Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le 8 juillet 2005, la Fraternité internationale des ouvriers en électricité a déposé, au nom de 16fonctionnaires un grief collectif, dans lequel elle conteste le fait que l’employeur a donné instruction à trois d’entre eux, par courriel, de travailler par quarts de soir et de nuit lors d’essais en mer, ce qui est contraire à leur convention collective - l’employeur a invoqué deux motifs pour soutenir qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour entendre le grief - il a fait valoir que le grief était prématuré étant donné qu’aucun fonctionnaire n’était lésé avant d’avoir été réellement tenu d’effectuer des quarts de travail - l’employeur a soutenu que, tout au plus, seuls les trois fonctionnaires qui ont été visés par l’instruction pouvaient s’estimer lésés - l’employeur a également fait valoir que, puisqu’un arbitre de grief n’a pas le pouvoir d’exclure ou de retirer le nom de fonctionnaires qui n’ont pas été lésés afin de corriger une erreur de fond du grief, le grief collectif ne satisfaisait pas à l’exigence législative énoncée à l’article215 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et n’était donc pas arbitrable - l’arbitre de grief a conclu que le libellé du grief collectif indiquait que l’instruction de travailler constituait une violation de la convention collective et que celle-ci n’était pas purement hypothétique ou éventuelle - le courriel de l’employeur indiquait que l’employeur avait le pouvoir d’organiser le travail par postes pour les essais en mer - l’instruction créait un problème réel et les destinataires du courriel pouvaient concrètement s’estimer lésés - toutefois, le grief ne s’est concrétisé qu’à l’égard des trois fonctionnaires à qui le courriel était adressé - les articles215 et 216 de la LRTFP offrent une nouvelle option procédurale pour la présentation, le traitement et l’arbitrage d’un grief qui touche deux fonctionnaires ou plus - ces dispositions traduisent l’intention du législateur de mettre en place un processus efficace pour le traitement et le règlement de différends - dans son argument, l’employeur a interprété la disposition concernant les griefs collectifs de façon plus restrictive que ne peut le justifier le libellé clair de celle-ci et a tenté d’obtenir un résultat qui ne correspond pas à l’objectif de promotion de l’efficacité - un grief collectif constitue une seule et unique action qui diffère d’un regroupement de griefs individuels identiques, mais le pouvoir de l’arbitre de grief qui lui permet de déterminer la compétence ou faire des constatations quant aux faits, de tirer des conclusions et d’ordonner des mesures de redressement n’est pas plus étroit en ce qui concerne les griefs collectifs qu’à l’égard de tout autre type de grief - par conséquent, aucun défaut de compétence n’empêchait l’arbitre de grief d’examiner l’affaire sur le fond. Objection préliminaire accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2008-05-22
  • Dossier:  567-02-04
  • Référence:  2008 CRTFP 36

Devant un arbitre de grief


ENTRE

FRATERNITÉ INTERNATIONALE DES OUVRIERS EN ÉLECTRICITÉ,
SECTION LOCALE 2228

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du
Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief collectif renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour l’agent négociateur:
James L. Shields, avocat

Pour l'employeur:
Stéphan Bertrand, avocat

Affaire entendue à Victoria (Colombie-Britannique),
les 26 et 27 février 2008.
(Arguments écrits déposés le 20 mars et les 4 et 27 avril 2008).
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief collectif renvoyé à l’arbitrage

1 La présente décision concerne une objection soulevée par le ministère de la Défense nationale (l’« employeur ») quant à la compétence d’un arbitre de grief d’entendre le grief collectif renvoyé à l’arbitrage par la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 (l’« agent négociateur »), en vertu de l’article 216 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »).

2 Le 8 juillet 2005, l’agent négociateur a déposé un grief collectif au nom de 16 employés du ministère de la Défense nationale appartenant au groupe Électronique (EL) (les « employés ») travaillant à l’Installation de maintenance de la flotte (IMF) à la Base des Forces canadiennes Esquimalt au Cap Breton. L’agent négociateur a formulé la raison du grief comme suit :

[Traduction]

Le fait d'avoir reçu l’ordre de travailler des quarts de soir et de nuit durant des essais en mer d’une manière qui contrevient à l’article 32 de la convention collective du groupe EL.

3 L’article 32 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’agent négociateur qui a expiré le 31 août 2004 (la « convention collective »), se lit comme suit :

ARTICLE 32 INDEMNITÉ D’ESSAIS EN MER

32.01a) Lorsque l’employé-e est tenu d’être à bord d’un sous-marin pendant des essais dans les conditions suivantes :

(i) il est dans un sous-marin fermé qui est amarré à un quai ou dans un port, en surface ou submergé, c’est-à-dire lorsque la coque pressurisée est fermée hermétiquement et qu’elle subit des essais tels que les essais à vide, les essais sous haute pression, les essais avec schnorchel, les essais de ventilation de la batterie ou les autres essais déjà reconnus, ou le sous-marin est gréé pour plonger;

ou

(ii) il est à bord d’un sous-marin lorsque celui-ci évolue en surface ou est submergé en dehors des limites d’un port;

ou

b) lorsque l’employé-e est tenu de se rendre en mer en dehors des limites d’un port à bord d’un vaisseau de guerre canadien, d’un bâtiment auxiliaire ou d’un bâtiment de port afin d’effectuer des essais, de réparer des défauts ou de déverser des munitions;

ou

c) lorsque l’employé-e est tenu d’exécuter, dans un lieu de travail sur terre, des travaux visant à appuyer directement un essai en mer;

il est rémunéré conformément à la clause 32.03.

32.02 La clause 23.13 (Dérogation) s’applique uniquement à partir du moment où prend fin l’essai en mer.

32.03 a) L’employé-e est rémunéré au taux des heures normales pour toutes les heures prévues à son horaire de travail et pour toutes les heures non travaillées à bord du navire ou au lieu de travail sur terre.

b) L’employé-e touche une fois et demie (1 1/2) son taux horaire normal pour toutes les heures travaillées en sus de son horaire normal de travail jusqu’à ce qu’il ait travaillé douze (12) heures.

c) Après cette période de travail, l’employé-e touche le double (2) de son taux horaire normal pour toutes les heures effectuées en sus de douze (12) heures.

d) Après cette période de travail, l’employé-e touche trois (3) fois son taux horaire normal pour toutes les heures effectuées en sus de seize (16) heures.

e) L’employé-e qui a droit au taux triple (3) prévu à l’alinéa d) précédent continue d’être rémunéré à ce taux pour toutes les heures travaillées jusqu’à ce qu’il se voit accorder une période de repos d’au moins dix (10) heures consécutives.

f) À son retour de l’essai en mer, l’employé-e ayant droit à la rémunération prévue à l’alinéa 32.03d) n’est pas tenu de se présenter au travail pour son poste d’horaire normal tant qu’une période de dix (10) heures ne s’est pas écoulée depuis la fin de la période de travail qui a dépassé quinze (15) heures.

32.04 En outre, l’employé-e touche une indemnité d’essai de sous-marin équivalant à vingt-cinq pour cent (25 %) de son taux horaire de base pour chaque demi-heure (1/2) pendant laquelle il est tenu d’être présent dans un sous-marin pendant les essais, selon les conditions stipulées à la clause 32.01a).

(La convention collective, qui a expiré le 31 août 2004, demeurait en vigueur lorsque l’agent négociateur a déposé le grief collectif. Les parties ont signé une nouvelle convention collective le 22 décembre 2005.)

4 À titre de mesure correctrice, l’agent négociateur a demandé que l’employeur annule les instructions aux employés consistant à [traduction] « […] travailler des quarts durant des essais en mer […] ».

5 Après avoir reçu la réponse au dernier palier de l’employeur rejetant le grief, l’agent négociateur a renvoyé l’affaire à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») aux fins d’arbitrage le 11 mai 2006. L’agent négociateur a indiqué dans sa demande que le grief collectif concernait également l’article 23 (Durée du travail) de la convention collective.

6 Le 20 décembre 2006, l’agent négociateur a demandé à la Commission de mettre en suspens 14 griefs individuels (dossiers de la CRTFP 566-02-580 à 593) en attendant qu’une décision soit rendue concernant le grief collectif. L’employeur a fourni sa réponse le 5 janvier 2007 et a précisé qu’il n’approuvait pas la demande de l’agent négociateur et a également indiqué que sa position était que le grief collectif était prématuré :

[Traduction]

[…]

Le grief collectif concerne l’émission d’une « Instruction de travail » (IT) affichée par la direction et portant sur les heures supplémentaires. Cependant, à l’époque où le grief collectif a été déposé, aucun des fonctionnaires s’estimant lésés n’avait été touché personnellement par cette IT puisque aucun d’entre eux n’avait été obligé de travailler lors d’un essai en mer. Par conséquent, on ne peut dire que ces employés avaient été « lésés » au moment où le grief collectif a été présenté.

Cependant, les griefs individuels ont trait à l’application de l’IT à chaque fonctionnaire s’estimant lésé lorsqu’ils ont été obligés de travailler lors d’un ou de plusieurs essais en mer, qui sont survenus après le dépôt du grief collectif. Ainsi, contrairement au grief collectif, dans le cas des griefs individuels, il existe une situation réelle sur laquelle l’arbitre de grief peut se fonder pour rendre sa décision.

Par conséquent, et pour assurer une utilisation efficace des ressources de la Commission, l’employeur suggère que les griefs individuels et le grief collectif soient entendus en même temps à une seule audience.

[…]

7 L'agent négociateur a répondu à la position de l’employeur comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] le syndicat est convaincu que ce grief collectif n’est pas prématuré. Il conteste clairement l’interprétation donnée à la convention collective dans l’Instruction de travail, tandis que les griefs individuels en contestent l’interprétation et l’application.

Étant donné que tous ces griefs découlent essentiellement d’une divergence d’opinion quant à l’interprétation de la convention collective, nous estimons que la meilleure façon pour toutes les parties de procéder est de soumettre cette interprétation à une tierce partie sans y inclure les questions secondaires soulevées dans les griefs individuels.

Par conséquent, le syndicat confirme son souhait de renvoyer le grief collectif à l’arbitrage et de mettre les griefs individuels en suspens en attendant le règlement du grief collectif.

[…]

8 En réponse à une demande de la Commission, l’employeur a fourni des arguments plus détaillés le 26 janvier 2007 :

[Traduction]

[…]

[…] le droit de renvoyer un grief collectif à l’arbitrage est prévu à l’article 215 de la nouvelle LRTFP, qui précise ce qui suit :

215. (1) L’agent négociateur d’une unité de négociation peut présenter un grief collectif à l’employeur au nom des fonctionnaires de cette unité qui s’estiment lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

(2) La présentation du grief collectif est subordonnée à l’obtention au préalable par l’agent négociateur du consentement — en la forme prévue par les règlements — de chacun des intéressés. Le consentement ne vaut qu’à l’égard du grief en question.

