Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a réglé son différend avec son employeur - la fonctionnaire s’estimant lésée a fait valoir que l’employeur n’avait pas respecté l’une des modalités du règlement - la fonctionnaire s’estimant lésée a voulu renvoyer encore une fois le grief à l’arbitrage - la fonctionnaire s’estimant lésée avait auparavant retiré son grief - l’arbitre de grief a déterminé que le retrait du grief constituait un empêchement absolu au renvoi du grief à l’arbitrage tant en ce qui a trait au bien-fondé du règlement qu’à la validité du règlement lui-même ou à son exécution. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-01-24
  • Dossier:  166-02-35724
  • Référence:  2008 CRTFP 6

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GAIL MAIANGOWI

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Santé)

employeur

Répertorié
Maiangowi c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé)

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John A. Mooney, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Jacquie de Aguayo, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Catherine Chagnon, Conseil du Trésor

Décision rendue sur la foi d’observations écrites
déposées le 12 février, le 13 juillet, les 10 et 31 août ainsi que le 19 septembre 2007.
(Traduction de la C.R.T.F.P.)

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Le 9 février 2007, Gail Maiangowi (« la fonctionnaire s’estimant lésée ») a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (« la CRTFP » ou « la Commission ») par l’intermédiaire de sa représentante, pour demander que le grief contestant son renvoi soit rouvert et entendu à l’arbitrage.

2 Elle a expliqué que les parties avaient conclu vers le 30 janvier 2006 une entente de règlement de son grief, et que cette entente n’avait pas été respectée.

3 Dans l’entente, la fonctionnaire s’estimant lésée avait accepté de retirer et son grief, et une plainte de droits de la personne, en échange de certaines assurances du Conseil du Trésor.

4 La représentante de la fonctionnaire s’estimant lésée a ajouté que le non-respect de l’entente avait fait perdre une possibilité de nomination à la fonctionnaire s’estimant lésée et que sa réputation en avait souffert dans son milieu d’emploi.

5 Dans une lettre déposée le 13 juillet 2007, l’employeur a contesté ma compétence pour entendre l’affaire, puisque les parties avaient conclu une entente exécutoire. Il a demandé que le grief soit rejeté sans audience parce que la Commission n’a pas compétence.

6 Le 19 juillet 2007, la Commission a ordonné aux parties de lui soumettre des observations écrites sur sa compétence pour instruire la demande de la fonctionnaire s’estimant lésée.

7 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la nouvelle Loi), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’ancienne Loi).

II. Résumé de l’argumentation sur la compétence de la Commission

A. Pour l’employeur

8 Dans ses deux lettres, déposées le 13 juillet et le 10 août 2007, l’employeur a déclaré que les parties avaient conclu une entente signée de bonne foi. Il a dit n’avoir eu aucun contrôle sur les circonstances ayant entouré la prétendue violation de l’entente, en soulignant que le manquement n’était pas attribuable à de la mauvaise foi ni à une tentative de s’y soustraire.

9 Le 30 janvier 2006, les parties avaient conclu une entente et signé un protocole d’entente (PE) réglant expressément la question du renvoi du grief à l’arbitrage.

10 L’employeur a ajouté qu’[traduction] « une entente est une entente », et que les décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP) ont établi depuis longtemps qu’une entente valide empêche catégoriquement un arbitre de grief d’entendre le grief correspondant. C’est pour qu’on soit sûr de ce qui se passe en relations de travail que les ententes légitimes sur un règlement sont finales et obligatoires pour toutes les parties. Par conséquent, lorsque les parties ont réglé un grief en concluant une telle entente, les arbitres de griefs n’ont pas compétence pour en connaître.

11 La CRTFP a clairement établi qu’un tel déni de compétence d’un arbitre de grief  aussi de décider si une partie a manqué à une condition de l’entente. Par exemple, dans Dillon c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 135, l’arbitre de grief Mackenzie a confirmé la jurisprudence de longue date de la Commission voulant qu’un arbitre de grief n’ait pas compétence pour décider si les conditions d’une entente portant règlement d’un grief ont été respectées. L’employeur m’a renvoyé plus précisément au paragraphe 9 de cette décision, qui se lit comme il suit :

[9]    Cependant, il n’est pas nécessaire que je détermine si les modalités du règlement ont été respectées pour régler cette affaire. L’existence d’un règlement valide n’est pas contestée par le fonctionnaire s’estimant lésé. Un règlement valide rend un arbitre de grief totalement inhabile à se saisir de l’affaire (Lindor c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 10). Sur ce fondement, je ne peux que conclure que le renvoi à l’arbitrage doit être rejeté.

