Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée était une employée à temps partiel - elle a présenté un grief pour contester l'omission de son employeur de lui accorder une augmentation d'échelon salarial au cours des trois années précédentes - il y a eu d'autres omissions de ce genre après le dépôt du grief - lors de l'audience, l'employeur a soulevé une objection concernant le non-respect du délai de présentation d'un grief - la convention collective prévoit un délai de 25 jours pour la présentation d'un grief - l'arbitre de grief a statué que le grief était de nature continue et a accueilli l'objection en ce qui concernait les omissions qui dataient d'avant la limite de 25 jours - l'arbitre de grief a statué qu'il n'y avait pas eu d'autres omissions durant la période de 25 jours - finalement, l'arbitre de grief a statué qu'il était valablement saisi des omissions qui étaient survenues après le dépôt du grief - il a ordonné la reprise de l'audience. Objection accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-05-16
  • Dossier:  566-02-798
  • Référence:  2008 CRTFP 34

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SHAUNA K. BAKER

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Baker c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John Steeves, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour l'employeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique),
le 11 mars 2008.
(Traduction de la CRTFP)

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Cette décision porte sur la question de savoir si j’ai la compétence pour examiner le grief de Shauna K. Baker (la « fonctionnaire s’estimant lésée »). Je ne me prononce pas sur le fond du grief.

2 Les événements ayant donné lieu à ce grief, selon la fonctionnaire s’estimant lésée, se sont produits en octobre 2003 et se sont poursuivis à divers moments depuis, à la suite de la présumée omission de l’employeur d’augmenter l’échelon de rémunération, conformément à ce que prévoit la convention collective. Ce grief a été déposé en octobre 2006 et, selon le témoignage produit par la fonctionnaire s’estimant lésée, elle a eu connaissance des faits sur lesquels repose le présent grief en mai 2006.

3 La convention collective applicable (la « convention collective ») a été signée par le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et le Union of Canadian Correctional Officers –Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur ») pour l’unité de négociation du groupe Services correctionnels (l’« unité de négociation »).

Résumé de l’argumentation

4 L’employeur soulève une objection préliminaire quant à ma compétence à trancher ce grief. Il convient qu’il y a eu un manquement « technique » à la convention collective pendant une période ayant précédé le grief d’octobre 2006. Il convient aussi que la période d’augmentation d’échelon de rémunération se produit tous les 12 mois. Cependant, l’employeur soutient que le grief revêt un caractère continu et que la fonctionnaire s’estimant lésée n’a donc pas droit à un redressement pour les périodes antérieures aux 25 jours ayant précédé la présentation de son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs individuels. Puisqu’il n’y a pas eu violation de la convention collective durant cette période, le grief devrait être rejeté. En outre, puisqu’il s’agit d’un grief continu, il ne peut y avoir de renonciation de l’employeur, ainsi que l’a allégué l’agent négociateur. L’employeur demande à ce que le grief soit rejeté sur un fondement préliminaire.

5 L’agent négociateur, qui représente la fonctionnaire s’estimant lésée, s’oppose à l’objection préliminaire de l’employeur. Il soutient qu’il ne s’agit pas d’un grief de nature continue et, de plus, qu’une renonciation s’applique à l’encontre de l’employeur du fait qu’il n’a pas présenté à temps son objection au grief. Il en résulte, d’après l’agent négociateur, que le redressement disponible (si le grief est accueilli sur le fond) remonte à octobre 2002. L’agent négociateur n’est pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle le recours se limite aux 25 jours ayant précédé la présentation du grief de la fonctionnaire s’estimant lésée au premier palier de la procédure de règlement des griefs individuels. L’agent négociateur me demande de rejeter l’objection préliminaire de l’employeur de manière que le grief puisse être tranché sur le fond.

Résumé de la preuve

6 L’employeur fournit des services correctionnels à l’échelle du Canada, y compris dans la région du Pacifique. La fonctionnaire s’estimant lésée est une employée du Service correctionnel du Canada; elle occupe, depuis le 21 octobre 2002, un poste d’agente correctionnelle dans la région du Pacifique, à Abbotsford (Colombie-Britannique).

