rejeter la plainte car elle est irrecevable compte tenu qu’elle est devenue purement académique parce que le conseil d’arbitrage a rendu une décision le 14 février 2007. Qui plus est, la plainte est irrecevable en raison de la demande du plaignant d’établir un conseil d’arbitrage et de la décision du président de la Commission d’accepter la formation du conseil.

6 Pour des raisons pratiques, une décision orale a été rendue relativement à la première objection des défendeurs lors de l’audience. J’ai décidé d’exclure le Conseil du Trésor comme partie. J’ai réservé ma décision sur la seconde objection et j’ai entendu l’affaire sur le fond.

II. Résumé de la preuve

7 Après l’envoi de l’avis de négocier le 12 avril 2005, les parties se sont rencontrées à plusieurs reprises en vue de conclure une nouvelle convention collective. Les premières rencontres visaient avant tout la négociation des clauses non salariales.

8 Le 26 mars 2006, le plaignant a déposé ses demandes salariales. Lors du dépôt, le porte-parole de l’ACIA a dit qu’il n’était pas en mesure de faire une contre-offre. Dans les semaines qui suivirent, il n’y eut aucune rencontre de négociation, mais les communications entre les porte-parole des parties furent fréquentes. On attendait que l’ACIA soit en mesure de faire une offre salariale.

9 Le 22 août 2006, les parties se sont de nouveau rencontrées. Le porte-parole de l’ACIA a annoncé aux représentants du plaignant qu’il n’était pas en mesure de leur présenter une offre salariale car il n’avait pas encore reçu l’autorité du Conseil du Trésor de faire une telle offre. Comme après la rencontre du 26 mars 2006, il n’y a eu aucune rencontre de négociation dans les semaines qui suivirent, mais les communications entre les parties furent fréquentes.

10 Pendant la période de négociation, l’ACIA a tenté à plusieurs reprises d’obtenir un mandat pour négocier les salaires. Ainsi, le 16 juin 2006, puis le 6 novembre 2006, l’ACIA a écrit au secrétaire adjoint du Conseil du Trésor pour obtenir le mandat recherché. Aucun mandat n’a alors été donné. Le 21 décembre 2006, l’ACIA a envoyé une nouvelle lettre, cette fois au secrétaire du Conseil du Trésor, pour demander un mandat. Cette dernière démarche s’est avérée fructueuse et le mandat a été reçu le 11 ou le 12 janvier 2007.

11 L’ACIA a dès lors communiqué avec le plaignant et une rencontre de négociation a eu lieu le 17 janvier 2007. Lors de cette rencontre, l’ACIA a déposé son offre salariale conformément au mandat reçu.

12 Le 12 septembre 2006, le plaignant avait déposé une demande à la Commission pour qu’un conseil d’arbitrage soit formé afin de trancher les enjeux de négociation non réglés. Le 5 décembre 2006, la Commission a rendu une décision dans laquelle elle établissait le mandat du conseil d’arbitrage. Ce dernier a rendu sa décision le 14 février 2007.

III. Première objection

A. Résumé de l’argumentation

13 L’argumentation des défendeurs est relativement simple. Le devoir de négocier de bonne foi et l’obligation de faire des efforts raisonnables pour conclure une convention collective selon l’article 106 de la Loi incombent à l’employeur. L’article 2 de la Loi est très clair pour ce qui est de la définition de l’employeur. Le Conseil du Trésor est l’employeur dans les cas des ministères figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R. 1985, ch. F-11 (la « LGFP ») et des secteurs de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette loi. Pour les secteurs de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe V de cette même loi, l’organisme distinct est l’employeur. Or, l’ACIA est un des organismes dont le nom figure à l’annexe V. Il est donc l’employeur au sens de la Loi.

14 Selon les défendeurs, la plainte déposée en vertu de l’alinéa 190(1)b) de la Loi ne peut viser le Conseil du Trésor car il n’est pas l’employeur. Elle ne peut être adressée qu’à l’encontre de l’ACIA car elle est l’employeur au sens de la Loi.