12 L’employeur a fait valoir que la seule question à trancher ici consiste à déterminer si les parties ont conclu une entente exécutoire. Or, elles ont de toute évidence signé un PE qui réglait expressément la question du renvoi du grief à l’arbitrage; la représentante de la fonctionnaire s’estimant lésée l’a reconnu dans sa lettre datée du 24 mai 2006.

13 L’employeur a conclu que je n’ai pas compétence en l’espèce et m’a demandé de rejeter la demande de la fonctionnaire s’estimant lésée.

14 L’employeur m’a renvoyé à plusieurs cas étayant son argument que la conclusion d’une entente retire aux arbitres de griefs la compétence d’en connaître : Bedok c. Conseil du Trésor (ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 163; Castonguay c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2005 CRTFP 73; Van de Mosselaer c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2006 CRTFP 59.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

15 La fonctionnaire s’estimant lésée, par l’intermédiaire de sa représentante, a déposé ses observations le 31 août 2007; elles ont été versées au dossier à la Commission. Je résume les principaux arguments qu’elle a avancés dans les paragraphes qui suivent.

16 La fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré que la Commission devrait tenir une audience sur sa compétence d’ordonner aux parties à l’entente de s’y conformer et de remédier à tout manquement à ses modalités. Pour trancher la question de compétence, la Commission se devrait selon elle de se pencher sur les questions connexes du recours et du redressement nécessaire pour que l’entente soit respectée.

17 La fonctionnaire s’estimant lésée a aussi déposé deux plaintes connexes qu’elle avait soumises à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP); toutefois, les parties et la CCDP ont convenu de les mettre en veilleuse jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le grief contestant le licenciement de l’intéressée.

18 Les parties avaient signé un PE le 30 janvier 2006; la Commission en avait été informée dans une lettre datée du 1er février 2006. Le grief a été retiré dans une lettre envoyée à la Commission en date du 24 mai 2006.

19 La fonctionnaire s’estimant lésée m’a demandé de ne pas parler du contenu de l’entente dans ma décision, pour en maintenir la confidentialité et l’intégrité. Je vais donc mentionner seulement ceux de ses aspects qui doivent l’être pour qu’on comprenne ma décision. Il suffit donc de préciser que la fonctionnaire s’estimant lésée s’était engagée dans l’entente à démissionner de son poste et qu’elle l’a fait, et que, l’entente prévoyait qu’elle retire et son grief, et les plaintes qu’elle avait présentées à la CCDP.

20 La fonctionnaire s’estimant lésée a tenté de faire rouvrir ses plaintes par la CCDP en raison de la violation du PE, mais la CCDP a décidé de ne pas le faire puisqu’elle n’avait pas approuvé directement le PE, ce qui a sapé la capacité de l’intéressée d’obtenir un redressement pour ces plaintes à la CCDP.

21 Les représentants de la fonctionnaire s’estimant lésée ont tenté de régler les questions soulevées directement avec l’employeur, malheureusement sans succès.

22 La CRTFP estimait qu’un recours était possible au civil, mais la décision de la Cour suprême du Canada dans Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, n’est pas compatible avec sa position. La Commission devrait donc tenir compte des conséquences néfastes pour les relations de travail et pour l’intérêt public de ce jugement voulant qu’elle n’ait pas compétence pour tenir responsables de leur conduite les parties assujetties à une entente négociée dans le contexte d’un renvoi à l’arbitrage qui aurait autrement été valide sous le régime de l’ancienne Loi comme de la nouvelle Loi.