L’employeur tient à souligner que pour qu’un grief collectif ou un grief individuel puisse être renvoyé à l’arbitrage et que l’arbitre de grief ait la compétence d’entendre le grief, le fonctionnaire s’estimant lésé ou le groupe de fonctionnaires s’estimant lésés doit s’estimer lésé par l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. Sinon, il s’agit seulement d’une situation hypothétique qu’un arbitre de grief ne peut examiner en bonne et due forme, de l’avis de l’employeur.

[…]

Toutefois, l’employeur fait valoir qu’il y a une disposition dans la LRTFP pour de telles situations hypothétiques. Il s’agit d’un grief de principe […]

[…]

À l’article 220 de la LRTFP, on lit ce qui suit :

220. (1) Si l’employeur et l’agent négociateur sont liés par une convention collective ou une décision arbitrale, l’un peut présenter à l’autre un grief de principe portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention ou de la décision relativement à l’un ou l’autre ou à l’unité de négociation de façon générale.

La position de l’employeur est que l’agent négociateur ne peut présenter un grief collectif pour des situations hypothétiques et par conséquent, nous demandons respectueusement à la Commission de rejeter ce renvoi à l’arbitrage, sans la tenue d’une audience pour cause de manque de compétence. Si l’employeur n’obtient pas cette décision, il demande respectueusement que l’agent négociateur précise par écrit pourquoi, à son avis, la Commission a la compétence voulue pour instruire cette affaire.

Autrement, l’employeur ne s’opposerait pas à une audience préparatoire à l’audience pour trancher la question de la compétence.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

9 Au moyen d’une lettre datée du 29 janvier 2007, un agent du greffe a communiqué aux parties la décision du président d’accueillir la demande de l’agent négociateur de mettre en suspens les griefs individuels en attendant la décision concernant le grief collectif.

10 Le président m’a nommé arbitre de grief pour entendre ce grief collectif et pour statuer à son sujet.

11 Au début de l’audience le 26 février 2008, l’employeur a confirmé qu’il maintenait sa position selon laquelle un arbitre de grief n’a pas la compétence voulue pour entendre le grief collectif, du fait qu’il est prématuré. Après que les parties ont présenté leurs arguments concernant la procédure, j’ai rendu qu’à l’audience, on examinerait d’abord les éléments de preuve et les arguments ayant trait à la question de compétence, et qu’après cela, je déciderais s’il y avait lieu de rendre une décision concernant l’objection ou si je prendrais en délibéré ma décision et poursuivrais l’examen des mérites du cas et rendrais une décision globale portant à la fois sur la question de la compétence et les mérites du grief.

II. Résumé de la preuve

12 L’agent négociateur a déposé cinq pièces sur consentement : i) la convention collective (pièce G-1), ii) le grief collectif (pièce G-2) et les réponses de l’employeur au grief aux premier, second et dernier paliers du processus de règlement des griefs (pièces G-3 à G-5).

13 L’employeur a appelé un témoin pour la question préliminaire. L’agent négociateur, de son côté, a décidé de n’appeler aucun témoin.

14 Depuis septembre 2004, Edward Hix a été d’abord chef par intérim et puis chef de la section du génie des systèmes de combat à l’IMF à Cap Breton, section qui inclut tous les membres du groupe EL qui travaillent à cette installation. Par l’intermédiaire de gestionnaires subordonnés de sous-section, M. Hix est responsable de 46 employés visés par 4 conventions collectives. Il rend compte au directeur de l’ingénierie de l’installation.

15 M. Hix a témoigné qu’il a reçu et signé le grief collectif (pièce G-2) en sa qualité d’agent au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Il a expliqué qu’à l’époque, il avait eu une certaine difficulté à comprendre exactement le sens du grief. Edward Fletcher, un représentant de l’agent négociateur, lui a dit qu'on déposait le grief parce qu’à l’avis de l’agent négociateur, l’employeur ne pouvait pas faire travailler des quarts aux employés dans le cadre d’essais en mer.

16 M. Hix a déclaré qu’à sa connaissance il n’y avait aucune situation où l’employeur avait exigé que des employés appartenant au groupe EL à l’IMF à Cap Breton travaillent des quarts de nuit. La stipulation 23.15 de la convention collective, par contre, permettait à l’employeur de changer les heures de travail régulières des employés. La direction a fourni un avis concernant un tel changement pour la première fois le 5 juillet 2005. Autant qu’il sache, aucune situation similaire ne s’était produite dans la section avant cette date, sauf lorsque la direction avait demandé à un employé du groupe EL de changer ses heures de travail dans le cadre d’un essai en mer à la fin de l’année financière précédente. Dans ce cas-là, toutefois, l’essai en mer prévu n’avait jamais eu lieu.

17 M. Hix a affirmé que l’agent négociateur avait déposé le grief collectif le 8 juillet 2005 en réponse à l’avis communiqué par la direction. Selon M. Hix, à partir de cette date, aucun employé n’avait en fait été obligé de commencer à travailler à une heure différente.

18 M. Hix a expliqué que ses supérieurs avaient chargé la section dont il était responsable d’organiser des essais en mer au site d’essai naval des détecteurs électroniques du Pacifique (NESTRP) à compter du 11 juillet 2005. Le premier maître chargé de coordonner les essais a envoyé un courriel à trois employés – William Skrobotz, Richard Buckley et Jay Vinden – leur demandant de se présenter au travail à 15 h à cette date (pièce E-1).

19 Lorsqu’on lui a demandé si ces trois personnes s’étaient dans les faits présentées au travail à 15 h le 11 juillet 2005, M. Hix a répondu qu’à sa connaissance, l’un des employés, M. Vinden, s’était présenté au travail cette journée-là à 7 h et s’était présenté plus tard à 15 h en vue de l’essai en mer.

20 Selon M. Hix, au 8 juillet 2005, l’employeur n’avait indiqué à aucun des autres signataires du grief collectif que leurs heures de travail avaient été modifiées.

21 Durant le contre-interrogatoire, M. Hix a confirmé de nouveau que le seul autre moment, durant la période allant de janvier 2004 au 8 juillet 2005, où l’employeur avait exigé qu’un employé appartenant au groupe EL change ses heures de travail pour des essais en mer était l’essai prévu en mars 2005 qui au bout du compte n’avait pas eu lieu. Il a signalé que généralement les employés commençaient leur journée de travail entre 7 et 8 h et travaillaient pendant 7,5 heures entre 7 h et 17 h, tout en prenant une pause d’une demi-heure. Il a confirmé que selon l’article 32 de la convention collective, ces heures forment la période de travail régulière et qu'un employé qui travaille un quart régulier est désigné comme un « employé-e autre que d’exploitation » à la stipulation 2.01s).

22 L’avocat de l’agent négociateur a demandé à M. Hix si l’instruction communiquée le 5 juillet 2005 aux trois employés concernant la modification de leurs heures de travail résultait de la promulgation par M. Hix d’un document intitulé « Combat Systems Overtime and Associated Premium Management » (pièce E-2). Il a répondu par l’affirmative et a confirmé que la [traduction] « directive sur les heures supplémentaires » mentionnée dans le courriel daté du 5 juillet 2005 était ce document. M. Hix a expliqué que le document renfermait entre autres des directives aux employés leur expliquant comment signaler leurs heures supplémentaires sur le formulaire « MDN 907 » et comment entrer les heures supplémentaires dans le « SISAM » en ligne.

23 M. Hix a témoigné qu’il n’a reçu aucune indication entre le 5 et 8 juillet 2005 que les trois employés ne se présenteraient pas au travail à 15 h le 11 juillet 2005, comme cela était exigé. Il a également affirmé que l’essai en mer a eu lieu le 11 juillet 2005 et qu’aucun des trois employés n’a refusé de s'y présenter.

24 Après avoir décrit davantage l’utilisation et le traitement des formulaires « MDN 907 » et l’entrée des données relativement aux heures supplémentaires dans le SISAM par les employés, M. Hix a identifié deux formulaires « MDN 907 » faisant état d’heures supplémentaires travaillées les 11 et 12 juillet 2005, dont un avait été soumis par M. Vinden (pièce G-6) et l’autre, par M. Buckley (pièce G-7). Il a confirmé que sa note manuscrite sur chacun de ces formulaires indiquait qu’il refusait d’approuver les heures supplémentaires parce qu’à son avis, les demandes de paiement des heures supplémentaires étaient contraires à la convention collective ou aux instructions concernant les heures supplémentaires qu’il avait données aux employés dans sa section (pièce E-1).

25 Durant le réexamen, M. Hix a fourni des détails en précisant que d’après la compréhension qu’il avait de la convention collective, le taux des heures supplémentaires à tarif et demi n’aurait pas dû commencer à 15 h le 11 juillet 2005, contrairement à ce que prétendaient les employés sur leurs formulaires. Il a également fourni une clarification en disant que l’employeur a fini par payer M. Vinden à compter de 7 h cette journée-là, même s’il n’avait pas suivi les instructions selon lesquelles il devait commencer à travailler à 15 h.

III. Résumé de l’argumentation orale

A. Pour l’employeur

26 L’employeur a invoqué Fok et Granger c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2006 CRTFP 93, comme la principale affaire portant sur la prématurité du dépôt de griefs. Il a attiré mon attention tout particulièrement sur le passage suivant :

[17]   Il n’y a rien de nouveau dans ma conclusion que les griefs sont prématurés. À partir de 1982, avec l’affaire Reid c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-12631, jusqu’en 1993 inclusivement, avec l’affaire Nicholson c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), dossier de la CRTFP 166-02-22548, il n’y a pas moins de sept décisions concernant la compétence à l’égard de griefs prématurés ou potentiels, et toutes ces décisions indiquent que l’arbitre de grief n’a pas compétence à l’égard de tels griefs. Il n’existe pas de motif impérieux pour que je m’écarte de cette approche uniforme, et je suis d’accord sur le raisonnement de l’arbitre de grief Steward dans Reid, aux paragraphes 25 et 26, qui se lisent comme suit :

[…]

[25]  Bien que l’employé s’estimant lésé n’ait subi aucune perte de salaire, il est d’avis que son grief est légitime. Toutefois, il n’a pas été démontré que j’avais compétence pour trancher la question en vertu du paragraphe 91(1) de la Loi. En effet, selon ce paragraphe, lequel est reproduit ci-dessous, il est clair que M. Reid peut renvoyer un grief à l’arbitrage uniquement si ce grief a trait à l’application ou à l’interprétation, « en ce qui le concerne », d’une disposition de la convention collective.