15 Le plaignant allègue que le Conseil du Trésor, par le fait qu’il n’ait pas donné de mandat salarial à l’ACIA, l’a empêchée de négocier de bonne foi. L’ACIA aurait bien voulu faire une offre salariale au plaignant, mais elle ne pouvait le faire, faute de mandat du Conseil du Trésor.

16 Selon le plaignant, l’ACIA ne se sentait pas libre de négocier. Même si on avait ordonné à l’ACIA de négocier, elle n’aurait pu le faire. L’ACIA doit obtenir son mandat du Conseil du Trésor et tant que ce dernier ne donne pas l’autorité, il ne peut y avoir d’offre salariale sur la table.

17 Le Conseil du Trésor doit donc être visé par l’ordonnance de la Commission. Pour appliquer la Loi, il faut avoir la capacité de rendre une ordonnance contre quiconque est coupable d’une infraction à la Loi.

B. Motifs

18 La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)b) de la Loi qui mentionne l’article 106. Ces deux dispositions se lisent comme suit :

      190.(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[...]

b) l’employeur ou l’agent négociateur a contrevenu à l’article 106 (obligation de négocier de bonne foi);

      106.Une fois l’avis de négociation collective donné, l’agent négociateur et l’employeur doivent sans retard et, en tout état de cause, dans les vingt jours qui suivent ou dans le délai éventuellement convenu par les parties :

a) se rencontrer et entamer des négociations collectives de bonne foi ou charger leurs représentants autorisés de le faire en leur nom;

b) faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective.

19 Pour disposer de l’objection soulevée par les défendeurs, il me faut tout d’abord établir, à partir des lois qui s’appliquent, qui est l’employeur dans la présente affaire. Le paragraphe 2(1) de la Loi définit qui est l’employeur :

«employeur » Sa Majesté du chef du Canada, représentée :

a) par le Conseil du Trésor, dans le cas d’un ministère figurant à l’annexe I de la Loi sur la gestion des finances publiques ou d’un autre secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe IV de cette loi;

b) par l’organisme distinct en cause, dans le cas d’un secteur de l’administration publique fédérale figurant à l’annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques.

20 La Loi sur l’Agence canadienne d’inspection des aliments, L.C. 1997, ch. 6, (la « LACIA ») sous la section traitant de la gestion des ressources humaines, au paragraphe 13(2), spécifie ce qui suit :

13. (2) Le président fixe les conditions d’emploi des employés de l’Agence et leur assigne leurs fonctions.

21 La LGFP, aux alinéas 7(1)e) et 11.1(1)c) établit les pouvoirs du Conseil du Trésor en matière de gestion des ressources humaines. L’alinéa 11.1(2)a) en précise les limites. Ces dispositions se lisent comme suit :

      7. (1) Le Conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada à l’égard des questions suivantes:

[...]

e) la gestion des ressources humaines de l’administration publique fédérale, notamment la détermination des conditions d’emploi;

[...]

      11.1(1) Le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines que lui confère l’alinéa 7(1)e) :

[...]

c) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique, leurs horaires et leurs congés, ainsi que les questions connexes;

[...]

(2) Le Conseil du Trésor ne peut :

a) exercer ses pouvoirs à l’égard des questions visées au paragraphe (1) si celles-ci sont expressément régies par une autre loi et non par simple attribution de pouvoirs à une autorité ou à une personne déterminée;

22 Ces dispositions législatives ne laissent aucun doute que dans le présent cas, le Conseil du Trésor n’est pas l’employeur. L’ACIA est un employeur distinct dont le nom figure à l’annexe V de la LGFP. Le paragraphe 13(2) de la LACIA vient confirmer que l’ACIA est l’employeur. Enfin, les paragraphes (1) et (2) de l’article 11.1 de la LGFP limitent les pouvoirs du Conseil du Trésor de sorte que ce dernier ne peut exercer les pouvoirs de l’employeur dans un tel cas.

23 Même si les arguments du plaignant sont particulièrement intéressants, la Commission ne peut entendre une plainte visant une tierce partie, en l’occurrence ici le Conseil du Trésor. J’accepte donc la première objection formulée par les défendeurs à l’effet d’exclure le Conseil du Trésor comme défendeur.