23 La fonctionnaire s’estimant lésée a ajouté que la jurisprudence actuelle de la Commission veut qu’il ne soit pas pertinent, pour les fins de la détermination de sa compétence, qu’un grief ait été officiellement retiré de l’arbitrage ou non, ou que les conditions d’une entente aient été intégralement mises en œuvre. Le retrait de son grief ne devrait pas lui porter préjudice au point d’interdire à un arbitre de grief de se prononcer sur la question de compétence. C’est particulièrement vrai en l’espèce, puisqu’elle s’est conformée aux modalités de l’entente en démissionnant et en retirant les plaintes qu’elle avait présentées à la CCDP, qui ne les rouvrira pas. Elle m’a renvoyé aux cas suivants : Castonguay, paragrs. 30 à 34; Lindor c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 10, paragr. 16; Dillon, paragr. 9.

24 La fonctionnaire s’estimant lésée avait déposé un grief qui a été valablement renvoyé à l’arbitrage, en vertu de l’article 92 de l’ancienne Loi, le 24 février 2005. Dans ce grief, elle maintenait qu’on avait mis fin sans raison valable à son emploi d’agent de liaison des programmes (PM-04) à la Direction de la santé des Premières nations et des Inuits de Santé Canada.

25 Selon la fonctionnaire s’estimant lésée, un arbitre de grief a une compétence résiduelle en vue du règlement d’un grief à l’égard duquel il a déjà eu compétence pour veiller à ce que les parties continuent de respecter l’entente qu’elles ont conclue et d’y être liées.

26 La position de la fonctionnaire s’estimant lésée est compatible avec les pouvoirs dont la Commission a été investie par l’ancienne Loi aussi bien que par la nouvelle Loi. Tant la première que la seconde disposent que la Commission peut exercer les pouvoirs ou s’acquitter des obligations que l’une ou l’autre lui reconnaissent ou qui sont indispensables à l’atteinte des buts de ces deux lois. Lorsqu’une situation comme celle en l’espèce est liée étroitement aux objectifs de relations de travail et d’intérêt public de la législation ainsi qu’à un grief de sa compétence fondamentale et exclusive, la Commission conserve un pouvoir résiduel ou accessoire de s’assurer que l’entente conclue a été exécutée. La fonctionnaire s’estimant lésée m’a renvoyé à cet égard au paragraphe 21(1), à l’article 93 ainsi qu’au paragraphe 96(1) de l’ancienne Loi, de même qu’à l’article 36 de la nouvelle Loi.

27 À son avis, sa position est compatible aussi avec de bonnes relations de travail et avec l’intérêt public en ce qui concerne le caractère définitif et l’intégrité du processus de règlement des différends de relations de travail. La non-exécution ou le non-respect d’une entente trahissent la sorte de mauvaise foi sur laquelle la Commission a jugé avoir compétence dans d’autres contextes.

28 Pour la fonctionnaire s’estimant lésée, la capacité de la Commission d’obliger les parties à se conformer aux ententes conclues entre elles est un aspect fondamental de son mandat de relations de travail; elle estime qu’il serait absolument incompatible avec ce mandat que la Commission autorise les parties à résilier en ne la respectant pas une entente sur un grief qu’elle avait eu compétence pour entendre.

29 La CRTFP fournit aux parties des services de règlement officieux de leurs différends (médiation); elle les encourage à résoudre leurs problèmes sans avoir besoin d’un arbitrage formel (arbitrage accéléré); elle arbitre des allégations de mauvaise foi concernant des renvois en période de stage et reconnaît qu’elle conserve une compétence résiduelle pour déterminer si une entente a été conclue dans des circonstances inacceptables. La Cour fédérale a confirmé ce dernier point. Les arbitres de griefs nommés par la Commission ont aussi tenu des affaires en suspens à l’occasion en attendant la mise en œuvre de leur règlement. Bref, la jurisprudence prouve que la Commission a régulièrement exercé des pouvoirs de règlement des différends qui ne sont expressément prévus ni par l’ancienne Loi, ni par la nouvelle Loi, mais qui découlaient de ses pouvoirs d’application de ces deux lois. À cet égard, la fonctionnaire s’estimant lésée m’a renvoyé à Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 109, paragrs. 93 et 94, que la CRTFP a appliquée dans Wright c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 139, et dans Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 72; Van de Mosselaer, paragr. 42; et à MacDonald c. Canada, [1998] A.C.F. no 1562 (QL), paragrs. 26 à 38.