[26]   Pour que j’aie compétence en l’occurrence, il faudrait que M. Reid ait un véritable grief, non un grief en puissance. Or, de l’aveu même de ce dernier, il n’a pas été lésé et le seul redressement qu’il demande, c’est une déclaration qui confirme son interprétation de la clause 30.12b) de la convention collective. Il est manifeste qu’il n’y a pas matière à grief. Par conséquent, je n’ai pas compétence pour rendre une décision.

[…]

27 Pour avoir le droit de soumettre un grief collectif, d’après l’employeur, les employés participants doivent montrer qu’ils ont été lésés. Cette condition préalable est exprimée au paragraphe 215(1) de la Loi :

      215. (1) L’agent négociateur d’une unité de négociation peut présenter un grief collectif à l’employeur au nom des fonctionnaires de cette unité qui s’estiment lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

28 Dans le cas de griefs collectifs, contrairement aux griefs de principe, il doit y avoir un réel effet personnel sur les employés et ceux-ci doivent se sentir lésés par la « même interprétation ou application à leur égard » d’une disposition de la convention collective.

29 D’après l’employeur, du fait que l’agent négociateur n’a pas appelé de témoins, il n’y a aucune preuve qui explique comment et pourquoi les fonctionnaires s’estimant lésés étaient touchés par la mesure prise par l’employeur. J’ai donc uniquement devant moi le grief proprement dit, qui ne répond pas au critère selon lequel il faut démontrer qu’il y a eu un quelconque effet personnel. À la date du grief collectif, soit au 8 juillet 2005, aucun employé n’avait souffert de préjudice. L’essai en mer prévu pour le 11 juillet 2005 n’avait pas encore eu lieu, et pourtant l’agent négociateur prétend sans aucun fondement que les employés étaient lésés au moment du dépôt du grief. Le 8 juillet 2005, le grief était prématuré. L’agent négociateur soit aurait dû attendre jusqu’au moment où les employés étaient effectivement touchés, soit aurait pu soumettre un grief de principe en leur nom.

30 L’employeur a conclu que je devrais rejeter le grief collectif parce qu’il a été déposé prématurément, et qu’ainsi je n’ai pas compétence en vertu du paragraphe 215(1) de la Loi.

B. Pour l’agent négociateur

31 L’agent négociateur a fait valoir qu’en vertu du paragraphe 215(1) de la Loi, il faut que les employés « […] s’estiment lésés […] » par l’interprétation que donne l’employeur à la convention collective. Le présent grief collectif satisfait à ce critère. Les employés qui ont signé le grief en date du 8 juillet 2005 estimaient qu'ils étaient lésés par l'interprétation que donnait l'employeur à la convention collective, telle qu’exprimée dans le courriel envoyé le 5 juillet 2005 (pièce E-1). Dans les arguments qu'il a présentés, l'agent négociateur a déclaré que ce document incluait un avis officiel selon lequel l’employeur avait invoqué la stipulation 23.15, de façon erronée d’après les employés, pour modifier les heures de travail. L’agent de négociation a posé la question suivante : « Qu’est-ce qui est plus réel que cela? »

32 Si l’employeur n’avait pas émis la pièce E-1, toujours d’après l’agent négociateur, il est certain que le grief collectif aurait été prématuré. Cependant, le courriel envoyé le 5 juillet 2005 constituait un geste concret dont l’impact était loin d’être hypothétique. Le fait qu’aucun employé ne s’était effectivement présenté en vue d’un essai en mer à la date du grief n’est pas pertinent. Une fois que l’employeur avait communiqué l’avis, le changement prévu avait un effet personnel sur les employés, ce qui établissait leur droit de présenter un grief en vertu du paragraphe 215(1) de la Loi.

33 Dans ses arguments, l’agent négociateur fait valoir que les faits de ce cas se distinguent facilement de ceux de Fok. Plus particulièrement, la directive de l’employeur qui était à l’origine des griefs déposés dans Fok a été modifiée par la suite et puis annulée et jamais appliquée. Cela avait pour effet de rendre théorique la question soulevée dans les griefs, comme en témoignait la décision rendue dans Fok. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne le grief collectif devant moi. Les instructions communiquées aux employés par l’employeur pour qu'ils modifient leurs heures de travail demeuraient « en vigueur » et ont été appliquées.

34 L’agent négociateur m’a conseillé vivement d’examiner Nicholson c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), dossier de la CRTFP 166-02-22548 (19930114), où l’employeur a également soulevé une objection selon laquelle le grief avait été déposé prématurément. Lorsqu’il a rejeté l’objection, l’arbitre de grief a fourni une justification, qui était contenue dans l’argument de l’agent négociateur, qui s’applique de façon égale en l’espèce :

[…]

Il a été établi tant dans la jurisprudence de la Commission qu’ailleurs qu’un grief doit être « mûr » avant de pouvoir être renvoyé à l’arbitrage. Le litige faisant l’objet du grief doit être réel et non hypothétique. Il y a néanmoins des exceptions. Les auteurs Gorsky, Usprich et Brandt traitent de la question des « griefs prématurés » dans leur ouvrage intitulé Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration. Voici ce qu’ils disent à la page 3-3 :

[Traduction]

Dans Scarborough P.U.C., le syndicat a contesté le droit de l’employeur d’établir de nouveaux règlements et règles. L’employeur a soutenu que, vu que les règles n’avaient pas été appliquées et qu’aucun employé n’avait vu son statut modifié par leur exécution, le syndicat devait attendre, avant de déposer un grief, que leur application donne lieu à un incident précis entraînant l’imposition d’une mesure disciplinaire. La commission a unanimement conclu que le grief n’était pas prématuré.

Dans l’affaire précitée [(1974), 5 L.A.C. (2d) 285 (Rayner)], la commission a jugé que le syndicat pouvait à bon droit renvoyer les griefs en tant que griefs de principe. Bien que, en l’espèce, il ne soit pas question d’un grief de principe, le litige est semblable. L’employeur a affiché un horaire des postes révisé environ quinze jours avant son entrée en vigueur, tel que l’exigeait la convention collective. S’il est vrai qu’aucun fonctionnaire n’avait encore effectué un des postes inscrits à ce nouvel horaire, l’employeur l’avait effectivement affiché comme il devait le faire. Cette situation n’est pas différente de celle où un employeur pourrait afficher le calendrier des congés annuels. Si un fonctionnaire n’aimait pas le calendrier, il ne lui servirait pas à grand-chose d’attendre le passage des dates en question pour agir. Tout redressement serait alors impossible. L’affichage du calendrier des congés annuels ou d’un horaire des postes, comme c’est le cas ici, constitue une action réelle, concrète. Les fonctionnaires sont alors immédiatement informés des postes qu’ils auront à effectuer. La situation n’a rien d’hypothétique. L’employeur était tenu d’afficher l’horaire quinze jours à l’avance. Le simple fait qu’on puisse par la suite être obligé de le modifier à cause de circonstances imprévues telles que la maladie et la mort ne le rend pas hypothétique pour autant.

[…]

35 Si l’on suit le raisonnement auquel on fait référence dans Nicholson, il n’y avait rien d’hypothétique, de prématuré ou de potentiel une fois que l’employeur avait transmis son courriel daté du 5 juillet 2005. Les trois employés qui en étaient les destinataires savaient qu’ils étaient concernés de façon concrète. Ainsi, ils étaient lésés au sens du paragraphe 215(1) de la Loi.

C. Réfutation de l’employeur

36 Réagissant au dernier point soulevé par l’agent négociateur, l’employeur a rétorqué qu’au mieux, uniquement les trois employés qui ont reçu le courriel daté du 5 juillet 2005 auraient pu être touchés par la même interprétation ou application, de la manière énoncée au paragraphe 215(1) de la Loi. Cette disposition exige que tous les employés doivent s’estimer lésés par la même interprétation ou application à leur égard, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

37 En réponse à une question que j’ai posée pour obtenir des éclaircissements, l’employeur a déclaré que sa position était qu’étant donné que le paragraphe 215(1) de la Loi n’est pas formulé afin de permettre la présentation d’un grief collectif lorsque seulement certains des employés s’estiment ainsi lésés, tous les employés doivent s’estimer lésés par la même interprétation ou application pour pouvoir présenter un grief collectif valide.

IV. Détermination procédurale

38 Après avoir entendu l’ensemble de l’argumentation orale, j’ai rendu que j’émettrais une décision écrite distincte après l’audience concernant l’objection à la compétence. J’ai ordonné aux parties d’utiliser le restant du temps à l’audience pour présenter des éléments de preuve concernant les mérites éventuels de l’affaire.

39 J’ai également demandé des arguments écrits des parties au sujet de la question soulevée par l’employeur durant sa réfutation quant à la recevabilité d’un grief lorsque certains mais pas l’ensemble des employés participants s’estiment « lésés » au sens du paragraphe 215(1) de la Loi. Plus particulièrement, j’ai demandé aux parties de répondre aux deux questions que voici.

Si l’arbitre de grief statue que certains mais pas la totalité des fonctionnaires s’estimant lésés ont été lésés au sens du paragraphe 215(1) de la Loi, quelles en sont les conséquences pour sa compétence d’entendre les mérites du grief collectif? Par ailleurs, si l’arbitre de grief apprend que certains employés n’étaient pas lésés, peut-il rayer leurs noms de la liste des fonctionnaires s’estimant lésés participant au grief collectif et entendre ensuite les mérites du cas pour les fonctionnaires s’estimant lésés qui restent?

V. Arguments écrits supplémentaires

A. Au nom de l’employeur

40 L’employeur a soumis les arguments écrits reproduits ci-après le 20 mars 2008, en réponse à la première des deux questions que j’ai posées au sujet de l’état du grief collectif :

[Traduction]

[…]

Un grief collectif est constitué d’un seul grief, plutôt que de regrouper plusieurs griefs individuels. Il s’agit d’un droit substantiel attribué à l’agent négociateur (dans l’intérêt d’employés consentants), plutôt que d’un recours procédural. Le droit de déposer un grief collectif provient directement de la Loi, plutôt que du Règlement, d’où émanent la plupart des dispositions procédurales.

En tant que regroupement de griefs individuels, le grief collectif est un grief unique, distinct et indivisible.

L’une des différences fondamentales entre un groupe de griefs individuels soulevant des questions similaires et un « grief collectif » est qu’alors qu’il existe la possibilité d’ordonner la jonction de griefs individuels (voir l’art. 98 du Règlement), la division d’un « grief collectif » en ensembles distincts et plus réduits de griefs (c.-à-d. séparant ceux qui correspondent à la définition d’un grief collectif et ceux qui n’y correspondent pas) ne semble pas constituer une option, à tout le moins pas en vertu de la loi pertinente et de son règlement d’application.