24 Le régime de relations de travail des employeurs distincts énumérés à l’annexe V de la LGFP est ainsi fait. Les agents négociateurs dûment accrédités par la Commission négocient avec des employeurs qui ne peuvent d’eux-mêmes décider des offres salariales. Les employeurs doivent tout d’abord obtenir l’autorisation du Conseil du Trésor. Par contre, le Conseil du Trésor ne fait pas partie du processus de négociation prévu à la Loi. Dans les faits, l’agent négociateur est donc en quelque sorte réduit à négocier l’augmentation de la masse salariale avec une « tierce partie » qui, selon la Loi, est l’employeur, le véritable décideur n’étant pas présent à la table de négociations.

25 Il s’agit là d’un régime de relations de travail pour le moins particulier. Mon pouvoir ne me permet pas de remettre en question l’efficacité d’un tel régime mais plutôt de m’assurer du respect de son cadre juridique. Selon ce cadre, dans la présente affaire, il ne fait de doute que l’employeur est l’ACIA. Dans le reste de la décision, j’utiliserai donc le terme la « défenderesse » pour renvoyer à l’ACIA.

IV. Deuxième objection

A. Résumé de l’argumentation

26 La défenderesse rappelle que les articles 135 à 159 de la section 9 de la Loi ont trait à l’arbitrage des différends résultant de la négociation des conventions collectives. L’article 135 en prescrit l’application. Selon l’alinéa 135b), les articles de la section 9 de la Loi ne s’appliquent que si les parties ont négocié de bonne foi en vue de conclure une convention collective.

27 Selon la défenderesse, on ne peut demander la formation d’un conseil d’arbitrage, nommer un conseil d’arbitrage ou entendre les parties en arbitrage si les parties n’ont pas négocié de bonne foi. Or, le plaignant a demandé en septembre 2006 qu’un conseil d’arbitrage soit formé. Puis, la Commission a autorisé la formation du conseil d’arbitrage et ce dernier a rendu sa décision.

28 La défenderesse allègue que le plaignant ne peut à la fois se prévaloir du processus d’arbitrage des différends prévu à la Loi et déposer une plainte de négociation de mauvaise foi. En se prévalant du processus d’arbitrage des différends, le plaignant a laissé entendre qu’il y avait eu négociation de bonne foi.

29 La défenderesse allègue aussi que la question est maintenant purement académique compte tenu qu’une décision arbitrale a été rendue le 14 février 2007 et qu’une nouvelle convention collective a été signée subséquemment.

30 Le plaignant admet que la plainte a été déposée après la demande d’arbitrage. Il constate par contre qu’il n’a reçu de la défenderesse une offre salariale que deux jours après le dépôt de la plainte.

31 Selon le plaignant, si l’argumentation de l’employeur était exacte, cela voudrait dire que le conseil d’arbitrage, qui a siégé les 31 janvier et 1er février 2007, n’avait pas le droit de rendre son ordonnance.

32 Le plaignant allègue que, sur la base de l’argument de la défenderesse, il n’y aurait jamais d’ordonnance eu égard à la négociation de mauvaise foi sauf si le syndicat décidait de tout mettre sur la glace jusqu’à ce que la Commission tranche la plainte. Une telle façon de procéder serait contraire aux intérêts de la communauté des relations de travail en allongeant le processus menant à la conclusion d’un accord et en encourageant le désaccord entre les parties et l’absence de conventions collectives.

33 Selon le plaignant, l’argumentation de la défenderesse mène à conclure que cette dernière peut refuser de négocier pour de longues périodes pour ensuite déposer une offre après qu’une plainte ait été déposée pour ainsi arrêter la Commission de sorte qu’elle ne puisse trancher la question. On ne devrait jamais donner à un employeur la capacité de dire qu’en autant qu’une offre soit faite, personne ne pourra déclarer subséquemment qu’il a négocié de mauvaise foi.