30 L’importance d’encourager la médiation et le règlement des différends pour régler les problèmes dans le milieu de travail est plus explicite sous le régime de la nouvelle Loi qu’elle l’était sous celui de l’ancienne Loi et reflète fermement la pratique que la CRTFP avait établie en appliquant cette dernière. Le préambule de la nouvelle Loi prévoit que :

[…]

Attendu :

[…]

que des relations patronales-syndicales fructueuses sont à la base d’une saine gestion des ressources humaines, et que la collaboration, grâce à des communications et à un dialogue soutenu, accroît les capacités de la fonction publique de bien servir et de bien protéger l’intérêt public;

[…]

que le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi;

[…]

31 La nouvelle Loi prévoit toute une gamme de situations dans lesquelles la Commission peut intervenir pour régler des conflits : voir les articles 13 à 15, 36, 37 et 207, ainsi que le paragraphe 226(2).

32 En dépit de ce qui précède, les arbitres de griefs ont décliné leur compétence sur l’exécution d’une entente portant règlement d’un grief largement en se fondant sur le principe que les articles 91 ou 92 de l’ancienne Loi et les articles 208 et 209 de la nouvelle Loi ne prévoient pas expressément ce pouvoir. La fonctionnaire s’estimant lésée a fait valoir que cette interprétation des pouvoirs d’un arbitre de grief est trop restrictive et qu’elle devrait être repensée.

33 L’histoire de l’ancienne Commission et sa pratique démontrent qu’elle avait le pouvoir de régler les conflits de relations de travail globalement prévus par la Loi qui l’a créée, et que cela vaut aussi maintenant pour la CRTFP. Il s’ensuit que ses pouvoirs vont de toute évidence au-delà du libellé des articles 91 et 92 de l’ancienne Loi de même que des articles 208 et 209 de la nouvelle Loi. Ces dispositions doivent être interprétées en tenant compte de leur objet et de ceux de l’ensemble des lois où ils figurent.

34 La fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas prétendu que cela ouvrirait la porte au renvoi de n’importe quelle question à l’arbitrage de griefs, ce qui viderait de leur sens ces dispositions des deux lois. Au contraire, elle estime que la compétence de la Commission de faire exécuter une entente est subsumée dans sa compétence fondamentale pour trancher le grief original et sa compétence résiduelle d’administrer ces lois.

35 L’importance du caractère final des ententes et des décisions est un aspect primordial de la jurisprudence. Faire respecter le principe qu’une entente signée est finale et obligatoire empêche les parties de s’y soustraire, à la réflexion, quand elles ont des doutes ou qu’elles désirent offrir moins ou, à l’inverse, obtenir davantage. Faire respecter ce principe est favorable au bien public ainsi qu’à l’intérêt public de la certitude renforçant la confiance que les parties accordent à la légitimité du processus. Autrement dit, si les parties pouvaient changer d’idée après avoir signé une entente, notre perte de confiance collective qu’un règlement est une solution valable et fiable pour résoudre un conflit de travail aurait un effet systémique désastreux. Sur ce point, la fonctionnaire s’estimant lésée m’a renvoyé aux cas suivants : Myles c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2002 CRTFP 53, paragr. 14; Van de Mosselaer, paragr. 47 et suivants et paragr. 57, plus particulièrement; MacDonald, paragrs. 26 à 36; Castonguay, paragr. 29.

36 La fonctionnaire s’estimant lésée a souligné que la présente affaire n’est pas incompatible avec ces principes, étant donné qu’elle ne cherche pas à faire résilier une entente finale et obligatoire, puisqu’elle reconnaît que cette entente liait les deux parties. Elle veut que la Commission l’aide à composer avec le fait que l’employeur a violé une condition fondamentale d’une entente valide d’une façon qui lui a causé un grand préjudice.