7 Lors de son embauche, on a dit à la fonctionnaire s’estimant lésée qu’elle serait employée à temps plein. Cependant, après avoir obtenu son diplôme collégial, on lui a dit, à elle ainsi qu’à d’autres diplômés, qu’il n’y avait pas d’emploi à temps plein de disponible en raison d’un manque de financement. Par la suite, l’employeur a offert à la fonctionnaire s’estimant lésée un emploi à temps partiel de 16 heures par semaine, emploi qu’elle a accepté.

8 En août 2005, un arbitre de grief de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a rendu une décision voulant que le paiement des augmentations d’échelon de rémunération des employés à temps partiel du Service correctionnel du Canada devaient se produire après 12 mois : Broekaert et autres c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 90. D’après un « bulletin d’information » de l’agent négociateur, quelque 1 447 employés à temps partiel étaient visés par cette décision, la « grande majorité » étant touchés de façon positive par un paiement en argent qui leur serait fait.

9 La version de ce bulletin déposée en preuve n’est pas datée. Dans son témoignage, la fonctionnaire s’estimant lésée a indiqué qu’elle avait d’abord pensé que le bulletin avait été publié en mai 2006. Toutefois, lorsqu’on lui a fait valoir, lors de son contre-interrogatoire, que la décision dans Broekaert et autres avait été rendue en août 2005, elle a déclaré qu’elle n’en était « pas sûre ». Ultérieurement, dans sa preuve, la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré qu’elle était au courant des griefs « Broekaert » lorsque le bulletin est sorti et a de nouveau témoigné qu’elle pensait que le bulletin avait été publié en mai 2006. Elle a également convenu du fait qu’elle avait attendu de prendre connaissance de ce bulletin avant de déposer son grief.

10 L’agent négociateur a publié un second bulletin annonçant un protocole d’entente relatif aux griefs visés par Broekaert et autres. Ce deuxième document, daté du 20 août 2006, fait état de paiements forfaitaires de 7 500 $ à plus de 1 000 employés occasionnels. Il invite aussi les employés faisant partie de l’unité de négociation répondant aux conditions énoncées dans le protocole d’entente et n’ayant pas été avisés que leur nom figurait sur la liste des employés admissibles à communiquer avec leur employeur.

11 Le 29 août 2006, la fonctionnaire s’estimant lésée a envoyé un courriel à la Direction des relations de travail de l’employeur, en utilisant une adresse fournie par l’agent négociateur. La fonctionnaire s’estimant lésée y fournissait des renseignements tirés de ses fiches de paie et demandait : [traduction] « Pourriez-vous m’ajouter sur la liste des personnes qui obtiendront un règlement de leurs augmentations d’échelon, puisque j’étais une employée occasionnelle? ». Dans une réponse datée du 30 août 2006, un représentant de la Direction des relations de travail lui a indiqué que le règlement s’appliquait aux employés occasionnels et qu’elle n’y était pas admissible du fait qu’elle était une employée à temps partiel. Au cours de l’audition de ce grief, l’employeur a indiqué qu’il convenait que le protocole d’entente découlant de la décision Broekaert et autres s’appliquait aux employés occasionnels aussi bien qu’aux employés à temps partiel. Il est donc entendu que les effets de cette décision s’appliquent à la fonctionnaire s’estimant lésée.

12 Il ne fait pas de doute que la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé son grief le 24 octobre 2006, à la suite de l’échange de courriels d’août 2006 avec l’employeur dont il est question au précédent paragraphe et du courriel qu’elle a envoyé à l’agent négociateur le 1er septembre 2006.

13 Dans son témoignage, la fonctionnaire s’estimant lésée a fourni des renseignements au sujet de ses augmentations d’échelon de rémunération depuis sa date d’embauche, en octobre 2002. D’après ses calculs, elle devrait recevoir une somme supplémentaire totale de 2 500,38 $, en vertu du protocole d’entente conclu à la suite de la décision Broekaert et autres. Elle s’est fiée à des augmentations sur cinq périodes, soit du 21 octobre 2003 au 6 janvier 2004, du 21 octobre 2004 au 6 janvier 2005, du 21 octobre 2005 au 6 janvier 2006, du 21 octobre 2006 au 6 janvier 2007 et du 21 octobre 2007 au 6 janvier 2008. Je rappelle que je me prononce sur la question du respect des délais et non sur celle de savoir si la fonctionnaire s’estimant lésée a droit au paiement de ces augmentations.