En ce qui concerne le cas plus particulier qui nous intéresse, le législateur a précisé expressément la manière dont un employé peut joindre son nom à un grief collectif (voir le paragr. 215(2) de la Loi) et de la manière dont un employé peut retirer son nom du grief collectif (voir l’art. 218 de la Loi). Il s’agit d’un droit législatif octroyé expressément à l’employé individuel, plutôt que d’un recours ou d’une solution procédurale dont peut se prévaloir la Commission ou un arbitre de grief. Une fois qu’un employé consent à faire partie d’un grief collectif, il ne peut être exclu du groupe à moins qu’il n’exerce son droit de ne plus y souscrire. Dans les deux cas, la décision appartient à l’employé.

Étant donné que l’arbitre de grief peut seulement avoir compétence à l’égard d’un grief, l’arbitre de grief ne peut être compétent partiellement pour entendre ce grief unique. Pour que l’arbitre de grief ait compétence en la matière, le grief doit satisfaire au principal critère énoncé au paragr. 215(1) de la Loi, nommément que l'élément que doivent avoir « en commun » les employés qui ont consenti à faire partie du grief collectif est qu'ils doivent s’estimer lésés par une seule et même interprétation ou application à leur égard. Le libellé utilisé par le législateur au paragr. 215(1) et à l’art. 218 ne permet pas réellement de l’interpréter autrement. L’article 215 ne renvoie pas à « certains ou à l'ensemble des employés », car cela serait contraire à l’objet de la disposition en question, qui est de regrouper le groupe ciblé.

Si un ou plusieurs des employés ne partagent pas cet élément commun, à ce moment-là ils ne sont pas tous visés par la même interprétation ou application et le choix du mécanisme de présentation d’un grief n’est simplement pas le bon. Dans pareilles circonstances, l’agent négociateur ne devrait pas chercher à obtenir le consentement des employés qui ne partagent pas cet élément commun requis. Cela ne signifie pas que le groupe d’employés touché n’a pas à sa disposition un excellent recours pour faire entendre ses griefs mutuels par la Commission. L’article 208 de la Loi (griefs individuels) et l’art. 98 du Règlement (jonction) indiquent clairement la procédure à suivre dans de pareilles situations. Une autre option est également envisagée à l’art. 220 de la Loi (grief de principe). Le fait que les circonstances en l’espèce ne se prêtent pas proprement dites au mécanisme de règlement du grief sélectionné par l’agent négociateur n’empêche pas les employés touchés de faire entendre leur plainte par la Commission en recourant à un autre mécanisme législatif.

À notre avis, si l’agent négociateur ne satisfait pas au critère énoncé au paragr. 215(1), l’arbitre de grief n’a pas compétence en la matière.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

41 En ce qui concerne la deuxième question, l’employeur a fait les affirmations suivantes :

[Traduction]

[…]

L’arbitre de grief devrait exercer uniquement les pouvoirs qui lui ont été attribués par la Loi et son règlement d’application. Ces pouvoirs sont précisés au paragr. 226(1) de la Loi et ne permettent pas la séparation ou la division d’un grief collectif. Des pouvoirs additionnels sont également prévus dans le Règlement, par exemple, le pouvoir d’ordonner la jonction d’affaires en vertu de l’art. 98, mais on n’y mentionne aucunement le pouvoir de scinder ou de diviser un grief collectif ou toute autre affaire ou d’en exclure un ou plusieurs employés consentants.

Nous faisons valoir que si l’on démontre qu’au moins 13 des 16 membres formant le groupe d’employés lésés ne partagent pas cet aspect et qu’ils n’étaient pas lésés au moment du dépôt du grief collectif, comme c’est le cas d’après nous, ce grief collectif ne peut être soumis à l’arbitrage et l’arbitre de grief n’a pas compétence en la matière.

Nous soutenons par ailleurs que l’arbitre de grief n’a pas le pouvoir d’exclure ou d’enlever les noms d’employés qui n’étaient pas lésés dans le but de corriger une grave lacune, soit le non-respect d’une exigence législative. Ni la Loi ni le Règlement ne prévoient une telle solution procédurale.

Étant donné le langage utilisé par le législateur, les options de présentation de griefs dont peuvent se prévaloir les employés et l’absence d’un pouvoir législatif d'écarter, d’éliminer ou d’exclure des membres d’un groupe, nous faisons valoir que le grief collectif est un grief indivisible. La seule manière dont un fonctionnaire s’estimant lésé peut être enlevé du grief est si celui-ci s'en retire.

De plus, en divisant le groupe et en en enlevant certains des employés qui s’y sont joints de plein gré, un arbitre de grief ne ferait ni plus ni moins que de créer un « cas type », ce qui serait essentiellement contraire au but véritable d’un grief collectif et qu’il pourrait faire facilement en appliquant l’art. 208 de la Loi et l’art. 98 du Règlement (pour les trois employés restants). À notre avis, une telle approche aurait pour seul effet de nous faire reculer plutôt que de nous faire avancer.

[…]

B. Au nom de l’agent négociateur

42 Les arguments présentés par l’agent négociateur, en date du 4 avril 2008, sont formulés comme suit :

[Traduction]

[…]

Griefs collectifs

4. Les griefs collectifs se distinguent des griefs individuels et de principe. Il a été reconnu par les arbitres que les griefs collectifs s’appliquent aux situations où un certain nombre de griefs individuels sont présentés en tant que grief unique, c’est-à-dire où « deux employés ou plus réclament un redressement similaire pour la même infraction alléguée de la convention collective ». Il est généralement accepté qu’un grief collectif est simplement un ensemble de griefs individuels.

  • Voir ReRobson-Lang Leathers Ltd. and Canadian Food & Allied Workers, Local 205L (1973), 2 L.A.C. (2e) 289 (O’Shea) aux paragraphes 9 à 11, où l’on trouve une description de la différence entre les griefs individuels, collectifs, de principe et présentés par un syndicat. [Onglet 2]
  • Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e édition, au paragr. 2:3126 [Onglet 3]

5. Aspect intéressant, la jurisprudence en matière d’arbitrage ne semble souligner aucunement qu’il faut que chaque fonctionnaire s’estimant lésé individuel inclus dans un grief collectif présente des faits identiques ou réclame un redressement identique. Au lieu de cela, comme le soulignent Brown et Beatty dans Canadian Labour Arbitration, il y a une myriade de circonstances dans lesquelles il est dans l’intérêt d’une ou de plusieurs parties [traduction] qu’« un certain nombre de griefs soient combinés et traités ensemble à l’arbitrage », généralement par l’entremise d’une procédure de règlement d’un grief collectif, par exemple, pour accélérer le processus et le rendre plus efficace, de sorte à éviter une multiplicité de procédures.

  • Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e édition, au paragr. 3:1300 [Onglet 3]

La compétence et le droit de déposer un grief en vertu de la LRTFP

6. Un grief collectif est simplement un ensemble de griefs individuels dans lesquels sont soulevées des questions similaires. À ce titre, il est entièrement plausible que, dans certains cas, on constate que certains des plaignants n’ont pas été lésés. L’agent négociateur fait valoir que cela n’affecte en rien la compétence d’un arbitre de grief d’entendre les mérites d’un grief collectif.

7. Même s’il reste à la CRTFP de statuer sur ce cas particulier, les griefs collectifs étant un nouveau type de grief aux termes de la LRTFP, le concept des griefs collectifs est bien établi dans la jurisprudence arbitrale. [Traduction] « La question de savoir si la réclamation de chaque employé devrait être traitée en même temps ou séparément ne soulève pas une question d’arbitrabilité. Dans de telles circonstances, l’arbitre doit plutôt s’efforcer à suivre une procédure qui assurera le respect des droits de chaque personne concernée, tout en évitant dans un même temps une multiplicité de procédures. »

  • Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e édition, au paragr. 2:3126 [Onglet 3]

8. Le droit de déposer un grief, que ce soit par la présentation d’un grief individuel, collectif ou de principe, est un élément essentiel du régime des relations de travail tel qu’énoncé dans la LRTFP. En ce qui concerne les griefs collectifs, le Parlement a précisé que ce droit peut seulement être retiré dans certaines situations précises, à savoir quand un processus de redressement est déjà prévu sous le régime d’une autre loi fédérale, autre que la Loi canadienne sur les droits de la personne, lorsque le grief concerne « le droit à l’égalité de rémunération pour fonctions équivalentes » et lorsque le grief a trait à des mesures prises conformément à des instructions, directives ou règlements transmis ou élaborés par le gouvernement du Canada pour assurer la sécurité ou la sûreté du pays.

9. L’ancienne CRTFP a reconnu que le droit de déposer un grief est un droit fondamental, d’où l’exigence que toute restriction de ce droit doit se retrouver dans la loi elle-même. En effet, dans Melnichouk c. Agence canadienne d’inspection des aliments, la Commission a rendu que « compte tenu de l’importance fondamentale du droit législatif de présenter un grief dans le régime des relations de travail dans la fonction publique fédérale, tout retrait de ce droit devrait être explicite ».

  • 2004 CRTFP 181, au paragraphe 47 [Onglet 4]

10. Cette interprétation est également conforme au principe énoncé par la Cour suprême du Canada que la législation ne devrait pas être interprétée d’une manière qui limite les droits législatifs existants à moins qu’il y ait eu une claire intention législative d’obtenir ce résultat. Les tribunaux doivent rechercher un langage explicite dans la législation avant de conclure que des droits ont été réduits.

  • Morguard Properties Limited c. Ville de Winnipeg (1983), 3 D.L.R. (4e) 1 [Onglet 5]

11. Dans la même veine, l’article 12 de la Loi d’interprétation précise que tout texte « est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

  • L.R. (1985), ch. I-21 [Onglet 6]

12. Si le Parlement avait eu l’intention de retirer à un arbitre de grief sa compétence lorsque les fonctionnaires s’estimant lésés individuels ne lui présentent pas des griefs identiques plutôt que similaires, il aurait été simple de l’affirmer dans la législation. Le fait est que le Parlement ne l’a simplement pas fait.

Divisibilité des griefs collectifs

13. Vu la nature proprement dite des griefs collectifs, qui sont simplement un ensemble de griefs individuels, la Commission devrait être amenée à conclure qu’ils sont dissociables.