34 Selon le plaignant, la question soulevée dans la plainte est toujours vivante et non seulement académique. Les négociations entre les parties se répèteront et les parties se retrouveront en situation de négociation dans le futur. Si on rejette la plainte sur les bases de l’objection, la défenderesse pourra dans le futur continuer à se traîner les pieds, dire qu’il n’a pas de mandat et déposer une offre à la dernière minute.

35 D’un point de vue pratique, selon le plaignant, le but d’une négociation n’est pas d’aller en grève ou de demander à un tiers de faire le ménage mais plutôt d’en arriver à un règlement. La Loi a d’ailleurs été rédigée en ce sens. On ne peut évidemment arriver à une entente sans obtenir la position salariale d’une des parties.

36 Le plaignant demande donc que l’objection de la défenderesse soit rejetée. Le fait d’accepter la position de la défenderesse aurait comme effet que si une partie négocie de mauvaise foi, cela empêcherait la formation d’un conseil d’arbitrage. Ainsi, une partie pourrait refuser de négocier puis s’opposer à la formation du conseil d’arbitrage. Il n’y aurait aucune façon d’accéder au renouvellement d’une convention collective.

B. Motifs

37 La section 9 de la Loi débute par l’article 135 qui se lit comme suit :

      135. La présente section s’applique à l’employeur et à l’agent négociateur représentant une unité de négociation dans le cas où :

a) d’une part, le mode de règlement des différends applicable à l’unité de négociation est le renvoi à l’arbitrage;

b) d’autre part, les parties ont négocié de bonne foi en vue de conclure une convention collective, mais n’ont pu s’entendre sur une condition d’emploi qui peut figurer dans une décision arbitrale.

38 À partir de mars 2006, le plaignant, après le dépôt de son offre salariale, s’attendait à ce que la défenderesse lui fasse une offre salariale. L’été a passé, puis l’année s’est achevée, et l’offre de la défenderesse a été faite le 17 janvier 2007. La défenderesse ne pouvait faire cette offre avant cette date car elle n’avait pas de mandat du Conseil du Trésor.

39 Entre-temps, le plaignant a opté pour deux recours en même temps : d’une part, il a demandé le 12 septembre 2006 la formation d’un conseil d’arbitrage et d’autre part, il a déposé la présente plainte le 15 janvier 2007.

40 La Loi est conçue de sorte qu’il doit y avoir négociation de bonne foi avant qu’un conseil d’arbitrage soit formé. En demandant l’arbitrage le 12 septembre 2006, le plaignant admettait implicitement qu’il y avait eu négociation de bonne foi, sans quoi l’article 135 de la Loi l’empêchait de soumettre sa demande. Plus tard, le président intérimaire de la Commission définissait, dans une décision rendue le 5 décembre 2006, le mandat du conseil d’arbitrage. En agissant ainsi, il acceptait implicitement qu’il y avait eu négociation de bonne foi entre les parties. Enfin, le même raisonnement s’applique au conseil d’arbitrage lorsqu’il a siégé les 31 janvier et 1er février 2007 et qu’il a rendu sa décision le 14 février 2006.

41 Les deux recours sont effectivement contradictoires. Si le plaignant avait procédé en sens inverse, c’est-à-dire en déposant d’abord une plainte de négociation de mauvaise foi, la demande d’arbitrage aurait été automatiquement irrecevable – le président n’aurait pu en bonne conscience établir le conseil d’arbitrage.

42 Comme le démontre la décision Institut professionnel de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor,dossier de la CRTFP 185-02-280 (19841203), prise sous l’ancienne Loi des relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, le conseil d’arbitrage est censé être utilisé en dernier ressort, une fois épuisées les possibilités de négocier. Il ne peut servir de mécanisme pour résoudre l’obstruction. Dans cette affaire, le Conseil du Trésor avait demandé la formation d’un conseil d’arbitrage; l’Institut s’était objecté, et avait soutenu que le Conseil du Trésor n’avait pas négocié de bonne foi. Sans se prononcer sur la bonne ou mauvaise foi de l’une ou l’autre partie, la Commission a refusé de constituer le conseil d’arbitrage, parce que les parties n’avaient pas suffisamment négocié, et que par conséquent, la première condition de négociation de bonne foi, que l’on trouve maintenant à l’article 135, n’était pas remplie. Il vaut la peine de citer le passage suivant de cette décision, particulièrement apte pour la présente situation :