Motifs

14 Un point de départ utile consisterait à déterminer si le grief, dans le cas qui nous occupe, est un grief de nature continue et, le cas échéant, quel effet cela aurait. L’employeur soutient que le grief dont je suis saisi revêt un caractère continu, tandis que l’agent négociateur en disconvient.

15 On reconnaît généralement, dans la jurisprudence arbitrale, que les griefs continus sont ceux qui allèguent des manquements répétitifs à la convention collective plutôt que d’une violation unique ou isolée. Le critère appliqué par les arbitres consiste à déterminer s’il y a eu manquement périodique à une obligation et non seulement des dommages répétitifs. L’importance de qualifier un grief de continu se rapporte au recours possible. Le défaut de déposer un grief continu dans les délais prescrits (comme ceux qui sont fixés dans une convention collective) ne rendra pas pour autant le grief inarbitrable. Toutefois, le redressement disponible dans le cadre d’un grief de nature continue peut se limiter à la période précisée dans la convention collective (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition (février 2008), au paragraphe 2:3128).

16 En l’espèce, la stipulation 20.10 de la convention collective fixe comme suit le délai initial pour présenter un grief :

20.10   Au premier (1er) palier de la procédure, l’employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 20.05, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

17 De façon générale, la jurisprudence relative à la stipulation 20.10 reprend la thèse décrite par Brown et Beatty. Dans Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (C.A.F.) (QL), la Cour d’appel fédérale a annulé la décision d’un arbitre de grief au motif suivant (au moment de Coallier, le délai prescrit dans la convention collective était de 20 jours) :

[…]

Nous sommes d’opinion que ce délai de 20 jours a commencé à courir au moment où l’intimé a pris connaissance des faits ayant donné naissance à son grief; contrairement à ce qu’a décidé l’arbitre et soutenu l’avocat de l’intimé, il n’a pas commencé à courir seulement le jour où l’intimé a été informé de l’illégalité des agissements de l’employeur

[…]

Par ce raisonnement, la Cour a statué, dans Coallier, que l’employé n’avait droit à un redressement que pendant les 20 jours (aujourd’hui 25) ayant précédé le grief.

18 Bien que le jugement rendu dans Coallier ne qualifie pas expressément le grief de continu, je note que, dans des décisions ultérieures, on a appliqué cette règle générale à des griefs continus (p. ex., dans Black c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2007 CRTFP 72). Je note aussi que, dans la décision Macri c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), dossier de la CRTFP 166-02-15319 (19871016) (confirmée par Canada (Conseil du Trésor) c. Macri,[1988] A.C.F. no 581 (C.A.F.) (QL), on n’a pas suivi la règle générale énoncée dans Coallier, et ce, au motif qu’une limitation stricte de 20 jours pour obtenir un redressement inciterait un employeur à retarder la procédure de règlement du grief. Je conviens qu’il y avait là des préoccupations en matière de politique, mais rien n’indique que cela soit le cas dans l’affaire qui nous occupe.

19 En résumé, lorsqu’il y a grief continu en vertu de la convention collective, il ne peut pas y avoir de problème de respect des délais par suite du dépôt tardif du grief. Toutefois, tout redressement sollicité eu égard à ce grief se limite à la période de 25 jours précédant la présentation du grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs individuels. Je conviens avec l’agent négociateur que cette approche décidément technique ne devrait pas être appliquée à l’extrême. Par exemple, des situations où il y a renonciation, préclusion ou d’autres considérations équitables peuvent nécessiter que l’on dévie de cette approche (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 161-02-703 (19931220) et St. Raphael’s Nursing Home Ltd. v. London and District Service Workers’ Union, Local 220 (1985), 18 L.A.C. (3e) 430).