14. Dans Leduc et al. c. Chambre des communes, 2006 CRTFP 92 [Onglet 7 du recueil des textes faisant autorité présenté par l’agent négociateur], quelque 39 griefs ont été déposés concernant l'établissement d'un horaire de quarts, des heures de travail et l’interprétation de la convention collective conclue entre les parties. Celles-ci ont convenu que le grief d’un employé servirait de cas type, qui serait tranché dans le cadre d’un grief collectif, et que la décision prise à son égard s’appliquerait à tous les membres de l’unité de négociation. Même si l’on en est arrivé à une entente avant la date prévue de l’audience, la Commission avait été disposée à procéder de la façon décrite.

15. Par conséquent, tandis que la question de la divisibilité des griefs collectifs n’a pas encore été examinée directement par la Commission, il est implicite dans la décision rendue dans Leduc que la Commission a la compétence d’entendre seulement une partie d’un grief collectif et de statuer à ce sujet.

16. L’article 218 de la LRTFP précise qu’un employé individuel peut aviser l’agent négociateur qu’il ne désire plus souscrire au grief collectif. Cela peut se faire n’importe quand avant la décision finale. Contrairement aux arguments présentés par l’employeur, la facilité avec laquelle un employé peut ne plus souscrire à un grief collectif, c’est-à-dire simplement en avisant l’agent négociateur de ce souhait n’importe quand avant le prononcé de la décision définitive concernant le grief, appuie le concept de la divisibilité des griefs collectifs. Un employé peut se retirer d’un grief collectif, avant la décision définitive, et sa décision n’a aucun effet sur les membres restants du groupe, en ce qui concerne la procédure de règlement du grief.

17. On peut également soulever un autre aspect. Dans le contexte arbitral, lorsqu’on combine plusieurs griefs d’employés dont les intérêts ne sont pas identiques ou sont peut-être même opposés, le syndicat n’est pas obligé de sélectionner lequel des multiples griefs sera examiné.

18. Un exemple d'une telle situation est la décision concernant Reynolds Aluminum Co. of Canada de la Ontario Labour Arbitration. Cinq employés dont l’ancienneté variait avaient postulé un poste vacant annoncé par l’employeur. L’employeur a rejeté toutes les demandes et a engagé un nouvel employé pour combler le poste. Deux des cinq candidats ont présenté un grief pour contester le geste posé par l’employeur, lesquels griefs ont fini par être renvoyés à l’arbitrage. Du fait que les griefs combinés concernaient des employés dont les intérêts étaient clairement opposés, puisqu’il s’agissait de deux candidats au même poste vacant, l’employeur a soulevé une objection préliminaire selon laquelle le syndicat était obligé de décider lesquels des griefs seraient soumis au Conseil. Le Conseil a rejeté l’objection pour les motifs suivants :

[Traduction]

Il est assez évident, comme l’a souligné l’arbitre dans Labatt, si des audiences d’arbitrage distinctes étaient requises pour chaque grief, les différends ne pourraient pas être réglés rapidement et avec un minimum de dépenses, comme ils devraient l’être. De plus, comme il l’a affirmé, c’est uniquement en examinant à une seule audience l’ensemble des griefs ayant trait à la vacance particulière que l’arbitre peut bien se concentrer sur le problème exact auquel faisait face l’employeur lorsqu’il a évalué les candidats et a fait son choix. Par conséquent, hormis une quelconque autre considération, en l’absence d’une disposition dans la convention collective interdisant à l’arbitre d’examiner plus d’un grief dans les circonstances actuelles, nous sommes d’avis que l’arbitre devrait les examiner tous.

  • (1973), 4 L.A.C. (2e) 370 (Schiff), au paragraphe 4 [Onglet 8]

19. La FIOE fait valoir respectueusement que le même raisonnement devrait être appliqué en l’espèce. En l’absence d’une disposition législative interdisant à l’arbitre de grief d’entendre le grief qui nous intéresse ici et de statuer à son sujet, nous estimons que l’arbitre de grief non seulement devrait conclure qu’il possède la compétence voulue, mais qu’il devrait continuer à entendre les griefs individuels ensemble, en tant que groupe, afin qu’il puisse bien diriger son attention sur les mesures prises par l’employeur, lorsqu’il a institué des changements dans les quarts et ainsi a contrevenu à la convention collective.

[…]

C. Réfutation de l’employeur

43 Voici les arguments présentés par l’employeur aux fins de réfutation et datés du 17 avril 2008 :

[Traduction]

[…]

1. En réponse aux paragraphes 5, 7 et 18 des arguments présentés par l’agent négociateur, rien n’empêche la Commission de réunir un certain nombre de griefs individuels et de les considérer en bloc dans le contexte d’un seul arbitrage. Cela est envisagé expressément à l’art. 98 du Règlement. Plusieurs griefs individuels peuvent être consolidés et entendus à une seule audience d’arbitrage.

2. En réponse aux paragraphes 8 à 12 des arguments de l’agent négociateur, il convient de noter que le droit de présenter un grief n’est pas compromis dans les présentes circonstances. C’est simplement la pertinence de la nature du grief choisi qui est au cœur du débat. Les employés peuvent se prévaloir d’autres solutions efficaces pour présenter des griefs, et notamment présenter des griefs individuels, qui peuvent être consolidés à des fins administratives, et des griefs de principe. En fait, plusieurs griefs individuels ont été déposés par les employés concernés au sujet du même problème, et tous ces griefs sont actuellement en suspens.

3. Contrairement à ce qui est allégué aux paragraphes 10 et 11 des arguments de l’agent négociateur, aucun droit n’est diminué, restreint ou ôté par la volonté de s’assurer que l’agent négociateur respecte les critères énoncés à l’art. 215. La vraie question consiste plutôt à établir lequel des trois mécanismes de présentation d'un grief, soit un grief individuel, un grief collectif ou un grief de principe (et peut-être un quatrième si l’on tient compte de l’option de jonction) peut être utilisé et est approprié dans les circonstances. Le fait que le mécanisme sélectionné n’est pas approprié parce que la vaste majorité des employés qui ont signé le grief collectif n’étaient pas lésés ne limite pas pour autant les droits des employés, puisqu’il y a trois autres mécanismes dont ils peuvent se prévaloir pour présenter leurs griefs.

4. Contrairement à ce qui est suggéré au paragraphe 12 des arguments de l’agent négociateur, la question n’est pas de savoir si les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés sont identiques ou similaires. À des fins de jonction, un certain nombre de ces griefs risque fort bien de répondre à ce critère. La question est plutôt de savoir si chaque employé nommé partage en fait l’élément commun qui est d’avoir un motif justifiant la présentation d’un grief. S’il est impossible de satisfaire à la condition préalable de la disposition sélectionnée, c’est-à-dire selon laquelle il faut s’estimer lésé, on ne peut pas et on ne devrait pas soumettre un grief.

5. En réponse au paragraphe 19 des arguments de l’agent négociateur, la compétence d’un arbitre de grief ne découle pas de ce qui n’est pas exclu dans la Loi. Au contraire, la compétence d’un arbitre de grief tient strictement à ce que le législateur a prévu expressément c’est-à-dire à ce qui est prévu à l’art. 226 de la LRTFP. Si l’opposé était vrai, la liste des questions qu’un arbitre de grief ne peut pas entendre ou sur lesquelles il ne peut statuer devrait être à la fois longue et exhaustive.

6. L’agent négociateur, dans ses arguments, a suggéré à plusieurs reprises qu’un grief collectif n’est rien qu’un ensemble de griefs individuels. Sauf votre respect, l’employeur n’est pas d’accord avec cette affirmation. La LRTFP distingue expressément entre le droit qu’ont les employés de présenter un grief individuel (art. 208) du droit qu’ont les agents négociateurs de présenter des griefs collectifs « au nom des fonctionnaires de cette unité qui s’estiment lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale » (art. 215).

7. Les circonstances dans lesquelles l'un et l'autre de ces différents types de griefs peuvent être déposés varient considérablement, de même que la partie ou l’entité qui peut le présenter (employé individuel comparé à l’agent négociateur). Il serait déraisonnable de conclure que l’intention du législateur, lorsqu’il a élaboré la disposition sur les griefs collectifs, était de désigner simplement un ensemble de griefs individuels, surtout lorsque la législation prévoit déjà la jonction de griefs individuels (art. 98 du Règlement).

8. En réponse au paragraphe 14 des arguments de l’agent négociateur, on fait valoir que le fait que les parties dans Leduc se sont peut-être entendues pour examiner seulement un des 39 griefs et pour appliquer la décision rendue ainsi dans ce cas type à tous les membres de l’unité de négociation n’est pas une indication que la Commission est habilitée juridiquement à assumer la compétence pour un grief collectif mal constitué, avec ou sans le consentement des parties.

9. Comme il a été établi antérieurement par cette Commission, les parties ne peuvent pas du simple fait de leur consentement attribuer la compétence à la Commission (voir Fok et Granger, 2006 CRTFP 93, paragr. 12).

10. Il convient aussi de noter que dans le cas Leduc, la Commission n’a pas statué sur la question de la compétence qui nous intéresse en l'espèce, mais plutôt sur la façon dont les parties étaient liées par le règlement auquel elles étaient arrivées.

11. Une lecture attentive de la décision Robson-Lang (à l’onglet 2 des documents faisant autorité de l’agent négociateur) et de l’extrait de l’ouvrage de Brown et Beattie que l’on trouve à l’onglet 3 semble suggérer que le terme « grief collectif », tel qu'utilisé dans ces documents, se rapproche davantage d'une jonction de griefs individuels (un recours prévu aux termes de la Loi). Cela semble avoir peu à voir avec la procédure envisagée à l’art. 215 de la Loi, qui est un droit distinct dont dispose l’agent négociateur dans des circonstances prescrites.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

VI. Motifs

44 L’employeur prétend que l’agent négociateur a déposé le grief collectif prématurément. D’après l’employeur, aucun employé n’était lésé au sens du paragraphe 215(1) de la Loi au 8 juillet 2005, qui est la date du grief collectif, et que par conséquent, je n’ai pas la compétence d’aller de l’avant.

45 Dans ses arguments de réfutation, l’employeur a ajouté à son objection l’argument selon lequel le grief collectif n’était pas un tel grief au sens du paragraphe 215(1) de la Loi parce que la question faisant l’objet du grief n’était pas partagée par l’ensemble des employés au nom desquels l’agent négociateur a déposé le grief.

46 Les présents motifs portent sur les questions de compétence, que j'examinerai l’une à la suite de l’autre.

A. Prématurité

47 Le libellé exact du grief collectif est important lorsqu’on cherche à évaluer l’affirmation de l’employeur selon laquelle l’agent négociateur a déposé le grief prématurément. Tel qu’il est noté au début de la présente décision, le grief collectif était formulé comme suit :

[Traduction]

Le fait d'avoir reçu l’ordre de travailler des quarts de soir et de nuit durant des essais en mer d’une manière qui contrevient à l’article 32 de la convention collective du groupe EL.