37 La jurisprudence de la Commission reflète la position qu’une entente obligatoire lui retire sa compétence pour connaître d’un grief autrement arbitrable. Qui plus est, elle mène à la conclusion qu’un grief contestant le non-respect des modalités d’une entente ne satisfait pas aux critères de renvoi à l’arbitrage prévus par l’ancienne Loi comme par la nouvelle Loi, de sorte que la mise en œuvre d’une entente ne peut jamais être imposée par l’arbitrage d’un grief. La fonctionnaire s’estimant lésée m’a renvoyé aux cas suivants confirmant cet argument : Myles, paragrs. 13, 19 et 20; Skandharajah c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada),2000 CRTFP 114, paragrs. 78 à 80; Lindor, paragr. 16; Dillon, paragr. 9; Bedok, paragr. 53; Carignan c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), 2003 CRTFP 58, paragr. 48.

38 Selon la fonctionnaire s’estimant lésée, dans l’intérêt de bonnes relations de travail, il faudrait que les parties soient tenues de respecter leur entente. Il n’est pas compatible de permettre à une partie quelconque de résilier à toutes fins utiles une entente de ce genre, en ne s’y conformant pas. Si le grand principe du caractère final des ententes est valide et défendable, il ne saurait s’appliquer seulement jusqu’à ce que l’encre ait séché sur le papier.

39 La fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré que la Commission doit exercer son pouvoir pour assurer le maintien de l’intégrité des ententes consensuelles conclues grâce à la médiation en tant que mécanisme de règlement des conflits entre les parties, et ce surtout parce qu’elle les encourage elle-même à se prévaloir de la médiation pour régler les griefs de sa compétence. Si l’agent négociateur ne peut pas assurer ses membres qui signent une entente que la tierce partie à laquelle leur grief a été renvoyé peut en imposer l’exécution, les fonctionnaires préféreraient probablement intenter une poursuite en justice plutôt que de renoncer à leur droit de présenter des griefs quand ils font face à un risque évident de non-respect de l’entente conclue. En d’autres termes, il ne peut pas exister de véritable droit découlant d’une entente, sans véritable recours dans l’éventualité où l’une des parties ne la respecterait pas.

40 Aux paragraphes 33 à 41 de Vaughan, la Cour suprême du Canada a reconnu que les tribunaux ont le pouvoir résiduel de régler des conflits lorsque la loi ne prévoit aucun mécanisme pour ce faire. Pourtant, ils accordent la préséance à un mécanisme existant de règlement des conflits sous le régime de l’ancienne Loi comme de la nouvelle Loi, y compris le dépôt d’un grief non arbitrable.

41 La fonctionnaire s’estimant lésée a reconnu que les arbitres de griefs ont déjà conclu qu’un grief présenté pour faire exécuter une entente n’est pas arbitrable. Elle m’a renvoyé à Myles, paragr. 20.

42 Selon elle, l’article 236 de la nouvelle Loi dispose que le droit de recours du fonctionnaire par voie de grief le prive de droits d’action en justice relativement au différend. Bien qu’on n’ait pas encore entièrement interprété ni appliqué cet article, il pourrait mener à la conclusion qu’un fonctionnaire qui maintient qu’on n’a pas respecté une entente conclue avec lui ne pourrait pas se prévaloir d’un recours au civil devant les tribunaux pour la faire exécuter.

43 Le 5 décembre 2002, le président de la CRTFP a écrit à l’Alliance de la Fonction publique du Canada que la façon de faire exécuter une entente consistait à intenter une action en justice au civil (la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé une copie de cette lettre).

44 S’il ne lui est pas possible de faire exécuter l’entente par la Commission, elle lui demande de préciser à quelle instance un fonctionnaire peut s’adresser pour obtenir un redressement en cas de non-respect d’une telle entente. Pour répondre à cette importante question, la Commission doit tenir compte du fait que, si la fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief non arbitrable au ministère, elle devra obtenir le redressement et les correctifs qu’elle réclame de la partie même qui a violé l’entente. En ce qui concerne les tribunaux, la fonctionnaire s’estimant lésée fait valoir que le dépôt d’un grief non arbitrable dans ce contexte correspond au genre de conflit inhérent que la Cour suprême du Canada envisageait dans Vaughan, un conflit qui devrait vraisemblablement ouvrir la porte à une poursuite au civil (voir le paragraphe 37 de cette décision). Toutefois, les travailleurs syndiqués qui se tournent vers les tribunaux se retrouvent devant une instance que la législation sur les relations de travail a été conçue pour les aider à éviter.