20 Si l’on revient aux faits de l’espèce, le grief allègue des violations de la convention collective à cinq reprises, entre 2003 et 2008. Cette situation ne donne pas lieu à des dommages répétitifs, de sorte que le grief en instance est un grief continu. L’agent négociateur soutient qu’il y a eu renonciation du fait que, à son sens, l’employeur a tardé à s’objecter au grief. Toutefois, je ne considère pas que la preuve corrobore cette conclusion et je ne vois pas d’autres raisons de m’écarter de la règle générale susmentionnée s’appliquant aux griefs continus. Je note que l’agent négociateur n’a pas qualifié son objectif compte tenu de l’article 95 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79) et de la décision rendue dans McWilliams et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58.

21 Le grief a été déposé le 24 octobre 2006. Selon son témoignage, la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pris conscience du défaut de l’employeur d’augmenter ses échelons de rémunération qu’après avoir pris connaissance du premier « bulletin d’information » de l’agent négociateur, en mai 2006. Le fait d’avoir connaissance d’actions ou de circonstances donnant lieu au grief fait partie du critère de la stipulation 20.10 de la convention collective que l’on prend en considération pour déterminer à quel moment le délai de 25 jours commence à s’écouler. Cette dimension est également relevée dans Coallier.

22 La fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas fourni un jour précis en mai 2006. En lui accordant le bénéfice du doute et en présumant que c’était début mai 2006, le délai au cours duquel la fonctionnaire s’estimant lésée avait droit à un recours a commencé à courir à la mi-avril 2006, ou peut-être au début de ce mois. Comme l’indiquent les relevés de paie de la fonctionnaire s’estimant lésée, rien n’indique que, durant cette période, l’employeur ait omis de verser une augmentation d’échelon, de sorte qu’il n’y a pas de preuve de violation de la convention collective au cours de la période d’avril à mai 2006.

23 À la lumière de la jurisprudence portant sur les griefs continus, je ne suis pas sûr que la demande de l’employeur soit qualifiée à juste titre de demande portant sur la compétence. Comme je l’ai mentionné plus haut, un grief continu demeure arbitrable même s’il a été déposé tardivement, mais le recours offert ne se limite qu’à la période prescrite dans la convention collective pour le dépôt de griefs (25 jours en l’espèce). Toujours est-il que le résultat reste le même : la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas accès à un redressement pendant la période applicable de 25 jours. Je fais cette déclaration et je rejette le grief portant sur l’augmentation d’échelon de rémunération pour les périodes du 21 octobre 2003 au 6 janvier 2004, du 21 octobre 2004 au 6 janvier 2005 et du 21 octobre 2005 au 6 janvier 2006.

24 Il y a aussi les augmentations subséquentes d’échelon de rémunération pour les périodes du 21 octobre 2006 au 6 janvier 2007 et du 21 octobre 2007 au 6 janvier 2008. La preuve n’indique pas clairement si ces augmentations ont été accordées ou si elles font aussi partie du présent grief. Si l’on présume que ces questions font litige et que les augmentations n’ont pas été versées et en présumant que le paiement de ces augmentations d’échelon aurait été fait pendant ou après la période de 25 jours susmentionnée, tout différend auquel donneraient lieu ces augmentations d’échelon de rémunération sera examiné sur le fond dans le cadre d’une nouvelle audience.

25 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

26 L’objection préliminaire de l’employeur est accueillie en partie.

27 Je déclare que la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas accès à un recours pendant la période de 25 jours précédant le dépôt de son grief au premier palier de la procédure de règlement de griefs individuels et je rejette le grief portant sur les augmentations d’échelon de rémunération pour les périodes du 21 octobre 2003 au 6 janvier 2004, du 21 octobre 2004 au 6 janvier 2005 et du 21 octobre 2005 au 6 janvier 2006.

28 Je suis saisi à bon droit de toute question découlant des augmentations subséquentes d’échelon de rémunération pour les périodes du 21 octobre 2006 au 6 janvier 2007 et du 21 octobre 2007 au 6 janvier 2008, selon le cas. Le greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique communiquera avec les parties pour prendre les arrangements nécessaires à une poursuite de l’audience.

Le 16 mai 2008.

Traduction de la CRTFP

John Steeves,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.