48 Le libellé du grief semble simple. En le formulant ainsi, l’agent négociateur a indiqué que [traduction] « [l]e fait d’avoir reçu l’ordre de travailler des quarts de soir et de nuit durant des essais en mer » était l’événement déclencheur du grief. Cette instruction, d’après le libellé du grief, contrevenait à l’article 32 de la convention collective.

49 Le redressement demandé par l’agent négociateur souligne l’accent mis sur l’instruction émise par l’employeur à travailler certains quarts. En effet, il demande que l’employeur annule son instruction aux employés de [traduction] « […] travailler des quarts durant des essais en mer […] ».

50 Les faits présentés en tant que preuve ne sont pas contestés. Un représentant de l’employeur a envoyé le 5 juillet 2005 à trois employés un courriel qui affirmait ce qui suit : [traduction] « […] [v]os heures de travail régulières ont été modifiées afin de commencer à 15 h, le lundi 11 juillet au site NESTRP […] » (pièce E-1). M. Hix a témoigné que les trois employés se sont présentés aux fins des essais en mer le 11 juillet 2005, comme on le leur avait ordonné, même si l’un d’eux a commencé à travailler cette journée-là à 7 h. Entre-temps (le 8 juillet 2005), l’agent négociateur avait déposé un grief collectif signé par 16 employés, y compris les 3 employés à qui s’adressait le courriel envoyé par l’employeur.

51 L’argument de l’employeur selon lequel le grief collectif était prématuré dépend de la proposition selon laquelle aucun employé n’était « lésé » avant qu’il ne fût obligé de se présenter pour travailler des heures différentes le 11 juillet 2005. Je m'oppose respectueusement à ce point de vue, du moins en partie. Si par exemple, le grief avait contesté spécifiquement l’exigence proprement dite de travailler le 11 juillet 2008, voire la rémunération versée subséquemment par l’employeur en réponse à cette exigence de travailler, l’objection de l’employeur pourrait être considérée sous un jour différent. Or, le libellé du grief ne porte pas sur ces éléments. Au lieu de cela, tel que formulé, le grief établissait un lien entre le sentiment des employés d'être lésés et les instructions communiquées le 5 juillet 2008 par l’employeur. Comme dans Nicholson, je ne crois pas qu’il était nécessaire pour les employés d’attendre jusqu’au 11 juillet 2005 pour que leur grief se concrétise. Les instructions communiquées le 5 juillet 2005 par l’employeur n’étaient pas juste hypothétiques et n'étaient pas une simple suggestion. En envoyant son courriel, l’employeur transmettait une interprétation de la convention collective indiquant qu’il avait le pouvoir de modifier les heures de travail aux fins des essais en mer et qu’il exerçait ce pouvoir. Même la construction grammaticale de l’instruction tend à appuyer ce point de vue. En effet, dans le courriel, l’employeur informait les destinataires que [traduction] « […] vos heures régulières ont été changées […] » et non pas qu’elles seraient peut-être modifiées ou pourraient l’être.

52 Compte tenu des circonstances particulières du cas, on pourrait faire valoir que le grief collectif aurait perdu sa raison d’être comme c’était le cas dans Fok, si les instructions communiquées par l’employeur le 11 juillet 2005 étaient restées sans suite. Cela ne signifie toutefois pas qu’il n’y avait pas de différend à partir du 5 juillet 2005. J’accepte l’argument de l’agent négociateur selon lequel les instructions créaient une question réelle, soit l’interprétation de la convention collective, à partir de cette date. Si l’on se fonde sur la terminologie du paragraphe 215(1) de la Loi, il y avait une possibilité concrète que les destinataires « […] s’estiment lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective […] » annoncée par l’employeur. À tout le moins hypothétiquement, l’employeur, ayant été informé de la préoccupation de l’agent négociateur le 8 juillet 2005, aurait pu annuler ses instructions avant l’exécution de la tâche imposée le 11 juillet 2005, et résoudre ainsi le différend. Dans ce sens, le courriel de l’employeur du 5 juillet 2005 est semblable de façon générale à l’affichage à l’avance par l’employeur de l’horaire des quarts dans Nicholson, un geste qui d’après l’arbitre de grief était suffisamment réel et concret pour pouvoir servir de fondement à un grief recevable qui pourrait subséquemment être renvoyé à l’arbitrage.

53 Il y a toutefois une restriction. Les instructions communiquées par courriel le 5 juillet 2005 ont engendré un grief dans le cas des trois employés qui étaient assujettis à l’interprétation de la convention collective transmise par l’employeur à cette date. On n’a toutefois présenté aucun élément de preuve directe pour établir ce qui avait motivé le grief dans le cas des 13 autres employés qui ont consenti à la présentation du grief collectif. De toute évidence, le courriel ne s’adressait pas à eux. Il semble probable que, selon M. Hix, l’interprétation qu’il donnait à la convention collective dans son courriel pourrait s’appliquer ou s’appliquerait de façon plus générale à d’autres employés à un moment futur. Dans son témoignage, il a affirmé que [traduction] « la directive sur les HS » à laquelle il faisait allusion dans son courriel était le document intitulé « Combat Systems Overtime and Associated Premium Management », qui remontait à mai 2005 (pièce E-2). Ce document mentionne la possibilité d’un [traduction] « […] changement temporaire de l’horaire de travail […] » aux fins d’essais en mer effectués par des employés dans la section du génie des systèmes de combat. Toutefois, l’agent négociateur n’a pas fait valoir que [traduction] « la directive sur les HS » avait motivé le grief pour les 13 autres employés ou, pour cette affaire, pour les 3 employés qui avaient reçu plus tard le courriel le 5 juillet 2005. De plus, l’agent négociateur n’a présenté aucun élément de preuve indiquant que les autres employés avaient reçu [traduction] « la directive sur les HS » ou en avait pris connaissance autrement ou encore qu’ils comprenaient qu’elle incluait une interprétation de la convention collective qui leur a donné le sentiment d’être lésés.

54 Sans une quelconque preuve directe qui me persuaderait de la manière dont le courriel en date du 5 juillet 2001 était également à l’origine du grief présenté par les 13 autres employés, je dois conclure que, dans leur cas, le grief était prématuré. Dans cette mesure, l’objection de l’employeur à ma compétence a du mérite, c'est-à-dire dans le cas des signataires au grief autres que les MM. Skrobotz, Buckley et Vinden.

B. Lacunes dans le grief collectif

55 Le droit d’un agent négociateur de déposer un grief collectif et si nécessaire de renvoyer ce grief à l’arbitrage est un nouvel aspect notable de la nouvelle Loi qui est entrée en vigueur le 1er avril 2005. Les articles 215 et 216 sont les dispositions qui s’appliquent :

      215. (1) L’agent négociateur d’une unité de négociation peut présenter un grief collectif à l’employeur au nom des fonctionnaires de cette unité qui s’estiment lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

      (2) La présentation du grief collectif est subordonnée à l’obtention au préalable par l’agent négociateur du consentement — en la forme prévue par les règlements — de chacun des intéressés. Le consentement ne vaut qu’à l’égard du grief en question.

      (3) Le grief collectif ne peut concerner que les fonctionnaires d’un même secteur de l’administration publique fédérale.

      (4) L’agent négociateur ne peut présenter de grief collectif si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

      (5) Par dérogation au paragraphe (4), l’agent négociateur ne peut présenter de grief collectif relativement au droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes.

      (6) Si le fonctionnaire choisit, pour une question donnée, de se prévaloir de la procédure de plainte instituée par une ligne directrice de l’employeur, l’agent négociateur ne peut inclure ce fonctionnaire parmi ceux au nom desquels il présente un grief collectif à l’égard de cette question si la ligne directrice en question prévoit expressément que le fait de se prévaloir de la procédure rend impossible la présentation d’un grief sous le régime de la présente loi.

      (7) L’agent négociateur ne peut présenter de grief collectif portant sur une mesure prise en vertu d’une instruction, d’une directive ou d’un règlement établis par le gouvernement du Canada, ou au nom de celui-ci, dans l’intérêt de la sécurité du pays ou de tout État allié ou associé au Canada.

      (8) Pour l’application du paragraphe (7), tout décret du gouverneur en conseil constitue une preuve concluante de ce qui y est énoncé au sujet des instructions, directives ou règlements établis par le gouvernement du Canada, ou au nom de celui-ci, dans l’intérêt de la sécurité du pays ou de tout État allié ou associé au Canada.

      216. Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, l’agent négociateur peut renvoyer le grief collectif à l’arbitrage.

56 À mon avis, jusqu’à présent, seulement une décision concernant un grief collectif a été rendue par un arbitre de grief en vertu de l’article 216 de la Loi, soit Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 120. Tandis que cette décision portait également sur des questions de compétence, aucune de ces questions soulevées par l’employeur n’a obligé l’arbitre de grief d’examiner la manière dont devait fonctionner le nouveau mécanisme de règlement de griefs collectifs selon le législateur.

57 La seconde objection soulevée par l’employeur en l’espèce porte manifestement sur le fonctionnement du mécanisme de règlement des griefs collectifs. L’employeur fait valoir qu’en raison du libellé du paragraphe 215(1) de la Loi, il faut que chaque employé qui a consenti à la présentation d’un grief collectif par l’agent négociateur « s’estime lésé » par la même interprétation ou application erronée alléguée d’une disposition de la convention collective ou de la décision arbitrale. Si l’on détermine que pas tous les « fonctionnaires » consentants ont cela en commun, [traduction] « […] le choix du mécanisme de présentation des griefs n’est simplement pas le bon […] » et l’arbitre de grief n’a pas la compétence voulue pour examiner le grief collectif.

58 Si l'interprétation que donne l’employeur au paragraphe 215(1) de la Loi est correcte, le grief collectif que j’ai devant moi est irrémédiablement lacunaire parce que j’ai rendu que, pour 13 des 16 employés qui ont consenti au grief collectif, celui-ci était prématuré, c’est-à-dire qu’il était impossible qu'ils « s’estiment lésés ». Si je suis l’argument de l’employeur, il m’est donc interdit en vertu de la Loi d’accepter la compétence pour le grief et d’examiner les mérites du cas pour les trois employés qui restent.