45 La fonctionnaire s’estimant lésée ne prône pas l’option d’une poursuite au civil. Elle estime plutôt que les questions d’instance et de redressement soulignent à quel point il est illogique de forcer les fonctionnaires à décider d’opter pour une poursuite au civil ou pour un grief non arbitrable, compte tenu des circonstances dans chaque cas. Pourtant, la législation favorise la médiation et le règlement des conflits; la Commission a le pouvoir d’administrer l’ancienne Loi et la nouvelle Loi pour atteindre ces objectifs. Lorsqu’une entente permet de résoudre un conflit de relations de travail à l’égard duquel la Commission a une compétence aussi fondamentale qu’exclusive, il est logique, dans l’intérêt des relations de travail, que les problèmes d’exécution de l’entente soient tranchés par elle.

46 La fonctionnaire s’estimant lésée a conclu en déclarant qu’imposer le règlement d’un grief qui ne serait pas arbitrable autrement est de la compétence de la Commission, puisque cela suppose qu’elle administre l’ancienne Loi et la nouvelle Loi, et que c’est compatible avec l’atteinte des buts des deux lois. Le règlement d’un grief arbitrable ne devrait être considéré comme complet que si ses modalités sont entièrement respectées. Si elles ne le sont pas intégralement, les parties n’ont vraiment pas grand intérêt à s’entendre, puisque le syndicat ne peut pas assurer ses membres qu’il peut rapidement faire exécuter efficacement l’entente conclue.

47 Par conséquent, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé à la Commission qu’un arbitre de grief entende l’affaire et conclue, sur la foi de la preuve et des arguments, qu’il (ou elle) a compétence pour décider si l’on a exécuté un règlement d’un grief arbitrable et, si l’on a manqué à ce règlement, de remédier au manquement.

48 La fonctionnaire s’estimant lésée a ajouté pour terminer qu’elle réclame ce redressement dans le contexte du grand préjudice qu’elle a réellement subi par suite de la violation de l’entente en perdant les possibilités qui en étaient le fondement même; elle s’est privée en s’y conformant de la possibilité de se prévaloir de ses droits de la personne quasi-constitutionnels en retirant les deux plaintes qu’elle avait présentées à la CCDP.

C. Réplique de l’employeur

49 L’employeur a présenté ses arguments en réplique le 19 septembre 2007, par l’intermédiaire de sa représentante. Il a maintenu sa position que la Commission a établi depuis longtemps une jurisprudence claire voulant qu’une entente de règlement valide et obligatoire d’un grief retire aux arbitres de griefs toute compétence pour en connaître.

50 L’employeur a fait valoir que la seule question à trancher consiste à savoir s’il existe une entente liant les parties quant à la cessation d’emploi de la fonctionnaire s’estimant lésée. Les parties ont clairement conclu un PE valide qui les lie et qui règle spécifiquement la question du renvoi à l’arbitrage. Il s’ensuit qu’aucun arbitre de grief n’a compétence pour entendre ou pour rouvrir ce grief.

51 L’employeur a aussi maintenu que toutes les questions liées à l’exécution du PE sont distinctes et qu’il faudrait qu’elles fassent l’objet d’un processus distinct. Par conséquent, la Commission n’a pas à se prononcer sur les moyens pour l’exécuter, puisque ce n’est pas de sa compétence. L’employeur demande donc le rejet du renvoi à l’arbitrage.

III. Motifs

52 Par l’intermédiaire de sa représentante, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé que [traduction] « l’affaire soit mise au rôle d’arbitrage de griefs » parce que l’employeur n’avait pas respecté l’entente conclue entre les parties pour régler son grief. Elle m’a demandé de rouvrir le renvoi à l’arbitrage [traduction] « pour que la Commission arbitre la question de sa compétence d’ordonner aux parties à l’entente d’en respecter les modalités et d’imposer un redressement pour remédier à sa violation ». En d’autres termes, elle me demande d’assumer ma compétence sur l’exécution de l’entente. L’employeur, lui, estime que je ne peux pas rouvrir l’affaire parce que les parties ont conclu une entente et que cette entente me prive de toute compétence.