17. La Commission estime qu'il n'y a aucun doute que l'ensemble des dispositions relatives aux négociations et aux demandes d'arbitrage prévoient que les négociations menées par les parties doivent aboutir à l'impasse sur toutes les questions négociables soulevées par elles, avant qu'une demande d'arbitrage en bonne et due forme puisse être faite. Les trois principales dispositions concernant cette question sont l'article 50 et les paragraphes 63(1) et 70(3) [maintenant 106, 136(1) and 150(2) respectivement : obligation de négocier de bonne foi, possibilité de demander l’arbitrage, exclusion de l’arbitrage des conditions d’emploi qui n’ont pas fait l’objet de négociations entre les parties].

[...]

Ces dispositions montrent amplement que les parties sont censées régler elles-mêmes leurs différends et doivent avoir recours à la Commission seulement en dernier ressort, c'est-à-dire si, en dépit de leurs efforts, elles n'ont pu en arriver à la signature d'une convention collective. Les frustrations éprouvées par l'une des deux parties à la suite de ce qu'elle considère comme une obstruction de la part de l'autre ne suffisent pas pour justifier une demande d'arbitrage. Le recours approprié dans ce cas consiste à se plaindre à la Commission d'un refus de négocier de bonne foi ou, ce qui est peut-être une façon plus constructive de procéder, à tenter d'obtenir les services d'un médiateur.

43 Dans la présente affaire, il n’y a pas eu contestation de la demande d’arbitrage, et le président a donc procédé à l’établissement du conseil d’arbitrage, comme le prévoit la Loi.

44 Comme je l’indique plus haut, j’ai entendu l’affaire sur le fond. Ayant renoncé à prendre compétence, je ne peux émettre de déclaration. Toutefois, si la plainte avait été logée en l’absence d’une demande d’arbitrage, j’aurais pu conclure que l’employeur aurait tardé indûment à présenter l’offre salariale. La situation curieuse où l’employeur ne peut répondre à la demande salariale faute de mandat donne lieu à une situation où l’on pourrait conclure à la mauvaise foi. Je cite un passage du paragraphe 21 de la décision mentionnée plus haut, qui souligne l’importance pour les négociateurs d’avoir un mandat clair :

[…]

Elle [la Commission] se préoccupe aussi du fait que l'employeur n'a pas confié un mandat clair à son négociateur, tant du point de vue de la négociation commune que de celui des négociations salariales. Elle se rallie à l'opinion (exprimée dans l'ouvrage d'Edwards intitulé The Emerging Duty to Bargain in the Public Sector (1973), 71 Michigan Law Review 885, à la page 904) selon laquelle  [TRADUCTION] « la présence, de chaque côté de la table, de représentants qui ont le pouvoir de faire des propositions en bonne et due forme constitue un élément de la négociation de bonne foi ».

[…]

45 L’article 106 de la Loi oblige les parties à négocier de bonne foi et à faire tout effort raisonnable pour en arriver à une convention. Si une des parties est d’avis que l’autre ne se conforme pas à cet article de la Loi, elle peut se plaindre en vertu de l’alinéa 190(1)b). Quand la Commission reçoit une telle plainte, elle peut se rendre disponible pour entendre la plainte rapidement. Puis, elle peut rendre une ordonnance qui devrait avoir comme effet de relancer les négociations.

46 Dans la présente affaire, le plaignant a attendu au 15 janvier 2007 pour déposer sa plainte. Il était alors trop tard car il avait demandé l’arbitrage quatre mois plus tôt. Dès juin 2006, lorsqu’il a été confronté avec le fait que l’employeur n’était pas en mesure de présenter des offres salariales, une plainte aurait pu être déposée.

47 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

48 La première objection préliminaire est accueillie.

49 La deuxième objection préliminaire est accueillie.

50 La plainte est rejetée.

Le 4 juillet 2008.

Renaud Paquet,
commissaire

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