59 De façon plus générale, si j’accepte l’interprétation que donne l’employeur au paragraphe 215(1) de la Loi et que j'accepte son objection en matière de compétence, ce précédent suggérerait que tout grief collectif puisse être considéré comme étant hors de la compétence d’un arbitre de grief, si celui-ci établit qu’un ou plusieurs des employés consentants ne partagent pas les motifs communs à l’origine du sentiment d’être lésés. Formulé de façon peut-être plus dramatique, cet argument voudrait dire que lorsqu’on réussit à contester la situation ne serait-ce que d’un des employés qui a consenti au grief collectif, la situation de tous les autres employés qui y ont consenti est infirmée, et un arbitre de grief doit rejeter le grief collectif pour manque de compétence. D’après l’employeur, l’arbitre de grief ne possède simplement pas la compétence en vertu de la Loi de « scinder » le grief, c’est-à-dire d’en enlever les noms des employés qui d’après lui ne pouvaient pas vraiment s’estimer lésés au sens du paragraphe 215(1) et d’examiner les mérites du grief pour les employés consentants qui restent, quel que soit leur nombre :

[Traduction]

[…]

Pour que l’arbitre de grief ait compétence en la matière, le grief doit satisfaire au principal critère énoncé au paragr. 215(1) de la Loi, nommément que l’élément que doivent avoir « en commun » les employés qui ont consenti à faire partie du grief collectif est qu’ils doivent s’estimer lésés par une seule et même interprétation ou application à leur égard. Le libellé utilisé par le législateur au paragr. 215(1) et à l’art. 218 ne permet pas réellement de l’interpréter autrement. L’article 215 ne renvoie pas à « certains ou à l'ensemble des employés », car cela serait contraire à l’objet de la disposition en question, qui est de regrouper le groupe ciblé.

Si un ou plusieurs des employés ne partagent pas cet élément commun, à ce moment-là ils ne sont pas tous visés par la même interprétation ou application et le choix du mécanisme de présentation d’un grief n’est simplement pas le bon.

[…]

60 Pour répondre à l’objection soulevée par l’employeur, je dois d’abord fournir un historique. Aux termes de la législation qui était en vigueur avant le 1er avril 2005 (l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, « l’ancienne LRTFP »), il n'existait pas de mécanisme de présentation de griefs collectifs. L’ancienne LRTFP exigeait que lorsque deux employés ou plus s’estimaient lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale, ils soumettent séparément un grief et au besoin renvoient ces griefs séparément à l’arbitrage. Du moins en principe, la législation obligeait l’employeur à examiner chaque grief individuellement. De même, chaque fonctionnaire s’estimant lésé bénéficiait du droit en principe de faire entendre son grief et d’obtenir une décision distincte rendue par un arbitre de grief en vertu de l’ancienne LRTFP.

61 Par conséquent, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique s'est fréquemment retrouvée dans des situations où des employés ou agents négociateurs agissant en leur nom ont renvoyé à l’arbitrage un certain nombre de griefs distincts mais formulés de façon identique, qui occasionnellement se comptaient par plusieurs douzaines ou même par plusieurs centaines, en les soumettant un par un ou en lots. En réponse à tous ces renvois à l’arbitrage, la pratique de la Commission, qui se fondait sur les exigences techniques de l’ancienne LRTFP, était d’ouvrir un dossier séparé et de suivre ses procédures habituelles de notification et de gestion des dossiers pour chacun des griefs séparément.

62 Au fil des ans, certains employeurs et agents négociateurs ont exprimé le point de vue que l’absence d’une option de présentation de griefs collectifs en vertu de l’ancienne LRTFP contribuait à une grave inefficacité administrative au chapitre du traitement des dossiers de grief. Dans une certaine mesure, ils ont trouvé des façons pratiques de gérer certains aspects de la situation. Il n’était pas infréquent pour les parties de convenir de suivre la procédure interne de traitement des griefs en se servant d'un cas type tout en plaçant en suspens les griefs qui y étaient identiques. À la Commission, on a obtenu des résultats similaires en adoptant officieusement une approche analogue utilisant des « cas types » ou en regroupant les griefs au rôle d’audiences. Tandis que ces approches étaient utiles, ceux critiquant la situation ont exprimé l’opinion que toute loi nouvelle ou modifiée devrait inclure un mécanisme complet de règlement des griefs collectifs, comme il en existait dans certaines autres administrations, pour rendre le système plus efficace et pour mettre fin au recours à des solutions procédurales « d’urgence ».

63 Les articles 215 et 216 de la Loi semblent constituer une mesure directe visant à répondre à ce besoin cerné.

64 Comparativement au régime antérieur prévu aux termes de l’ancienne LRTFP, les articles 215 et 216 de la Loi n'étendent pas la matière qui peut donner lieu à un grief et qui peut être renvoyée à l’arbitrage. En ce sens et c’est important de le souligner, ni l’article 215 ni l’article 216 ne créent un droit substantiel qui n’existait pas auparavant. Au lieu de cela, ils offrent une nouvelle option procédurale pour la présentation, le traitement et l’arbitrage d’un grief concernant une question qu’ont en commun deux employés ou plus. Cette option ne peut être exercée à l’égard d'aucune autre catégorie de griefs en vertu de la Loi, mais peut être appliquée uniquement dans les situations où l’interprétation ou l’application par l’employeur d’une disposition de la convention collective ou d’une décision arbitrale est en cause. C’est l’agent négociateur qui se charge de déposer un tel grief, à la condition procédurale qu’il présente le grief uniquement au nom des employés qui ont consenti explicitement à participer de la manière prévue au paragraphe 215(2). En outre, les employés ont également le droit de retirer leur consentement à une date ultérieure, aux termes de l’article 218 :

       218. Tout fonctionnaire visé par le grief collectif peut, avant le prononcé de la décision définitive à l’égard de celui-ci, aviser l’agent négociateur qu’il ne désire plus y souscrire.

65 À mon avis, l’inclusion de la nouvelle option de règlement des griefs collectifs dans la Loi était tout à fait conforme à l’intention déclarée du législateur de « […] résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi [je souligne] » (préambule de la Loi). En prévoyant un mécanisme explicite de règlement des griefs collectifs, la Loi a fait en sorte qu’il soit possible pour des groupes formés d’employés qui s’estiment lésés de la même façon, par l’entremise de leur agent négociateur accrédité, d’éviter un dédoublement inutile dans le cadre de la présentation de griefs et de bénéficier d’un processus plus efficace de traitement et de règlement de ces griefs. Du point de vue de la Commission, le potentiel d’accroître l’efficacité du processus par l'application d’un mécanisme de règlement des griefs collectifs réside dans la possibilité d’ouvrir et de gérer un seul dossier de renvoi à l’arbitrage pour une affaire concernant de multiples employés et de résoudre le différend au moyen d’une seule procédure d’arbitrage.

66 Vu cet historique, l’employeur interprète-t-il correctement la Loi, compte tenu des intentions du législateur, lorsqu’il fait valoir que je n’ai pas la compétence d’entendre ce renvoi à l’arbitrage parce que l’agent négociateur a omis de présenter un solide grief collectif conformément à l’article 215, puisque certains des employés qui ont consenti à la présentation du grief n’étaient pas tous lésés de la même manière au sens de la Loi? Pour les motifs qui suivent, je dois répondre par la négative.

67 J’accepte l’argument de l’agent négociateur qu’un arbitre de grief doit interpréter les dispositions de la Loi relativement au grief collectif « […] de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de [l’]objet [de la législation] », comme l'exige l'article 12 de la Loi d’interprétation. Tel que noté plus haut, l’« efficacité » constitue l’un des objets de la législation qu’il faut prendre en considération. Ma tâche consiste, à tout le moins partiellement, à interpréter et à appliquer les articles 215 et 216 de la Loi d’une façon qui est conforme à l’objectif d’assurer l’efficacité du règlement des différends. Par contraste, si l’on donne à ces dispositions une interprétation technique inutilement restrictive, on risque de réduire leur but et utilité.

68 Le libellé du paragraphe 215(1) de la Loi est au cœur de l’objection soulevée par l’employeur concernant ma compétence. D’après l’argument formulé par l’employeur, un arbitre de grief peut seulement assumer la compétence pour l’examen d’un grief collectif en vertu du paragraphe 215(1) si tous les employés qui consentent au grief collectif partagent les mêmes raisons de s’estimer lésés :

       215. (1) L’agent négociateur d’une unité de négociation peut présenter un grief collectif à l’employeur au nom des fonctionnaires de cette unité qui s’estiment lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

(en anglais)

       215. (1) The bargaining agent for a bargaining unit may present to the employer a group grievance on behalf of employees in the bargaining unit who feel aggrieved by the interpretation or application, common in respect of those employees, of a provision of a collective agreement or an arbitral award.

69 Respectueusement, j’estime que l’argument avancé par l’employeur donne au paragraphe 215(1) de la Loi une interprétation plus étroite que ce qui peut être soutenu par son libellé, qui est simple dans les deux langues. De plus, selon moi, le but de l’employeur en présentant son argument est d’obtenir un résultat qui n’est pas conforme à l’objectif consistant à améliorer l’efficacité du mécanisme de règlement des différends.

70 Aux termes du paragraphe 215(1) de la Loi, il faut d’abord que les employés impliqués dans un grief collectif « […] s’estiment lésés […] [je souligne] » par l’interprétation ou l’application de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. Comme c’est le cas dans tout grief, le fait de « s’estimer lésé » est un critère subjectif plutôt qu’objectif. La preuve qu’un employé s’estime lésé dans le contexte d’un grief collectif est qu’il a consenti à la présentation de ce grief collectif par l’agent négociateur de la manière prescrite au paragraphe 215(2). Un employé peut avoir tort objectivement de s’estimer lésé, mais cela dépend des mérites de l’affaire et n’est pas une question de compétence.

71 Deuxièmement, en vertu du paragraphe 215(1) de la Loi, il faut que les employés consentants qui s’estiment lésés le soient « […] par la même […] » interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. Or, d'après moi, pour assumer la compétence à l’égard d’un grief collectif, un arbitre de grief doit seulement être convaincu qu’il y a une preuve prima facie (c’est-à-dire « à première vue ») pour l’allégation que les employés qui affirment s’estimer lésés sont ou pourraient être lésés par la même interprétation ou application contestée à leur égard d'une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. La preuve prima facie requise peut dans certains cas être fondée sur les détails fournis dans le grief proprement dit. Dans d’autres cas, il se peut qu’il soit nécessaire de fournir une quelconque preuve préliminaire supplémentaire. La norme de preuve n’est toutefois pas élevée. Un arbitre de grief ne peut pas en fait exiger que l’agent négociateur prouve les mérites de son cas, c’est-à-dire qu'il établisse de façon conclusive que les employés sont visés ainsi de façon égale, en tant que condition préalable à sa décision d’en assumer la compétence. Pour accepter ainsi la compétence d’entendre le grief collectif, il faut seulement que l’arbitre de grief conclue que la cause est défendable et suffisante à première vue et que les points communs allégués existent ou sont susceptibles d'exister. La détermination conclusive sur ce point sera faite lorsque l’arbitre de grief examine ensuite les mérites du cas, auquel moment la norme de preuve appliquée sera celle de la « prépondérance des probabilités ».