53 Il vaut la peine d’étudier ici la chronologie de l’affaire. Les documents au dossier révèlent que la fonctionnaire s’estimant lésée a renvoyé un grief à l’arbitrage le 24 février 2005, sous le régime de l’ancienne Loi, pour contester sa cessation d’emploi.

54 Les parties reconnaissent avoir signé le 30 janvier 2006 un PE pour régler le conflit qui faisait l’objet du grief.

55 Le 24 mai 2006, l’agent négociateur de la fonctionnaire s’estimant lésée a écrit à la Commission pour retirer le grief de l’arbitrage puisqu’une entente avait été conclue et mise en œuvre.

56 Le 26 mai 2006, la Commission a écrit aux parties pour les informer que le dossier était fermé puisque l’affaire était réglée et le grief retiré.

57 Le 12 février 2007, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé à la Commission d’inscrire son grief au rôle d’arbitrage; le 19 juillet 2007, la Commission a ordonné aux parties de lui soumettre leurs observations écrites sur sa compétence pour entendre la demande de la fonctionnaire s’estimant lésée.

58 Cette affaire soulève deux questions de compétence, la première portant sur l’effet du retrait du grief quant à ma compétence, et la seconde sur celui de l’entente que les parties ont conclue pour régler le grief.

59 J’ai examiné tous les arguments, toute la preuve et toute la jurisprudence que les parties ont avancés, et j’ai conclu que je n’ai pas compétence, pour les motifs qui suivent.

60 La fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré que le retrait de son grief n’aurait pas dû lui porter préjudice au point d’empêcher la Commission de se prononcer sur la question de compétence. Je ne peux pas souscrire à cet argument. À mon avis, la Cour d’appel fédérale a clairement établi qu’un arbitre de grief nommé par la Commission perd sa compétence pour entendre un grief lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé le retire. Dans Canada (Procureur général) c. Lebreux, [1994] A.C.F. no 1711, le fonctionnaire s’estimant lésé avait conclu une entente avec l’employeur et retiré son grief. La Commission avait fermé les dossiers, mais le fonctionnaire s’estimant lésé est revenu à la charge en demandant qu’on les rouvre, parce que les parties n’auraient pas conclu une entente satisfaisante. La Commission a accepté d’être saisie de l’affaire et d’entendre le grief au fond. La Cour d’appel fédérale a jugé que l’arbitre de grief avait erré, parce que le retrait du grief privait la Commission de sa compétence, au paragraphe 12 de sa décision :

[12] À partir du moment où le défendeur a retiré ses griefs, la Commission et l’arbitre de grief désigné sont devenus functus officio, puisqu’ils n’étaient plus saisis de l’affaire. La Commission n’était tenue ni de s’interroger sur le bien-fondé ou sur la faisabilité d’un tel retrait, ni de consentir à l’accepter ou le rejeter. Le retrait mettait immédiatement fin au processus de règlement du grief à l’égard duquel il a été déposé. En conséquence, aucune ordonnance ou décision ne pouvait être et n’a été rendue au sens de la Loi qui puisse faire l’objet d’une annulation ou d’une révision sous l’article 27.

 [Renvoi omis]

61 La Cour a déclaré que la seule chose que l’arbitre de grief aurait pu faire aurait consisté à prendre note du retrait du grief. À mon avis, Lebreux établit le principe que le retrait d’un grief interdit son arbitrage non seulement sur le fond du grief, mais aussi sur l’exécution de l’entente conclue pour le régler, si j’avais compétence pour en connaître. Une fois qu’un grief est retiré, la Commission n’a plus compétence sur tout ce qui le concerne; l’arbitre de grief n’en est tout simplement plus saisi.

62 Puisque je n’ai pas compétence pour entendre le grief, la question de savoir si un arbitre de grief a compétence pour se prononcer sur l’exécution de l’entente n’est pas pertinente. Je peux simplement rappeler que les arbitres de griefs ont toujours refusé d’assumer une compétence quant à la mise en œuvre d’une entente portant règlement d’un grief (voir Myles et Conseil du Trésor c. Déom, dossier de la CRTFP 148-02-107 (19850522)).

63 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

64 Je prends note du retrait du grief.

Le 24 janvier 2008.

Traduction de la C.R.T.F.P.

John A. Mooney,
arbitre de grief

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