72 L’employeur semble laisser sous-entendre dans ses arguments que la législation attribue à l’agent négociateur la responsabilité de s’assurer que tous les employés consentants ont des motifs communs de s’estimer lésés lorsqu’il dépose un grief collectif en vertu du paragraphe 215(1) de la Loi. L’employeur prétend que « […]  l’agent négociateur ne devrait pas chercher à obtenir le consentement des employés qui ne partagent pas cet élément commun requis ». Sinon, toujours d’après les arguments de l’employeur, l’agent négociateur s’exposera au risque que le grief collectif soit déclaré comme hors de la compétence de l’arbitre de grief, si, par la suite, on démontre qu’un ou plusieurs des employés consentants n’étaient pas réellement lésés. Alors qu’il est raisonnable de suggérer qu’un agent négociateur ne doive pas sciemment impliquer des employés dans un grief collectif lorsqu’ils n’ont pas des motifs communs de s’estimer lésés, il est excessif d’exiger qu’un agent négociateur doive avoir la certitude de l’existence d’un tel élément commun pour éviter que la décision juridique soit défavorable.

73 Il se peut, par exemple, qu’il y ait des faits inconnus ou raisonnablement inconnus pour l’agent négociateur au moment où il dépose un grief collectif qui pourraient changer la situation d’un ou de plusieurs employés qui consentent à la présentation du grief. Il est concevable que de tels faits pourraient inciter plus tard un agent négociateur à conseiller à un employé de se retirer du grief collectif en vertu de l’article 218 de la Loi. Rien dans cet article ne permet cependant à un agent négociateur de forcer un employé à le faire. Si on suit la logique de l’argument de l’employeur dans un pareil scénario, l’arbitre de grief serait obligé de refuser d’assumer la compétence  pour l’examen du grief collectif, décision qui se ferait au détriment de l’agent négociateur et de tous les autres employés consentants, alors que ni l’agent négociateur ni les autres employés n’exercent un contrôle définitif sur les noms qui sont inclus à la liste des participants au grief collectif. Dans ce cas-là, aussi longtemps que l’on démontre par la suite qu’un employé consentant ne partage pas les motifs communs à cause desquels les employés se sentent lésés, le grief collectif ne pourrait être entendu.

74 Si cette proposition était bien fondée, ce que d'après moi elle n'est pas, ce ne serait que raisonnable de s’attendre à ce que les agents négociateurs réagissent de façon pragmatique à ce qui serait perçu comme une interprétation très restrictive du paragraphe 215(1) de la Loi. Soit ils s’évertueraient à garantir que la question à l’origine du grief soit entendue en déposant des griefs individuels pour chacun des employés parallèlement au dépôt du grief collectif (juste au cas où), soit ils pourraient décider d’éviter tout risque d’une décision défavorable en n’exerçant pas du tout l’option de présentation d’un grief collectif. À mon avis, chacune de ces options saperait l'objectif du législateur qui était d’accroître l’’efficacité du processus de règlement des différends justement en prévoyant une option de présentation d’un grief collectif.

75 Je note l’argument de l’employeur selon lequel le paragraphe 215(1) de la Loi ne devrait pas être interprété comme s'il précisait que « […] certains ou l'ensemble des fonctionnaires [je souligne] » s’estiment lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. J’estime, au contraire, qu’il serait peu approprié d’insister, comme le fait l’employeur, sur une interprétation du paragraphe comme s’il était formulé comme suit : [traduction] « […] au nom des fonctionnaires de cette unité, dont il a été démontré qu’ils ont tous été lésés de la même façon par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale [je souligne] ». De mon point de vue, tout grief inclut une allégation ou une déclaration de réclamation. La personne qui présente le grief devrait toujours faire cette allégation ou déclaration de réclamation de bonne foi et tout en croyant à sa véracité. N'importe quel grief est cependant entouré d’une certaine incertitude. La constatation qu’une partie de l’allégation ou de la déclaration de réclamation contient de l’information erronée – dans les circonstances spécifiques en l'espèce, le problème à l’origine du grief était seulement partagé par « certains des employés » – ne constitue pas une faille juridique fondamentale. Ce n’est pas, selon moi, une question qui doit être déterminée en tant que condition préalable, avant de permettre à la procédure de règlement du différend de suivre son cours prévu. Il s’agit plutôt d’une conséquence normale et plausible du processus de l’examen qui est au cœur des efforts visant à établir les mérites du cas.

76 Je ne suis pas entièrement en désaccord avec les arguments de l’employeur. Après y avoir réfléchi, je suis persuadé que l’employeur a probablement des motifs légitimes pour affirmer qu’un arbitre de grief n’a pas le pouvoir explicite de scinder ou de diviser un grief collectif ou, techniquement, d'en retirer des noms lorsqu’il constate que certains employés ne partagent pas l’élément commun allégué. Sur ce point, je conviens qu’un grief collectif est une entité unique, qui se distingue d’un ensemble de griefs individuels identiques, à certains importants égards. Mais le fait qu’il s’agisse d’une entité unique n’empêche cependant pas un arbitre de grief d’arriver à des conclusions au sujet de ce grief ou d’ordonner des redressements qui font la distinction entre différents éléments constitutifs du cas ou entre différents employés impliqués. À mon avis, le pouvoir de l’arbitre de grief d’en arriver à des constatations juridiques et à des conclusions de fait, de tirer des conclusions de la preuve et d’ordonner des mesures correctrices n’est pas plus restreint dans le cas d’un grief collectif que pour n'importe quel autre type de grief. Je n’interprète pas la Loi comme limitant le pouvoir de décision de l’arbitre de grief de telle sorte qu’il soit autorisé uniquement à statuer sur le grief collectif de façon indivisible, pour l’ensemble des employés consentants. Le paragraphe 228(2) de la Loi précise qu’« [a]près étude du grief, il [l’arbitre de grief] tranche celui-ci par l’ordonnance qu’il juge indiqué ». Si, par exemple, la preuve, examinée selon la prépondérance des probabilités, établit que quelques-uns mais pas l’ensemble des employés ayant consenti à un grief collectif étaient en fait lésés par une mesure ou une décision prise par l’employeur ou que l’employeur a enfreint la convention collective ou une décision arbitrale dans le cas de certains mais non pas de la totalité des employés, je pense que l’arbitre de grief a le pouvoir d’en arriver à une décision à cet effet et d’émettre « […] l’ordonnance qu’il juge indiqué ».

77 L’élément qui est peut-être le plus curieux dans les arguments de l’employeur est celui qui se trouve dans le paragraphe suivant :

[Traduction]

Nous faisons valoir que si l’on démontre qu’au moins 13 des 16 membres formant le groupe d’employés lésés ne partagent pas cet aspect et qu’ils n’étaient pas lésés au moment du dépôt du grief collectif, comme c’est le cas d’après nous, ce grief collectif ne peut être soumis à l’arbitrage et l’arbitre de grief n’a pas compétence en la matière.

78 De prime abord, cet argument semble contredire le principal argument de l’employeur selon lequel, pour qu’un grief collectif soit recevable, chaque employé consentant doit partager les motifs qu’ont en commun les employés qui se sentent lésés. Au lieu de cela, ce paragraphe semble faire allusion plutôt au principe de la majorité. Apparemment parce que « […] au moins 13 des 16 membres formant le groupe d’employés lésés ne partagent pas cet aspect […] », l’employeur conclut que le grief ne peut être arbitré.

79 Si l’on pousse la proposition de l’employeur à son extrême, pourrait-on dire alors que la décision de l’arbitre de grief d’accepter la compétence pour un grief collectif dépendrait d’une constatation, par exemple, que 50 p. 100 plus un des employés consentants partagent les motifs? Sûrement pas. Rien dans les articles 215 et 216 de la Loi ne nous amène à le supposer, ni, à mon avis, à supposer qu'il y ait une quelconque autre règle ou critère numérique qui restreint ainsi l’évaluation par l’arbitre de grief de sa compétence en la matière.

80 Pour les motifs exposés ci-dessus, je ne puis accepter l’interprétation de l’employeur quant au fonctionnement du mécanisme de règlement des griefs collectifs, lorsqu’on constate que seulement certains et non pas l’ensemble des employés ayant consenti au grief ont été lésés de la même manière. Mon interprétation des articles 215 et 216 de la Loi m’amène à conclure qu’un arbitre de grief est habileté à examiner les mérites d’un grief collectif pour autant qu’il soit convaincu prima facie que parmi les employés qui ont consenti à la présentation du grief il y en a qui partagent ou partagent éventuellement les motifs communs allégués à cause desquels ils s’estiment lésés. (En ce qui concerne la possibilité de maintenir sa compétence lorsqu’un arbitre de grief constate prima facie que seulement un employé consentant est ou risque d’être lésé, je n’adopte aucune position étant donné qu’aucun argument précis n’a été soumis sur ce point.)

81 À la lumière de mon interprétation du paragraphe 215(1) de la Loi et de la décision que j’ai déjà rendue en ce qui concerne la question de la prématurité, je rejette le deuxième élément de l’objection de l’employeur concernant ma compétence en l’espèce. À mon avis, il n’y a aucun obstacle en matière de compétence qui m’empêcherait d’examiner les mérites de l’affaire pour ce qui est des trois employés à l’égard desquels le grief n’est pas prématuré. (En réalité, il y a une preuve allant au-delà d’une preuve prima facie que ces trois employés s’estiment lésés pour les mêmes motifs.) Le fait que le grief est prématuré dans le cas des 13 autres employés qui ont consenti à la présentation du grief ne constitue pas une faille de compétence qui m’empêche d’entendre les mérites du cas en ce qui concerne MM. Skrobotz, Buckley et Vinden.

82 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

83 L’objection de l’employeur à ma compétence d’entendre le grief collectif pour le motif qu’il était prématuré est accueillie en partie dans le cas des employés qui ont consenti à la présentation du grief collectif autres que MM. Skrobotz, Buckley et Vinden.

84 L’objection de l’employeur à ma compétence d’entendre le grief collectif pour le motif qu’un ou plusieurs des employés participants ne s’estiment pas lésés pour les mêmes motifs est rejetée.

85 L’audience d’examen des mérites du grief collectif se tiendra dans les limites de compétence définies par la présente ordonnance.

Le 22 mai 2008.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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